Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 31 mai 2013

TOUT EST NORMAL

 

ADAMS EDDIE EXECUTION.png

LE 1er FEVRIER 1968, EDDIE ADAMS (PRIX PULITZER ET WORLD PRESS POUR CETTE IMAGE) PHOTOGRAPHIE NGUYEN NGOC LOAN, CHEF DE LA POLICE DU SUD VIETNAM, TIRANT UNE BALLE DANS LA TÊTE DE NGUYEN VAN LEM, MEMBRE DU VIETCONG. IL SE REPROCHERA CETTE PHOTO EN APPRENANT PLUS TARD QUE LA "VICTIME" DU POLICIER AVAIT ASSASSINÉ LE MEILLEUR AMI DE CELUI-CI, ET MASSACRÉ SA FAMILLE.

DE QUEL CÔTÉ, LE BIEN ? DE QUEL CÔTÉ, LE MAL ?

 

***

Suite du billet d'hier.

 

Reste que je n’ai toujours pas compris ce qu’il y avait « de gauche » dans la revendication du mariage homosexuel. On me dira que je suis bouché, ou qu’il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, ou que je suis "de droite". Certes, c’est une possibilité. Mais je vais sans doute aggraver mon cas, car je ne comprends pas davantage l’argument de l’ « égalité ».

 

Je croyais bêtement que le 2ème terme de la devise nationale s’appliquait aux individus, point barre. Je croyais qu’il y avait une institution qui s’appelait « mariage », point barre. Et puis voilà-t-il pas qu’il faut maintenant des qualificatifs, des compléments du nom, des propositions subordonnées : individu « quelle que soit son orientation sexuelle » ; mariage « pour tous ». Et les phrases, du coup, prennent un aspect proliférant, puisqu’on est obligé de préciser.

 

Je ne comprends pas non plus ce qui peut, dans l’instauration du mariage homosexuel, ressembler à un quelconque « progrès ». Sauf, évidemment, à considérer que la progression de l’homosexualité dans la société (et dans le monde) est en elle-même un « progrès ». Cela commence à en faire beaucoup, des choses que je ne comprends pas. Eh bien tant pis.

 

Je n’ai pas manifesté dans les rues contre le mariage homosexuel. Pour une raison précise : je n’avais aucune envie de me retrouver en compagnie de gens adossés à des doctrines ou des croyances qui ne sont pas les miennes : Eglise catholique, mouvement Civitas, UMP ou autre parti politique, encore moins groupes « identitaires ». Les ennemis de mes ennemis ne sont pas forcément mes amis.

 

Il n’empêche que je me retrouve du même côté que tous ces gens, qui sont opposés pour des raisons variées au mariage de deux hommes ou de deux femmes. Combien de citoyens ont réagi comme moi ? Mystère. Les médias se sont précipités sur Monseigneur Vingt-Trois, sur Frigide Barjot et sur Jean-François Copé. Oui, combien sommes-nous à ne nous reconnaître ni dans les cathos, ni dans les ultras, ni dans l'UMP, et à rester heurtés, dans leur conscience, par la loi votée et par la façon dont elle l'a été ? 

 

Ce qui me turlupine dans cette affaire, c’est qu’il me semble, à tort ou à raison, apercevoir derrière cette « conquête » de nouveaux « droits », une des nombreuses forces qui, dans le monde actuel, ne supportant pas qu’il subsiste des « valeurs » - « universelles » qui plus est -, s’en prennent délibérément aux  « points de repère » et à tout ce qui sert de cadre stable aux représentations collectives. Au premier plan de ces points de repère, bien sûr, la différence des sexes.

 

Pour dire les choses plus directement et plus crûment, je pense que ce qu’il y a, derrière cette « conquête » de « droits », c'est la dernière tentative en date de briser une fois pour toutes l’idée même de « norme ». Voilà, le gros mot est lâché. Je ne sais pas ce qui s’est passé au cours du 20ème siècle, pour que, progressivement, le mot « norme » soit devenu imprononçable, un mot grossier, quasiment une injure.

 

Et cela au moment même où la France n'a jamais croulé sous un tel poids de normes. Certains parlent de 400.000 normes en vigueur sur le territoire national. Etonnant, non ? Et ça va de la taille des préservatifs à la courbure des concombres, les premiers n'étant pas, selon toute vraisemblance, prévus pour les seconds. Mais en matière de vie collective, le mot a été purement et simplement rayé du vocabulaire admis. Au nom de l'appel à la tolérance et du droit à la différence, il est devenu normal de ne plus supporter les normes. Allez comprendre.

 

Le problème du mot « norme », c’est qu’on a formé, à partir de lui, l’adjectif « normal ». Et le problème du mot « normal », c’est que c’est lui qui est devenu un gros mot. Dans les dîners en ville, quand un convive audacieux veut le prononcer, il commence par baisser la voix, comme s’il avait honte de ce qu’il allait oser, puis il dresse l’index et le majeur des deux mains, dont il plie les extrémités d’un geste rapide, et articule dans un souffle : « Les gens, entre guillemets, normaux ». Il est gêné d’avoir osé proférer une obscénité. J’attends qu’on me dise, preuves à l’appui, que ce geste ne s’est pas généralisé.

 

La loi non écrite, que tout un chacun a intériorisée au point d’en faire un réflexe, un automatisme, peut se formuler ainsi : « Article 1er : tout le monde est normal. Article 2ème : toute infraction à l’article 1er s’appelle une stigmatisation, et est en conséquence punissable ». Ainsi en a décidé Michel Foucault (avec d’autres) dans les années 1970, quand il menait les « recherches » qui l’ont conduit au Collège de France. 

 

Puisque les homosexuels ne veulent plus être « stigmatisés » comme « anormaux », c'est le diktat du « normal » qu'il va falloir jeter à bas. Ben oui, au nom de quoi, de quelles valeurs, de quelle autorité surplombante se permet-on de faire le départ entre le Bien et le Mal ? Dans la nouvelle Bible, tout ce qui se déclare normal est d'office suspect d'intolérance. Le verset principal est contenu dans la formule : « De quel droit ? ». Si possible accompagnée d'une mine courroucée. C'est peut-être l'autopsie et l'enterrement de la notion tout entière de norme qui doit être considérée comme un progrès ?

FOUCAULT LES ANORMAUX.jpg

QUAND ON ABANDONNE LE POUVOIR A L'IDEOLOGIE, VOILÀ CE QUE ÇA DONNE

Cette façon de réécrire l’histoire consiste à « déconstruire » l'existant, en se débrouillant pour le faire apparaître comme arbitraire, donc abusif. Tout le monde, et en particulier les « victimes » de « discrimination » et de « stigmatisation », est pleinement fondé à le remettre en question, et même à inverser la charge des responsabilités (de responsable à coupable, il n'y a qu'un pas à franchir). Le tout est d'arriver à faire apparaître l'ordre (établi, traditionnel, etc.) comme injuste par principe. Pour, accessoirement, faire jouer les rapports de forces sous l'action de groupes de pression bien organisés et très militants pour changer tout ça.

 

C'est ainsi qu'un énorme et long travail idéologique a été fourni dans toutes les instances où s'élabore le savoir (université française, universités américaines, ce qui n'est pas la même chose, comme le montrent ici le singulier de l'une et le pluriel des autres) pour refaçonner les représentations collectives, et cette fois au bénéfice de tous ceux qui, précédemment, étaient catalogués (« stigmatisés ») comme anormaux.

 

C'est ainsi que cette nouvelle histoire à la sauce Michel Foucault (Histoire de la folie à l'âge classique, Surveiller et punir, ..., mais vous pouvez ajouter quelques pincées de Pierre Bourdieu en fin de cuisson, avec La Reproduction, Les Héritiers, La Domination masculine, ...)   s’est désormais établie comme une vérité d’évangile, inculquée dès l’âge le plus tendre, et interdite de toute remise en question, sous peine pour le profanateur d’être catalogué « intolérant », « facho » et, comme tel, d’être désigné à l'universel opprobre (« du ruisseau », ajoute Boby Lapointe dans Le Papa du papa), et englouti dans le silence médiatique qui attend tous ceux qui portent atteinte aux nouvelles tables de la loi. Mis hors d'état de nuire, en tant qu'ennemi public n°1.

 

Il n’y a plus, qu’on se le dise, d’ « anormaux », qu’ils soient physiques, mentaux, sociaux ou sexuels. Ah si, pourtant, sur ce dernier point, ceux qui désirent copuler avec des enfants. Sans doute au motif que « les enfants, c’est sacré » (les bonnes âmes vertueuses, défenseuses des enfants, devraient aller voir dans les livres de Tony Duvert, Quand mourut Jonathan, L'Île atlantique, etc., aux éditions de Minuit). Quelqu’un a posé ici une limite infranchissable, au-delà de laquelle se situe ce que tout le monde s'accorde à désigner comme une « perversion». 

DICTIONNAIRE DES PERVERSIONS.jpg

AU BÛCHER, LES OUVRAGES NON CONFORMES !

En dehors de ce cas très précis touchant les enfants, le mot perversion a été rayé du vocabulaire. Pour le reste, TOUT EST NORMAL, on vous dit. Sous-entendu : tout est permis. C’est ainsi que la séquence de lettres LGBT est entrée dans le langage courant, comme n’importe quel mot ordinaire. Encore que quatre pauvres lettres pour résumer toutes les "particularités" humaines en matière de sexualité (on en a fait des dictionnaires pour les recenser toutes), cela ressemble à un abus injustement réducteur.

 

Ah non, pas tout à fait ordinaire cependant : le mot LGBT est devenu une NORME. Etonnant, non ? Non, ce n'est pas étonnant : c'est le progrès, qu'on vous dit. Bon Dieu, mais c'est bien sûr : c'était donc ça ! Un progrès dont le refrain est : pas touche à mon particularisme, sinon gare à toi !

 

Sale temps pour les gens normaux. Et sans guillemets.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 30 mai 2013

TOUT EST POLITIQUE, VRAIMENT ?

 

ADAMS 2  MT MAC KINLEY.jpg

ANSEL ADAMS : MONT MCKINLEY ET WONDER LAKE

***

 

Donc, nous venons d’apprendre que le mariage homosexuel est « de gauche ». C’est tout le camp « progressiste » qui a emporté la décision, et la foule de ceux qui ont manifesté dans les rues (18,3 individus selon la police, « en comptant les femmes et les petits enfants », aurait dit Rabelais) ne sont que des « conservateurs », dans le meilleur des cas, des « homophobes » dans le pire, avec, entre les deux, le marécage des « réactionnaires ».

 

Pêle-mêle et dans le même sac, on trouve l’UMP, qui a cru qu’elle pouvait « faire un coup », et l’Eglise catholique, accusée de se cramponner à des valeurs obsolètes et sommée d’enfin mettre sa doctrine à la page, au parfum de l’époque. Elle pourrait répondre comme Cromwell : « Qui épouse son époque sera vite veuf ».

 

Vladimir Poutine cumule sans doute les trois tares à la fois, pour avoir déjà déclaré que la Russie ne laisserait pas adopter des petits Russes par des couples homosexuels mariés. On attend une déclaration de la Confédération Helvétique pour savoir à quoi s’en tenir au sujet des petits Suisses. Je rigole. Je ne devrais pas.

 

Il reste cependant étonnant, dans toute cette affaire, qu’on ait vu s’installer entre partisans et adversaires du mariage des homosexuels le bon vieux clivage, quasi paléontologique, entre une France « de droite » et une France « de gauche », étant donné que les deux partis dominant le champ « politique » (laissez-moi pouffer) sont clairement DE DROITE.

 

Je sais, on va me ressortir de la naphtaline et du formol la momie de Wilhelm Reich, le pape de la sexologie politique qui mettait beaucoup de névroses à l'oeuvre dans la classe ouvrière sur le compte des conditions socio-économiques qui lui étaient faites (je simplifie). Ses livres (La Lutte sexuelle des jeunes (1932), La Fonction de l’orgasme (1927) et bien d’autres) doivent toujours se trouver quelque part. Le problème, avec Reich, c'est qu'il a mal fini, avec sa machine à détecter l'orgone.

 

Je sais, on me dira que « tout est politique », encore que ça se dise beaucoup moins que jadis. Sans doute, rien de ce que nous faisons, disons ou pensons n’échappe à une analyse selon une grille « politique ». Cela au moins me paraît indiscutable.

 

Mais il me paraît tout aussi indiscutable que tout ce qui est humain est « sexuel ». Tout ce qui est humain, « économique ». Tout ce qui est humain, « religieux ». Tout ce qui est humain, « social ». Tout ce qui est humain, « psychologique ». Tout ce qui est humain, « relation au pouvoir ». On n’en finirait pas.

 

Il suffit de choisir sa paire de lunettes et de regarder le monde à travers. Ensuite, ce n’est qu’une question de couleur des verres. Pour choisir la couleur, il suffit d’une petite opération chirurgicale, qui consiste, depuis l’invention des « sciences humaines », à mettre l’homme sur le billot et à le couper en morceaux : une tranche pour le sexologue, une tranche pour le sociologue, une tranche pour le psychologue, une tranche pour ... Autant de tranches que de « sciences humaines ». Servez-vous, le buffet est « à volonté ».

 

Donc, disions-nous, rien de ce qui est sexuel n’est apolitique. Ma foi, pourquoi pas ? Je note au passage que, en tant qu'adversaire du mariage homosexuel, se faire traiter d’ « homophobe » montre bien qu'il y a en jeu quelque chose de plus ; je crois que ça montre que l’enjeu de cette ouverture institutionnelle ne se réduit pas au mariage, mais qu’il s’agit aussi et en plus de faire la promotion de l’homosexualité en tant que telle.

 

Si l'on ajoute à la loi votée la palme d'or offerte à un film chantant l'amour entre deux femmes (La Vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche), on peut dire que le tableau est complet. Jamais on n’a vu, sur n'importe quelle question touchant la sexualité, un tel battage publicitaire, un tel effort de propagande. Mais si je parle de prosélytisme, de quoi va-t-on me traiter ? Non, il est plus prudent de chanter, avec la vox populi : « Je vous déclare mari et mari ».

 

Un autre indice de cet enjeu : la manipulation de « l’opinion publique ». Il s’est répété, tout au long de la campagne pour le vote de la loi, que les sondages étaient unanimes à trouver dans la population française une approbation du mariage homosexuel par plus de 60 % des gens, parfois plus.

 

Sans parler de la futilité des conditions dans lesquelles sont pratiqués les sondages (j'en ai longuement parlé dans le passé), je lis dans Le Progrès (27 mai pour la "question du jour", puis 28 mai pour la réponse) une statistique légèrement différente. Il est vrai que la question ne porte pas sur le mariage homo, mais sur les manifs "anti". On me dira que ce ne sont que 4064 internautes qui ont répondu à cette « question du jour », mais j’attends qu’on me dise en quoi ce genre de réponse est moins valable que n’importe quel sondage. Et ce qu'il en serait, si la question portait sur le principe lui-même de ce mariage. 

AA MANIF POUR TOUS.jpg

EN HAUT LA QUESTION, EN BAS, LE LENDEMAIN, LA REPONSE.

LÀ, C'EST PLUTÔT UNE FRANCE CONTRE L'AUTRE.

Mais tous les médias, toutes les autorités, toutes « les associations » nous ont tellement martelé qu'il y a un consensus au sein de la société, qu'on est tout surpris de constater que la quasi-unanimité a tous les caractères d'une fable. Tiens, que pensez-vous de Les Animaux malades de la peste ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 29 mai 2013

TROP FORT, GASTON LAGAFFE

On trouve de drôles de choses, certains jours, dans notre PQR. A Lyon, PQR s’appelle Le Progrès. A la page « Faits divers », on tombe sur la photo suivante.

27 MAI 2.jpg

Elle représente un échafaudage. Elle représente aussi une automobile, immatriculée en Corse. Le conducteur de celle-ci semble avoir confondu celui-là avec son garage, puisqu’il s’y est installé à pleine vitesse, sans avoir eu le temps de trouver bizarre qu’il n’ait pas eu à ouvrir la porte.

27 MAI 3.jpg

J’entends bien souvent dire que « la réalité dépasse la fiction ». Eh bien non. Au moins pour cette fois. Gaston Lagaffe est en effet capable de bien pire, comme le montrent les quelques vignettes ici présentes. Au début de l'histoire, il vient de déposer sur un pare-brise un mot pour s'excuser d'avoir éraflé la carosserie de la voiture.

27 MAI 4.jpg

Non, c’est vrai, je reconnais que la réalité peut, à l’occasion, avoir une certaine imagination. Mais pour s’aligner avec le cerveau ô combien fertile de Gaston Lagaffe, la réalité aurait dû se lever un peu plus tôt. 

27 MAI 5.jpg

En fait, sans un bon auteur, la réalité est paresseuse, et ne parvient qu’exceptionnellement à approcher la suractivité de l’esprit du créateur inspiré, si celui-ci ne lui apporte le coup de pouce nécessaire. 

27 MAI 6.jpg

Et Stendhal, avec son « miroir promené le long d’une route » (il parle du roman), peut bien la ramener : il est enfoncé, quand l'auteur s’appelle André Franquin.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : on me reprochera de me moquer, alors que c’est une tragédie, le conducteur étant mort dans l’accident (6 h 30 le matin, les deux jeunes sortaient, sans doute beaucoup trop vite, de boîte de nuit, la passagère est quasiment indemne).  Je ne me moque pas, je lis le journal, c’est tout. Quelle idée aussi, la rubrique "faits divers" ? Qu’est-ce que j’y peux, si ça fait marcher la machine à associer les idées. Cette fois, c’est tombé sur Gaston.

 

Pour me faire pardonner, je vous propose de passer une minute (1' montre en main) en face d’un nuage d’étourneaux. Ce qu’aucune fiction n’est capable d’égaler. Et quand vous verrez les aurores boréales en mouvement filmées par S., vous admettrez avec moi que si, la réalité peut vraiment avoir une imagination débordante. Et du souffle.

 

Et puisque vous insistez, voici un nuage d'étourneaux d'un autre genre (si j'ose dire).

FEMINA SEINS.jpg

UN LECTEUR INATTENTIF POURRAIT CROIRE QU'ON VA BIENTÔT PARLER DE SOINS PARTICULIERS A APPORTER AUX CHEVEUX LONGS (UNE BRUNE ET UNE BLONDE, POUR NE PAS FAIRE DE JALOUSES).

 

« Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d'une gazelle, qui paissent au milieu des lis. » (Salomon, Cantique des cantiques, I, 4, 5).

 

« Les hommes labouraient d'une main plus profond, les femmes employaient avec à propos les condiments dans la cuisine, les garçons pourchassaient les filles, et chacun priait Dieu qu'il voulût bien consommer la ruine de son prochain. » (Marcel Aymé, La Jument verte).

 

Toutes ces choses n'ont guère de rapport entre elles. J'en suis d'accord.

 

La vie est belle, et c'est tant mieux.

 

 

 

 

 

mardi, 28 mai 2013

MALCOLM LOWRY, CLAUSULE

 

LOWRY 7.jpg

CETTE CITATION FIGURE EN EPIGRAPHE DU LIVRE DE GEORGES PEREC LES CHOSES, PRIX RENAUDOT 1965

(je signale que le verbe "to gripe" veut dire "donner des coliques" ou "ronchonner")

***

Finalement, tel un chien à l'os qu'il rongeait, je reviens au chef d'oeuvre de Malcolm Lowry, Au-dessous du volcan, que j'avais délaissé (voir les billets du 19 au 23 mai), craignant de fatiguer ou de "gaver" le lecteur. Peut-être y aura-t-il des récidives. J'en étais à ce qu'il fallait (à ce qu'on pouvait) penser de ce livre hors-norme.

 

La deuxième manière d’envisager Au-dessous du volcan, ce serait d’y voir une sorte de poème monstrueux. Vrai de vrai, en maints endroits, j’ai oublié la tragédie de Geoffrey Firmin, le Consul, et je suis parti dans la barque folle de la prose lyrique de Malcolm Lowry, en faisant abstraction du contenu du récit.

 

Enfin, quand je parle de lyrisme, pour ceux qui ont une idée de la poésie grecque antique, j’hésite quand même entre l’élégie et le thrène. Malcolm Lowry n’a pas écrit quelque chose qui pourrait ressembler à un péan : aucun des trois personnages n’est en guerre, sauf peut-être contre soi-même. A commencer par le Consul.

 

Je pencherais pour le thrène, parce que ça se chante du côté du funèbre. L’élégie comporte, c’est vrai, une sorte de complaisance envers soi-même qui ne conviendrait guère au ton voulu par l’auteur. Qui est-ce qui gagne, dans l’affaire ?

 

Personnellement, j’aurais tendance à rapprocher le chef d’œuvre de Malcolm Lowry des Lamentations de Jérémie. C'est dans la Bible. Mises en musique au XVIIème siècle, elles ont donné des petits chefs d'oeuvre. Le prophète Jérémie pleure sur Jérusalem, ses malheurs et sa déchéance. Ses Lamentations étaient chantées durant les matines du "sacrum triduum" (jeudi, vendredi et samedi saints, je passe sur les détails, les "répons du mercredy", ...).

 

Il est évident qu’Au-dessous du Volcan s’arrête avant la dernière étape, mais les Leçons de ténèbres de Marc-Antoine Charpentier, de François Couperin ou de Michel Lambert n’ont pas été composées pour le jour de Pâques, ni pour la joie qui va avec, du moins chez les chrétiens, enfin j’imagine. Elles ont été composées pour accompagner les fidèles au coeur des ténèbres, parfois au grand dam des "vrais" chrétiens, qui condamnaient ces futilités esthétiques. Passons.

 

En parlant de lyrisme, je pense donc davantage à cette figure musicale. On a en effet l’impression, à maintes reprises au cours de la lecture, de voir l’écriture de Malcolm Lowry s’embarquer dans des rythmes de balancements marins, comme le frêle esquif d’un chant que des vagues pousseraient devant elles, sorte de bateau véritablement ivre, pour le coup.

 

En s’efforçant de restituer le mouvement hésitant des flux et reflux de la conscience de l’ivrogne Geoffrey Firmin, le mouvement des mots tel qu’il se produit dans les tréfonds de ce cerveau qui baigne dans l'alcool, l’auteur parvient à créer à certains moments autour de l’âme du Consul une sorte d’aura musicale, qui possède sa mélodie propre, ses harmoniques, ses rythmes, ses rappels de thèmes, ses accords incongrus.

 

C’est du moins l’effet que produit (selon moi) ce que suggère Lowry dans sa préface à l’édition française, quand il devance les remarques sur sa manière d’écrire : « Tout d’abord, son style pourra parfois accuser une fâcheuse ressemblance avec celui de l’écrivain allemand dont parle Schopenhauer, qui désirait exprimer six choses à la fois au lieu de les aligner les unes après les autres ».

 

Dans la préface, il dit aussi ceci, à propos du chapitre d’exposition : « … ce long premier chapitre qui établit tous les thèmes et contre-thèmes du livre, qui donne le ton, et frappe les accords de toute la symbolique employée ». Merci, monsieur Lowry, de venir confirmer après-coup cette impression de musique qui m’a accompagné à intervalles plus ou moins réguliers quand je tournais les pages de votre livre.

 

Malcolm Lowry, dans sa préface, ne se contente pas d’un ton subtilement ironique, il entrouvre des portes sur des espaces que je conseille de revenir visiter une fois tournée la dernière page. Par exemple, il propose de lire la descente aux enfers du Consul à la lumière (si j’ose dire) du « premier volet d’une sorte de Divine Comédie ivre ». Le premier volet, est-il besoin de le dire, c’est l’Enfer.

 

Il y évoque aussi le Mexique, qui lui sert de cadre, un pays violent et « génial », où la religion principale est celle de « la mort ». Bon, certes, il développe l’arrière-fond symbolique de son roman, mais là, ça fait plus décoratif, « la roue Ferris », d’autres gadgets. Je ne peux pas m’empêcher de penser que la quincaille, ça lui vient après coup, quand l’essentiel de l’éjaculation a eu lieu.

 

Bon, c’est vrai que pour un orgasme, surtout un orgasme masculin, neuf ans (la durée approximative de l’écriture du livre), ça semble un peu long, et que le mot « éjaculation » ne semble pas très approprié.  Pourtant, j’ai envie de maintenir l’idée, à cause de ce drôle d’effet d’un long flux de substance qui commencerait dès la première page, et qui ne cesserait qu’à la dernière. Si j’osais, je parlerais ici d’une « érotique de la langue », tant il y a de jubilation dans la succession des phrases. Ce disant, je n’ai pas la certitude de trahir l’intention de l’auteur.

 

Au-dessous du Volcan explore (c’est mon avis) une face cachée du désir humain. Un désir de vivre autant que de mourir. Le regret de n’avoir pas vécu selon le rêve élaboré dans la jeunesse (?), le désir d’expier l’échec dans une sorte de sacrifice de sa propre personne, et le poids du remords de ses actes passés, que l’âme n’a pas digéré. C’est vrai que ça fait beaucoup pour un seul Consul. Mais tout le monde n’est-il pas un peu Consul ?

 

Comme le dit Malcolm Lowry, toujours dans la préface : « Tout au long des douze chapitres, le destin de mon héros peut être considéré dans sa relation avec le destin de l’humanité ».

 

Le livre immole le « borracho » définitif qu’est Geoffrey Firmin. L’humanité actuelle ne zigzague-t-elle pas également, saisie par une ivresse qu’elle rejette obstinément hors de sa conscience, et qu'elle refuse donc, même à jeun, de reconnaître ?

 

C'est-il pas un beau slogan sur les banderoles de la prochaine manif : « Nous sommes tous des Geoffrey Firmin ! ». Ce serait peut-être une bonne façon pour notre humanité souffrante d'assumer l'état d'ébriété aiguë qui est le sien. « Dans la kabbale juive, l'abus des pouvoirs magiques est comparé à l'ivresse ou à l'abus du vin, ... » (préface). La puissance offerte aujourd'hui à l'homme par les moyens qu'il a créés ne ressemble-t-elle pas à cet "abus des pouvoirs magiques" ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 27 mai 2013

PRESSE DE GAUCHE, VOUS AVEZ DIT ?

 

PALME D'OR.jpg

AINSI, LA VIE D'ADÈLE, LE FILM D'ABDELLATIF KECHICHE, A-T-IL REÇU LA PALME D'OR. TOUT LE MONDE SENT AINSI SOUFFLER LE VENT DE L'HISTOIRE. MADAME HOMOSEXUALITÉ, VIEILLE COMME LE MONDE, SE PORTE COMME UN CHARME. ELLE A TOUTES SES DENTS, DE L'APPETIT, PIGNON SUR RUE, ET TOUT L'AVENIR DEVANT ELLE. ELLE NE SERA SATISFAITE QUE LE JOUR OÙ ELLE « SERA LE GENRE HUMAIN » (paroles de L'Internationale). PENDANT CE TEMPS, JEAN-FRANÇOIS "CHARLOT" COPÉ INVITE LES ANTI-MARIAGE GAY A S'INSCRIRE A L'UMP. IL N'A PAS DIT SI C'ETAIT POUR PARTOUZER. QUEL TALENT ! IL CROIT ENCORE QU'IL Y A DU POLITIQUE, VOIRE DU POLITICIEN, DANS LE SEXUEL ! FRIGIDE BARJOT L'A DANS LE BABA ! ELLE VA POUVOIR ALLER SE FAIRE VOIR. LA PORTE ETROITE (ANDRÉ GIDE) EST DEVENUE ARC DE TRIOMPHE, CELEBRANT L'AVENEMENT DE LA NOUVELLE CIVILISATION. ET ATTENTION : GARE A CEUX QUI RECRIMINENT !

 

***

T12.jpg

Le cas de Libération est différent de celui du Monde. Journal militant et révolutionnaire (et parfois folklorique, avec ses « petites annonces » et ses « notes de la claviste », ses suppléments "Bazooka" alias "Un Regard moderne", ...) au départ, il a peu à peu, comme Le Monde, dérivé en direction du système marchand que ses fondateurs voulaient détruire. Disons qu’il s’est laissé phagocyter. D’autres diront qu’il a déserté le champ de bataille. D’autres enfin soutiendront qu’il a fini par prendre en compte les réalités économiques. Raisonnablement. Voire !

T13.jpg

Mais ce qu’il faut noter, c’est que la décomposition progressive de l’esprit Libé a suivi à peu près une ligne parallèle à celle du Parti « Socialiste », dont la charogne nous « emboconne » (c’est du vieux lyonnais) l’atmosphère. En effet, comme le PS, Libération, en se convertissant à la société marchande, s’est reconverti dans la « gauche morale », dans la « gauche des droits », dans la gauche de l’évolution des mœurs, dans la gauche de dissolution du sens par l'amalgame de tout dans tout.

T14.jpg

Mais ce n’est pas de ça que veulent parler principalement ces deux billets, comme le montre leur balisage au moyen de titres (ou fragments de titres) extraits du journal. Pour bien montrer que celui-ci a renoncé à toute autre ambition que celle de distraire ses lecteurs, et qu'il a emboîté le pas au Canard enchaîné, qui pourrait être son arrière-grand-père, je tente de montrer qu'il pratique systématiquement le calembour, le jeu de mots, les approximations, etc.

T15.jpg

JE SIGNALE AMICALEMENT AU JOURNAL LIBERATION QUE "DRACHME" EST DU SEXE FEMININ

Mais à la différence du Canard, qui prend toujours bien soin de préserver la pertinence de ses jeux de mots, Libération en a fait un simple jeu d’enfants, un jeu de cour de récréation qui se pratique à tort et à travers, à bon et à mauvais escient, bref dans le joyeux bordel d’un n’importe quoi général. Je me souviens, à l'époque du "franc", de cette une : « Le dollar baisse comme une bête ». On dira que j'ai l'esprit mal tourné, du fait que je l'ai retenu. On aura peut-être raison.

T17.jpg

Libé a inventé le « journalisme d’enfantillage ». C'est peut-être tout ce qui reste à la gauche. Ce qui est sûr, c’est que le rapport logique entre le jeu de mots et l’article qu’il annonce est très souvent lointain, assez souvent aussi inexistant. Le sens ? C’est le cadet de nos soucis. Le mot d’ordre ? Humour, clin d’œil complice, on est entre nous, etc. Ce qu'il reste de l'esprit militant, sans doute. « La révolution a fait pschitt ! », dirait un Jacques Chirac.

T18.jpg

Dans les « calembours Libé », il y a à boire et à manger, des bons et des très mauvais, mais il y a aussi beaucoup à chier, beaucoup à se mettre l’index sur la tempe et à renoncer à dépenser 1,60€ par jour. De toute façon, qu'il s'agisse de Libération, du Monde ou du Figaro, quand on voit le nom du propriétaire (Lagardère, Bergé, etc.), on comprend que, puisque la gauche ne sert plus à rien, la presse de gauche n'a plus aucune raison d'exister. C'est peut-être pour ça que les titres de Libération, avec leurs jeux de mots, ont quelque chose à voir avec le bac à sable. Libération sert-il encore à quoi que ce soit ?

T20.jpg

Conclusion : les calembours de Libération, le journal fondé en 1973 « sous l’égide » (dixit wikipédia) de JPS (non, pas John Player Special) sont une bonne indication du sérieux avec lequel la « gauche responsable », la « gauche de gouvernement » envisage le message destiné aux masses laborieuses en vue de leur « libération ». 

T22.jpg

Voilà ce que je dis, moi.

T26.jpg

NOTE : Je n'ai pas évoqué le cas d'autres journaux "de gauche", comme L'Humanité ou d'autres feuilles plus confidentielles. Je n'ai rien contre L'Humanité, j'ai de temps en temps essayé d'y mettre le nez, mais je suis contraint d'avouer le constant échec de ces tentatives, sans que je puisse m'expliquer cette inhibition. Une infirmité, sans doute.

 

 

 

 

dimanche, 26 mai 2013

VOUS AVEZ DIT PRESSE DE GAUCHE ?

 

T1.jpg

Avertissement liminaire : comme le Petit Poucet du conte semait des cailloux blancs sur son chemin, je sème, dans mes billets d'aujourd'hui et de demain, des photos de titres prélevés dans le journal Libération. L'explication de la chose sera donnée demain.

T27.jpg

L’un des signes qui ne trompent pas sur le fait qu’il n’y a plus de gauche en France, c’est la presse. Quand je dis « plus de gauche », ça veut dire qu’il n’existe plus de force politique s’attaquant de front à la structure même de la société marchande, et non pas les tentatives plus ou moins velléitaires à aménager sur les marges des conditions un peu moins injustes pour les populations. 

T2.jpg

Disons, pour parler clair, que la gauche révolutionnaire a définitivement disparu : le capitalisme a gagné. Il ne s’agit même pas de le reconnaître : les faits sont là. Et c’est radical et définitif. Jusqu’à sa disparition, l’URSS a donné l’illusion (à ceux qui fermaient les yeux sur le sordide de la réalité alors produite, et sur l'absence totale de communisme "vrai" dans la patrie même du communisme, régie en réalité par un féroce capitalisme d'Etat) qu’il pouvait en être autrement, mais depuis la chute du mur, « tout est consommé », comme a dit un homme plus célèbre que connu (initiales JC).

T3.jpg

« Exeunt » les luttes ouvrières, quoi que puissent en dire quelques groupuscules d’extrême gauche (PC, LO, LCR, …). Ce qui a désormais pris la place des forces politiques qui voulaient autrefois mettre à bas le système capitaliste (« appropriation privée des moyens de productions », pour parler le Marx dans le texte), c’est ce que j’appellerai la « gauche de gouvernement », ou « gauche responsable ». 

T4.jpg

Ben oui, dès lors que la gauche accepte de gérer le système tel qu’il est, elle est obligée d’en accepter les règles et les structures, et de se contenter d’en modifier quelques aspects marginaux, comme l’a amplement démontré en son temps François Mitterrand en baissant brusquement pavillon en 1983 (le « tournant de la rigueur »).

T5.jpg

La presse a suivi. Le Monde, le navire amiral, le journal « de référence », à travers la neutralité, aussi affichée que professionnelle, de sa « ligne éditoriale », laisse voir en filigrane une corde faisant vibrer davantage d’harmoniques à bâbord qu’à tribord (si c’est pas bien dit, ça ! Ça vaut presque le maire de Champignac, pas vrai ?). 

T6.jpg

Certains diront que l’esquif « de référence » a progressivement dérivé, en laissant d’abord apparaître, dans ses colonnes, les cours de la bourse, puis en accordant un peu de place à la photo, puis à la publicité, et puis de plus en plus, allant parfois jusqu'à faire croire que les articles servent de support et de commentaires aux photos et aux publicités. Moralité : il faut bien vivre.

T7.jpg 

Les journaux essaient (de plus en plus désespérément), de suivre les « goûts » de leur lectorat. Pour survivre, Le Monde s’est donc laissé grignoter. Il en est même arrivé à vendre (en date du samedi 24 mai 2013) les pleines pages 4, 5, 6 et 7 à Samsung pour promouvoir son nouveau « Galaxy S4 » (« Quoi ? Y a un nouveau Galaxy ? », voix suraiguë de Coluche, évidemment). La quantité d’information, je veux dire la vraie, dans Le Monde a donc beaucoup maigri ; elle n’a pas disparu.

T10.jpg

POUR COMPRENDRE CELUI-LÀ, IL FAUT SAVOIR QUI ETAIT LE "MIME MARCEAU"

Le Monde est encore un journal. Frustrant, décevant, exaspérant par rapport à ce que ça pourrait, mais un journal. Pas comme Libération, dont sont tirés les titres ici présents.

T23.jpg

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 25 mai 2013

QU'EST-CE QU'UN SOCIALISTE ?

 

C 25 MAI 1968.jpg

45ème ANNIVERSAIRE

PHOTO PRISE AU MATIN DU 25 MAI 1968, SUR LE PONT LAFAYETTE, AU LENDEMAIN D'UNE EMEUTE OÙ LE COMMISSAIRE LACROIX () EUT LE TORT DE VOULOIR ARRÊTER UN CAMION BERLIET, SUR L'ACCELERATEUR DUQUEL UN PAVÉ AVAIT ÉTÉ POSÉ.

MONSIEUR RATTON ET MONSIEUR MÜNCH FURENT FINALEMENT INNOCENTÉS DU FORFAIT. MONSIEUR RATTON DEVINT PLUS TARD GARDIEN D'IMMEUBLE DANS LA RIANTE CITÉ DE FRANCHEVILLE, OÙ SON FILS MANIFESTA UN TOTAL RESPECT ENVERS PC, LA GRANDE SOEUR QUI AVAIT PRIS CRÂNEMENT CONTRE LUI LA DEFENSE DE SON JEUNE FRÈRE. MONSIEUR RATTON FUMAIT DIX FOIS TROP. ÇA NE LUI A PAS PORTÉ CHANCE.

(Comme quoi, on ne choisit pas forcément l'histoire dans laquelle on figure.)

 

***

 

Il n’y a donc plus de gauche en France. Y en a-t-il d’ailleurs jamais eu ? J’en doute à présent. J’en suis venu à me demander si le « progressisme » n’a pas joué, historiquement, le rôle de miroir aux alouettes. Le miroir aux alouettes, je sais ce que c’est, au premier degré : mon père m’emmenait à la chasse. Cela devait être aux alentours du printemps. 

MIROIR AUX ALOUETTES.jpg

Il commençait par planter solidement la chose dans le sol. Moi, j’étais chargé de faire tourner l’engin sur son axe, grâce à la ficelle qu’il s’agissait de tirer une fois tapis au creux d’un buisson, pour que le bois garni de petits miroirs tournât sur lui-même pour attirer les oiseaux, puis retour. Les oiseaux, attirés par les éclats de lumière, tombaient, d’abord dans l’herbe, ensuite dans l’assiette. Délectable.

 

Le progressisme, cette espérance de gauche plantée par quelques visionnaires sincères et par beaucoup de gourous cyniques dans le cœur des populations ouvrières (la « gauche » avec ses « bataillons » et ses « luttes »), cette espérance dans des lendemains qui chantent, cette croyance dans l’avènement d’un monde meilleur, comment se fait-il qu’il ait débouché sur un siècle – le 20ème – qui est celui des catastrophes de masse (des catastrophes tout sauf naturelles) ?

 

Le progressisme de gauche, aujourd’hui, où se cache-t-il ? Introuvable, parti sans laisser d’adresse.GOOGLE GLASS.jpg Ah si, Google va lancer « Glass », des lunettes électroniques avec écran incorporé au-dessus de l’œil droit, que ça prouve que l’humanité n’en a pas fini avec les révolutions. Sauf que ça n’a plus rien à voir avec la « Sociale », pour utiliser le vocabulaire périmé des Communards. Mais « Google Glass » n’est pas de gauche. Est-il de droite ? Mais est-ce pour autant totalement neutre, comme nous en rebattent les oreilles tous les thuriféraires de la moindre innovation technique (avec leur rengaine : « Tout dépend de l'usage qui en est fait », rengaine qui devrait depuis longtemps ne plus tromper personne) ?

 

Qui pense encore, aujourd’hui, que l’humanité s’achemine benoîtement vers son avenir radieux ? Ah si, pour ce qui est du confort matériel, on peut compter sur les « pays émergents » et autres « BRICS » pour faire exploser les compteurs du « bien-être » : après tout, tout le monde a le "droit" de vivre « à l’américaine ». Quelles que soient les conséquences.

 

Mais en dehors de ce bonheur désespérément concret et mesurable, dites-moi, où en est-on avec le progressisme ? En panne au milieu de l’autoroute autrefois nommée le PROGRÈS. Tout ce qu’on voit, c’est, d’un côté, l’appétit de milliards de gens pressés d’adopter le décor à l’occidentale et le mode de vie qui va avec ; de l’autre, des populations encore riches, certes, mais assiégées par les fléaux de l’appauvrissement ou de l’immigration. Où est-elle, la société future ? Où est-il, l'avenir radieux ? Aux oubliettes.

 

Qui ose même encore l’envisager, la société future ? Quel responsable politique oserait formuler et proposer d’aller vers le mieux ? C’est sûr que si l’on se réfère aux utopies du 19ème siècle, il est préférable de ne pas rêver, quand on voit les aberrations qu’elles ont produites. Mais en même temps, qu’est-ce que c’est, une société sans « désir d’avenir » (comme le clame le grotesque et menteur slogan en mie de pain de la bouffonne Ségolène Royal) ? Une société sans perspectives ?

 

C’est une société qui rêve à la rigueur à sa splendeur passée, et qui se cramponne à ses « acquis ». Et qui a peur, prise dans la sévère compétition. "Compétition", qu'on se le dise, est l'autre mot pour dire "guerre". Aujourd'hui, la mode est à la guerre aux peuples.  Regardez à l’œuvre en occident tous les détricoteurs des « privilèges », tous les déconstructeurs des structures mêmes qui étaient celles de la France, au nom de l’Europe et de sa damnée, exécrable et haïssable « concurrence libre et non faussée ». Et je ne parle pas de la Grèce.

 

Nicolas Sarkozy y est allé a fond, avec sa RGPP (éducation, police, armée, …), sa carte judiciaire, sa loi HPST (hôpitaux publics). Les rondeurs suaves et « hollandaises » de François H. ont mis du sucre et du miel pour faire passer l’amertume des pilules (j'aurais pu être plus grossier), mais n’ont rien changé à l’entreprise de démolition.

 

Et on se demande comment certains pensent encore pouvoir faire la différence entre leur droite et leur gauche, simplement parce que des gens qui se disent de gauche font des réformes qui touchent les mœurs (superstructures, l'univers des mots et des représentations), mais qui se gardent bien de porter atteinte à l’intérêt des structures (infrastructures, l'univers de la réalité, de qui possède les moyens de production) que mettent en place les déconstructeurs (destructeurs), à marche forcée, sous nos yeux.

 

Si François Hollande, comme il le prétend, veut à présent « moraliser le capitalisme », « lutter contre les paradis fiscaux » et autres babioles programmatiques, il faudrait d’abord qu’il paie des droits d’auteur à son prédécesseur (c’est Nicolas Sarkozy qui voulait « moraliser »). Il faudrait ensuite qu’il en ait la force et qu’il s’en donne les moyens. Il faudrait enfin qu’il avoue qu’il n’est aucunement dans ses intentions de modifier quoi que ce soit aux structures du « monde comme il va ». François Hollande est un approuveur du monde comme il va.

 

Ceux qui pensent qu’il est possible de réaliser ce programme devraient jeter un œil sur les terrifiants travaux du magistrat Jean de Maillard. Je leur recommande en particulier Les Beaux jours du crime. Vers une société criminelle, Un Monde sans loi et L’Arnaque : la finance au-dessus des lois et des règles. Mais je les préviens que ça risque de leur doucher l’enthousiasme.

 

Dire qu’il reste des gens qui prétendent « penser notre monde », et qui baignent envers et contre tout dans le jus sirupeux d’un optimisme inentamable ! Ecoutez Gilles Lipovetsky développer les idées qu’il expose dans sa dernière soupe intellectuelle : L’Esthétisation du monde : vivre à l’ère du capitalisme artiste. On croit rêver. Ou alors on n’est pas sur la même planète : « le capitalisme artiste », a-t-on idée !!!

 

Ecoutez Michel Serres s’émerveiller, dans Petite Poucette, des derniers « progrès » technologiques qui permettent aux jeunes de développer des virtuosités manuelles impossibles aux aînés. Il s’extasie quand il voit le pouce de cette jeune fille faire des phrases (?) à toute vitesse sur le clavier de son portable ! 

CRETIN DES ALPES.jpg

JE NE GARANTIS PAS QUE CE SOIT LE PORTRAIT DE GILLES LIPOVETSKY, NI DE MICHEL SERRES

Chez les santons, on appelle ça le « ravi ». Dans les campagnes, autrefois, on appelait ça « l’idiot du village ». A moins que ce ne soit lui, le dernier exemplaire recensé de « Crétin des Alpes ». Mais je suis injuste : peut-être a-t-on à faire à une variante moderne de ce qu'on appelait dans les anciens temps un « imbécile heureux». On ne pense pas assez à l' « imbécile heureux ».

CRETIN DES ALPES.jpg

UNE VARIANTE TOURNESOLESQUE DU CRÉTIN DES ALPES

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 24 mai 2013

QU'EST-CE QU'UN SOCIALISTE ?

 

POULE BATTERIE.jpg

COUP D'OEIL SUR LE PARADIS D'UNE VRAIE SOCIÉTÉ SANS CLASSE

 

***

La justice vient donc de condamner Madame Sylvie Andrieux à trois ans de prison, dont deux avec sursis. Si elle a le culot de faire appel (nous sommes, paraît-il, dans un Etat de droit, donc …), elle n’ira pas en taule, au moins pour le moment. 

ANDRIEUX SYLVIE.jpg

LE PROGRES DU 23 MAI

(notez que "3 ans dont 2 avec sursis" et "1 an ferme", ça ne sonne pas du tout pareil)

Elle appartient à une formation qui fut il y a bien longtemps pressentie pour « porter » les aspirations d’une foule de croyants de gauche espérant l'avènement d'un monde meilleur (s'il vous plaît, on veut quelques miettes du gâteau), qui ont persisté dans leur aveuglement en élisant François Hollande, et qui ont attendu stupidement, après l’avoir élu, que des instituts de sondage leur tendent le micro pour dire tout le mal qu’ils pensent désormais de celui-ci et qu’on ne les y reprendra plus. Trop tard ! Ils n'avaient qu'à pas !

 

La formation à laquelle appartient Sylvie Andrieux ? Mais c’est le Parti « Socialiste », voyons ! Cela vous dit quelque chose, PARTI SOCIALISTE ? Celui-là même de Jérôme Cahuzac (le Chevalier blanc,  la Terreur des fraudeurs). Celui de Jean-Noël Guérini, de Dominique Strauss-Kahn, de Jean-Pierre Kucheida (condamné à 30.000 euros d'amende pour abus de biens sociaux), de Julien Dray, collectionneur de montres, de Jean-Michel Boucheron, ancien maire d’Angoulême, de Joseph Delcroix (affaire Urba Gracco), de … etc.

 

Voilà l’état de cette « gauche », passée maîtresse dans la pratique de la distorsion qui oppose les mots et les choses, les mots ayant fini par « s’incliner devant le principe de réalité ». Pour dire la même chose, en clair et en bon français, elle a fait comme le Général Dumouriez le 5 avril 1793 quand il passa à l’ennemi avec armes et bagages. On peut résumer le Parti « Socialiste » au comportement de Dumouriez sous la Révolution.

 

Traduit en réalité politique d’aujourd’hui, ça veut juste dire que le Parti « Socialiste » s’est converti comme un seul homme à l’économie de marché. Il appelle cette opération « changer de logiciel », pour faire moderne et branché. Pour appeler un chat un chat, disons qu’il a trahi, et puis c’est tout. Ben oui, j’ai voté François Mitterrand en 1981, je ne me le suis jamais pardonné, et mes doigts portent encore les plaies que je m'y suis infligées pour les avoir longtemps mordus.

 

Quand certains osent aujourd’hui sans rire soutenir qu’il y a en France une « gauche » et une « droite », de deux choses l’une, ils sont soit des cons, soit des salauds. Aveugles ou menteurs, choisissez.

 

UMP et PS ne sont plus des partis politiques, ce sont des entreprises qui se disputent un marché, et qui règnent tour à tour sur un peu plus ou un peu moins de la moitié de la population, que celle-ci ait voté ou non. La différence entre ces deux entreprises, c'est la place des virgules dans le programme. Et les noms des patrons.

 

Il n’y a donc plus de gauche en France, malgré les rodomontades et l’esbroufe d’un Jean-Luc Mélenchon. La scène « politique » en France est dominée par deux « partis » de droite, l’un pas trop loin du Front National, l’autre plus près d’un « centre-droit » genre « chrétien-social ».

 

La preuve que le Parti « Socialiste » est désormais carrément de droite, c’est que l’UMP s’est « extrême-droitisé », comme le montre la « Droite forte » de messieurs Buisson, Peltier et consort, qui attaque NKM parce qu’elle s’est juste abstenue dans le vote de la loi instaurant le mariage homosexuel. Plus le PS ressemble à l'UMP, plus l'UMP, pour se différencier, est obligée de ressembler au Front National. C'est donc la faute des socialistes.

 

A moins que ce ne soit la faute de la population française en personne. Car s’il n’y a plus de « gauche » en France, c’est peut-être, tout simplement parce que la population elle-même a progressivement glissé à droite, après tout : qui ne rêve d’être propriétaire de son logement ? Or on ne saurait être communiste et propriétaire de son logement, contrairement à ce que me soutenaient « les yeux dans les yeux » (c'est à la mode) DB et JLM, qui avaient le culot indécent de se déclarer communistes.

 

Habitant un bel immeuble du quartier le plus bourgeois et le plus chic de Lyon (tout près du Boulevard des Belges et du Parc de la Tête d'Or), « Je suis en lutte », m'avait-elle dit un jour avec une sorte de jubilation, et dans son tailleur très classieux et très cher qu'elle arborait, avec son accent des Pyrénées, ne comprenant pas pourquoi je lui avais éclaté de rire au nez. Voilà : des bourgeois, ni plus ni moins. Il y a des chances que ce soit le rêve d’une majorité de la population française qui n’a pas encore accédé. Qu’est-ce qu’elle veut la population ?

 

Rien que du normal : un peu de confort, un peu de sécurité, un peu de moyens financiers, pouvoir consommer – oh, rien d’excessif. Pouvoir changer la voiture, la télé, le smartphone (il faut rester à la page). Refaire la cuisine. Rien d’excessif, une vie de petits bourgeois.

 

Comment une telle population voterait-elle encore à gauche ? Certains osent encore se proclamer communistes ? M'enfin, ce n'est pas sérieux ! C'est pour ça que les partis « de gouvernement » sont obligés de suivre le mouvement sur les courbes des sondages et de « changer de logiciel ». Ben oui, c'est humain : il faut penser aux élections. C'est ça, la démocratie ?

 

Pour l’essentiel, la société a viré à droite. Ceux qui persistent contre toute vraisemblance à se proclamer « de gauche » se sont lâchement rabattus sur des « causes » non plus politiques ou sociales, mais sociétales : la défense des sans-papiers, des sans-logement, des immigrés, l’enthousiasme pour le mariage homosexuel (j'attends qu'on m'explique pour de bon ce qu'il y a de gauche dans cette revendication), contre le machisme, l'islamophobie, l'homophobie, pour la création de RESF pour empêcher l’expulsion des enfants d’immigrants illégaux. Tout ça que les journalistes appellent « les associations ».

 

Des « causes » non plus réelles, mais réduites à leurs discours obsessionnels. Des « causes » qui ne font plus courir aucun risque à personne, à commencer par ceux qui les défendent. Des « causes » qui causent, pérorent, dégoisent et jaspinent, faites pour intimider et impressionner l'adversaire. Mais des « causes » inoffensives, qui ne sauraient porter à conséquence dans la réalité des choses. L'univers omniprésent du bla-bla démocratique, républicain. Définitivement insignifiant.

 

En gros, cette « gauche » tient le raisonnement suivant : « Puisque nous avons renoncé à changer les choses et le monde, changeons le sens des mots, et appelons « de gauche » tout ce qui se rapporte aux « Droits de l’homme », à l’ « égalité des droits », et tout un tas de paroles purement verbales qui ne font de mal à personne, tout en anesthésiant les consciences ». Bande d'hypocrites ! Au point que quand un Chinois (ci-dessous) ou une autre « belle âme » accuse la France, c’est toujours au nom des « droits » en général et des « Droits de l’homme » en particulier.  Tout cela ressemble évidemment à de la gauche comme le Canada Dry à de l’alcool.

DROITS.jpg

Ce que je ne comprends pas, c’est la raison pour laquelle le Parti « Socialiste » persiste à vouloir par-dessus tout être catalogué « à gauche ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 23 mai 2013

AU-DESSOUS DU VOLCAN 5

KOSINSKI 1 JERZY.jpgJerzy Kosinski, faisant parler un de ses personnages de L’Oiseau bariolé, ce livre-choc sur les restes et retours de barbarie chez les hommes en période de guerre, lui fait dire qu’il ne voit, entre les individus, que des relations comparables à celles qu’entretiennent entre eux deux sommets élevés : ilsKOSINSKI OISEAU BARIOLE.jpg sont séparés par des abîmes, et ne sauraient par conséquent se rencontrer, encore moins "faire société".

 

Cette confidence d’un sniper sans états d’âme au jeune héros de l’histoire n’est pas étrangère au livre de Lowry. Un exemple : « Le Consul se souvint de la carte qu’il avait dans sa poche et il fit un geste vers Yvonne, avec le désir de lui en parler, de lui dire un mot gentil à ce sujet, de se tourner vers elle, de l’embrasser. Puis, il se rendit compte que, s’il ne buvait pas un autre verre, sa honte du matin l’empêcherait de la regarder dans les yeux ».

 

Le facteur vient de lui donner cette carte voyageuse partie un an plus tôt au moment de la séparation. Yvonne lui écrivait : « Chéri, pourquoi suis-je partie ? Pourquoi m’as-tu laissée partir ? Pense arriver aux U. S. demain, en Californie dans deux jours. Espère trouver là un mot de toi. Je t’aime. Y. ». Qui sait ce qui serait advenu s’il l’avait reçue à l’époque, et si elle n’avait pas fait ce parcours invraisemblable autour du monde ?

 

Il est permis de tout imaginer, mais voilà. Notons que c’est sur la mention et la citation de cette carte que s’achève le chapitre 6 du roman. Je veux dire qu’arrivant à l’exacte moitié de l’ouvrage, elle sert forcément de clef de voûte à l’ensemble. A partir de là, c’est la pente descendante qui prend la direction des affaires, la maison de Jacques Laruelle, le trajet en car, l’arène de Tomalin, la cantina Farolito. On savait de toute façon que ça devait mal finir. Geoffrey Firmin le savait aussi, c'est pour ça qu'il a le geste incompréhensible, au chapitre 7, de glisser la carte postale sous l'oreiller de Jacques Laruelle.

 

Mais qu’il y ait des fascistes en Espagne ou au Mexique, au fond, peu importe. Ce qui tue Geoffrey Firmin, ce n’est pas le fasciste qui sort son revolver, croyant avoir à faire à un « escopion » communiste, peut-être témoin de son meurtre supposé de l’Indien qui montait le cheval marqué du numéro 7 (tiens tiens, encore lui), tout ça parce qu’il le confond avec son frère Hugh, aux activités incertaines. Celui qui tue le Consul, j'ai envie de dire que c'est le Consul en personne.

 

Politiquement, le Consul n’est plus rien. Il n’est même pas sûr que Hugh ait encore une existence politique. Yvonne n’est plus une actrice prometteuse, et depuis longtemps. Hugh n’est plus un marin guitariste activiste, vaguement « homme d’action ». Qu’est-ce qu’ils sont, tous les trois ? Geoffrey Firmin, ça fait longtemps qu’il n’est plus un honorable sujet de Sa Majesté, « Consul » plus ou moins « démissionné », on ne sait pas trop.

 

Ce qui est très curieux, dans ce tableau d’humains à la dérive, c’est l’omniprésence de la nature comme décor, comme fond de scène, et même comme personnage. La nature dans tous ses êtres : minéral, végétal, animal (l’oiseau, au chapitre 3, est-il un « cardinal », comme dit Yvonne, ou un « trogon à queue cuivrée », comme pense le Consul ?).

 

Le chemin suivi par Hugh et Yvonne dans leur promenade à cheval est minutieusement décrit, avec le dessin bizarre de la voie ferrée étroite, qui fut financée, paraît-il, « au kilomètre », d’où les improbables méandres, pour augmenter le kilométrage, donc les profits. Le Popocatepetl, avec sa jumelle Ixtaccihuatl, apparaît à tous les coins de page. Mais le cœur de toutes les références à la nature, il me semble bien que c’est leur âpreté inentamable, et surtout indifférente. Le paysage, tel que les mots le traduisent, semble imprégné de violence.

 

« Et par-dessus tout ça, on vous donne en étrenne » un Consul qui, selon toute vraisemblance, a pris la décision d’assumer tout ce qu’il est, tout ce qu’il a, tout ce qu’il n’a pas. Tout ce qu’il n'a pas fait et qu'il aurait dû faire.

 

Trop tard, on vous dit. Bon, je n'en finirais pas de parcourir ce livre incroyable, et je n'ai fait que l'effleurer à peine. Mais il va bien falloir passer à autre chose. 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

mercredi, 22 mai 2013

AU-DESSOUS DU VOLCAN 4

 

LOWRY 3.jpg

ALBERT FINNEY JOUE GEOFFREY FIRMIN DANS LE FILM DE JOHN HUSTON (1984)

 

Bon, alors ce n’est pas tout ça, mais qu’est-ce qu’il y a donc tant, dans ce livre qui ne raconte quasiment rien ? Qui se contente de décrire les derniers titubements imbibés de whisky, de tequila ou de mescal d’une épave humaine arrivée au dernier stade du dégoût de soi-même ? Je proposerai deux manières de voir les choses.

 

La première serait de suivre le flux des pensées des personnages. Il y a beaucoup de dialogues dans ce livre, mais avec pas mal de faux dialogues. On trouve souvent des expressions comme « eut-il l’impression d’avoir dit », pour signifier que la « communication » ne s’est pas établie, que les phrases gardent le silence, peut-être pour signifier toute la distance humaine qu’elle aurait à franchir pour s’établir entre les personnages.

 

J’ai dit hier qu’Au-dessous du volcan est un roman où le défilement des minutes s’affiche en grand sur l’écran de fond de scène, avec un tic-tac des personnages à chaque seconde, comme une sorte de compte à rebours. Dans le fond, le roman commence comme on enclenche la minuterie d’un détonateur, et se déroule comme si quelqu’un s’interposait pour retarder l’explosion finale, en vain. Il n'est pas indifférent de noter que l'action se passe le 1er novembre 1938, jour des Morts, mais aussi jour de fête au Mexique.

 

Il n’y a pas que le temps, il y a aussi l’espace, ou plutôt la distance. La distance comme une frontière entre les êtres, que nul ne saurait franchir, sauf illusion passagère. Ce qui frappe ici, c’est que les gens se connaissent entre eux, ils sont habitués les uns aux autres, ils savent de quoi ils peuvent parler les uns avec les autres, sans intermédiaire, et même brutalement à l’occasion (franchise du Consul envers Laruelle, mais c’est vrai qu’il ne se paie plus de mots, parce qu’il n’a plus de temps à perdre, alors que Laruelle biaise encore, il fait des mondanités, il a des usages).

 

Le Résidu amer de l’expérience. C’est un recueil d’entretiens de Daniloau-dessous du volcan,littérature,malcolm lowry,john huston,cinéma,alcoolisme,le consul,geoffrey firmin Kiš. Ne parlons pas du contenu, qui n’a guère de rapports : le titre seul est saisissant de pertinence, s’agissant d’Au-dessous du volcan. Parce que finalement, que ce soit bien sûr le Consul lui-même, dont la chute – comme on disait « la chute d’Adam et Eve » – est la colonne vertébrale du livre, mais aussi Hugh (sa rumination au chapitre 6) ou Yvonne (chapitre 9), tous trois remâchent quelque chose qu’ils ont du mal à avaler.

 

Geoffrey Firmin fut peut-être le plus grand et le plus fort des trois, et pas seulement à cause de sa haute et imposante stature. Pour les deux autres, si c’est moins visible, c’est qu’ils ne sont dans le fond pas sortis d’une piètre médiocrité. Yvonne fit des débuts dans le cinéma, comme cavalière, mais « Yvonne Constable n’avait même pas été sur le point de devenir une étoile ».

 

Quant à Hugh, ses débuts à lui furent dans la chanson, il avait un certain succès avec sa guitare, débuts avortés après que son éditeur juif l’eut arnaqué. Après ? Marin, oui, mais comme par intermittence, bien qu’il ait un brevet de matelot. Certes, il a fait une apparition en Espagne, pour combattre la rébellion franquiste, méritant ainsi aux yeux de Geoffrey l’appellation d’ « homme d’action ». Mais il se contente de peu, comme le montre sa décision absurde de chevaucher un taureau minable dans l’arène de Tomalin. Car dans le fond, c’est un velléitaire.

 

Hugh et Yvonne se sont bercés de rêves et d'illusions. Seul le « drunkard » ne s'en fait plus aucune, d'illusion. Geoffrey Firmin, c'est le personnage de la certitude de l'irrémédiable. Du tragique, si vous voulez. Bon, c'est vrai qu'Yvonne semble souvent sur le point de pleurer : peut-être sa façon d'être proche de Geoffrey, mais en même temps le moyen de maintenir le tragique à distance de son âme. Dans le tragique, on ne pleure pas.

 

Bref, aucun des trois n’a de quoi se vanter, et tous ont des raisons d’être gagnés par l’amertume : ils ont échoué, comme le fait comprendre le film que le grand John Huston a eu le cran de tirer du chef d'oeuvre de Malcolm Lowry.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 21 mai 2013

AU-DESSOUS DU VOLCAN 3

 

LOWRY 5.jpg

MALCOLM LOWRY EN PERSONNE. - AVEC DE QUOI TENIR COMBIEN DE TEMPS ?

Au-dessous du volcan raconte quelque chose d’extrêmement simple, on peut même dire pauvre, si l'on s'en tient à ce que le lecteur moderne attend du best-seller (je veux dire l'action, le suspense) dont il vient de glisser subrepticement dans son sac un exemplaire pris sur la pile à la FNAC, en espérant qu'aucun dispositif discret glissé dans le volume ne déclenchera l'alarme quand il passera le portique sous l'oeil vigilant d'un grand noir portant le blazer sombre siglé "Sécuritas" et armé d'un téléphone.

 

L'action tiendrait sur un timbre-poste, mais il faut bien les 400 pages bien denses pour faire tenir tout ce que Lowry nous balance tout au long des douze chapitres. C'est bourré à craquer (sans jeu de mots sur "bourré").  L'action s'étend sur douze heures. Au-dessous du volcan est d'abord un livre qui compte le temps qui reste. Autant Ulysse propose des indices presque invisibles pour suivre l'écoulement des minutes, autant Lowry souligne le tic-tac inexorable de l'horloge au moyen de balises voyantes. 

 

Après une absence d’un an, Yvonne revient à Quauhnahuac, chez le Consul qu’elle avait quitté, et dont le frère Hugh est de passage au même moment. Tous décident d’aller à Tomalin assister à un spectacle taurin. Au retour, Geoffrey les laisse pour aller boire au Farolito. C’est là qu’il se fait trucider. Point à la ligne.

 

Pardon, entre-temps Yvonne et Hugh ont fait une promenade à cheval et un tour à la foire de la ville. Entre-temps, Geoffrey a eu une petite conversation avec son sévère voisin Quincey, il a dormi, s’est réveillé. Entre-temps, Hugh a même pu le raser (les mains du Consul tremblent trop pour le faire elles-mêmes), pendant qu’Yvonne était à la salle de bains. Entre-temps, ils sont aussi allés tous les trois boire un « apéro » chez Jacques Laruelle, avant de partir pour Tomalin.

 

Ajoutons l'épisode crapoteux de l'Indien qui agonise sur la route de Tomalin, avec une grave plaie à la tempe. C'est lui qui montait le matin même ce cheval marqué du chiffre 7. Sans surveillance, celui-ci maintenant croque dans la végétation d'un buisson, mais les sacoches pleines de tout à l'heure ont disparu. L'épisode se termine lorsque trois policiers louches repoussent Hugh dans l'intérieur du car, où Geoffrey remarque qu'un passager manie sans se cacher les pesos couverts de sang qu'il vient de prendre à l'Indien.

 

Enfin vous voyez qu’il s’en passe, des choses, dans ce roman : les péripéties, rebondissements et coups de théâtre se succèdent à un rythme effréné, haletant, tenant le lecteur constamment en haleine … Ah non, faites excuse, je confonds avec le dernier SAS de Gérard de Villiers. Non, je voulais en fait citer un passage d’un livre totalement étranger (quoique ...) à notre Volcan. Le voici.

 

« L’homme a toujours le désir de quelque monstrueux objet. Et sa vie n’a de valeur que s’il la soumet entièrement à cette poursuite. Souvent, il n’a besoin ni d’apparat ni d’appareil ; il semble sagement être enfermé dans le travail de son jardin, mais depuis longtemps il a intérieurement appareillé pour la dangereuse croisière de ses rêves. Nul ne sait qu’il est parti ; il semble d’ailleurs être là ; mais il est loin, il hante des mers interdites. »

 

Je considère que ces quelques lignes magistrales dessinent un portrait exact de Geoffrey Firmin, alias le Consul. Jean Giono a écrit ça dans Pour Saluer Melville, après avoir traduit Moby Dick. Il parle évidemment du capitaine Achab, obnubilé par la poursuite de son cachalot. Avouez qu’il y a de ces rencontres …

 

Jean Giono qui, avec le capitaine Langlois, a lui-même donné vie à un drôle de lascar (Les Récits de la demi-brigade, et surtout Un Roi sans divertissement), qui finit par aller fumer dans la nuit une cartouche de dynamite après avoir allumé la mèche (« Et il y eut, au fond du jardin, l'énorme éclaboussement d'or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C'était la tête de Langlois qui prenait enfin les dimensions de l'univers »). Toujours est-il que ces phrases tombent pile sur le grandiose et dérisoire personnage de Lowry : le Consul.

 

Bon, c’est vrai qu’avec Geoffrey Firmin, le voyage intérieur effectué sur les vagues brumeuses de l’alcool doit être repérable de l’extérieur, mais à part ce détail, tout concorde. D’autant plus que Geoff a réellement navigué, dans le passé.

 

Je n’ai aucune envie de parler d’Au-dessous du volcan selon une méthode construite et logique, bien qu’il soit lui-même charpenté comme la cage thoracique (si l’on peut dire) du cachalot surnaturel amoureusement et génialement détaillé dans ses moindres recoins (20 chapitres) par Herman Melville dans Moby Dick.

 

J’ai juste envie d’émettre, en direction de la surface du marigot au fond duquel je me tiens, quelques bulles imprévisibles d’un méthane spécialement distillé au cours de ma lecture, qui remontent des profondeurs dans le désordre de leur gré.

 

Un peu, finalement, à la manière des pensées de Geoffrey Firmin, le Consul, et, à l'occasion, d'Yvonne et d'Hugh, quand elles amènent à la surface du texte l'écheveau des méandres de leur passé personnel et de leur passé commun, comme des témoins plus ou moins titubants venus bredouiller leur vérité à la barre. Des témoins éprouvants, mais encore agissants. Le présent des personnages n'a rien oublié de leur passé. C'est tout ça qui remplit ce roman inclassable, et jusqu'à la gueule.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

lundi, 20 mai 2013

AU-DESSOUS DU VOLCAN 2

 

LOWRY 2.jpg

L'ONIRIQUE PHOTO DE MALCOLM LOWRY FIGURANT EN QUATRIEME DE COUVERTURE

Au-dessous du volcan, c’est douze chapitres. Autant que d’heures qu’il reste à vivre au Consul. Lui, il s’appelle Geoffrey Firmin. Il ne sait pas qu’il va mourir ce soir, mais c’est comme s’il attendait cette mort inexorable. Les douze chapitres, tout à la fois, racontent le présent d’une vie noyée dans l’alcool et dressent le bilan d’une vie sur laquelle pèse un vieux crime de guerre qui ne pardonne pas à son auteur d’avoir été enfoui sous tant de tapis au fond de sa conscience.

 

Je dis « une vie », mais je devrais dire trois. Parce que Geoffrey Firmin n’est pas seul dans son enfer. Il y a Yvonne, son épouse. Sont-ils encore mariés ? Divorcés ? Le doute plane. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont vécu – ensemble – des années d’un bonheur intense, depuis Grenade, où ils se sont rencontrés, jusqu’à cet improbable Quauhnahuac (pour Cuernavaca), dominé par le Popocatepetl (accessoirement par sa jumelle Ixtaccihuatl).

 

Yvonne, il y a un an, est partie. Elle a quitté le Consul, sans doute parce qu’il cultivait avec trop d’amour un état d’ébriété soutenu jusqu’au-delà de la soif. Elle lui a tout de suite envoyé une carte postale qui, après avoir été revêtue les tampons postaux les plus variés du monde (Mexico, Paris, Gibraltar, Algésiras, dans l'Espagne fasciste), va lui parvenir dans la journée, et qui aurait pu, arrivée un an avant, changer le destin du couple. Mais voilà, c’est trop tard. C’est pour ça qu’il la glisse sous l’oreiller du metteur en scène, Jacques Laruelle.

 

Mais avant Laruelle, il y a Hugh Firmin, le frangin du Consul. A-t-il été l’amant de l’épouse ? Ce n’est pas impossible. Lui, il ne cesse de penser à la bataille de l’Ebre, aux camarades restés en Espagne avec les Brigades internationales, même si on sait que c’est fini, que Franco a quasiment gagné la partie. C’est un joueur de guitare plus qu’un guitariste, un vagabond plus qu’un marin, un aventurier plus qu’un espion, bref, un homme d’action, la preuve, c’est qu’on le verra chevaucher le taureau dans l’arène de Tomalin, au grand dam de son frère (« Nom de nom de nom ! Quel foutu crétin ! ».

 

Geoffrey, qui fut Consul britannique à Quauhnahuac, n’a plus de fonctions officielles, mais il est resté là, sans doute faute d’avoir de vrais motifs d’aller ailleurs. Le vrai, c’est qu’il n’a plus de volonté. Plus exactement, de volonté, il n’a gardé que celle de savoir où il reste une bouteille, un flacon, une gourde, une topette, une fiole, un récipient, quoi, avec dedans du whisky, de la tequila, du habanero, du mescal, et même je ne sais plus quel alcool de toilette, mais quelque chose qui lui permette de s’absenter.

 

Geoffrey Firmin, on devine plutôt qu’on sait qu’il fut un brillant sujet de Sa Majesté, qu’il a servi sur des « cargos », le genre de proie qui inspire confiance aux prédateurs allemands, au cours de la 1ère guerre mondiale, mais qui dissimule un armement suffisant pour venir à bout d’un U-Boot de la Kriegsmarine. Sauf qu’on raconte qu’il a alimenté la chaudière du navire avec les officiers d’un sous-marin, ce qui n’est guère chevaleresque. Si c'est vrai, on conçoit qu'il ne s'en soit jamais remis.

 

Geoffrey Firmin, c'est la figure poignante d'un homme noyé dans les boissons fortes, qui ne cesse de dire aux autres qu’ils ne peuvent plus rien pour lui. Peut-être est-ce ainsi qu'il affirme sa liberté : la liberté de la solitude.

LOWRY 4.jpg

LA MÊME PHOTO, EN MIEUX

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 19 mai 2013

AU-DESSOUS DU VOLCAN 1

 

LOWRY 1 MALCOLM.jpg

Je viens de relire le livre de Malcolm Lowry. Quand je l’avais lu – ça remonte à lure de lurette –, ç’avait été une commotion. Une véritable épreuve à traverser à la nage sans avoir appris à nager. A vrai dire, l’idée de commotion était ce que j’avais gardé de ce livre incroyable. Le titre a été retraduit en Sous le Volcan, mais je trouve que ça fait trop forge de Vulcain sous l'Etna, en train de forger le (si si, je vous jure) foudre de Jupiter.

 

A la réflexion, si je compare avec Ulysse de James Joyce, qui est unanimement célébré par tout ce qui compte dans le monde en matière d'autorité littéraire comme le nec plus ultra de la création littéraire au vingtième siècle, à égalité avec La Recherche et Le Voyage, j'ai bien envie de placer le Volcan de Lowry au-dessus du roman de Joyce, tant celui-ci m'apparaît comme un artefact intellectuel.

 

Extraordinaire si l'on veut, mais quand même un produit extrêmement cérébral, alors que le Volcan consiste en un plongeon héroïque et poétique jusque dans les tréfonds de l'existence et de la souffrance humaines. Pourquoi cérébral, me demandera-t-on ? A cause du parti-pris d'expérience formelle, qui révèle presque toujours un goût pour les joutes virtuoses et les défis intellectuels, avec sous-entendu : « Essaie d'en faire autant, tiens, t'es même pas cap ! ». Il y a là-dedans de la performance, de l'exploit sportif. C'est donc un peu gratuit, donc un peu vain.

 

Ce qui pourrait constituer la parenté des deux livres, ce serait peut-être d'illustrer deux voies de recherche possibles, qui sont aussi deux impasses littéraires, sauf qu'à mon avis, Lowry sait parfaitement qu'il se trouve dans une impasse, ce dont, pour Joyce, plus orgueilleux et sûr de sa supériorité, je ne suis pas sûr.

 

Une personne qui m’est proche, quand elle a reçu du livre Au-dessous du volcan l’autorisation de le lire enfin, après plusieurs tentatives infructueuses où il lui avait interdit de poursuivre au-delà de la page 12, m’a dit que pour sa part, c’était une plainte d’une immense tristesse qui lui parvenait de ses profondeurs.

 

Pour moi, la tristesse est un mot bien vague. Est-ce le sentiment éprouvé par le lecteur au spectacle de ce qui arrive au Consul Geoffrey Firmin ? Ou une tristesse qui émanerait de la narration elle-même, comme un effet esthétique voulu et élaboré par l’auteur ? Quoi qu’il en soit, curieusement, ce n’est pas cet aspect qui m’a procuré, quand j’ai refermé le livre, cette sorte d’enthousiasme et de jubilation qu’il ne m’a été donné qu’exceptionnellement d’éprouver (Le Temps retrouvé et Moby Dick font partie des derniers en date). Etrange, n’est-ce pas ?

 

Je parle bien sûr d’une émotion spécifiquement littéraire, du genre de ce qu’on ressent après avoir lu ce qu’on appelle un chef d’œuvre, un de ces Everest de la littérature qui donnent au lecteur – je ne trouve pas d’autre mot – un sentiment de gratitude. Je veux dire un de ces livres après lesquels on peut à bon droit se féliciter d’avoir vécu jusque-là, ne serait-ce que parce qu’il existe et qu’il parvient à ce miracle : procurer de la joie. Je pèse mes mots.

 

C’est vrai qu’a priori, Au-dessous du volcan n’est pas de ces livres qui prédisposent à l’optimisme. Mais je ne suis pas sûr que la littérature ait à jouer le rôle d’antidépresseur, non plus que de pousse-au-crime, ni d’encouragement au suicide. La littérature telle que je l’entends a pour objet de créer de la beauté, en s’efforçant de fabriquer un cadre et de donner un sens à l’existence humaine. Une œuvre d’art chargée à ras bord d’un poids de « vraie vie ». Et pas ailleurs, mais bien ici. De ce point de vue, la lecture du livre de Malcolm Lowry comble le lecteur que je suis.

 

Comme dans Les Passantes de Georges Brassens ou La Vierge à l’enfant et deux anges de Fra Filippo Lippi (visible aux Offices), l’adéquation miraculeuse (inexplicable) de la chose et du moyen par lequel elle est exprimée. Bon, j’arrête avec les comparaisons vaseuses, c’est juste pour dire le principe : quelque chose de rigoureusement unique se passe quand ce que veut dire un bonhomme entre en résonance parfaite avec sa façon de le dire. Quand l'unicité du fond qu'il y a mis épouse idéalement la forme qu'il a façonnée.

 

Ne serait-ce que pour ça, Au-dessous du volcan est un livre unique.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 18 mai 2013

RECAPITULONS 2

 

VEYRON 56 6.jpg

UN : Plus il y a de l’ « Associatif », moins il y a de « Société ».

 

DEUX : Moins il y a de « Nation », moins il y a de « Société ».

 

TROIS : Plus il y a de « Privé », moins il y a de « Société ».

 

Privatisation à outrance et en accéléré de tout ce qui ressemble à du « bien commun ». J’ai pris l’exemple de Lyon et de la vente de ses bijoux de famille par son « grand-maire » Gérard Collomb, mais j’aurais pu aller chercher de multiples exemples, ne serait-ce que dans la capitale, avec le scandale du « Balardgone » (futur ministère de la Défense) décrit dans Le Canard enchaîné., comme application dans les grandes largeurs de ces PPP tant vantés aujourd'hui, depuis les sévices que Nicolas Sarkozy a fait subir à la France. PPP, c'est du "partenariat public - privé" : pour faire passer une belle arnaque, il faut une belle appellation.

CANARD 2.jpg

CANARD 3.jpg

LE CANARD ENCHAÎNÉ DE MERCREDI DERNIER (15 MAI)

J’ai pris l’exemple de la multinationale Monsanto, la reine des OGM, bien loin devant BayerCropScience ou Syngenta, et parlé à son propos de « privatisation du vivant ». Il faut savoir ce que signifie concrètement l’expression, dans la vie réelle des praticiens de l'agriculture : Monsieur Vernon Hugh Bowman, 75 ans, producteur de soja dans l’Indiana, a commis le crime de lèse-majesté en achetant ses semences dans un silo à grains de la région, au lieu de payer la redevance à Monsanto en personne. Résultat, il a semé des gènes brevetés Monsanto sans payer la dîme.

MONSANTO 1.jpg

Il vient de prendre en pleine poire un violent « jab » (un "direct" à la face) de la droite de la Cour Suprême : après un procès de six ans, il est condamné sans recours à verser 85.000 dollars à Monsieur Adolf Monsanto, qui ne s’arrêtera que lorsqu’il aura étendu pour 1000 ans son empire totalitaire sur l’ensemble des plantes cultivées, et que les paysans, chaque année à date fixe, viendront remplir son bas de laine pour avoir seulement le droit d’enfouir dans le sol des graines dont il possède (pour l’avoir inventée et mise au point) une minuscule séquence du génome, sur laquelle il garde un droit de propriété. Ne pas confondre « droit d’enfouir » et « droit de propriété ».

MONSANTO 2.jpg

M. VERNON HUGH BOWMAN N'A PAS L'AIR CONTENT. IL A DE BONNES RAISONS.

J’ai entendu de savants économistes vanter les bienfaits des PPP, initiés par feu (si seulement ça pouvait être vrai !) Nicolas Sarkozy. Les « Partenariats Public-Privé », paraît-il, c’est le fin du fin en matière d’action publique. Sauf que, après avoir laissé les « investisseurs » investir dans l’édification des bâtiments, la « puissance publique » (c’est le contribuable) paiera à Bouygues, Eiffage ou Vinci un loyer astronomique pendant plusieurs dizaines d’années.

 

Ce à quoi on a assisté depuis trente ou quarante ans, c’est au naufrage de ce qu’on appelait précisément la « puissance publique ». Mais un naufrage sciemment provoqué, comme si le capitaine fracassait lui-même à coups de hache la coque de son navire pour le faire couler.

 

Les coups ont été portés par l’américanisation des mœurs (y compris juridiques), par un bourrage de crâne incessant, par une « construction européenne » fondée sur une libéralisation à tout crin et une « concurrence libre et non faussée », où les « services publics à la française » faisaient figure de diplodocus et de brontosaures égarés dans la modernité marchande. Les « responsables » (sic !!!) politiques ont tous abondé dans le même sens, de Giscard à Hollande. Tous responsables, tous coupables.

 

L’OCDE en a décidé ainsi il y a bien trente ans : plus rien ne doit subsister de ce qui ressemble à un monopole d’Etat (transports, hôpital, éducation, etc., qu’on appelle aussi le bien commun), et tout doit pouvoir être mis en concurrence, comme n’importe quelle marchandise. Regardez l’arnaque qui se prépare dans les négociations entre Europe et Etats-Unis en vue d’un espace commun, absolument libre-échangiste.

 

Il faut à tout prix empêcher les peuples de persister à « faire société ». Pour ça, rien de mieux que la guerre de tous contre tous. Dans cette perspective, je conseille aux peuples de bien s’accrocher aux branches, parce que ça va souffler encore plus fort !

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 17 mai 2013

RECAPITULONS 1

VEYRON 56 12.jpg

***

 

Récapitulons :

 

UN : La « Société » est devenue une abstraction, dénuée à ce titre de toute consistance vivante. Les gens qui vivent quand même à sa base essaient vaille que vaille d’y remédier en se groupant par centres d’intérêt (collectionneurs de timbres, amicale bouliste des cheminots, etc.)  ou pour défendre des intérêts particuliers : malades du lupus érythémateux (AFL, vous pouvez vérifier mes sigles), peau noire (CRAN), sexe féminin (collectif la barbe, chiennes de garde ou, plus récentes, les ″femens″, etc.), sexe orienté homo (LGBT, Act Up, etc.), usagers des transports (AUT) ou de l’administration (ADUA), victimes des sectes (ADFI), et tutti quanti.

FEMEN 5.jpg

On appelle ça des « Associations loi 1901 ». Si je me permets de juger préoccupante leur prolifération, c’est pour la raison discutable mais impérieuse qu’on peut y voir le signe d’une décomposition du « corps social » dans son ensemble, les gens se rassemblant justement pour défendre, qu’on le veuille ou non, des intérêts particuliers. Plus il y a d’associations, ai-je dit, moins il y a de société (dit autrement : d’ « intérêt général »). 

FEMEN 3.jpg

On pourrait en dire autant des « Organisations Non Gouvernementales » (ONG). Chacun en pensera ce qu’il voudra, mais selon moi, quand c’est une association qui agit sur un terrain (Restos du cœur, Banque alimentaire, Médecins sans frontières, etc.), c’est qu’il y a substitution de l’action privée à l’action publique, provoquée par la démission de celle-ci.

FEMEN 10.jpg

L'action privée des associations repose qui plus est sur le bénévolat. Mais des millions de bénévoles, cela suffit-il pour « recréer du lien social » ? Je dirais plutôt que le bénévolat est la preuve de la disparition du lien social. Les « hommes de bonne volonté » sont nombreux, mais l'adversaire est trop puissant. Et qu'on ne me parle pas de l'action militante. J'aimerais me tromper.

 

DEUX : Dissolution de tous les symboles fédérateurs qui permettraient aux Français de « faire société ». J’ai pris l’exemple de la nation française, dont on peut dire qu’elle n’existe plus que dans le rétroviseur de générations plus ou moins vieillissantes. Dans les faits, la nation s’évanouit dans les bras de l’incertaine Europe, dont les « directives » imprègnent d’ores et déjà 60 % des lois « françaises ». Au reste, ne suffit-il pas d’entendre certains (Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Pierre Chevènement, et quelques autres) se faire traiter de « souverainistes », insulte méprisante dans la bouche de ceux qui prononcent le mot.

 

« Espèce de souverainiste ! ». Se déclarer ou être déclaré tel, c’est être catalogué partisan du passé, inscrit au fichier des grands nostalgiques, féroce et indécrottable adversaire du moderne et de l’indifférencié. C’est même pire : accepter de passer pour un facho, crispé sur l’improbable souvenir d’une « identité nationale » désormais périmée, et rangé parmi les épigones du Front National. Et ça, ba-caca, c'est horriblement vilain, les associations en ont décidé ainsi.

 

On pavoise encore pour la forme les mairies et autres édifices officiels, mais qu’est-ce qu’elle est devenue, la symbolique du drapeau ? Qu’est-ce qu’elle est devenue, la « patrie-des-droits-de-l’homme » ? Qu’est-ce qu’elle est devenue, la « fierté-d’être-Français » ?

 

Par là je ne veux pas dire qu’il faudrait être fier de ça. Je dis juste que s’il n’y a plus aucune raison d’en être fier, c’est que la chose a perdu son sens. Et que la France, après sa défaite définitive, a signé l’acte de capitulation sans condition par lequel elle se remet pieds et poings liés, entre les mains des modernes forces d’occupation. Et cette fois, les collabos ont pignon sur rue.

 

Comme symbole fédérateur, j’aurais tout aussi bien pu prendre l’exemple de la démocratie représentative, dans laquelle j’ai personnellement cessé de croire depuis déjà quelque temps. Mais je suis loin d’être le seul à m’abstenir d’aller voter aux élections, quelles qu’elles soient. Les journalistes sont satisfaits quand l’abstention ne dépasse pas 30 % : un tiers de déchet ne leur semble pas trop catastrophique, pour dire si le ver a déjà bien croqué dans le fruit.

 

TROIS : ... Ah non, je vois que ça fait trop long. Il faut donc que je procrastine. A demain.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 16 mai 2013

AH ! FAIRE SOCIETE !

 

VEYRON 56 15.jpg

***

 

« Vivrensemble ! Vivrensemble ! Ouais ! Ouais ! » Un joli slogan, coquet, seyant, qui fait très bien sur la banderole, et que les défileurs des rues manifestantes ne rechignent jamais à gueuler de tout leur enthousiasme, y compris dans le mégaphone badgé CGT. Une mode qui se porte ample, près-du-corps ou moulante : tous les goûts sont dans l’égout. Corollaire : toute la nature est dans la nature. Et comme il y a de moins en moins de nature, il ne reste plus que l’égout.

 

Non, sérieux, qui est-ce qui en veut, aujourd’hui, du « vivrensemble » ? Qui en veut vraiment ? La vie fait à tout le monde des trajectoires parallèles. Or les parallèles ne se rencontrent qu’à l’infini. Oh si, ça s’entrecroise bien à l’occasion, mais chacun avance sur ses rails. On s'entrecroise moins qu'on ne se frôle.

 

Le lien social, aujourd'hui, c'est l'effleurement, comme le prouve le téléphone portable, qui autorise votre ami à interrompre votre conversation, au risque de perdre le fil, et qui montre qu'à ses yeux, vous n'avez pas l'importance vitale qu'il vient de vous déclarer les yeux dans les yeux. Les conséquences peuvent être beaucoup plus embêtantes si vous étiez en train de faire l'amour avec votre petite amie. Faire société ne fait plus sens. Pourquoi sommes-nous ensemble ? Tout le monde se le demande. Pourquoi ceux-ci et pas ceux-là, après tout, puisque « je le vaux bien » ?

 

Après tout, la vie privée donne l’exemple : pourquoi épouser celle-ci plutôt que celle-là ? De toute façon, ne nous marions pas, parce que ça finira par un divorce. Ou alors, marions-nous avec des gens de même sexe, pour surfer sur la vague du dernier cri de la modernité. Vivons le temps que nous pourrons avec quelqu’un, tant que ça nous satisfait. Après ? « Vous vous changez ? Changez de Kelton », disait une vieille pub pour des montres. Au fait, qu'est-ce que c'est devenu, Kelton ?

 

Même chose avec les gens : vous en avez marre « de lui voir tout le temps le nez au milieu de la figure » (Tonton Georges) ? Changez ! De montre, de voiture, de look, de compagnon ou de compagne, de smartphone, ce que vous voulez, mais changez. Tout le monde est interchangeable : pas besoin de se gêner. Faire société ? C’est quoi, cette fatrasie ?

 

De toute façon, le « faire société » se délite, alors comme il faut bien vivre, jetons les valeurs communes (la nation) ; jetons-nous dans « l’associatif » pour retrouver de la proximité et du semblable homogène, et laissons privatiser les biens communs. Privatiser : le bien commun est devenu un investissement rentable.

 

HÔTEL DIEU 3.jpgGérard Collomb, « grand-maire » de Lyon, a vendu le quartier Grolée à Cargill, 49 immeubles de la rue de la République au fonds d’investissement du duc de Westminster. Entre-temps, il a eu l’occasion de vendre l’Hôtel-Dieu, monument historique avec son dôme de Soufflot, pour en faire un hôtel de luxe : de l’Hôtel-Dieu à l’hôtel de luxe.HÔTEL DIEU 4 PROJET.png Moralité ? Pas de moralité. On brade le bien commun. On privatise. Les dirigeants donnent l’exemple : on ne veut plus « faire société ». Ci-dessus (côté quai) l'état d'origine, et ci-contre (côté rue Bellecordière), l'état futur (!!!) de ces vénérables bâtiments.

 

Regardez la Grèce. Sans parler d’une fille Onassis qui, à 28 ans, vend l’île de Skorpios héritée de son (arrière ?) grand-père, parce qu’elle en a marre de son pays, ce qui est son droit, le gouvernement a vendu l’Acropole, non, pas celui d’Athènes, quand même, mais celui d’une petite ville à côté de Corfou sur l’Adriatique, pour y laisser construire un hôtel de luxe. Remarquez, ils ont bien vendu le port du Pirée aux Chinois.

 

Regardez les semences agricoles : Monsanto vient d’obtenir un arrêt superbe de la Cour Suprême des Etats-Unis pour commercialiser en toute liberté (et surtout en toute exclusivité) ses variétés inventées et dûment brevetées, et s’apprête, après de gros efforts de lobbying, à en inonder l’Europe. On appelle ça la privatisation du vivant.

 

Où en reste-t-il, du bien commun ? En vérité, je vous le dis : il est à vendre. C’est bien la preuve qu’il ne reste plus grand-chose pour « faire société », non ? D’abord, on est trop nombreux. Ensuite on est trop différents. Enfin on est trop indifférents. Comment voulez-vous « faire société » ?

 

On en est là. Avouez que ça commence à faire beaucoup, pour ce qui est de « faire société » : la décomposition est en voie d’achèvement. Un : pulvérisation du « corps social » en « associations » et autres « communautés » (geek, religieuses, orientation sexuelle et autres petites ou grandes manies, …). Deux : dissolution de la nation et de son histoire dans le grand bain mondial indifférencié. Trois : la grande privatisation du bien commun. Et c'est pas fini.

 

Et on parle encore de « société ».

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 15 mai 2013

AH ! RECREER DU LIEN SOCIAL !

 

VEYRON 56 14.jpg

***

 

Plus il y a d’associations (loi 1901), moins ça « fait société ». Je passe sur le fait que ça veut sans doute dire que, en dehors de cet acte volontaire et conscient d’adhésion à un groupe limité en vue d’une certaine activité (une association loi 1901), les gens n’ont plus besoin les uns des autres. Soit dit par parenthèse, je me demande si ce n’est pas précisément ça, « faire société » : avoir besoin les uns des autres. Je ferme la parenthèse.

 

Un moyen de « faire société », ce serait par exemple de se rattacher unanimement à un principe unique. Et de s’y rattacher sans qu’il y ait délibération et acte volontaire : faire société – enfin c'est mon avis : demandez aux Suisses si quelqu'un les a forcés à planter le drapeau rouge à croix blanche dans leur jardin – est de l’ordre du réflexe, c’est de l'ordre du senti, de l'irréfléchi (« Au fait, t’as acheté le sapin ? »). C’est ce qui ne pose pas question, mais s’impose sans forcer personne, à coup d'article défini, c'est-à-dire quelque chose d'inaccessible au doute. Autrefois, le dimanche, on allait même jusqu'à habiller les enfants avec « les habits du dimanche ». On peut dire que ça, c’est fini.

 

Prenez la "nation", par exemple. Il est loin, le temps où Pierre Daninos (est-ce dans Le Jacassin ?) pouvait faire sourire en racontant la douce manie d’un oncle qui, tous les 14 juillet, n’allait assister au défilé des troupes que pour se placer derrière un homme à chapeau et pour, au passage du drapeau, faire voler la coiffe de l’impudent en lui lançant, comminatoire : « Monsieur, on se découvre devant le drapeau ! », approuvé et applaudi par les témoins. Une telle anecdote aujourd’hui aurait des airs kitsch, voire paléontologiques, pour ne pas dire franchement révoltants.

 

Plus sérieusement, que signifie le mot « nation » dans la tête de jeunes générations auxquelles on ne prend même plus la peine d’enseigner (de transmettre) l’histoire de la formation de la nation française ? Qu'est-ce qu'un "patrimoine commun" ? Il paraît que l’Histoire de France est devenue complètement hors de propos, hors de saison, hors-sujet. Etonnez-vous que, au lieu de sentir quelque chose vibrer à l’intérieur en entendant retentir la Marseillaise, des petits cons se mettent à siffler. Où est-elle, l'idée capable de fédérer les Français ?

 

Ajoutez à cela autre chose. Moi qui suis d’une génération qui a été « appelée sous les drapeaux », ne croyez pas que je vais exprimer une quelconque nostalgie de ce qui s’appelait « service militaire », tant j’ai pu toucher du doigt et absorber à haute dose du concentré d’abruti dans le bain où nageaient quelques galonnés conformistes par métier, beaucoup de sous-galonnés bornés par vocation, quand ils n'étaient pas simplement tarés par nature.

 

Mais sans qu'on soit favorable au retour du « service militaire », il faut bien reconnaître ses deux apports : la découverte de gens de milieux absolument hétérogènes, découverte que je n’aurais jamais faite autrement, et dont je suis obligé d'avouer le bénéfice a posteriori ; la reconnaissance de la dignité du drapeau comme symbole national, je veux dire unificateur. Mais si la conscription nationale a été aussi facilement abolie, c'est qu'il y avait un consentement général pour cela. Le ver était dans le fruit. Combien auraient voulu qu'il y en eût encore et toujours, des "conscrits" ?

 

Ne rêvons pas : la France, comme entité nationale, achève de se dissoudre, et ce ne sont pas des groupuscules, appelés « bloc identitaire » ou autre, qui peuvent s’opposer au processus. Aucun groupuscule n’est en mesure d’arrêter un mouvement qui touche la collectivité dans sa globalité. Qui touche les fondements. Tout s’est passé tranquillement, par petites étapes (suppression de l'enseignement de l’histoire de France, instauration de l’armée de métier n’en sont que deux aspects), presque sans douleur.

 

Tout ça fait qu’on peut se demander qui pourrait bien, aujourd’hui, se déclarer « fier d’être Français ». Qui, à part quelques bandes d’excités ou quelques nostalgiques ? Dès lors, difficile de « faire société », pas vrai ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mardi, 14 mai 2013

AH ! LE VIVRENSEMBLE !

 

VEYRON 56 9.jpg

***

 

Ah, qu’il est content, le « zompolitic », quand il peut prononcer, sur un plateau de télévision et d’un ton pénétré, voire confit en dévotion, à l’heure de grande écoute, un hommage vibrant à tout ce qui peut favoriser « le vivrensemble » (ne pas oublier l’article défini) ! A tout ce qui se porte au secours de la défense du « bien commun » ! Il faut que tout le monde sache que le « zompolitic » est par principe, par conviction et par contrat moral favorable à tout ce qui permet de « faire société ». Il faut le comprendre, le « zompolitic » : ses prébendes en dépendent.

 

N’empêche que tout ça est beaucoup moins clair qu’il n’y paraît. J’ai bien l’impression, en effet, que plus ça va, et moins il y en a, de société. C’est une impression, ce n’est pas une analyse. Mais c’est une impression qui s’appuie sur quelques observations. Et je mets ça en relation avec le fait, par exemple, que, il y a un certain temps, les associations se sont mises à proliférer. Je me demande si ça ne va pas avec. C’est très curieux, cette multiplication des petits pains associatifs.

 

Au point que je me demande si on n'est pas en droit d'affirmer que moins il y a de société (singulier), plus il y a d’associations (pluriel). Comme un lien de cause à effet, quoi. Qu’est-ce que c’est, une association ? Très souvent, c’est trois pelés et un tondu qui aiment jouer aux boules, lire des poèmes ou marcher en grappe dans la nature. Des statuts déposés en préfecture, un président, un secrétaire, une assemblée générale annuelle, etc.

 

Mais ces associations sont comme monsieur tout-le-monde : couleur gris muraille, elles passent inaperçues, personne n’en parle jamais, sinon dans les pages locales de la PQR (presse quotidienne régionale). Si on se demande à quoi elles servent, on pourrait sans doute répondre : à rien. Les gens qui se regroupent pour jardiner ou chanter en chœur n’ont pas besoin d’une quelconque structure juridique. Ah si, pour chanter, il faut un local, pour jardiner, il faut un lopin. Pour ça, on a inventé la municipalité, et elle, elle a besoin d’un répondant juridique. Ventre-Saint-Gris et palsambleu, c’était donc ça !

 

En fait, les associations auxquelles je pense sont celles auxquelles se réfèrent les journalistes. C’est-à-dire celles qui se sont frayé un chemin direct jusqu’à leur oreille. On ne se doute pas comme il est vital, pour avoir un accès direct aux médias, d’être constitué en association, et si possible, d'en être le président. En France, "président", ça en jette.

 

Prenez le ridicule Louis-Georges Tin : sur la seule foi de son nom, quel journaliste serait assez écervelé pour approcher de sa bouche un micro ? Maintenant, présentez-le (comme il prend soin de le faire lui-même) comme président d’un vague « Conseil Représentatif des Associations Noires » (CRAN, calqué abusivement sur le CRIF mis en place par les Juifs de France, vous voyez le procédé publicitaire gros comme une montagne, Conseil Représentatif, ça cloue le bec à tout le monde), les micros déroulent le tapis rouge, comme on l’a vu ces derniers jours avec les commémorations de la condamnation vertueuse de l’esclavage, et l’esclavage, ba-caca, c’est très vilain, « les associations » (alias monsieur Louis-Georges Tin) l’ont bien dit. Est-ce que cela marque une quelconque volonté de « faire société » ? On s'en fout. Circulez. Il s'agit d'imposer à une majorité la reconnaissance des « droits » des « victimes ».

 

Moins récemment, on a entendu les journalistes évoquer « les associations », au moment des débats sur le mariage homosexuel. « Les associations » tenaient à faire connaître leur volonté de faire aboutir le projet imposé au gouvernement par le lobbying des dites « associations ». « Les associations » se sont officiellement réjouies du vote de la loi.

 

Le mariage des homosexuels sera donc un bienfait, un progrès de la démocratie, et ceux qui ne sont pas d’accord, c’est rien que des homophobes, et l’homophobie, ba-caca, c’est très vilain, « les associations » l’ont bien dit. Est-ce que ça marque une quelconque volonté de « faire société » ? On s'en fout. Circulez. A se demander s'il y a encore des gens qui seraient volontaires pour « faire société ». Là encore, il s'agit d'imposer à une majorité la reconnaissance des « droits » des « victimes ».

 

Ce que je trouve étonnant, dans ces affaires, c’est la facilité incroyable avec laquelle les journalistes ont recours à cette formule sacramentelle : « Les Associations ». Quel interlocuteur magique se cache derrière cette appellation d’allure alchimique ? Mystère. Remarquez, il y a une variante bien connue : « Les ONG ». C’est du même acabit, rappelez-vous le séisme de Port-au-Prince et la pétaudière semée par « les ONG », qui ne s’autorisaient que de leur propre générosité, qui avait forcément la priorité sur la générosité des autres.

 

Qu’on se le dise, « les associations » ont pris le pas sur « la société ». Si vous ne savez pas qui se cache derrière la formule, c’est que vous faites partie des « anonymes », autre catégorie chère au cœur des journalistes. Pour eux, « les associations », ce n'est pas anonyme du tout. Journaliste, métier pathétique. Ayons une pensée apitoyée pour tous les paumés qui le pratiquent.

 

Moi, on me dira ce qu’on voudra : plus il y a d’associations, moins il y a de société. Au lieu de société, mettez « Etat », mettez « Autorité », si vous voulez. Toujours est-il que plus il y a d’associations qui tirent à hue et à dia en cherchant à occuper la plus grande surface médiatique et à capter à leur profit la manne de la charité publique, et plus on y comprend moins.

 

Peut-être après tout cela vient-il du fait qu’une association se forme en vue d’atteindre un but précis et délimité, et que, somme toute, ce but représente l’intérêt particulier de quelques-uns, pour qui l’ « intérêt général » est une expression antédiluvienne, ou à tout le moins moyenâgeuse, qui n’a plus lieu d’avoir cours.

 

Moins il y a de Société, plus il y a d’appétits privés. Et Lycée de Versailles.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Note : CRAN veut donc dire Conseil Représentatif. On attend que le ridicule Louis Georges Tin mette sur la table les preuves de cette étrange « représentativité ». Mais non, il préfère réclamer à la Caisse des Dépôts des millions d'euros pour « apurer la dette (sic) » contractée à l'égard des noirs en 1835. Alors, Tin, représentatif de qui, au juste ?

 

 

lundi, 13 mai 2013

AH, "FAIRE SOCIETE" !

 

VEYRON 56 4.jpg

***

 

Les « zompolitics » (pour faire Coluche, il faudrait avoir le son) en ont plein la bouche. Députés, ministres, chefs de parti ne parlent « à regonfle » (comme on disait chez moi quand le patois lyonnais voulait encore dire quelque chose) que du « vivrensemble », de « faire société », de « refaire du lien social ». Les journalistes s'y sont mis.

 

Il paraît que ce genre d'affirmation, ça pose son homme, et ça donne une idée de son sens des responsabilités et de sa volonté de se dévouer pour ses semblables, en espérant toucher les dividendes de son investissement. Je n’exagère pas, tous ceux qui lisent cette note peuvent s’en convaincre en allumant le poste à l’heure de la propagande (je parle évidemment du 20 heures de TF1 ou de France 2) ou en donnant l'obole à leur quotidien de dilection morose. Ah, le « vivrensemble» ! 

RECREER LIEN SOCIAL.jpg

ALLEZ ! TOUT LE MONDE REPREND EN CHOEUR AU REFRAIN !

C’est à qui en fera le plus pour apparaître, au milieu du cheptel politique (vaste troupeau de bovins carnivores, je veux dire de "vaches folles", mais ce sont ces mêmes vaches qui traient les bouseux que nous sommes, le monde à l'envers) comme le plus sérieusement convaincu que le « collectif » est le bien suprême, mais surtout que c’est lui qui s’en occupe le plus sérieusement.

 

Le problème, c’est que « faire société », ce n’est pas un individu, si haut qu’il soit placé, qui peut le décider. Regardez par exemple ce que c’est très vite devenu, la « fête des voisins » : une table, quelques chaises, des verres et des bouteilles. Des conneries. Quoi, c’est tout ? Oui, un point c’est tout.

 

Ce n’est pas la « fête des voisins » qui peut changer un iota au rythme et à la vitesse de croisière auxquels chaque individu se déplace dans sa propre vie quotidienne. Et ce n’est pas de crier « tous ensemble tous ensemble ouais ! » en arpentant les rues principales des grandes villes pour protester contre le gouvernement (10.000 selon la police) qui y changera une virgule.

 

Regardez l'énorme n’importe quoi qu’est immédiatement devenue la « fête de la musique » décidée par l’inénarrable pantin Jack Lang : une innommable bouillie sonore à coups de décibels électriques avec, dans certains quartiers urbains, un « orchestre » de jeunes « rockeurs » malhabiles appuyés sur la puissance d’amplificateurs qui leur donnent l’impression de faire de la « musique », alors qu’il ne font que du bruit, à peine compensé par le bruit que fait le groupe suivant, à cinquante mètres de là.

 

Soit dit en passant, en traitant Jack Lang d’inénarrable pantin, je suis d’une affabilité excessive, quand je lis ce qu’en écrivait Philippe Muray en 1998 dans la préface à la réédition son Empire du Bien : « A ce propos, je dois avouer mon étonnement de n’avoir nulle part songé, en 1991, à outrager comme il se devait le plus galonné des festivocrates, je veux parler de Jack Lang ; lequel ne se contente plus d’avoir autrefois imposé ce viol protégé et moralisé qu’on appelle Fête de la Musique, … ». Et ce n'est pas fini, mais j’arrête la fusillade.

 

« Faire société », il faudrait bien s’en convaincre, ça ne se décide pas. Pour une raison assez simple : c’est quand ça « ne fait plus société » qu’on se rend compte qu’il y en avait une, de société. C’est quand chacun des atomes que nous sommes est réduit à sa simple fonction de numéro dans une liste de numéros qu’on se rend compte qu’une société, ce n’est pas une liste d’individus. Il ne faut pas confondre « faire société » et administrer la société.

 

En effet, tant qu’on peut parler de « corps social », on a de quoi se faire une petite idée de ce que c’est, une société. Est-ce qu’il suffit pour cela d’avoir des institutions en état de marche avec des gens pour les faire fonctionner ? Je me permets d’en douter. Car qu’est-ce que c’est, un corps social ? C’est forcément une métaphore. Mais qui veut bien dire ce qu’elle dit. Comme dit Paul Ricœur, en titre merveilleux d’une de ses belles œuvres, c’est une « métaphore vive ». Et ça, y a pas à tortiller, ça ne s'administre pas.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 12 mai 2013

LA BANALITE DU MAL

 

VEYRON 56 2.jpg

***

 

On ne sait plus à quel saint ni à quel diable se vouer. Les gens ne portent plus le fond de leur âme sur la figure ! Les gens enfouissent désormais les turpitudes qu’ils mijotent derrière un masque de respectabilité ou de courtoisie ! On ne peut plus se fier à personne, je vous dis !

 

Autrefois, au moins, on savait à qui on avait à faire : le cow boy justicier avait la tête de Gary Cooper. Le chevalier était blanc, blond et ses yeux étaient bleus. La petite bergère mignonne comme un cœur  pouvait prétendre séduire le prince au cœur pur, l’épouser et « ils eurent beaucoup d’enfants ». Le méchant était laid, tordu, l’œil torve.

 

Maintenant, n’importe qui peut être n’importe quoi. Regardez le Monsieur Propre du Parti « Socialiste », Jérôme Cahuzac ! Le bon dieu sans confession ! Pas la gueule du Paradis sur Terre, il ne faut pas exagérer, mais on n’hésitait pas à lui confier ses économies. Patatras ! C’était lui, le loup dans la bergerie ! Comment voulez-vous vous faire une idée ?

 

Et puis voilà-t-il pas que, de l’autre côté, les spécialistes du dépistage du Mal sont incapables d’identifier les mauvais quand ils les ont sous les yeux ! Invraisemblable ! La preuve ? Prenez les frères Castro, par exemple. Ils s’appellent Ariel, Onil et Pedro. Franchement, même sans être flic dans la charmante cité de Cleveland, Ohio, on voit leur gueule et on sait aussitôt à quoi s’en tenir.

 

Eh bien non ! Les voisins, les services sociaux signalent quelques anomalies, les flics arrivent, font trois petits tours et puis repartent comme ils étaient venus. RAS, comme écrit l’adjudant dans son cahier de surveillance à la fin de sa permanence de nuit. Il ne s’est rien passé, il ne se passe rien, circulez.

 

Et puis voilà, un jour, ça éclate : l’une des prisonnières décide que ça suffit, et arrive à s’échapper. Et tout d’un coup, le monde s’écroule en tombant de haut. Dix ans que ça durait ! Stupéfait, le monde découvre le calvaire de quelques esclaves sexuelles enlevées une décennie auparavant ! Stupéfait, le monde découvre les gueules patibulaires des trois tortionnaires, dont on se dit qu’elles auraient fait sans problème des gueules d’assassins ! Je passe sur les questions qui se posent, sur tout ce qui a permis qu’une telle situation perdure à ce point.

CLEVELAND OHIO ARIEL ONIL PEDRO CASTRO.jpg

             ARIEL                                                ONIL                                       PEDRO    

UNE BELLE BROCHETTE

(Ariel se vantait ouvertement, paraît-il, d'être un "prédateur sexuel")           

Maintenant, regardez, plus près de chez nous. Cette fois, ça se passe en Allemagne. Regardez-la, cette gueule d’ange. Elle s’appelle Beate Zschäpe. On lui impute une dizaine de meurtres. Enfin, ce n’est peut-être pas elle directement, mais ses deux complices masculins se sont suicidés, la laissant toute seule pour porter le chapeau. 

BEATE ZSCHÄPE.jpg

Enfin, peut-être pas toute seule, s’il s’avère que certains membres de la police ont laissé la bride sur le cou à la bande, au motif que les cibles de celle-ci étaient des Turcs (après une policière qui leur a légué son arme de service). Ce qui est sûr, c’est que la chose a duré assez longtemps. Alors on me dira qu’il ne faut pas confondre des situations qui ne sauraient être le calque l’une de l’autre.

 

Je note cependant, d’une part que, dans les deux cas, il s’agit de trios de criminels. Ce ne sont pas des individus isolés, et leur « surface » sociale est donc forcément plus importante, ne serait-ce qu’à cause des interactions que la vie quotidienne implique nécessairement (faire ses courses, se déplacer, échanger avec les voisins, etc.).

 

Je note aussi que dans les deux cas, l’attitude de la police ne laisse pas que d’interroger. Je note surtout que, quoi qu’il arrive, le Mal se dissimule sous des apparences acceptables, si l’on excepte les têtes de truands du trio américain. Comme le résume la formule extraordinaire de Hannah Arendt en sous-titre de son ouvrage sur le procès du nazi Eichmann à Jérusalem, le Mal a pris le masque de la Banalité.

 

Que le Mal ait une gueule patibulaire ou une frimousse angélique, impossible de l'identifier. C'est sûr : il est partout.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 11 mai 2013

LE PORTATIF DE PHILIPPE MURAY

 

VEYRON 56 5.jpg

***

 

Philippe Muray est donc indispensable à tout ce qui prétend garder l’œil grand ouvert sur le monde que nous façonnent les marchands de tout poil (vendeurs de salades, de boniments ou de brosses à dents), aidés par l’industrie de la propagande, passée maîtresse dans l’art de tordre les mots pour les obliger à servir leurs intérêts. Leurs intérêts ? Ça tient en une phrase : soumission à la consommation et acceptation du mode de vie que son règne impose.

 

Avec un effort particulier pour amener les individus qui constituent ce qu’on appelle une population à ne plus penser par eux-mêmes, et à accepter comme paroles d’évangile deux sortes de messages : « Venez vous amuser (ce qui signifie : oublier les conditions qui vous sont faites) dans les fêtes que nous organisons pour vous ! ». Et : « Si vous n’êtes pas tolérants et respectueux des « droits » que d’infimes « minorités » font valoir, vous êtes bons pour la correctionnelle ». Je me contente de ces deux illustrations de la résistance de Philippe Muray à la mensée « mainstream ». Il y en a d'autres.

 

D’un côté, donc, la « fête » à tous les étages, dans tous les lieux et à tous les moments possibles. De l’autre, ce que Muray appelle « l’envie du pénal » (parodiant l’ « envie du pénis » prêtée par Sigmund Freud aux petites filles). D’un côté le « festivisme » exacerbé (voir les pages qu’il consacre à l’ouverture du parc Eurodisney à Marne-la-Vallée). De l’autre, la punition pour tous ceux qui porteraient atteinte à la « dignité » de tous ceux qui se présentent comme des « victimes » de l’ « intolérance ».

 

D’un côté, l’imposture d’une « fête » qui s’impose à tous. De l’autre l’imposture d’une « tolérance » qui n’est que l’expression d’un flicage de plus en plus pointilleux de la population. En tout état de cause, ce que ne digère pas Philippe Muray, c’est l’imposture de l’époque. Il s’efforce de démolir le discours qu’elle tient sur elle-même pour élever sa propre statue, et que colportent tous ses thuriféraires stipendiés ou ses adeptes aux yeux illuminés. Finalement, ce qu’il traque, c’est l’idéologie inquiétante qui se dissimule sous le masque de la positivité absolue et du consensus obligatoire et joyeux (genre sourire contractuel, "rien que du bonheur").

MURAY PORTATIF.jpg

GASTON CHAISSAC ETAIT-IL VRAIMENT L'ARTISTE IDOINE POUR CETTE COUVERTURE ?

Je viens de revenir à Philippe Muray en ouvrant un tout petit (80 pages environ) bouquin publié par Les Belles Lettres et 1001 nuits en 2006 : Le Portatif (d’où le titre de ce couple de billets). Ce titre est à mon avis excessif : « Le titre que je donne à cet ensemble est un hommage au Dictionnaire philosophique de Voltaire, surnommé Le Portatif par ses lecteurs ». « Hommage », pourquoi pas ? La taille de l’ouvrage, et surtout ce qu’on y trouve, tout ça fait que la référence ne tient pas. Bon, c'est vrai que l'auteur l'a laissé en plan avant achèvement.

 

Ce qu’on y trouve, c’est pour tout dire un peu sec. C’est sûr que pour se faire une idée du lexique favori de Philippe Muray, l’ouvrage le permet. Sommaire, mais une idée. Première approche, quoi. A l’article « absent », inaugural, il pointe l’injonction qui est faite aux gens de participer (même à l’insu de son plein gré) à la « société du spectacle », et l’interdiction qui leur est faite de disparaître sans son aval (Kafka, je ne sais plus où, faisait de la possibilité de disparaître le dernier refuge de la liberté individuelle).

 

Il traite de l’infantilisation générale, de « l’Empire du Cœur » (qu’il appelle « cordicolisme », bon, moi, je veux bien …), de l’exigence de transparence, de Disneyland, de l’Europe, le l’ « homo festivus » et de l’ « hyperfestif », de la « post-histoire », de la modernité, de la musique (dans laquelle il voit, peut-être pas à tort, un moyen de domestication des foules, j’en ai parlé ici même en septembre 2012), de l’occultisme, des réactionnaires, de l’unification de la collectivité en un gros tas de chouettes copains, du retour en force de l’hygiénisme (rebaptisé « problème de santé publique »), et de quelques autres notions. Ce que regrettera le lecteur un peu aguerri de Philippe Muray, dans Le Portatif, c’est sa sécheresse de squelette de poisson.

MURAY ESSAIS.jpg

LE BANDEAU SURDIMENSIONNÉ SEMBLE INDIQUER QUE MURAY A TROUVÉ UN PUBLIC.

JE DIS : EH BIEN TANT MIEUX !!!

Et pour qui voudrait y aller voir de plus près, je conseille malgré tout les 1800 pages des Essais (L’Empire du Bien, Après l’histoire I et II, Exorcismes spirituels I, II, III, IV). Ça vaut largement les 33 € que ça coûte. Et pour être franc, ça se lit tout seul. C'est dans L'Empire du Bien que Philippe Muray développe les considérations qui lui permettent d'affirmer en conclusion que : « Notre société médiatique n'est pas du tout, comme on le prétend, la "forme moderne et achevée du divertissement"; c'est la figure ultime de la censure préventivement imposée ». Empêcher l'expression de savoir qu'elle pourrait devenir expression : le fin du fin en matière de totalitarisme.

 

En plus, quand on referme le livre, on se dit que la langue française et le style ont pris un bain de Jouvence.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

vendredi, 10 mai 2013

LE PORTATIF DE PHILIPPE MURAY

 

VEYRON 56 7.jpg

OUI, JE SAIS, CE N'ETAIT PAS ENCORE L'EURO

***

Ça fait une paie que je n’ai pas évoqué la haute figure de Philippe Muray. C’est regrettable : lire un peu de Philippe Muray chaque jour, c’est une excellente hygiène de l’esprit, en même temps que ça permet d’affûter la lame du regard jeté sur notre époque.

 

C’en est au point qu’au sujet de la pensée de Philippe Muray, je pourrais dire la même chose que Tonton Georges (mais lui, c’est d’une femme qu’il parle) : « Tout est bon chez elle, Y a rien à jeter ». Quoique je ne sois pas sûr qu’on puisse vraiment parler de la « pensée » de Philippe Muray. Il ne se prétendit jamais philosophe, Dieu merci. Après tout, je ne trouve rien de plus pertinent que « regard ». Un regard acéré, pour sûr.

 

Je n’ai pas lu tout Philippe Muray, juste les essais, et ses entretiens avec Elisabeth Lévy dans Festivus festivus (Fayard, 2005). Même pas tous les essais : j’ai calé, je l’avoue humblement, au bout de deux centaines de pages (sur 670) de Le 19ème siècle à travers les âges. Qu’est-ce qu’il a aussi besoin de faire bourgeonner à l’infini son cumulo-nimbus conceptuel ? La prolixité, moi, j’ai du mal. Et dans ce bouquin, s'il y a des idées proprement géniales, je n'y peux rien, la surabondance de l'expression m'intimide au point de me paralyser. Mais promis, je vais tâcher de m'y remettre.

 

En dehors de ça, je m’étais carrément régalé à la lecture du gros (1800 pages) volume publié par Les Belles Lettres, regroupant sous le titre Essais (2010) tout ce que Philippe Muray a publié dans des revues diverses et variées, articles plus ou moins développés, plus ou moins regroupés par thèmes, par dates ou par supports. Successivement, ça donne L'Empire du Bien, Après l'histoire, Exorcismes spirituels. Comme le conclut le rapport déposé par Superdupont sur la nouille française dans la Rubrique-à-brac (Marcel Gotlib, bien sûr) : « Rien que du bon : 98 %, Sel, 2 %».

NOUILLE FRANCAISE.jpg

Franchement, pour qui veut confirmer et conforter l’exécrable opinion qu’il a du « monde tel qu’il est », c’est une lecture de nécessité vitale, apte à rendre au suicidaire l’envie de retarder le geste fatal (dans le 813 de Maurice Leblanc, c’est ce qu’aura seulement réussi à faire Arsène Lupin, avec son obscur Leduc (le trop bien nommé), dont il aurait voulu poser le cul sur le prestigieux trône du grand-duché de Deux-Ponts-Veldenz).

 

Quel est le propos de Philippe Muray, pour ce que je peux en connaître ? Pour résumer et simplifier, il n’a pas un « système » à proprement parler, simplement il regarde, il écoute, il existe et il juge. Ce qu’il reproche à l’époque, c’est tout d’abord qu’il n’aime pas qu’on se paie sa tête en se payant de mots. Car on est à l’époque du bobard généralisé, du travestissement et du détournement des mots, de l’instauration du règne du langage perverti.

 

Ce qui me plaît aussi, dans la démarche de Muray, c’est qu’il refuse cette espèce de lâcheté tiédasse qui doit, paraît-il, habiller la pensée de tout universitaire qui se respecte : Muray n’est pas de ces « intellos » qui développent à n’en plus finir des argumentaires spécieux et interminables pour montrer qu’ils ont examiné la question sous toutes les coutures, et décider de ne rien décider tout en s’efforçant d’entortiller un peu de fantôme de réalité dans l’inextricable réseau de lianes de leurs raisonnements ou dans le serpentin labyrinthique de l’alambic de leurs systèmes abstrus.

 

Philippe Muray ne consent pas : il existe.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

jeudi, 09 mai 2013

VIVE MONSIEUR LE MAIRE ! (2/2)

 

 

SENEGAL.jpg

 

***

 

Alors le maire de Champignac ? Oh, j’imagine bien que c’est un homme politique bien connu, et sans doute célèbre. Mais en est-on bien sûr ? En particulier, trouve-t-on le texte exact de ses discours ? Vus sous un certain angle, ils valent bien en effet certains de ceux que prononça en son temps un autrement célèbre personnage, à la fois Général et Président.

 

Il est vrai que celui-ci ne trouvait d’autre rival à sa hauteur qu’un petit reporter à houppe et à chien blanc, dessiné par un adepte de la « ligne claire ». Mais regardez voir, si Franquin, sans ligne claire, n'a pas parfaitement compris la physionomie modeste que se doit de présenter en public un homme politique digne des moeurs en vigueur.

BOUDDAHS1.jpg

BOUDDAHS3.jpg

BOUDDAHS4.jpg

 

BOUDDAHS5.jpg

J’ai donné hier le discours de l’avocat du sapeur Camember (début 20ème siècle) et d’un maire de petite commune rurale (milieu du même siècle), pour introduire ces bijoux de création verbale que sont « les discours du maire de Champignac ». Je ne sais pas qui a imaginé le premier de mettre images et fleurs de rhétorique dans des autos tamponneuses et de les faire se percuter à qui mieux-mieux (Franquin lui-même, Jidéhem, Greg ?), toujours est-il que le résultat est hautement délectable. A voir sa gueule horriblement cabossée, la métaphore ne s'en est pas encore remise.

MESOZ1.jpg

MESOZ2.jpg

ET PUIS, APRES LE PASSAGE DE LA BÊTE, ON ASSISTE A UN PETIT RETOURNEMENT DE VESTE

MESOZ3.jpg

MESOZ4.jpg

Je me contente ici de ceux qu’on trouve dans trois albums : Le Voyageur du mésozoïque, Le Prisonnier du Bouddah et Z comme Zorglub. Le premier raconte l’éclosion d’un œuf de platéosaurus âgé de 50 millions d’années, de la croissance accidentellement accélérée de l’animal et des dégâts qu’il commet dans la petite ville de Champignac. Accessoirement – mais ça nous entraînerait trop loin –, on découvre toute la « sympathie » dans laquelle le comte de Champignac tient les promoteurs de la bombe atomique, et le professeur Sprtschk en particulier. 

ZORGLUB2.jpg

ZORGLUB3.jpg

ZORGLUB4.jpg

ZORGLUB5.jpg

Le deuxième raconte l’expédition en Chine de Spirou et Fantasio, pour libérer des communistes un savant américain, inventeur (avec un collègue russe) du « Générateur Atomique Gamma » (autrement dit le G.A.G. !!!), qui annule la loi de la gravitation. Le troisième raconte l’histoire du conflit qui oppose le clan du comte au néfaste Zorglub, personnage qui tient autant du génie scientifique que du savant fou, et que les amis s’efforcent de rendre inoffensif.

 

Voilà, en ajoutant la présente note à celle d’hier, le lecteur peut se faire une idée d’une des nombreuses tendances qui agitent le monde de l’humour (parfois involontaire) : le délire rhétorique.

 

Faites valser les figures de style ! Dans le shaker, les tropes ! Et vive la vie qui va !

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 08 mai 2013

VIVE MONSIEUR LE MAIRE ! (1/2)

 

PRATT 4 1.jpg

LOTUS TÊTE.jpg

DU RÉEL À LA FICTION, OU L'INVERSE ?

 

***

 

Qu'on ne s'y trompe pas et qu'on se rassure sur le titre de ce billet, où il ne sera aucunement question de notre « grand-maire» de Lyon : je m'en voudrais de consacrer à Monsieur Gérard Collomb autre chose que la fourberie d'insinuations passagères, l'acidité d'allusions fugaces et la sournoiserie d'incidentes moqueuses.

BOUDDAHS 2.jpg

HOMMAGE A UN AUTRE "MICHEL AUDIARD" DE LA BD : ANDRÉ FRANQUIN

Mais je m’en voudrais aussi de revenir à des sujets plus « sérieux » que la BD (si ça me prenait, on ne sait jamais, le pire n’est pas toujours sûr, mais au fond du fond, qu’est-ce qui est vraiment « sérieux » dans la vie ?) sans aller m’incliner devant un monument du genre, où se conjuguent allégrement l’expressivité virtuose du trait, la typicité compacte et repérable de loin du personnage et l’invention verbale la plus débridée. Je veux parler de Sa Majesté : ANDRÉ FRANQUIN (Gaston, Spirou, Idées Noires, Trombone, Slowburn, …).

BD FRANQUIN.jpg

Je veux, aussi et avant tout, parler du maire de Champignac : le seul homme politique que je connaisse qui n’ait sa langue ni en bois ni dans sa poche ; le seul homme politique qui fasse passer dans la noblesse de son verbe la hauteur de ses vues et de ses ambitions. 

Mais avant d’en venir au plat de résistance, il est nécessaire de dresser un bref historique de l’éloquence oratoire, qu’elle soit municipale ou judiciaire. Le paradis terrestre de l’éloquence oratoire ne date pas de Périclès, encore moins de Cicéron. 

CAMEMBER COUVERTURE.jpg

Il remonte à « Christophe », le facétieux Georges Colomb qui dessina et écrivit « pour se désennuyer un peu » (citation de qui, dites voir un peu ? Allez, je vous aide, c’est quelqu’un qui parle de quelqu'un qui « joue à bousculer les roses ») les aventures du preux « Sapeur Camember », prénommé François-Baptiste-Ephraïm, né à Gleux-lès-Lure (Saône-Supérieure) un des vingt-cinq 29 février du 19èmesiècle, en 1844.

CAMEMBER 1.jpg

CAMEMBER 2.jpg

CAMEMBER 3.jpg

MAÎTRE BAFOUILLET, DANS SES OEUVRES

Le derrière du major Mauve a été heurté malencontreusement par le pied de Camember, qui passe en Conseil de guerre pour outrage à supérieur. Inutile de dire que ça date d'une époque où les hiérarchies étaient respectées. L’avocat s’appelle Bafouillet, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne bafouille pas (pardon !).

 

Après les fleurs de rhétorique de Maître Bafouillet, il convient de ne pas oublier le talent déployé par l’officier municipal – malheureusement anonyme – d’une petite commune du centre de la France, lors des épousailles de deux de ses administrés. Observons que lui aussi sait travailler le bois de la langue dans la dégauchisseuse d’un style aux accents de terroir que la télévision parisienne a définitivement éradiqué. Voici la chose (c'est une petit extrait).

CAMEMBER 4.jpg

IL FAUDRAIT DIRE A CE MAIRE EPOUVANTABLEMENT REACTIONNAIRE QUE LES INSTITUTIONS (MARIAGE, ...) EVOLUENT,

ET QUE ÇA S'APPELLE LE PROGRÈS, NOM DE DIEU ! DEPUIS QUAND LE MARIAGE SE REDUIT-IL A L'UNION D'UN HOMME ET D'UNE FEMME ?

Moi qui ai gardé dans l’oreille les intonations de Léon C., bande dessinée,tintin,christophe,sapeur camember,georges colomb,peine de mort,chine,décapitation,franquin,spirou et fantasio,gérard collomb,art oratoiredésormais disparu, quand il parlait son patois du Dauphiné avec ses amis du village, je me permets de regretter amèrement de ne plus pouvoir entendre pareille musique. J’entends encore tout ce qu’on y a perdu.

 

Enfin, ces discours de bandes dessinées hauts en couleur, je trouve que ce n'est pas mauvais, comme mise en bouche.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mardi, 07 mai 2013

UN MICHEL AUDIARD DE LA BD

 

VOITURE 2.jpg

AH, LE BRAVE PANDORE ! ON LE TROUVE DANS LES CARGOS DU CREPUSCULE.

(A propos de pandores : "Moi je bichais, car je les adore Sous la forme de macchabées", c'est de ?)

C’est bien connu, pour faire une bonne chanson, le plus important, c’est l’adéquation entre, d’une part, ce que raconte le texte et, d’autre part, la musique qui l'enrobe. Dit autrement, il faut que le propos épouse intimement les moyens mis en œuvre pour le transmettre. 

VOITURE 1.jpg

UN "BOBBY" COMME ON N'EN FAIT PLUS, FACE A UN VRAI BANDIT

(Admirons le contre-jour bien londonien de Maurice Tillieux.)

Tout le monde le sait : il n’existe pas de recette pour cela. Ça tient plutôt du bricolage alchimique. Inutile de dire que ça ne se rencontre pas tous les jours. C’est l’exception. On peut même dire que ça tient du miracle.

XIQUE 2.jpg

XIQUE 3.jpg

GIL JOURDAN, LIBELLULE ET L'HÔTELIER STUPEFAIT

Par exemple, Georges Brassens était capable d’attendre des années avant d’être pleinement satisfait. Au point qu’Antoine Pol, l’auteur du texte de la belle chanson Les Passantes, lui demanda en vain de la lui faire entendre, et mourut (en 1971) sans la connaître, juste parce qu’elle n’était pas encore tout à fait au point aux yeux du musicien. Brassens en conçut du remords, paraît-il.

 

Au cinéma, c’est pareil. Prenez Les Tontons flingueurs. On peut se demander pourquoi il y a encore aujourd’hui plein de gens qui connaissent les dialogues par cœur, et qui vous sortent au débotté : « La bave du crapaud n’empêche pas la caravane de passer » ou : « Quand le lion est mort, les chacals se disputent l’empire ». Ça veut juste dire que Les Tontons flingueurs en sont un, de miracle. 

 

Dans la Bande Dessinée, c’est le même tabac. J’ai parlé de Silence, de Didier Comès, un OVNI. La BD, c’est un peu comme le cinéma : ce qui compte, c’est l’ensemble. Une bonne histoire, un beau trait, des dialogues pour faire mousser, et c’est dans la poche. 

 

Et parfois, dans ces réussites de la BD, émerge – comme un pic au-dessus de la mer de nuages – LA réplique. Celle qui fait mouche. Qu’on se le dise, il n’y a pas que Michel Audiard dans la vie, avec son inépuisable : « Les cons, ça ose tout, etc. ».

 

CELEBRATION 3.jpgJe voudrais ici offrir une de ces célébrations (ci-contre) dont l’éditeur Robert Morel s’était fait le héros, le héraut et le champion, une célébration autour de quelques vignettes mémorables qui méritent, pour cette raison, de passer à la postérité, agrandies, encadrées dans du doré mouluré, suspendues au mur du salon en vue de contemplations béates au long des soiréesCELEBRATION RM.jpg d’hiver, pour la satisfaction de l’âme et l’hygiène de l’esprit.

 

Je donnerai ici un coup de chapeau à Maurice Tillieux, le virtuose de l’accident de voiture, dont le crayon a engendré Gil Jourdan. Gil Jourdan en soi est totalement inintéressant, c’est le détective privé impavide, le chevalier sans peur et sans reproche, au brushing et au nœud papillon aussi impeccables après qu’avant la bagarre.

 

Il serait d’une fadeur insondable, si Tillieux n’avait eu l’idée de lui adjoindre Libellule, le cambrioleur (par ailleurs spécialiste du « calembour bon ») qui ouvre un coffre-fort rien qu’en le regardant ou en soufflant dessus, et surtout l’inspecteur Crouton, l’inénarrable policier à la moustache improbable. 

POPAÏNE 1.jpg

FRANCHEMENT, EST-CE QUE ÇA NE VAUT PAS LE MEILLEUR AUDIARD ?

Dans le premier épisode, Libellule s’évade, Crouton a coffré Libellule, mais Jourdan le fait évader pour ouvrir le coffre d’un gros trafiquant. Crouton se lance à sa poursuite, mais au détour d’un chantier, il atterrit dans un fût de goudron, ce qui nécessitera une vingtaine de kilos de beurre pour nettoyer le costume, et lui attirera le mépris de la hiérarchie. Cela pour mettre en appétit.

POPAÏNE 2.jpg

Crouton sera à plusieurs reprises le porte-parole de l’Esprit en personne. Dans le même épisode, par exemple, il doit s’embarquer pour l’Italie, pour surveiller un trafiquant de drogue, et voici ce que ça donne.

POPAÏNE 3.jpg

Sur le « Volturno », il a bien du mal à se faire prendre au sérieux (c'est pour être gentil) : lancé dans sa poursuite, après avoir bousculé quelques passagers, il est confronté au « pacha », ce qui permet à Tillieux de livrer quelques pépites. 

POPAÏNE 5.jpg

PERSONNELLEMENT, C'EST LA REPLIQUE DE LA DAME QUE JE PRÉFÈRE

Dans L’Enfer de Xique-Xique, il se propose de cambrioler la « Légation de Massacara », mais il « tombe » mal, comme on le voit.

XIQUE 1.jpg

Mais Tillieux ne confie pas ses pépites au seul Crouton. Les militaires du Massacara ne sont pas oubliés dans la distribution des répliques, que ce soit lors du « procès » qui envoie les héros au bagne ou lorsque le capitaine, coupable d’une remarque désobligeante sur son président (à propos des gaz hilarants), s’y fait lui-même envoyer.

XIQUE 5.jpg

IL FAUT DIRE QUE "LIBELLULE" (ALIAS DE GEORGES PAPIGNOLLES) A ABSORBÉ DU GAZ HILARANT, NORMALEMENT RÉSERVÉ AU PUBLIC ASSISTANT AUX DISCOURS DU PRESIDENT BIEN-AIMÉ

J’ai donné à la présente note la solide escorte de vignettes à retenir, tirées principalement de Libellule s’évade, Popaïne et vieux tableaux, La Voiture immergée et L’Enfer de Xique-Xique. Une mention spéciale, cependant, pour la réplique du gendarme des Cargos du crépuscule, proposée en ouverture.

XIQUE 6.jpg

Faire du Michel Audiard, ça peut être jouissif, mais il ne faut pas oublier que Maurice Tillieux, en plus, fait les dessins. Alors franchement, Monsieur Tillieux, merci pour tout.

 

Voilà ce que je dis, moi.