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mardi, 27 mai 2014

GROSSE COLERE EUROPEENNE

On marche sur la tête. On le savait déjà, mais les élections européennes (je parle de la France) nous font franchir une ligne rouge. C'est facile à trouver, vous ne pouvez pas vous tromper : c'est juste avant d’entrer dans la camisole de force. La douche infirmière et les électrochocs médicaux n’y feront rien. Déjà et d’une, pourquoi faire voter par régions regroupées (sept grandes régions) ? Pourquoi pas un seul scrutin national, pour mettre un peu de simplicité dans l’embrouillamini inextricable qu’est l’Europe à vingt-huit ?

 

Réponse : j’imagine que s’il y avait seulement des listes nationales en France, listes avec soixante-quatorze noms, ça foutrait la merde dans les deux « partis de gouvernement », qui ne sauraient plus que faire de leurs barons. Ce serait une telle bousculade, une telle empoignade, une telle guerre intestine, bref, un tel caca au PS et à l'UMP pour savoir qui passerait devant qui, qu’ils se sont mis d'accord pour préférer, pour réduire les risques de répandre leur précieux sang, ouvrir sept têtes de liste pour placer chacun sept barons avides d'honneurs. Même si l’on apprend plus tard que ceux-ci n’ont jamais mis les pieds à Bruxelles et à Strasbourg, comme c’est probable, au moins, ça diminue les tensions internes. Ouf !

 

Ensuite et de deux, j’ai eu toutes les peines du monde à trouver dans les journaux du lundi autre chose que les pourcentages nationaux, régionaux ou départementaux fournis par le Ministère de l’Intérieur. Pour avoir les chiffres, il faut vraiment chercher (inscrits, votants, exprimés, enfin tout, quoi). 

 

Or si tout le monde s’accorde sur l’importance de l’abstention (je m’enorgueillis de n’avoir pas voté, moi, même que c'est sûrement à cause de mon pauvre quarante millionième de voix que le FN est arrivé en tête), je m’étonne que tout le monde, dans une belle unanimité, enfourche ces canassons (« qu'a na sont pas frais », dit Boby Lapointe dans Saucisson de cheval n° 2), sans se donner le mal de refaire les calculs.

 

Car ces pourcentages sont calculés sur le nombre des suffrages exprimés. Dit autrement : comment jouer à se faire peur et à foutre la trouille aux braves gens ? Rendez-vous compte, un quart des Français prêts à lever le bras droit bien raide en l’honneur de je ne sais quel Führer ! Quinze millions de fascistes ! Au secours ! Et Copé le comique, Copé le désespéré qui y va de son analyse : selon lui, c'est l'expression d'une « immense colère » contre François Hollande ! Ah c'est sûr, il a tout compris, Copé. Ou alors il fait semblant de faire le bourrin.

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LIBÉ ADORE DONNER DANS LE DRAMATIQUE.

C'EST QUE LIBÉ CHÉRIT QUELQUES ÉPOUVANTAILS.

C’est une imposture manifeste (« Une posture magnifique ! », répliquait Ubu à Achras, c’est dans Ubu cocu ou l’Archéoptéryx). Aucun des Valls-Cambadélis-Copé-Fillon n’ayant bien sûr l’intention de se poser des questions sur les vraies causes du phénomène, ils se sont tous mis d'accord pour pousser les hauts cris. Et pour faire semblant de chier dans leur froc. 

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VOUS FAITES ERREUR, M. LEMONDE : LE PAYSAGE POLITIQUE FRANÇAIS EST DÉVASTÉ DEPUIS LONGTEMPS.

CHANGEZ DE LUNETTES.

Alors que le Front National devrait à tous faire moins peur que l’abstention. Mais il est révélateur de constater que, manifestement, toutes les bouches autorisées considèrent l’abstention comme une non-expression. Les abstentionnistes n’existent pas, ainsi en ont décidé les bouches autorisées. Et si l'on se contente de déplorer l'abstention galopante, c'est parce qu'on a une confiance aveugle dans la démocratie représentative : seuls ceux qui font l'effort de mettre leur bulletin méritent d'exister politiquement. Autrement dit la démocratie par délégation. Dans ce système, on me demande juste de renoncer à ma liberté pour la confier à quelqu'un dont j'ignore toutes les qualités, tous les défauts et quel usage il en fera, de ma liberté !

 

L'abstention, seuls quelques journalistes étourdis en parlent comme du « parti majoritaire », mais surtout sans en tirer les conclusions. Si, à la rigueur, on entend parler de perte de confiance, mais ça ne va pas plus loin. Je vais exiger que l'abstention soit décomptée parmi les suffrages exprimés, tiens. Voilà une idée qu'elle bonne !

 

Alors prenons le nombre des « inscrits », pas celui des « exprimés ». Cela donne quoi ? Au plan national, très difficile de savoir. Je suis allé voir les chiffres sur le site du ministère : au moment où j’écris, pas de résultats nationaux ! Voyons donc la grande région « Sud-Est ». Inscrits : 7.981.771. Exprimés : 3.318.163 (bulletins blancs désormais compris, environ 2 %). Ce qui fait à peu près 58 % d'abstention. 60 % avec les blancs. Mais non, ce n'est pas le moment de se poser des questions, on vous dit !

 

La conclusion logique ? Les hommes politiques n'ont pas besoin de l'esprit civique. Ils ont seulement besoin de quelques gogos qui se disent qu'il « faut aller voter ». A quel taux de gogos la machine électorale s'arrêtera-t-elle de fonctionner ? 15 % de votants ? 10 % ? Qui dit mieux ? 

 

Et puis je refais les calculs : si l’on passe des exprimés aux inscrits, Le Pen tombe de 28,18 % à 11,71 %. Ça relativise, non ? Et on comprend pourquoi Valls en reste aux exprimés : le Parti « socialiste » s’effondre de 11,87 % à 4,93 %. Ah ça, je dois dire que ça fait du bien ! Il faut le savoir, dans le grand Sud-Est, le PS attire moins de 5 % des Français en âge de voter. Il faudrait claironner le résultat de ce sondage grandeur nature. Je précise que j'ai pris les chiffres provisoires sur le site du ministère.

 

L’arnaque est donc à plusieurs étages. Passons sur l’absurde complexité qui empile, sur le site ministériel, au sujet de l'Europe, le département, la région, la « grande région » et passe sous silence la dimension nationale, pour nous intéresser à l’arnaque médiatique. Tout le monde se rend bien compte que les deux grandes structures « politiques » (?) du PS et de l’UMP sont absolument cramées à cœur et que, en dehors du Front National, la France est donc un désert politique. Rappelons quand même que le succès actuel du FN a été patiemment préparé, mitonné, élaboré dans les cuisines du PS et de l'UMP.

 

Le FN, franchement, je n’aimerais pas le voir aux manettes. Entre les jean-foutres et les dangereux, on voit bien qui prendrait l’ascendant. C’est à cela qu’on mesure l’état totalement misérable dans lequel est le personnel politique français. Toute la classe politique est paralysée, passant l’essentiel de son énergie, de son temps et de notre argent à « communiquer », à s’observer, à calculer, à élaborer des tactiques, tout en s’efforçant de neutraliser l’adversaire dès que celui-ci prend l'initiative ahurissante de lever un sourcil. Pendant ce temps, les députés allemands élus au Parlement européen travaillent.

 

Et quand le Président commence à manquer d'air ou de daphnies au fond de son bocal, il convoque les caméras et prend son chapeau de prestidigitateur pour en sortir le lapin de la suppression des départements, histoire de donner l’impression qu’il se passe quelque chose. C'est sûr, Hollande ne manque pas d'air. Etonnez-vous que le FN donne aux gens l’impression qu’il existe. Les hommes politiques français, en réalité et en profondeur, sont désespérés, pétrifiés d’impuissance. Il ne savent plus quoi inventer pour exister dans les médias.

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Tout cela est pitoyable, lamentable, affligeant, consternant, navrant, minable, désastreux, funeste, .... La Classe morte est une inoubliable pièce de théâtre de Tadeusz Kantor. Quel grand dramaturge nous écrira La Classe politique morte ? La France n'a pas de problème plus grave et urgent à résoudre. La classe politique française est morte, droite comme gauche. Et on a égaré le luth constellé (« Ma seule étoile est morte et mon luth constellé Porte le soleil noir de la mélancolie »). 

 

Et je mets dans le même sac tous les journalistes politiques qui font semblant de prendre des mots pour des actions et des ectoplasmes pour des hommes politiques. Qui alimentent en carburant la machine à ne rien faire. Qui braquent la niaiserie de leur loupe sur les buts de l'un, les intentions de l'autre (« Serez-vous candidat ... ? »), les ambitions du troisième, les hypothèses du quatrième, les « propositions » du cinquième (car il faut être positif et ne pas se contenter de récriminer, donc on se présente comme une « force de proposition »), .... etc.

 

Les journalistes sont armés de microscopes : c'est excellent pour gonfler les petitesses des clowns avides de pouvoir. Leur pouvoir de grossissement finirait presque par nous faire prendre une poussière pour une planète. Et les hommes politiques sont trop heureux de se faire ainsi gonfler le jabot.

 

Quand absolument tout est à réformer en même temps, on ne réforme rien. On se gargarise de mots. Paralysés, on est. Et puis un jour, ça pète. Je ne souhaite pas. Hollande-Valls-Copé-Sarkozy aura-t-il le courage de se faire greffer les gènes de la vraie intelligence et du vrai courage politiques ? OGM acceptés. J'aimerais bien. Mais j'en doute.

 

Je ne sais quel homme politique allemand déclarait, il y a quelques jours, parlant de l’Europe : « Es macht mich kotzen ! ». Eh bien moi aussi, tout ça me fait vomir.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

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