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mardi, 21 juillet 2015

LE MARTYRE DE LA CAROTTE

Ils sont bien gentils, les adeptes du véganisme. Pleins de bonnes intentions, ils sont hypersensibles à la souffrance animale. C’est leur droit. Le mien est d’en penser ce que j’en pense. Libération fait une double page (vendredi 17 juillet) pour nous faire part de tous les tracas auxquels sont en butte les membres de la secte. De pauvres malheureux, capables de s’infliger de lourds sacrifices. Il faut être un peu masochiste pour se soumettre à la dure discipline du véganisme.

Un brin obsessionnels, ayant jeté un interdit absolu sur tout ce qui vient de l’animal (au nom des supplices qu’il endure), ils s’abstiennent non seulement de manger tout ce qui comporte une parcelle ressemblant à de la viande, mais ils étendent l’abstention à tous les sous-produits animaux, comme le cuir par exemple. Et ça leur complique singulièrement la vie. 

Pensez, les industriels de l’agro-alimentaire poussent le vice jusqu’à mettre du jus de viande dans leurs conserves de légumes. Ils sont donc obligés de suivre une formation approfondie pour apprendre à déchiffrer les étiquettes sur les bocaux et les boîtes. Au supermarché, au restaurant, leur vie est vraiment un enfer. 

Avec les proches, c’est souvent pire : ils sont confrontés à l’intolérance, à l’agressivité, à l’incompréhension. Mais ils ont la foi. La simple perspective d’avoir au bout de la fourchette un petit morceau d’animal mort les remplit tellement d’horreur que ça les conforte dans leur choix radical : « Le jour où on a vu les choses en face, on ne peut que lutter contre », dit Olkan Elijah, le président du mouvement végan Fuda. Ce sont des combattants. Ils défendent une cause. Et ils ne comprennent pas que tout le monde ne s'incline pas devant cette nouvelle vérité révélée (une de plus). 

A dire vrai, tout cela me semble très curieux, pour ne pas dire fumeux. D’abord parce qu’on pourrait rétorquer à ces gens que se nourrir exclusivement de végétaux est peut-être d’une cruauté plus grande encore : que savent-ils des sentiments de la carotte, du chou, au moment où on les arrache du sol, quand on les coupe en morceaux, quand on les plonge dans l’eau bouillante ou qu’on leur brûle la chair dans une poêle ? Que ressent la patate quand on la fait sauter ?

Le masochisme dont je parlais plus haut ressemble furieusement à un sadisme de la plus belle eau : en effet, s’interrogent-ils seulement sur la souffrance des légumes ? Leur haine de la viande vaut bien leur mépris pour "le cri de la carotte" (titre d'un livre de l'acteur Michel Serrault, ou peut-être Daniel Gélin). Est-ce parce que nous ne comprenons pas leur langage que nous devons leur faire subir tant de traitements aussi cruels qu'inhumains ? 

Cette bande de sadiques mériterait d'être dénoncée auprès de Carolyn Christov-Bakargiev, ancienne directrice que la Documenta Kassel 2012 (une allumée frénétique de l'art contemporain, photo ci-dessous), qui militait très fort pour la signature solennelle par tous les pays du monde d’une « Déclaration Universelle des Droits des Végétaux » ! Et qu’en pensent les associations de défense des fruits et légumes ? CHRYSTOV BAKARGIEV CAROLYN.jpg

Ensuite, on pourrait leur dire, plus sérieusement, qu’ils se contentent, à tort, de s’en prendre à l’effet, et qu'ils se gardent bien de toucher à la cause. Car enfin, il ne faut pas regarder très loin pour se rendre compte que si le sort fait aux animaux est lamentable et mérite donc d’être contesté, ce n'est pas pour des raisons sentimentales dictées par un anthropomorphisme assez vulgaire.

Ce n’est pour aucune autre raison que l’industrialisation de l’agriculture tout entière. Que la population soit assez étourdie pour confier le soin de la nourrir à un système intégré de machines, voilà l'énigme. L'industrialisation de la nature, voilà l'ennemi principal. Mais les adeptes du véganisme adhèrent à la civilisation : Olkan Elijah, le président, est infographiste. Il ne faudrait pas qu'il perde son boulot.

Industrialiser la nature, voilà bien l'idée de dingue. Pas besoin je pense pour s’en convaincre de rappeler la catastrophe : élevages géants de porcs en Bretagne, « ferme des mille vaches » dans la Somme, hangars un peu partout où caquettent des volailles par dizaines de milliers. D'où la souffrance animale, pour l'essentiel. Et ne parlons pas des masses de lisier à répandre, des camions d'antibiotiques (rendus nécessaires par la masse des animaux confinés, mais induisant des résistances de plus en plus visibles dans les organismes humains), et autres joyeusetés sanitaires. 

Voilà : la religion du véganisme est juste une ânerie, une niaiserie qui montre avant tout la sottise de ceux qui regardent le doigt du sage quand celui-ci montre la lune. Ils ne se rendent pas compte que la véritable cause de la souffrance animale n’est pas dans le fait que de plus en plus de gens sur la planète mangent de la bidoche (au grand dam de la dite planète), mais dans le système industriel de production de nourriture. Eh oui, voilà qu’on retombe sur ce damné « système ». 

La lubie véganiste n’est pas dangereuse, heureusement. Seulement, ils n’ont pas compris qu’au lieu d’avoir l’œil braqué sur un point de détail, il leur faudrait élargir singulièrement leur champ de vision, en même temps qu’enrichir et approfondir l’analyse qu’ils se font du monde pour prendre la vraie mesure du désastre. Ils verraient peut-être les graves défauts d’organisation dont souffre notre civilisation. Il leur manque un poil de marxisme pour en vouloir au système. 

Mais ça, comme des vers dans le fruit qui les nourrit, ils n’oseront pas le remettre en question. La maladie dont ils souffrent serait à ajouter à la très longue liste des « phobies » de la modernité. 

Je propose de la baptiser « carnophobie ». L'  « alimentophobie», c'est pour bientôt. A quand l'humanité anorexique ? Il paraît que ce n'est pas parti pour.

Voilà ce que je dis, moi.

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