mercredi, 16 novembre 2011
L'EUROPE EST UNE SAINTE (3)
3 – L’ORIGINE DE CE MONDE
Non, je ne parle pas de ce tableau scandaleux que JACQUES LACAN avait acquis à grands frais, et qu’il dissimulait, dans son bureau, sous un panneau mobile, pour ne le montrer qu’à quelques élus. Tout le monde a reconnu L’Origine du monde de GUSTAVE COURBET, où l’artiste a représenté l’entrecuisse fendu, charnu et fortement velu d’un humain de sexe féminin, et qui fit jaser dans les salons bourgeois. Tiens, à propos, vous connaissez cette contrepèterie : « FRANÇOIS HOLLANDE a lâché le Congrès » ? Glissons.
Non, je n’ai pas changé de cheval : c’est toujours l’Europe, le destrier dont je chante les louanges. Le grand LEWIS MUMFORD, esprit original et fécond, fait, à la fin de son ouvrage formidable Technique et civilisation (Seuil, 1950), la liste des inventions humaines et leur époque approximative. Cette liste est très fastidieuse, à cause de la longue énumération des trouvailles et de la succession sèche des dates. Mais elle est en même temps tout à fait PRODIGIEUSE.
D’abord par le nombre, pour ne pas dire la masse des inventions techniques qui interviennent, à partir du 10ème siècle, dans tous les domaines de la vie concrète. On constate ensuite qu’au cours du temps, la liste s’allonge, c’est-à-dire que l’homme invente de plus en plus, et de plus en plus vite.
Au 10ème siècle, MUMFORD relève : l’horloge hydraulique, le moulin à eau, le harnachement efficace des chevaux, le joug bovin multiple, l’horloge mécanique (donnée comme probable) et les vitraux colorés en Angleterre. En gros une vraie innovation tous les 20 ans. Mais au 14ème, cela monte à une tous les cinq ans. Et je ne parle pas du 19ème (une tous les six mois).
Enfin, cette liste est prodigieuse par la concentration de plus en plus nette de la frénésie inventive dans le foyer brûlant de la créativité humaine : en EUROPE, évidemment, et nulle part ailleurs. C’est là que l’innovation technique a littéralement explosé. On peut affirmer que l’Europe est la mère de la technique. Ce n’est pas un cri de victoire. C’est un constat.
Certes, d’autres peuples du monde ont turbiné dans leur coin, et ont connu avant les Européens la boussole, la poudre à canon et le papier. LEWIS MUMFORD le dit : « Tous les instruments critiques de la technologie moderne : la pendule, la presse à imprimer, la roue hydraulique, le compas magnétique, le métier à tisser, le tour, la poudre à canon, le papier, (…) existaient dans d’autres cultures ».
Mais c’est en Europe occidentale que toutes ces inventions éparses (et surtout indépendantes les unes des autres) se sont coalisées, ont été mises en relation les unes avec les autres, jusqu’à former SYSTÈME. LEWIS MUMFORD ajoute d’ailleurs, à propos des « autres cultures » : « Ils avaient des machines, mais ils ne développèrent pas "la machine" ». Cela veut dire que chaque machine particulière fonctionnait à la satisfaction de tous, mais qu’elle restait « dans son coin ». Et surtout qu'elle restait en l'état, comme empêchée d'évoluer. Là, c’est la société qui est la plus forte et qui dicte ses conditions.
En Europe, c’est le contraire : l’organisation sociale et les modes de pensée intègrent la machine dans leur mode même de fonctionnement. La machine s’introduit dans le travail de l’esprit, et devient un objet privilégié, un but. Le domaine de la machine non seulement s’agrandit sans cesse, mais s’autonomise, devenant l’espace d’expansion de l’activité humaine. Si l’on veut, c’est la machine qui est la plus forte. C’est la machine qui, de plus en plus, va dicter ses conditions à la société.
Ce qui est sûr, c’est que, quand je regarde les informations à la télé (voix off : « C’est même pas vrai, il a même pas la télé ! »), je constate qu’à l’égard des techniques, le monde est aujourd’hui européen. Où qu’on aille sur la planète, on reste en Europe. A l’égard des façons de penser, il y a encore des poches de résistance, mais globalement, quand on voit comment la technique a envahi le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, et l’Afrique du sud (pour ne parler que des BRICS, comme disent les économistes), je me dis que les mentalités du monde entier sont désormais façonnées (et fascinées), par la vision américaine, donc, à travers elle, européenne.
Quelqu’un m’objecte, au fond de la salle à gauche, oui vous, madame, en imperméable orange, que ce sont les Etats-Unis qui sont pour l’essentiel à l’origine de cette « conquête » du monde, et j’en suis évidemment d’accord. Mais je vous répondrai d’abord que l’orange vous va très bien, ensuite que les Etats-Unis ne sont une puissance que depuis le début du 20ème siècle, et que la technique ne les a pas attendus pour triompher. D’ailleurs, n'est-ce pas pour avoir des fusées que les Américains ont kidnappé l’Européen WERNHER VON BRAUN en 1945 ?
Et puis après tout, on peut aussi s’interroger : sans les Européens, y aurait-il seulement des Etats-Unis d’Amérique ? Finalement, les Etats-uniens sont pour une large part des Européens trop avides, trop protestants, trop catholiques ou trop pauvres pour rester sur le territoire ancestral. Les Etats-uniens sont une variante d’Européens, certes, pas toujours sympathique, mais c’est à la façon dont, dans les familles, on est obligé de reconnaître la parenté avec des cousins dévoyés, et de les tolérer dans les grandes réunions familiales. A cet égard, la grande réunion familiale porte aujourd’hui un nom pas facile à assumer : OCCIDENT.
Et il est parfaitement normal que le monde entier fasse aujourd’hui un gros pied de nez à la famille occidentale puisqu’il en a accepté tout l’héritage. Maintenant que le monde est devenu occidental en général, et peu ou prou européen, fût-ce à travers la variante américaine, il peut bien en remontrer au maître qui lui a tout appris. Faire des tours plus hautes, des TGV plus rapides, et tout et tout. Chercher la performance. « Citius, altius, fortius ». Elle est française, la devise du Français COUBERTIN. Qui dit : « C’est bien, les enfants, continuez comme ça ». Ça s'appelle la transmission, il paraît.
MORALITÉ :
L’EUROPE A INVENTÉ LE MONDE.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre ...
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mardi, 15 novembre 2011
L'EUROPE EST UNE SAINTE (2)
2 – L’EUROPE A FAÇONNÉ LE MONDE
Conclusion : pour l’esclavage, le Blanc est un pauvre novice, un enfant de chœur, un bleu, un éternel apprenti, un débutant. Bref, un bizut. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’il est bête, oui, il est assez bête, lui, pour se poser des questions. Mais quel imbécile, le Blanc ! Le Noir, le Turc, l’Arabe, tu crois qu’ils s’en posent, des questions, dans l’histoire ? Allons donc. C’est comme ça, et « Inch Allah ! ». Alors que le Blanc, c’est depuis le début de la pratique de l’esclavage du Noir par le Blanc qu’il se les pose, les questions.
Bon, c’est vrai, celui qui fait n’est pas le même que celui qui pose. Parce que le Blanc, en plus, il a inventé la division du travail : d’un côté le Blanc d’action, de l’autre le Blanc de réflexion.
Le Blanc d’action, il part à l’aventure. Il ne se pose pas de questions. Ce qu’il veut, c’est d’abord s’en mettre plein les fouilles en prévision de ses vieux jours. C’est lui qui part en expédition, mandaté ou non pour revenir chargé d’or. Sa conscience n’est pas des plus limpide. Et c’est vrai qu’il sort parfois de prison. Alors son or, comment il se l’est procuré, ça, mon ami, peu importe. On ne regarde pas, à l’arrivée, s’il a pillé, volé, tué, détruit. L’or sanctifie tout. Et puis, là-bas, où il est allé, c’est tellement loin !
Le Blanc de réflexion, lui, il réfléchit, il pense, il discute, il interroge, il pose des questions. Et surtout, il écrit des livres. Beaucoup de livres. Dans toutes les disciplines : philosophiques, économiques, politiques, juridiques, morales, enfin sur tout ce qui entre dans la composition de la civilisation de l’écrit. Et sur chaque sujet, des livres pour et des livres contre. Ça, c’est important, qu’il y ait le livre « pour » et le livre « contre ». Il a inventé ça, le Blanc de réflexion.
En effet, réfléchis à ça : où que ce soit dans le monde, les « minorités », comme on dit élégamment, se rassemblent géographiquement. Cela donne, au gré des moments, « ghetto » ou « Chinatown ». On appelle aussi ça « solidarité ethnique », pourquoi pas ? Ce genre de solidarité porte un nom : c’est la logique MAFIA.
Les plus forts de la communauté dictent leur loi à tous les autres. Et ça fait des bandes foncièrement homogènes. Car quand la bande du pâté de maisons en face vient chier dans les bottes de ton territoire, tout le monde qui est de ce territoire s’y met pour expulser l’intrus manu militari. Et gare au tiède, dans ces moments-là : il n’y a pas loin de là à le considérer comme traître à la cause. On peut aussi l'appeler la logique Capulet contre Montague. Ou encore la logique Jets contre Sharks.
Tandis qu’avec ce truc, de laisser paraître aussi bien le livre « pour » que le livre « contre » (ça censurait quand même à tout va, mais il y avait Amsterdam), tout devient tout de suite très compliqué. Ce n’est plus la logique MAFIA : c’est la logique DEBAT. Ce n’est plus un territoire contre l’autre, c’est un argument contre l’autre.
Et les territoires des deux camps ne sont plus nettement délimités, compacts, reconnaissables. Ils ne sont plus homogènes. Ils sont dispersés « façon puzzle », et pour les reconnaître, il faut attendre que les gens posés dessus parlent. C’est pour ça que c’est compliqué. Il faut attendre que les uns et les autres prennent la parole.
Toute cette logique « débat » finit, à force, par construire un édifice, que l’homme de réflexion a appelé la loi. Au nom de celle-ci, il arrive même que le Blanc de réflexion fasse une petite guerre « de Sécession » au Blanc d’action. Vous voyez à quelle guerre je fais allusion. Ça n’élimine pas forcément le côté « sans limite » de l’action, mais ça la contraint à se refréner, à se restreindre, à faire attention.
Ce que l’Europe a inventé, ici, ça porte plusieurs noms : la loi, ça, je l’ai dit. On peut aussi appeler ça « l’Etat de droit ». On peut appeler ça « l’égalité », plus précisément « l’égalité des droits ». Je retiens surtout, personnellement, que l’Europe, en inventant ça, a inventé la CONSCIENCE. Le mot « conscience », c’est une autre façon de se poser une question précise : « Est-ce que j’ai le droit ? ».
« Est-ce que j’ai le droit ? » Aujourd’hui, la question est atrocement banale (quoique …), mais demandez à MUHAMAR KHADAFI, BACHAR EL ASSAD, ZINE EL ABIDINE BEN ALI, HOSNI MOUBARAK, OMAR EL BECHIR et quelques autres, ce qu’elle veut dire, cette question.
En Afrique noire, vous avez DENIS SASSOU NGUESSO, PAUL BIYA, OMAR BONGO (maintenant c’est son fils), ROBERT MUGABE, ABDOULAYE WADE, BLAISE COMPAORÉ, FAURE GNASSINGBÉ EYADEMA, ma parole, la liste est interminable. Qui parmi eux se la pose, la question ? C’est quand même curieux, tout se passe comme si cette question ne concernait que les Européens.
Ils ne se rendent pas compte, le Européens, en se frappant la poitrine et en avouant une quelconque culpabilité, que tous les peuples du monde sont a priori, au mieux xénophobes, au pire racistes. TOUS. Y compris les Européens. La xénophobie n'est peut-être pas "naturelle". Mais ce qu'on ne peut pas nier, c'est qu'elle est spontanée.
La xénophobie, où qu’on aille dans le monde, est la règle. L’humanisme est l’exception. Et il faudrait quand même que le Blanc, qu’il soit Européen autochtone ou Européen expatrié en terre américaine, batte sa coulpe : « non sum dignus, non sum dignus ». Il serait bien le seul.
Alors je dis à tous les « généreux altruistes », à tous les « solidaires chevaleresques », à tous les « humanitaires fraternels », à toutes les « grandes âmes tiers-mondistes », à tous les chevaliers blancs de la défense des opprimés, les éducateurs-sans frontières, les médecins-sans-frontières, à tous les machins-sans-frontières : assez. Assez de bourrage de crâne. Assez de culpabilisation.
Moi qui suis Européen et, disons-le sans fausse honte, fier de l'être, je regarde où je vis, et je vois que, dans le pays où je vis, ceux qui entrent dans une des catégories ci-dessus, ce sont les mêmes qui, demain, verront leur salaire diminué de 25 %, leur retraite divisée par deux, et ne sauront plus comment faire pour joindre les deux bouts. Voyez la Grèce prémonitoire. Ils n’ont pas compris comment le monde est aujourd’hui organisé. Rappelons-nous la règle du marin dans la tempête : « Une main pour le bateau, une main pour moi ».
Et ce n’est pas le tiers-monde qui nous fomente cet avenir : c’est bien évidemment le Blanc d’action, aidé maintenant par le Noir d’action et le Jaune d’action. Toutes les couleurs de peau s’y mettent, pour siphonner le réservoir du droit des gens de ce qui y reste de carburant. En France, 1 % de la population possède déjà 30 % de la richesse nationale. Et ce n’est qu’un début. Les pauvres vont pouvoir continuer leur régime amaigrissant.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre ...
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lundi, 14 novembre 2011
L'EUROPE EST UNE SAINTE (1)
Bon, alors on a compris que l’Europe est devenue une prostituée mise sur le trottoir par son maquereau. Eh oui, ce qu’on appelle complaisamment la classe politique, avec un nombre impressionnant d’hommes de premier plan, qui ont voulu à toute force « construire l’Europe ». Avec un coup de pied dans les fesses de la pute, au son de la CONCURRENCE LIBRE ET NON FAUSSEE.
Sans entrer dans le détail du complot, au centre duquel figure la « monnaie unique », disons que la prostituée va devoir cracher le maximum, au nom de cette trouvaille géniale : « concurrence libre et non faussée ». Pourtant, la pauvre Europe, elle n’a pas mérité les tombereaux d’avanies et d’ordures que le monde déverse depuis quelque temps sur son pauvre corps mis à mal. Comme dit GEORGES BRASSENS : « C’est pas tous les jours qu’elles rigolent, parole, parole ! ».
C'est entendu, je ne parlerai pas des avanies financières que des traders et des spéculateurs à tendance nazi font pleuvoir sur l'Europe tant qu'elle n'a pas été réduite à quia. Je ne parlerai que de ces vieux remugles d'arrière-boutiques, de ces causes qu'affectionnent les mauvais avocats tiers-mondistes en mal de thune et de publicité, tel cet ahuri qui demandait récemment aux tribunaux belges d'interdire définitivement un odieux pamphlet raciste, un insupportable brûlot colonialiste : Tintin en Afrique.
Je ne parlerai que des reproches adressés aux Européens en général, et aux Français en particulier.
1 – LA REPENTANCE
Et d'abord, ils sont combien à lui demander des comptes ? Et sur le mode sévère ! Pauvre Europe. La repentance ! En chemise et la corde au cou ! Comme les bourgeois de Calais ! Eh bien parlons-en, de la repentance ! Encore une belle imposture que certains enfoncent à plaisir dans le gosier des Européens, et que le gosier de certains avale sans sourciller comme vérité d’évangile.
Tiens, l’Algérien. Comment il s'appelle, déjà ? ABDELAZIZ BOUTEFLIKA. Pour lui, la France doit se repentir. C’est la condition d’une « réconciliation », mais seulement si lui l’Algérien veut bien consentir à solder l’affaire. A mon avis, l’Algérien n’est pas près de décréter la France libre de dette : on ne lâche pas si facilement le « pigeon » et le « fromage » quand on tient bien en main une telle vache à lait qu’on peut traire à volonté. Monsieur BOUTEFLIKA (ou plutôt les généraux qui tiennent les fils de sa marionnette) ne se « réconciliera » vraiment avec la France que lorsqu’il lui aura fait cracher au bassinet plus que le maximum.
Car c’est entendu, le colonisateur, c’est le méchant. Le colonisé, de son côté, il est devenu un icône, il est béatifié, angélifié, statufié, vertuifié. En tout cas du côté du BIEN inoxydable. On est maintenant estampillé « colonisé » ad vitam aeternam. Y compris quand le colonisateur a déguerpi depuis un demi-siècle. Tout est dans l’étiquette. Et celle-ci accorde, à tous ceux qui ont ainsi été nommés chevaliers de l’ordre du colonisé, un droit définitif sur le colonisateur. Pourquoi s’en priver ?
Moyennant quoi, ça va faire cinquante ans qu’il n’y a plus de colonisés en Algérie, et que le peuple algérien se fait royalement plumer par la clique algérien au pouvoir, qui lui maintient la nuque sous la botte, tout en fermant les yeux sur le sport national, le « trabendo ». Le « trabendo » algérien, c’est ce qui s’appelle chez nous « système D ». Appelez ça, si vous voulez, travail au noir. Autrement dit, tous les petits trafics qui aident les petites gens à survivre.
Pareil pour les autres pays que la France a colonisés : Afrique Occidentale Française, Afrique Equatoriale Française, comme on disait, avec quelques confettis maritimes à droite et à gauche. Mais c’est en Afrique que c’est le plus visible. En haut, une élite achetée qui a conclu un pacte avec le colonisateur qui s’en va, promis, juré. En bas la piétaille, le petit peuple, les gens de rien du tout. C’est pas beau, l’INDEPENDANCE ? C’est merveilleux, quand on y pense. Pour l’Algérie, c’est 1962. L’élite algérienne s’appelle, en gros, l’Etat-Major des armées. A lui le gros du trafic. A la piétaille le trabendo.
D'autant plus que, c’est bien connu, l’Algérien n’a jamais, avant 1830, envoyé ses bateaux pirates en Méditerranée, n’a jamais pratiqué l’enlèvement crapuleux d’Européens et, pour tout dire, de chrétiens, pour en obtenir des rançons substantielles. L’Algérien que le Petit Satan français a réduit en servitude à partir de 1830, a toujours été plus innocent que l’agneau qui vient de naître, et surtout, il n’a jamais commis aucune violence. Ben voyons ! Je poserai simplement la question : qui a réduit au silence, en 1962, la résistance FLN dite de l'intérieur ? Et cette autre question : et les harkis ?
Finalement, il doit faire marrer les vrais connaisseurs de la situation, BOUTEFLIKA, avec ses remontrances et ses chantages à l’ancien colonisateur ! « Que la France fasse repentance pour les crimes commis ! ». Vas-y Toto ! Lui et ses copains n’ont bien sûr aucun sang sur les mains ! Comme on dit, c’est l’hôpital qui se fout de la charité. Ou encore, c’est l’histoire de la paille et de la poutre. Cela ne veut évidemment pas dire que la France était dans son bon droit en occupant l’Algérie.
Il y a aussi, naturellement, les Noirs. Pas n’importe quels Noirs : TOUS les Noirs de la planète. C’est curieux, on dirait parfois qu’il suffit de cette couleur de peau pour hériter le statut d’esclave. La "négritude" chère à SENGHOR. Comme si être Noir portait brevet de descendant d’esclaves ! Pour eux, il s’agit de poser un pied triomphant sur le grand fauve désormais à terre : « chacun son tour », déclarait une personne qui m’est très chère ! Quelle erreur ! Quel aveuglement ! Quel mensonge, si c'était dit par quelqu’un bien au fait de la vérité !
Les Algériens ne se doutent pas de la chance qu’ils n’ont pas eue : avoir des ancêtres esclaves. Ils devraient être jaloux. Mais l'histoire ne repasse pas les plats. Esclave ? Mais oui ! Ça te fait une carte de visite pour les quatre siècles à venir. Que dis-je : un passeport, un droit d’entrée, la facture de la revanche que tu présentes au coupable, qui baisse aussitôt la tête et se frappe la poitrine.
Prononce-le, ce mot : ESCLAVAGE. Tous les Blancs de la planète s’arrachent les cheveux, se griffent le visage, se couvrent de cendre, se prosternent. Bref : ils demandent pardon. Enfin, pas tous. OBAMA, il leur a fait le coup de la repentance, mais c'est pour avoir la paix. Car globalement, c'est la GRANDE REPENTANCE. Parce que les Blancs (les peuples, pas les Etats) sont convaincus qu’ils sont intrinsèquement mauvais. Enfin, leurs ancêtres.
Oublions bien vite, évidemment, que le premier esclavagiste de Noirs fut un Noir. Le second fut un Arabe. Le Blanc ne monte que sur la troisième marche du podium. Yapafoto, comme on entend dire aujourd’hui. Je ne mentionne pas ici les fourchettes d’estimations établies par les historiens : une fourchette qui varie du simple au double, il vaut mieux s’en passer. Mais ils ne contestent pas, en général, l’ordre de préséance.
Disons simplement que les historiens, selon qu'ils sont Blancs ou Noirs, c'est-à-dire scientifiques ou militants (là j'exagère), parlent de 10.000.000 à 25.000.000 pour le commerce transatlantique. Ce faisant, ils oublient d'ailleurs le commerce intra-africain et le commerce trans-saharien, qui fut sans doute bien plus florissant, car étalé sur une durée bien plus longue.
Héritage solide et permanent des guerres de l’antiquité, le Noir vaincu de la guerre du jour devient le lendemain un travailleur gratuit pour le compte de son Noir vainqueur. Et en Afrique, c’est une tradition solidement établie, et si solidement qu’elle se perpétue de nos jours. Avec ce progrès que la guerre n’est plus nécessaire, même si ça aide bien. Il suffit que la tradition soit « établie ».
On peut s’en convaincre en lisant l’histoire de cette femme malienne, racontée il y a quelque temps dans Le Monde, qui déclare à sa fille qu’appartenant à une ethnie inférieure, il est normal qu’elles soient esclaves. Ami lecteur, va te balader aujourd’hui même au Mali, au Niger, et autres pays à haut potentiel touristique, et sors du circuit mitonné et acheté en agence. Va voir le « pays réel ». C’est là que tu découvres le Noir esclavagiste du Noir. Et c’est aujourd’hui ! Du coup, c'est l'Européen qui devient le Bon, dans l'histoire.
Oublions aussi, pendant que nous y sommes, l’esclavage transsaharien. Ben oui, quoi, l’Egypte, l’Arabie, tout le Proche Orient, où allaient-ils chercher leurs travailleurs ? J’ai parlé des Ottomans qui sont allés ratiboiser les villages chrétiens de l’Europe orientale de leurs garçons chrétiens, pour faire des plus costauds d'entre eux des Janissaires bons musulmans. Et ça a duré des siècles. Ben oui quoi, le coran dit qu'un musulman n'a pas le droit de rendre esclave un autre musulman, mais il ne dit rien de tous les autres.
Les Arabes (qui ne sont pas des Turcs) ? Ils ne sont pas en reste : ils sont allés puiser leur main d’œuvre en Afrique noire. A travers le désert. Il fallait vraiment un appât du gain à l’épreuve du sable et de la soif. C’était un temps où certains hommes étaient des valeurs d’échange. Et depuis le huitième siècle ! Aujourd’hui, leurs bateaux jettent leurs filets dans les eaux des Philippines et lieux circonvoisins pour ramener leur main d’œuvre servile. En respectant si possible les formes extérieures du contrat de travail (?).
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre ...
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dimanche, 13 novembre 2011
EXTENSION DU DOMAINE DE HOUELLEBECQ
Le titre exact du livre est Extension du Domaine de la lutte. L’auteur s’appelle MICHEL HOUELLEBECQ. Il me semble avoir déjà parlé de lui. Petit livre. Qui fait vraiment dans le modeste : cent quatre-vingts pages, un argument terne. Est-ce que c’est son premier roman ? En tout cas, il est né en 1994. C’est marqué dessus.
Comme dans Plateforme, c’est un narrateur qui est censé tenir la plume. Et le narrateur, à la fin, décide d’en finir. Il a trente ans. Il roule en Peugeot 104, dont il perd les clés. Ça fait deux ans qu’il n’a pas couché. Il vomit facilement après plusieurs vodkas. Il est cadre moyen, analyste-programmeur dans une société (un SSII j’imagine ?) qui lui donne une façade d’existence sociale objectivement acceptable. Et totalement insipide.
C’est un livre sur l’envie de vivre. Ce qu’on appelle, dans les Curricula Vitarum (ben oui, c’est le pluriel), la « motivation ». En fait, c’est la motivation qui est terne. L’envie de vivre est faible. C’est un livre sur le ratage. Mais un ratage mal caractérisé, et pas grandiose du tout : le ratage ordinaire, quotidien, le ratage de tout le monde et de tout le temps, quoi. Une sorte de routine du ratage dont le narrateur a fait son principal vêtement de sortie dans le monde.
Une des pistes qui s’offrirait au narrateur, s’il en éprouvait un début d’envie, ce serait l’écriture. Mais l’écriture d’avance désabusée : « Ce choix autobiographique n’en est pas réellement un : de toute façon, je n’ai pas d’autre issue. Si je n’écris pas ce que j’ai vu je souffrirai autant – et peut-être un peu plus. Un peu seulement, j’y insiste. L’écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l’idée d’un réalisme ».
Ce chapitre 3 pourrait être considéré comme une sorte de « théorie littéraire ». Caractérisée par un rejet dégoûté de la psychologie. De l’anecdote. Et une préférence marquée pour le constat sec. Mais soigneusement sélectionné. Une littérature qui évite de prendre le lecteur par les sentiments. Ici, impossible en effet de s’identifier à cet être falot qui a du mal à exister à ses propres yeux. C’est l’avantage de cette narration neutre et distanciée.
C’est un roman sur le monde modérément et normalement chiant qui est le nôtre. Un monde et des individus face auxquels il est difficile d’éprouver. On dirait parfois un monde qui parodie l’époque où il y eut vraiment de la vie à l’intérieur des gens. Le narrateur : « Je n’aime pas ce monde. Décidément, je ne l’aime pas ». Exactement ce que dit la Valérie de Plateforme.
Le tableau ici n’est pas aussi précis, ni aussi poussé que dans les romans ultérieurs, mais la froideur et le peu d’intérêt sont à l’œuvre. L’univers où évolue le narrateur est défini de façon floue : une entreprise informatique comme il en existe sans doute des milliers. C’est fou ce qu’il y a de « un peu », dans ce livre.
HOUELLEBECQ s’attaquera ensuite à beaucoup plus net et consistant (l’industrie touristique, la recherche en génétique, la création artistique). Ici, il dessine dans ses grandes lignes ce qui deviendra sa « marque de fabrique » (désolé du cliché, mais c’est ça).
Bref, le premier roman d’un véritable AUTEUR.
Voilà ce que je dis moi.
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samedi, 12 novembre 2011
L'EUROPE EST UNE SALOPE (2)
Le titre ci-dessus est peut-être mal choisi, pour une Europe qui n'a pas été voulue et construite par les peuples, mais par des bureaucrates, des hommes de dossier, c'est-à-dire des hommes de papier, des hommes à l'existence virtuelle, mais qui imposent dans le réel des concepts élaborés, non dans les cerveaux désirants des individus qui existent et qui vivent, mais dans les machines d'abstraction qui leur servent à penser.
Les grands généraux qui conduisent les armées européennes se sont comportés comme des maquereaux, qui ont mis l'idée de l'Europe sur le trottoir, qui en attendent des dividendes, et qui passeront tous les soirs "relever les compteurs". Ils ont fait de l'Europe une prostituée. Une prostituée qui n'a pas choisi son métier. Et qui attend qu'une bonne âme la rachète à son maquereau.
Je reviens à la façon dont l'Europe s'est construite. Je crois avoir fait précédemment preuve d’une assez grande objectivité. La vitesse, à partir d’une année donnée, est indispensable. Passer de six à douze pays, ça a pris du temps. Mais une fois que le pli est pris, ensuite, ça peut aller très vite : de douze à quinze pays, ça tient quasiment de la formalité, puis à dix-sept dans la foulée, pour finir avec un gros paquet de dix, qu’on ne s’est même rendus compte de rien, et c’était fait. Un matin, on se réveille à vingt-sept dans le lit. C’est ma femme qui était dépaysée, je vous jure ! Elle n'a pas supporté. Depuis, elle se repose, ne la dérangez pas.
Et la Turquie, me direz-vous ? Soyons net : ce n’est pas parce qu’elle a gardé un petit orteil sur le continent qu’elle en fait partie, même si elle y a laissé quelques monuments et quelques empreintes de pieds ethniques ou linguistiques. En Europe, la Turquie subsiste à l’état de trace. C'est la même chose que sur mon paquet de biscottes bio : « Traces de fruits à coque, de lait, d’œufs, de sésame et de soja ». Je trouve que, comme traces, c’est déjà bien assez.
L’orteil turc, à Lyon, est situé face au Parc de la Tête d’Or. L'adresse est dans l'annuaire. J’eus l’honneur, il y a bien longtemps, d’être invité à piétiner cet orteil, à l’occasion de la fête nationale de ce pays, par Monsieur OZCAN DAVAZ, alors consul de Turquie, en tant que répétiteur de ses deux charmants fils, par ailleurs cancres parfaits et accomplis, dont j’ai oublié les prénoms. Vu le nombre de photos prises de ma trombine, sous tous les angles, par l’homme chargé de la sécurité, un garçon très musclé et très souriant, nul doute que l’album de famille est depuis lors richement doté.
Je n’ai donc rien contre les Turcs. Encore que l’Europe serait fondée à leur intenter des procès sans fin, pas pour Lépante, n’exagérons pas (la victoire en fut chrétienne, sous la houlette de DON JUAN D’AUTRICHE), mais pour les innombrables rapts de jeunes garçons chrétiens ordonnés par la « Sublime Porte » (ou mieux : « La Porte ») en Europe pendant des siècles, pour grossir les rangs du fameux corps des Janissaires.
Les mieux bâtis des jeunes garçons enlevés étaient convertis de force et dressés militairement à renier et agresser leurs propres origines ethniques et religieuses. Il faut dire qu'un musulman n'avait pas le droit de réduire un musulman en esclavage. « Rendez-nous nos chrétiens, avant de faire entrer l'Islam dans les institutions européennes ». Cela pourrait être un chantage, non ?
Ben oui, quoi, puisque l’heure est à la repentance, allons-y. Bon, c’est vrai, vu comme les Turcs aimeraient mieux se faire arracher toutes les dents du bas sans anesthésie plutôt que de se repentir du massacre des Arméniens, je vois l’affaire un peu mal engagée.
4 – LE BOCAL BRUXELLOIS
Il faut tenir compte d’un détail : quand l’Europe s’attaque à un problème, elle mandate des « experts » qui se réunissent, discutent, et finissent par faire des recommandations, qui deviendront des réglementations sous la gouverne de la Commission européenne.
Pour donner quelques exemples qui commencent à être connus : ce sont des « experts » (c’est curieux, je ne peux pas écrire le mot sans ses guillemets, c’est comme « genre ») qui ont fixé les normes régissant la courbure maximale des concombres ou la taille des préservatifs (une enquête statistique a été diligentée, qui a conclu à une taille moyenne de la bite en érection de 14 à 15 centimètres), et autres joyeusetés. C’est à ce genre de détail qu’on se rend compte que ça rigole pas. Je ne parle pas du prix qu’a coûté le détail.
Mais il y a autre chose que je crois avoir compris : le quartier européen de Bruxelles. La comparaison de ce quartier avec un gros bocal me semble tout à fait appropriée. Un gros aquarium, si vous préférez. Mais les poissons sont très correctement nourris, rassurez-vous. C’est un petit monde de quelques milliers de personnes qui vivent en vase clos. Où les jeunes poissons qui y entrent ne comptent pas s’éterniser.
Y entrer, c’est une chance, y rester serait une erreur. Aussi la plupart viennent passer trois à cinq ans dans la capitale belge et européenne. Ensuite, youpi et vogue la galère, la carrière peut vraiment démarrer. Car je vais vous dire, un séjour à Bruxelles, quand vous mettez ça sur un C. V., vous êtes sûr que celui-ci reste sur le dessus de la pile. On appellera ça « un bon départ dans la vie ».
Je ne parlerai pas d’un problème qui est pourtant crucial, et qui est étroitement lié au bocal bruxellois : l’influence. Bruxelles, à cet égard, est éminemment centripète. Tous les groupes de pression s’y précipitent. Tous ont pignon sur rue. Et tous grenouillent à qui mieux-mieux. Si vous ne me croyez pas, demandez à MARTIN PIGEON (sur internet), qui a beaucoup étudié les mœurs de la faune bruxelloise.
Un exemple : le projet R. E. A. C. H. devait soumettre à analyse, contrôle et à autorisation ou refus d’autorisation de commercialisation, les cent mille (100.000) molécules des industries chimiques actuellement en circulation, à des fins de santé publique. Comme par hasard, à l’arrivée, les cent mille molécules sont devenues trente mille (30.000). Il en reste soixante dix mille (70.000), que l’on espère inoffensives, sans trop y croire.
Pour résumer, l’Europe s’est voulue avant moi, ça, ça peut se comprendre. Elle s’est faite sans moi, et ça, c’est déjà moins aimable. Et plus ça a été, plus ça s’est fait CONTRE moi. Et ça, je n’aime pas du tout.
5 – CONCLUSION
Vous voulez savoir ce qui s’est fait contre moi ? Il y a un point qui, selon moi, a tué l’Europe avant même qu’elle ait commencé à vagir dans son berceau. Un point qui a tué le « service public à la française », vous savez, cette nostalgie hypocrite de certains dirigeants français. Oui, qui a détruit les « Postes et Télécommunications », la « Société Nationale des Chemins de Fer Français », « Gaz de France », « Electricité de France ». Un principe qui est en train d’achever l’Hôpital Public et l’Instruction Publique (qu’on appelle malheureusement « Education Nationale »).
Ce point et ce principe, c’est une formule sacramentelle, dont tous les textes européens sont étroitement tissés. Cette formule, c’est
CONCURRENCE LIBRE ET NON FAUSSEE
Voilà : TOUT l’édifice européen est construit exclusivement avec des briques gravées de cette formule magique. Cela veut dire que TOUTE l’institution européenne vomit à la base ce qu’on appelait le BIEN COMMUN. L'Europe expume de toute la force de ses spasmes allergiques tout ce qui ressemble à un SERVICE PUBLIC. L'idée géniale, ç'a été de rebaptiser "service public" (connotation trop positive) en "monopole". Pour l’Europe telle qu’elle s’est faite, rien ne doit échapper à l’échange marchand. Tout, y compris l'éducation et la santé, doit devenir une MARCHANDISE. Tout ce qui a fait la France que nous avons connue, c’est exactement à la destruction de ça que les MONNET, DELORS, MITTERRAND et consort ont travaillé.
Pour cette Europe-là, une seule solution : LES FLAMMES. Il semble bien qu’à l’heure actuelle, nous ne soyons plus très éloignés du brasier.
Qui vengera les Européens des malfaiteurs qui ont « fait » cette Europe-là ?
Voilà ce que je dis, moi.
POSTE SCRIPTHOMME : Je signale le tout petit et tout intéressant bouquin d'un monsieur important, et qui a écrit des livres importants : HANS MAGNUS ENZENSBERGER. Celui-ci, publié dernièrement chez Gallimard, s'intitule Le Doux monstre de Bruxelles, ou L'Europe sous tutelle. Le texte va de la page 9 à la page 81.
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vendredi, 11 novembre 2011
HYMNE A LA POLITIQUE
(FANTAISIE INACTUELLE)
Il était une fois, au pays des plaisirs,
Des tables très bien mises et des mille loisirs,
Un roi qui s’ennuyait, qui, pour tromper le temps,
Tel un vibrion fou, bougeait à chaque instant.
Tout, en lui, frétillait, bronchait, se démenait,
Tout se contorsionnait, courait, ruait, piaffait.
L’épaule s’agitait, l’œil roulait sur lui-même,
Le corps entier sautait de problème en problème.
Oui, tel un étalon ivre de sa puissance,
Il battait la campagne et parcourait la France,
C’était son obsession, son hobby, sa marotte.
Discourant en usine, ou bien dans les popotes,
Il haranguait la foule en prêchant la vertu,
Pérorant d’abondance en homme convaincu.
Postillonnant ses vérités catégoriques
Il était plein d’orgueil, et un brin fanatique.
« Quoi ! Nous avons élu ce pitre, ce fantoche ! »,
Se lamentait le peuple, indigné du cinoche
Auquel se complaisait le président français,
Se promettant bientôt, après tant de méfaits
Commis en peu de temps par l’odieux personnage,
De le renvoyer paître en ses verts pâturages.
Hélas, trois fois hélas, personne face à lui
Ne semblait en mesure, ou trop peu aguerri,
Ou trop peu sérieux, de pouvoir lui contester
Le fauteuil principal, la place de premier.
Une Marine aura le « front » de la briguer,
Forte de l’oncti-on paternelle héritée.
Mais peut-on se fi-er, sans traumatisme aucun,
A la main inexperte, aux choix inopportuns,
A la vindicte, aux préférences nationales,
Aux xénophobes, aux replis, aux mercuriales ?
Quant à ce triste « Sir », FRANÇOIS quand il lui plaît,
HOLLANDE quand le vent, carrément retourné
Comme un gant de cuir jaune, ou bien comme une couette,
Lui souffle allègrement des airs de girouette,
Voulez-vous faire fond sur ses patelinages,
Ses airs de bon élève, à l’œil de racolage ?
Socialiste aujourd’hui mais libéral demain,
Comment faire confiance à ce Français moyen ?
Flanby, homme propret, conviendrait à merveille
Pour diriger demain l’école maternelle.
Mais lui confier la France ? Perdîtes-vous l’esprit ?
Reprenez-vous, de grâce, admettez mon avis.
Alors voterons-nous pour JEAN-LUC MELENCHON
(Est-il descendant de PATERNE BERRICHON ?*),
Le tribun, l’orateur, le foudre d’éloquence,
Qui jure ses grands dieux de redresser la France ?
La redresser ? Quoi donc ? Mais tous, ils y aspirent.
Tous, ils chantent très fort, rêvent de rebâtir
La Nation forte en gueule et riche de jurons.
Qui leur ferait crédit ? Souffleurs de mirlitons !
Tous porteurs de postiche ! Et tous vrais arlequins !
Prestidigitateurs flétris ! Tous cabotins !
Ils nous la baillent belle, avec leurs grands serments,
Leurs mots définitifs, leurs mirifiques plans !
Pour moi, j’ai dès longtemps délaissé leurs estrades,
Leur grimace à l’air faux et leurs fanfaronnades :
« J’irai chercher Croissance en jouant de mes dents »,
Disait l’autre avorton, ce nouvel Artaban.
Electeur déniaisé, crois-en mon expérience,
Si l’un qui veut la place y voit l’unique chance,
Pour lui, enfin, de naître à la seule existence
Valant d’être vécue, vois, c’est sans importance.
Avec raison, dis-toi qu’il est bien malheureux,
L’homme qui court sans cesse après le fallacieux.
Qu’il entre dans l’histoire, ou qu’il en soit chassé,
Que t’importe sa course ? Que te chaut sa pensée ?
Laisse courir son ambition avec la poudre
Du chemin, vois cette poussière se dissoudre.
Reste chez toi, ferme les yeux sur le spectacle.
Reste bien en repos, nul ne fait des miracles.
Dis-toi : « La vie qu’il a choisie n’est pas la mienne ».
Dis-toi qu’il n’y a pas de promesse qui tienne.
Et la prochaine fois qu’à grands coups, la trompette
T’appelle vers une urne qui fait la coquette,
Crois-moi, reste chez toi, ou bien va à la pêche.
Il faut aussi te cuirasser contre le prêche.
Pour cela, rien de mieux que le lit conjugal,
Donne et prends du plaisir au degré maximal.
Car c’est jusqu’à présent l’un des plus sûrs moyens,
Sans vouloir être un poids pour ses contemporains,
D’accéder au bonheur simple d’être vivant.
En attendant la mort, profitons du bon temps.
* PATERNE BERRICHON fut le beau-frère et l'éditeur d'ARTHUR RIMBAUD.
NOTE À BENNE : en ce 11 novembre, ayons une pensée pour les victimes du génocide européen de 1914-1918. Vous pouvez faire un petit détour par les articles que je leur ai consacrés en 2007 sur mon blog KONTREPWAZON. Vous cliquerez sur la catégorie Monuments aux morts (colonne de gauche).
On peut aussi s'arrêter dans les villages, pour voir le nombre de noms de la même famille qui sont gravés sur le flanc ou sur la face du monument. Il y eut, en tout et pour tout, dix-sept communes qui n'eurent pas à graver les noms des garçons du patelin sur le monument aux morts. Ils n'érigèrent même aucun monument. Parce qu'aucun garçon, ou bien ne fut appelé, ou bien ne fut tué.
Certains grands généraux français firent pilonner la tranchée française de première ligne, pour obliger les poilus à attaquer. Il leur suffisait de donner l'ordre à l'artillerie (française) de raccourcir ses tirs. Ce sont autant de CRIMES DE GUERRE.
Le souvenir de ces criminels qui ne furent jamais jugés me fait irrésistiblement penser aux grands généraux européens qui, en cet instant même, dirigent les opérations, dans la guerre qui se mène aujourd'hui contre l'Europe. Ils sont en train d'ajuster les tirs de l'artillerie financière sur les tranchées où se sont réfugiés les peuples.
Quel avenir pour les peuples européens ? Jugera-t-on les criminels ?
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 10 novembre 2011
L'EUROPE EST UNE SALOPE (1)
0 – L’EUROPE TELLE QU’ON LA RÊVAIT
ARTHUR RIMBAUD cite deux fois l’Europe dans un poème que j’ai su par cœur, il fut un temps (oui, les vingt-cinq strophes, parfaitement !) :
« Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! »
(vers 81 à 84)
« Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai. »
(vers 93 à 96)
Mesdames et Messieurs, avant de poursuivre notre cahotant chemin, nous allons observer une minute de silence et nous incliner avec immense respect et profonde affection devant l’évocation de ce chef d’œuvre.
La pendule compte jusqu’à soixante.
A présent, reprenons.
1 – L’EUROPE, MAIS PAS LES PEUPLES
Jusqu’où il faut remonter pour y être, à la source des saloperies qu’on nous déverse dessus depuis quelque temps ? A la fin de la guerre ? Au Traité de Rome ? Au couple HELMUT KOHL / FRANÇOIS MITTERRAND ? Est-ce que c’est le bon, le digne, le traître JACQUES DELORS qu’il faut couvrir de nos excréments les plus frais ? Est-ce que c’est toute la bureaucratie bruxelloise qu’il faut brûler ? Ceux qu’on appelle les « eurocrates » ?
Pour crier dans les rues : « MITTERRAND salaud ! Le peuple aura ta peau ! », c’est trop tard, toute la peau est déjà partie. Ce n’est pas un mal d’ailleurs, même si je sais que ça me viendra aussi, les vers, et que je ne trouve pas ça désopilant. Pourquoi ai-je voté oui à Maastricht, aussi ? C’est là qu’on aurait pu faire quelque chose, peut-être ? Même ça, ce n’est pas sûr. Mais Maastricht, c’est malgré tout un bon point de repère.
Déjà et d’une, c’est Maastricht qui nous a fait la monnaie unique. Si j’ai bien compris, hein ! Parce que pour comprendre le sac de nœuds, on a intérêt à se lever avant le jour et à faire provision d’aspirine. Et même là, il faudrait un traducteur.
Tiens, regardez ça ! Oui, oui, je l’ai gardé mon exemplaire. Je ne l’ai pas jeté dans la cheminée. Bon, c’est vrai, je n’ai pas de cheminée. Mais à la limite, c’est dommage : ça m’aurait peut-être fait plaisir de le voir brûler. Quoi ? Mais le « Traité », voyons : Traité établissant une Constitution de l’Europe, exactement. Pendant un mois avant le vote, je m’étais baladé avec le rectangle en plastique rouge d’ATTAC au revers de ma veste. Pour ce que ça a servi, de voter non.
Les Irlandais, ils ont été obligés de manger leur chapeau électoral. Il faut les comprendre : vous vous voyez aller au bureau de vote tous les dimanches quand il fait grand soleil et que les poissons vous attendent dans le petit étang sympa de Saint Quentin ? Autant vous en débarrasser une bonne fois. Et les Danois, combien de fois ils avaient voté, avant de… de quoi, au fait ? N’est-ce pas trois fois, qu’on les avait obligés ?
Vous voyez, on oublie même les fois où on nous a demandé notre avis. Ça veut sans doute dire une chose : mon avis, il a autant de valeur que la queue de ce vairon perdu dans la friture que Jeannot vient de me servir. Vas-y, Jeannot, comme disait GUY BEDOS ! La preuve, c'est que NICOLAS SARKOZY ne s'est pas gêné pour passer par-dessus le NON au référendum et l'avis de la majorité des Français et faire adopter Lisbonne aux béni-oui-oui de la chambre des députés. Je me dis que la démocratie représentative en est une autre, de belle saloperie.
2 – LE CHAR D’ASSAUT DES TEXTES
Donc le « Traité constitutionnel », vous vous souvenez ? Cent quatre-vingt-onze pages sur papier bible. Quatre-vingt-sept, rien que pour le Traité proprement dit. Quatre cent quarante-huit articles musclés, en pleine forme, surentraînés, pleins de jus, et prêts à vous expédier au tapis au début du premier round, l’arrêt de l’arbitre faisant foi.
Et des articles que je peux comprendre au premier coup d’œil, il n’y en a pas beaucoup. Par exemple : « Le présent traité est conclu pour une durée illimitée » (c’est l’article IV – 446). Ça, ça va. Il y en a quelques autres, mais à vue de nez, ça fait 0,5 % du total. Pour les 99,5 % restants, vous avez bien un petit meuble à caler, non ?
Parce que moi, pour citer l’académicien, le si élégant et mondain JEAN D’ORMESSON : « Ce patagon, j’y entrave que pouic ! ». J’aime bien citer JEAN D’ORMESSON. Ce que j’aime avec lui c’est qu’on est bien servi et qu’on est sûr de la qualité de la viande … euh non, de la langue. Toujours cette maudite langue qui fourche !
Quoi qu’il en soit, une langue riche en saveurs populaires, si proche des gens, si pure de toute sophistication maniérée, si éloignée de toute afféterie salonnarde, si dénuée de tout gongorisme mignard, si châtiée de tout byzantinisme esthétisant, que c’en est un vach’te plaisir.
Pour revenir au « Traité », prenez l’article II – 68, qui traite de la « protection des données à caractère personnel ».
1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel le concernant.
2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées le concernant et d’en obtenir la rectification.
3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante.
Eh bien me voilà rassuré, n’est-ce pas ? Mais moi je ne veux pas de « rectification ». Je veux l’effacement pur et simple. Mais bon, on ne va pas chipoter sur des détails. Je me demande seulement ce que ça veut dire, juridiquement, « loyalement ».
Pareillement, je me demande ce que ça peut bien recouvrir, « autorité indépendante ». Est-ce qu’on demande au C. S. A. d’être indépendant ? Ce qui serait drôle, c’est que la loi qui l’a créé soit respectée ! Et je n’ai pris qu’un article pratiquement pas subdivisé. Est-ce que vous connaissez le III – 282 ? Le III – 404 ? Bref, pas la peine d’insister, je pense.
En tout cas, l’Europe, c’est bien avant ce « Traité » que tout le monde aurait dû dire STOP. Le premier jour où on a commencé à NE PAS COMPRENDRE ce qui se passait. Le grand tort des six premiers peuples de l’Europe communautaire, c’est qu’ils ont laissé faire. Quelle que soit l’occasion, il faut REFUSER de ne pas comprendre.
Dès que les peuples, dans les premiers grands cols, ont été lâchés par le peloton de tête (les crânes d’œuf des « concepteurs » de l’Europe), ils auraient dû se mettre en travers de la route, et crier : « STOP ! On veut comprendre. On bougera pas de là avant que vous ayez tout bien expliqué ! ». FRANÇOIS MITTERRAND a bien roulé le « peuple français » dans la farine, avec son Maastricht ! Personne n’y a rien compris, à Maastricht, excepté le quarteron de sournois qui avait son projet bien ficelé dans la tête.
3 – LE CHAR D’ASSAUT EN ACTION
Ce que j’en ai compris, je vais essayer de l’expliquer. En gros, ce projet, je le résumerai de la façon suivante : « Aller le plus vite possible, le plus loin possible de la comprenette des peuples, pour aboutir au « machin » le plus compliqué possible, pour qu’il ne soit précisément plus possible, d’une part, de revenir en arrière, et d’autre part, d’y comprendre quoi que ce soit ».
Suite et fin après-demain à 9 heures.
Parce que demain, c'est le onze novembre, jour férié.
Demain, ça s'appellera "hymne à la politique". A la fin, je donnerai rendez-vous, à tous ceux qui penseront comme moi à l'auto-génocide européen de 1914-1918, devant les monuments aux morts de la Grande Guerre. Avec un aiguillage vers mon blog de 2007 KONTREPWAZON, et clic, dans la colonne de gauche, sur la catégorie "Monuments aux morts". Merci pour eux.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : europe, commission européenne, arthur rimbaud, le bateau ivre, helmut kohl, françois mitterrand, jacques delors, maastricht, attac, traité constitutionnel, jean d'ormesson
mercredi, 09 novembre 2011
ACCLAMONS LE RETOUR DU MOYEN AGE
Au nom de je ne sais quel combat sacré contre un improbable nazisme résurgent, le législateur, sous la pression de groupes, de sectes et de factions, s’efforce de museler la pensée et l’expression de celle-ci, quand il estime qu'elle sort des cadres admissibles. Ce faisant, on fait de ces opinions et de ces mots des délits. C’est cela que je trouve hallucinant : inscrire des mots au Code Pénal.
J’ai aussi parlé ici du « genre », récemment. Si on parle tellement du « genre » depuis peu de temps, c’est que c’est un cheval de bataille. Le surgissement du « genre » signifie qu’une autre offensive est en cours. Celle-là est homosexuelle, et vise à conquérir la légitimité légale d’une norme.
Eh bien, il se passe la même chose pour la religion. Je dirais presque, en l’occurrence, qu’il s’agit d’une guerre, vu les moyens employés, que ce soit en Tunisie (destructions consécutives à la projection de Persépolis, de Marjane Satrapi) ou à Paris (cocktail Molotov contre Charlie Hebdo).
Moi, je ne dirai pas un mot pour défendre la laïcité. La laïcité, je m’en fous, je m’en tape, je m’en tamponne le coquillard, je m’en bats l’anse et même les deux. Tant que le mot jouait son rôle fictif de mur de protection contre les croyances particulières, il avait son utilité. Mais aujourd'hui, il veut dire à peu près tout et son contraire, tant il a été galvaudé, et est devenu comme le paysage de ruines de l'économie mondiale : indéchiffrable et ingouvernable.
Tant que la laïcité est le mur à l'abri duquel chacun conduit sa tambouille, mystique ou non, comme il l'entend, sans se préoccuper de ce qui se passe de l'autre côté, tout va bien. Mais si, le mur une fois tombé, les croyances choisissent l'espace public comme champ de bataille pour se faire la guerre, comme ça en prend le chemin, croyez-moi, ça va faire très mal, et ça a un peu commencé.
Alors je préviens solennellement, attention : PAS TOUCHE A LA LIBERTÉ D’INCROYANCE.
L'incroyance, l'insolence à l'égard du religieux, de tout le religieux, est la première à être visée dans le collimateur. L'incroyance sera la première victime de la chape de plomb religieuse, quand celle-ci aura rabattu son couvercle. Les croyants des diverses religions ne se supportent pas entre eux, à l'occasion, mais quand c'est leur fonds de commerce qui est en jeu, il deviennent solidaires, c'est du réflexe défensif.
J’ai lu dans le journal ce titre : « Les croyants en lutte contre le "rejet" des religions ». Le lendemain cet autre titre chapeautant une tribune libre : « Le symbole du Christ doit être respecté par les artistes ». Ces titres n’annoncent qu’une chose : l’encadrement, et finalement l’enfermement de la pensée et de son expression dans le Code Pénal.
Ces gens veulent qu’on respecte leurs croyances et sont prêts, à terme, à les faire respecter par la force. Mais curieusement, ils n’ont aucune envie d’envisager le fait que de tels titres dans les journaux, pour utiliser leurs termes, me "choquent", "heurtent ma sensibilité", "foulent au pieds les symboles et les idées auxquelles j’adhère". Pourquoi les droits qu’ils réclament pour leur chapelle me seraient-ils refusés ?
Messieurs les croyants, commencez par appliquer aux autres le respect que vous exigez pour vous-mêmes : respectez ceux qui ne le sont pas, et qui sont incommodés (c'est le mot le plus gentil que j'ai trouvé) par l'odeur de vos proclamations de foi, qui se répand impudemment dans l'air que je respire.
En vérité, mes bien chers frères, je vous le dis : il y a de l’offensive dans l’air. Féministes, antifascistes, chrétiens, musulmans, homosexuels, tout ce beau mélange de monde en effervescence est à la manœuvre. Et je ne veux pas paraître défendre le spectacle, probablement assez bête, de Roméo Castellucci, mais il n’y a aucune raison pour qu’on se laisse intimider par ces entreprises d’intimidation.
La manière de procéder, en l’occurrence, fait penser à l’air de la Calomnie dans Le Barbier de Séville, que chante Basile.
C’est d’abord un faible vent, une brise fort agréable
Qui, subtile, discrète, légèrement, doucement, commence à susurrer.
(…) Peu à peu elle accélère, dans les oreilles des gens, elle s’infiltre habilement.
(…) Le vacarme s’amplifie, prend force peu à peu,
Vole de lieu en lieu, c’est le tonnerre, la tempête,
(…) Enfin, tout déborde, éclate, se propage, redouble,
Et produit une explosion pareille à un coup de canon.
C’est exactement le même processus. On commence par les allusions les plus indirectes. On continue avec les stratégies d’influence. On poursuit par l’intimidation. Et ça finit avec le code pénal. Et j’ai comme l’impression qu’en ce moment, l’étau se resserre.
C’est d’ailleurs très curieux : spontanément, je n’ai aucune envie d’insulter Jéhovah, Jésus ou Allah. Franchement, pour tout dire, je m’en fous. De plus, je suis d’un tempérament doux et pacifique, vous me connaissez.
Mais ces cacas nerveux avec arrière-pensées politiques (le Renouveau Français), ce cocktail Molotov contre un journal que je n’aime pas, ces menaces qu’on fait courir à la liberté d’expression, je vais vous dire : tout ça me fait monter la moutarde à l'hypophyse, à l'hypothalamus, voire à l'hippopotame, et me donne justement l’envie d’injurier, d’offenser, d’outrager tous ces chéris en folie qui glapissent leurs idoles vertueuses prêtes à guillotiner, leurs dieux tout puissants et féroces, leurs prophètes appelant à la guerre sainte ou leurs « genres » autoproclamés « victimes justicières ». Les « victimes » ont tendance à se montrer avec le couteau entre les dents, vous ne trouvez pas ?
Si vous ajoutez « droit incroyance» à « liberté d'expression », vous obtenez « droit de blasphémer », « droit d’injurier tous les dieux ». L’Europe n’a pas vidé le ciel de Jéhovah, de Dieu et d’Allah réunis pour que les « trois imposteurs » (Moïse, Jésus, Mahomet), aidés de brigades Antisexistes, Antifascistes et Transgenres de tout pelage, viennent annexer nos bottes pour les remplir de leurs excréments dévots.
C’est déjà largement assez de voir mon paysage social pollué par toutes ces déjections militantes, et finalement guerrières. Le marigot commence à refouler salement du goulot. Et tout ça, à cause de quelques bouches malodorantes qui font leurs besoins dogmatiques en plein milieu de nos trottoirs. On va finir par patauger des deux pieds dans cette crotte mentale et de plus en plus arrogante.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, DANS LES JOURNAUX, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : laïcité, charlie hebdo, tolérance religieuses, intolérance, démocratie, marjane satrapi, athéisme, croyance, foi, roméo castellucci, le barbier de séville, le renouveau français, dieu, moïse, allah
mardi, 08 novembre 2011
L'OBSCURANTISME EST REVENU
MERDE A TOUTES LES « CAUSES »
Cela fait fort longtemps que j’ai cessé d’acheter Charlie Hebdo. Philippe Val dirigeait alors l’hebdomadaire, et dans son éditorial, il abreuvait le lecteur de considérations prêchi-prêcha vaseuses et oiseuses. Cette maladie s’aggravait avec le temps. Mais il lui fallait remplir ses deux colonnes de la page 3. Qu’est-ce qu’il a pu tirer à la ligne ! Il a bien fait d’aller écraser les arpions de la rédaction de France Inter. Ça n’a pas sauvé moralement le piteux Charlie Hebdo. Et je n’écoute jamais France Inter, que pour « Le Jeu des mille euros ».
Et ce monsieur « de gauche » (il devait être directeur) se faisait, en tant que principal actionnaire du journal avec trois autres (est-ce que c’est Bernard Maris, Cabu, Cavanna ?), ses 300.000 euros de revenus dans l’année. Sans compter son salaire de responsable.
Quant aux dessinateurs, Luz, Riss, Jul, Charb et d’autres, moi je veux bien, mais d’une part, ils n’arrivent pas à la cheville des Gébé, Wolinski, Reiser, et d’autre part, ce n’est pas en agrandissant démesurément les dessins pour remplir les pages que le journal acquiert plus de force. CABU est resté, et il est resté le même. J’aime toujours bien ce qu’il fait. Il est quand même actionnaire, il me semble.
J’ai gardé ma collection du premier Charlie Hebdo (1970-1981), celui qui a succédé à Hara Kiri Hebdo, zigouillé en novembre 1970. Il faut savoir que Charles De Gaulle est mort à peu près en même temps que se produisait la catastrophe du « cinq-sept », une boîte de Saint-Laurent-du-Pont qui a brûlé avec 147 jeunes. Ils avaient fait leur « une » comme suit : « Bal tragique à Colombey : un mort». Le gars qui a trouvé ça, il doit encore en rigoler comme un bossu.
Franchement, vous voulez que je vous dise ? Ce Charlie Hebdo, qui a aussitôt emboîté le pas à Hara Kiri Hebdo, en fut l’incomparable héritier et successeur ! Laquelle des « unes » de l’époque, publiée aujourd’hui, ne serait pas un cocktail Molotov, ou ne finirait pas en prison ? Si vous insistez beaucoup, je les descends de leur perchoir. En comparaison, celles d’aujourd’hui ont l’air d’avoir été castrées.
Tiens, voilà que ça me donne envie. En voilà quelques-unes, descendues pour vous. Le 14 août 1975 ? Un curé portugais en soutane et petit chapeau (l’uniforme, quoi !) montre les dents en tendant le bras bien droit vers le haut en criant : « Heil Dieu ! ». En plein scandale Roméo Castellucci à Paris, ça relativise les gamineries imbéciles des intégristes du « Renouveau Français ».
Le 18 décembre 1975 ? Pas de dessin, mais : « Joyeux Noël ! Chiez dans les crèches ! Achevez les handicapés ! Fusillez les militaires ! Etranglez les curés ! Ecrabouillez les flics ! Incendiez les banques ! ». Ça sentait bien fort son Hara Kiri, à l’époque. Et la liberté d’expression. Combien de procès, aujourd’hui ?
Ça a une autre gueule que le pauvre Indignez-vous ! de l’humaniste cacochyme, quoique valétudinaire Stéphane Hessel, quand même, avouez ! Allez, une dernière pour la route. Le 3 juin 1976, sous le titre : « Marchais flatte les chrétiens », une caricature du même, due à Gébé, qui lui fait dire, d’un air gourmand et réjoui : « J’ai enculé le pape ! ».
Maintenant, pour être juste, il faut dire que les sensibilités n’étaient pas aussi hystériques, et que les tribunaux n’étaient pas harcelés au plus léger froissement d’amour-propre des politicards de mes douilles, à la plus légère entorse au « droit à l’image » des vedettes, et à la moindre susceptibilité de ces hommes tellement pieux qu’ils se disent de religion juste au moment de mettre le feu.
Et pour une fois que Charlie Hebdo sort de sa réserve timide et habituelle, patatras ! Voilà que le ciel (!) en personne lui tombe sur la tête. Enfin, pas « en personne » : le bras armé. Ne cherchez pas, messieurs les flics, Allah a envoyé un ange lancer le cocktail Molotov. Il est reparti au ciel. Quelle idée aussi d’habiter au rez de chaussée ! C’est tenter le diable !
Je n’ai évidemment pas trouvé le numéro en kiosque : kidnappé par les collectionneurs ! C’était bien, cette trouvaille : « Charia Hebdo » en surtitre. Un Mahomet dessiné par Luz, qui dit : « 100 coups de fouet si vous n’êtes pas morts de rire ». Mais bon, ça fait trop longtemps que j’ai divorcé de Charlie Hebdo. Unilatéralement.
Reste que, aujourd’hui, et d’une, Dieu ou le Diable, tu sais plus bien. Et de deux, tu sais plus bien à quel étage ils crèchent. Voire à quelle adresse. Même que le facteur s’emmêle les pinceaux, que des lettres à Dieu se retrouvent en enfer et inversement. C’est le sac de nœuds.
Même l’humoriste patenté de la « une » du Monde, qui se fait appeler PLANTU, de son vrai nom Jean Plantureux, a accepté de rentrer les épaules et de courber la tête. Là, ce ne sont pas des islamistes qui l’embêtent, c’est la direction même du journal, secondée de son cabinet d’avocats qui veillent au grain (et qui doivent coûter cher), on ne sait jamais.
Le problème de Plantu, c'est qu'il remplit une fonction très claire, au Monde. Il sert de caution, d'alibi. Il n'est pas là pour exister vraiment. Il est le clin d'oeil de la grosse bête qui se sert de lui, la part d'humour de l'homme grave qui regarde ses propositions des dessins du jour, écarte ceux-ci, jette son dévolu sur celui-là.
L'homme Plantu s'écrase. Son dessin aussi. C'est un homme qui, dans l'affaire, perd quelques attributs. C'est pour ça que ses dessins ne disent jamais grand-chose. Ce sont des dessins qui pourraient tenir compagnie aux femmes du harem sans danger pour le front du sultan.
Résultat, si « eunuque » était un dessin satirique, il serait en « une » du Monde. Epoque misérable !
Epoque misérable, où l’on assiste à des offensives de plusieurs sortes contre la liberté d’expression. J’ai évoqué ici l’arrogance du « combat » féministe contre le sexisme (il faudra un jour prochain que je commente ce mot incroyable). J’ai défendu ici même, début août, le droit intégral des fascistes, des racistes et des antisémites d’exprimer publiquement leurs opinions extrêmes.
Il n'y a pas de raison valable pour laisser les limaces idéologiques ramper leur voix visqueuse dans les caniveaux de la démocratie, et se perdre dans les broussailles négligées que les gardiens des temples de la liberté ont laissé pousser dans leurs abords immédiats. Les dits gardiens n'avaient qu'à tenir la pauvre promesse de simple justice qu'ils avaient eu l'imprudence de faire juste avant d'être admis à s'asseoir à la table du pouvoir.
A suivre, demain sans faute.
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lundi, 07 novembre 2011
LE "JOURNALISTE", LANGUE ÉTRANGÈRE ...
... ou : APPRENEZ LE « JOURNALISTE » EN UNE SEULE LEÇON
Ah que c’est beau, le métier de journaliste ! Ah que c’est beau, la presse quotidienne ! Je ne chanterai jamais assez bruyamment la noblesse de ces hommes et de ces femmes, dont le dur métier est de faire parvenir jusqu’à nous la quintessence de ce qui se passe dans le monde en général, et dans notre hexagone en particulier.
On ne dira jamais assez les difficultés (et les mérites qui vont avec) de ce métier. A commencer par la langue. Ben oui, quoi : un journaliste n’est rien d’autre, quoi qu’il arrive, qu’un traducteur, qui doit transposer en mots les faits, événements, situations, circonstances, tableaux et autres aventures individuelles et collectives qui sont le lot de l’humanité chaque jour que Dieu fait. C’est dans ce vivier en continuel chambardement que la presse va à la pêche à chaque minute qui passe.
A partir de là, le journaliste se métamorphose en dictionnaire bilingue. Quoi, je débloque ? Mais regarde plutôt, lecteur sceptique : le quidam qui assiste au spectacle du monde, avec son grouillement de vermine en folie, avec les rebondissements et les soubresauts, avec les démissions, les rémissions et les compromissions, avec les morts, les naissances et les résurrections, enfin tout ce qui fait vingt-quatre heures de la vie d’un individu, qu’il soit ordinaire ou extraordinaire, multiplié par plusieurs milliards, qu’est-ce que tu veux qu’il y comprenne ? Je vais te dire, lecteur défiant : il n’y entrave que pouic, pour parler comme le parfait et raffiné académicien Jean d'Ormesson.
Du moins si personne ne lui prête la main. Heureusement, le journaliste est là, brave interface toujours disponible, prêt à donner la main à cette tâche éminemment louable : rendre intelligible la succession des moments du monde. Autrement dit, traduire.
Le journaliste est un dictionnaire charabia-français (si vous n’aimez pas « charabia », remplacez à volonté par « galimatias, patagon, amphigouri, sabir, baragouin ou volapük », vu ce qu’il me reste de fourrure sur la cafetière, ça ne défrisera pas ma perruque en peau de fesse.
Alors le journaliste, en tant que dictionnaire bilingue, quand il attaque une telle traduction, il n’a plus qu’à se feuilleter lui-même. Et là, de deux choses l’une, soit il tombe juste, soit il tombe à côté. Supposons, dans un préjugé favorable, qu’il tombe très souvent juste. Moi, c’est l’autre cas qui m’intéresse. Enfin, ce n’est pas vraiment qu’il tombe à côté. Il faudrait dire que, plutôt que de se feuilleter, ce qui prend du travail et du temps, il cède à la tentation de la facilité.
Il faut dire qu’au journal, les prédécesseurs, confrontés à divers problèmes de traduction, ont adopté au fil du temps des solutions diverses, des formules toutes faites, patiemment accumulées, collectionnées, mises de côté par la rédaction dans les tiroirs du vieux cartonnier du bureau, qu’on appelle le « grenier » dans le jargon du métier. Le journaliste, pour ne pas manquer la sieste, est parfois tenté de « monter au grenier ».
Vous avez certainement remarqué, en feuilletant la presse, les innombrables débats qui, jour après jour, sont « relancés ». C'est fous ce qu'on relance comme débats, en France. Je donne un exemple. Supposons, au hasard, que la « communauté homosexuelle » continue son offensive pour faire admettre l’homosexualité comme une norme normale, et se sert du mot « genre » pour arriver à ses fins, le journaliste en général, celui du Monde en particulier, sait aussitôt quel tiroir il peut ouvrir.
Notre pisseur de copie plonge donc la main, jette un œil et saisit une feuille qui lui semble convenir. Il a trouvé son titre : « Deux manuels scolaires évoquant le « genre » relancent le débat ». Nous y sommes, tout est dans ce : « relancent le débat ». Il est vrai que Le Monde offre diverses variantes, selon le moment, l’humeur et la vitesse du vent.
Mais la structure de la formule d’arrivée est invariable, même si « relancer » peut être avantageusement remplacé par « avive » ou « exacerbe », de même que « débat » peut laisser la place à « tension » ou « polémique ». Une fois choisi l’angle d’attaque, il ne reste plus qu’à ajuster la mécanique.
Ce qui est drôle, dans cette affaire, c’est ce qui est sous-entendu. « Relancer », ça veut dire qu’il y avait déjà débat, que ça roulait tranquillou dans les ornières connues des habitudes, sans faire de bruit particulier. En somme, ça ronronnait. On était dans la routine douillette du « débat démocratique ». C'est vrai, un débat identifié de longue date, un débat, en quelque sorte, entré dans les moeurs, on n'y prête quasiment plus attention.
Aussi longtemps que le niveau d’une maladie reste endémique, ça demeure acceptable. La dengue et le choléra, c’est tous les jours qu’on relève des cas, du côté du lac Kivu. Soudain, quelque chose « relance », c’est un signal d’alarme. D’endémique, la maladie devient épidémique. C’est grave, docteur ?
Un titre contenant ce verbe, « relance », est donc de ceux qui « interpellent ». Il y a sans doute urgence. A propos d’urgence, vous avez entendu parler, ces derniers jours, de la famine en Somalie ? Selon vous, le lecteur était-il ou non, dans cette affaire, considéré comme un crétin des Alpes ?
Notons qu’on peut, à l’occasion, isoler un terme, par exemple « polémique ». C’est ainsi qu’on trouvera : « Vive polémique autour de l’incendie qui ravage l’île de la Réunion », mais ailleurs : « Turquie : début de polémique sur la gestion par Ankara du séisme de Van ». Ces titres sont évidemment authentiques.
Ce qui est bien, avec « polémique », en dehors de son cortège de qualificatifs, c’est que le journaliste se trouve, à chaque fois, au milieu. Ben oui, puisqu’il a entendu les arguments des deux partis opposés. On a ici un des grands secrets de la profession. Ecoute bien, lecteur.
Dans le fond, c’est comme si c’était lui qui plaçait les adversaires sur le court de tennis, et qu’il revêtait l’uniforme de l’arbitre. Cette position d’arbitre est chaudement recommandée au débutant. Cela donne, au moment d’entrer dans le métier, ces drôles d’articles où le journaliste renonce presque à écrire lui-même, se contentant de transcrire, et s’effaçant devant les interlocuteurs. Vous voyez alors foisonner les guillemets. Quand ils ne s’ouvrent pas, ils se ferment, et réciproquement.
J’imagine bien le journaleux arbitrant son match : ses yeux vont de gauche à droite, puis de droite à gauche, et ça recommence, comme quand il pleut et qu'on est en voiture : on actionne l'essuie-glace. Il regarde la balle aller et venir. Il compte les points. Il n’intervient surtout pas : là, on ne dit pas qu’il est objectif, mais impartial. Le drôle d’article finit en article drôle, où la tête du lecteur, à son tour, pivote alternativement vers la droite et vers la gauche. Encore l'essuie-glace. Le travail d’écriture, ici, se borne à quelques chevilles à trouver pour lier les répliques des intervenants.
J’appelle ce genre de journalisme un « journalisme essuie-glace ». Une sorte de « degré zéro ». C’est confortable et sans risque.
Prenez maintenant cette autre expression : « Débloquer des fonds ». Très curieuse expression, si on y réfléchit. Celui qui débloque est peut-être le F. M. I., le gouvernement, Nicolas Sarkozy, l’O. N. U. ou la municipalité. Quoi qu’il en soit, si quelqu’un « débloque des fonds », c’est d’une part que quelqu’un les possède, et d’autre part que quelqu’un les bloquait jusqu'à présent. Personnellement, j'aime énormément apprendre que le F. M. I. ou Nicolas Sarkozy ont "débloqué".
Cette idée me plonge dans des abîmes de réflexion. Pourquoi n’a-t-on pas débloqué avant, et de quel droit ? Est-ce que le quelqu’un qui bloque est le même que le quelqu’un qui possède ? Quel événement a poussé le quelqu’un qui possède à débloquer ? Où étaient stockés les fonds soudain débloqués ? Vous voyez, rien que des questions de bons sens, qui éclairent brusquement le côté suspect du verbe « débloquer ».
Alors je m’adresse à toi, camarade rédacteur en chef, puisqu’il paraît que c’est toi l’auteur des titres : pourquoi est-ce que, tout d’un coup, ça « débloque » ?
C’est la même demande d’explication que je t’adresse, camarade rédacteur en chef, au sujet, cette fois, de l’expression « La France est en retard ». C’est fou, quand on lit la presse, le nombre de domaines dans lesquels « la France est en retard ». Comment ? La cinquième puissance de la planète ?
Mais comment fait-elle, la France, avec tous ces « retards » qui pullulent ? Qu’il s’agisse de recherche sur les cellules souches, d’accessibilité des bâtiments aux infirmes, de l’état sanitaire des prisons, de la prise en charge des enfants autistes, de l’automatisation des protocoles thérapeutiques à l’usage des bègues, de la souffrance au travail, du comptage électronique des pets de vaches laitières, du tri sélectif des déchets, et d’autres, je pose la question : jusqu’où la France s’arrêtera-t-elle ?
Oui, comment diable fait-elle pour avoir gardé sa place devant le Malawi, les îles Kiribati et le Belize ? Pourtant, ceux-là, j’en raffole, surtout du Belize. J’en reste tout ébaubi. Et je suis sincère. Presque.
C’est vrai qu’il est possible que tous ces retards abyssaux soient compensés par quelques domaines où la France montre à tout le monde ce dont elle est capable, nom de d’là ! Après tout, il s’agit de statistiques, donc de moyennes scientifiquement établies, n’est-ce pas ?
Ma bonne foi et ma bonne volonté légendaires (c’est-à-dire, en clair, « qui ont tous les caractères de la légende ») m’obligent à le reconnaître. Effectivement, il existe un domaine où la France a distancé de nombreux concurrents, et c'est l’entente cordiale qui règne entre les grands industriels, les grands journalistes et les grands politiciens. Je ne parle évidemment pas de la piétaille.
C’est à qui rendra un service signalé à l’autre, qui lui a précédemment rendu un signalé service, et ainsi de suite. Je n’exagère naturellement que dans l’exacte mesure des besoins de netteté de la démonstration.
Cette entente est un point décisif, qui nous établit définitivement dans la certitude que notre presse est carrément EN DESSOUS de tout soupçon. Camarade rédacteur en chef, je lève cependant, en toute condoléance, mon verre de Cairanne, Domaine Martin 2007, à ta santé. C’est un vin remarquable.
Nous avons donc pu voir qu’il est difficile (est-ce même souhaitable ?) de débuter dans le métier de journaliste, à cause des obstacles linguistiques posés par les recettes professionnelles, les clichés du gagne-pain, les stéréotypes de l’emploi et les lunettes à focale spéciale de la fonction.
Bien que nous n’y ayons pas insisté suffisamment, compatissons cependant aux dures tribulations du métier de journaliste, dans lequel il est aussi difficile de finir sa carrière vierge de tout reproche, pour cause de connivences diverses qui infléchissent la rectitude de la trajectoire déontologique.
Conclusion logique : le métier de journaliste, il vaut mieux ne jamais y être entré et ne jamais en être sorti. Alors je pose la question : qu'est-ce que c'est, un métier sans début ni fin ? De deux choses l'une : soit ça se passe en enfer, soit il n'existe pas.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journaliste, journalisme, article, journal, presse, journaux, déontologie, rédacteur en chef, pqr, pqn, jean d'ormesson, le monde, france
dimanche, 06 novembre 2011
LYON, BIENNALE, BONBONS, CHOCOLATS
« UNE TERRIBLE BEAUTÉ EST NÉE » : un catalogue à vous faire penser contre votre gré (« Nous afons les moyens de fous vaire benzer ! »).
Comment regarder une œuvre de ce qu’on appelle aujourd’hui « art contemporain » ? Quand on parle de « musique contemporaine », c’est souvent pour parler de stridences, de concert de casseroles et autres gentillesses. Il y a de ça avec l’« art contemporain ». S’il est vrai que l’art exprime quelque chose du monde tel qu’il va, alors le monde est dans un triste état.
C’est vrai qu’en bien des occasions, j’en ai vu, des gribouillons, des morceaux, des objets, des monceaux de morceaux d’objets, les uns sur les autres, les uns dans les autres, des pneus, des ficelles, de vieilles portes vermoulues : on a parfois l’impression que l’art contemporain, c’est l’art du déchet. Faut-il en conclure que nous vivons dans le monde du déchet ?
Eh bien ça tombe bien : tout porte à croire que c’est le cas, que nous y sommes, dans le déchet. Ça y est, mes frères, nous sommes arrivés chez nous, à destination, dans la poubelle. Ça a pris du temps, mais « A coeur vaillant rien d'impossible ». Il n’y a aucune raison pour que l’art échappe au sort commun de l’humanité prochaine, et ne soit pas à son tour, comme tout le monde, tympanisé et jeté au rebut.
Il paraît que le ridicule ne tue plus. Alors faisons l'hypothèse que, si ce qui est mort ne saurait plus sombrer dans le ridicule, dans un monde devenu ridicule, l'art ne peut prétendre rester vivant. Simple logique.
Alors, dans ces conditions, comment regarder cette Biennale ? J’avoue que je ne sais pas répondre à cette question. Mais pour en parler, je sais à qui il faut s’adresser : au directeur du musée voué à l’art contemporain en personne : THIERRY RASPAIL.
Attention, je ne dirai rien de la Biennale en elle-même. Courageux, mais pas téméraire, je n’ai pas accompli la visite. Je ne sais pas, peut-être un découragement préventif ? Un accablement prémonitoire ? Un abattement avant-coureur ? Mais je dirai quelque chose de quelque chose qui est dit de la Biennale. J’espère que vous suivez.
Pour savoir ce qui est dit de l’exposition, je me suis laissé guider par le magnifique catalogue (32 euros). C’est vrai que, vu de l’extérieur, c’est un bel objet. Pour l’instant, je ne me prononce pas sur l’intérieur. Je lis en particulier ce que le directeur du M. A. C. en dit dans son propos introductif. J’aurais appelé ça « préface » si THIERRY RASPAIL avait placé son propos en tête d’ouvrage.
Autant être prévenu avant d’entrer dans le catalogue de cette dixième Biennale : monsieur THIERRY RASPAIL aime l’apocope, vous savez, cette figure de style des paresseux ou des snobs qui, pour dire « art contemporain », se contentent de « contempo ». On ne va pas faire l’inventaire de l’apocope courante, on n’en finirait pas, vélo, ciné, et la flopée de toutes les autres.
Bref, je ne sais pas si THIERRY RASPAIL fait son ciné, ni s’il a un petit vélo qui lui trotte dans la tête, mais il aime l’apocope. Surtout s’agissant du mot « exposition ». Je l’en félicite. Cela donne « expo ». C’est tout à fait seyant. Ça va très bien à son teint. Quand il prononce « exposition » en entier, on se demande si ça ne lui a pas écorché la bouche.
Monsieur THIERRY RASPAIL, par ailleurs, a travaillé, qu’on se le dise. Et il le fait savoir, je dirai comment. Mais comme il est homme de précaution, il prend une précaution. Cela se passe au début de son laïus.
Modestement, il a laissé l’art et les artistes précéder et annoncer le dit laïus, qui commence en page 20, pour s’achever page 24. Mais comme ce sont, comme on dit au scrabble, des « pages compte double », on va compter 10 pages. Desquelles il faut retrancher une et demie, consacrée aux augustes références qui lui servent d’appui, de contrefort et, pour mieux dire, de réconfort et de caution solidaire.
Quarante et une références, pas une de moins. Et précises, avec ça : figurent en effet toutes les informations (nom, titre d’ouvrage, année, page) que réclame dûment une méthodologie universitaire en ordre de marche. Aucun nom, aucune citation ne sont laissés à eux-mêmes : toutes les bêtes sont bien attachées à leur anneau par un licou solide, et ne risquent pas de divaguer dans le pré du voisin.
THIERRY RASPAIL ne manque pas de jugeote : sentant venir l’objection, il la prévient habilement au tout début de son propos : « Y a-t-il seulement un sens à tout cela ? Ou pas ? ». Notez que, s’il y a contestation du sens, celle-ci est contenue (à tous les sens du mot) dans la sécheresse de ce « Ou pas ? » comminatoire et dédaigneux : on comprend ce que THIERRY RASPAIL en a déjà fait, de la critique. Comme si le mot d’ordre était : « Faites toujours quelque chose ; pour le sens, on verra après, éventuellement ». On est prévenu.
Le propos est peut-être structuré, en tout cas tout est fait pour en donner l’impression, ponctué qu’il est par ce qui se présente comme têtes de chapitres, synthèse, quintessence : « multiples étendues, débuter, broder, intrigue, régime, l’art-le monde, récit, vérité, lignes de démarcation, beauté-l’expo, poésie, anthropologie, perplexité, enargeia, livre ». Rien qu'avec ça, on peut mettre en route la machine à réfléchir.
On est d’autant plus impressionné, après ce tracé des intentions, par le nom et le nombre des anges tutélaires appelés à la rescousse. Ce ne sont pas moins de soixante-seize noms plus ou moins prestigieux, dont l’autorité incontestable est censée donner à toute l’entreprise sa justification pleine et entière, en même temps qu’ils sont la preuve que THIERRY RASPAIL n’est pas le premier venu, parce que, s'il ne dit pas qu'il a tout lu, il le laisse entendre. Les voici, inchangés (nom, ou prénom + nom), mais remis dans l’ordre alphabétique :
aby warburg |
gustav metzger |
montaigne |
alain roger |
hannah arendt |
musil |
antonio pinelli |
hans ulrich obrist |
pächt |
aristote |
hans-ulrich gumbrecht |
patrick chamoiseau |
arjun appadurai |
hayden white |
paul ricoeur |
balzac |
héraclite |
paul veyne |
baudelaire |
imre kertesz |
picasso |
benedict anderson |
jack goody |
proust |
bergson |
jacques roubaud |
quintilien |
bertolt brecht |
jean-christophe ammann |
rank |
carlo ginzburg |
jimmie durham |
renouvier |
carlo ginzburg |
johann gustav droysen |
robert musil |
clément rosset |
jörn rüsen |
roger m. bürgel |
clifford geertz |
joyce |
s. m. eisenstein |
cormac mccarthy |
kracauer |
saint-rené taillandier |
croce |
kubler |
sarkis |
defoe |
lapoujade |
stendhal |
édouard glissant |
léonard |
tocqueville |
f. dosse |
louis althusser |
tolstoï |
f. hartog |
marc augé |
umberto eco |
fernand léger |
marc aurèle |
walter benjamin |
flaubert |
marcel conche |
weber |
françois jullien |
marcel detienne |
wittgenstein |
friedrich nietzsche |
michel de certeau |
wolff |
gadamer |
michelet |
yeats |
godard |
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Rien n’est laissé au hasard, comme on voit. On est impressionné. Pas le plus petit interstice philosophique, littéraire ou esthétique n’est laissé vacant. Tout le champ de la pensée a été couvert. Le verre du cahier des charges est rempli plus haut que le bord. L'appareil digestif de THIERRY RASPAIL a quelque chose à voir avec celui de l'autruche.
TOUT, dans cette Biennale, qu’on se le dise, a été PENSÉ.
Un esprit chagrin pourrait cependant se dire, au vu de cet étalage de références, que l’avocat argumente en raison inverse de la consistance de sa matière. Plus le vide est palpable et compact (ce qui veut dire : plus l'accusé est difficile à défendre), plus il est tenté de suivre la voie ouverte par PHILIPPE SOLLERS. Il y a là de l’inversement proportionnel.
Grand admirateur d’estrades, dans son jeune temps, de bateleurs et de camelots vendant brosses à dents miracles, « éventre-tomates » et « écorche-poulets », PHILIPPE SOLLERS, en effet, est devenu le maître à penser dans l’art de l’esbroufe culturelle.
Aux puces de Saint-Ouen, on l'appelle le « Sultan de la Sublime Porte-Ouverte », vu l'aisance avec laquelle il enfonce les dites "portes ouvertes" quand il anime les journées du même nom au supermarché de Oinville-sur-Montcient (78), le samedi.
Son truc, à PHILIPPE SOLLERS ? Rabouter, quel que soit le sujet, les bribes de limaille (c'est la tactique de l'aimant) éparpillées de ses lectures, de ses souvenirs et de ses conversations, et en fleurir le flux qui jaillit de sa bouche, avec l’aisance et la brillance d’encaustique que donne une très longue fréquentation du salon parisien.
Comme par miracle, les bribes raboutées, grâce au savoir-faire du vieux "camelot bavard" (YVES MONTAND, Les Grands boulevards), deviennent fluides. Ça en jette. Au moins aux yeux des gogos avachis dans leur fauteuil face aux fulgurances de pacotille qui leur parviennent du plateau de télévision.
L’impression produite, quand on ne l’a jamais vu faire son numéro, peut être saisissante. Il marie à la vitesse de la lumière une porcelaine peu connue de la dynastie Ming et un repose-tête Bambara, un Traité des trois imposteurs et quelques-uns des Cantos d’Ezra Pound, tel crâne surmodelé de Papouasie et la légende de Harald à la dent bleue. Allez, encore une lichette de marquis de SADE, une pincée de VIVANT-DENON, pour la route.
PHILIPPE SOLLERS vous fait faire, à volonté, un Tour du Monde en douze minutes montre en main. Vous êtes déjà terrassé pour le compte, et vos poumons demandent de l’air. C’est sûr : cet homme a de la mémoire, malgré cet air de vieille mère maquerelle qui lui vient avec l'âge et la coupe de cheveux.
La préface de THIERRY RASPAIL au catalogue de la Biennale, c’est un peu ça : vous êtes assailli par la diversité des « savoirs mobilisés », comme disent les pédagoguenards (à moins que ce ne soient les pédagoguenots), principalement dans le domaine de l’art, comme de juste. Pas une seule des innombrables problématiques artistiques de notre monde n’est oubliée.
Il est sûrement tout à fait important de préciser la perspective dans laquelle a été conçue et mise en œuvre « l’expo », mais si l’on me demande mon avis, il est simple, le voici : « bourratif », « indigeste ». Je finis par me demander à quoi ça rime, de convoquer théoriciens et philosophes en masse. Si, je vois bien qu’il y a quelque chose à justifier. Qui se sent morveux, qu'il se mouche. Voilà que je me mets à faire comme Sancho Pança, qui parlait par proverbes.
Mais je me demande aussi si on ne se retrouve pas un peu dans Astérix et les Normands, quand l’un de ces derniers assène des coups de massue sur la tête d’un collègue qui s'enfonce peu à peu dans la neige, et lui demande : « Alors ? – Rien. Continue. Pour le moment, j’ai toujours plus de mal que de peur ».
A ceci près que j’en retire vaguement l’impression que tout ça sert à la fois à faire mal ET à faire peur. Mal, parce que THIERRY RASPAIL vous enfonce dans l’ignorance crasse où vous êtes de tout ce que le bien nommé « milieu » voudrait, par la prolifération des références savantes, faire prendre pour la continuation de « l’histoire de l’art ».
Peur, à cause de tout ce qu’il va me falloir apprendre avant de passer l’examen pour savoir si je suis autorisé à visiter « l’expo » sans pour autant passer pour un « plouc ». THIERRY RASPAIL voudrait bien me renvoyer sur les bancs du lycée, et ça, il faut qu’il sache que j’ai passé l’âge.
Je retire de cette préface au catalogue une sorte de confirmation d’un pressentiment que je traîne depuis déjà un certain temps. Je me dis que le « milieu » de l’art contemporain en général, et THIERRY RASPAIL en particulier, pratique volontiers l’intimidation.
Je ne me demande même pas s’il n’y a pas dans tout ça, tout simplement, du FOUTAGE DE GUEULE. Ça, au moins, je le savais déjà. Mais je me pose la question : est-ce qu’on ne chercherait pas, par l’avalanche de références savantes qu’on fait pleuvoir sur moi, par avance, à me CLOUER LE BEC ?
Finalement, cet étalage de confiture culturelle de haut parage a quelque chose à voir avec l’arrogance et la prétention. Par association d’idées, cela me fait penser au bocal dans lequel évoluent les « gros poissons » de ce monde cynique, qui dissertent à satiété de la façon de couper les cheveux, et en combien de tronçons c'est le plus recommandé, bien protégés du « vulgum pecus » qui gratte la terre de sa basse-cour à la recherche de quelque chose qui le nourrira … vraiment.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 04 novembre 2011
ENFANCE : A PROPOS D'UNE IMPOSTURE
DE LA BEAUTE D'UN SLOGAN : « JE VEUX APPRENDRE »
Il existe non loin de chez moi un lieu paradisiaque réservé aux enfants. Il porte le doux nom de « Maison de l’enfance », et le monde entier nous l’envie. Enfin, « paradisiaque », je n’en sais rien. C’est en tout cas l’impression laissée par la décoration extérieure.
On en acquiert aussitôt le sentiment infaillible que les autorités compétentes ont pris le « problème » de l’enfance tout à la fois aux cheveux, à gauche, à cœur, au mot, au sérieux et à bras le corps (n'en jetez plus !). C’est clair : on ne se fout de la gueule d’absolument personne. Je n'en sais rien, mais il y a fort à parier qu’un tel bâtiment a été inauguré par notre « grand-maire » lui-même, GERARD COLLOMB.
L’artiste qui a été rémunéré pour donner au message envoyé par notre « grand-maire » GERARD COLLOMB à la planète et à la ville (traduire Urbi et Orbi) toute l’ampleur esthétique que requiert l’importance du problème, l’artiste, disons-le sans ambages, s’est surpassé.
Sur les deux pans de murs qui font l’angle des rues Chariot-d’Or et Dumont-d’Urville, il a disposé, en très grand, ce qui ressemble à un dessin d’enfant, avec, sur plusieurs lignes orientées en biais, sans doute pour simuler la touchante maladresse de la main enfantine, une écriture d’enfant à la gloire du bonheur d’apprendre.
Le couronnement de cette authentique « œuvre d’art » consiste en le visage d’un petit garçon et d’une petite fille pointant leur regard et leur visage rayonnant vers un avenir radieux, autrement dit en haut à droite. Sur une sorte de phylactère semblant sortir de leur bouche, probablement inspiré d’une miniature médiévale, on lit cette phrase où se résume la philosophie de notre « grand-maire » GERARD COLLOMB et de notre époque tout entière : « JE VEUX APPRENDRE ».
Cette simple phrase, ça n’a l’air de rien, c’est plat, une simple petite phrase simple, affirmative, sujet, verbe, C. O. D., même un enfant est en mesure de la comprendre. « JE VEUX APPRENDRE ». C’est dans ce genre d’occasion qu’on découvre le démesuré des grands sentiments que les adultes éprouvent pour les enfants. Enfin, pas exactement : que les adultes éprouvent à la place des enfants. Ce n’est même pas exactement ça : que les adultes veulent à tout prix que les enfants éprouvent. Enfin : « voudraient » serait plus exact que « veulent ».
On a vraiment l’impression au premier rabord que l’enfant est de lui-même porté vers et par la volonté d’apprendre. En réalité, il n’en est rien, car la phrase ne veut pas dire ce qu’elle semble dire. L’enfant n’a jamais VOULU apprendre. Simplement, il a consenti à faire ce qu’on lui disait de faire. Et si ça lui a plu, il a continué, il y a même peut-être pris goût.
Cette phrase signifie exactement ceci : « Enfant, toi qui entres dans cette Maison de l’Enfance que la collectivité a édifiée à ton seul bénéfice, et que notre « grand-maire » GERARD COLLOMB a inauguré sans dissimuler l’immense amour qu’il a mis dans l’entreprise, tu es invité, ou plutôt, tu es SOMMÉ d’obtempérer à l’ordre qui t’est donné par cette petite phrase anodine. Parce que toi, à proprement parler, tu ne veux rien, rien que barbouiller (pardon : dessiner), jouer et courir, si possible en criant ».
« JE VEUX APPRENDRE », ça illustre bien l’hypocrisie, et je dirai la perversité de l’adulte qui prend ses désirs pour des réalités et voudrait à toute force que ça se traduise dans la réalité. La France dispose d’ailleurs, en la personne de NICOLAS SARKOZY, d’une sorte de modèle du genre : « (je veux) travailler plus pour gagner plus », on a vu ce que ça voulait dire une fois traduit en français profond. « Je veux apprendre », il faut donc le traduire : « tu dois apprendre ».
Et pour éviter de faire apparaître le principe d’autorité que cache la petite phrase anodine, notre « grand-maire » et ses complices ont fait semblant d’être des enfants. Ils disent : « Tu ne voudrais tout de même pas décevoir toute l’attente et tout l’espoir que nous affirmons fort et clair à nos électeurs vouloir mettre dans notre volonté enthousiaste de construire l’avenir, conformément à nos cent dix promesses électorales. N’est-ce pas, que tu vas faire des efforts pour m’éviter d’avoir menti ? ». La manœuvre est claire : imposer en culpabilisant, en faisant intérioriser l’ordre qui lui est finalement donné de l’extérieur. Je serais désolé de n’avoir pas été assez clair.
C’est de plus en plus évident : le principe d’autorité aujourd’hui est devenu inavouable comme un vice abominable. C’est l’entreprise qui a montré le chemin. On ne parle plus, et depuis longtemps, d’ « employés », mais de « collaborateurs ». Il n’y a plus de « chef du personnel », mais un « directeur des ressources humaines ».
Moyennant quoi les travailleurs ne vont plus travailler, mais œuvrer à la réussite du groupe. Il ne s’agit plus de remplir une tâche contre rémunération, mais de contribuer personnellement au développement de l’entreprise. Ce n’est plus seulement le corps qui doit fournir les efforts dus à celui qui paie, c’est l’âme tout entière qui est impérieusement invitée à se confondre avec la tâche rémunérée.
Chacun sera désormais personnellement impliqué dans le process, et aura à cœur de porter les valeurs propres à l’entreprise. Chacun désirera intimement que l’entreprise se développe à l’export, convaincu au plus profond de lui qu’une dynamique forte permettra de dépasser les objectifs fixés par le dircom.
Il faut intérioriser ce monde, ce langage, ces notions. Sinon, nous sommes désolés, cher collaborateur, votre implication au sein de l’équipe a été jugée insuffisante par le management, qui se voit au regret de devoir se passer de votre précieuse collaboration et se séparer de votre personne. Croyez bien que nous le déplorons. Autrement dit, le principe d’autorité n’a pas disparu. C’est même le contraire : il est d’autant plus puissant que dissimulé.
Au collège, au lycée, c’est la même chose. Le cours magistral ? Une vieillerie. L’autorité du maître ? Un fascisme insupportable. Des devoirs notés de 0 à 20 ? Un abus de pouvoir, et qui plus est dévalorisant. Le maître lui-même ? Au mieux, un animateur, au pire un empêcheur. Faisons donc disparaître le principe d’autorité. Les élèves auront donc désormais les mêmes droits que le maître. Moyennant quoi celui-ci devra, au début de CHAQUE cours, quémander à ceux-là le droit de leur enseigner ce qu’il sait.
L’autorité a-t-elle pour autant disparu ? Que nenni, messires, que nenni ! Le principe d’autorité aura peut-être déserté l’institution scolaire, et ce beau résultat est en passe d’être atteint. Il s’est simplement réfugié ailleurs. Où cela ? Pas loin : il attend avec sa matraque, juste derrière la porte de sortie de l’école. Il s’est déguisé et a pris d’autres noms : recherche de travail, entretien d’embauche, chômage, etc. Le principe d’autorité, il s’est simplement réfugié dans ce qu’il faut bien appeler la réalité des rapports sociaux.
Et l’enfant qui entrera dans le monde du travail, ayant été ainsi trahi par l’école même qui était censée lui donner les armes, eh bien si j’étais à sa place, j’aurais vraiment envie, là, de devenir violent.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 03 novembre 2011
L'ENFANT A LA SAUCE ONU
DIGRESSION : de l’importance des grands sentiments internationaux.
Tout laisse à penser que la tyrannie exercée à l’encontre des enfants a été définitivement balayée de notre meilleur des mondes. La meilleure preuve en est donnée par l’étalage des grands sentiments, au premier rang desquels figurent les grands sentiments internationaux.
Qu’on se le dise : contrairement à ce que laisse entendre un ménestrel du nom de GEORGES BRASSENS (« et les grands sentiments n’étaient pas de rigueur », c’est dans « Les Amours d’antan »), les grands sentiments internationaux sont de rigueur, comme les huit jours infligés au bidasse qui fait basculer la roue avant du camion dans la fosse d’évacuation des cuisines en roulant sur la plaque métallique qui la dissimule lâchement. Mais il n’y a plus de service militaire obligatoire.
Et pour que nul n’en ignore, il a été décidé d’apposer dans toutes les salles de classe la « Convention Internationale des Droits de l’Enfant ». Cette attrayante feuille dépliable et en couleur a été collée ou piquée dans le mur et, sans doute à force d’avoir été lue et relue par des jeunes avides d’apprendre ce qu’il ne sera plus désormais licite de leur faire subir, commence en général assez vite à montrer des signes de fatigue aux pliures et aux points d’attache, et tend d’elle-même à se décomposer sous le poids déchirant de sa propre importance.
On comprend l’avidité des jeunes yeux à la lecture de ce long poème lyrique de cinquante-quatre articles eux-mêmes subdivisés en des strophes d’importance variée, signalées suivant le cas par un grand I, ou un petit 1, voire un petit a (au total plus d’une centaine de subdivisions, sans doute dans le souci d’aérer le texte et d’en rendre la lecture plus facile), et rédigées par l’armée austère des juristes internationaux les plus qualifiés et les mieux dotés de la nécessaire et solide fibre poético-juridique, qu’on a vu se manifester avec un succès comparable dans la langue ô combien limpide de la « Constitution Européenne » de célèbre mémoire. Vous pouvez vérifier : cette phrase est grammaticalement irréprochable.
Que cet effort syntaxique soit pour nous tous l’occasion tant attendue de lever notre verre hilare au « Préambule » de cette Convention des Droits de l’Enfant, car le dit « Préambule » est lui-même constitué d’une seule phrase. Attention, prenez votre souffle, c’est comme pour une immersion à 4000 mètres sans oxygène :
Les Etats parties à la présente Convention, Considérant que, conformément aux principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance inhérente à tous les membres de la famille humaine, ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits, sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,
Ayant présent à l’esprit le fait que …
Reconnaissant que les Nations Unies, …
Rappelant que, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme …
Convaincus que la famille, …
Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de …
Considérant qu’il importe de préparer pleinement …
Ayant présent à l’esprit que la nécessité d’accorder …
Ayant présent à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration …
Rappelant les dispositions que la Déclaration …
Reconnaissant qu’il y a dans tous les pays …
Tenant dûment compte de l’importance …
Reconnaissant l’importance de la coopération internationale pour …
Sont convenus de ce qui suit : …………………………………….
Tout ceci est UNE SEULE phrase, évidemment, sinon ce ne serait pas drôle. On appelle ça des « considérants » : rien que des participes présents mis en apposition (j’ai souligné la proposition principale). Savourez le travail. Chapeau les artistes ! Un simple échantillon, et violemment tronqué, qui plus est. Et j’ai corrigé quelques coquilles.
Vous comprenez que mon petit effort syntaxique de tout à l’heure n’est rien du tout, face à ce simple « Préambule » du monument juridique qui s’apprête à déferler juste après (54 articles), écrit dans le même ton poétique. Enfoncé, BAUDELAIRE. Et ça s’appelle un texte international. On comprend que son application effective se heurte à quelques difficultés.
On ne se doute pas de l’utilité (rions un peu) des fonctionnaires internationaux, pourtant, ils ne ménagent pas leurs efforts. Parcourant le monde avec à la main un carnet et un crayon, ils s’arrêtent dès qu’ils rencontrent un enfant. Ils lui posent les sept cent soixante-treize questions réglementaires que comporte le questionnaire officiel, auquel les ambassadeurs de cent quatre-vingt-douze pays sont arrivés après seulement soixante-deux ans de fructueuses réflexions et négociations.
Parmi les questions, notons par exemple, prise au hasard, la n° 343 bis : « Disposez-vous, le matin, d’un bol pour le café au lait ? ». La 343 ter : « Combien de tartines beurrées avez-vous le loisir d’y tremper ? ». Et la 343 quater : « Avez-vous le choix entre le miel et la confiture ? ». On voit par là que l’enfance ne laisse personne indifférent, à commencer par les grandes institutions, prouvant ainsi le haut degré de civilisation où le monde est enfin parvenu, après tant de siècles d’obscurantisme.
Ayant accompli sa mission de huit ans de vacations et divagations diverses, avec son carnet dûment et durement rempli, le fonctionnaire international peut alors rentrer d’Afrique à New York au volant de son 4 x 4 (c’est un 4 x 4 spécialement conçu pour la traversée de l’Atlantique à la rame) et fait son rapport. En général, il le tape sur une vieille machine mécanique de marque Underwood, tant il se veut économe des deniers alloués par les Etats du monde à l’institution à laquelle il s’enorgueillit d’appartenir. Il en a encore onze sur la planche.
Quand les douze rapports des douze fonctionnaires internationaux sont empilés sur le bureau de leur « n + 1 », deux fois plus large et long que le leur propre, comme le veut la hiérarchie, celui-ci monte dans son 4 x 4, deux fois plus long que le précédent, pour se rendre à la réunion des douze « n + 1 », dans le bureau beaucoup plus vaste du « n + 2 », douze étages plus haut (ce sont des 4 x 4 à roues carrées, spécialement conçus pour le franchissement sans treuil des escaliers internationaux).
Après confrontations, additions, multiplications et réflexions poussées, le « n + 2 » ordonne à sa secrétaire de rédiger la synthèse, après avoir agité la sonnette d’alarme officielle de l’institution internationale, et de les transmettre (la synthèse et la sonnette d’alarme), au secrétariat général. Cette synthèse, où il est fait mention du nombre officiel des enfants pauvres qui ont été dénombrés dans le monde, est immédiatement traduite dans les autres langues officielles de l’institution internationale.
On envoie ensuite synthèse et sonnette à tous les organes de presse du monde, sous forme de notice illustrée et chiffrée. Cette précaution a pour but et pour effet d’épargner aux journalistes des dits organes de presse le difficile et fastidieux travail d’analyse, de compréhension et d’interprétation des chiffres communiqués, des fois qu’il leur prendrait l’idée de leur faire dire autre chose que ce pour quoi ils ont été fabriqués. Chacun sait qu’un bon journaliste est un journaliste docile.
Le lendemain même de la réception de la notice illustrée et chiffrée, tous les organes de presse publient les mêmes chiffres alarmistes en première page et en gros titres : « 400 MILLIONS D’ENFANTS DANS LE MONDE VIVENT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ ». L’alarme aura donc résonné jusqu’au fond des chaumières, et la collecte des dons spontanés pourra donc commencer dès le lendemain aux aurores.
On ne se doute pas assez combien sont liées l’alarmisation des foules et la collecte des fonds pour venir en aide aux autres foules car, bien entendu ce ne sont pas les mêmes foules : les unes vivent au chaud, les autres vivent en zone tempérée, mais avec la clim. Un autre fonctionnaire international passera l’année prochaine avec un autre questionnaire pour demander aux parents de l’enfant si par hasard eux aussi sont pauvres.
L’institution internationale, en lisant ces gros titres, se frotte les mains et déclare : « Personne pourra dire qu’on a pas fait le job ! »(« to do the job », en américain), avant de fixer la date de la prochaine réunion, qui sera comme chaque fois dans une petite gargote new yorkaise, un français trois étoiles en général. En attendant, le secrétaire général officiel de l’institution internationale invite tous les collaborateurs ayant collaboré à joindre leur coupe de champagne officiel à la sienne et à entonner dans la langue officielle et d’une voix fière et déterminée, l’hymne officiel à la gloire de leur action. C’est d’ailleurs le seul moment où il arrive qu’on entende des fausses notes. Pourtant, tous « connaissent la musique ».
Et le lendemain, les organes de presse du monde entier pourront enfin faire les gros titres qu’ils retenaient à grand-peine sur l’incroyable agression subie dans son travail par une femme de chambre de couleur marron foncé dans la suite 2806 d’un grand hôtel de la ville, de la part d’un fonctionnaire international blanc, quoique légèrement gris du fait des libations internationales, aperçu la veille participant à une réunion importante dans le cadre de ses fonctions. Et chacun se dira : « Heureusement que l’actualité change tous les jours, sinon, ça serait monotone. Passe-moi le sel ».
Fin de la digression sur les grands sentiments internationaux.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : enfant, tiers-monde, pauvreté, georges brassens, convention internationale des droits de l'enfant
mercredi, 02 novembre 2011
LISEZ "GULLIVER" (suite et fin)
Les considérations sur les dimensions ne sont pas inintéressantes en soi, à cause de l’effet de relativisme produit par rapport aux normes physiques du monde humain. L’idée a ensuite été souvent reprise par des romanciers, pas seulement dans la science-fiction : on se souvient du très court séjour fait par Tintin sur le rocher abîmé dans l’océan Arctique, dans L’Etoile mystérieuse, où il est confronté à une araignée géante, bientôt elle-même détruite par une pomme géante.
De Lilliput à Brobdingnag, on passe donc d’une humanité-jouet accueillant un géant somme toute bienveillant à un jouet humain débarquant chez des gens de taille « normale », où, potentiellement, tout lui devient une menace. L’effet de contraste est assez drôle et réussi.
A Brobdingnag, Gulliver est donc confronté aux hommes, mais aussi à des animaux qui, tous, le considèrent comme un gibier : ce sont tour à tour des guêpes (« Ces insectes étaient gros comme des perdrix »), une grenouille, un singe gros comme un éléphant, un chien qui le saisit dans sa gueule.
Il n’est pas jusqu’au nain du souverain – qui mesure 30 pieds (10 mètres) de haut – qui ne le menace en le jetant dans une jatte pleine de lait ou en secouant un pommier nain au-dessus de lui. Et quand il marche dans une bouse de vache, il en a jusqu’au-dessus du genoux.
Le meilleur ébéniste du royaume a été mis à contribution pour construire une maison aux dimensions de l’invité, destinée à être posée sur la table, et une « boîte de voyage » : on entre alors dans de véritables « maisons de poupée ».
C’est d’ailleurs dans la dite boîte qu’il quitte Brobdingnag, bien malgré lui, puisque brutalement emporté dans les griffes d’un aigle gigantesque qui, attaqué dans son vol, lâche sa proie. C’est dans ces conditions qu’il est repêché par un navire britannique et ramené à bon port. Mais il a juste le temps de retrouver les siens et de faire un enfant à sa femme : le voilà reparti.
Ce qui est rigolo, c’est que SWIFT se soucie extrêmement de varier les situations dans lesquelles Gulliver débarque en terre inconnue. Il aborde à Lilliput seul survivant de l’équipage du navire écrasé contre un rocher. Il découvre Brobdingnag après avoir débarqué en chaloupe pour « faire de l’eau » et s’être vu abandonné de ses camarades paniqués par l’apparition d’un géant.
Ce sont des pirates qui attaquent son navire et le débarquent au pays de Laputa, et des marins mutinés qui le débarqueront en terre des Houyhnhnms. Le lecteur ne saurait donc se plaindre de monotonie ou de procédé abusif : tout reste « vraisemblable ». On peut quand même se dire que Gulliver n'a vraiment pas de chance.
Si les deux premiers voyages confrontent Gulliver à des humains en réduction ou à la taille multipliée, les deux derniers inventent des peuples de la plus haute excentricité, quoiqu’opposés entre eux. Pour Laputa, JONATHAN SWIFT invente, un siècle et demi avant les anticipations de JULES VERNE, une île volante.
Le secret de l’île ? D’abord un diamant poli, taillé en plateau, d’un diamètre de plus de 7 kilomètres, sur lequel est bâtie la cité royale. Ensuite « une pierre d’aimant d’une grandeur prodigieuse, taillée en forme de navette de tisserand », autrement dit une boussole précieuse et démesurée, qui permet de faire varier la hauteur et de mouvoir l’île dans la direction souhaitée.
La population est assez folklorique, à tout point de vue : tout le monde a la tête penchée à droite ou à gauche, et « un œil tourné en dedans, et l’autre vers le ciel ». Sur leurs habits sont figurés des astres, lunes, soleils, étoiles. Ils sont tous astronomes, musiciens, géomètres, mathématiciens et astrologues.
Chaque seigneur est accompagné d’un « frappeur » qui, tenant une vessie remplie de pois secs accrochée au bout d’une perche, a pour mission, en présence de quelqu’un d’autre, de frapper l’oreille ou la bouche de son maître, pour lui rappeler qu’il lui faut écouter ou parler.
Car ces gens sont plus distraits que le professeur Cosinus en personne, toujours plongés dans une profonde méditation scientifique et des calculs mathématiques tous plus savants les uns que les autres. La nourriture elle-même est méticuleusement présentée sous forme de volumes géométriques (« une pièce de bœuf sous la forme d’un rhomboïde ») ou d’instruments de musique.
Ici comme dans les autres pays visités, Gulliver se met en devoir d’en apprendre la langue. A Lilliput, il apprendra les mots glumgluffs (l’unité de mesure locale), hekinah degul, nardac (titre de noblesse supérieur à celui du trésorier, qui n’est que glumglum). La capitale de Brobdingnag, Lorbrulgrud, mesure trois glomglungs (= 72 kilomètres à vue de nez) de long.
Pour les habitants, Gulliver n’est qu’un relplum scalcath (= jeu de nature). Il est bon de savoir ces choses, on se sent tout de suite rassuré. A Laputa, on parle le balnibarbien, évidemment, dont voici un échantillon : « Ickpling gloffthrobb … » (= puisse votre célèbre Majesté …). J’allais le dire.
Les femmes rêvent de descendre de leur île pour aller « s’émanciper » à Lagado, la capitale du royaume, mais il leur est très difficile d’en obtenir l’autorisation : on raconte qu’une épouse de ministre fut recherchée et trouvée en compagnie d’un laquais très laid avec lequel elle faisait mille folies, et auprès duquel elle retourna quand elle eut été ramenée de force. Bref, l’horreur. Gulliver ayant eu l’occasion de s’y rendre, il observa que toutes les maisons était mal bâties, de guingois, sans aucun angle droit, parce que les architectes se moquaient de toute symétrie, et de toute verticalité.
Moralité : ils sont fous, ces Laputiens ! Après un petit séjour au royaume de Luggnagg, dont il découvre les struldbruggs, il se rend au Japon, où il trouve un navire pour rentrer en Angleterre et accroître sa famille au moyen du ventre de son épouse (« Je laissai ma pauvre femme enceinte », dit-il en partant pour son dernier voyage).
Après la mutinerie déjà évoquée, il se retrouve donc chez les Houyhnhnms. Cela revient à dire : après les plus cinglés (les Laputiens), les plus sages des êtres. A ceci près que ce sont des chevaux. Ils n’ont rien dans leur vocabulaire qui soit à même de désigner la haine ou le mépris. Ces « chevaux » sont gouvernés par la raison et rien d’autre.
Autrement dit, ils n’ont jamais la moindre ombre de mauvaise pensée, ignorent ce qu’est un mensonge, bref, une humanité à l’envers. Quand l’un d’eux meurt, ni lui, ni ceux qui lui survivent ne sont tristes ou joyeux : la mort est le dénouement neutre d’un processus logique. La vie et la mort font partie des lois naturelles.
Les Houyhnhnms sont un peuple qui ignore donc jusqu’à l’idée de sentiment. Le seul dégoût qu’ils éprouvent est à l’encontre des « yaouhs », de hideuses créatures marchant sur deux pattes, impossibles à domestiquer et à améliorer, et ressemblant furieusement à Gulliver lui-même. Comment cette espèce est-elle arrivée dans le pays ? Personne n’en sait rien. Les Houyhnhnms se contentent d’utiliser leurs services pour tirer leurs charrettes et de prélever leur cuir une fois qu’ils sont morts, pour en faire divers objets utiles.
Le pauvre Gulliver est tellement subjugué par l’univers de Houyhnhnms qu’il se met carrément à leur école, avec l’intention de rester définitivement dans le pays. Mais l’assemblée en décide autrement : il est forcément un yaouh, et il doit disparaître, soit en se fondant dans la population de ses hideux semblables, soit en regagnant son pays à la nage. Son maître accepte cependant de lui laisser fabriquer une embarcation pour quitter le pays.
La mort dans l’âme, il s’éloigne donc. Mais il n’est pas au bout de ses peines, car il est tellement traumatisé par le souvenir des abominables yaouhs, qu’une fois rentré à la maison, il ne supporte absolument plus le voisinage, l’aspect et l’odeur de ses semblables. La description que fait SWIFT de ce déni fait de la fin du livre un document quasiment psychiatrique sur une pathologie digne d’enfermement. C’est assez curieux.
C’en est au point que quand sa femme l’embrasse, il s’évanouit. Il est encore sous le choc de la hideur des yaouhs : « Et quand je songeais que par mon union avec une femelle yaouh [soigneusement passée sous silence] j’étais devenu le père de plusieurs de ces animaux, je me sentais pénétré de honte et d’horreur ». Ce n’est certes pas un livre pour enfants.
Toujours est-il qu’il a le plus grand mal à se réacclimater à son pays et à son environnement : « La première année [après son retour], je ne pouvais endurer la vue de ma femme et de mes enfants, et leur odeur me semblait intolérable ».
Il compense le grand déplaisir éprouvé en famille par une grande familiarité avec deux chevaux qu’il a achetés et mis dans son écurie, non pour les monter, mais pour causer avec eux « au moins quatre heures par jour ». Le livre s’achève sur un plaidoyer « pro domo », où l’auteur réaffirme haut et fort la véracité de ses récits et son profond dégoût pour certains aspects de l’humanité : « Mais quand je vois un monde de difformités et de maladies du corps et de l’esprit toutes engendrées par l’orgueil, la patience m’échappe ; il m’est impossible de concevoir comment un pareil vice et un pareil animal peuvent aller ensemble ».
Le livre aurait pu s’intituler : « Comment on devient misanthrope ».
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mardi, 01 novembre 2011
LISEZ "GULLIVER"
Si vous croyiez que c’est le roi des livres pour enfants, c’est que vous n’avez pas lu le livre de JONATHAN SWIFT, plus célèbre que vraiment connu. Le héros s’appelle exactement Samuel Gulliver. Le titre exact ? Voyages de Gulliver dans des contrées lointaines. « Contrées lointaines » faisant référence à une époque où les zones de blanc sur les cartes du monde étaient encore plus étendues que les zones dûment renseignées. Et ce n’est pas Gulliver qui a pu faire progresser la géographie du globe, puisque il ne sait pas, et pour cause, dans quelles zones de blanc il a atterri.
Je viens de lire ce livre. Je croyais donc très bêtement, comme beaucoup de gens sans doute, que c’était un héros pour les enfants. Sur la base bien compréhensible des innombrables éditions illustrées à destination des petits, où seul apparaissait le pays de Lilliput. On voit bien la raison d’un tel succès : ce petit homme qui fait du toboggan dans la chevelure de ce géant immobilisé au sol par des milliers de fils, c’est l’enfant lui-même qui se rêve. On connaît aussi peut-être la gravure montrant l’armée entière de l’empire de Lilliput défilant entre les jambes du géant.
Là s’arrêtent les possibilités d’identification de l’enfant au monde de Lilliput. Qu’on se le dise : Gulliver n’est pas un livre pour enfants, et sa lecture serait pour lui un abominable pensum. Au reste, Gulliver sera contraint de fuir Lilliput, où il risque la peine de mort. Je dirai plus loin pour quel motif inavouable. La mort aurait été infligée au moyen de milliers de flèches minuscules, dont les pointes microscopiques auraient été empoisonnées, si le héros n’avait faussé compagnie aux Lilliputiens pour se rendre dans l’île rivale de Blefuscu.
Il importe évidemment que le héros soit sauvé parce que, d’une part, il a encore trois voyages lointains à accomplir, et que d’autre part, il lui faudra, une fois accomplis tous ses périples, publier le récit circonstancié de son séjour dans chacune des quatre contrées mystérieuses. Au total, il aura passé quinze ans hors de son foyer, loin de sa patrie, ne rentrant chez lui, finalement, que pour embrasser ses enfants et en accroître le nombre en s’occupant de son épouse.
Soit dit en passant, une telle fidélité et, pour dire la chose, une telle abstinence, a quelque chose d’absolument effrayant, puisqu’il n’a d’activité sexuelle que légitime, c’est-à-dire « at home », c’est-à-dire tous les trois à cinq ans, comme un chasseur de baleines du temps de la marine à voile. Il aura effectué trois de ses voyages comme chirurgien du bord, le dernier comme capitaine de vaisseau, ce dont d’ailleurs mal lui a pris.
Il est vrai que les femmes de Lilliput auraient pu, à peu de centimètres près, se loger dans son prépuce ; que celles de Brobdingnag l’auraient englouti dans n’importe lequel de leurs orifices ; et qu’il dédaigna de « serrer de près » les femmes de Laputa, alors que l’occasion s’en fût présentée s’il l’eût voulu, leurs maris les trompant à longueur d’année avec des équations mathématiques du plus haut niveau d’abstraction.
Quant aux femelles « yaouh » du pays des Houyhnhnms (celles qui ressemblent le plus aux femmes que nous connaissons, à quelques détails près), elles auraient volontiers fait de Gulliver leur quatre-heures, mais elles, pourtant réglementairement munies des deux bosses devant, deux derrière, et du trou au milieu, lui inspiraient une telle horreur, entre autres olfactive, qu’il les fuyait de toutes ses forces. Il avoue cependant vers la fin qu’il a eu un « commerce » avec l’une de ces femelles. Telles sont donc les quatre « contrées lointaines » : Lilliput, Brobdingnag, Laputa et pays des Houyhnhnms.
Mais revenons à Lilliput. Il faut savoir qu’une haine inexpiable s’est élevée entre ce pays et son rival de Blefuscu, qui se croient les deux seuls empires de tout l’univers. Conflits pour des raisons anciennes et obscures, mais aussi pour deux plus récentes : deux conflits irréconciliables se sont fait jour à Lilliput. Laissons de côté celui opposant les partisans des talons-hauts à ceux des talons-bas, qui perdure de nos jours, si le reporter du Monde n’a pas tout puisé dans son imagination ou dans ses bouteilles de breuvages fermentés. Il paraît même que certains présidents de républiques bananières optent délibérément pour des talons-très-hauts, sans doute pour éviter que leur nez ne donne directement dans l'entrecuisse de leur épouse..
Intéressons-nous donc à la guerre sans merci que se sont livrée, en des temps pas si anciens, les gros-boutiens et les petit-boutiens. C’est très important. Car la tradition, et donc les autorités politiques, imposent, quand on mange un œuf, de l’attaquer par le petit bout. Tout le monde sait ça, voyons. Tout le monde doit se plier. Car c’est non seulement une tradition, et en tant que telle rétive à toute tentative de « modernisme », mais encore une loi pénale. Toute autre manière est donc décrétée hérétique et entraîne ipso facto la mort du coupable. Il y a donc eu un gros massacre de gros-boutiens.
Leur exil sur Blefuscu, ajouté aux visées expansionnistes de l’empereur, constitue une menace pour Lilliput. Bon, je ne vais pas résumer, je sens que ça va m’ennuyer. Je préfère déambuler au gré du vent. Au fait, je ne vous ai pas dit pourquoi Gulliver est condamné à mort. C’est très simple : un soir où le château impérial de Lilliput est en train de brûler, Gulliver intervient, défait sa braguette, sort son instrument pissatoire et pisse si abondamment sur les flammes « qu’en trois minutes, le feu fut tout à fait éteint ».
Malheureusement, pisser dans l’enceinte du château est un crime de lèse-majesté. Il est probable que l’impératrice a, au surplus et à l’occasion, aperçu la gigantesque pompe à incendie qui pend au bas-ventre de Quinbus Flestrin (nom de Gulliver en langue lilliputienne), et qu’il a mise en œuvre en sa présence : on comprend qu’elle ne se soit pas remise de sitôt de la violente commotion. Ajoutons à cela, avec d’autres griefs mineurs, que le dit Quinbus Flestrin n’a pas obtempéré à l’ordre de l’empereur de réduire Blefuscu à l’état de simple province de Lilliput, après avoir, à lui seul, privé l’ennemi de toute sa flotte de combat.
Moralité du voyage à Lilliput : voilà un simple univers humain en réduction, muni des mêmes tares (rapacité, cupidité, haine, volonté de puissance, etc.). Inutile de dire que Gulliver retrouve sa patrie, ses deux enfants et sa chère femme, enfin, pas si chère que ça, puisque deux mois à peine après son retour, il repart, l’ayant lestée de celui qu’il embrassera sans faute à son prochain retour. Il a auparavant gagné pas mal d’argent en exhibant des bestiaux miniatures sortis de ses poches à son retour de Blefuscu. Mais il y a décidément l’irrésistible appel du large. « Je montai courageusement à bord de L’Aventure. »
A Brobdingnag, pour bien faire le pendant du premier chapitre, les enfants mesurent à peu près douze mètres de haut. La preuve se trouve sur l’affiche du spectacle du « nain des nains », offert à la curiosité du public, qui stipule expressément que « les enfants mesurant au-dessus de 35 pieds paieront place entière » (ça, c'est l'illustration de Granville). Mais comme à Lilliput, Gulliver, grâce à ses multiples talents, s’attire la bienveillance du souverain et de son entourage : il est, à la cour, aussi confortable que chez lui. Plus courtisan que Gulliver, tu meurs !
JONATHAN SWIFT, qui a une réputation de pamphlétaire, s’entoure bizarrement de précautions oratoires parfois interminables pour faire entendre au lecteur qu’il ne faut surtout pas croire que, au cours de ses longs entretiens avec ses protecteurs étrangers qui s’informent du pays d’où il vient, il porte un jugement sur l’Angleterre, ou que c’est lui qui prend parti. Prudence élémentaire à l’époque, sans doute. J’avoue cependant que c’est une lourdeur du livre. Mais certaines flèches sont bien envoyées quand même, sur les juges, sur les femmes, sur le peuple ou la politique.
Car l’intérêt des séjours de Gulliver réside essentiellement, pour JONATHAN SWIFT, dans les descriptions comparées des mœurs et coutumes et des institutions politiques en vigueur en Angleterre et dans le pays visité. C’est évidemment le procédé du repoussoir exotique, qui montre en creux tous les aspects de son propre pays que l’auteur veut soumettre à la critique (voir Les Lettres persanes, L’Ingénu, etc.). Cette manière de faire est visiblement dans l’air du temps (Gulliver et Lettres en 1721, L’ingénu en 1767).
A suivre …
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lundi, 31 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (4)
EPISODE 4 : Le psychologue et l’Enfant aux sortilèges
Troisième petite parenthèse (fulgurante).
« J’ai pas envie de faire ma page. J’ai envie d’aller me promener. J’ai envie de manger tous les gâteaux. J’ai envie de tirer la queue du chat et de couper celle de l’écureuil. J’ai envie de gronder tout le monde ! J’ai envie de mettre Maman en pénitence… » Le personnage qui prononce ces fortes paroles, allez, appelons-le « L’Enfant », ça ne s’invente pas. En face de lui, préparant leur offensive, « Les Sortilèges ».
Le complot a été longuement machiné, patiemment ourdi en secret par un couple infernal : COLETTE pour les paroles, MAURICE RAVEL pour la musique, même si le bruit court que celui-ci en a pris largement à son aise avec le travail de celle-là. Bon, je résume l’argument : au début, l’enfant est méchant (« Je n’aime personne ! Je suis très méchant ! (…) Hourrah ! Plus de leçons ! Plus de devoirs ! Je suis libre, libre, méchant et libre ! »). A la fin : « Il est sage… si sage…Il est bon, il est sage… si sage… si sage… ». En gros, il était méchant, et il a retourné sa veste. Comme VIDOCQ qui, de bagnard, se retrouve chef de la police de sûreté.
Il faut dire qu’entre le début et la fin, il s’en est passé, des choses. La bergère et le fauteuil, et même la chaise de paille viennent sur la place Tahrir lui crier « Dégage ! » ; puis c’est au tour de l’horloge de crier « Casse-toi pauvre c… ! » ; la tasse et la théière ne sont pas en reste (« Ça-oh-râ toujours l’air chinoâ (…) Kek-ta fouhtuh d’mon Kaoua ? », c’est le texte véridique) ; les motifs du papier peint s’animent et protestent ; enfin bref, c’est tout son cadre familier qui n’en peut plus de ses abus de pouvoir, et qui brandit l’étendard, finissant par amener l’enfant à résipiscence, et à laisser s’exprimer la part de bonté qu’il cachait en lui.
« Tout est bien qui finit bien », comme il est dit à la fin du Trésor de Rackham le Rouge. Il y avait sûrement un tel fond de bonté chez le Tunisien ZINE EL ABIDINE BEN ALI, mais on ne lui a pas laissé le temps de l’exprimer (34 ans d’attente). Même chose pour le pauvre colonel libyen KHADAFI (42 ans). Mais lui il a toute la durée de l’au-delà pour que ça sorte. Il ne faut jamais dire « jamais ».
Mais il faut aussi dire que L’Enfant et les sortilèges, ça remonte à une époque où l’enfant n’avait pas encore été placé « au centre du système » (ça, c’est LIONEL JOSPIN quand il était sinistre de l’Education Nationale). L’enfant, là, il est comme la Sophie qui a des malheurs dans le livre de SOPHIA FIODOROVNA ROSTOPCHINA, plus connue comme épouse du comte EUGENE DE SEGUR, et donc comtesse par voie maritale et de conséquence. Dans Les Malheurs de Sophie, l’héroïne fait bêtise sur bêtise, des vraies. C’est sûr, l’enfant n’est pas idéalisé, c’est le moins qu’on puisse dire. Et c’est très bien comme ça.
Fin de la parenthèse fulgurante.
En fin de compte, c’est quoi, un enfant ? Je certifie ici, sur l’honneur, que je ne suis pas psychologue de profession, sinon, d’une part, je le saurais, et d’autre part, on m’aurait depuis longtemps rayé des tablettes et des cadres. Vous savez pourquoi ? A cause des « éléments de langage » qu’il faut avoir appris, du vocabulaire et de la syntaxe particuliers qu’il faut maîtriser, des « lunettes » spéciales qu’on vous colle sur le nez pour voir la vie, les gens, et donc les enfants.
Quatrième petite parenthèse (désolée)
Il m’est arrivé d’être assis à table juste à côté d’un psychologue. Il « intervient » dans l’établissement. Bon, c’est vrai qu’il ne faut pas généraliser à partir d’un seul « cas ». Mais c’est vrai aussi qu’il a déjà une tête un peu, disons, « spécifique ». Comment dire ? Du genre à examiner le macaroni sous tous les angles pour voir ce qu’il a dans le ventre avant de l’ingurgiter.
Nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Dès les entrées, il me demande tout de go, et hargneusement, disons-le, si j’ai des enfants. Je lui réponds qu’en effet, j’ai eu la faiblesse de contribuer à ce genre de fabrication, et que j’ai besogné en vue de la repopulation. Mais que je n’ai pas fait ça tout seul. J’ajoute donc que j’ai tout fait pour que les bons moments qu’a durés ma contribution soient les plus plaisants, les plus mémorables possibles, pour moi bien sûr, mais aussi pour celle que la nature avait désignée pour le portage du fardeau qui devait en découler.
N’est-ce pas MONTAIGNE en personne qui, s’adressant à une femme enceinte sur le point d’exploser, lui souhaite d’avoir autant de plaisir à chier son marmot qu’elle en a eu à le concevoir (ce ne sont sans doute pas ses termes, encore que …, en tout cas, c’est l’idée) ? Ce sont des moments à entourer des soins les plus attentifs et les plus « tendres », tant il est désormais de notoriété publique que ce n’est qu’ensuite qu’apparaissent les contreparties exigées dans le « service après vente ».
Après tout : « Inter fæces et urinam nascimur », a dit SAINT AUGUSTIN en parlant du lieu qui voit les hommes naître à la lumière du jour et aux légères tribulations qui s’ensuivent. Quoi, traduire ? Vraiment ? Vous l’aurez voulu ! Ne venez pas vous plaindre : « Nous naissons entre la merde et l’urine ». C’est assez bien vu, je trouve.
Je reviens à mon propos. Le psychologue, apparemment, le suivait attentivement. C’est ainsi que nous arrivons au steak-haché-frites, le moment choisi pour me décocher : « Je vois. Donc, c’est sûr, vous élevez très mal vos enfants ! ». Pantois je suis, pantois je reste. Je crains d’avoir mal entendu, mais pas du tout : il me répète la phrase, il a mûrement choisi les mots, il a fait des études pour en arriver là.
Je le regarde, hésitant sur la suite à donner. Au moment où je veux reprendre le fil, il a déjà fini son yaourt et sa compote, se lève, saisit son plateau avant de disparaître. Je me dis alors qu’il n’est sans doute pas très heureux, et j’attaque mon demi Saint-Marcellin. Les psychologues, c’est comme l’andouillette beaujolaise : il y en a sûrement des bien.
Et c’est vrai, j’en ai rencontré d’autres par la suite, dont beaucoup avaient un air assez normal. Il faut bien dire, malgré tout, que c’est une drôle de profession que l’Occident a inventée là. Est-ce qu’elle remplace le métier de curé – à peu près disparu, celui-là – comme cela se susurre parfois ? Comme dit BOB DYLAN : « The answer, my friend, is blowing in the wind » (bis). Pas besoin de traduire, là, j’espère.
Est-ce qu’elle est indispensable à l’encadrement des enfants, des élèves ? Ce qui est sûr, c’est que l’étude et les soins de l’âme ont proliféré dans la société humaine comme les mouches sur une bouse appétissante. Bref rappel (je jure de ne pas insister et de ne pas faire mon balourd) : ψυχή, c’est l’âme, λόγος, c’est l’étude « scientifique », ίατρός, c’est celui qui soigne. Tout ça a donné, vous vous en doutez : « psychologue » et « psychiatre ».
Quelle maladie notre civilisation a-t-elle injectée aux vivants qu’elle a vu et fait naître pour qu’elle-même juge nécessaire de les prendre en charge ? Est-ce vraiment ce que MARCEL GAUCHET nomme le « désenchantement du monde », c’est-à-dire le nettoyage complet du ciel, de l’au-delà, en bref, de tout ce qui, autrefois, était placé « au-dessus » de l’humanité ? Mon pote ROLAND le pense. Mais lui, il dit qu’il faut revenir, justement, à ce « statu quo ante ». Est-il vraiment sérieux ? Ou bien sait-il que ce n’est pas possible, comme c’est le plus probable ?
Fin de la parenthèse désolée.
Alors je repose la question sur la table : qu’est-ce que c’est un enfant ? Je reprends la formule : c’est une personne future. Il n’y a pas à sortir de là. Autrement dit, ça suppose d’abord de le prendre au sérieux en tant que personne potentielle. De se comporter soi-même de façon responsable. J’arrête : je ne vais pas tarder à pontifier, à sentencier, bref, à dogmatiser. Mais je veux quand même dire que s’il y a quelque chose d’insupportable chez l’adulte, c’est quand il se dit qu’il faut être soi-même enfant pour « se mettre à la portée » de l’enfant.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 30 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (3)
EPISODE 3 : le « Monde » de l’ « Enfance »
Deuxième petite parenthèse (coruscante).
La grande HANNAH ARENDT dit, dans La Crise de la culture (chapitre V), que « l’enfance n’est qu’une phase transitoire ». Or, constate-t-elle, « ce qui précisément devrait préparer l’enfant au monde des adultes, l’habitude acquise peu à peu de travailler au lieu de jouer est supprimée au profit de l’autonomie du monde de l’enfance » (p. 236).
« L’autonomie du monde de l’enfance », ça veut dire qu’on fait de l’enfance un monde à part, qui a son existence propre, en dehors de la vie ordinaire, un peu comme une icône. En quelque sorte, on fait comme si l’enfant existait, non comme une future personne en construction, un être inachevé, comme une maison qui attend l’intervention du maçon et du plâtrier-peintre pour devenir habitable, mais comme un « en-soi » déjà abouti, immuable, distinct, définitif. HANNAH ARENDT dit même qu’on « tend à faire du monde de l’enfance un absolu ». Etant entendu qu’il s’agit de l’absolu du jeu.
Mais bande de malheureux, il n’y a pas de « monde de l’enfance » ! C’est l’invention d’adultes mal mûris, nostalgiques d’un temps qui ne leur paraît désirable que parce qu’ils l’ont oublié, comme ils ont oublié tout ce qu’ils vécurent alors au quotidien. La frustration ou l’excès d’ « amour ». L’angoisse qui en découle. Le sentiment d’injustice, d’incompréhension. Le désir d’être « grand » tout de suite, pour avoir l’air aussi sûr de soi qu’ont l’air de l’être les « grands ».
Ou au contraire de ne pas grandir et de retourner là d’où on vient, quand on jouissait de l’évidence du bonheur sans savoir que c’était ça, le bonheur. Mais que même ça, et surtout ça, c’est une illusion et un mensonge, puisque après, ce n’est plus vrai, et que c’est fini à jamais.
« Vivre son enfance », pour l’enfant, c’est le dernier de ses soucis. Il ne se préoccupe de rien d’autre que de vivre, de faire face, de jour en jour, comme tout le monde, aux épreuves à son échelle qui l’attendent. L’enfant, il ne saurait pas qu’il est un enfant, si on ne le lui serinait pas. Il ne se vit pas comme tel, mais comme simple être vivant. « Enfant », pour lui, c’est un mot abstrait. Quasiment vide de sens.
C’est pour ça qu’il serait bon de gifler ou, au moins, de torturer à mort tous ceux qui, face à un bébé, à un enfant, se mettent à faire les niais, à bêtifier et faire des grimaces. Dans leur esprit, c’est ainsi qu’on « se met à la portée » : en devenant le singe et la caricature. Je pense à ces deux pages de GOTLIB, dans les Dingodossiers, où le tonton fait l’imbécile en train de fondre devant le berceau du poupon et dit : « Qu’il est mignon ! ». Le poupon en question se redresse, hilare, en pointant le pouce : « Qu’il est bête ! ».
Fin de la parenthèse coruscante.
Cela donne lieu à des manifestations comiques. Je pense en particulier aux pages locales de la P. Q. R. (Presse Quotidienne Régionale), toujours très attentive à ce que les « grands » font pour les « petits ». Vous avez vu, ça se bouscule, c’est tous les jours, dans les pages locales. On les sensibilise à TOUT. AUCUNE des graves préoccupations de l’âge adulte ne doit échapper à l’entreprise de sensibilisation. Parce qu’il se dit, l’adulte, dans sa candeur, que l’enfant ne le deviendra jamais assez tôt, adulte. Pourquoi, alors, lui épargnerait-on les questions graves ?
Alors, pour « sensibiliser », comme ils disent, voilà de quoi on leur cause, aux petits : pollution, tri des déchets (« sélectif » pour réviser la définition du pléonasme), souffrance animale, justice, tabagisme (et autres problèmes de santé publique), comment bien se nourrir (juste avant la faim dans le monde), gestion des affaires publiques (c’est le « conseil municipal des enfants », et il y eut même une opération « Sénat des enfants »), et j’en passe. Ici, on les fait courir en solidarité avec les enfants du Burkina Faso. Là, on leur fait « vendre-de-charité » des babioles contre le paludisme. Ça n’arrête pas.
Vous trouvez que c'est des questions pour les enfants, vous ?
Le fin du fin ? « Monsieur le Maire, quelles actions envisagez-vous en direction des enfants pour les sensibiliser aux risques encourus au contact de pervers pédophiles ? » Ce n’était pas exactement formulé comme ça, mais il s’agissait quand même, dans cette information, d’inciter les enfants (de primaire, il me semble) à la prudence face aux adultes dans le domaine sexuel. Je ne sais pas si vous « mordez le topo, les aminches » (San Antonio).
On leur expliquait ce qu’ils risquaient si un adulte se montrait un peu trop « attentionné » envers eux. Vous avez vu la bombe que dissimule le joli mot de « pédophile ». C’est le mot à la mode. C’est parce qu’il est à la mode qu’il en impose, qu’il intimide, qu’il cloue le bec. En réalité, « pédophile », ça veut dire « qui aime les enfants ». Φιλία (philia), ça veut dire « affection », par exemple entre deux vieux époux. Quand il y a du sexe, on parle d’ερως (érôs), qui a donné « érotisme ». Que serait un instituteur qui ne serait pas « pédophile » ?
Pourquoi n’a-t-on pas gardé « pédéraste », mot qui s’applique exactement à l’adulte qui aime particulièrement les enfants pour ce qui est de ses jeux sexuels ? Ah, on me dit que son apocope (désolé, c’est comme ça qu’on dit), « pédé », est désormais une injure ? Mais à ce moment-là, il suffit que le code pénal criminalise non la « pédophilie » mais la « pédérastie ».
Ah, monsieur Grand Robert me dit dans mon oreillette que le mot désigne, « par ext. toute pratique homosexuelle masculine » ? Et celle-ci n’est plus punissable ? Dans ce cas, la seule question qui se pose est de savoir comment désigner un adulte qui aime vraiment les enfants. « Pédagogue » est déjà pris, mais surtout, il désigne celui qui « fait avancer » l’enfant. Non, vraiment, je ne vois décidément que « pédophile » pour qualifier le métier d’instituteur : « Qui fait preuve d’affection envers les enfants ».
Qu’est-ce que c’est, un adulte trop « attentionné », dans la réalité ? Et surtout qu’est-ce que ce sera dans la tête de l’enfant, après une telle « sensibilisation » ? Le parent qui embrasse son gamin sur la bouche, comme l’habitude semble s’en être maintenant généralisée ? L’adulte qui le prend familièrement sur les genoux ? Et qu’est-ce qu’elle fait, exactement et précisément, la mère, devant la table à langer, quand le lardon sort du bain tout propre et tout parfumé, qu’il lui prend l’envie de le croquer ? Franchement, va-t-il falloir mettre un flic derrière tous les parents pour guetter le moindre geste un peu trop « attentionné » ?
Honnêtement, je me demande quelle image peut se former dans la tête de ces gamins après une séance de « sensibilisation », et sous quel jour leur apparaîtra leur éducateur préféré. Si l’on voulait lui enseigner la peur de l’adulte (aux activités assimilées à une sorte de pourriture infecte), la méfiance généralisée et, en fin de compte, le refus pur et simple d’apprendre quoi que ce soit ; si on voulait le dégoûter de manifester la moindre ébauche d’envie d'apprendre, par peur de risquer gros dans ses parties les plus vulnérables et les plus intimes, on ne s’y prendrait pas autrement.
J’arrêterai là sur les « actions publiques en direction des enfants ». Ce que ne disent jamais leurs promoteurs, c’est que les dites actions leur servent exclusivement à se donner un peu de lustre, accessoirement à fabriquer des souvenirs pour les albums de famille, et à donner un peu de travail aux photographes de la presse régionale. Car si quelqu’un attend de ces actions une quelconque valeur éducative et formative, c’est que quelqu’un se fout du monde. Appelez ça « opérations de propagande », « événements publicitaires », « animations récréatives », tout ce que vous voudrez.
A la rigueur, cela pourrait avoir une valeur éducative s’il y avait ne serait-ce qu’un atome de continuité et de structure dans ces actions. Autrement dit, s’il s’agissait d’une matière d’enseignement. Là je veux bien. Mais un tel saupoudrage ! Autant en emporte le vent. De toute façon, rien ne rentre dans le crâne si ce n’est pas rabâché, c’est bien connu.
Finalement, les propos de HANNAH ARENDT cités au début apparaissent complètement paradoxaux : d’un côté, on fétichise l’enfance, on la met sur un piédestal, on la célèbre, on lui écrit une « Déclaration des droits de l’... » (texte ultra-juridique de l’ONU affiché dans toutes les salles de classe et aussi compréhensible que la défunte « Constitution Européenne »). Bref, on idéalise l’enfance en tissant un cocon protecteur autour de son « espace enchanté ».
Et en même temps, on jure dur comme fer qu’on veut la préparer à devenir adulte et, ce faisant, on lui fait entrevoir l’âge adulte comme un monde difficile, voire impossible, angoissant, etc. Et je ne parle pas de ce que les enfants peuvent voir à la télévision ou sur internet. De toute évidence, la paroi censée isoler l’enfance est de plus en plus poreuse.
Et c’est le temps où, chez les adultes, on assiste à des séances de promotion de ceux qui ont « su garder une âme d’enfant », qui « laissent vivre en eux la part d’enfance » qui ne les a jamais quittés. Cette tendance est rendue visible, là encore, par des modes qu’il est difficile de critiquer sans passer pour un vieux con. J’assume bien entendu le risque, en me plaçant sous l’autorité et le haut patronage de saint ROLAND TOPOR, qui écrivit naguère Les Mémoires d’un vieux con.
Je ne peux m’empêcher de m’amuser au spectacle de toutes les roulettes sur lesquelles se juchent les vivants d’aujourd’hui pour se déplacer dans les villes, si possible sur les trottoirs, pour bien faire sentir au piéton que c’est lui, l’anomalie. Mais je pense aussi aux jeunes parents qui, ne pouvant se résoudre à délaisser le temps heureux et insouciant où ils étaient étudiants, traînent leur bébé et / ou leur mouflet au café, ce lieu éminemment éducatif, comme chacun sait. Encore plus net, je pense à l’empire exercé par le JEU sur la vie d’un nombre de plus en plus effrayant d’individus supposés « sortis de l’enfance ».
A suivre ...
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samedi, 29 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (2)
EPISODE 2 : la poussette et la horde barbare
Première petite parenthèse (adamantine).
FERNAND RAYNAUD s’est écrasé sur le mur du cimetière du Cheix (ou Le-Cheix-sur-Morge, 63), un 28 septembre 1973, mais il l’a fait avec classe. Pensez donc, un coupé Rolls-Royce « silver ghost » ! Il y a pire, comme cercueil. Bon, c’est vrai, il n’est peut-être pas enterré dedans. Il est un peu oublié, le pôvre, mais il eut son heure de gloire. La preuve, c’est la Rolls. Il l’avait achetée en faisant rire. Et même bidonner, voire tirebouchonner. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, il roulerait en Rolls. M’enfin, il se serait peut-être adapté.
Il devait être, une fois de plus, complètement bourré. A moins que ce ne soient les freins qui aient lâché : il racontait comme une blague que le voyant « brakes » (= freins) restait constamment allumé. Une fois, il avait pris en stop deux copines, J. et J. Trente secondes après, il leur demandait si elles étaient lesbiennes, avant de leur proposer la botte. Bon, c’était presque vrai : elles étaient aussi lesbiennes. Il ne s’embarrassait pas d’entrées en matière. Pas comme ici, diront certains.
J’y viens donc. FERNAND RAYNAUD racontait des histoires drôles. Entre autres, celle du père qui donne un ordre à son fils : « Toto, mange ta soupe ! – Non j’la mangerai pas ». Ce qui m’intéresse, quand le gamin se met à hurler, c’est les voisins qui crient : « Bourreau d’enfant ! ». C’était dans les années 1960. C’est le titre du sketch, visible sur internet.
La fin du sketch explique très bien qu’en certaines occasions, le parent puisse avoir envie de transformer sa progéniture en tache de sang sur le mur avec les os incrustés dedans : le père qui a été obligé par l’infernal chérubin d’acheter une saucisse, puis d’en manger une moitié, l’entend hurler pour finir : « Ouiiiin ! T’as mangé le morceau que j'voulais ! ».
Fin de la parenthèse adamantine.
C’était donc vrai, ce qu’on m’avait dit, que je ne voulais pas le croire : l’enfant n’est pas ce parangon d’innocence et de vertu qu’un certain catéchisme qui se dit « moderne » voudrait nous peindre dans les teintes pastel les plus tendres et les plus veloutées !?! Parce que l’ange à tête blonde se double, en filigrane, du pervers le plus égoïste, le plus endurci et le plus polymorphe qui se puisse trouver sous le ciel.
La divinisation de l’enfant ne date certes pas d’aujourd’hui. On la trouve, depuis un temps, à l’état endémique, mais souvent en phase critique (= de crise). Et ça commence à bien faire. Les lieux de la divinisation sont peu nombreux. Le domicile étant inaccessible, voire inavouable, après avoir vu le supermarché, il nous reste la rue, les transports en commun et les cafés. Je vous donne un exemple. L’autre jour, dans le bus, je m’assieds à côté de la porte centrale. Un gamin est là, debout tout contre, qui garde fermement le pouce appuyé sur le bouton d’ouverture, empêchant résolument la fermeture.
Je lui dis : « Tu sais, il ne faut pas appuyer sur le bouton tout le temps ». La mère, qui veillait pas loin, aussitôt : « Monsieur, c’est bien à vous de faire la morale à mon enfant, alors que vous venez de le bousculer ! ». « Faire la morale » ! « Bousculé » ! J’avoue qu’après avoir remis la dame et son merdeux à leur place, l’état mental de la personne m’a valu un court instant de perplexité.
Il y a aussi cette grappe de collégiennes, dans le métro, qui hurlent leur hystérie, trépignent leur surexcitation et vocifèrent dans leurs courses désordonnées. Bref : des merdeuses exaspérantes. A haute voix, je les compare à une troupe de chiennes en fureur, sans doute même en chaleur. La rombière à côté de moi, sans doute mazoutée pour le compte, comme un vulgaire guillemot de Troïl après une marée noire, prend un air enjoué, léger, presque flûté, pour comparer cette cacophonie stridente à un gazouillis d’oiseaux. « Espèce d’oie faisandée ! » Et n’ai-je pas vu une bergère entre deux âges offrir sa place assise non à la femme enceinte en phase terminale qui vient de monter, mais à son minot qui ne demandait rien ?
J’ai fini par comprendre (c’est vrai, je suis un peu lent) le sens de l’expression : « Il faut mettre l’enfant au centre », vous savez, ce slogan qui sortait à jet continu, il n’y a pas si longtemps, des groins politiques, des claque-merde économiques et des dégueuloirs des autorités éducatives. En fait, ça ne veut rien dire d’autre que : « Il faut donner la priorité absolue à l’enfant sur toute autre catégorie de personnes ». Les vieillards seront bientôt priés de céder leur place assise aux chiards, et bientôt les crèches capteront à leur profit la manne publique auparavant destinée aux maisons de retraite. On n’y est pas encore.
Cette caricature comporte cependant une part de vrai. Regardez calmement ce qui se passe : on parque un peu plus les vieux tous les jours. Bon, c’est vrai qu’ils s’incrustent. Vrai aussi qu’ils radotent. Vrai encore qu’il y en a une demi-douzaine qui bavent, et deux ou trois qui font pire. Pendant ce temps, voyez s’instaurer, dans les rues, dans les magasins, dans les bus et métros, le règne absolu de la poussette.
Et pas la petite poussette, discrète comme une trottinette qu’on suspend à l’épaule le temps d’une emplette. Non : la poussette agressive comme un char d’assaut, la poussette qui n’a pas besoin, sur fond blanc, d’une grande croix sanguinolente sur ses flancs pour impressionner et faire taire toute la compagnie, et qui, dans un espace de bus calculé au millimètre, occupe victorieusement tout le terrain, impose ses dimensions redoutables par sa seule présence. Ah, elle est bien finie, l’époque du Petit Poucet. Place à la Grosse Poussette ! Mes excuses, je me laisse aller à la facilité.
A se demander si les femmes, sous nos climats, ne font pas tant d’enfants dans le but exclusif d’exercer le pouvoir. Vous avez vu, dans les rues, le nombre effrayant de gros ventres ? Pas un grand pouvoir, certes. Disons, un simple pouvoir de petite nuisance qui s’exerce dans l’espace public. Soyez franches, mesdames : quand vous êtes en cloque, n’y a-t-il aucun pressentiment des droits que vous aurez conquis sitôt que vous aurez retrouvé le ventre plat (dans le plus optimiste des cas) ? Car il faut s’en convaincre : un gros ventre croisé dans la rue aujourd’hui, c'est une poussette dans le bus demain. SARKOZY lui-même y travaille.
Et je ne vous décris pas le tableau quand un fauteuil roulant entre dans la danse, de préférence aux heures de pointe, sinon ça ne ferait pas rire. Rien de plus désopilant et féroce que cette concurrence sans merci entre l’infirme sûr de ses droits et la mère conquérante. Ben aussi, il faut les comprendre : chacun veille au mieux à ses intérêts, au prorata de son handicap. Le plus mal loti dans l’affaire, c’est encore le vieillard, face au risque d’écrasement auquel il est confronté. Il n’est pas de taille à lutter contre une poussette et un fauteuil ligués à l’occasion pour l’occupation de l’espace. Il n’a plus qu’à se rabougrir sur son siège, encore heureux s’il est assis.
Cette bataille des faibles pour la prééminence peut bien tourner à l’avantage de l’un ou de l’autre des adversaires, je sais bien, quant à moi, qui perd : le bête adulte valide, contraint de se faire petit, de se réfugier dans les coins, de s’entasser contre ses « semblables en infortune », en essayant de garder ses orteils à peu près en état de marche. L’adulte valide, il a presque honte d’être à la fois adulte et valide. Mais faut-il être assez bête pour cumuler ainsi les handicaps ? Peut-être même qu’il regrette de ne pas avoir même une béquille à brandir.
Et qui sait ? Une béquille fièrement arborée ne serait-elle pas un moyen de se faire enfin une place, oh, pas une bien grande, un tout petit espace, grâce à une minuscule intimidation ? Si cette hypothèse donne des idées à quelqu’un, merci toutefois de ne pas en abuser. Vous imaginez bien que le subterfuge serait vite découvert en cas de prolifération de béquilles dans les espaces publics. Ce serait aussi gros qu'une épidémie de Ventoline dans les rangs du Peloton du Tour de France. Ce qu'à Dieu ne plaise !!!
Même chose pour la canne blanche, dont on m’a dit qu’elle produit les meilleurs effets. Encore que, pour faire un aveugle crédible, il faille un véritable entraînement, si possible conduit par le PHILIPPE LUCAS de LAURE MANAUDOU, pas parce que son élément est liquide, mais parce qu’il sait ce qu’entraîner veut dire. Voyez la nageuse, elle n’a jamais été aussi belle que sous la férule et la houlette de son entraîneur. On voit que ça lui a réussi, la férule et la houlette de l'homme !
Nous avons laissé le polichinelle dans sa poussette. Lui, royal, tranquille comme Baptiste, il a une vue imprenable sur les plis au genou des pantalons et les mollets féminins, parfois un attaché-case (ou autre bagage authentique ou supposé) : ça le dégoûte vaguement, parce qu’il ignore encore son propre avenir. De trois choses l’une : soit il gazouille, soit il vocifère, soit il dort. Imaginons-le dans la troisième, et laissons-le à sa sieste.
A suivre …
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : fernand raynaud, humoriste, enfant, parents, éducation, petit poucet
vendredi, 28 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (1)
EPISODE 1 : la caisse du supermarché
Cette chronique n’abordant que les sujets les plus graves et les plus vastes, nous parlerons aujourd’hui de l’enfant (cette phrase se veut un petit hommage au grand ALEXANDRE VIALATTE). Et s’agissant de l’enfant, chacun conviendra qu’il n’y a rien de mieux que la caisse de supermarché pour l’observer « en action », dans la mission que lui a confiée le commerce industriel : vaincre la résistance de la ménagère, en général sa propre mère, ce qui en fait d'emblée un traître en puissance.
Car si l’espace du supermarché, en soi, dévoile l’intention stratégique de son organisation (« coco, tu te débrouilles comme tu veux, mais à l’arrivée à la caisse, je veux que la longueur de la liste rédigée chez elle, sur un bout de papier et un coin de table, ait au moins triplé ! »), la caisse en est le couronnement. Cette cerise est bien vissée sur ce gâteau.
Vous savez sûrement que tout « bon musulman » doit impérativement accomplir au moins une fois dans sa vie le « hadj » (pèlerinage à La Mecque, dont le coût actuel, dans le bas de la fourchette haute, se monte à environ 5.000 euros par personne, je le sais de première main, c'est KHALED qui me l'a dit).
Le « hadj » du consommateur, c’est moins cher, mais c’est toutes les semaines, si possible le même jour de la semaine, pour garder les points de fidélité, de repère et de comparaison, et si possible le samedi matin, pour bien se souvenir que les autres ont une existence concrète, principalement au moment de faire la queue à la caisse. Ce voyage dans la Mecque de la consommation permet de révéler, à travers une petite scène du quotidien, le plus élaboré de tous les protocoles du commerce industriel, le plus prévisible, mais aux péripéties concrètes indéfiniment renouvelées : l’arrivée de la petite famille à la caisse.
Car la caisse est le piège, le cul-de-sac, la nasse, l’impasse, comme sont tous les péages. Arrêt obligatoire et patience vivement conseillée. Il faut l’avoir vue se dérouler, la scène : la maman (en général, c’est elle, mais on voit parfois un papa) pousse le chariot, qu’elle vide sur le tapis de caisse, après l’avoir rempli et avant de le remplir à nouveau pour le vider dans le coffre de la voiture (on ne s’en lasse pas, que ça devrait être considéré comme un loisir), et ce n’est pas fini. On ne le dit pas assez : le consommateur-en-supermarché est un manutentionnaire qui, non seulement travaille pour les beaux yeux de la princesse, mais en plus qui achète le droit de travailler.
Maintenant, mettez un gamin dans le siège du chariot (tout est prévu). Le gamin, son métier, c’est de regarder autour de lui. Et qu’est-ce qu’il voit, posé devant ses yeux, à portée de sa charmante et innocente menotte potelée quand le chariot arrive à la caisse ? Evidemment bien sûr : LE TEST. Grandeur nature. Juste à la bonne hauteur. Bien en évidence dans des présentoirs avenants.
Donc des boîtes d’épinards ou de fayots, ça ne risque pas. Rien que des saloperies délicieuses, ou bien des cochonneries sucrées, ou alors des pacotilles suaves, et même des camelotes exquises, bref, des merdailles au goût délectable. Rien que des trucs défendus par le coran (euh non, aux dernières nouvelles, je me trompe ; sûrement un oubli du prophète, ce qui prouve d’ailleurs l'amateurisme de ceux qui se fient à lui). Rien que des trucs défendus par le docteur – mais celui-là je l’aime pas parce qu’il fait les piqûres.
Rien que des trucs défendus par papa et maman quand on les a pas encore trop épuisés, mais on va les avoir à l’usure, on n’est qu’au début de l’échauffement, ils vont voir à qui ils ont à faire. « Rien que des trucs défendus », on a compris que ça veut dire : « Rien que des trucs éminemment désirables ». Dans « désirables », comprenez : « A saisir coûte que coûte ».
Poussant son chariot, la femme sait. Depuis l’entrée du magasin, elle tremble, car elle sait ce qui l’attend. Elle sait que le magasin « l’attend à la sortie », comme on dit. Autant dire qu’elle s’approche à regret de ce moment inéluctable de la corvée, de cette épreuve terrible et décisive pour les nerfs et l’autorité. Elle se prépare à résister : aujourd’hui je ne céderai pas, je ne céderai pas, je ne céderai pas.
Elle doit donc s’armer de fermeté pour résister à la coalition conclue entre son angelot et le magasin. Mais certains loupiots, même tout seuls, ils ont un pouvoir terrifiant. Il y en a qui ont un coffre, on ne se douterait pas à les voir. Le chérubin, quand il vient au supermarché, il vient armé. Et son arme, presque imparable, quand la mère affiche fermement sa décision de fermeté, c’est le DECIBEL.
Ça n’a l’air de rien, un décibel, comme ça, quand il est tout seul. « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça ne va plus. » Je cite monsieur BRICE HORTEFEUX, un homme très bien, malgré qu’il ait le teint rouge. Le décibel isolé, il a tellement peu de poids, autant dire qu’il n’existe pas. Mais attention, quand il vole en escadrille, c’est l’arme fatale. Et certains mioches ont un pont d’envol particulièrement large, et ils arrivent à faire décoller cent ou cent dix décibels en même temps. Pas le seuil de douleur, mais pas loin.
J’en ai vu un, une fois, on l’aurait mesuré, je suis sûr qu’il était à cent douze ou cent seize. Virgule cinq. Essayez, pour voir : insoutenable. Le truc imparable du bourreau qui a derrière lui deux siècles d’expérience. Le blondinet qui découvre la puissance dévastatrice de son missile sonore embarqué, cette arme de destruction massive, il peut tout demander, ou presque. Il met la machine en route et, après un galop d’échauffement, envoie le projectile. Si le parent tient bon, c’est soit qu’il est héroïque, soit qu’il est un robot, soit qu’il est sourd. Disons-le, la plupart du temps, c’est la victoire en rase campagne, avant même qu’il ait envoyé ses mégatonnes.
Mais il faut le comprendre, le lardon. Il sait que le magasin est de son côté. Il le lui a assez répété à la télévision : « Je suis ton ami, mon petit. Je fais tout pour te rendre heureux. Pas comme ces égoïstes de parents qui n’ont qu’une idée en tête : te restreindre, t’imposer des limites. Regarde toutes ces bonnes choses. Vas-y à fond, tu verras, c’est nous, toi et moi, qui sommes les plus forts ». Le merdeux, il n’aime pas ça, les limites. Pourquoi ça, des limites ? Ce qu’il déteste dans ses parents, ce sont les limites qu'ils lui imposent.
Alors, se dit le mouflet, toutes ces petites boîtes colorées, ces petits sachets amicaux, « toutes ces délicieuses petites choses en vente dans cette salle » (c’est ce qu’on entendait à l’entracte au cinéma, à l’époque des « bonbons, glaçons, chocolats » vendus par les accortes ouvreuses), toutes ces promesses de délices, tout ça, c’est exclusivement pour lui que c’est fabriqué.
On a compris que la bataille qui se présente est foncièrement inégale. La mère part battue d’avance. C’est vrai que le moutard n’a pas toujours le dessus, pour finir. Mais en général, c’est le chiard qui gagne, que dis-je, qui triomphe, et il n’a jamais le triomphe modeste. La preuve, c’est que les présentoirs sont toujours là.
Maintenant que j’ai vu la scène (dans les manuels de polémologie, on appelle ça une « guerre-éclair »), je peux ranger le carnet, replier l’observatoire, remballer les cannes à pêche, placer la sangle de ma musette sur l’épaule avec les poissons dedans. Je me lève pesamment, je m’ébroue et m’achemine vers la sortie. Je suis content. Je suis venu. J’ai vu. J’ai vu qui a vaincu. Pas César, mais presque.
Moralité de l’histoire : pour venir à bout de la ménagère aventurée sur le terrain hostile de la grande consommation, il n’y a pas d’arme plus efficace que le sale gosse envoyé en mission. Un suspense comme dans Les Infiltrés.
A suivre ...
22:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre vialatte, chronique, société, littérature, moeurs, enfant, parents, papa, maman, éducation, grande consommation, supermarché, hypermarché, consommateur, brice hortefaux
jeudi, 27 octobre 2011
ROMEO ET JULIETTE CASTELLUCCI ?
De quoi il se plaint, ROMEO CASTELLUCCI ? On en parle, de la pièce qu’il présente au Théâtre de la Ville, à Paris. Quelle bonne publicité gratuite. Sinon, qui est-ce qui aurait su que ça existe, Sur le Concept du visage du fils de Dieu ? Oui, il paraît que ce n’est pas un essai philosophique, normalement rébarbatif et illisible, mais une pièce de théâtre, enfin, du théâtre tel qu’on le conçoit sans doute aujourd’hui. Vous pensez bien que je ne vais pas aller sur place pour juger sur pièce.
Alors il devrait être content d’être attaqué, ça lui permet de faire passer un peu de propagande, enfin, d’information. Et pas attaqué par n’importe qui, hein : « Renouveau français » (il y en a donc qui y croient sérieusement), un mouvement « national-catholique » (je me marre), aidé dans sa noble tâche par l’ « Action Française » (ah bon, comment ils ont fait pour sortir du formol, ceux-là ?). Il devrait être heureux d’être traité de « christianophobe » à coup d’huile de vidange projetée sur les candidats spectateurs.
Vous avez dit « Renouveau français » ? Ce sont donc les mêmes qui ont détruit en avril dernier une photo de ANDRES SERRANO intitulée Immersion. Piss Christ (voir ma note du 26 avril à ce sujet). Evidemment, tous les ergots des coqs de combat républicains ont été affûtés en vue de la « bataille pour la liberté d’expression » (une de plus). Le Monde écrit qu’un comité de soutien a été créé « face à la menace que constituent les attaques des fondamentalistes ».
Le texte, déjà signé par pas mal de gens (je n’ai pas vu le nom de BERNARD-HENRI LEVY, mais ça ne saurait tarder), déclare : « (…) ces comportements relèvent à l’évidence du fanatisme, cet ennemi des Lumières et de la liberté contre lequel, à de glorieuses époques, la France a su si bien lutter ». Personnellement, je raffole des « glorieuses époques », la formule me semble d’un goût exquis. Et le « si bien » n’est pas mal non plus.
En tout cas, voilà une nouvelle occasion de brandir l’étendard : « Camarades, compagnons, amis et connaissances, ne nous laissons pas vaincre par les forces obscurantistes ! Retrouvons l’audace et l’intrépidité de BONAPARTE au pont d’Arcole, de LEONIDAS aux Thermopyles et de COLUCHE aux cabinets, et repoussons les vils attaquants jusque dans la crypte de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, d’où ils n’auraient jamais dû sortir ! ». Au fait, qui leur a ôté leur camisole de force ? Ah, on me dit que c’est BRUNO GOLLNISCH. Alors, s’ils ont des complices en liberté, il ne faut pas s’étonner. Mais GOLLNISCH, qui la lui a ôtée, à lui, la camisole ?
« Fondamentalisme », « Fanatisme », « Lumières », « Liberté », le ciel se couvre de gros mots tabous, de grands mots lourds de menaces qui ne vont pas tarder à nous tomber sur la figure. Un orage de bonne conscience se prépare, qu'on se le dise ! Gare à ceux qui ne signeront pas la pétition !
Moi, je vais vous dire, je ne suis pas d’accord sur grand-chose avec EMIL CIORAN, le soi-disant moraliste (ou philosophe, selon les cas), mais le tout début du Précis de décomposition est absolument parfait : « C’est que toute foi exerce une forme de terreur, d’autant plus effroyable que les "purs" en sont les agents ». Il n’y a pas plus vrai. C’est d’ailleurs l'exacte raison pour laquelle je l’ai perdue, la foi. Je préférais vivre en paix.
Si j’avais la foi, je serais terrible et cruel, parce que je saurais que je détiens la VÉRITÉ. Et si c’est la VÉRITÉ, il n’y a aucune raison pour que tout le monde n’en profite pas. De force au besoin. Regardez les Témoins de Jéhovah : indestructibles. Bon, c’est vrai qu’ils ne font de mal à personne. Tiens, vous la connaissez, la blague ? Quel est le point commun entre les Témoins de Jéovah et les testicules ? Réponse : ils vont toujours par deux et ils restent toujours à la porte. Ah, vous la connaissiez ?
Qu’est-ce que c’est que ces croyants tièdes, ces fidèles pusillanimes, ces paroissiens craintifs, ces pratiquants honteux, ces adeptes poltrons, et pour tout dire, ces partisans tremblants ? Que diable, est-ce une VÉRITÉ entière que la vôtre, ou une moitié, une parcelle de VÉRITÉ ? Savez-vous qu’un morceau de VÉRITÉ, c’est une VÉRITÉ en morceaux ? Le vrai croyant est en guerre perpétuelle. Voyez les conquistadors, toujours accompagné de prêtres dans leurs expéditions. Inséparables, vous dis-je. A l’un le « fer » (l’épée), à l’autre le « bois » (la croix). La seule vraie foi est celle du prosélyte ardent.
Je dois l’avouer, j’éprouve un peu de mépris quand j’assiste à la sortie de la messe. Ces gens rentrent les épaules, se causent en baissant la tête et en murmurant à l’oreille de leurs coreligionnaires. Leurs chants sont ternes et tristes. Ils disent : « Oui, j’ai la foi, mais surtout, il ne faut pas que ça se sache ». Un peu comme les résistants de 1940-1945 : on ne sait jamais, des oreilles ennemies vous écoutent. Résister, ça ne se crie pas sur les toits. Il y a peut-être un peu de ça chez les chrétiens d’aujourd’hui.
Regardez ces musulmans, de nos jours, prêts à donner leur vie pour… pour quoi au fait ? Euh, je ne sais pas très bien, finalement. M’enfin, c’est sûr qu’ils ont la foi, eux. Ils ont le sens du sacrifice de soi, ils sont généreux. Surtout, ils ont gardé le sens du blasphème : « Touche pas à mon Dieu, ou ça va barda, … euh, barder ! ». Allah est interdit de représentation, mais on a bien vu la tête que se sont faite KHOMEINY et OUSSAMA BEN LADEN : ça doit donner une idée assez proche, non ? Est-ce que ça vous donne envie pour autant ?
Tout ça pour arriver à quoi, finalement ? FRANÇOIS HOLLANDE vient de parler de « réenchanter la France » (oui, oui, je l’ai entendu, moi en personne). MARCEL GAUCHET a écrit un excellent livre intitulé Le Désenchantement du monde (Gallimard). Il dit dans l’introduction que le christianisme « est la religion de la sortie de la religion ».
L’histoire est ainsi faite que le pauvre Flanby que s’est donné le Parti Socialiste est un sinistre pantin voué au mensonge et au ridicule (notez que la droite arrive de plus en plus mal à dissimuler que son vrai projet est d’en finir avec la démocratie ; quant à la République, elle agonise). Non, le désenchantement accompli, aucun « réenchantement » n’est possible, « Renouveau français » ou pas. Ce qui est détruit reste détruit, et quand on entretient des ruines, ce sont celles de Pompéi ou d'Oradour-sur-Glane.
Les petits soldats qui manifestent le chapelet en main devant le Théâtre de la Ville se prennent-ils sérieusement pour des guerriers ? C’est possible. Ils sont simplement pitoyables. S’ils leur arrive de devenir dangereux, c’est une autre affaire, et le Code Pénal est là pour y remédier.
En face de ça, qu’est-ce qu’on entend, dans la bouche de ROMEO CASTELLUCCI ? « Aujourd’hui, la religion a perdu sa capacité de poser des questions, et l’art a pris sa place. Je crois que ces extrémistes sont jaloux de cette spiritualité profonde qui s’est réfugiée dans l’art. » Je ne discuterai pas de savoir si monsieur CASTELLUCCI fait de l’art. Quant à affirmer que l’art a pris la place de la religion, j’avoue que ça me laisse rêveur, que j’en reste bouche bée, sceptique, interrogatif, dubitatif, et pour tout dire « plié en deux ».
Quant à dire qu’il y a de la spiritualité dans l’art contemporain, c’est comme les promesses électorales : cette affirmation n’engage que ceux qui y croient. Si ceux qui vont voir le spectacle de ROMEO CASTELLUCCI y trouvent de la spiritualité, c’est de toute évidence parce qu’ils l’ont apportée avec eux, comme on apporte son manger dans un refuge de montagne non gardé.
Enfin, s’il y a un point sur lequel ROMEO CASTELLUCCI se fout le doigt dans l’œil jusqu’au trou de balle, c’est sur un point précis, et je lui dis : « Ben non, mon coco, la religion n’a jamais été là pour poser des questions, mais pour y répondre, à ces questions, et empêcher par la même occasion qui que ce soit d'autre y réponde. La religion a donc canalisé d’autorité toutes les réponses anarchiques que des milliards d’individus pouvaient être tentés de donner à la seule question qui vaille : qu’est-ce qu’on fout là ? T’as qu’à relire le chapitre intitulé « Le Grand Inquisiteur ». C’est dans Les Frères Karamazov ».
Oui, vous avez raison, le titre n'a strictement, carrément et absolument AUCUN rapport avec ce qui précède. Et je dis : « ET ALORS ? ».
21:49 Publié dans DANS LES JOURNAUX, L'ARCON | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : christianophobie, roméo castellucci, théâtre de la ville, théâtre, extrême-droite, intégrisme, fondamentalisme, chrétiens, catholiques, liberté d'expression, fanatisme, foi, concept du visage du fils de dieu, renouveau français, action française, nationalisme, bruno gollnisch, françois hollande, marcel gauchet, désenchantement du monde
DE PROFUNDIS L'OPERETTE ?
Nous parlons donc de musique et plus précisément d'opérette. Il faut dire qu’en effet, c’est le début (après mai 1968, début des années 1970) de la dictature du nouveau, et de la promotion du « jeune » comme valeur exclusive. Tout ce qui « vient de sortir » est sanctifié avant même d’avoir produit ses effets, encore moins d’avoir été analysé ou évalué. L’horizon se raccourcit, c’est l’obsession de « faire à tout prix », c’est le temps de l’optimisme frénétique et de la pilule émancipatrice. On veut être dans le mouvement, que dis-je, on veut être le mouvement.
Une scène particulièrement cocasse m’est restée, cependant, dans tout ce désordre effervescent et illusionniste. C’était lors de la première représentation de « l’Opéra Nouveau ». Le directeur avait décidé de banaliser toutes les catégories de sièges, du « poulailler » à l’ « orchestre ». Aucune réservation de fauteuil n’avait été possible : on fait la révolution ou on ne la fait pas, que diable ! Je suis heureux d’avoir été présent pour pouvoir témoigner du résultat croquignolet. Nous étions une bande haute en couleurs, longue de cheveux, débraillée de tenue, joyeuse de propos, libre d’attitude. Ce ne fut pas un mélange, mais une confrontation sans échange de coups.
En nous répandant sans préjugés ni vergogne dans les rangs du parterre (les meilleures places, vite redevenues les plus chères), nous avons semé un léger trouble dans les rangs des habitués : des messieurs en costume et nœud papillon, et même beaucoup en smoking impeccable, et des dames très comme il faut, en longues robes de soirée, de belle et haute couture, aux reflets irisés, habillées de bijoux et de gants jusqu’au coude. La cocasserie de la scène m’est restée. Avec nos « jeans » et nos poils hirsutes, je ne pense pas exagérer en nous comparant au renard dans le poulailler, si j’en juge par l’air déconcerté et vaguement inquiet de ces bons bourgeois, brutalement mis en face des « barricadistes » de l’année précédente.
Mais nous devions être un tant soit peu civilisés, quoique d’un autre style, car nous avons assisté sagement à cette représentation du Wozzeck d’ALBAN BERG, un œuvre qui, en elle-même, défrisait (à coups des « Yawohl, Herr Hauptmann ! » du pauvre Wozzeck) les mises en plis des élégantes de la soirée, peu habituées à ce répertoire, lestée qui plus est d’une de ces mises en scène « modernistes », voire scandaleuses, qui sont devenues le passage obligé de l’Opéra à l’heure de la mondialisation. Si je me souviens bien, il y a une scène colorée en bleu qui se chante dans un échafaudage en tubulures du plus bel effet. Mais on a maintenant vu bien pire.
L’excellent PHILIPPE BEAUSSANT a publié, au sujet de l’inconcevable, de l’extraordinaire arrogance des metteurs en scène d’opéra, La Malscène (Fayard, 2005), qui se veut une charge contre les soi-disant « audaces ». J’attendais de ce livre un règlement de comptes que j’espérais définitif avec la cohorte des écumeurs de Vaisseau fantôme, des pirates de Chevalier à la rose et autres saccageurs de Cosi fan tutte.
Eh bien autant l’avouer : j’ai été terriblement déçu. PHILIPPE BEAUSSANT est un homme beaucoup trop affable et courtois, beaucoup trop bien élevé, qui refuse d’adresser nominalement ses bastonnades, et le bâton, du coup, se métamorphose en spaghetti trop cuit. A l’arrivée, une déclaration d’intention louable, mais désarmée, neutralisée, anesthésiée par son côté frileux, timoré, pusillanime et, pour tout dire, inoffensif.
Ce qui est sûr, dans cette maison qui s’appelle un Opéra, c’est qu’on a non seulement effarouché, mais éradiqué d’un coup toute une partie de la clientèle, une partie simple, fidèle, traditionnelle, culturellement peu « avancée » si l’on veut (l’opérette n’est pas l’opéra), mais toujours prête à l’enthousiasme. Il y a du mépris pour le « populaire » dans ce maniement brutal et cavalier du couperet. Cela sent son « Parisien branché ». Le snob subventionné et son corollaire JACK LANG ne sont pas loin.
Quoi, l’opérette, c’est comme les pantoufles et le feu dans la cheminée ? Quoi, ça sent la tisane et le vieil encaustique, le petit verre de porto de temps en temps ? Quoi, c’est vieillot et confortable, et ça fait « fête de patronage », « têtes blanches », « ah le petit vin blanc » et autres rengaines ? Moi je dis simplement : « ET ALORS ? ». Et je réplique : « Laissez-les vivre ».
Que le répertoire soit dépoussiéré, modernisé et même qu’on actualise la mise en scène, je suis pour. Qu’il faille pour cela éliminer une gamme d’œuvres au nom du préjugé « moderniste », en même temps qu’une partie de la population pas plus négligeable qu’une autre, là je ne suis plus d’accord du tout. Car le public d’opérette a fondu définitivement, pour ne plus renaître. Ce ne sont pas les tentatives ponctuelles de ressusciter Pas sur la Bouche (MAURICE YVAIN) ou Phi-Phi (ALBERT WILLEMETZ) qui ressusciteront la culture de l’opérette, cette structure qui fait exister en permanence un ensemble d’œuvres comme répertoire vivant.
En fait, il est très facile de rompre le fil d’une tradition. Et une fois rompu, la continuité du fil ne saurait être reconstituée. Quand le mal a été fait, la chose sort du champ de vision avant de sortir de la mémoire, et se résout en vague image nostalgique d’un jardin d'Eden qu’aucun effort d’irrigation nouvelle ne saurait faire reverdir.
Et je parle ici de l’opérette, et pas des sombrement ridicules « fêtes médiévales » qui émaillent la vie estivale de patelins touristiques où les gens, carrément, se déguisent pour faire comme six siècles auparavant. Et si la « batteuse » est de mémoire plus récente, je ne parle pas non plus des « fêtes de la batteuse », où il s’agit de faire comme du temps de nos grand’mères ou de nos propres jeunesses en allées. Tout est dans le « faire comme » : on se ment à soi-même pour voir sa trombine dans le journal local du lendemain.
Je parle d’un vrai genre musical, dont les précurseurs ont œuvré, si l’on veut à la fin du 18ème siècle, qui a pris forme dans la première moitié du 19ème, et qui a produit des chefs d’œuvre immortels dans la deuxième moitié (et quelques-uns ensuite). Et faire un chef d’œuvre avec du loufoque, reconnaissez la prouesse. « Voici le sabre, le sabre, le sabre de mon père. » « Ce roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance. » C’est dérisoire et désopilant.
Alors c’est vrai que pour rester vivant, un répertoire doit se renouveler. L’opéra est un genre qui inspire toujours des compositeurs, même si les œuvres créées m’incitent à me tapoter le menton. Quand je pense à L’Echarpe rouge, de GEORGES APERGHIS, j’ai tendance à rigoler : un orchestre réduit à deux pianos et trois percussions, vouloir retracer toute l’histoire du communisme, le pari était de toute façon difficile à tenir. Mais Le Fou, de MARCEL LANDOWSKI, a beau mettre en scène le problème de la bombe atomique, ça reste d’un ennui mortel.
La cause en est que tout ça se prend terriblement au sérieux. On y sent poindre le nez du politiquement correct, de l’histoire édifiante, du moralisme consensuel et dégoulinant
Peut-être que l’opéra Wikileaks, en train de s’écrire autour des tribulations de monsieur JULIAN ASSANGE et de son site internet sulfureux, connaîtra le succès. Je me permets d'en douter. Toujours est-il que, bons ou mauvais, on écrit encore des opéras. Il n’en est pas de même de l’opérette. Après tout, peut-être son temps est-il passé ? En ce cas, deux petits mots à ajouter, et j’en aurai fini : de profundis.
Je me demande toutefois, au cas où l’opérette serait vraiment morte, si une certaine façon de s’amuser, qui lui était chevillée au corps, n’a pas également disparu corps et biens, entraînant ipso facto la mort de la forme dans laquelle elle s’exprimait. Je me demande au fond si ce n’est pas toute l’époque qui est devenue terriblement sérieuse, avec son insupportable visage marqué d’une gravité pénétrée de sa propre importance, et consciente de l’importance qu’il y a à ce que son propre masque tienne bon, imperturbable : « Comment pouvez-vous penser à vous amuser, vu les circonstances présentes ? ».
Cela sent terriblement son pasteur protestant. Et terriblement engoncé dans sa refingote noire au drap épais, comme on l'imagine dans quelque contrée anglo-saxonne. Cela sent très pesamment son indigeste « politiquement correct ».
Si c’est ça, j’ai une raison de plus pour ne pas apporter mon suffrage à la sinistre comédie qui se joue, dont le corps reptilien se resserre progressivement autour de la capacité respiratoire du vivant qui persiste. « Va petit âne, va de-ci de-là, cahin-caha, le picotin te récompensera ». Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 26 octobre 2011
ELOGE DE L'OPERETTE
Reprenons. J’en étais à l’opérette. Inoubliables opérettes entendues à l’Opéra. Attention les yeux, là, ça devient grandiose ! L’ouvreuse a la clé spéciale pour ouvrir la « loge du gouverneur ». Je fais l’important, pour un peu, je jouerais les blasés. Juste parce que les parents sont amis de l’adjoint au gouverneur militaire. J’en profite sans vergogne. J’en profiterais bien davantage, si l’extase proprement musicale ne risquait pas d’en souffrir
Car il y a dans la loge les très belles LAURENCE et ANNE-SYLVIE D. Mais la présence de SYLVIE, l’œil et l’oreille dans les coins, me dissuade. Je n’ai aucune envie de partager avec elle quoi que ce soit, surtout du clandestin. Je suis donc obligé, dans ces occasions, de laisser le puissant réchaud de LAURENCE fuser en veilleuse et en vain, et la jolie tête penchée d’ANNE-SYLVIE sans épaule pour s’appuyer, pour porter mon attention sur ce qui se passe du côté de la scène, dessus et en dessous.
Je suis donc spectateur, dans des conditions privilégiées, mais assis sur des chaises inconfortables au possible (revers du privilège), aux opérettes classiques, dans des mises en scène classiques, avec un orchestre excellent et des chanteurs de très bonne qualité : les conditions optimales. Pour cette raison, la salle est bourrée à craquer. Et c’est là que se produit le merveilleux : la salle connaît par coeur « l’escarpolette », « va petit âne », et les autres airs, et le plus fort, c’est qu’elle les reprend avec les chanteurs, et en mesure s'il vous plaît. Pas la peine de vous décrire l’ambiance dans la salle et sur scène. Voilà ce que c’est, une musique populaire.
Qui a rempli la salle, me direz-vous ? Des vieux ? Bien sûr qu’il y en a. Des gens du « populo » ? Bien sûr qu’il y en a. Mais nous, nous avons quel âge, là ? De quinze à dix-huit, à tout casser. Et pas les seuls de cet âge, loin de là, je vous jure. Et à côté des concierges et des épiciers, je vous jure, il y a des gens « bien », et qui n’ont pas honte ! Et vous verriez tout ce monde, un jour où on donne L’Auberge du cheval blanc, entonner avec un bel air de conviction et de joie : « La bonne auberge du cheval blanc, séjour aimable et troublant, pour toi le bonheur s’apprête, au seuil de la porte il te guette » ! Tous !
Enfin, mettez tous les verbes à l’imparfait. Aujourd’hui, ce genre d’événement est rigoureusement impossible, inimaginable. C’est vrai qu’on donne encore des opérettes de temps en temps. Mais regardez le public : rien que des vieux ! Ça me fait « flipper ». Idem un car de touristes qui débarque son « troisième âge » allant faire ses emplettes au supermarché installé juste sur le Cap Nord.
Ben oui, quoi, aujourd’hui, c’est chacun chez soi : prenez votre file et surtout n’en bougez pas. Vous alliez voir THIRD WORLD ou BURNING SPEAR, et vous vous retrouvez à BRITNEY SPEARS ; vous aviez payé pour MARTIAL SOLAL, et vous tombez sur RADIOHEAD, un tout petit peu dépaysé, et à peine déplacé ; vous attendiez le QUATUOR BORODINE, c’est NOLWENN LEROY qui entre en scène. Avouez que ça la foutrait mal !
Aujourd’hui, on vous demande dans quel créneau vous vous situez. Oh, c’est bien fait, c’est scientifique, les sondages, enquêtes marketing et autres enquêtes d’opinion. Le statisticien a découpé le « marché » de la musique en autant de tranches qu’il y a de « genres », il vous a préparé votre case comme une concession au cimetière : si vous êtes « punk rock », c’est par là, si vous êtes « électro jazz », c’est par ici, on va vous guider. Faut pas que vous vous perdiez, des fois que vous vous mélangeriez à des « pas comme vous ».
Vous voulez que je vous dise ce que c’est, un « créneau » musical, aujourd’hui ? Moi j’entends « ghetto » : les jeunes avec les jeunes, les trente-quarante dans un autre bocal, les « new orleans » entre eux, les « rappeurs » sous le péristyle de l’Opéra, les « techno », n’en parlons pas. On ne peut même pas appeler ça « paroisse », parce que, comme il n’y a plus que les vieux qui vont à la messe, elle est devenue un autre ghetto.
Non, je trouve que le mot « bocal » convient assez bien. Comme un poisson, je vois passer au loin d’autres poissons, mais on ne risque pas d’avaler les mêmes paillettes. Pour définir cette époque où les gens sont de plus en plus conduits à refuser de se mélanger, je propose ce mot d’ordre: « Chacun dans son bocal, et les poissons seront bien gardés ».
Vous savez pourquoi ? Les sondages des sondeurs ne sont pas faits pour les chiens, ils servent. Un nouveau « goût » pointe son nez ? Vite, on dessine précisément le « profil » de la « cible », et on lui fabrique dans la foulée son « produit » spécifique qui sera dans les bacs dès la semaine prochaine. En marketing, le métier du mec, c’est d’être « au taquet » de minuit à minuit. Les goûts de « niche », ça demande un peu de travail, mais on arrive à vendre assez de « consensuel » pour rentrer dans nos frais et faire un peu de gratte par-dessus le marché.
Dites-moi la seule fois que vous avez trouvé un « échantillon représentatif » de toute la société dans une même salle de concert. J'attends. Est-il même possible de trouver quoi que ce soit qui « fasse société », de nos jours ? Je signale que c’est précisément maintenant que tous nos orateurs sociaux et politiques deviennent lyriques pour n’avoir à la bouche que de « redonner du sens », de restaurer le « vivre-ensemble », de favoriser la « fête des voisins » et autres fadaises, fariboles et calembredaines. C’est quand on l’a définitivement perdu qu’on se rend compte de la perte.
Il faut dire que bien des efforts ont été faits pour arriver à ce glorieux résultat qu’ils appellent « délitement du lien social », que tout le monde déplore évidemment. Pour ponctuer l’expression, je laisserais volontiers la parole à Zazie, celle de RAYMOND QUENEAU, qui savait placer au bon moment une formule moins consensuelle que le trop connu : « Ils sont fous, ces Romains ! », mais que ma sainte répugnance pour la vulgarité m’interdit de reproduire ici. Il faut sans doute compter au nombre de ces efforts l’irruption sauvage de l’Opéra Nouveau !
Ah, on allait voir ce qu’on allait voir ! Fini la poussière ! Au diable, la routine ! Dans le placard à balais, les vieilleries ! Et du jour au lendemain, l’opérette est passée à la trappe. L’oukase est tombé : « RINGARD ». Qu’est-ce que ça voulait dire, en réalité, « ringard » ? On peut se poser la question. Tout bien considéré, ça signifiait que le répertoire ne s’ouvrait pas assez au « contemporain », à « l’avant-garde », à « l’art en train de se faire ».
A suivre …
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mardi, 25 octobre 2011
RECETTE POUR CENSURER UN PUBLIC
Je me souviens de ces beaux après-midi d’été, chez mes grands-parents, où je passais une heure ou deux en compagnie de mon arrière-grand-mère. Mais non, voyons, je ne commence pas à étaler mon intimité. Qu’on se le dise, j’ai ça en toute horreur. Je trouve obscène et honteux que des individus viennent raconter leurs problèmes affectifs, leurs deuils, leurs divorces sur des plateaux de télévision. Si j’avais la télévision, j’aurais honte de me planter devant le poste pour voir ainsi déverser des ordures.
Qu’un nombre hélas déraisonnable de mes contemporains consente à se vautrer devant ces saloperies me laisse augurer chez eux un état moral, psychologique et intellectuel, sinon désespéré, du moins tout à fait lamentable. Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ont, du moins en général, le droit de vote. Heureusement, ils sont de moins en moins nombreux à l’exercer (je ne devrais pas dire ça, moi qui suis abstentionniste militant).
Si vous voulez savoir, je trouve même indécent – et insupportable – que tant de piétons s’entretiennent dans la rue, à voix haute, avec quelqu’un d’invisible, de leur emploi du temps de la semaine, de leur programme pour les vacances, de leur conflit amoureux du jour ou de la liste des courses à faire. Le plus plaisant à observer, c’est, pas plus tard que l’autre jour, un couple d’amoureux, assis à la table du café. Ils étaient visiblement très très amoureux : dans la belle société, on appelle ça « se rouler des pelles ».
Un des deux « smartphones » posés sur la table retentit : c’est terminé, les voilà bientôt tous deux bien plus absorbés par un quelqu’un et un ailleurs invisibles, voire par la seule luminosité de l’écran, que par les tendresses très précises, très ardentes et très physiques qu’ils se prodiguaient l’instant d’avant. Leur désir a soudain disparu. Ils ont zappé leur libido aussi facilement qu'on poste une carte postale de vacances. Comme disait le grand REISER : « On vit une époque formidable » ! Et comme dit « l’autre » : « On est bien peu de choses » ! Le « smartphone » pour calmer les ardeurs, on n’arrête pas le progrès.
Si vous attendez des confidences, voire des confessions, soyez assez bons pour passer votre chemin. Mon arrière-grand-mère n’était là que pour planter le décor et les circonstances qui ont entouré l’émergence de mon goût pour l’opérette. Sa chambre ouvrait par une porte-fenêtre sur la terrasse plantée de quatre érables sycomores, régulièrement élagués, pour leur malheur. Les volets à jalousies étaient fermés à l’espagnolette, à cause de la chaleur. Elle plaçait son fauteuil à côté d’une petite table, sur laquelle était posé un appareil de radio rouge et blanc de dimension modeste.
Elle aimait écouter l’émission où étaient diffusées les opérettes les plus connues, comme Les Cloches de Corneville, Véronique, Ciboulette, Les Mousquetaires au couvent, L’Auberge du cheval blanc, et autres chefs d’œuvre du genre. C’était l’époque de la troupe et de l’orchestre de Radio-Paris, défunts depuis lurette. Je pouvais avoir quoi ? Entre huit et dix ans, grand maximum. Ces moments sont restés profondément gravés dans mon disque dur, vous pouvez me croire.
J’ai fait part récemment de mon goût pour la « littérature populaire » (polar, aventures, Arsène Lupin et tutti quanti). Eh bien, l’opérette, c’est pareil. Ça m’est venu « par les voies naturelles », si j’ose dire. J’aimais beaucoup mon arrière-grand-mère. Elle se mettait autour du cou un joli ruban noir. C’est un peu plus tard que j’ai su que ce n’était pas ça, un soutien-gorge. J’étais encore petit. J’aimais bien la chaleur tamisée de l’après-midi estival, passé à écouter des musiques non seulement joyeuses, mais aussi drôles. Il y avait aussi qu’on entendait des airs qui rentraient dans l’oreille comme dans du beurre mou.
Bon, c’est vrai que je mémorise presque immédiatement, sans le vouloir, les mélodies qui me parviennent, je n’ai aucun mérite, ni n’en tire aucune fierté. Je vous donne un exemple : un jour, en public, mon collègue PHILIPPE P., qui ignorait cette particularité de mon oreille, m’a mis au défi, comme ça, inopinément, c’est-à-dire à brûle-pourpoint, on peut dire au débotté, et donc quasiment à l’improviste, de fredonner le thème principal de L’Offrande musicale, de papy JEAN-SEBASTIEN BACH, une mélodie complexe, on en conviendra (ut mineur, c'est trois bémols à la clé : « do, mi, sol, la, si bécarre, sol, fa dièse, etc…»).
PHILIPPE P. ignorait aussi ma très longue familiarité avec le vieux BACH (ici, une digression s’offre à moi, une vraie autoroute, mais je vous l’épargne). A sa confusion, je dois le dire, j’ai relevé le défi avec succès. Je n’y peux rien, c’est comme ça.
Hélas, cette particularité qui m'a valu une certaine popularité auprès de trois personnes, ça marche aussi très bien avec les objets musicaux les plus idiots, les plus bêtes, les plus incongrus qui encombrent mes rayons, et ça irait mieux si je pouvais expulser tous ces intrus, comme le « Gloria » et le « Credo », comme « Belles, belles, belles » de CLAUDE FRANÇOIS, comme « Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu » et autres cantiques à la noix, ou comme cette vieille publicité : « La Boldoflorine, la Boldoflorine, la bon-ne tisa-ne pour le foie ! ». Ma mémoire musicale est un vaste grenier chamboulé, un fouillis inextricable, un enchevêtrement du plus beau tumulte, vous ne pouvez pas savoir.
Et je n’ai même pas l’avantage du juke box (sait-on encore ce que c’est ?) ou de l’I-Pod (je me tiens quand même au courant) : cet infâme bric-à-brac est rétif au moindre effort de classement, et regimberait à la première et plus velléitaire tentative de mise en ordre. Un système hors de portée de l’emprise informatique, parce qu’il n’est strictement pas programmable, encore moins brevetable.
C’est au point que, dans la minute, je suis incapable de prévoir l’air qui va sortir la minute d’après : « Les Quatre bacheliers » de BRASSENS ou le 2ème de RACHMANINOV, La Boldoflorine ou l’opus 132 de BEETHOVEN, « Les grandes plaines » du Père DUVAL ou les Vingt regards sur l'enfant Jésus d'OLIVIER MESSIAEN. Ma parole, c’est l’anarchie sonore, et j’ignore absolument qui ou quoi est installé aux commandes, mais croyez-moi, c’est une instance tyrannique et imprévisible.
Moyennant quoi, je puis affirmer que, dans ma tête, en permanence, ça fredonne, ça chantonne (le nommé JACQUES LACAN, quoique dans un contexte légèrement différent, disait : « Ça parle »). Je ne sais comment expliquer : ce n’est pas moi qui chantonne, c’est quelque chose qui chantonne en moi. Et c’est vrai. Tout le monde considère ça comme une manifestation de bonheur, au moins de bien-être.
Mais je rétorque au moyen du proverbe chinois bien connu : « Il n’est pas toujours heureux, le cœur de l’homme qui chante ». C’est vrai, ça, pourquoi pas « possédé du démon », tant qu’on y est ? C’est là, ça demande à sortir, ça sort en ordre dispersé, c’est mécanique et incontrôlable. Voilà tout. Ce ne sont pas des confidences indiscrètes, je me contente de décrire.
A suivre …
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lundi, 24 octobre 2011
PEINTURE : ELOGE DE GERARD TITUS-CARMEL
Parlez-moi, si vous voulez, de GERARD TITUS-CARMEL, bien qu’il soit beaucoup moins confidentiel. Sa peinture (parce que, figurez-vous, il fait de la peinture) est celle d’un INDIVIDU. J’ai découvert les dessins de GERARD TITUS-CARMEL dans le volume des Actes d’un colloque qui s’est tenu en 1970 à Cluny (p. 86 et suivantes). Quelques-unes des 25 Variations sur l’Idée de Rupture. Des dessins d’une netteté de scalpel. Des tiges (en métal ?) attaquées par des forces adverses, soit torturantes, soit entaillantes, soit bourgeonnantes, etc. Enfin, tous les genres de déformations qui peuvent s’attaquer au lisse de l’objet sorti de la perfection manufacturière.
J’ai connu un excellent poète (un peu hermétique, hélas) du nom de JACQUES DUPIN. Son gagne-pain, s’il est vrai que les poètes aussi doivent manger, consistait à administrer la galerie LELONG, 13, rue de Téhéran à Paris, dans le 8ème arrondissement. Une galerie abritant un certain nombre d’artistes considérables, comme PIERRE ALECHINSKY, le déjanté BARRY FLANAGAN, professeur agrégé de lapins en bronze qui, je crois, a quitté ce monde, ERNEST PIGNON-ERNEST, PAUL REBEYROLLE ou ANTONI TAPIES, pour citer mes préférés.
LELONG avait sous contrat (et peut-être encore) GERARD TITUS-CARMEL. Au fait j’avais oublié de préciser que l’un des vins préférés de JACQUES DUPIN était le Saint Joseph, si j’en crois un repas pris au restaurant, à présent disparu, « A Bon vin point d’enseigne ». J’ai toujours le bouquin absolument formidable de ses (pas DUPIN, mais TITUS-CARMEL) dessins 1971-1979 (Editions Maeght). Je vous jure, sa fascination pour les diverses manières dont la matière pure se dégrade est elle-même fascinante. Ce qui est merveilleux, ici, ce ne sont pas les textes, estimables (entre autres GILBERT LASCAULT, pas le premier venu), mais les dessins.
On y voit « 20 variations sur l’idée de détérioration », « 17 exemples d’altération d’une sphère », « 7 démontages » : je pense en les regardant au travail qu’on demande au peintre dans les livres de botanique et de zoologie. Vous savez qu’une photo de fleur ou d’animal, censée représenter fidèlement son objet, n’arrivera jamais à la cheville de ce travail du peintre. La faiblesse de la photo, c’est qu’elle ne saisit qu’un seul moment, une seule lumière, un seul contexte. Dans la réalité, impossible de retrouver quoi que ce soit sur la base d’une photo.
Le dessin et la peinture qui, faisant figurer TOUTES les informations nécessaires sur l’illustration, synthétisent tout ce qu’il faut savoir de la Centranthe rouge, de la Picride fausse Vipérine ou de la Lysimaque des bois, sont incomparablement, infiniment supérieurs pour vous apprendre à vous y retrouver. La photo, c’est l’instant isolé. Le dessin, la peinture de la chose, c’est la permanence, la quintessence de la chose, un peu de son éternité. Rien à voir.
Eh bien GERARD TITUS-CARMEL possède cet ordre d’exactitude et de précision scientifiques. Impossible de vous tromper : quand vous tomberez sur une sphère dégradée, ce qui ne peut manquer d’arriver, n’est-ce pas, ce sera forcément un dessin de G. T.-C. Un conseil, gardez-le précieusement. J’ai fait il y a longtemps la bêtise de ne pas m’endetter pour acheter quelques œuvres qui étaient montrées rue Auguste-Comte. Je m’en mords encore les doigts. Remarquez, j’ai fait la même bêtise dans la même rue, s’agissant de linogravures de JEAN-MARC SCANREIGH, mais aussi à la galerie « L’œil écoute », pour un fabuleux tableau de SERGE PLAGNOL, alors … Si ce n'est pas de la récidive, ça...
C’est la même précision et la même exactitude qui commandent aux « Démontages », aux « Déambulatoires », avec toujours le souci de marier en les distinguant à l’extrême les matières (bois, métal, ficelle, chiffon, fourrure), dans des dispositifs agencés selon une logique implacable mais mystérieuse. Les « Déambulatoires » comme des cadres de tableau où le tableau importe peu. Cela pourrait facilement virer à la préciosité. Même genre de travail avec les « Four seans sticks », la « Suite italienne », les « Noren », les « Constructions frêles ».
Il y a quelque chose de japonais dans le regard de GERARD TITUS-CARMEL sur les choses. Que ce soit dans la cuisine ou l’aménagement de la maison, les Japonais aiment confronter des matières dont les êtres sont opposés, par exemple le rugueux noirâtre et mat de la fonte confronté à un couvercle de porcelaine lisse et colorée, ou le cylindre vénérable d’un pilier de bois non travaillé sur le fond de laque brillante noire et rouge de cette loge ménagée dans le mur de la pièce principale.
Je m’enorgueillis de posséder le catalogue intitulé « The Pocket Size Tlingit Coffin » (ou « cercueil tlingit de poche », les Tlingit étant une peuplade d’Alaska), non pas pour l’indigeste et rébarbatif baratin de monsieur JACQUES DERRIDA en personne (mais on a l'habitude), dont les premiers mots sont : « 30 novembre 1977. – et ainsi du reste, sans précédent. ». Voilà, vous savez tout du baratin, pas besoin de lire tout le filandreux qui suit, que DERRIDA a chié en se tordant les boyaux de la tête (mais on va dire que je suis bêtement anti-intellectuel, ce qui est peut-être vrai).
Ce cercueil, d’abord, il faut savoir que c’en est un, tellement ça a l’air d’un jouet. Soit une petite boîte en acajou (environ 10 centimètres de long), fermée par une plaque d’altuglass, et comportant différentes petites pièces d’accastillage. Si vous avez aimé les séries de GERARD TITUS-CARMEL, là, vous serez servis : 127 fois exactement. C'est exactement comme ça qu'ANTOINE PARMENTIER a converti LOUIS XVI aux patates. Le même mets, accommodé de 127 manières différentes. Et pas deux pareilles : au crayon, à l’encre, à l’aquarelle, au trait, en à-plat, comme s’il voulait récapituler les trésors des techniques graphiques.
Cela me fait penser à un bouquin de GEORGES PEREC : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Si c’est un petit « cercueil » (rien n’est moins sûr), GERARD TITUS-CARMEL s’efforce de l’épuiser, de le vider de toute la force qu’il possède. Malheureusement, en même temps qu’il le vide, par le fait même il le renforce. L’objet irréductible devient en soi un défi. En voulant en venir à bout, le peintre l’élève en majesté. « Damnation, encore raté. » D’où cette fuite dans toutes sortes de « séries ». J’ai le même respect pour les « Intérieurs », « Eclats & Caparaçons », « Suite Chancay ». Respect à cause du respect de l’artiste pour les choses.
Moralité : le réel est inépuisable, tout simplement parce qu’il ne nous paraît mangeable qu’au prix d’un désespoir et d’une illusion. Je me demande si ce n’est pas pour ça que nous nous vengeons de lui en consommant physiquement la planète.
Ce que je reproche finalement à tous les « fabricateurs » et autres « truqueurs » contemporains qui s’intitulent « artistes », c’est une incroyable arrogance face au monde, auquel ils croient pouvoir impunément substituer le leur. Comme s’ils avaient un monde ! Comme s’ils étaient un monde ! Ils posent leur unique idée sur les trottoirs de la culture comme on voit les merdes de chiens sur les trottoirs des villes, à la façon des mystificateurs JEFF KOONS ou TAKASHI MURAKAMI, des clowns qu’un snob désinvolte et dégénéré, avide de bruit médiatique (JEAN-JACQUES AILLAGON) a laissés récemment souiller le château de Versailles de leurs déjections.
Au temps de LOUIS XIV, la puanteur était une réalité quotidienne (due à l’absence totale de « toilettes »). Cette fois, c’est l’aristocratie en place qui fait tomber des trous du cul des « élites » cette bouse nauséabonde. Une telle ARROGANCE est d’origine biblique (« Tu seras possesseur et maître de la nature »), et a quelque chose à voir avec celle de l’Occident, qui a plié le monde à sa discipline. Il faudra que je revienne là-dessus. Rien de tel chez GERARD TITUS-CARMEL. Dieu merci.
Dire que je n'ai même pas parlé de l'oeuvre poétique de GERARD TITUS-CARMEL ! Car il en a publié, le diable d'homme. Très souvent chez Fata Morgana (La Tombée, Le Motif du fleuve, Instance de l'orée, Gris de Payne), mais pas seulement.
Fin de la série, pour le moment.
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dimanche, 23 octobre 2011
MUSIQUE, PEINTURE ET SALMIGONDIS
Regardez en peinture, comment ça se passe : il y a longtemps, c’était du temps de la Galerie K (quai de Bondy, non loin de la salle Molière) et de Colette Kowalski, veuve du poète lyonnais Roger Kowalski, mort trop tôt, je m’étais permis de faire remarquer à Régis Bernard (qui avait repris l’atelier de Henri Vieilly, place Antonin-Poncet, il me semble) que sa peinture me faisait tout à fait penser à celle de Giorgio Morandi. Dans mon esprit, c’était plutôt flatteur, car Morandi est un tout grand artiste. Il n’avait pas donné l’impression d’être démesurément flatté de ma remarque. Et pourtant, Régis Bernard est un vrai bon peintre.
Cela montre peut-être combien est grande, sur l’artiste (poète, musicien, peintre), la pression d’une exigence : apporter du nouveau, en particulier un « style » qui devienne sa « patte » reconnaissable et irréfutable. Qui n’appartienne qu’à lui. Une condition sine qua non. Faire ce que personne avant lui n’a fait. D’une manière qui ne fut celle de nul autre avant lui. Mathématiquement impossible : vous imaginez sept milliards d’artistes, tous individués de manière nette et sans bavure ?
Drôle d’exigence quand même, et dans un drôle de monde. C’est vrai quoi, pendant des millénaires, le nouveau a fait peur, et pour une raison bien simple : ce qui est nouveau est inconnu, et ce qui est inconnu est dangereux, et c’est dangereux, parce que ça risque d’ébranler l’ordre établi, le mode de vie, les points de repère, que sais-je ? De tout foutre en l’air, si ça se trouve.
Nous, on est des drôles d’animaux, par exemple. Même pas peur ! Pas peur du nouveau. C’est même le contraire : on guette, on est à l’affût. On est malades d’innovation. Besoin d’inscrire son nom dans la déjà interminable liste des innovateurs. Tiens, c’était quoi, le nom de cet « artiste », et en quelle année c’était, qui avait rempli un camion-benne de balles de ping-pong, qui avait été amené en marche arrière au sommet de la Montée de la Grand’Côte ? Le chauffeur avait actionné la benne. L’ « artiste » avait ouvert le battant arrière, et contemplé en riant et battant des mains les milliers de petites baballes débaroulant jusqu’à la place des Terreaux, tout au moins jusqu'au local de la secte scientologique.
Mais au moins, ce geste dérisoire a la gentillesse amusante de l’enfantillage. Et ça n’a pas la prétention hargneuse et hautaine de certains qui se disent « hartistes » (avec « h » violemment aspiré). Je pense à ce niais prétentieux qui avait cru intéressant de suspendre au plafond, en un quadrilatère régulier de 10 sur 10, une centaine de traversins de couleur écrue au bas de chacun desquels il avait inscrit au feutre noir le prénom de la fille supposée y avoir une nuit posé sa tête.
C'est quoi, ce monsieur ? Ni la vigueur, ni le savoir-faire pour donner aux dames l'envie de s'attarder plus d'une nuit sur son oreiller ? Eh bien je le dis : je le plains. En plus, cette exposition de l'intimité a quelque chose de prétentieux dans l'indécence, ou d'indécent dans la prétention. Il y a certes plus prétentieux. Cela se passait hélas au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, dirigé par l’excellent Jean-Claude Guillaumon. Lequel m’avait fait l’amitié trop généreuse de m’inviter à y intervenir en 1988, moi qui n’y avais guère de titres. J'avais platement lu mon Manifeste de Babelthérapie. Je n'ai aucun sens de la mise en scène.
Je ne partirai pas en guerre contre les moulins à vent de l’art contemporain qui se prennent pour des géants attendant en vain leur Don Quichotte pour en acquérir un petit lustre. Cela ferait trop plaisir à Daniel Buren, fossilisé avant d’être mort dans les innombrables strates marneuses de ses milliers de bandes alternées de 8,7 centimètres de largeur. On en retrouvera les traces dans quelques milliers d’années, et les paléontologues interloqués se gratteront le crâne devant ces étranges manifestations de rituels religieux : à quoi de même pas intelligent, mais simplement sensé auraient bien pu se référer des éléments aussi secs, malhabiles et rudimentaires, qui avaient tout d’un académisme bégayant et guindé ?
Je ne partirai pas en guerre contre Bertrand Lavier, qui « interroge les rapports de l’art et du quotidien », et qui modifie et hybride, au sein même du musée, « des objets de la vie courante, de façon à ce que leur statut même s’en trouve mis en question » (wikipédia). Je lui laisse ses porte-manteaux et autres accessoires accrochés en biais, en diagonale ou de guingois.
Je me garderai de partir en guerre contre les carreaux blancs de Jean-Pierre Raynaud, qui transforme tout en décor de salle de bains, dont une « stèle pour les droits de l’homme », à Barcelone (ne pas oublier les joints noirs comme constitutifs de l’œuvre d’art). Je ne m’en prendrai pas davantage à la maison qu’il a mis plus de 20 ans à édifier pour des « études spatiales », et qu’il a décidé de détruire et de réduire en morceaux, pour vendre ceux-ci empilés dans de très gros pots de fleurs.
Ne me parlez pas non plus de Claude Viallat, immortel inventeur du quadrilatère flasque, forme qu’il a déclinée sur toutes sortes de supports textiles et dans toutes sortes de couleurs (des « toiles non tendues », s’il vous plaît), et dont il a défiguré l’église Notre-Dame des Sablons à Aigues-Mortes en en faisant le motif des vitraux.
Remarquez, tout le monde s’extasie devant le champion du monde du noir, Pierre Soulages, mais regardez l’effet visuel que donnent maintenant les vitraux de la fabuleuse église de Conques (avec son tympan du jugement dernier à se relever la nuit du dernier jour). Vu de l’extérieur, un effet d’acier mat, vu de l’intérieur, des diagonales relativement incompréhensibles.
Ce qui fait qu'on supporte qu'Erik Dietman fasse partie de la bande des truqueurs, c’est une sorte de jubilation noire et ricanante. Ma foi, pourquoi pas ? Mais le tableau de Christian Zeimert « Le monde riant » est juste fait pour s’esclaffer (hi hi, Piet Mondrian (1872-1944), la bonne blague). Orlan, la masochiste, a transféré très tôt son atelier dans un bloc opératoire, ce dont on voit les effets sur son propre corps. Elle est très fière des « cornes » qu’elle s’est fait greffer par un chirurgien, et ce n’est pas sa farce du « Baiser de l’artiste » qui peut sanctifier le naufrage (le slogan « Ceci est mon corps », était déjà pris).
Au fond, ce qui me donne la nausée, dans une bonne partie de l’art contemporain, c’est que ceux qu’on appelle par abus de langage des « artistes » se sont fait un nom sur une seule idée, qui devient leur marque de fabrique, qu’ils rentabilisent à tout va, et qu’ils déclinent ensuite de toutes les façons de formes, de couleurs, de lieux, de conditions temporelles possibles et imaginables : César et ses compressions, Andy Warhol et ses multiples, etc.
Cette unique idée, elle devient explication et synthèse du monde, « cymbalum mundi », système philosophique, grille de lecture pour les grands mystères de l'humanité. Elle est érigée en dogme. Les prêtres de leur Eglise le proclament. Les fidèles s'inclinent et s'agenouillent pour communier, et se mettent àat ventre pour leur baiser les orteils.
Vraiment, peut-on dire que Keith Haring ou Robert Combas ont développé un « style » ? Non : ils ont créé du « visuel ». C'est de la publicité. C’est de l’image de marque, et rien d’autre. Peut-on dire que Ben Vautier possède un style, avec ses formules à la noix qu’il a vendues contre monnaie sonnante à la marque Clairefontaine, et qui « habillent » à qui mieux-mieux les cartables et agendas des collégiens et lycéens ?
J’ai vu il y a fort longtemps une « installation » de Jean Clareboudt à la maison de la Condition des Soies : que voulez-vous, les bras m’en tombent. Même chose pour cette « performance », vue au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, je ne sais plus quand, où une femme parcourait un quadrilatère en versant du sable en quatre petits tas, pendant qu’un collègue équipé pour l’escalade parcourait un mur lui-même équipé pour ça, et qu’un troisième larron poussait à intervalles réguliers de petits cris, assis dans une baignoire suspendue au plafond dont il s’échappait par la bonde un liquide jaunasse comme de l’urine. Y a-t-il quelque chose à ajouter à ce petit descriptif neutre et objectif ?
Mon but n’est évidemment pas de faire l’inventaire de toutes les colifichets que des camelots d’art ont cru de leur devoir d’encombrer la réalité existante. Ce serait plutôt de glisser une remarque dans l’oreille des « artistes expérimentaux ». Monsieur Daniel Dezeuze, reconnaissez que vous vous êtes livré à un bon gros foutage de gueule, avec votre « Echelle en bois souple déroulée au sol ». Monsieur Robert Malaval, avouez le mensonge moral que constitue votre « Germination d’un fauteuil Louis XV » (d’ailleurs vieux comme L’Enigme d’Isidore Ducasse. Empaquetage, de Man Ray (1920), ou le Couvert en fourrure, de Meret Oppenheim (1936)).
Tout le monde a en mémoire les spectaculaires empaquetages de Christo. Mais quand il a empaqueté le Pont Neuf et le Reichstag, qui a dit qu’il a purement et simplement piqué l’idée, en l’amplifiant, à Man Ray qui, lui (en 1920, s’il vous plaît !), rendait hommage aux Chants de Maldoror, de Lautréamont (« beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table à dissection »), ce qui avait tout de même un peu plus de gueule, quoi qu’il faille penser de son paquet ficelé ?
Trop de démarches « artistiques » modernes sentent la rentabilisation effrénée d’idées toujours déjà précédentes, la recherche de notoriété et de fric, dont Andy Warhol est la caricature paroxystique. Ou alors tout simplement, ça sent le manque d’inspiration. « Qu’est ce que je pourrais trouver, qui n’ait jamais été fait ? Une idée qui marche ? » Surtout « qui marche ». Et si tous les fabricateurs d'oeuvres et les imposteurs d'art ne souffraient pas, tout bien considéré, de radicale pauvreté, de totale absence d'inspiration ?
Mais heureusement, il reste de la vie dans le désert de l’art contemporain.
Parlez-moi du travail de Bernard Réquichot, alors là, moi, je marche à fond. C’est tout ce que vous voulez, ces traits qui s’enroulent sur le papier, qui s’entrelacent, se recouvrent, se développent comme des tentacules ou des pseudopodes, qui me font penser aux monstres qui naissent sous la plume de Franquin (oui, le même que celui de Gaston Lagaffe). Quelque chose de complètement allumé, certainement, et de vaguement inquiétant, j’en suis d’accord. Mais tout à fait fascinant. Quoi, c’est confidentiel ! Bien sûr que c'est confidentiel !
Mais c’est justement pour ça que c’est intéressant, Bernard Réquichot. Pourquoi ? Parce qu’on sait tout de suite qu’on a à faire à un individu, et non pas à un marchand ou à un clone. C’est un vrai problème : comment se distinguer de la masse, c’est-à-dire comment devenir ou rester un individu, quand il y en a six milliards d’autres aussi légitimes à y prétendre ? Et comment le faire sans user de « trucs » et procédés dont la seule vertu est de frapper à l’estomac ? Le seul moyen, c’est de rester dans son coin à cultiver son lopin, comme Bernard Réquichot.
Mais du coup, qui connaît Bernard Réquichot ?
A suivre, avec un vrai peintre, cette fois, promis.
09:00 Publié dans LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : roger kowalski, galerie k, régis bernard, giorgio morandi, daniel buren, bertrand lavier, jean-pierre raynaud, claude viallat, pierre soulages, erik dietman, orlan, keith haring, robert combas, ben, andy warhol, bernard réquichot, art contemporain, peinture, littérature