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samedi, 07 décembre 2013

UN CAS D'ARROGANCE SOCIALE

La police de la pensée produit nécessairement la police de la parole. Le mot d’ordre ? « Il faut punir. » Ce ne sont pas les infractions à la « bonne pensée » ou à la « bonne parole » qui manquent. Tous ceux qui veillent à faire advenir le « meilleur des mondes », tous ceux qui rêvent d’un « Big Brother », d’un « Grand Frère » pour traquer les fautifs, tous vous le diront. Qui sont-ils, ces « purs » ? Tous ceux qui croient qu’on peut, et donc qu’on doit créer « l’homme nouveau », tous ceux qui veulent éliminer le Mal de la surface de la Terre.

 

Mais qu’est-ce que c’est, le Mal ? Ah, alors là, ça dépend. Prenez la prostitution. Il paraît que c’est très mal de se prostituer. Du moins le dit-on. Personnellement je n’en sais rien. Les avis divergent, c’est le moins qu’on puisse dire. Certains se dressent sur leurs ergots (de seigle ?) au motif que la traite des humains est un scandale révoltant. Ils ont bien raison. D’autres soutiennent que c’est un métier comme les autres, et qu’on n’a pas le droit d’empêcher ceux et celles qui le pratiquent volontairement de le faire. Ils ont bien raison. 

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C'EST GRÂCE À L'ERGOT DE SEIGLE QU'ON PEUT PRODUIRE L'ACIDE D-LYSERGIQUE, ALIAS L.S.D.

J’ai dernièrement entendu Françoise Sivignon (médecin, vice-présidente de Médecins du Monde) et Catherine Deschamps (sociologue, anthropologue) déclarer qu’avant de faire voter une loi punissant les clients, les députés auraient pu (donc dû) demander aux putes, maquées ou non, ce qu’elles en pensent. Elles ont bien raison. Et c’est bien le problème : comme souvent dans un débat, tout le monde a raison. Tout dépend juste du point de vue auquel on se place.

 

Alors, victimes ou pas victimes ? C’est clair pour les filles de l’Est de l’Europe, prises par des réseaux criminels, des mafias qui appliquent au commerce de la chair les règles du capitalisme le plus débridé : « investissement minimum, rentabilité maximum », au besoin en usant de la force. Réprimer un commerce aussi répugnant est légitime. Celles-ci sont bien des victimes.

 

Mais demandez à cette étudiante timide interviewée dans Le Monde du 6 décembre ce qu’elle en pense. Pour vendre à qui en veut ses services sexuels, elle n’a demandé l’autorisation de personne. Elle qui ne suce pas, au motif qu’elle a besoin pour ça d’être amoureuse, elle veut juste améliorer l’ordinaire. Une fois par mois en général. A 300 euros l’heure de sexe. « Ça met du beurre dans les épinards », comme elle dit elle-même. Dans ce débat, elle ne porte pas de drapeau « pour » ou d’étendard « contre ». Elle fait la pute, c’est tout, plus ou moins poussée par la nécessité. Enfin, la nécessité … Peut-être après tout y trouve-t-elle autre chose ? Elle se fait appeler Laura.

 

Face à ce dilemme (réprimer le crime sans porter atteinte à la liberté individuelle), ce qui m’étonne par-dessus tout, c’est qu’il se trouve des responsables politiques pour agiter le Code Pénal au-dessus du client pour éliminer le problème du paysage. Du moins le croient-ils. J’ai du mal à penser qu’ils se disent qu’ils vont débarrasser l’humanité de toutes les pensées lubriques et de tous les délires sexuels qui y sévissent depuis des milliers d’années.

 

Je n’arrive pas à croire que des gens apparemment sains d’esprit puissent sérieusement se considérer comme des chevaliers blancs en lutte contre « le Mal ». J’aurais plutôt tendance à rapprocher leur fantasme de l’hystérie d’un George W. Bush, partant en « croisade » contre « l’Axe du Mal ». Comme le chante Bob Dylan : « With guns in their hands And God on their side ».

 

Je n’arrive pas à m’expliquer ce que le grand Philippe Muray appelait « l’envie de punir » (Freud parlait de « l’envie de pénis » des petites filles). Qu’on puisse jouir de punir, je sais que c’est possible : j’ai des lectures. Cela n’empêche pas que ça me reste inexplicable. Ici, le recours à la pénalisation du client me semble singulièrement absurde.

 

Car ce faisant, le politique avoue son impuissance : impossible de faire disparaître le marché du sexe. Et puisqu’il renonce à punir la prostituée (bien sûr, elle est une victime), sans renoncer à punir le proxénétisme, il attaque le client. Pour résumer : la vente est autorisée, mais l’achat est interdit. Pour s’amuser, on peut imaginer ce que ça donnerait, un supermarché qui mettrait l’équation en pratique. C’est ce qu’on appelle une « injonction paradoxale » (du genre « soyez libres ! » ou « Indignez-vous ! »). A la rigueur un « double bind » (en anglais) ou « double impératif contradictoire » (en français).

 

Non, le plus insupportable dans cette affaire, c’est le recours policier à l’argument moral. Quel invraisemblable curé sommeille en madame Najat Vallaud-Belkacem ? Enfin, quand je dis « curé », c’est peut-être « flic » qu’il faudrait dire. Et ce qui me fait assez peur, dans la société qui vient, c’est de voir se lever des foules de curés sans religion et de flics sans uniformes, qui prennent sous leur bonnet de régenter la vie des autres. Régenter la vie des autres ! A-t-on idée !

 

Tous ces flics et curés d’un nouveau genre s’arrogent le droit de faire régner leur ordre répressif sur la collectivité tout entière. Et qu’ils ne se drapent pas dans la « noblesse » de leurs motivations. A force de resserrer le nœud de la loi autour du cou des désirs individuels, même et surtout mauvais, ils dessinent une société calquée sur l’ordre militaire. Ce ne sera plus une population. Ce sera un régiment.

 

Et en plus, ça n'empêchera jamais le Mal, inhérent à l'humain, de sévir.

 

Voilà ce que je dis, moi.