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jeudi, 30 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS » (fin)

Finalement, qu’est-ce qui m’oblige à réagir à l’insulte lancée par un éditorial du journal Le Monde à tous ceux qui n’aiment pas qu’on leur fasse prendre la lanterne rouge d’un minable peloton exsangue pour la vessie natatoire d’un superbe esturgeon de quatre-vingts ans bien tassés, bourré de caviar ? Rien. Mais rien du tout. La gratuité de l’effort ainsi produit, si elle n’échappera à personne, révèle son inanité en se manifestant. A peine une irisation à la surface de l’onde fait que le passant attentif se dit qu’un poisson est venu chercher un peu d’air avant de s’en retourner aux profondeurs obscures.

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Ce qui m’étonne et, finalement, ne passe pas du tout, c’est cette alliance étonnante qui s’est nouée  entre les artistes les plus rebelles, les contestataires les plus virulents et négatifs,  autrefois les « maudits » que toutes les institutions et tous les puissants vouaient aux gémonies et à l'Enfer des musées et des bibliothèques, et les catégories de population les plus favorisées par le sort, celles qui tiennent les leviers de commande, pour résumer : Puissants, Riches et Décideurs.

 

Quelle baguette magique a transformé les bannis de l’Art en Archevêques richement dotés ? Et qui a fait des bourgeois incultes, aveugles aux innovations artistiques, obtus, moqués par les milieux avancés, des exemples incontournables des goûts les plus raffinés et les plus avancés en matière d’Art ? Des parangons de discernement esthétique ?

 

Comment se fait-il que l’Ordre Etabli ait ouvert un Boulevard à toutes les forces artistiques qui se consacraient naguère tout entières à sa destruction ? Qui ne juraient, comme Dada (Zürich, 1916, Cabaret Voltaire, Ball, Tzara, Arp, Huelsenbeck, Taueber, ...) que par l'anéantissement de la Poésie et de la Peinture, enfin de tout ce qui pouvait évoquer le Bourgeois ? Voilà qui ne laisse pas que de m’interloquer la déglutition et de me trapézer l’amygdale du milieu, suscitant tapotements de menton, grattements de tempe et perplexités nocturnes.

 

Que s’est-il donc passé, quel tremblement de terre a eu lieu pour que l’Ordre Etabli en personne brandisse le drapeau noir de l’Anarchie, allant parfois jusqu'à enfourcher le cheval dadaïste ? Que Bernard Arnaud, François Pinault et les joailliers de la place Vendôme se dressent sur de nouvelles barricades (palazzo Grassi, Fondation Vuitton, Paul McCarthy), le couteau de la Révolution entre les dents ? Qu’est-ce qui leur a pris ?

 

Hypothèse : un anticommunisme viscéral et militant. Voulant couper l’herbe sous le pied des révolutionnaires marxistes (soi-disant, mais admettons), les intelligents du camp capitaliste ont simplement chipé la notion d’avant-garde et tout ce qui va avec. Le raisonnement est finalement assez simple : « Puisque c’est à nous qu’ils en ont et au système que nous incarnons, devenons nous-mêmes les plus pointues des avant-gardes, faisons mine de prendre la tête des mouvements qui marchent en tête. Ainsi n’auront-ils plus rien à se mettre sous la dent ». Devenons nous-mêmes forces de destruction. Les anciens stratèges appelaient ça la politique de la terre brûlée.

 

C’est ainsi que Puissants et Décideurs, bardés de leur Autorité, de leurs coffres et de leurs signatures, appuyés sur une maîtrise intégrale de la Légalité, sont devenus le fer de lance des avant-gardes révolutionnaires, les seules labellisées AOC par l’Etat. Désormais, pour faire la Révolution, il faut être détenteur du diplôme officiel qui donne droit à mener la carrière de Contestataire reconnu d’Utilité Publique. Le Ver de la Subversion agit à l’intérieur du fruit avec la bénédiction des Institutions. Finalement, les dites Institutions ont jugé que c’était un moyen beaucoup plus efficace pour gouverner les souveraines masses.

 

Rendez-vous compte : si Bernard Arnaud et François Pinault sont la crème du bolchévisme capitaliste, nul Gramsci, nul Lénine, nul Staline même ne sera en mesure de théoriser le paradoxe. Pensez, les élites au pouvoir ont convoqué à leur service ce qui se fait de mieux en matière de négation de tout pouvoir : les avant-gardes ! Et elles sont passées maîtresses dans l'art d'ériger des monuments à la Destruction. L'aliment et le carburant qui nourrissent et font avancer un tel Système, dont l'entropie est le principe, s'appellent Désagrégation, Ruine. Le Trou Noir s'est métamorphosé en planète luxuriante où surabonde cette force paradoxale de Vie.

 

Visez le filon, il est inépuisable : faisant de l’idée même de Révolution un caniche prêt à leur faire la fête, quand elles rentrent à la maison après une éprouvante journée de gagne-brioche, les élites ont trouvé le moyen de se légitimer définitivement, en tant que pouvoir, en donnant l’impression qu’elles SONT le mouvement porteur du futur, et les masses un troupeau passéiste, définitivement pris dans les glaces de l’immobilisme, de l'archaïsme et des avantages acquis.

 

Avis à la population : les élites au pouvoir sont le mouvement pur, l’élan en personne. Elles ont épousé officiellement le Progrès, en justes noces, en annexant au passage l’innovation extrême, celle qu’on trouve sur les murs des Musées d’Art Contemporain, sur les scènes des théâtres, des Maisons de la Danse, des Opéras, des salles de concerts dédiées aux musiques contemporaines. Mais aussi tous les objets qu'on trouve accrochés aux mains, aux yeux et aux oreilles de tous les passants dans les rues de toutes les villes.

 

Je note juste en passant que les élites évitent de se faire photographier en compagnie d’artistes comme Orlan (dont l’atelier est un bloc opératoire, et les œuvres, les transformations chirurgicales de son propre corps) ou comme les diverses écoles pratiquant le cisaillage d’épiderme et autres techniques de « mise en question du corps humain ». J’en conclus qu’il reste des inassimilables et des intolérables. Disons : des limites.

 

Tout le reste est bel et bien domestiqué, coucouche-panier-papatte-en-rond : l'urinoir de Marcel Duchamp est devenu une œuvre ! Véridique ! Enfin, c'est une des quatorze répliques qui est exposée, elle appartient à un musée en toute propriété. Pas touche. C'est ce que Pierre Pinoncelli a appris à ses dépens quand il s'en est pris à l'objet à coups de marteau. On expose des bites (Ed Fornieles, Biennale Lyon, 2013) et des vagins (Chhiba Reshma, Afrique du Sud, 2013). Tout est permis !

 

Tout cela démontre à suffisance que le peuple simple, le simple peuple, le peuple des simples est congénitalement inapte à se mettre au diapason du mouvement. Le peuple, en particulier celui qui se reconnaissait dans une nation, est profondément, viscéralement, radicalement passéiste. Le simple peuple est dans l’erreur de ne pas adhérer spontanément aux Révolutions Présentes qui promettent à l’humanité, d’ores et déjà, un avenir radieux.

 

Mais laissez faire les élites, enfin ! De quoi avez-vous peur ? Elles savent mieux que vous ce qui est bon pour vous. Le classement du joli mot de « conservatisme » au nombre des vocables radicalement proscrits (analogue au fer rouge qui marquait à vie le galérien sous l’Ancien Régime) par les Nouvelles Saintes Ecritures nous apprend qu’il est dès maintenant peu probable qu’un nouveau Conseil National de la Résistance se mette en place dans les temps prochains et rédige le programme d’une future organisation sociale ouverte, humaine et pas trop injuste.

 

Restons optimistes : c’est bardés de joie que nous marcherons à l’abîme !

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mercredi, 29 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »

On me dit que je caricature et généralise quand je parle des Puissants, des Décideurs, des « élites dévoyées ». Eh bien demandez donc à l'éditorialiste du Monde de ne plus me traiter de "crétin". Qu'il retire ses propos et qu'il fasse des excuses. On a sa dignité : il n'avait qu'à pas commencer. Et puis d'abord, c'est celui qui le dit qui l'est.

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Mais voyons, monsieur, « élites dévoyées », il ne faudrait pas généraliser. Il ne faudrait surtout pas que les « élites dévoyées » se sentent stigmatisées. On en arriverait vite, rendez-vous compte, au « Tous pourris ! » qui « fait le jeu du Front National », n’est-ce pas. Le problème, c’est que je caricature, mais à peine. Eh bien ce n’est pas l’Editorial du Monde du 22 octobre (Place Vendôme, le créateur et les crétins) qui me convaincra du contraire. Au contraire.

 

Quand un homme ne sait plus quoi faire de son argent, comme je le disais, il le jette par les fenêtres. Il fait comme les pays pauvres ou en guerre (de préférence les deux), qui jettent dehors, et de préférence à la mer, toutes leurs populations superflues. Cela donne quelque chose qui s’appelle « N’importe quoi ». Et j’ajoute : « Pourvu que ça fasse de la mousse ». Surtout s’il trouve un Décideur complaisant, d’accord avec lui pour décréter : « Tout est permis », et à apposer sa signature au bas de l'autorisation. Plus qu'à poser le "plug anal" en pleine place Vendôme.

 

Les gens situés à proximité plus ou moins immédiate des bureaux sur lesquels on pose les papiers sur lesquels les « décideurs » sont invités à apposer le graffiti ou l’arabesque à l’encre de leur signature par des larbins distingués qui sortent des Grandes Ecoles, ces gens, dis-je, composent un potager et une faune qui, à force de grandir dans des serres séparées et d'être conservés dans des bocaux bien à l’abri du « plein champ » où prospère l'épaisse rusticité du « vulgum pecus », se font de celui-ci une idée aussi virtuelle que les images des jeux vidéo grâce auxquels ils prennent quelques moments de détente, entre deux stress insoutenables, là-haut, tout en haut de l’échelle.  

 

Puissants (détenteurs de l’argent privé) et Décideurs (détenteurs de la signature publique) ont donc adopté ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’Art et de la Culture en matière de contestataires, réfractaires, insoumis, dissidents, marginaux, déviationnistes, provocateurs, immoralistes, subversifs, anticonformistes, anarchistes et j'en oublie sûrement.

 

Il est convenu dans le cahier des charges qu'il faut être dérangeant, déstabilisant pour ces étranges bestioles appelées « les gens », dont on décrète qu'ils sont pris dans des routines morales, lieux communs intellectuels, idées toutes faites et autres stéréotypes qu'il s'agit de faire voler en éclat, pour les rendre à la pureté de ... de quoi, au fait ?

 

C'est fou, quand on y pense, le nombre de gens de Spectacle et d'Art qui ont pour but d'agir sur le spectateur, le plus souvent en le mettant mal à l'aise, en l'obligeant à se remettre en question, en le tourneboulant, désorientant, abasourdissant. Comme on est à Lyon, j'ajoute "badibulguant". Tous ces gens sont d'un altruisme terrifiant et dévastateur. Jamais les "bonnes intentions" n'ont commis pareils dégâts. C’est à qui dénichera son Poseur de Bombes personnel, qu’il comblera de ses bienfaits s’il consent à poser celles-ci dans son musée personnel.

 

Damien Hirst et Jeff Koons se tirent la bourre pour savoir qui sera le mieux coté. Les nouveaux académiques pontifiants Daniel Buren ou Bertrand Lavier jouent les fripons, sans doute pour faire plus jeunes. Anish Kapoor s’en donne à cœur joie au Grand Palais, sans doute pour ne pas empiéter sur les plates-bandes versaillaises de Takeshi Murakami. Dans le fond, Paul McCarthy, dans ce paysage, fait figure de « Petit Bras » (je suis en cela d’accord avec monsieur Dagen, du Monde, si j’ai bien lu).

 

On a compris que, quoi qu’il arrive, aucun artiste digne de la Modernité ne saurait advenir sur le Marché de l’Art s’il ne commet aucune profanation. Il arrive que Puissants et Décideurs tolèrent qu'il se contente de proposer du "Jamais Vu", mais même le "Jamais Vu" doit rester exceptionnel.  Car le sacrilège et le blasphème sont des laissez-passer magiques. Du « Piss-Christ » d’Andres Serrano à la Crucifixion d’une femme par Bettina Rheims, par exemple.

 

Et l’ « artiste », le commanditaire et le mécène sont aux anges quand l’œuvre exposée a la joie ineffable et le bonheur sans mélange de se faire vandaliser. Quand l'artiste est arrivé à appuyer sur le bon bouton, celui de la fureur vindicative des "Crétins", qui n'attendaient que cette occasion pour passer à l'action. Quand l'étincelle de la provocation a remonté toute la longueur de la mèche, jusqu'au tonneau de poudre. 

 

Si le scandale n’est pas au rendez-vous, c’est que la mèche de la bombe était mouillée. HernaniPelléas, Le Sacre, Ubu, Déserts, tous les directeurs de salles rêvent de ces échauffourées merveilleuses, de ces émeutes ébouriffantes, de ces soulèvements délicieux, de ces batailles épiques en smokings et robes de soie dont on parle encore cent ans après, et plus.

 

« Encore raté », s’écrie alors, rageur, ce colonel Olrik de l’Art Contemporain, « mais je reviendrai, je me vengerai, je l’aurai, mon scandale ». Le scandale est désormais un investissement ; faire scandale est un but de guerre : tout doit être pensé pour l’atteindre, et d’abord le thème. La religion, le sexe sont des « créneaux porteurs ». Il y a aussi le caca : successeur de Piero Manzoni et de sa « Merda d’artista » (1961), Wim Delvoye s’est illustré avec sa féconde série (2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2009) des « Cloaca » et autres « machines à caca ». Il a aussi tatoué des cochons, et même le dos d'un certain Tim Steiner, dont la peau, qui a été vendue 150.000 euros en 2008, sera définitivement acquise par son acheteur à la mort de son porteur et possesseur. Furieusement excitant, n'est-il pas vrai, très chère ?

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais comme les œuvres d’art et expositions, les pièces de théâtre et spectacles de danse dont les médias parlent le plus sont ceux qui portent l’étendard de la « Transgression ». C’est au metteur en scène qui « transgressera » le plus, le mieux et le plus radicalement : la concurrence est impitoyable. Cette vogue a gagné la mise en scène d’opéra. Au point d'en être devenue d'un terrible conformisme. Je donne même une idée : le fin du fin serait de dénuder sur scène des très vieilles et des très vieux, des très laids et des très obèses, que sais-je, des très fous sortant de l'asile et des très dangereux évadés de prison, bref la fine fleur de ce qui se fait en matière d'apparences repoussantes. Le pied, je vous dis pas !

 

La parole est au « transgresseur » : acteurs à poil sur la scène pour un oui ou pour un non, défécations et mictions, corps dénudés couverts d’on ne sait quelles déjections et autres contenus de poubelle. Aujourd’hui, c’est bien simple, un jeune n’arrive à rien s’il ne transgresse pas. Sinon, il sera considéré comme anormal.  C’est un principe hors duquel il ne saurait trouver le salut.

 

Qu’on se le dise : la transgression est devenue la norme. Les gens normaux sont devenus inadmissibles. Il n'est plus normal d'être normal. Une bonne partie de la Culture actuelle crie : « A bas les gens normaux ». C'est bien simple, ils sont atteints d'un insupportable « conservatisme », quand ils ne sont pas carrément des « réactionnaires », des « crétins », des « fachos ». La Révolution des valeurs est en marche qui, tel Saint Jean-Baptiste annonçant la venue du Messie, nous prépare à la « post-humanité ». Amen.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mardi, 28 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »

J’en étais aux caprices des Puissants, hors de prix pour le « vulgum pecus », cela va de soi, car ils ont tellement de moyens qu'ils peuvent TOUT se permettre, et même n'importe quoi. Ils ne s'en privent pas. L'argent, c'est comme les populations, quand on ne sait plus quoi en faire, on le jette (par les fenêtres, à la mer, ...). Sur la place Vendôme, à Paris, cela donne une « œuvre » de Paul McCarthy, cyniquement intitulée « Tree », dont la forme lui a été inspirée par un ustensile en usage (paraît-il, je répète ce que j'ai entendu, moi je suis pour les méthodes naturelles) chez les amateurs d'artifices sodomiques.

 

De nos jours, tout l'égout est dans la nature, d'où sans doute les préoccupations écologiques. Après tout, peut-être vaut-il mieux que l'objet soit prévu pour, car on retrouve aux urgences hospitalières des gens qui se sont introduit une patate et qui sont alors bien embêtés (authentique et de source sûre, bien sûr, la suite est chirurgicale).

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Mais en dehors des très riches, dont la fortune leur permet de satisfaire leurs caprices les plus coûteux, et si possible les plus arrogants, méprisants et insolents à l’égard du pauvre monde, une autre catégorie de personnes met de l’huile dans les rouages de la machine à produire de l’art à usage de monstration collective : ce sont les décideurs. Ça fait du monde.

 

Le décideur est une espèce en soi : c'est elle qui détient un monopole, qui est un privilège accordé démocratiquement à certains individus depuis que nous sommes en République : le monopole de la SIGNATURE. Le décideur est d'abord celui qui signe, et qui par là assume une responsabilité. Qu'il soit massif ou minuscule, un coffre-fort nécessite une clé pour consentir à s'ouvrir.

 

Le monde administratif étant ce qu'il est, du chef de bureau au Président de la République, la SIGNATURE est cette clé pour ouvrir le coffre. Alors c'est sûr, le privilège de la signature, il y en a pour boire et pour manger, du plus infinitésimal émargement du chef du service incendie qui vient de viser et d'avaliser le tour de garde du week end, jusqu'au chef qui supervise le chef qui supervise le chef etc ...

 

Du plus anecdotique au plus notable, le signeur, signateur, signataire, seigneur de décisions foisonne. On peut même dire qu'il pullule. Peut-être même prolifère-t-il, allez savoir, en cas de pépin, ça peut servir pour les assurances ou devant le tribunal : qui est responsable ? Dit autrement : qui décide d'installer un "plug anal" en pleine Place Vendôme ? Qu'on sache contre quel gros responsable porter plainte pour « pretium doloris » (ben oui, ça fait mal, dans ces dimensions).

 

Car ça finit par faire des sommes ! Pour la ville de Lyon, le budget alloué au fonctionnement seul de la culture pour l’année 2014 était de 113 millions d’euros (source : site municipal). Ce qui permet à l’amateur de Modernité de goûter par exemple, au Musée d’Art Contemporain, l’œuvre iconolâtre et bédélâtre d’Erro, présenté anonymement par monsieur Thierry Raspail (qui dirige l’institution) comme « le premier storyteller de l’histoire de l’art ». Je ne veux pas savoir qui est le signataire en dernier ressort de cette chose. « Erro humanum est. Perseverare diabolicum », je ne sors pas de là.

 

Il est vrai que, vivant à l’époque de la production industrielle du boudin storytellé et déféqué avec constance et régularité par d’innombrables médias fournis par d’innombrables officines de « communication », nul ne saurait se passer de connaître et d’apprécier les produits de la maison Erro, directement sortis des chaînes de son usine prémonitoire : directement de l'état solide du Réel à l'état gazeux du Virtuel (on appelle ça "sublimation"). Il paraît que ça raconte le passage de l'Âge Archéologique à l'Âge Moderne. Passons.

 

Il reste que Gérard Colomb (maire), Georges Képénékian (1er adjoint, Culture) et Thierry Raspail (directeur du MAC) illustrent à merveille l’organisation de la chaîne des décisions qui déboucheront plus tard sur la fabrication d’un paysage culturel auquel le spectateur futur est sommé d'adhérer (voir le superbe squelette en acier du « Musée des Confluences »). Ils sont parmi ceux qui vous disent ce qu’il faut avoir vu. Et voir le Musée des Confluences, on ne peut pas faire autrement. On peut dire qu'il s'impose à vous. 

 

Les trois décideurs ci-dessus nommés vous imposent aussi comment le voir : ils ont signé la construction des bâtiments, l'aménagement des espaces, les cheminements, les perspectives et les points de vue, etc. Le Signataire de décision fabrique le cadre de votre existence. Il vous l'inflige. Il vous le fait subir. Et prière d'applaudir : il a tôt fait de vous renvoyer aux élections suivantes si vous n'êtes pas content. Pour la démocratie, vous repasserez dans six ans. Quand je dis "signé", je ne parle bien sûr que de la commande, des autorisations, etc. 

 

Ceux qui sont allés voir il y a quelque temps les « outre-noirs » de monsieur Soulages au Palais des Beaux-Arts de Lyon, qu’ils le veuillent ou non, ont consommé de telles décisions de tels responsables et signataires des dites décisions. Comme les Romains au Cirque, ils en redemandent. Et le grand seigneur qui règne sur ses terres jette sa décision au bon peuple comme la fermière jette son grain à la volaille. Eh oui ! C’est qu’elle vote, la volaille ! Mais si peu, dans le fond !

 

Si l’on remonte le sillage laissé par les décideurs en matière culturelle, on trouve, entre autres, monsieur Chirac offrant le Pont-Neuf à monsieur Christo pour qu’il en fasse un paquet-cadeau éphémère destiné aux Parisiens (on appelle ça un « événement ») ; on trouve monsieur Aillagon déroulant sous les pas de monsieur Jeff Koons (puis de monsieur Takeshi Murakami) les tapis rouges du château de Versailles  pour qu’il y dépose des objets assez furieusement « flashy » pour qu’on entende la puissante détonation produite par le contraste avec ces lieux chargés de leur histoire comme un âne de son fardeau. Plus la déflagration est forte, plus le commanditaire est satisfait. Il faut le comprendre : il a l'impression de faire l'histoire. Sarkozy a montré qu'on peut même en faire une stratégie politique.

 

C'est sans doute ce que le directeur de Versailles entendait par « dépoussiérer ». Dépoussiérer, pour tout un tas de responsables et de décideurs, ça consiste à nettoyer par le vide (« au Kärcher »), à balayer d'un seul coup tout ce qui a été fait auparavant et surtout faire quelque chose qui n'avait jamais été fait. Ah, être le premier ! Malheureusement pour tous ceux qui en rêvent, être le premier en art, ça ne se trouve pas sous le sabot d'un cheval. Combien de millions d'artistes se sont rêvés en Marcel Duchamp-bis, et ont désespérément couru après, tentant vainement de répéter le coup de tonnerre de son geste inaugural, radical et fatal, le « ready-made » !!

 

Demandez à ce pauvre Pierre Pinoncelli, qui souffre depuis tout petit d'un curieux syndrome, qu'il conviendrait de nommer le « Complexe de Marcel Duchamp », une malédiction dont il n'a jamais guéri. Mais c'est comme en alpinisme : la première ascension du Grand Pilier d'Angle, c'est Walter Bonatti en août 1957, et personne d'autre. Après, ça s'appelle la deuxième. Tous les autres sont des suiveurs, imitateurs, émules, épigones, successeurs, etc. Eh oui, Pinoncelli, c'est fini le « ready-made », et depuis 1913, s'il vous plaît. Duchamp a tué le "ready-made" en le mettant au monde. Beaucoup ne s'en sont jamais remis. Pinoncelli mériterait une pension.

 

D’après monsieur Philippe Dagen (Les nouveaux mécènes de l’art contemporain), c’est un consortium des joailliers de la place Vendôme qui est à la base de la dernière trouvaille monumentale : inviter Paul McCarthy : « Plus remarquable est le fait que l’érection de Tree avait été décidée en accord avec le comité Vendôme, qui réunit les enseignes de luxe installées là » (Le Monde, jeudi 23 octobre 2014). Mais j’aimerais en savoir davantage sur le complément d’agent (laissé ici en blanc) de la tournure passive « avait été décidée » (on attend "par ..."). Autrement dit sur le sujet de l’action : quel bonhomme concret, en dernier ressort, a décidé, c’est-à-dire posé sa signature sur le formulaire officiel, rendant la chose possible ?

 

Je note en passant que le chapeau de l’article est ainsi formulé : « Pour l’industrie du luxe, la provocation et le scandale sexuel sont des moyens de promotion ». J’abonde, cher monsieur Dagen ! Le mot « décomplexé » a été mis à la mode par un parti de droite. Mais le terme « décomplexé » s’applique encore mieux, depuis quelque temps, aux gens assez riches pour, au mariage de leur fille, donner des louches pour servir le caviar aux centaines d’invités (Pinault ou Arnaud, je ne sais plus).

 

L’INSEE pourra toujours courir derrière la Réalité avec son double-décimètre et mesurer de combien s’est élargi le fossé qui sépare de plus en plus nettement les 0,01 % plus riches et les 10 %  plus pauvres, la Réalité fout le camp loin devant à grandes enjambées, dopée par l’accumulation des super-profits engrangés par les jongleurs de l’économie financiarisée, celle qui est capable de vendre cinquante fois certaines matières premières avant même qu’elles aient été produites. Avec à chaque fois une plus-value, cela va de soi.

 

Ce sont les nouveaux nababs, richissimes et décomplexés jusqu’à l’ostentation impitoyable de leur bonne conscience en acier inox, jusqu’à la superbe arrogance de leur fatuité sans borne, piaffant d’impatience, pour choquer le populo, d'installer place Vendôme le "plug anal" de Paul McCarthy, sous prétexte de sapin de Noël, godemichet géant, sorte d'énorme pousse-caca vert.

 

Vous imaginez Maurice Druon publiant aujourd'hui Tistou les pousse-caca verts ? Peut-être en l’incluant dans l’ABCD de l’égalité, vous savez, ce machin destiné, entre autres, à convaincre les petits enfants que le sexe anatomique n’est pas un destin irrévocable.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

dimanche, 26 octobre 2014

UN « CRÉTIN » PARLE AUX « CRÉTINS »

Ce billet fait suite au Manifeste du « Crétin », paru ici il y a quelques jours, titre motivé par celui d’un éditorial du journal Le Monde. J'aurais bien intitulé "Les Crétins parlent ...", mais comme je suis tout seul, ... Tant pis pour le rythme de la phrase, avec sa syllabe "-ent" et sa liaison en plus, à la musique desquelles notre oreille est habituée (vous savez, point-point-point-trait, "ici Londres", etc.).

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Je chantais donc le cantique des rebutés de sa Majesté la Modernité, jugés inaptes à l'Art : « Je suis crétin, voilà ma gloire, mon espérance et mon soutien ».

 

Ce qui m’intrigue, dans l’ « affaire Paul McCarthy-plug anal-place Vendôme », c’est qu’il s’est produit une drôle d’inversion de processus, depuis le premier « ready-made » de pépé Marcel, en 1913. Papy Duchamp, lui, avec sa roue de bicyclette sur un tabouret, il voulait « faire œuvre » (ensuite avec sa « fontaine », son hérisson porte-bouteilles, ses trois « stoppages étalons », tout l’usinage de ses « moules mâliques », sa « broyeuse de chocolat », son « pendu femelle », ses « témoins oculistes », tout ça pour dire qu’on connaît un peu ses classiques …) tout en restant radicalement en dehors du domaine officiel et réservé de l’art, de l’académie, tout ce qu’on voudra.

 

Commençons par signaler que les gens d’alors, comme prévu, réagissaient comme les gens d’aujourd’hui. Il y avait, dans toute la démarche de Marcel Duchamp un puissant moteur anarchiste, asocial, voire nihiliste qui tirait avec violence tout son autobus (sa « boîte-en-valise ») hors du consensus qui fait la vie collective, hors du champ institutionnel, à commencer par l’Institution du Travail. Les gens avaient une bonne perception de ce nihilisme et de sa haine de l’ordre établi, et lui rendaient bien ses intentions. Tout allait bien, la logique était respectée : le marginal par choix d'un côté, les gens normaux de l'autre, cahin-caha, vaille que vaille.

 

La différence avec autrefois, elle vient des autorités. Eh oui, c'est elles qui ont pris un virage à 180°. Quand elles levaient les bras au ciel en criant « au fou l’artiste ! », elles hurlaient avec la foule. Aujourd’hui, on assiste à cet incroyable retournement de situation : ce sont les autorités (artistiques, culturelles, politiques, …) qui hurlent contre la foule (on me dira que c'est un groupuscule d'exaltés extrémistes) qui dégonfle le godemichet vert de la place Vendôme, « au fou la foule ! », en « condamnant fermement des actes inqualifiables » commis par des « fascistes », des « réactionnaires », des « mongoliens », bref des « crétins », comme dit souverainement Le Monde.

 

Aujourd’hui, qu’on se le dise, l’Anarchiste et Nihiliste anti-social, le vaguement escroc, farceur et mystificateur Marcel Duchamp (marchand du sel, comme disait lui-même cet amateur de contrepèteries et autres jeux de mots) a été bombardé Ministre de la Culture. Et son premier décret porte en toutes lettres cette affirmation définitive, au sujet de son « Grand Verre », alias La Mariée mise à nu par ses célibataires, même : « Désormais, la Culture, c’est ça !!! ». Je ne suis pas sûr qu'il ait ajouté « bande de nazes », mais le cœur y est. "Plug" anal compris : il avait bien exposé un urinoir, lui.

 

Aujourd’hui, pour son « apport décisif à l’histoire de l’art mondial et au rayonnement artistique de la France éternelle », François Hollande en personne a solennellement remis à Marcel Duchamp, le roi du « ready-made », vêtu pour la circonstance de son habit vert d’Académicien Français, la grand-croix de la Légion d’Honneur, dans la cour de l’Elysée, au cours d’une cérémonie grandiose bercée par les flonflons de la fanfare de la Garde Républicaine en grand uniforme, devant une armée de photographes et de cameramen venus du monde entier.

 

Blague à part, j’aimerais bien qu’on m’explique ce retournement de veste des Puissants. Mais aussi le retournement de veste des Anarchistes, Terroristes et Poseurs de Bombes de l’Art d'avant-garde, qui se sont convertis au métier servile de caniches de leurs Majestés les Puissants. Comment ont-ils fait pour troquer le rôle d'épouvantails et de croquemitaines contre celui de faire-valoir et de bouffons de Sa Majesté ? Comment les Autorités ont-elles pu accepter de faire entrer ces Loups dans la Bergerie Sociale ?

 

Je risque une première approximation de réponse : parce que nier le Système où règnent ces Puissants est devenu un « fromage ». Alors dis-moi pourquoi la Subversion du Système est devenue un « fromage » ? Parce qu'elle en est devenue un Aliment. Le Carburant de ce Système s'appelle en effet "Négation de soi", "Effacement des données identitaires", "Du Passé faisons Table Rase" (eh oui, aussi étonnant que ça paraisse, le refrain communiste est devenu un chant purement capitaliste).

 

Le Système a compris que l'Art est absolument inoffensif. La Subversion Politique c'est fini ! Vive la Subversion Idéologique ! La Subversion inoffensive de l'ordre établi par l'Art (et domaines connexes), qu'on se le dise, est devenue un moyen extrêmement prisé de gouvernement des masses. Le "plug anal" de Paul McCarthy place Vendôme a ça d'inscrit dans ses significations prioritaires.

 

Mais j'ajoute aussitôt qu'à la différence des "Bouffons de Sa Majesté", dont les saillies étaient censées corriger la trajectoire du monarque quand elle devenait erratique, les individus admis à jouer le rôle de "Grands Négateurs Institutionnels" récitent leur Manuel Officiel de la Subversion Permanente à l'intention exclusive du bon peuple, celui qui ne sait pas. Celui qui ne sait plus rien est ainsi appelé à consentir à la subversion permanente de ses propres valeurs, de ses repères, de son histoire, de son identité. A se soumettre à des institutions devenues elles-mêmes subversives. Il y a des exemples récents hors du domaine de l'Art, que les valets des Puissants s'empressent de classer parmi les Progrès décisifs de la Civilisation (je peux mettre les points sur les i si vous voulez).

 

Le "bon peuple" est celui que les nouvelles élites au service des Puissants ont pour charge de guider sur le chemin qui mène à la définition d'un Homme Nouveau et d'une Humanité Nouvelle. Il faut que cela se sache : le Puissant a désormais besoin du Négateur pour confirmer sa Puissance. Tout simplement parce que le Négateur, en produisant des objets qui manifestent aux yeux de tous la Négation de la Puissance, prouve que le Puissant est plus puissant que sa Négation même, puisqu'il lui ouvre ses portes et lui offre sa protection. C'est la raison pour laquelle Jeff Koons, Takeshi Murakami ou dernièrement Paul McCarthy sont des "Bouffons de Sa Majesté". J'espère que vous suivez.

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Jeff Koons et François Pinault, posant lors d'une conférence de presse à Séoul, devant le buste en marbre représentant JK en compagnie d'Ilona. C'est sûrement pour d'excellentes raisons qu'ils se marrent.

Quand je dis « puissants », je renvoie à toutes sortes de gens, mais en premier lieu, évidemment, à ceux qui ont les plus gros moyens. M. François Pinault a dédié un des joyaux vénitiens à ce qui se fait de plus con et temporain dans l’arcon : le Palazzo Grassi. Pour faire pièce à ce grand rival dans la course au titre de « Français le plus riche », Bernard Arnaud (LVMH) a déposé (je suppose) un tas d’or suffisant au pied de Frank Gehry pour que celui-ci lui construise l’écrin rêvé pour ses collections de la plus grande classe. Le bon choix, le premier milliardaire venu vous le dira. 

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Gehry n’est-il pas l’immortel auteur de l’immeuble (ci-dessus) « Dancing House » de Prague ? Cela vous pose un homme. Ça a de la « patte », voire de la « cuisse ». C’est une « signature ». Walt Disney à Los Angeles, Guggenheim à Bilbao, maintenant la Fondation Vuitton à Paris : mieux qu’un grand chelem à l’ATP, plus fort que mettre tous les œufs dans le même panier, non seulement ça vous en bouche un coin, mais ça vous en colmate une fissure ! Ce brave philanthrope de Bernard Arnaud se voit décerner le label de « mécène respectable ». Pas comme ce pillandre (j’essaie de réhabiliter le patois lyonnais) ostentatoire de Pinault à Venise.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

mardi, 12 août 2014

LE LIEVRE DE PATAGONIE 1/4

Claude Lanzmann : Le Lièvre de Patagonie (Gallimard, 2009).

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Pour parler franchement, je n’avais pas du tout l’intention de lire Le Lièvre de Patagonie, de Claude Lanzmann. Mais les circonstances en ont décidé autrement. Il se trouve que, passant un matin devant la vitrine du « Livre à Lili », rue Belfort, je l’ai vu bien en évidence, et au prix imbattable de trois euros, s’il vous plaît, au lieu de vingt-cinq vendu neuf. Comme dit le futur "parrain", dans Le Parrain 2 : on me faisait une offre que je ne pouvais refuser. Pas le pistolet sur la tempe, quand même. Neuf, le bouquin l’était, je suis prêt à parier qu'il n’avait jamais été ouvert. Je n’ai pas hésité trois secondes. Je n’ai pas regretté mes trois euros.

 

J’avais un préjugé : les apparitions médiatiques controversées, tonitruantes et péremptoires de l’auteur m’avaient fait fuir. J’avais eu en son temps un préjugé analogue à l’égard de Michel Houellebecq qui, en suscitant des "pour" enthousiastes et des "contre" furibards qui s'étripaient en place publique, m’avait rebuté, avant que je franchisse le pas un jour avec Les Particules élémentaires, livre qui m’avait convaincu que son auteur était un authentique et excellent romancier. Du genre qui a tout compris de la société où il vit et de celle qui s’annonce. Et puis qui sait l'écrire pour le faire passer. Et qui, à cet égard tout au moins, me fait penser à Balzac.

 

Pareil pour Lanzmann : le personnage public, qui ne se privait pas d’intervenir avec véhémence quand on parlait des Juifs ou d’Israël, m’avait fait fermer les écoutilles. Quand la rumeur publique dépasse un certain nombre de décibels médiatiques, je n'y suis plus pour personne, je me mets aux abonnés absents. En plus, quand j’ai ouvert le bouquin, je dois dire que je n’ai pas été encouragé.

 

Le personnage, encore lui, a quelque chose d’assez déplaisant : que m’importe à moi, qu’un haut gradé de la chasse israélienne propose à monsieur Lanzmann de faire un tour sur le siège passager d’un F16 ? Et que monsieur Lanzmann, pourtant âgé de soixante ans, en sorte frais comme l’œil et sans avoir rempli de vomi le sac fourni à cet effet, mais de respect l’officier ébahi, sous les applaudissements du tarmac entier ?

 

Que m’importe que Claude Lanzmann ait fait ceci, cela, et encore ça et ça et ça ? Rien à faire du fatras biographique, où l’auteur « en installe » complaisamment. Mais c’est vrai que ça me saoule très généralement, le déluge de « vies des autres » dont les médias nous submergent. Car il n'y a pas de vie exemplaire. Au point que je me demande pourquoi l'on nous bombarde de confitures biographiques en nappes denses sur des tartines épaisses comme ça.

 

Ce ne sont que « portraits » dans Libération et Le Monde, ce ne sont que « talk shows » radiophoniques, où un animateur complaisant (Marcel Quillé-Véré sur France Musique, entre autres) déroule le tapis devant l’invité, avec une dévotion plus ou moins fabriquée, en vue de lui faire raconter les mille péripéties de son existence évidemment passionnante. Je ne parle pas de la télévision, qui passe son temps à étaler des vies intimes, ni du genre « biopic », qui envahit le cinéma des rangs serrés de toutes ses Edith Piaf, de tous ses Ray Charles et de tous ses Truman Capote.

 

Le récit de leur petite vie par de petits comédiens, de l'écriture de leur premier roman par des premiers romanciers, du couronnement de leur œuvre quand il s'agit de Jean d'Ormesson (notez que son dernier est toujours le couronnement de son œuvre), ou même de leur grande carrière par de grands pianistes, à qui l’on demande de raconter par le menu comment ils ont fait pour arriver là, ça finit par saturer l’espace. Et ne dit strictement rien de l'œuvre pour laquelle ces VRP de leur propre image sont en « tournée de promo ». Et rien, à plus forte raison, de ce qui en restera.

 

Je suis même d’avis que cette inflation de « vies des autres » dans les médias a pour effet de tenir en respect, d’intimider les gens genre « monsieur tout le monde », à la masse desquels j'appartiens, mais dont il ne viendrait l’idée à aucun journaliste de solliciter une interview approfondie. Selon les journalistes et les directeurs d'antenne, il y a les vies intéressantes, et puis il y a toutes les autres, qui s'appellent "la plupart". Ou encore mieux : « La foule des anonymes ».  Tout ça a pour effet de convaincre tous les « monsieur tout le monde » que la vie qu’ils vivent, non, ce n’est pas ça, « la vraie vie ». On les a convaincus que la vraie vie, c'est quand ils ont pu se voir à la télé. Comme une preuve officielle.

 

A force de voir que tant de gens ont « réussi leur vie », puisqu’on leur fait l’honneur de leur demander de la raconter à un public ébloui, chacun n’est-il pas tenté de se dire que la sienne est ratée ? De se dire que tant qu'il n'a pas raconté sa vie à la télé, il n'existe pas ?

 

A force de s’intéresser à la « vie des autres » (tout au moins ce qu’ils en montrent ou en disent), pour un peu, on oublierait qu’on a une seule vie à vivre pour son propre compte, et qu’il n’y a personne pour la vivre à notre place. Et que la télévision a été inventée pour nous faire oublier cette tragédie. Avec soi-même, on est constamment "en direct". Et il n'y a pas de "rewind". Revenons à nos moutons.

 

Dès l’avant-propos du bouquin de Lanzmann, on est prévenu : « Il est vrai, on m’a dit mille fois, de mille côtés, que je devais à tout prix écrire ma vie, qu’elle était assez riche, multiple et unique pour mériter d’être rapportée ». Que ce soit clair : tout le monde s'y est mis, à genoux : « Claude, allez, raconte ta vie ! ». Monsieur Lanzmann a cédé à des instances plus fortes que lui qui, à force d’insister, sont venues à bout de sa réticence à parler de lui-même. Sans ça vous pensez bien que …

 

Et attention les yeux : « J’en étais d’accord, j’en avais le désir, mais après l’effort colossal de la réalisation de Shoah, je n’étais pas sûr d’avoir la force de m’attaquer à un travail de si grande ampleur, de le vouloir vraiment ». Il est d'accord pour considérer sa propre vie comme infiniment digne d'intérêt. Et elle est d'une "si grande ampleur" ! Qu’on comprenne bien : monsieur Lanzmann n’a jamais été effleuré par le doute, ce qui ne me prépare pas à éprouver une grande sympathie pour lui. La force de son moi est incommensurable. Heureusement, le monsieur n'est pas du tout porté au narcissisme. C'est un qualité essentielle du livre : pas d'étalage.

 

Pourtant on pourrait le croire quand il affirme : « Je me tiens pour un voyant ...» (p. 285). Heureusement, son hommage à Moby Dick de Melville (p. 254) m'avait prévenu en sa faveur. Mais on comprendra peut-être que le bonhomme puisse susciter des réactions pour le moins "contrastées", génial pour les uns, insupportable pour les autres. Pour moi, c'est les deux à tour de rôle.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

samedi, 07 juin 2014

L'AMERIQUE AIME L'EUROPE ! 2/2

Résumé : Etonné de l'aveuglement des analystes occidentaux qui se répandent dans les médias, qui adoptent et récitent avec conscience la version américaine du conflit ukrainien, j'ai essayé de montrer hier comment les Américains, depuis la fin de l'URSS, n'ont cessé de harceler la Russie en essayant (avec ou sans succès) de faire tomber du côté de leur zone d'influence les dominos qui dépendaient des Russes depuis l'ère soviétique (la stratégie d'encerclement).

 

Et quand arrive la révolte du peuple syrien contre Bachar el Assad, tout fiérot de sa « victoire » libyenne, l’occident croit judicieux de montrer ses muscles. Stupeur générale, Poutine dit NIET aux opérations envisagées. Obama aura beau fixer une « ligne rouge », celle-ci recule comme l’horizon quand on marche vers lui, armes chimiques comprises. 

 

Putain de merde, dit Obama. Ça résiste ! Il ne reste plus aux bonnes âmes qu'à prier et se lamenter, en dénonçant les manquements d'Assad à son engagement à ne pas faire usage d'armes chimiques. Et à compter les morts et les réfugiés. En se disant que les gens (les autres, toujours les autres) sont méchants.

 

Ça aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, à l’Obama. Et quand on arrive à l’Ukraine, où beaucoup de gens, s’ils se sentent d’abord Ukrainiens, parlent le russe, et ne voient aucune raison de se fâcher avec le « grand frère », l’occident, tout par un coup, tombe sur un bec quand il prétend ancrer le navire ukrainien en eaux européennes.

 

Obama et l’Europe (ah, l’Europe des droits de l’homme, qui en dira le lyrisme pathétique, moribond et factice ?) montent à l’assaut de la Russie. Pensez, le revirement de Ianoukovitch est un véritable affront ! Une insulte ! Mais à la réflexion, la réaction américo-européenne, si on raisonne en géo-stratège, est une provocation contre la Russie de Poutine.

 

Au nom du peuple ukrainien et de ses « droits inaliénables », on décide de faire pencher irréversiblement l’Ukraine du côté du Bien, du côté des « droits de l’homme », du côté de l’occident, évidemment. Il ne vient apparemment à l’esprit de personne de demander son avis à quelqu’un qui n'habite pas loin de là, et qui, pour de très vieilles raisons historiques, a son mot à dire. On s’en fout, on attaque, on se décrète du côté de Maïdan, parce que Maïdan, c’est la volonté du peuple. Démocratie à l'américaine.

 

Je suis prêt à parier mes roubignolles que, si l’occident n’avait pas appuyé sur le champignon des « droits de l’homme », et avait laissé les Ukrainiens se démerder, la Crimée serait toujours ukrainienne, même si les Ukrainiens seraient toujours dans la panade. D'ailleurs, aux dernières nouvelles, ils y sont jusqu'au cou, dans la panade ! Jusqu'aux sourcils ! Et plus qu'avant !

 

Au lieu de ça, les Américains ont sciemment jeté de l’huile sur le feu. Il paraît que 300 mercenaires de l'ex-Blackwater (désormais « Academy ») sont présents quelque part en Ukraine (je répète ce que j'ai entendu). Si c'est vrai, ça confirme. Aidés par des complices européens qui ne voient pas les conséquences plus loin que le bout de leur nez, qu’ils ont hélas camard, ils y sont allés flamberge au vent.

 

Qui est favorable au système de corruption mis en place par Ianoukovitch et sa clique ? Qui est adversaire de la liberté et des droits de l’homme ? Personne, évidemment. Mais il faut un peu « réfléchir avant d’agir », comme se disent Plick et Plock à la fin de leurs aventures, ayant reçu un peu de plomb dans la tête. Ce n'est pas gagné. Plick et Plock auraient pu devenir d'immenses géo-stratèges.

PLICK REFLECHIR 1.jpg

 

Et l’Europe dans tout ça ? Mais c’est quoi, l’Europe ? Ce n’est rien, ce n'est qu'un vieillard sous tutelle américaine et bourré de fric. Pour une certaine Amérique nostalgique de la guerre froide, l’Europe, c’est une masse de manœuvre. Parfois un terrain de parade. Tout ce que s’efforcent de faire ici les Américains, c’est de faire chier la puissance russe, en traitant les Européens comme de la valetaille qu’on envoie au charbon à la demande.

 

Si j’avais une question à poser, je demanderais bien en face aux Américains ce qu’ils nous veulent, à nous Européens. Bien que j’aie une petite idée de la réponse qu’ils ne feront pas. On en a eu un aperçu en janvier ou février, quand une délégation de grands patrons du MEDEF a annoncé qu’elle allait se rendre en Iran pour faire de la « prospection ». N'attendez pas de moi que je m'érige en avocat du MEDEF, j'essaie froidement de raisonner géo-stratégie.

 

Ça n’a pas traîné : un grossium de l’administration Obama leur a aussi sec remonté les bretelles, leur disant que ce n’était pas bien d’aller faire du commerce avec un grand diable qui figure sur « l’Axe du Mal ». Sans aller jusqu’à avouer que, en cas d’ouverture du marché iranien (et la configuration est en train de changer, comme ça tombe bien !), les patrons américains passeraient avant les Français. Les affaires avant tout. Le message ? Attention, les Européens, c’est moi qui commande. Et s'il faut s'en mettre plein les poches, c'est moi d'abord !

 

Et l’amende extravagante infligée par un juge américain à la banque BNP Paribas pour avoir fricoté avec des Mauvais en dollars américains, c'est une preuve du mal qu'est capable de nous faire notre « allié » américain quand il s'agit de ses intérêts. Loin de moi l’idée de défendre les banques, évidemment : elles nous ont piqué assez de pognon.

 

Il y aurait encore beaucoup à dire au sujet des actuelles négociations entre l'Europe et les Etats-Unis en vue d'un Traité de Libre-Echange, où les Américains voudraient instaurer un « Tribunal arbitral » qui pourrait infliger des sanctions à des Etats souverains qui s'opposeraient à ce que Monsanto, Google, Microsoft, Goldman-Sachs et consort (toutes entreprise américaines, soit dit au passage) écoulent leurs camelotes sur leurs territoires.

 

Il y aurait aussi beaucoup à dire des pressions que les Américains exercent sur le gouvernement français pour qu'il renonce à vendre à la Russie une série de porte-hélicoptères d'assaut de type « Mistral ».MISTRAL PORTE HELICOPTERE.jpg Ce match-là non plus n'est pas terminé. Mais je mets tous ces trucs-là bout à bout, et je trouve que ça commence à faire beaucoup. L'Amérique est notre alliée, mais l'Europe devrait se souvenir que quand il s'agit de ses intérêts, l'Amérique peut devenir impitoyable, surtout avec ses meilleurs amis.

 

Qu’est-ce que l’Europe aux yeux des autorités américaines ? Un « je-ne-sais-quoi » ! Un « presque-rien » ! Un souffle ! Un ectoplasme. Et l’affaire d’Ukraine le démontre à suffisance. Bien sûr, les droits de l’homme ! Bien sûr, la place Maïdan ! Bien sûr, Poutine est un gros salaud ! Bien sûr, Ianoukovitch est un bandit ! On sait tout ça. Mais franchement, qu’est-ce que l’Europe envisage ou espère, en emboîtant le pas aux Américains dans des « sanctions » contre les Russes ? Mettre les mains dans le panier de crabes ? Où est-il, son intérêt, à l’Europe ? Faire la guerre à Poutine ? Allons donc !

 

Tout diplomate le sait, et toute personne sensée devrait le savoir : il faut parler avec ses adversaires avant qu’ils ne deviennent des ennemis, pour éviter d'avoir à leur faire la guerre. Et je n’entre pas dans les considérations sur la force des armes économiques que peuvent brandir les acteurs en présence. A la place des Européens, s’ils existent (ce qui n’est pas sûr), je regarderais où je mets les pieds. Avec la Grande-Bretagne, les USA ont à leur service un loup ultralibéral dans la bergerie européenne (soit dit en passant, ils ont interdit à Cameron de sortir de l'Union Européenne). Devinez ensuite pourquoi une Europe-puissance n'est pas près d'émerger.

 

L’inénarrable salopard (pas d'autre mot) Jean-Marie Colombani, alors patron du Monde, intitulait son éditorial paru le lendemain du 11 septembre 2001 : « Nous sommes tous américains » ! Farpaitement ! Je préfère de loin : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! ». Je ne sais pas si Voltaire a vraiment écrit ça, mais en l’occurrence, bon Dieu, qu’est-ce que c’est vrai ! Non, une fois pour toutes, je ne suis pas américain ! L'Europe, c'était autre chose, avant les Américains. Colombani a l'étoffe du traître.

 

L’Amérique aime l’Europe, c’est certain. A son petit déjeuner. Car l'Amérique n'est pas près de la considérer comme un plat de résistance. A la rigueur comme une vache à lait. Consentante. Avachie. Inconsistante. L'Europe ? L'Amérique ne la veut pas autrement que colonisée par ses soins.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 30 mai 2014

ENFONCER LE CLOU

Le Front National est donc un Grand Diable qui effraie les bonnes gens. Et nous sommes bien d'accord : ce parti composé de jean-foutres incompétents et de gens possiblement dangereux dans des proportions que je ne connais pas (d'autant que certains cumulent : aucune loi n'interdit à un incompétent d'être en même temps dangereux), je ne souhaite à personne qu'il arrive un jour au pouvoir.

Il faut donc partir en guerre contre le Front National, c'est entendu, toutes les belles âmes nobles sont d'accord. La grandiloquence est de saison. Ce ne sont, dans tous les médias, qu'éditoriaux lyriques dressés comme des étendards et chroniques politiques analysant gravement le phénomène (Gérard Courtois, dernièrement, dans Le Monde). Jusqu'à des chanteurs (Biolay, Noah, ...) qui n'hésitent pas à engager leur popularité dans la lutte. Je n'hésite pas à applaudir. Quel cran ! Quel courage ! Si possible sous l'œil des caméras, parce qu'il ne faut rien perdre.

Je ne doute pas a priori de la sincérité de ce chœur quasi-unanime autour d'une cause présentée comme sacrée. Laissons-leur le bénéfice de la bonne foi. Mais je crois que ce chœur des pleureuses ressemble d'assez près à un  chœur de chèvres, et qu'il ne tombe que des petites boules noires et sphériques de leur bouche de derrière.

Tous ces gens bien intentionnés, en dressant un beau pilori pour y clouer ce parti d'extrême droite (est-ce bien sérieux ? Les gens ont-ils oublié ce que c'est, un vrai facho ?), évitent soigneusement de regarder en face le cœur du problème, comme s'ils voulaient vider à la petite cuillère la marée montante - dans on ne sait quel récipient virtuel.

Certains parlent de « cordon sanitaire », d'autres de « front républicain ». Ah les braves gens ! Ah oui, combattons le Front National. Par malheur, ils commettent l'erreur de confondre les moulins à vent avec des géants. Ils font comme les Dupondt dans Tintin au pays de l'or noir, ils prennent un mirage pour une réalité. Plus grave : plus ils crient au loup, plus ils lui donnent de la consistance, au mirage. Et plus celui-ci prend le chemin de devenir une réalité, sur laquelle les Dupondt s'écraseront le nez.

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Plus nos hommes politiques sont minables, plus Marine Le Pen devient quelqu'un. Car tous ces braves gens se trompent de cible, et leurs hurlements agissent comme un rideau de fumée : ils dissimulent la vérité sans modifier les choses en quoi que ce soit. Tous ces braves gens croient-ils sincèrement qu'un phénomène comme l'émergence du FN est dépourvu de causes ? En s'en prenant au FN, on s'attaque (on fait semblant ?) à l'effet, en prenant bien soin de laisser les causes parfaitement intactes et à l'abri de la vindicte populaire qui, pas dupe, ne trouve dès lors que cette issue pour s'exprimer.

Ces causes, moi qui ne suis pas politologue (il n'y a pas de sot métier, mais il y a des professions vraiment débiles !), j'en vois quelques-unes, mais la principale, je crois qu'elle crève les yeux. Au risque de me répéter, je ne la crois pas située ailleurs que dans l'infinie médiocrité, la bassesse intrinsèque des hommes politiques qui nous gouvernent ou qui prétendent le faire bientôt. Si le succès du FN comporte un enseignement, je le formulerai ainsi :

AU ROYAUME DES LILLIPUTIENS, LES NAINS SONT ROIS.

Je laisse deviner qui compose la troupe des Lilliputiens et qui est le nain (en l'occurrence, la F Naine). La caractéristique principale de toute cette population de soi-disant responsables est une impuissance générale à modeler le réel pour le bien de tous. Or le façonnage de la réalité humaine, collective, cela porte un nom : cela s'appelle la POLITIQUE. La France, pour ce qui est des idées politiques, est confrontée à un vide sidéral. C'est d'ailleurs une des raisons qui font le succès du FN : c'est juste que le contraste est saisissant, et que, du coup, il a l'air d'en avoir, des idées (mais s'il y avait une « pensée Front National », ça se saurait).

Les hommes politiques qui président aux destinées des deux grands « partis de gouvernement » ont soigneusement cadenassé un système dont ils ne sont que la partie émergée, et veillent comme des Cerbère à ce que nul talent véritable, cultivé dans un autre pot que celui dont ils sortent, n'acquière assez d'ampleur pour devenir un rival potentiel. Ce sont des arbres rabougris, poussés sur des terres pauvres en substances nutritives, qui craignent qu'un jour la vaste ramure d'un majestueux chêne pédonculé se dresse au-dessus d'eux pour leur faire de l'ombre.

Ces hommes ont mis la classe politique en coupe réglée. Des gens comme Dupont-Aignan ou Larrouturou, qui proposent des solutions originales (qui valent ce qu'elles valent, je n'en sais rien), n'ont aucune chance, sur ce terrain méticuleusement quadrillé, d'arriver à des responsabilités tant soit peu notables. Aucune chance de « jouer leur partition », faute d'avoir fait allégeance à qui de droit.

Hollande, Sarkozy et consort, en achetant les allégeances avec les talents, siphonnent l'eau du vivier politique français, et assèchent avec acharnement toute source qui risquerait de lui redonner vie. Avec le règne sans partage du PS et de l'UMP sur la vie politique française, l'émergence du Front National est la preuve qu'il n'y a plus de vie politique en France.

Et le FN peut impunément s'amuser à récupérer quelques slogans qui font la base de bon sens d'une démocratie bien conduite, que l' « UMPS », réfugié lâchement au fond de ses cuisines à touiller ses petites tambouilles, leur a abandonnés.

Dans ces conditions, il faut être singulièrement gonflé pour ériger, comme Manuel Valls l'a fait dernièrement, le Front National en menace pour la France. Si des hommes politiques dignes de ce nom existaient dans notre pays, le Front National resterait la petite crotte nauséabonde qu'il était à son origine.

Et je me rendrais au bureau de vote avec - enfin -  la certitude de servir à quelque chose (n'exagérons rien, un quarante et quelques millionième de voix), comme les 58 autres % qui ont boycotté les dernières élections, qu'ils aient agi par paresse, indifférence ou conviction.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Le lecteur de ce billet aura remarqué, et son goût peut-être été heurté par le caractère abondant et désordonné que j'y fais de la métaphore. Je le prie d'excuser ce moment de faiblesse. 

 

jeudi, 29 mai 2014

ENFONCER LE CLOU

 

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POURQUOI DIABLE QUELQU'UN (que je ne nommerai pas) M'A-T-IL OFFERT CETTE PLAQUE EMAILLEE ?

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Tiens, je ne suis pas tout seul à penser que la victoire de Marine Le Pen, si c'est un « triomphe », comme l'écrivait en une le journal Le Monde (voir ici même il y a deux jours), ça a tout du triomphe minable, qui ressemble, si on regarde avec les bonnes lunettes, à un gros pet de lapin.

En ce moment même (29 mai, 8h moins le quart), j'entends Régis Debray, sur France Culture, analyser le succès du Front National aux élections européennes. Selon lui, la cause est à chercher dans l'infinie médiocrité de nos classes dirigeantes.

On trouve par ailleurs en une du Canard enchaîné (28 mai) le même genre d'analyse. Voici :

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Je ne connais pas monsieur Jean-Claude Martinez (et je ne tiens pas à faire connaissance), mais tout le monde appréciera ce qu'il dit de Marine Le Pen. Eh oui, pas des fauves, mais des chihuahuas. Je trouve que ça relativise.

Le tragique de l'affaire, c'est que la France semble paralysée, qu'elle est devenue totalement incapable de produire et de sélectionner de vraies élites. Le tragique de l'affaire, c'est qu'on pourrait se demander si la France elle-même n'est pas devenue un gros pet de lapin.

La production et la sélection des élites ont été confisquées par une usine qui fabrique un seul type d'hommes, copies conformes les uns des autres, très compétents pour constituer des dossiers, mais dénués de convictions politiques, donc incapables de décider correctement. Nous sommes gouvernés par des agents de bureau, qui ne sont là que parce qu'ils ont été premiers de la classe.

Or, comme on sait, la biodiversité est une condition de la survie des espèces. Le clonage politique est une impasse biologique. La reproduction humaine, quand elle est à ce point endogamique sur des générations, condamne la famille à dégénérer.

Tant que les « élites » françaises se prendront pour des élites, alors que la façon dont elles fonctionnent (cooptation clanique, allégeance, mise à l'épreuve) les apparente furieusement à une mafia, je nous vois très mal partis. Tous ces gens entraînent le pays à la déchéance.

Seule la colère .... 

 

mardi, 27 mai 2014

GROSSE COLERE EUROPEENNE

On marche sur la tête. On le savait déjà, mais les élections européennes (je parle de la France) nous font franchir une ligne rouge. C'est facile à trouver, vous ne pouvez pas vous tromper : c'est juste avant d’entrer dans la camisole de force. La douche infirmière et les électrochocs médicaux n’y feront rien. Déjà et d’une, pourquoi faire voter par régions regroupées (sept grandes régions) ? Pourquoi pas un seul scrutin national, pour mettre un peu de simplicité dans l’embrouillamini inextricable qu’est l’Europe à vingt-huit ?

 

Réponse : j’imagine que s’il y avait seulement des listes nationales en France, listes avec soixante-quatorze noms, ça foutrait la merde dans les deux « partis de gouvernement », qui ne sauraient plus que faire de leurs barons. Ce serait une telle bousculade, une telle empoignade, une telle guerre intestine, bref, un tel caca au PS et à l'UMP pour savoir qui passerait devant qui, qu’ils se sont mis d'accord pour préférer, pour réduire les risques de répandre leur précieux sang, ouvrir sept têtes de liste pour placer chacun sept barons avides d'honneurs. Même si l’on apprend plus tard que ceux-ci n’ont jamais mis les pieds à Bruxelles et à Strasbourg, comme c’est probable, au moins, ça diminue les tensions internes. Ouf !

 

Ensuite et de deux, j’ai eu toutes les peines du monde à trouver dans les journaux du lundi autre chose que les pourcentages nationaux, régionaux ou départementaux fournis par le Ministère de l’Intérieur. Pour avoir les chiffres, il faut vraiment chercher (inscrits, votants, exprimés, enfin tout, quoi). 

 

Or si tout le monde s’accorde sur l’importance de l’abstention (je m’enorgueillis de n’avoir pas voté, moi, même que c'est sûrement à cause de mon pauvre quarante millionième de voix que le FN est arrivé en tête), je m’étonne que tout le monde, dans une belle unanimité, enfourche ces canassons (« qu'a na sont pas frais », dit Boby Lapointe dans Saucisson de cheval n° 2), sans se donner le mal de refaire les calculs.

 

Car ces pourcentages sont calculés sur le nombre des suffrages exprimés. Dit autrement : comment jouer à se faire peur et à foutre la trouille aux braves gens ? Rendez-vous compte, un quart des Français prêts à lever le bras droit bien raide en l’honneur de je ne sais quel Führer ! Quinze millions de fascistes ! Au secours ! Et Copé le comique, Copé le désespéré qui y va de son analyse : selon lui, c'est l'expression d'une « immense colère » contre François Hollande ! Ah c'est sûr, il a tout compris, Copé. Ou alors il fait semblant de faire le bourrin.

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LIBÉ ADORE DONNER DANS LE DRAMATIQUE.

C'EST QUE LIBÉ CHÉRIT QUELQUES ÉPOUVANTAILS.

C’est une imposture manifeste (« Une posture magnifique ! », répliquait Ubu à Achras, c’est dans Ubu cocu ou l’Archéoptéryx). Aucun des Valls-Cambadélis-Copé-Fillon n’ayant bien sûr l’intention de se poser des questions sur les vraies causes du phénomène, ils se sont tous mis d'accord pour pousser les hauts cris. Et pour faire semblant de chier dans leur froc. 

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VOUS FAITES ERREUR, M. LEMONDE : LE PAYSAGE POLITIQUE FRANÇAIS EST DÉVASTÉ DEPUIS LONGTEMPS.

CHANGEZ DE LUNETTES.

Alors que le Front National devrait à tous faire moins peur que l’abstention. Mais il est révélateur de constater que, manifestement, toutes les bouches autorisées considèrent l’abstention comme une non-expression. Les abstentionnistes n’existent pas, ainsi en ont décidé les bouches autorisées. Et si l'on se contente de déplorer l'abstention galopante, c'est parce qu'on a une confiance aveugle dans la démocratie représentative : seuls ceux qui font l'effort de mettre leur bulletin méritent d'exister politiquement. Autrement dit la démocratie par délégation. Dans ce système, on me demande juste de renoncer à ma liberté pour la confier à quelqu'un dont j'ignore toutes les qualités, tous les défauts et quel usage il en fera, de ma liberté !

 

L'abstention, seuls quelques journalistes étourdis en parlent comme du « parti majoritaire », mais surtout sans en tirer les conclusions. Si, à la rigueur, on entend parler de perte de confiance, mais ça ne va pas plus loin. Je vais exiger que l'abstention soit décomptée parmi les suffrages exprimés, tiens. Voilà une idée qu'elle bonne !

 

Alors prenons le nombre des « inscrits », pas celui des « exprimés ». Cela donne quoi ? Au plan national, très difficile de savoir. Je suis allé voir les chiffres sur le site du ministère : au moment où j’écris, pas de résultats nationaux ! Voyons donc la grande région « Sud-Est ». Inscrits : 7.981.771. Exprimés : 3.318.163 (bulletins blancs désormais compris, environ 2 %). Ce qui fait à peu près 58 % d'abstention. 60 % avec les blancs. Mais non, ce n'est pas le moment de se poser des questions, on vous dit !

 

La conclusion logique ? Les hommes politiques n'ont pas besoin de l'esprit civique. Ils ont seulement besoin de quelques gogos qui se disent qu'il « faut aller voter ». A quel taux de gogos la machine électorale s'arrêtera-t-elle de fonctionner ? 15 % de votants ? 10 % ? Qui dit mieux ? 

 

Et puis je refais les calculs : si l’on passe des exprimés aux inscrits, Le Pen tombe de 28,18 % à 11,71 %. Ça relativise, non ? Et on comprend pourquoi Valls en reste aux exprimés : le Parti « socialiste » s’effondre de 11,87 % à 4,93 %. Ah ça, je dois dire que ça fait du bien ! Il faut le savoir, dans le grand Sud-Est, le PS attire moins de 5 % des Français en âge de voter. Il faudrait claironner le résultat de ce sondage grandeur nature. Je précise que j'ai pris les chiffres provisoires sur le site du ministère.

 

L’arnaque est donc à plusieurs étages. Passons sur l’absurde complexité qui empile, sur le site ministériel, au sujet de l'Europe, le département, la région, la « grande région » et passe sous silence la dimension nationale, pour nous intéresser à l’arnaque médiatique. Tout le monde se rend bien compte que les deux grandes structures « politiques » (?) du PS et de l’UMP sont absolument cramées à cœur et que, en dehors du Front National, la France est donc un désert politique. Rappelons quand même que le succès actuel du FN a été patiemment préparé, mitonné, élaboré dans les cuisines du PS et de l'UMP.

 

Le FN, franchement, je n’aimerais pas le voir aux manettes. Entre les jean-foutres et les dangereux, on voit bien qui prendrait l’ascendant. C’est à cela qu’on mesure l’état totalement misérable dans lequel est le personnel politique français. Toute la classe politique est paralysée, passant l’essentiel de son énergie, de son temps et de notre argent à « communiquer », à s’observer, à calculer, à élaborer des tactiques, tout en s’efforçant de neutraliser l’adversaire dès que celui-ci prend l'initiative ahurissante de lever un sourcil. Pendant ce temps, les députés allemands élus au Parlement européen travaillent.

 

Et quand le Président commence à manquer d'air ou de daphnies au fond de son bocal, il convoque les caméras et prend son chapeau de prestidigitateur pour en sortir le lapin de la suppression des départements, histoire de donner l’impression qu’il se passe quelque chose. C'est sûr, Hollande ne manque pas d'air. Etonnez-vous que le FN donne aux gens l’impression qu’il existe. Les hommes politiques français, en réalité et en profondeur, sont désespérés, pétrifiés d’impuissance. Il ne savent plus quoi inventer pour exister dans les médias.

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Tout cela est pitoyable, lamentable, affligeant, consternant, navrant, minable, désastreux, funeste, .... La Classe morte est une inoubliable pièce de théâtre de Tadeusz Kantor. Quel grand dramaturge nous écrira La Classe politique morte ? La France n'a pas de problème plus grave et urgent à résoudre. La classe politique française est morte, droite comme gauche. Et on a égaré le luth constellé (« Ma seule étoile est morte et mon luth constellé Porte le soleil noir de la mélancolie »). 

 

Et je mets dans le même sac tous les journalistes politiques qui font semblant de prendre des mots pour des actions et des ectoplasmes pour des hommes politiques. Qui alimentent en carburant la machine à ne rien faire. Qui braquent la niaiserie de leur loupe sur les buts de l'un, les intentions de l'autre (« Serez-vous candidat ... ? »), les ambitions du troisième, les hypothèses du quatrième, les « propositions » du cinquième (car il faut être positif et ne pas se contenter de récriminer, donc on se présente comme une « force de proposition »), .... etc.

 

Les journalistes sont armés de microscopes : c'est excellent pour gonfler les petitesses des clowns avides de pouvoir. Leur pouvoir de grossissement finirait presque par nous faire prendre une poussière pour une planète. Et les hommes politiques sont trop heureux de se faire ainsi gonfler le jabot.

 

Quand absolument tout est à réformer en même temps, on ne réforme rien. On se gargarise de mots. Paralysés, on est. Et puis un jour, ça pète. Je ne souhaite pas. Hollande-Valls-Copé-Sarkozy aura-t-il le courage de se faire greffer les gènes de la vraie intelligence et du vrai courage politiques ? OGM acceptés. J'aimerais bien. Mais j'en doute.

 

Je ne sais quel homme politique allemand déclarait, il y a quelques jours, parlant de l’Europe : « Es macht mich kotzen ! ». Eh bien moi aussi, tout ça me fait vomir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 15 mai 2014

2/4 MAIGRET JOURNALISTE

Le personnage de Maigret, disais-je dans un billet précédent (hier, si je ne me trompe), est un prétexte. Certes, le métier de Georges Simenon est d’écrire des romans. Mais il est aussi journaliste. La preuve cette série de 12 articles intitulée Escales nordiques, publiée par Le Petit journal du 1er au 12 mars 1931. Les titres en sont très rigolos, je tiens à le souligner. Voir plus bas pour confirmation du fait.

 

Je n’irai pas jusqu’à prétendre que les Maigret sont de mauvais romans policiers, ce serait idiot, ridicule et insoutenable. Mais il faut bien dire que l’intrigue de plusieurs de ceux que j’ai lus est bâtie sur une chute qui a tout l’air d’être parachutée. Je pense par exemple à l'extravagant nid d’espions qu’on trouve dans une boîte de nuit de Liège, dans La Danseuse du Gai Moulin. Une histoire pépère, planplan et apparemment minuscule.

 

Le fait que le crime crapuleux s’ajoute à l’affaire d’espionnage montre que Simenon est un maître du tricotage narratif. Il n’en reste pas moins que cette histoire de plans « d’un nouveau fusil-mitrailleur fabriqué à la FN de Herstal » et de mise à l’épreuve d’un apprenti espion par ailleurs richissime qui a le tort et la faiblesse de s’ennuyer dans la vie, garde des airs assez peu crédibles. 

 

Je dirai que l’intrigue proprement policière (toujours bien tricotée) permet à l’auteur d’appâter son lecteur. C’est d’ailleurs ce qui émerge de temps à autre dans le récit à propos de la « méthode » que Maigret applique dans ses enquêtes. Cette méthode est précisément de ne pas en avoir. Enfin, pas vraiment. On ne peut pas dire en effet que les « deux phases » décrites dans La Guinguette à Deux Sous puissent en tenir lieu. Mettons plutôt une façon d’être qu’une façon de faire.

 

La première phase consiste pour Maigret à pénétrer dans l’ambiance spécifique dans laquelle baigne le milieu social ou géographique où va se dérouler l’affaire : « D’abord la prise de contact du policier avec une atmosphère nouvelle, avec des gens dont il n’avait jamais entendu parler la veille, avec un petit monde qu’un drame vient d’agiter ». Au cours de cette période, « la plus passionnante » pour le commissaire, « on renifle. On tâtonne ». Et quand le juge Poiret lui demande ce qu’il pense de l’affaire : « Je ne pense pas encore. Je tâtonne ». Ça, c’est dans Maigret et le tueur. Mais c’est quand même au chapitre deux, c'est-à-dire dans la partie initiale, où le commissaire patauge encore.

 

Revenons à La Guinguette … La deuxième phase peut ensuite débuter : « Brusquement on saisit un bout de fil et voilà la seconde période qui commence. L’enquête est en train. L’engrenage est en mouvement. Chaque pas, chaque démarche apporte une révélation nouvelle, et presque toujours le rythme s’accélère pour finir par une révélation brutale ». J’avais noté pour ma part cette impression de « tempo accelerando » (voir ici même au 29 avril) produite par la manière dont le commissaire conduit (semble conduire, car c'est évidemment le romancier qui tient les manettes) son enquête.

 

Georges Simenon semble construire ses Maigret comme fait un journaliste d’investigation quand il est en reportage. Et l’auteur fut un tel journaliste. Patrick Kéchichian le confirme en 2008 dans Le Monde (1er août) à propos du Simenon de 1935 débarquant à Tahiti : « Il allait y séjourner deux mois. Largement de quoi s’imprégner, dira-t-on, de cette autre réalité … ». Kéchichian commente ici une édition des textes journalistiques (Georges Simenon. Les Obsessions d’un voyageur, textes choisis et commentés par Benoît Denis). Je relève avant tout le verbe « s’imprégner ». Simenon le journaliste et Maigret le policier appliquent la même « méthode ».

 

Et dans le fond, les enquêtes de Maigret ne sont-elles pas, outre des intrigues policières bien ficelées (quoique plus ou moins convaincantes), des reportages dans les milieux les plus divers ? Celui des marins – d’eau douce ou au long cours – semble être une des prédilections de l’auteur : j’ai l’impression d’avoir fait un tir groupé, avec Au Rendez-vous-des-Terre-Neuvas, Le Chien jaune, Le Charretier de « La Providence », Le Port des brumes. Successivement Fécamp, Concarneau, les canaux, Ouistreham. C’est vrai que beaucoup de titres sont datés d’un « A bord de l’Ostrogoth » significatif : Simenon a navigué et la mer et les marins, il connaît.

 

Toujours est-il que l’imprégnation est à la base de la méthode de l’écrivain comme de celle du policier qu'il a imaginé.

 

Simenon reste journaliste en écrivant ses romans policiers. Et il fait un journaliste du commissaire devenu une grande figure de la littérature policière française. Les enquêtes de Maigret ressemblent un peu à des reportages.

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 25 avril 2014

EUROPEENNES : VOTEZ PROUT !

La Grèce va mieux. Youpi !

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Le Monde daté du 23 avril nous invite à l'optimisme. C'est dans son supplément

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 Mais catastrophe ! Le même jour, dans le corps du journal cette fois, dans la rubrique « International », voilà ce qu'on lit (page 5) :

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Avec, extraite de l'article, une citation synthétisant un point essentiel :

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Je suis perdu. Dites-moi, je vous en supplie, qui il faut croire. Est-ce  Le Monde ? Ou alors est-ce Le Monde ? Quelle main faut-il serrer ? La droite, qui se félicite de la bonne santé des banques ? La gauche, qui présente un bilan de la mauvaise santé des individus ? Eh bien ça dépend de ce qu'on regarde, les vrais gens ou l'argent. Mais on risque de se démancher la vision et de se mettre à loucher.

Belle image de ce qu'est l'Europe : entre les gens et l'argent, l'Europe a fait son choix. Les gens ? Peuvent crever ! L'argent ? Faut le sauver ! Le Monde, lui, se contente de relever, d'enregistrer et de juxtaposer les deux informations. Neutre, on vous dit ! Neutre jusqu'à la moelle des os. Plus neutre, tu meurs ! Comme un Grec ! Stoïque !

Brice Couturier, chroniqueur sur France Culture, a lui aussi fait son choix : il se félicite de la santé retrouvée des banques grecques. Il s'est rangé fièrement du côté de l'Europe. Tant pis pour les Grecs concrets. Brice Couturier n'aime pas les gens.

A la place des Portugais, je me méfierais : la "troïka" s'intéresse de près aux finances (donc aux banques) du Portugal. Faites gaffe, le peuple ! Faites gaffe les vrais gens ! Faites gaffe, les individus vivants ! Quand la structure se porte à merveille et que l'individu agonise, il y eut un temps où il y avait des Hannah Arendt pour appeler ça "totalitarisme".

Une belle preuve que l'Europe telle qu'elle se fait aujourd'hui n'a pas de plus grand ennemi que la chair et les os des peuples, quand ils se permettent de péter de travers. Et même plus simplement quand ils se permettent d'exister. Et je ne parle pas de l'Ukraine.

Un seul bulletin dans l'urne aux européennes : votez

 

PROUT !

 

Et ce n'est pas le rapport que vient de publier Transparency International qui risque de me faire changer d'avis (mes excuses pour le choix du site auquel renvoie le lien : j'ai pris le premier venu, et j'ignore tout du PRCF, même si je me doute "d'où il parle").

 

 

 

 

mardi, 18 mars 2014

POLITIQUES EN DECOMPOSITION

LA CLASSE POLITIQUE FRANÇAISE EN ETAT DE DECOMPOSITION AVANCEE

 

 

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VUE PLONGEANTE, PRISE SUR LE VIF, SUR LA CLASSE POLITIQUE FRANÇAISE

 

Je sais que je ne suis pas le seul à penser ce que j’écrivais hier sur l’invraisemblable médiocrité crasse de tout le personnel que les Français ont la veulerie d’accepter pour les gouverner. Le plus étonnant dans l’affaire, c’est que, dans la presque totalité des cas, il s’agit d’une masse de « premiers de la classe », c’est-à-dire de gens supposés très intelligents, loin au-dessus de la moyenne.

 

Paradoxe : comment ces brillants sujets passés par les plus grandes écoles peuvent-ils sans en éprouver la moindre honte se comporter aussi minablement ? Mystère. Ou plutôt non : s’ils brillent, c’est exclusivement pour leur propre compte. Quelqu’un peut-il me citer un seul de ces sinistres individus qui soit capable de penser à autre chose qu’à lui-même, à sa longue carrière, à son cumul des mandats ? De toute façon, s’il y en avait un seul, les requins de la chose auraient tôt fait de s’entendre pour l’éliminer.

 

Ceux qui font exception à la loi de « premier de la classe » (du genre de Rachida Dati ou Nicolas Sarkozy, je prends au hasard) sont dotés de canines d’une taille exceptionnelle, montées sur des mâchoires d’une puissance exceptionnelle et, à force de frapper aux grandes portes quand ils sont jeunes et de servir de paillasson ou de poupée gonflable aux puissants du moment, ces carnassiers se font peu à peu une place au milieu des autres fauves. En passant, ils collectionnent les fiches d’informations glanées à droite et à gauche, déposées dans des coffres très sûrs pour le jour où leur tour sera venu.

 

Je disais que je ne suis pas le seul à penser ça. Des gens très bien (beaucoup mieux placés que moi pour observer les choses et les gens), du haut de l’autorité qu’ils ont acquise dans des travaux intelligents et opiniâtres, font le même diagnostic, avec des arguments autrement peaufinés que les miens.

 

Prenez Yves Michaud. Il est philosophe. J’avais lu son Chirac dans le texte (2004), sous-titré « la parole et l’impuissance ». Même si son livre n'a servi à rien, il tapait très juste et très fort sur l’imposture de ce prestidigitateur qui recrutait ses affidés à coups de billets de banque et qui montra à son successeur qu’on peut faire subir à la vérité des mots les pires tortures et que plus un mensonge est énorme, plus il a de chances de passer comme une lettre à la poste. Cela n'a pas empêché les Français de lui donner en 2002, avec 82 % des voix, une victoire « démocratique » digne de tyrans aussi reconnus que Brejnev, Ben Ali, Moubarak ou Kadhafi. Cela en dit long sur l'état moral et intellectuel d'une population hypnotisée et anesthésiée par une propagande, pour le coup, aussi carrément « décomplexée » que massive.

 

Là c’est juste un article de journal qu’Yves Michaud propose aux lecteurs du Monde. Le titre me semble hautement recommandable : « Le trafic d’influence est devenu l’instrument du pouvoir contemporain ». Il figure dans un dossier intéressant (une vraie double page !), si l’on excepte le « Notre parti doit repenser son éthique », fastidieuse langue de bois récitée par les plumes de trois secrétaires nationaux de l’UMP. Normal : pour défendre la boutique, les épiciers montent au créneau, du moins si ça ne mange pas de pain et à condition qu'il n'y ait pas trop de risques.

 

Heureusement, lui faisant face, « Un délitement de l’UMP » de Florence Haegel a relativisé par avance la minable portée des stéréotypes minablement exposés par le trio grotesque. Deux autres articles tiennent compagnie à celui d’Yves Michaud : « Du scandale comme arme politique » d’Alain Garrigou, et « La pathologie du secret » d’Eric Alt (pour l’association Anticor). Mais je passe sur les comparses (intéressants tout de même, ce qui fait quatre sur cinq) pour m’intéresser au protagoniste.

 

Yves Michaud élargit le champ en même temps que la profondeur de champ de sa réflexion, en ne se limitant pas à un seul individu, ni à l’analyse d’un seul discours. Il dénonce un système. Or, quand quelque chose « fait système », c’est que ce quelque chose est le principe premier, le noyau autour duquel s’organise un univers (cf. Le Système technicien de Jacques Ellul).

 

Le premier paragraphe annonce la couleur, en faisant apparaître les noms bien connus de Sarkozy, Buisson, Copé, Tapie, Guéant, puis encore Copé et Sarkozy, puis Cahuzac, Guérini, Kucheida, DSK. Avec des points de suspension en fin de liste, pour que personne ne puisse imaginer qu’elle puisse être close. Sans doute.

 

Que dénonce Yves Michaud ? Eh bien rien de nouveau, rien que du bien connu. Un peu le « mélange des genres », mais c’est l’époque qui veut ça (vous savez, le « genre ») : quand un directeur de journal mange régulièrement à la même table qu’un capitaine d’industrie et qu’un député (ou qu’un président de la Chambre), surtout s’il s’y ajoute deux ou trois hauts fonctionnaires, cela confine au jeu du « chamboule tout » : on pratique à tout va le jeu du réseau d’influence et de la solidarité mutuelle. On abat les frontières entre les fonctions en se rendant de petits services et de grandes amabilités. Rien ne peut arriver : on est entre mafias. La connivence règne.

 

Car la clé d’inspiration de l’article me semble être la phrase : « Résultat : il est difficile de tracer une frontière entre trafic d’influence, accomplissement de promesses électorales catégorielles [mariage homosexuel ?], renvois d’ascenseurs et lobbying ». Le mot « corruption » est beaucoup trop banalisé aujourd’hui, et c’est sans doute parce que le phénomène s’est lui-même banalisé et généralisé. L’expression « trafic d’influence », quoique moins chatoyante, est en même temps plus précise, bien que signifiant strictement une tout aussi grande turpitude.

 

Le diagnostic global d’Yves Michaud est impitoyable et se résume dans cette phrase : « La démocratie est l’apparence, l’oligarchie l’effectivité ». Va pour « effectivité ». Il dénonce l’action des « intermédiaires », des « conseillers de l’ombre », des « amis qui servent de prête-noms », et même des avocats, le drôle ! Avocats dont il dit que « la profession est loin d’être aussi blanche qu’elle le prétend en brandissant ses droits à la confidentialité ». Certaines choses font du bien quand on les entend (façon de parler).

 

Quelqu’un qui se drape dans sa dignité offensée et son honneur humilié quand il est attaqué me semble désormais suspect du seul fait qu’il se drape. C’est dire la déconfiture des points de repère et de la possibilité d’accorder sa confiance. Celui qui se drape, il attend qu'on lui envoie les preuves, qui sont plus facile à évoquer qu'à trouver.

 

Ce qu’Yves Michaud pointe, c’est les soupçons mais aussi le désarroi des juges chargés de ce genre d’affaire. On les comprend : il est tellement difficile d’établir la preuve des faits que l’on comprendrait qu’ils finissent par se décourager : « subtilité des montages », « omerta », « ingéniosité procédurière des avocats » se tiennent les coudes quand les puissants ont la maladresse ou la malchance de se voir mis en cause.

 

Bon, je vais m’arrêter là. Le reste est à lire dans Le Monde daté du 14 mars. Impérativement. C’est la confirmation d’un diagnostic de grosse vérole posé par quelqu’un qui, à ce que je sache, n’est pas partie prenante dans les « affaires ». L'expression « TOUS POURRIS » n'a jamais été autant d'actualité, quoi qu'en pense la cohorte de tous ceux qui ne veulent pas « pratiquer d'amalgame » et « ne pas mettre tout le monde dans le même sac », pour « ne surtout pas faire le jeu du Front National ». Désolé, quand quelque chose « fait système » et que ce quelque chose est dans un tel état de décomposition, je dis que les carottes sont cuites et que c'est tout le système qui est à jeter à la poubelle.

 

Si tout ça n'est pas répugnant, c'est que c'est abject. Ou fétide. ou immonde. J'accepte même infâme.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 27 février 2014

CHANTONS SUR LES CHARNIERS

BIGUINE A BANGUI, BIGUINE A BANGKOK

 

Aujourd’hui on se détend un peu. C’est l’actualité des événements qui se produisent dans le monde qui m’a fait penser à Charles Trenet et à sa chanson « Biguine à Bango ! » (cliquer pour visionner). Oh, la chanson est peu connue, certes, mais elle me fait irrésistiblement penser à ce qui se passe dans les capitales de deux pays : la Thaïlande et la Centrafrique.

 

En Thaïlande, une partie de la population en a assez d’être gouvernée par des gens appartenant à une élite corrompue jusqu’au trognon, et pour le faire savoir, elle est descendue dans la rue, au risque de se faire tirer dessus par les militaires de Yingluck Shinawatra, la sœur du nommé Thaksin, réfugié à l’étranger pour ne pas être coffré comme un vulgaire malfaiteur, pour corruption éhontée. 

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Tiens, au fait, est-ce que ce n’est pas le motif qui a poussé une bonne partie de la population ukrainienne à occuper depuis trois mois la place Maïdan ? Remarquez que, pas très loin de là, j’ai lu quelque part que certains Russes reprochent (en parlant assez bas pour ne pas être entendus de l’intéressé) à Vladimir Poutine d’avoir amassé depuis qu’il est au pouvoir une fortune aux dimensions inimaginables. Il posséderait ainsi plus de quarante résidences luxueuses. Il m'arrive de me demander ce que je ferais de quarante résidences, si j'étais dictateur. Passons.

 

Remarquez que les Tunisiens n’ont pas foutu dehors Ben Ali pour une raison différente, et que la première visite qu’ils ont faite dans le palais du dictateur leur a autant coupé le souffle qu’aux Ukrainiens celle que ceux-ci ont organisée dans l’invraisemblable propriété qu’occupait Ianoukovitch jusqu’à son départ. Et j’imagine que si les Egyptiens avaient pu visiter la propriété de Moubarak, ç’aurait été pareil : du marbre et de l'or. Il paraît même que chez Ben Ali, il y avait dans certaines pièces des murs de liasses de billets (je le tiens d'une bonne source, mais allez savoir).

 

Et peut-être un jour prochain ne sera-t-il plus permis aux Africains, les potentats Obiang, Sassou-Nguesso et autres Bongo de réinvestir dans la pierre et le foncier français (l'affaire des « biens mal acquis ») les sommes colossales qu’ils ont piquées dans les caisses de leurs Etats, sans parler des subventions accordées par la « communauté internationale » au titre de « l’aide au développement » (laissez-moi pouffer) qu’ils ont détournées à leur profit et planquées en Suisse, à Singapour ou aux Îles Vierges britanniques.

 

Vous en voulez encore ? Eh bien voyons du côté d'Ankara et d'Istamboul, et des islamistes de l'AKP dirigés par l'islamiste « conservateur modéré » (!) Redjep Tayip Erdowan (en phonétique). Un bon musulman, c'est certain, qui se garde de l'esprit de lucre comme de la peste. Tout faux ! Pris les doigts dans le cambouis de l'argent sale, le bon musulman !

 

Mais peut-être – espérons-le – qu’il n’est pas obligatoire dans tous les pays du monde que ce soient les bandits, gangsters et autres mafias qui arrivent au pouvoir.

 

Cela reste une question malgré tout, par exemple après lecture du copieux dossier paru dans Le Monde récemment au sujet des fortunes faramineuses accumulées par ce que le journal appelle les « princes rouges » et leurs héritiers. Je parle de la Chine, évidemment. N’est-ce pas le fils de l’un d’eux dont on a retrouvé les restes dans les débris fumants d’une Ferrari dernier cri ?

 

Il ne faut donc pas généraliser. On ne peut imaginer – je parle au hasard – que de tels abus puissent arriver dans notre beau pays de France. Jamais de la vie, voyons. Nous avons les capitaines de pédalo les plus intègres de la planète, tout le monde le sait et personne n’oserait contester cette vérité. Et dire que j’annonçais un moment de détente en commençant. Moralité, si l’on va où l’on a décidé d’aller, ce n’est pas toujours sans sinuosités et méandres. Bon, revenons à nos roustons.

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Après la Thaïlande, si nous portons nos regards sur la Centrafrique, que voyons-nous, devant nos yeux ébaubis ? Après le pillage et le meurtre généralisés commis par les milices de la coalition nommée « Séléka », juste retour des choses, c’est maintenant aux milices nommées « anti-balaka » de se dire qu’il est temps de faire couler le sang. Ce n’est qu’une habitude à prendre, comme on peut lire dans l’impressionnante trilogie écrite par Jean Hatzfeld sur la tragédie rwandaise (commencer par l’absolument indispensable Une Saison de machettes).

 

C’est au détour d’amusements aussi simples que ceux fournis par ces informations que la loupiote d’une chanson de Charles Trénet se met à clignoter dans ma tête. Cette chanson, peu connue, je l’ai dit, s’intitule « Biguine à Bango ». Elle dit : « Connaissez-vous la Martinique ? Connais-tu là-bas le Bango ?… ». Voilà, c’est tout. Quoi, ça ne vous suffit pas ? He bien si. Remplacez « Bango » par « Bangui ».

 

Vous pouvez aussi remplacer « Bango » par « Bangkok ». Et vous comprenez pourquoi j’ai parlé de l’actualité en Thaïlande et en Centrafrique. Comment, je ne suis pas très sérieux ? Mais certainement, et non seulement je le reconnais, mais je le revendique haut et fort : il ne faut pas être sérieux sur les choses sérieuses, pas plus qu’il ne faut prendre à la légère les choses légères.

 

Que voulez-vous faire d’autre que du mauvais esprit, au spectacle des horreurs qui se commettent un peu partout dans le monde, et qui constituent le fonds de commerce de tous les médias d’information.

 

En me mettant à fredonner : « Woho ! Woho ! Biguine à Bangui ! » ou « Woho ! Woho ! Biguine à Bangkok ! », j’exorcise en quelque sorte un démon, celui qui, autrement, me laisserait tétanisé d’horreur. On me parlera de dérision, de manque de compassion, et ce ne sera pas complètement faux.

 

Mais je demande qu’on laisse ma compassion un peu tranquille de temps en temps. Ma compassion, si c’était une personne, elle serait classée parmi les grands brûlés, traitée en grand blessé, hospitalisée vite fait dans un service d’urgence, et le monde cesserait de la harceler pour lui laisser le temps de se remettre de tous ses traumatismes et de toutes ses blessures.

 

Ma compassion pour les misères du monde, elle n’en peut plus. Epuisée d’avoir été sollicitée sur tous les fronts des petites et des grandes tragédies qui ensanglantent les contrées émergées de la planète.

 

La compassion, ça suffit ! C'est juste pour ça que je fais semblant de rire ! Parce que, finalement, ça soulage.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

samedi, 11 janvier 2014

ALORS ? DIEUDONNé ?

 

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Ah quel beau journal que Le Monde ! Quels preux journalistes que ceux qui écrivent dans Le Monde ! Et quelle ingéniosité que celle des rédacteurs chargés de formuler les titres des articles du journal Le Monde ! « Dieudonné : le Conseil d'Etat encadre la liberté d'expression ». Farpaitement : « encadre » ! Quel joli mot !  

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C'est sûr que « porte atteinte à la liberté d'expression », ou « abolit », ou encore pire « assassine » ç'aurait été tendancieux. Vous pensez bien qu'un journal comme Le Monde ne pouvait pas se le permettre. Encore bravo ! Le double tour de prestidigitation est très au point : du chapeau du Conseil d'Etat, le magicien sort un lapin qui a pour fonction, dans un deuxième temps, d' « encadrer la liberté d'expression ».

Enfin, tout ça pour dire que, par principe, je réprouve toute interdiction, tant qu’il s’agit de paroles, d’images, c'est-à-dire de représentations. Je veux dire tant qu’il ne s’agit pas d’actes s’en prenant à la personne physique ou d’injures publiques. Je redoute la confusion entretenue par tous ceux qui, prenant les mots pour des choses, ne tardent pas à en faire des actes. Je redoute les gens qui croient qu'il existe une « violence verbale ». Un pamphlet ne sera jamais un poignard ou un revolver. Condamner quelqu’un pour des paroles qu’il a dites ou écrites est une infamie.

J’ai récemment consacré plusieurs billets au dessinateur Reiser, mort en 1983. Mon arrière-pensée (pas si « arrière » que ça, d’ailleurs) était de montrer le poids du couvercle qui s’est abattu depuis sur la liberté d’expression, et que certains (disons « les associations », dont trop souvent les autorités ne tardent pas à emboîter le pas) s’efforcent de visser définitivement sur la marmite où bouillonne la libre parole.

A propos de « liberté d’expression », j’ai même entendu quelqu’un manifester sa réprobation envers des gens qui défendent Dieudonné « au prétexte de la liberté d’expression ». Comme si la liberté d'expression pouvait servir de prétexte ! Décidément, heureusement que les mots ne sont pas des choses : certains leur feraient dire le contraire de ce qu'ils veulent dire, comme n'importe quel vulgaire Big Brother inventant la novlangue. 

Défendre Dieudonné est le cadet de mes soucis. Tout le monde dit qu'il est antisémite. Si c'est vrai, je dirai que c'est idiot, mais que c'est après tout son affaire. J'ai même entendu un journaliste déclarer : « ... un antisémite qui se prend pour un humoriste ». Je me dis que si tout le monde le dit, c'est que ça doit être vrai. Et alors ? Des sociologues renommés (Vincent Tiberj ...) le disent : l'antisémitisme n'est pas un problème en France.

Pour mon compte, j’en reste à l’idée que la liberté d’expression est un droit fondamental. Et ça, ça ne se coupe pas en morceaux, ça ne se négocie pas. Les lois inspirées par une morale quelle qu’elle soit devraient être ressenties comme des insultes. Aussi longtemps que la personne qui parle n’en vient pas à des injures publiques ou à des actes portant atteinte à l’intégrité physique, il est permis de TOUT dire.

Que je sache, Dieudonné n’a porté atteinte à l’intégrité physique de personne. Que ses propos aient des relents nauséabonds, c’est possible. Mais d’une part, est-il prouvé que ceux-ci aient un contenu antisémite ? J'avoue que je n'ai pas cherché à savoir, parce que le problème, selon moi, n'est pas là. Et puis en général, à quelques rares expressions près, les comiques m'ennuient. 

D’autre part, tenir des propos, fussent-ils nauséabonds, demeure un droit fondamental. Si l'envie m'en prenait, je tiendrais moi-même des propos nauséabonds. Et je n'aimerais pas qu'on m'en empêche. Il se trouve simplement que l'envie ne m'en a jamais pris. Voilà ce que tous les roquets aboyeurs qui appellent à la censure et à l’interdiction ne supportent pas.

Ils ne supportent pas qu’on leur écorche les oreilles avec des paroles qui blessent leurs convictions. Est-ce que c'est ça, la tolérance ? Au nom de leurs idéaux, il faudrait donc se taire et faire taire ? Ils ne supportent pas d’être incapables d’imposer leur point de vue à des gens qui ne pensent pas comme eux.

Leur rêve : régenter la parole. Introduire la matraque de la police pour régler la circulation des idées. Revêtir d’un uniforme mental gris armé d'un bâton blanc tous les esprits auxquels ils font subir leur propagande exaltée. Leur seul avantage aujourd'hui est d'être du côté du manche, de la force et de la loi. Franchement, le manche, la force et la loi auraient mieux à faire.

Tiens, mon ami R. me raconte qu’un professeur de lycée a porté plainte contre des élèves au motif qu’ils ont eu l’audace invraisemblable de faire le geste de la « quenelle ». Si c’est vrai (?), j’ai bien peur que ce cinglé ne soit pas seul dans sa frénésie policière.

J’imagine ce que donnerait un tel rêve, s’il était appliqué à la création littéraire. Ça a d’ailleurs déjà été fait. Ce n’est pas un hasard en effet si les plus grands écrivains et poètes russes (Maïakovski, Mandelstam, Vassili Grossman, Soljenitsyne, …) du 20ème siècle ne furent pas autorisés à publier leurs œuvres, et que le nom des autres a déjà quitté les colonnes des dictionnaires de littérature. Et je ne parle pas des autodafés allumés en Allemagne en 1933.

Comme Voltaire s’adressant à je ne sais plus qui, je dis à monsieur Dieudonné M’Bala M’Bala : 

« Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ».

 

Je ne sortirai pas de là.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

vendredi, 10 janvier 2014

ALORS ? DIEUDONNé ?

 

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C'EST VRAI, ÇA, IL N'Y A PAS QUE KALACHNIKOV DANS LA VIE, IL Y A AUSSI LE FAMAS

(Explication à la fin)

« Saint Dieudonné ou Deusdedit (6ème siècle). – A Rome où il était cordonnier de son état, il avait eu le futur pape, saint Grégoire le Grand, comme voisin. C’est par lui que nous savons que, chaque samedi, Dieudonné allait porter aux pauvres et aux malades ce qu’il avait économisé durant la semaine à leur intention. » (Omer Englebert, La Fleur des saints, Albin Michel).

Voilà, c'est fait. Monsieur Manuel Valls a obtenu satisfaction : le spectacle de Dieudonné à Nantes a été interdit in extremis et précipitamment par une justice qui donne toutes les apparences d'être à la botte. « Victoire de la République », entend-on tomber de la bouche prétentieuse du ministre franc-maçon. J'ai plutôt l'impression que le ministre a eu la peau d'un homme érigé en ennemi personnel, peut-être pour des raisons de calcul personnel qui ne m'intéressent pas.

Alors l’antisémitisme supposé de Dieudonné, maintenant ? Oui, je sais, il a fait monter Faurisson sur scène, je ne sais qui (Jean-Marie Le Pen ?) est le parrain d’un de ses enfants, et autres fatrasies que j’ignore ou que j’ai oubliées. Il existe, semble-t-il, des « indices concordants », voire, comme on dit dans les enquêtes, un « faisceau de présomptions ». Peut-être. A cela j’ai envie de répondre : « So what ? ». Oui : et alors ? Je ne suis pas policier et, même si je porte des jugements, je ne suis pas juge, puisque je n'en ai pas l'habit.

Excusez-moi si je ne suis pas comme l’ahurissant chroniqueur du Monde Gérard Courtois, qui reprend le refrain : « L’antisémitisme n’est pas une opinion, c’est un délit ». Façon superbe et commode d'effacer d'entrée le contradicteur du paysage, exactement comme les Soviétiques éliminaient des photos officielles les dignitaires tombés en disgrâce. Jolie façon de réécrire l'histoire en la niant. 

Une telle phrase illustre exactement ce qu'est un déni de réalité, car si l’antisémitisme est un délit, il n’en reste pas moins, qu’on le veuille ou non, une opinion. Autant dire, à ce moment, que le « grand excès de vitesse », tout en étant un délit, n'est pas un comportement. Ou que le viol, qui est un crime, n'est pas un acte sexuel.

Une opinion, un comportement peuvent parfaitement être délictueux, sans cesser d'être pour autant une opinion et un comportement. Une telle dénégation est purement et simplement idiote. Aucun interdit n'a jamais anéanti  son objet de facto. La preuve ? L'envie de meurtre chez le serial killer cesse-t-elle à cause de l'interdit légal censé le dissuader ?

Et le violeur sait exactement le risque qu'il prend en agressant sa proie. La loi freine le passage à l'acte et dissuade ceux qui contrôlent à peu près leurs pulsions (et qui n'ont le plus souvent pas besoin de la menace légale pour ne rien commettre d'illégal), mais ne saurait abolir le délit. Elle n'est d'ailleurs pas faite pour ça. Et on le comprend : comment faire pour empêcher les gens de penser ce qu’ils pensent ? Surtout, de quel droit certains s'arrogeraient-ils le droit de le leur interdire ?

La loi devrait être faite pour punir exclusivement des actes. Toutes celles qui ont été faites pour satisfaire la « sensibilité » de telle communauté, de telle minorité, de tel groupe, pour quelque motif que ce soit, sont des lois infâmes. En particulier, celles qui punissent de simples paroles : les motifs pénaux inventés pour rassasier les appétits de vengeance des clientèles minoritaires des partis politiques avides de bulletins de vote, comme « incitation à la haine raciale », « négationnisme » et autres joyeusetés, sont à considérer comme des infamies.

Une telle liste, appelée à s'allonger perpétuellement (« homophobie, sexisme, islamophobie, machisme, ... », pourquoi cela s'arrêterait-il ?), est un nœud coulant passé au cou de la liberté. Le lynchage en est l'aboutissement logique, mais armé du sceau de la légitimité officielle. Ce sont autant de bombes à retardement où le législateur fou a mis la haine à mijoter, en espérant qu'elle n'explosera pas de son vivant. « Après moi le déluge » semble être le raisonnement de ce grand courageux. Nous verrons ce qu'il en est aux prochaines élections.

Appelons les choses par leur nom : l’antisémitisme, selon la loi française, est un « délit d’opinion », vous savez, ce scandale dénoncé en son temps par Voltaire en personne : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire », phrase souvent citée, phrase ô combien fondatrice, mais de plus en plus mise à mal dans la pratique, dans le pays même où est née la belle idée de « tolérance ».

Imaginez un beau « débat démocratique », où l’on donnerait la parole à un seul orateur. Ah oui, ça aurait de la gueule.  Et écoutez-la, la clameur publique ! Unanime ou presque ! Je ne sais pas vous, mais moi, l’unanimité, ça me fout la trouille. Reniflez bien : l’unanimité laisse exhaler des relents d’Union Soviétique, de Politburo et de Commissaire du peuple, à l'époque bénie où les artistes étaient sommés, par Jdanov et sa clique, dans toutes leurs démarches créatrices, de se soumettre à la loi du Parti, qui ne respirait et ne chantait que l'air du « réalisme socialiste ». L'artiste qui refusait d'entrer dans le moule était forcément un ennemi du peuple.

Toutes proportions gardées, regardez, dans le Vie et destin de Vassili Grossman, le représentant du Parti qu’on a collé dans les basques des soldats qui se battent héroïquement à Stalingrad, et qui ne craint pas d’envoyer un de ces héros à la Loubianka se faire broyer par la machine KGB pour des motifs de non-conformité. On n’en est pas là, et Dieudonné n’est sûrement pas un héros. Mais la mentalité écœurante qui appelle à interdire ses spectacles n’est pas si éloignée que ça.

De même que la loi et les forces qui vont avec n’empêchent pas la drogue (voir hier) de se vendre et de s’acheter, de même la loi ne saurait empêcher un antisémite d’être antisémite. Le problème, me semble-t-il, est peut-être logé dans le fait qu’il y a des antisémites chez nous. Je regrette cette présence, mais je doute que quiconque soit en mesure (je me répète) d'interdire à qui que ce soit de penser ce qu’il pense.

Et d’abord, je demande que les bonnes âmes bien de chez nous et bien confites dans le sucre unanime du moralisme le plus conforme fassent un petit détour par les discours tenus au vu et au su de tous dans beaucoup de journaux du Proche-Orient, appelant aujourd’hui même à l’éradication de l’Etat d’Israël, voire à l'extermination des juifs. Nul ne peut nier cet antisémitisme.

Ensuite, le problème, si je regarde seulement ce qui se passe en France, je demande qu’on se demande s’il est bien normal et acceptable que certains (appelons-les « les associations ») veuillent contrôler ce qui se passe dans l’esprit des « gens », et s’érigent en gourdins mâtinés de guillotine pour assommer et décapiter toutes les têtes qui « pensent mal » au motif que « c’est pas bien » de penser ce qu’on pense. Si je ne suis pas d’accord avec Untel, de deux choses l’une : je discute ou je me barre. Je ne suis pas Commissaire du Peuple.

Ce qui me fait peur dans l’ambiance actuelle, du genre « les chiens sont lâchés », c’est ce que souligne Elias Canetti dans Masse et puissance : la meute, dernier stade avant la formation d’une « masse ». Dans les moments les plus forts de l’application du « plan Vigipirate », l’omniprésence d’uniformes de policiers et de militaires armés dans les lieux publics ne m’a jamais rassuré, bien au contraire. Rien de tel pour instaurer un vrai climat de peur.

Enfin, tant qu’ils gardent l’index posé bien droit sur le pontet de leur FAMAS, en prenant bien soin de ne pas effleurer la queue de détente. On ne sait jamais, un mauvais coup est si vite parti (le 5,56 NATO a une vitesse initiale de 1300 m/s, je ne sais pas si vous voyez ce que ça peut faire dans une gare bondée).

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

dimanche, 29 décembre 2013

IRRECUPERABLE REISER

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J’ai entendu récemment monsieur Jean-Marc Parisis parler du dessinateur Reiser, auquel il a consacré en 1995 un ouvrage biographique. Je ne l'ai pas lu, mais sur le principe, j'y vois un travail salutaire, car Reiser est quelqu’un de bien oublié, alors que tout son travail pourrait servir de leçon (en forme de volée de bois vert) à tous les caricaturistes et dessinateurs de presse d’aujourd’hui, dont j’excepte cependant Cabu, Willem et quelques autres. Ceux du Charlie Hebdo qu'on connaît aujourd'hui, en comparaison, la jouent « petits bras », quand ce n'est pas carrément « bras cassé ». 

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Quand je pense à Reiser, le pauvre dessin que Plantu inflige au lecteur en première page du Monde m’apparaît d’autant plus misérable. Mais j’imagine bien que si Plantu s’inspirait tant soit peu de Reiser, il se ferait séance tenante virer du « journal de référence ».

 

JESUS AYATOLLAH.jpg

 

Pour une raison très simple : Reiser est l’archétype même du dessinateur libre. La caractéristique principale de cette liberté, s’agissant de Reiser, c’est la férocité. Au 19ème siècle, on aurait dit que l’artiste « porte le fer dans la plaie ». Quant à Jean-Marc Parisis, je me rappelle avoir lu, il y a fort longtemps, La Mélancolie des fast foods (1987). Je me souviens d’un roman nerveux, rapide et non dénué de violence. L’intérêt manifesté par l’auteur pour Reiser n’est donc pas incohérent.

 

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Les deux « pères » de Reiser dans le métier furent Georges Bernier, alias Professeur Choron, l’inénarrable, l’indécrottable, l’insupportable et toujours imbibé Professeur Choron. Pour dire que la première maison qui abrita le dessinateur s’appelait Hara Kiri, « journal bête et méchant ». Il faut s’en féliciter : c’était en quelque sorte un habitat naturel pour lui.

 

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Dans les années 1990, Delfeil de Ton eut l’idée formidable de réunir tous les dessins que Reiser avait faits pour la presse, à commencer par Charlie Hebdo, qui n’avaient pas fait l’objet d’une publication en albums. Résultat : neuf volumes, publiés de 1994 à 2001 aux éditions Albin Michel.

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J’ai essayé ici de donner une petite idée de la liberté que prenait Reiser avec tous les « groupes », toutes les « minorités » qui font régner aujourd’hui la terreur parmi les adeptes de la liberté d’expression.

 

S’il n’était pas mort à temps pour ne pas voir le nouvel ordre moral et punitif, et la gravissime gravité d'une bienpensance tartufière, conformiste et cérémonieuse s’abattre sur le pauvre monde comme la dalle de granit se referme sur le caveau fraîchement creusé, on pourrait sans doute dire à présent : « Reiser ? Combien de condamnations ? ».

 

Qu’il s’agisse des femmes (qu'il adorait), des nègres, des pédés, des parents, des gouvernants, des écologistes, des curés, des vieux, des handicapés (= les tabous d'aujourd'hui = autant de motifs de correctionnelle) tout le monde en prenait joyeusement pour son grade. Et pour le dessin d'actualité, Reiser, il se posait un peu là.

 

C'était l'époque de Coluche, de Desproges, ... et de Reiser.

 

Heureux temps.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

samedi, 28 décembre 2013

IRRECUPERABLE 2

LE MAUVAIS SUJET NON REPENTI (suite)

J’en étais resté à l’ordre moral que s’efforcent de faire régner « les associations », à l’autorité qu’elles tentent d’acquérir, d’une part, en faisant pression sur les responsables politiques pour en obtenir des législations favorables à leurs intérêts, d’autre part, une fois la loi modifiée en leur faveur, de porter les coupables d’infractions à cette loi devant les juges correctionnels pour qu’ils soient dûment punis d’avoir osé attenter aux dits intérêts.

Le plus ancien de ces groupes de pression est peut-être la LICRA : d’après M. Wikipedia, elle est née en 1932, après deux ébauches de 1927 et 1931. C’est un assassinat commis par un juif en plein Paris sur un responsable supposé des pogroms qui affectaient alors l’Ukraine, qui a servi de motif à un certain Bernard Lecache. L’association ainsi créée s’est d’abord appelée Ligue Contre l’Antisémitisme, le mot « racisme » fut ajouté ensuite, sans doute pour élargir l’action de défense à d’autres que des juifs, pour qu’elle paraisse moins unilatérale, donc plus impartiale.

Je ne suis pas prêt à suivre des gens comme Dieudonné M’Bala M’Bala ou Alain Soral sur la piste glissante où ils font la danse du ventre en tendant le bras droit vers le bas et posant la main gauche sur l’épaule. Il paraît que ça s’appelle le « salut de la quenelle » ou, encore plus simplement, « la quenelle ». Le geste est-il antisémite ? Je n’en sais rien et, à la limite, je m’en fiche.

Toujours est-il que certains individus de confession juive l’interprètent ainsi, au point d’organiser des expéditions punitives musclées contre des individus qu’ils ont vu (ou dont on leur a dit que) faire le geste sur les réseaux sociaux. Six d’entre eux viennent d’être mis en examen à Villeurbanne. On en est là.

Mais si je trouve le geste stupide et ridicule, cela reste un simple « geste ». Je veux dire que ce n’est pas un « acte ». Il faut différencier les deux. C'est à la rigueur une provocation. L’expédition punitive menée par des gens qui se présentent comme des « justiciers » de la communauté juive, en revanche, est un acte. C’est même un délit.

Tout ça pour dire que je trouve étonnant, au point d’en être éberlué, qu’on puisse incriminer des auteurs de gestes et de paroles, aussi bêtes et méchants que soient ces gestes et ces paroles. C’est vrai que la « quenelle » n’est pas interdite par la loi, mais le « bras » ou le « doigt d’honneur » le sont-ils ? Tiens, essayez d’en faire un en public face à un haut responsable (préfet, président,…), pour voir.

Les paroles maintenant. Faites comme Edgar Morin (accompagné de Sami Naïr et Danielle Sallenave), signez une tribune dans Le Monde daté 4 juin 2002 intitulée Israël-Palestine : le cancer, où vous dénoncez l’attitude de l’Etat israélien à l’égard des Palestiniens, adoptant à leur égard les procédés mêmes utilisés à l’encontre des juifs au cours de l’histoire, singulièrement sous le règne des nazis : ghettoïsation, persécution, …

Apprêtez-vous alors à subir l’accusation infamante d’ « antisémitisme », portée par deux « associations » : France-Israël et Avocats sans frontières. Il vous faudra aller jusqu’en Cour de Cassation pour être enfin blanchi. Heureusement. C'est un petit exemple du pouvoir de nuisance des « associations ». Leur caractère nuisible est lié à ce qui a motivé leur création : l'arbitraire et le capricieux de leurs dirigeants est à la à la fois leur origine et un corollaire.

Maintenant, quant à moi, je me demande si je ne suis pas antisémite. Non que j’aie quoi que ce soit à reprocher aux juifs en tant que juifs. Pas plus que je n’ai à m’en féliciter. J'ai lu les Bagatelles pour un massacre de Louis-Ferdinand Céline, et j'ai la conviction que l'antisémitisme féroce qui dégouline à presque chaque ligne est le symptôme aigu d'une maladie mentale. Mais ne suis-je pas, comme Edgar Morin, effaré d'observer la volonté d’une partie non négligeable du peuple israélien de perpétuer la guerre qui dure depuis plus de soixante ans en Palestine ?

Ben oui quoi, c’est bien l’électeur majoritaire d’Israël qui porte très régulièrement au pouvoir des gens cramponnés à l’idée que toute cette terre leur appartient. Les plus intégristes de ces malades sont convaincus qu’il est légitime de coloniser la Cisjordanie, et de dégoûter ses habitants arabes au point de les faire déguerpir jusqu’au dernier.

Chaque implantation de colonie juive en territoire arabe est à considérer comme une déclaration de guerre. Peut-on encore rêver un gouvernement israélien modéré ? Peut-on rêver, symétriquement, un Hezbollah pacifique, un Hamas non-violent, si ce ne sont pas des oxymores ? Ecoutez les cours précis et désespérants de monsieur Henri Laurens au Collège de France, où il reconstitue méticuleusement l’histoire du Proche Orient depuis la 2ème guerre mondiale, et vous serez persuadé de l’inextricabilité de l’écheveau et de l’insolubilité du problème.

En attendant, je persiste à trouver profondément injuste l’attitude d’Israël. Si c’est ça, être antisémite, alors … ça voudrait dire que ce sont « les associations » qui ont raison. Ce serait quand même fort de café, non ?

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

samedi, 07 décembre 2013

UN CAS D'ARROGANCE SOCIALE

La police de la pensée produit nécessairement la police de la parole. Le mot d’ordre ? « Il faut punir. » Ce ne sont pas les infractions à la « bonne pensée » ou à la « bonne parole » qui manquent. Tous ceux qui veillent à faire advenir le « meilleur des mondes », tous ceux qui rêvent d’un « Big Brother », d’un « Grand Frère » pour traquer les fautifs, tous vous le diront. Qui sont-ils, ces « purs » ? Tous ceux qui croient qu’on peut, et donc qu’on doit créer « l’homme nouveau », tous ceux qui veulent éliminer le Mal de la surface de la Terre.

 

Mais qu’est-ce que c’est, le Mal ? Ah, alors là, ça dépend. Prenez la prostitution. Il paraît que c’est très mal de se prostituer. Du moins le dit-on. Personnellement je n’en sais rien. Les avis divergent, c’est le moins qu’on puisse dire. Certains se dressent sur leurs ergots (de seigle ?) au motif que la traite des humains est un scandale révoltant. Ils ont bien raison. D’autres soutiennent que c’est un métier comme les autres, et qu’on n’a pas le droit d’empêcher ceux et celles qui le pratiquent volontairement de le faire. Ils ont bien raison. 

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C'EST GRÂCE À L'ERGOT DE SEIGLE QU'ON PEUT PRODUIRE L'ACIDE D-LYSERGIQUE, ALIAS L.S.D.

J’ai dernièrement entendu Françoise Sivignon (médecin, vice-présidente de Médecins du Monde) et Catherine Deschamps (sociologue, anthropologue) déclarer qu’avant de faire voter une loi punissant les clients, les députés auraient pu (donc dû) demander aux putes, maquées ou non, ce qu’elles en pensent. Elles ont bien raison. Et c’est bien le problème : comme souvent dans un débat, tout le monde a raison. Tout dépend juste du point de vue auquel on se place.

 

Alors, victimes ou pas victimes ? C’est clair pour les filles de l’Est de l’Europe, prises par des réseaux criminels, des mafias qui appliquent au commerce de la chair les règles du capitalisme le plus débridé : « investissement minimum, rentabilité maximum », au besoin en usant de la force. Réprimer un commerce aussi répugnant est légitime. Celles-ci sont bien des victimes.

 

Mais demandez à cette étudiante timide interviewée dans Le Monde du 6 décembre ce qu’elle en pense. Pour vendre à qui en veut ses services sexuels, elle n’a demandé l’autorisation de personne. Elle qui ne suce pas, au motif qu’elle a besoin pour ça d’être amoureuse, elle veut juste améliorer l’ordinaire. Une fois par mois en général. A 300 euros l’heure de sexe. « Ça met du beurre dans les épinards », comme elle dit elle-même. Dans ce débat, elle ne porte pas de drapeau « pour » ou d’étendard « contre ». Elle fait la pute, c’est tout, plus ou moins poussée par la nécessité. Enfin, la nécessité … Peut-être après tout y trouve-t-elle autre chose ? Elle se fait appeler Laura.

 

Face à ce dilemme (réprimer le crime sans porter atteinte à la liberté individuelle), ce qui m’étonne par-dessus tout, c’est qu’il se trouve des responsables politiques pour agiter le Code Pénal au-dessus du client pour éliminer le problème du paysage. Du moins le croient-ils. J’ai du mal à penser qu’ils se disent qu’ils vont débarrasser l’humanité de toutes les pensées lubriques et de tous les délires sexuels qui y sévissent depuis des milliers d’années.

 

Je n’arrive pas à croire que des gens apparemment sains d’esprit puissent sérieusement se considérer comme des chevaliers blancs en lutte contre « le Mal ». J’aurais plutôt tendance à rapprocher leur fantasme de l’hystérie d’un George W. Bush, partant en « croisade » contre « l’Axe du Mal ». Comme le chante Bob Dylan : « With guns in their hands And God on their side ».

 

Je n’arrive pas à m’expliquer ce que le grand Philippe Muray appelait « l’envie de punir » (Freud parlait de « l’envie de pénis » des petites filles). Qu’on puisse jouir de punir, je sais que c’est possible : j’ai des lectures. Cela n’empêche pas que ça me reste inexplicable. Ici, le recours à la pénalisation du client me semble singulièrement absurde.

 

Car ce faisant, le politique avoue son impuissance : impossible de faire disparaître le marché du sexe. Et puisqu’il renonce à punir la prostituée (bien sûr, elle est une victime), sans renoncer à punir le proxénétisme, il attaque le client. Pour résumer : la vente est autorisée, mais l’achat est interdit. Pour s’amuser, on peut imaginer ce que ça donnerait, un supermarché qui mettrait l’équation en pratique. C’est ce qu’on appelle une « injonction paradoxale » (du genre « soyez libres ! » ou « Indignez-vous ! »). A la rigueur un « double bind » (en anglais) ou « double impératif contradictoire » (en français).

 

Non, le plus insupportable dans cette affaire, c’est le recours policier à l’argument moral. Quel invraisemblable curé sommeille en madame Najat Vallaud-Belkacem ? Enfin, quand je dis « curé », c’est peut-être « flic » qu’il faudrait dire. Et ce qui me fait assez peur, dans la société qui vient, c’est de voir se lever des foules de curés sans religion et de flics sans uniformes, qui prennent sous leur bonnet de régenter la vie des autres. Régenter la vie des autres ! A-t-on idée !

 

Tous ces flics et curés d’un nouveau genre s’arrogent le droit de faire régner leur ordre répressif sur la collectivité tout entière. Et qu’ils ne se drapent pas dans la « noblesse » de leurs motivations. A force de resserrer le nœud de la loi autour du cou des désirs individuels, même et surtout mauvais, ils dessinent une société calquée sur l’ordre militaire. Ce ne sera plus une population. Ce sera un régiment.

 

Et en plus, ça n'empêchera jamais le Mal, inhérent à l'humain, de sévir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 27 août 2013

LA MORT DE VIRGILE

La Mort de Virgile. Ce livre de Hermann Broch est présenté comme un roman, c’est marqué sur la couverture. Après l’avoir refermé, autant le dire tout de suite, je dis : « Roman mon œil ! ». Mon ami Yves me l’a rendu juste après l’avoir commencé (je ne sais pas s'il a lu vingt pages), en le qualifiant de « roman philosophique ». Je ne peux pas dire qu’il ait complètement tort, mais ce n’est encore pas ça. Les trois ingrédients principaux d’un roman sont, d’après ce que j’en sais, des personnages, des situations et des péripéties.

 

J’en oublie : écriture, composition, etc. Certes, il y a des personnages, dans La Mort de Virgile, et pas des moindres : Virgile bien sûr, mais aussi l’empereur Auguste en personne, et puis quelques autres : les amis proches du poète, Plotius Tucca et Lucius Varius, le médecin Charondas. Mais il y a aussi un jeune garçon, Lysanias, dont on ne sait à la fin s’il a vraiment existé ou s'il n'était qu'une rétroprojection du poète jusqu'aux temps de sa jeunesse. De même, Plotia, la femme aimée mais échappée. Et puis un esclave. Ces trois personnages à l’existence fantomatique parlent-ils en réalité dans la chambre de Virgile ? Ou lui parlent-ils dans sa tête seule ? Aucune certitude.

 

La situation est très simple et restera la même du début à la fin : Virgile était à Athènes, mais Auguste lui a demandé impérieusement de rentrer avec lui en Italie, au motif que l’écrivain est malade et qu’il lui faut se faire soigner. Le livre commence un soir avec l’arrivée du convoi majestueux des navires impériaux dans le port de Brundisium (écrit parfois Brindisium). Il se termine le lendemain matin.

 

Dans ce laps de temps on ne peut plus court, que s’est-il passé ? Quelles péripéties ? Il s’est passé que Virgile, après mûre réflexion – mais on pourrait dire aussi « en proie aux pensées les plus noires » –, a décidé de descendre sur la plage et de brûler le manuscrit de L’Enéide, son manuscrit presque achevé, mais pas tout à fait. Il le conserve précieusement dans un coffre en cuir.

 

Cette décision horrifie évidemment ses amis Plotius et Varius, puis le médecin Charondas, et pour finir, Auguste lui-même. Quoi, l’auteur brûlerait son pur chef d’œuvre ? C’est non seulement impensable, mais inacceptable. Après une longue entrevue avec l’empereur, Virgile renoncera à son funeste projet. Voilà l’intrigue. Un peu « ledge », non ? Oui, vraiment léger. Hermann Broch écrit pourtant un livre de plus de 400 pages.

 

La première question qui vient à l’esprit est : comment fait-il ? Et nous voici au cœur du problème. Car ce livre est un problème pour le lecteur que je suis. J’avais tenté une première fois d’en venir à bout, en vain, je m’étais arrêté à la première centaine de pages. Et puis j’ai lu Le Tentateur, dont j’ai un peu parlé ici, et auquel je crois qu’il faudra que je revienne. Alors je me suis dit que c’est trop bête de reculer devant la difficulté.

 

Qu’on se le dise, parmi les sommets littéraires, si celui-ci n’est pas le plus haut, c’est celui dont la paroi est la plus raide qu’il m’ait été donné de gravir. Broch ne fait aucun cadeau au lecteur, aucune concession, aucune gentillesse. Ce livre met le lecteur au défi, à l’épreuve, ce que vous voulez : il faut le mériter, il faut le conquérir. A aucun moment, il ne se laisse amadouer. Aucun encouragement en cours de route. Ce n’est pas un livre dédaigneux, c’est un livre hautain, au meilleur sens du terme. Hautain et sûr de lui, il va son chemin, sans se préoccuper du reste.

 

S’il me fallait dire, au fond du fond, ce qu’il y a dans ce bouquin, je commencerais par dire ma perplexité. C’est un livre qui me dépasse, et je n’en ai pas perçu tous les enjeux avec la netteté suffisante. Le plus simple est de dire ce qui m’en reste. Comme le Docteur, le narrateur dans Le Tentateur, mais de façon incommensurable, Virgile, quelques heures avant de mourir, se sent transpercé par deux flèches, l’une verticale, l’autre horizontale. L’espace et le temps, tous deux infinis.

 

La première lui fait prendre conscience de l’infini de l’espace au-dessus et au-dessous de lui, ainsi que des confins les plus lointains qui se présentent à sa vue, au-devant et en arrière. La seconde figure la trajectoire de sa propre vie à travers les temps, depuis la première enfance, toute rurale, à Andes, jusqu’à cette heure dernière, en passant par Mantoue, puis par tous les êtres qu’il a croisés en chemin, en particulier Plotia, mais aussi Alexis, le bel adolescent dont il n’est pas dit grand-chose, mais dont on devine les traits sensuels, et Cébès, le jeune garçon qui devient son élève en poésie.

 

Hermann Broch se débrouille pour que, à aucun moment du récit, le lecteur ne perde de vue l’immensité de l'espace qui entoure le personnage, mais aussi qu'il n’oublie jamais que chacun s’inscrit (se circonscrit), à chaque instant, dans une durée immémoriale, au-devant et en arrière. Pour l’auteur, l’homme a besoin de ces deux infinis.

 

Voilà ce que je dis, moi.