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lundi, 06 mai 2013

DE "SILENCE" A "LA BELETTE"

 

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***

 

L’histoire de La Belette ? Il y en a plusieurs. Le père Renard est à la recherche du trésor que Théophile a patiemment accumulé, et qu’il a forcément planqué quelque part dans la maison, d’où des incursions discrètes à des moments divers. Manque de pot, le curé lui révèlera que Théo a tout légué à une société spirite : c'est bien la peine de se casser le cul à jeter des sorts pour pousser au suicide.

 

Hermann, l’Allemand toujours rejeté par les villageois, ne se console pas du suicide de son ami, un geste qui ne lui ressemble pas. Il brûle de se faire inviter dans la maison pour entrer en communication avec l’esprit de Théophile et avoir  le fin mot de l’histoire.

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NON, CE N'EST PAS LE CURÉ DE CAMARET,

MAIS LE "SORCIER" DE LA GROTTE, DESSINÉ PAR COMÈS

Les praticiens de la « vieille religion », Noël et sa fille, surnommée "La Belette", s’efforcent de la perpétuer en faisant de nouveaux adeptes. Pourquoi n’initieraient-ils pas le jeune autiste, qui leur semble très différent (sacralisation du paria), et entouré d'une aura de mystère qui leur ressemble ?

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L'ORIGINAL "SORCIER" DU SANCTUAIRE DE LA GROTTE DES "TROIS FRERES", ARIEGE

Quand au curé, il redoute d’être bientôt obligé de dire la messe pour lui tout seul. Aussi est-il prêt à tout pour amadouer et séduire des fidèles potentiels, quitte à utiliser les grands moyens pour faire revenir les « brebis égarées » au sein de « notre sainte mère l’Eglise ».

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LE "VENTRE-A-VENTRE" DE LA FUTURE MÈRE AVEC LA "MÈRE" PRIMORDIALE

LESPUGUE 1.jpgLa « vieille religion » se pratique en deux endroits : le fond d’une caverne avec une peinture rupestre, un « sorcier » (voir plus haut) emprunté à la grotte des « Trois Frères », dans l’Ariège ; en terrain dégagé, un cercle délimité par huit menhirs, au centre duquel se dresse une « Vénus de Lespugue », une « mère » auprès de laquelle elle se sent en sécurité.

 

La trouvaille de Comès, c'est de l'avoir faite géante (la vraie mesure 14,7 cm, pas un mm de plus, elle vient de Haute-Garonne et remonte, comme le "sorcier", au paléolithique supérieur, autour de 20.000 ans avant nous, ci-contre de 3/4 face, et ci-dessous, de 4/4 fesses). Cela prouve au moins que Comès et votre serviteur sont des gens sérieux, et qu'ils ne négligent rien quand il s'agit d'exactitude et de précision.

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LA VRAIE (ET ADMIRABLE) "VENUS DE LESPUGUE" : C'EST DE L' IVOIRE DE MAMMOUTH

La Parisienne, qui se rend compte que « quelque chose » se produit en Pierre au contact de ces gens bizarres (contre toute attente, après son BEL34.jpginitiation, il parle enfin), finit par se rapprocher de la Belette, au point qu’elle reprendra son rôle quand la chouette (« oiseau de malheur », je crois bien que c'est une chevêche) dans laquelle elle s’était réincarnée aura été abattue par le père Renard.BEL37.jpg Ajoutons que Pierre semble bientôt doté de mystérieux pouvoirs (il assomme sa mère en mouvant un cendrier par la seule force de son esprit, puis il efface avec les mains la grave brûlure qu'elle s'est faite à cause de lui).

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Quant à Hermann, croyant n’avoir rien obtenu après la séance de spiritisme dans la maison d’Hippolyte, il se suicide avec sa dague d’ancien SS. En réalité, l’esprit du mort est bien venu, mais l’ectoplasme de sa main est sorti de la bouche de Pierre endormi, et a indiqué à Anne la planche sous laquelle elle trouvera une des réponses à ses questions. 

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L'ECTOPLASME

Anne montre au curé la poupée au cou ficelé et la photo de l’envoûtement (qu'elle a trouvées sous la planche désignée). Il la met en garde contre les « mauvaises influences » et compte bien baptiser le petit qu’elle porte quand il sera né. En attendant, il brûle ces objets du diable. Disons qu’entre 1 - le curé catholique, 2 - les envoûteurs et autres sorciers, 3 - les amis adeptes du spiritisme et 4 - ceux de la « vieille religion », ça finit par faire beaucoup pour un seul livre. Comès a sans doute voulu faire un concentré de croyances, mais ça sent la surcharge. Et « surcharger » est de la même famille que « caricaturer ».  

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Bon, abrégeons : le fils Renard, à gueule de gnome, qui passait son temps à reluquer la Parisienne quand elle était à poil, sera noyé par le curé dans la fosse à purin (et pan pour la luxure !). Noël, le père de la Belette, subira, de la part du même prêtre si charitable, un coup de masse fatal, on le retrouvera sous une masse de rochers en bas de la carrière (et pan pour les superstitions !). Deux à zéro pour le curé.

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ON SE RASSURE EN SE DISANT QUE, SI CE CURÉ-LÀ NE MANQUE PAS DE POIGNE, IL N'A RIEN D'UN PEDOPHILE

Mais la Belette a devinéBEL54.jpg (ci-contre, croa-croa) qui était l’assassin. Déguisée en chouette, elle empêchera le prêtre Noël (si !) de tuer la future mère. Ecervelée, elle lui avait déclaré qu’elle se mettait sous la protection de Déméter, la « Mère », le jetant dans une fureur homicide. Et finalement, c’est lui qui y passe. Bien fait, tiens !

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Pour conclure, donc, des personnages aux traits et aux caractères tranchés jusqu’à la caricature. Le roman (il faut bien parler de roman) est construit de façon plus sommaire que Silence, se contentant de faire croître les péripéties en intensité du début à la fin, plutôt que de ménager, tout au long de l’action, des changements de points de vue. L’ensemble est efficace, c’est sûr, mais bon, Comès a peut-être voulu surfer sur le coup de foudre qu'avait été Silence

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D'ACCORD, ÇA FINIT ASSEZ NUNUCHE, MAIS REGARDEZ AUJOURD'HUI TOUTES LES "MAMANS" QUI SE BALADENT AVEC LEUR MERDEUX SUR LE BIDE

On est quand même un peu surpris que la morale de l’histoire fasse triompher la « vieille religion », toutes les autres croyances ayant échoué ou failli. La régression massive dans le sein de Déméter (étym. la « Mère des peuples »), vieille divinité grecque et néanmoins primitive, que semble recommander Comès, si elle résulte d’un bon diagnostic sur la faillite de la civilisation « spectaculaire-marchande » (Guy Debord), ne me semble à moi rien augurer de bon pour l’humanité.

 

On me dira de ne pas confondre le réel et le fictif. Bien sûr, mais quand on regarde le réel aujourd'hui, on se dit que Didier Comès, en 1981, n'avait pas que des fantasmes, loin de là.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 05 mai 2013

DE "SILENCE" A "LA BELETTE"

 

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J’ai fait l’éloge, récemment, de Didier Comès, qui vient de disparaître.COUVERTURE.jpg Un artiste du noir et blanc, du roman, de la bande dessinée, des Ardennes et de la tragédie réunis. Comme carte de visite, il y a pire. Donc j’ai baratiné en l’honneur du chef d’œuvre paru autrefois dans la revueA SUIVRE.jpg intitulé Silence. Belle histoire tragique, quoique rurale (ah, la campagne, la vie au grand air, les oiseaux, les fleurs !), superbement construite, découpée et dessinée. 

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Du coup, j’ai eu envie de remettre le nez dans le bouquin suivant, La Belette, et bien m'en a pris. Sans atteindre le degré « chimiquement pur » de Silence, La Belette reste du bon et du beau, et même du très bon et très beau, grâce au splendide équilibre maintenu entre le propos de l’histoire et les moyens mis en œuvre pour la raconter.

 

Si je mets un bémol à mon enthousiasme, c’est d’abord qu’on retrouve un « schéma narratif » un peu calqué sur le précédent, quoique différent par plusieurs aspects : le rôle de Silence est tenu par Pierre qui, ici, a deux parents (du bien classique des anciens temps du mariage : un papa et une maman), mais qui est atteint d’autisme. 

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On retrouve la sorcellerie, par le biais d’un vieil envoûtement qui a conduit Théophile au suicide et qui hante la maison achetée par le couple de Parigots-têtes-de-veau. Mais l’auteur a ajouté à cette « tradition » la très vieille religion de Déméter, représentée par la Belette et son père, qui organisent des cérémonies dans un site préhistorique (un cercle de menhirs) au centre duquel trône une "statue de la déesse" (j'en parlerai mieux demain). Ils se déguisent en cerf et hibou.

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On retrouve le curé, mais cette fois, il ne fait pas une minuscule apparition, il occupe la place d’un vrai personnage central, qui figure même « l’Axe du Mal » à lui tout seul. Le Mal incarné par un curé : on aura tout vu. On retrouve évidemment les paysages des Ardennes, entre campagne et forêts, où se baladent toujours en suspension des feuilles mortes, sans doute pour figurer le vent qui souffle, mais qui cette fois font un peu trop « décor ».

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 On retrouve la paysannerie à travers les figures du père Renard et de son fils, magnifiques têtes d’épouvantails (ci-dessus), celle redoutable du père, et celle du fils, de vrai dégénéré, obsédé par le sexe. Mais Comès innove en inventant le personnage de Hermann, un ancien de la Waffen SS qui, blessé lors de la guerre, a été soigné et sauvé par Théophile : une solide amitié est née, qui s’est cristallisée autour de la pratique du spiritisme (cela rappelle « Le Mage » dans Silence).

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Arrive dans ce paysage le couple d’acheteurs parisiens de la maison de feu Théophile, nanti de Pierre, le fils autiste. A l'époque du bouquin, on ne disait pas encore "bobos". Gérald, arrogant, imbu de son importance, travaille pour la télévision, et se fiche éperdument des « locaux » : ici ou ailleurs, il apporte son monde avec lui. C’est un sale con, qui ne sait même pas faire la différence entre une chèvre et un bouc (déjà des problèmes de "genre", v'rendez compte !). 

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Anne, a priori bonne épouse et enceinte du deuxième, éprouve un vif sentiment de culpabilité pour ne pas s’être assez occupée (pense-t-elle) de son fils quand il aurait fallu et qui se désole qu’il ne parle pas. Pierre est un grand et bel adolescent qui, à table, a un comportement de trois ans : il en met partout, et prend plaisir à plonger un Dupon(dt) dans sa bouillie.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

samedi, 04 mai 2013

THE BEATLES AT WORK (fin)

Entendons-nous bien : ce que j’aime, chez les Beatles, c’est la musique qu’ils font. Il se trouve que les bonshommes qui la font sont ce qu’ils sont. Il ne me viendrait pas à l’esprit, je ne sais pas, de collectionner les moindres vinyles pirates ou, encore pire, d’acheter ce qu’on appelle les « produits dérivés », des « Pixi » ou je ne sais quoi d’autre.

 

Qu’il s’agisse de Paul Anka (qui se souvient de Paul Anka ?) ou des Beatles, j’ai toujours trouvé hallucinant qu’on puisse s’arracher les cheveux ou se griffer le visage par ferveur et adoration envers des « idoles », comme le faisaient les filles qui attendaient les Beatles à l’aéroport. Certains diront : « C’est juste des femmes. L'hystérie, ça les regarde ». Disons que, si l’on parle des Beatles, j’aime leur œuvre (je crois qu’en effet, on peut parler d’une « œuvre » des Beatles), pas l’image qu’ils donnent de leur personne. Encore moins leurs personnes. D'ailleurs, ils sont trop riches (tout au moins ceux qui ne sont pas morts).

 


 

 Il y a d’autres chansons que Rain qui me « parlent » de façon singulière. I Am the walrus (Je suis le morse) est de celles-ci. Lennon la construit autour de glissandos et d’une oscillation harmonique d’un demi-ton (do#-ré) qui donnent à l’auditeur l’impression de tanguer dans une embarcation bizarre un jour de houle. La structure musicale est obsessionnelle, une montée / descente perpétuelle contenant tous les accords majeurs naturels. Un sacré pied de nez en même temps que l'indécision et l'ambiguïté d'une trajectoire d'ivrogne.

 

Quant au texte, en dehors d’être bourré de résidus de suites de prises de LSD, il culbute d’un seul geste les souvenirs d’adolescence, la charge héroïque contre les institutions et le goût immodéré pour les jongleries surréalistes et nonsensiques. Résultat : c’est du très bon. Great stuff, déclare le client au chimiste, quand il tombe sur de la came de première, et qu’il allonge l’oseille sans barguigner.

 

Il faut être un brin inspiré pour écrire : « Yellow matter custard dripping from a dead dog's eye » (matière jaune, crème anglaise dégoulinant de l’œil d'un chien mort). Même si c'est inspiré d'une ancienne comptine, ça en jette, comme l’œil coupé au rasoir dans Un Chien andalou, de Luis Bunuel. C'est dans cette même chanson qu'on trouve ceci : « Mister City p'liceman sitting pretty little p'licemen in a row. See how they fly like Lucy in the sky » : visiblement, Lennon ne porte pas les forces de l'ordre dans son coeur.

 

C'est sûr, pour parler des Fab Four, que Lennon ne serait rien sans McCartney, et vice versa. Mais franchement, John me semble plus intéressant que Paul. Pour la raison que Paul est extraverti, indécrottablement positif, agaçant, pour tout dire. Après les Beatles, la première chose qu'il fait, c'est Ram : une collecte de chansonnettes sans autre portée que divertissante. Il n'est pas compliqué, Paul.

 

John, c'est un autre café. La première chose qu'il fait après, c'est Imagine. Pas seulement la chanson (tout à fait bien, avec sa litanie de "I don't believe", non, mes excuses, c'est à la fin de "God" : "I don't believe in Beatles, I just believe in me, Yoko and me"), mais tout le disque. Sans doute un problème de droits, puisque la chanson a été virée du disque (si j'ai bien compris), lui-même rebaptisé Plastic Ono Band, et qu'Imagine est devenu une compilation sans charme, et sans l'indispensable Working class hero. Il y a du Yoko Ono là-dessous. Bref, ce disque, aux arrangements sobres jusqu'à l'austérité, est bien plus personnel et innovant que Ram, très conventionnel et conformiste au fond.

 


 

Pour revenir à Lucy, on peut noter en passant que l’emblème médiatique du LSD –Lucy in the Sky with Diamonds, qui donna par-dessus le marché son prénom à notre ancêtre de 3,4 millions d’années – fut conçu par John Lennon à partir d’un dessin au pastel de son fils Julian, âgé de 4 ans, et que l’auteur fut étonné après coup, quand tout le monde y vit la preuve d’une dévotion au Diéthylamide de l’acide lysergique. Ce que tout le monde a pris pour un message, voire un hymne, était en réalité tout à fait fortuit. Je ne sais pas pourquoi, mais j'aime bien ces malentendus.

 

C'est l’inconscient, aurait peut-être dit papa Freud. J’ai parfois un petit retour de flamme à l’endroit des surréalistes, quand je me dis qu’ils étaient à même d’atteindre les nirvanas de l’imaginaire par le seul biais de l’écriture automatique, c’est-à-dire sans adjuvants. Mais à cet égard, c’est sûr qu’on n’est sûr de rien, d'autant que dans les résultats de l'écriture automatique, il y a autant de purée à chier que de chou à manger (la formule vient de Rabelais). La facilité avec laquelle Robert Desnos tombait en état de sommeil hypnotique pour produire les jeux de mots de Rrose Sélavy et de Langage cuit (je crois que c'est dans Corps et biens) était peut-être elle-même facilitée.

 

J’exagérerai sans doute si je dis que le peu d’italien qui m’est entré dans le ciboulot, je le dois aux opéras de Mozart (je suis resté ignare en italien, n’est-ce pas, R. ?) ; j’exagère beaucoup moins en soutenant que le peu d’anglais que j’aie gravé quelque part est dû aux Beatles. Plus précisément à Sgt Pepper’s …, pour l’excellente raison que les paroles étaient imprimées au dos.

 

M. T., professeur d’anglais qui faisait dormir son chien dans son lit (en tout bien tout honneur, enfin je crois) et qui cultivait dans sa classe un lierre tellement magnifique qu'il avait tout envahi, avait tout compris du révolutionnaire de cette méthode pédagogique, lui qui faisait apprendre par cœur les chansons de Boy George. Je ne suis néanmoins pas sûr que le niveau de langue auquel il parvenait à hisser ses élèves fût meilleur pour autant, mais je ne connais pas assez les textes de Boy George pour en jurer.

 

A vrai dire, je me fiche pas mal de savoir pour quelles raisons sûrement très savantes les Beatles ont ainsi régné sur toute la pop music pendant aussi longtemps.

 

Je sais juste que, à un niveau et à un titre différents de Georges Brassens, j’ai respiré Beatles assez durablement et profusément. Il est donc presque naturel que j'en aie l'épiderme et l'odorat définitivement imprégnés, et que les pores de ma peau en exsudent par bouffées et par intermittences quelque fragrance voluptueuse. Que les rétifs me pardonnent, s'ils peuvent.

 

S'ils ne peuvent pas, on fera comme j'ai dit.

 

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 03 mai 2013

THE BEATLES AT WORK

Les Beatles ont donc inventé un univers sonore qui, qu’on le veuille ou non, s’est imposé. Une façon nouvelle d’envisager le monde. Une façon que le LSD (en compagnie d’autres substances relativement fortes en effets divers sur la perception et la conscience) a alimentée sans désemparer.  Le tout, quand on écoute la musique produite dans ces conditions, c’est de ne jamais oublier que celles-ci furent le plus souvent chimiques. Histoire de garder un minimum de lucidité sur les effets sensoriels produits, et de ne jamais oublier de quelle tanière les succès sont sortis.

 


 

C’est vrai, par exemple, que l'extraordinaire chanson Rain (1966) donne à entendre, en termes de timbres et d’harmonies principalement, quelque chose de nouveau. Il ne faut cependant pas oublier que ce nouveau-là résulte de visions obtenues par l’effet de l'acide D-lysergique, mais que les formes audibles auxquelles elles ont donné naissance ont été mises en forme dans l’élan d’un acte volontaire et parfaitement conscient.

 

Les poèmes qui viennent au buveur sont magnifiques à celui qui boit, pas à ceux qui l’écoutent. La plupart du temps, l’ivrogne arrive tout juste à bredouiller ou à délirer. Et à faire chier le monde qui l'entoure. Et quand Milton « Mezz » Mezzrow fume de la marijuana de première bourre avant de souffler dans son « biniou » (clarinette), le son qu’il produit n’est extraordinaire qu’à l’intérieur de son crâne. On n’a pas de témoignage des clients de la boîte où il a joué dans cet état (à Chicago ou New York, je ne sais plus, au début des années 1930). Je note : ne pas oublier de relire La Rage de vivre.

 

Henri Michaux a écrit sous mescaline ? Et alors ? Est-ce que ce sont des chefs d’œuvre ? Ça se discute âprement. De toute façon, qui aujourd’hui est en mesure de dire ce que c’est, un chef d’œuvre ? Personne. Il n’y a plus aucune autorité supérieure pour le décréter, et chacun est renvoyé à son bon plaisir. On a perdu la recette du langage commun qui permettrait d’en décider. Il est interdit de dire : « C’est nul ! » ou : « C’est génial ! ». La loi imposera bientôt de s’en tenir à : « J’aime ! » ou : « J’aime pas ! ». Il y aura un ministère ou un maxistère pour faire respecter le décret. C’est le Progrès, paraît-il. D’abord l’individu !!!

 

La musique des Beatles résulte peut-être d’expériences « psychédéliques » (pour dire LSD et tout ce qui s’ensuit), elle n’en est pas moins une construction parfaitement élaborée et consciente. Et si les sons ainsi obtenus entrent dans l’esprit et dans la mémoire comme dans du beurre, c’est pour des raisons peut-être en partie chimiques, mais aussi autres que chimiques. Enfin, j’espère. Je n'aimerais pas que les "cognivistes" gagnent la partie. On devine pourquoi.

 

Il serait en revanche intéressant d’étudier le rapport entre les substances ingérées par les artistes et le chiffre des ventes de leurs disques. Avis aux statisticiens : de quoi faire une belle étude épidémiologique. Car si les compteurs explosaient proportionnellement aux doses absorbées par les musiciens, cela jetterait une drôle de lumière sur l’état nerveux et mental des foules de fans qui fabriquent leur succès et leur apportent la fortune.

 

Pour comprendre l’effet sidérant de certaines chansons des Beatles, il faut aller trifouiller dans les bidouillages de studio auxquels l’équipe d’enregistrement se livrait avec jubilation, en rivalisant d'ingéniosité. Prenez Rain, par exemple. Pour arriver au son du disque, on commence par enregistrer la piste-témoin à un tempo plus rapide, ensuite on ralentit pour faire baisser à peu près d’un ton. Cela entraîne une altération des fréquences instrumentales.

 

Je passe sur quelques menus détails, comme le minutieux travail de re-recording et de bouncing. Toujours est-il qu'on arrive à une texture métallique et saturée avec, au centre, la basse de Paul McCartney, poussée en avant à la table de mixage. Ensuite, vous triturez les parties vocales, en particulier au « varispeed », vous les frottez (impression de dissonance) entre elles, alors que la pédale de sol, façon bourdon, reste imperturbable face au do majeur des guitares.

 

Moralité, pour faire une bonne chanson, certes, il faut que l’imagination musicale du héros ait du talent, mais il faut en plus s’entourer de musiciens avertis, ainsi que d’une batterie de techniciens et d’ingénieurs du son qui s’y connaissent dans le maniement des machines. Quand tout ça est réuni et qu’au surplus, tout ce petit monde fait partie de l’élite des bidouilleurs, il n’y a pas de raison que ça ne marche pas.

 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 02 mai 2013

THE BEATLES AT WORK

Eh bien, je réponds : « Les deux, mon général ». Mais quelle était la question, au fait ? Ah oui : « Êtes-vous plutôt Beatles ou plutôt Rolling Stones ? ». Ah bon ? Encore ces vieilles lunes ? Je croyais que c’était dépassé depuis lurette. Encore une fois, il faut de tout pour faire un monde.

 

Vous voulez la belle tradition du blues, du blues bien gras, bien « roots » ? Avec le son électrique sale et les idées dégénérées de la génération « moderne » ? Mais vous ne voulez pas perdre de vue le génie des bricolages sonores qui ont révolutionné la musique populaire des quarante dernières années du 20ème siècle ? Vous voyez bien que vous êtes obligé de répondre : « Les deux, mon général ».

 

Aujourd’hui, on se contentera des Beatles. Et l’on ne peut pas laisser colporter la légende tenace selon laquelle les Beatles ont tué Brian Wilson, l’âme des Beach Boys. C’est injuste : ils l’ont juste envoyé à l’asile de fous. C'est authentique : quand Wilson a entendu Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band, il a fallu l’hospitaliser pendant vingt ans. Remarquez qu’il avait absorbé assez de substances fortes pour virer barjo sans l’aide de personne.

 


 

Une indication qu’il était bien « barré », c’est que les musiciens de l’orchestre symphonique, qu’il avait embauchés pour enregistrer une partie de la future « apothéose » musicale (Smile), furent sommés de se coiffer de casques de pompiers. Ceci pour l’anecdote. Brian Wilson n’aura jamais fait mieux que Good vibrations. Ce qui, après tout, n’est pas si mal.

 

Je préfère quant à moi le vocalement sublime et superbement ciselé Heroes and villains, que je trouve supérieur, à cause de l'invincible goût de revenez-y que procure cette chanson sans aucune redite, et qui joue les volutes de fumée dans un air dont on voudrait bien saisir le parfum exact, mais fuyant. Une perfection dans le précaire : ça avance sans arrêt alors que l'auditeur voudrait bien s'attarder, lui. Un chef d'oeuvre méconnu de Brian Wilson.

 

Il reste que les Beatles ont tué la pop music de la fin du 20èmesiècle. Personne ne s’en est remis. C’en est au point que les recettes qu’ils ont concoctées, chanson après chanson, se retrouvent encore aujourd’hui dans les airs à succès. C’est dire que les Beatles ont façonné les oreilles de pas mal de gens. Et ce n’est pas fini. Et ce ne sont pas les tripatouillages électroniques, guitares saturées, métaux hurlants, vocoders (où es-tu, Savage Rose ?) et autres machines qui doivent faire illusion. Les Beatles ont tout simplement épuisé en quelques années, et pour très longtemps, l’intégralité de l’imaginaire musical de l’univers « pop ».

 

Et tout ça sans bien connaître la musique : ils avaient dans la tête ce qu’ils voulaient entendre, le communiquaient comme ils pouvaient à George Martin qui, étant musicien, s’efforçait de bricoler ce qu’il fallait pour arriver au résultat souhaité.

 

Il faut préciser que jusqu’à Rubber Soul, à mon goût, les Beatles sont un bon groupe de rock qui, à l’occasion, sait inventer des mélodies renversantes. Pas plus. Et puis arrive Revolver et, dans la foulée, Sgt Pepper’s, et alors là, je le dis sans emphase et en toute simplicité : le monde a changé. C’est aussi raide que ça. Les autres peuvent avoir du talent, c’est sûr, ils peuvent quand même aller se rhabiller.

 

Car il y a une différence entre produire A Whiter shade of pale (que Lennon avait sur sa table de chevet) et, sur un seul album (Revolver), ne produire que des tubes. Sans parler de Sgt Pepper's Lonely Hearts Club band.

 

A partir de Revolver, et jusqu'à leur disparition, les Beatles n'ont apporté à nos oreilles que de l'innovant. Chaque chanson nouvelle était nouvelle : ce n'est pas courant ! Enfin j'exagère. Il se trouve (pas par hasard) que là, c'était vraiment du nouveau. A ce moment-là, si tu voulais de l'innovation, tu achetais Revolver ! 

 

Que restait-il aux minots qui arrivaient dans le métier, après ça ? 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

PS : Smile, voulu et composé par Brian Wilson, est sorti en 2011 et, pour être franc, c'est du Beach Boys, bien reconnaissable, avec la signature maison pour l'univers sonore et quelques trouvailles, sauf que, musicalement, il est fait de pièces et de morceaux qui partent un peu dans tous les sens. Pas de quoi se relever la nuit pour avaler cette conserve de soupe assez fade. 

mercredi, 01 mai 2013

DU CÔTE DES GENTLEMEN CAMBRIOLEURS

 

 

 

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***

C’est entendu, il y a littérature et littérature. D’aucuns le contestent d’ailleurs. D’autres parlent avec une certaine condescendance de littérature et de « sous-littérature ». Moi je dis qu’il faut de tout pour faire un monde. Je ne suis pas comme ces esthètes qui ne jurent que par le quatuor à cordes, et fichent le camp avec une grimace de dégoût dès qu’ils croient entendre de l’opéra ou de la symphonie (ceci est un message personnel, mais il sait ce que j’en pense).

 

Prenez n’importe quel bouquin de Georges Simenon, Maigret ou autre. Vous l’ouvrez, vous passez un bon moment, vous le refermez, vous l’oubliez. Voilà déjà quelque chose d’acquis : un peu de « sous-littérature », ça ne peut pas faire de mal. Et ça ne vous encombre pas la mémoire. Il ne viendrait à l’esprit de personne en général, et de Fabrice Luchini en particulier, d’apprendre par cœur Les Gens d’en face (1932, la même année que Voyage au bout de la nuit), parce que l'auteur lui-même serait très étonné que son ouvrage recélât des richesses poétiques insoupçonnées. Peut-être à l'insu de son plein gré ?

 

ARSENE LUPIN 1.jpgPrenez n’importe quel Arsène Lupin, maintenant. Notez qu’on ne se réfère qu’exceptionnellement au nom de Maurice Leblanc : un cas intéressant de personnage dont le lustre éclipse la personne de celui qui l’a fabriqué.

 

J’ai dévoré tous les Arsène Lupin. Une personne proche (coucou, M. !) en détenait la totalité des volumes (reliés en toile imprimée de couvertures d’originaux)  sur une étagère de la « petite maison », première chambre à droite en haut de l’escalier.  Eh bien je vais vous dire : Arsène Lupin, ça marche. A gauche, c'était la salle de bains. Je dis ça pour ceux qui ne connaîtraient pas les lieux.

 

J'ai dévoré tous les Arsène Lupin. C’est sûr que je ne les lis plus aussi fraîchement qu’alors, parce que les ficelles m’apparaissent crûment, que le personnage du séducteur voulu par l'auteur est souvent horripilant et que les essais de psychologie auxquels il se livre sont devenus exaspérants. Mais enfin, ça coule comme une bière fraîche dans le gosier, à la terrasse du café principal d’Aiguilles une fin d’après-midi d’été au retour d'une grande bambane sur les sentiers caillouteux (« une pour la soif, une pour le goût »).

 

J’ai connu un Schotzenberger, un garçon sympathique au demeurant, qui, enARSENE LUPIN 2.jpg dehors des traductions qu’il faisait de Sastro, un auteur espagnol, avait dépensé des trésors d’éloquence et d’argumentation, en présence de Roger Bellet, pour démolir Arsène Lupin (personnage, techniques narratives, nouvelles, romans), où il voyait de telles imperfections que tout ça ne pouvait être que raté de chez raté. Bref, on l’aura compris : il était bel et bien fasciné. Piégé. Pour un futur intello, ça la foutait mal. En fait, il voulait se racheter.

 

J’ouvre un Arsène Lupin de temps à autre. Pour me désennuyer de la lecture de Wilhelm Meister, par exemple. Je ne dirai pas que c’est le fin du fin de la jouissance littéraire. Certes. Mais quand tu es au sommet de l’Everest, tu n’aurais pas l’idée d’habiter là : il faut bien redescendre. Pareil pour le caviar : béluga, sévruga ou osciètre, tu n’aurais pas l’idée d’en faire ton petit déjeuner ordinaire. Au bout d’une semaine de ce régime, rien que l’idée de se lever te donne envie de vomir.

 

ARSENE LUPIN 3.jpgEt puis je vais vous dire, je viens de relire L’Agence Barnett et Cie, et je ne m’en porte pas plus mal. C’est déjà ça d’acquis. Je suis désolé, le match à répétition qui se joue entre Jim Barnett et le policier Béchoux me ravit. Jim Barnett est détective privé bénévole, faut-il le préciser ? Il ne se fait pas payer. Mais à la fin, allez comprendre, au nez et à la barbe de Béchoux (qui aimerait bien le coffrer), il se retrouve plus riche qu’avant, parce qu'il a réussi à barboter quelque chose au méchant de l'histoire. Béchoux est flic, j'avais oublié de le préciser. Même que Barnett s'offrira quinze jours de voyage sentimental avec Madame Béchoux. Moralité : c'est dur d'être flic.

Les Huit coups de l’horloge, ça me plaît bien aussi. Huit nouvelles mystérieuses pour les beaux yeux d'une jolie femme qui, ne voulant pas céder à Lupin sans combattre, le met au défi de résoudre autant d'énigmes. Des ordres impérieux auxquels il défère de bonne grâce, et toujours avec une grande classe.   

 

La Barre-y-va est un roman bien fait, quoi qu’un vain peuple puisseARSENE LUPIN 4.gif récriminer. C’est sûr que les cheveux de la logique se font un peu tirer : Guercin, le gendre félon de M. Montessieux, se fait flinguer sans qu’il y ait crime. Heureusement, Leblanc ne s’appesantit pas sur les détails techniques du mécanisme mis au point par le beau-père pour tuer celui qui voudrait s’approprier la source d’où coule sa poussière d’or. Le génie de Raoul d’Avenac mettra bon ordre dans l’embrouillamini, et en plus il mettra au jour le tas d'or qui datait des Romains. Il faut oser raconter ça, mais quand c'est bien fichu ... 

 

Victor de la brigade mondaine  est un roman à ficelle, bien sûr, mais qui garde un certain charme. On sait très vite que Victor est Arsène (pardon de dévoiler le poteau rose), et inversement, mais malgré les tours de passe-passe, le récit est efficace, et on avale la salade sans se poser trop de questions. On sait très vite que Bressacq n’est pas digne d'être Arsène Lupin, pour la raison simple qu’il tue (ou fait tuer), ce à quoi ne saurait descendre l’âme noble de notre gentleman cambrioleur.

 

On passera rapidement sur L’Homme à la peau de bique (pompé par-dessus l’épaule d’Edgar Poe quand il écrivait son Double assassinat rue Morgue) et sur Le Cabochon d’émeraude (pompé par-dessus l’épaule de Sigmund Freud, à cause du rôle donné à l’inconscient).

 

Moralité : on peut rester lucide sur les faiblesses, tout en prenant plaisir à suivre les voltiges et les rodomontades de ce personnage qui, qu’on le veuille ou non, reste bien installé au fond de nos imaginaires.

 

Voilà ce que je dis, moi.