mercredi, 12 octobre 2011
SONNETTE POUR VIOLON SALE (1)
(OU CONCERTO POUR CASSEROLE MALPROPRE ET ORCHESTRE)
De la musique contemporaine et du plaisir musical.
C’était place des Cordeliers, l’ancien et superbe immeuble triangulaire des Galeries Lafayette. Tout en haut, dans l’angle qui donne direct sur le pont Lafayette et sur le Rhône, il y avait une petite terrasse, pour donner de l’air et du paysage à un petit débit de boisson, enfin, juste quelques tables, d’ailleurs très peu fréquenté. Avec Alain, Guy ou Bernard, j’allais de temps en temps boire une bière en sortant du lycée à quatre heures (ou avant l’heure, mais ne le répétez pas).
Nous étions en Terminale. Nous traversions les anciennes Halles façon Baltard : c’était rien que du beau en verre et en métal (peint en vert, si je me souviens bien), comme à Paris, et détruites aussi, comme à Paris. Ici, on fait tout comme à Paris, dès qu’il s’agit de détruire.
On s’arrêtait un moment sur le parvis de Saint-Bonaventure à écouter les camelots faire l’article pour un éplucheur miracle ou une merveille de filoche. Bien entendu, le maire Louis Pradel a vite interdit les camelots. Forcément, c’est trop sympathique et convivial. Dans la foulée, il a remplacé les Halles style Baltard par un parallélépipède de béton à plusieurs étages pour mettre les voitures et une banque. Et la petite terrasse pour boire un coup, où personne ne montait, même avec les escalators, on lui a mis un couvercle blanc très laid et très opaque. Ce n’est même plus les Galeries Lafayette.
Attention, j’ai en horreur la nostalgie du passé (« Ah mon bon monsieur, c’était mieux avant ! – A qui le dites-vous, ma bonne dame ! »). J’ai assez entendu quelqu’un chanter les louanges de Concarneau, quand les bateaux rentraient le soir au port, avec leurs voiles multicolores. Mais quand un maire travaille d’arrache-pied à magnifier la laideur de sa ville, je dis quand même que c’est une saloperie. C’est aussi Louis Pradel qui a creusé de ses mains le fameux « tunnel de Fourvière ». J’espère qu’il s’est bien niqué les ongles. Ah, on me dit qu’il est mort ? Eh bien, c’est une bonne chose de faite. D’un autre côté, c’est dommage, parce que ça m’ôte le plaisir.
Tiens, justement, Gérard Collomb, son lointain successeur, après avoir bradé le quartier Grolée au fonds de pension Cargill pour en faire un pôle du commerce de luxe, mais qui reste, en l'état, une lugubre friche commerciale, a bradé l’Hôtel-Dieu, oui, ce grandiose monument historique, à des « investisseurs » (euphémisme, évidemment, pour « prédateurs »), dont l’un a l’intention d’installer des boutiques de luxe et, le fin du fin, un hôtel 5 étoiles juste sous le monumental dôme. Ce n’est plus « gauche caviar » qu’il faut dire, mais « gauche Rolls Royce ». Au fait, je ne sais pas si Gérard Collomb s’habille toujours de costumes Hugo Boss.
Pauvre mauvais maire, quand même, ça ne doit pas être évident de faire, systématiquement, le choix du LAID pour se faire réélire par des CONS. Dire que nous avons été condisciples de révolution ! Authentique ! Tout le monde a en mémoire l’immortel « groupe de la salle 3 », non ? Mais si ! 1968 ! Non ? Tant pis ! C’est vrai qu’à défaut de tuer des commissaires (Lacroix, sur le pont Lafayette, le 24 mai 1968), nous avions convenablement « tué le temps ». Si vous voyez Gérard, passez-lui mon bonjour de la part d’un « ancien de la salle 3 » ! Il se souvient, je le sais. Remarquez, je ne sais pas comment il le prendra.
Voilà, je me suis de nouveau laissé aller. J’étais donc parti sur la « musique contemporaine ». J’aimais bien les Galeries Lafayette, à cause du rayon disques (mais « Télé-Globe », place de la République, et « Denys disques », passage de l’Argue, ont aussi fermé leurs portes depuis lurette, mais si on va par là, on n’a pas fini). C’est là que j’ai trouvé, entre autres, les V. S. O. P. de Louis Armstrong (label CBS), avec le « hot five », dont sa femme Lil Harding au piano, puis le « hot seven » avec, au piano, Earl Hines, enfin un vrai pianiste. Oui, les huit. Je parle de l’époque des vinyles, hein ! Ceux-là, je les ai donnés à un amateur, un vrai. Comme musique « contemporaine », il y a mieux, il est vrai.
Mais voilà, j’y ai aussi trouvé des disques à la pochette entièrement argentée et fluorescente : la collection « Prospective 21ème siècle » de Philips. Plus tard, j’ai découvert que La Révolution surréaliste avait usé d’un procédé luminescent analogue dans les années 1920 (procédé « radiana », si je me souviens bien, mais avec un nom pareil, le radium ne doit pas être loin, alors que les pochettes Philips font juste un effet d’optique) : quoi qu’il en soit, qu’est-ce que ça pouvait me faire, franchement ? J’ai donc acheté deux disques des Percussions de Strasbourg, et un d'Ivo Malec, tous gratifiés d’un « Grand Prix International du disque », Académie Charles Cros. Je ne sais plus si c'était en 1970 ou avant. J’ai toujours ces disques.
L’un comportait une pièce de Milan Stibilj, Epervier de ta faiblesse, domine !, sur un poème de Henri Michaux dit, non : proclamé par Claude Petitpierre, qui me reste encore dans les oreilles. Sur un autre étaient enregistrées, avec des Inventions de Miloslav Kabelac, Quatre pièces chorégraphiques de Maurice Ohana, que j’ai préféré oublier, sur le troisième, Ivo Malec proposait quatre pièces, parmi lesquelles Cantate pour elle. Il a décidé de devenir un compositeur important et il y est arrivé.
Tout ça pour dire que ça m’intéressait, la musique contemporaine. Et plus le temps a passé, plus ça m’a intéressé. Je ne sais pas bien pourquoi. La curiosité sans doute. L’envie d’échapper à un carcan sonore, en direction d’un « ailleurs » toujours plus lointain. La même envie qui me poussait à l’époque vers ce qu’on écoute quotidiennement en Inde, en Chine, en Afrique et autres planètes.
Mais restons-en au « contemporain ». Il n’y a aucune vanité à en tirer : ce qui me poussait, c’était une aversion pour … disons pour la routine auditive, la rengaine sonore, le ronron musical, le refrain obligé, le cercle vicieux radiodiffusé ou culturellement dominant. C’était moins un goût positif, une attirance authentique envers des sonorités inouïes ou je ne sais quelle décision de « vivre avec mon temps », qu’un vague dégoût pour le réchauffé, un rejet diffus d’un héritage dont la conception et l’élaboration m’échappaient.
Finalement, je n’étais pour rien dans ces formes reçues. En me tournant vers le contemporain, j’avais l’impression d’être partie prenante dans l’orientation de mon époque, de participer à la construction de l’édifice à venir, et d’avancer sur une voie qui m’était plus personnelle. C’était donc plutôt une raison négative qu’un tropisme véritable et spécifique. On ne se doute pas combien le désir de ne rien devoir à personne, d’être l’auteur et le créateur de son propre patrimoine, et de constituer la seule origine de son propre héritage peut occuper l’esprit de certains enfants gâtés. J’étais peut-être un enfant gâté. Mais c'est aussi une marque de l'adolescence, je me dis.
A suivre ...
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : musique, musique contemporaine, littérature, louis pradel, gérard colomb, mai 1968, maurice ohana, ivo malec
mardi, 11 octobre 2011
COMMENT J'AI APPRIS A AIMER LIRE
Eloge de la « littérature populaire » (suite).
Parenthèse sur Le Journal des voyages.
L’un des responsables de mon goût spontané pour la littérature populaire, cette littérature de seconde zone, et pour tout dire « vulgaire », je le dénonce ici vigoureusement : c’est Le Journal des voyages. Il était complet (une quinzaine d’énormes volumes rouges à vignette vert sombre plus quatre volumes étroits et moins jolis) sur les rayons de la bibliothèque grand-parentale, et avec quelle volupté mauvaise je me plongeais dans cette revue de la fin du 19ème siècle. Il y avait évidemment les illustrations (deux pages de textes, deux pages illustrées : on n’illustrait qu’une face du papier). Des illustrations extraordinaires à mes yeux.
Pensez donc : un homme a introduit sa tête entre deux tampons de wagons sous l’œil du contrôleur horrifié et levant les bras au ciel, dans un train parcourant les plaines de l’ouest américain ; dans la cabine d’un bateau, deux hommes se font face, autour d’une table, l’un vient d’enfoncer un long poignard dans la table, en y clouant la main de l’autre ; un « sauvage » est attaché à un poteau, et son congénère lui plante un couteau dans l’œil sans que celui-ci cesse de faire un sourire épouvantable. Si mes parents avaient su … Mais quand nous ouvrions ces énormes bouquins, mes sœurs et moi, nous étions tellement tranquilles qu’il ne leur serait jamais venu à l’idée de nous interrompre. C’est grand et ça ne sait pas, que voulez-vous ? C’était avant la télé.
Donc il y avait les illustrations, bien faites pour fasciner les gamins, mais aussi pour épouvanter le tranquille bourgeois parisien de l’époque : une montgolfière en train de s’abîmer dans un océan en furie, un navire tout en noir ballotté dans les 40ème rugissants, un bateau à voile pris dans les glaces arctiques avec des hommes en détresse dérapant sur le pont glissant, de curieuses cérémonies devant de curieuses constructions dans je ne sais quelles îles du Pacifique.
Tenez, je vous lis le sommaire des illustrations d’un volume de 1877 : les compagnons de Stanley ; fumeurs d’opium ; les incendies au Japon ; soldats turcs en prière ; une tombe qui ne s’ouvrira pas. C’est tout à fait engageant. La revue raffolait (en fait, c’étaient les lecteurs, bien sûr) d’ « histoires de pirates, flibustiers et autres écumeurs des mers », de tout ce qui concernait les « gauchos » et la Patagonie, des « barbiers chinois en Californie », d’un « équipage dévoré par des requins ». Le pacifique bourgeois parisien se dit qu’il a bien raison de rester chez lui. Pas comme Fenouillard qui entraîne dans les pires tribulations sa petite famille, de Saint-Rémy-sur Deule (Somme-Inférieure), soit lui-même Agénor, son épouse, ainsi que Cunégonde et Artémise, leurs deux pestes.
Donc, je disais qu’il y avait les illustrations, mais il y avait les textes, aussi et principalement, qui servaient de prétextes aux graveurs chargés chaque semaine d’impressionner le lecteur. Je me rappelle, par exemple, un récit dont l’action se passe quelque part (dans le Pacifique, peut-être, peut-être en Afrique, en tout cas il fait très chaud). L’un des personnages voit tout d’un coup quelque chose qui bouge SOUS LA PEAU de son compagnon, au niveau du front, quelque chose de long qui se déplace.
L’un des « indigènes » présents se munit d’un fin bâton bien cylindrique et d’un couteau, et lui fait comprendre qu’il faut intervenir. Il incise la peau, saisit l’une des extrémités de la chose, et commence à tourner son petit bâton et à enrouler la chose autour. Effectivement, ça s’enroule, et ça ressemble à un ver.
« C’est un ver », dira placidement le médecin de l’expédition, le soir au campement. Plus précisément, cette infâme saloperie est une « filaire de Médine », ou « dragonneau ». Une des joyeusetés que vous rencontrerez s’il vous prend la fantaisie d’aller vous balader dans des coins pour lesquels vous n’êtes pas fait. « Vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous a pas prévenu. – Oui monsieur, bien monsieur. »
Et monsieur Martin acquiesce, pose le Journal des voyages, rechausse les pantoufles dont il s’était débarrassé pour se chauffer les pieds devant la cheminée, se lève de son fauteuil à l’appel de madame, et va déguster le délicieux ragoût de mouton qui flatte depuis un moment son odorat. Pardon, je reviens à mon sujet. C’était juste pour restituer l’ambiance.
Alors, les textes, on a compris : ce ne sont que cavalcades impétueuses, expéditions à haut risque aux antipodes, si possible dans quelque peuplade barbare (à l’époque elles n’étaient pas encore toutes exterminées, encore moins habituées à décapsuler une bouteille de coca-cola, ce progrès radical de la civilisation), aventures dans des forêts impénétrables ou dans des contrées désolées voire désertiques. C’était l’âge d’or de la consommation frénétique de récits d’aventures, des aventures accomplies au péril de sa vie, mais sans jamais la perdre, parce qu’il fallait pouvoir raconter. Pas fou à ce point-là.
Il y avait aussi la description des mœurs bizarres en vigueur sur la planète, toutes plus bizarres et exotiques les unes que les autres. On passait de je ne sais quel temple hindou aux scarifications de telle tribu d’Afrique, des marchandages sans fin quelque part en Arabie aux cruelles cérémonies d’initiation des garçons dans telle tribu indienne du Canada. Je ne suis pas sûr cependant que le regard était obligatoirement condescendant, voire colonialiste. Il reste que cette feuille (il n’y a pas d’autre mot) vendait du « sauvage » comme s’il en pleuvait.
Fin de la parenthèse sur Le Journal des voyages.
A suivre bientôt, en compagnie d'Arsène Lupin.
09:18 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal des voyages, aventures, récits d'aventures, littérature, lecture, filaire de médine, sauvages, barbares
lundi, 10 octobre 2011
L'HOMME SANS QUALITES, tome II
De ROBERT MUSIL, on connaît essentiellement L’Homme sans qualités, livre monumental (et inachevé). De ROBERT MUSIL, j’avais lu il y a longtemps Trois femmes, puis Les Désarrois de l’élève Törless, ou l’inverse. De Trois femmes, je ne me rappelle rien, sauf une impression très forte, de trois caractères féminins, de trois individus au sens plein du terme. Grigia, Tonka, la Portugaise. J’avais noté, entre autres : « Un ton pour moi inconnu. Le concret comme une métaphysique ».
Les Désarrois de l’élève Törless est un roman initiatique. Un adolescent commence à prendre des distances avec des parents qui ne le comprennent pas quand il leur demande conseil. Placé par ses parents dans un pensionnat, il découvre la communauté des garçons, avec ses ambiguïtés et ses cruautés. Tout perclus de doutes et d’affolement de la boussole, il expérimente les désirs et les plaisirs, non sans culpabilité. Il est à la recherche d’une cohérence intérieure, d’une sincérité absolue.
Il voudrait voir converger les raisonnements logiques et moraux et l’expérience personnelle. Il finira par renvoyer dos à dos la religion et la science, qui ne cherchent qu’à enfermer le vivant dans des dogmes. C’est le roman d’une aventure intérieure, rythmée par des actions qui tournent toutes autour du sexe et de la violence (Bozena, l’abjection de Basini, le grenier, le lit, B. livré à la classe…).
L’Homme sans qualités est évidemment LE « grand œuvre » de ROBERT MUSIL, auquel il aura peu ou prou travaillé toute sa vie. Je n’aurai garde d’avoir la prétention de commenter intelligemment ce monument, encore moins de le critiquer, sous peine de passer pour un moins que rien, tout juste de faire partager des impressions de lecture.
Dans le premier tome, que j’ai essayé d’évoquer ici même les 6 et 7 septembre, l’auteur décrit un monde moralement exténué à la recherche de son propre sens, l’Autriche de juste avant 1914, la Cacanie (K & K, kaiserlich und königlich). Mais l’Autriche peut être vue comme le symbole de l’Europe finissante, avant l’autodestruction (l’écriture, et peut-être la conception du livre ne vient qu’après 1918).
FRANÇOIS-JOSEPH est tout près d’achever son règne. Un certain nombre de personnages y évoluent : Ulrich, le personnage central, Bonadea, la maîtresse, Diotime, la cousine ambitieuse, le comte Leinsdorf, maître d’œuvre de l’Action parallèle, Paul Arnheim, le capitaine d’industrie, Clarisse et Walter, Tuzzi, Fischel, Rachel, Gerda, et d’autres. J’oubliais l’assassin Moosbruger. Le tome 1 comporte deux parties : « Une manière d’introduction » et « Toujours la même histoire ». Le titre de la troisième (voir plus loin) nous fait entrer dans le vif du sujet.
Voilà un petit rappel, bien nécessaire, parce que, quand on ouvre le tome 2 (1000 pages environ), ce n’est pas du tout le même livre. Apparemment, en effet, il n’a pas grand-chose à voir avec le premier. Le décor change, des personnages nouveaux surgissent, et surtout, le récit change de nature. PHILIPPE JACCOTTET, le poète suisse et remarquable traducteur de cette somme, évoque dans une postface les difficultés insurmontables rencontrées pour établir un texte définitif de la dernière partie du roman, restée inachevée.
Pour parler franchement, et sans vouloir remettre en question le statut de ROBERT MUSIL, j’ai lu le tome 2 de L’Homme sans qualités, et je reste profondément déconcerté. Quand vous passez au deuxième tome de Guerre et paix de LEON TOLSTOÏ, il n’arrive rien de tel, et l’auteur reste attaché, imperturbable, à sa trajectoire. A la limite, le découpage en deux tomes est simplement dû à la dimension de gros pavé que le livre aurait eue sans cela. Pour L’Homme sans qualités, c’est comme si ROBERT MUSIL avait changé de projet en cours de route (ce que laisse d’ailleurs entendre JACCOTTET dans sa postface).
Ça expliquerait l’espèce d’incertitude existentielle où il a été quant à l’ordre et à la rédaction des chapitres. En 1932, MUSIL publie bizarrement les trente-huit premiers chapitres, dont le dernier s’achève en pleine action. Il meurt en 1942. Entre les deux, il n’aura de cesse de remanier et de modifier, sans parvenir à un aboutissement définitif.
PHILIPPE JACCOTTET écrit d’ailleurs : « On peut donc concevoir, en suivant M. Kaiser, que Robert Musil, s’il avait vécu quelques années de plus, loin d’achever son roman, se serait enfoncé de plus en plus dans l’impossibilité de l’achever, (…) ». J’ai assez tendance à le croire. Il me semble que l’auteur abandonne la peinture du tableau somme toute déprimant d’une société sur le point de finir, pour celui des relations intimes extrêmement fortes et exigeantes qui se tissent entre le frère et la sœur, Ulrich et Agathe.
Agathe, on ne la connaît pas du tout à la fin du tome 1. Elle fait en effet partie des personnages qui apparaissent dans le deuxième. Il y a donc, au premier chef, Agathe, sœur qu’Ulrich n’a jamais côtoyée, et qu’il découvre soudain, au point que sa vie va en être bouleversée. Ils décident qu’ils seront aux yeux du monde des « jumeaux siamois » (Ulrich est son aîné de sept ans). On découvrira aussi le curieux professeur Lindner (lindern = soulager), moraliste rigoriste qui conseille vivement à Agathe de retourner vivre auprès de son mari Hagauer (au fait oui : elle l’a quitté pour vivre avec son frère) ; Meingast (= mon invité), l’hôte étrange (et au pouvoir étrange) de Clarisse et Walter ; Feuermaul (= gueule de feu), le poète exalté de la fraternité et de la paix. On voit que l’antiphrase fait partie du paysage.
Ce tome 2 porte le titre « Vers le règne millénaire ou les criminels ». Le père d’Ulrich étant mort, il faut s’occuper des formalités de la succession. Dans la maison paternelle, il tombe sur sa sœur Agathe, qu’il ne connaît pas du tout. Ce sont les douze premiers chapitres. Les notations particulières qui traduisent très visiblement le regard d’Ulrich sur sa sœur laissent assez entendre qu’il est saisi par le charme physique de cette femme qu’il découvre.
Très vite, il observe Agathe en détail : « (…) mais sa peau avait une sécheresse parfumée, la seule chose qu’il aimât dans son propre corps. La poitrine de la jeune femme ne se perdait pas en rondeurs, elle était mince et vigoureuse, et ses membres semblaient avoir cette forme longue et fuselée qui unit la puissance naturelle à la beauté ». A d’autres moments, il appréciera les reflets du soleil couchant dans les cheveux, la position d’une jambe sur un canapé, … On n’est pas plus sensible.
Ils vont donc commencer par s’observer, se jauger et tenter de s’apprivoiser réciproquement. Et cela va se faire tout au long de conversations, auxquelles tous deux vont apporter des soins d’orfèvre, doublés d’une extrême attention jointe à une extrême concentration, au point que, plus tard, ils seront capables de se les remémorer dans le moindre détail.
Là est le parti-pris absolu ou presque de l’auteur dans ce tome 2 : la conversation. Un choix très osé, et finalement très risqué, car les chances sont grandes de rebuter le lecteur. La conversation va bien sûr être le socle de la relation entre Ulrich et Agathe, mais aussi d’Ulrich et Agathe avec tous les autres personnages.
Par exemple, lorsque le frère et la sœur se mettent à décortiquer la notion de sentiment, ils le font en parlant ensemble, mais également à travers les papiers où Ulrich à noté de longues réflexions sur le sujet, et qu’Agathe lit à son insu, alors même que celui-ci poursuit un échange long et soutenu avec le général Stumm von Bordwehr, qui ne se décide pas à donner l’ordre à son cocher de fouetter les chevaux.
Agathe a par ailleurs de longues conversations (là aussi, à l’insu d’Ulrich) avec Lindner (le « propre-à-tout », comme MUSIL le désigne), dont certaines seulement sont « retranscrites » à destination du lecteur. Ce personnage est la véritable et définitive caricature du maniaque. Il faut lire l’extraordinaire chapitre 40. « A vrai dire, Lindner transformait absolument tout ce qu’il touchait en commandement moral. Qu’il fût avec ou sans vêtements, chaque heure de sa journée jusqu’à l’irruption d’un sommeil sans rêves était remplie par une occupation importante à quoi elle était réservée une fois pour toutes. » Agathe va quelque peu bousculer cette belle ordonnance.
Découle de ce programme impérieux, quoi qu’il en soit, un découpage tout à fait précis des vingt-quatre heures d’une journée en tranches plus ou moins épaisses, mais toujours coulées dans un bronze rigoureusement infrangible. « D’autres laps de temps, enfin, étaient prévus, les uns une fois pour toutes, les autres selon un roulement dans le cadre hebdomadaire, pour l’habillage et le déshabillage, la gymnastique, la correspondance, le ménage, les officialités et les divertissements utiles. » On le voit, c’est quelqu’un de très folichon, hélas pour lui affligé d’un fils, Peter, auquel il s’efforce (un peu en vain) d’inculquer de si nobles principes. ROBERT MUSIL a dû bien s’amuser à écrire ce chapitre.
La scène viennoise, qui occupe une bonne part du tome 1, passe ici au second plan, et apparaît encore, mais par intermittence. Il faut savoir qu’Ulrich s’est mis en congé de secrétariat de l’Action parallèle, au grand dam du comte Leinsdorf, depuis la mort de son père, mais surtout depuis le débarquement brutal d’Agathe dans sa vie. Diotime a abandonné une part de ses « ambitions politiques », a vu avec une certaine aigreur, le capitaine d’industrie Paul Arnheim prendre quelque distance avec elle depuis leur dilemme amoureux, et se tourne désormais ver l’étude de la sexualité humaine en se plongeant dans toutes sortes d’ouvrages « scientifiques », que ses visiteurs peuvent voir joncher son lit (clin d’œil supplémentaire).
Agathe (αγαθός = bon) et Ulrich vont se demander très longuement ce que signifie aimer, et essayer de définir, d’expliquer les origines et le modalités de ce qu’on appelle le « sentiment ». Est-il possible d’atteindre à l’idéal ? Quel rapport avec le corps ? Comment concilier les deux ? Ils en discutent, par exemple, dans plusieurs chapitres parfois magnifiques, dans le jardin de la maison d’Ulrich, protégés du monde extérieur par une grille dont il est question, étendus dans l’herbe.
Je ne cache pas, personnellement, mon impression de lire, peu ou prou, des dissertations savantes, où la mystique n’est pas absente, en même temps que la réalité du monde (couleurs, végétaux, chaleur, …) est saisie et rendue de façon très charnelle (le chapitre 76 est intitulé « la réalité et l’extase ») ; mon impression, parfois, de me retrouver en cours de philo (« Alors, tu vas me la dire, la différence entre sensation et sentiment ? »). Tout ça a quelque chose d’intimidant, ne serait-ce que par la longueur. Je ne cache pas qu’à certains moments, j’attends que ça finisse. Il reste malgré tout que l’ensemble se situe à haute altitude d’inspiration, et que certains passages sont d’une beauté éblouissante.
Il faut toujours garder en mémoire que L’Homme sans qualités est un livre qui devait, dans l’esprit de son auteur, amener, dans sa conclusion, à août 1914, c’est-à-dire à cet invraisembable suicide de la civilisation européenne sous la pression de la logique infernale des Etats-nations. Ce qui se passe entre le frère et la sœur, je veux dire l’accomplissement final de l’inceste, est-il lié de quelque manière à cette mécanique historique ? Je me pose la question, car cet accomplissement même entraîne « désespoir et rupture », comme le signale le traducteur. Est-ce un processus analogue à cette rupture d’équilibre qui fait basculer le continent européen ?
Dernière remarque : la mise au point du tome 2 a effectivement dû poser aux éditeurs un problème insoluble, si j’en crois, d’une part, l’état de certains chapitres, qui existent à peu près à l’état de simples projets, d’autre part, la mise en ordre « définitive » des chapitres. Pour un bon nombre, les enchaînements sont assez évidents, mais où placer quelques-uns, parmi lesquels « le retour de Gerda » et d’autres. On a le cœur serré de voir la chute de Clarisse (« Clarisse en Prométhée effondré »).
Enfin, on est bien obligé de prendre tels quels ces morceaux, de même qu’on est définitivement frustré, en même temps que bouleversé par la deux cent trente-cinquième mesure de la dernière partie de l’Art de la fugue, du grand JEAN-SEBASTIEN BACH, qui, par son inachèvement même, demeure une ouverture sur le vide et l’infini.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : robert musil, l'homme sans qualités, trois femmes, les désarrois de l'élève törless, philippe jaccottet, agathe, ulrich
dimanche, 09 octobre 2011
LA BECASSE A UN OEIL DE LYNX
Bon, alors il paraît que j’étais parti à la chasse à la bécasse ? Tiens, à propos, la rengaine, vous la connaissez, non ? « L’curé d’chez nous s’en allait à la chasse, Avec son chien, son fusil je l’ai vu. En chemin il rencontre une bécasse, La vise au cœur et lui perce le … Curé d’chez nous s’en allait … etc … ». Sinon, je vous dirai la mélodie, ça fera passer le temps, disons au moins 1 minute 17 secondes.
Donc l’œil, on disait. Si je m’écarte encore de mon sujet, tenez-moi à l’œil et rappelez-moi à l’ordre. Alors, si on veut être précis, qu’est-ce que c’est, un œil ? Sans vouloir trop finasser, je dirais qu’à moi, il me sert à planter ma fourchette ailleurs qu’à côté du morceau de viande dans mon assiette.
Accessoirement, ça sert à deux ou trois choses essentielles : apercevoir sans en rien perdre la belle jeune femme en face (anecdote livrable avec certificat d’authenticité) juste au moment où, s’étant séchée après la douche, elle est obligée de traverser la pièce, toute fenêtre ouverte, pour attraper son soutien-gorge et sa culotte sur l’étendage, qu’elle avait oubliés de disposer à portée de main (ça n'est plus arrivé, promis) ; voir venir les ennuis de loin ; identifier les problèmes ; envisager les solutions d’un regard lucide et courageux ; chiper au nez et à la barbe des autres le sot-l’y-laisse oublié dans le plat ou deux billets de 10.000 quand on est caissier au Monopoly. Bref, des choses futiles, on en conviendra.
Dans le fond, l’œil, chez l’homme, n’est pas une nécessité vitale. Chez les oiseaux, c’est le contraire. S’il n’a pas l’œil, le volatile, tout simplement, il est mort. La preuve, c’est que chez les humains, l’aveugle est en général laissé en vie, jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive, évidemment, mais ça, c’est valable pour tout le monde. L’oiseau aveugle, c’est peut-être un bon titre de roman fantastique, mais dans la réalité, macache bono, si je peux me permettre. Réciproquement, il n’y a pas d’oiseau mort qui ne soit pas aveugle (maman m’a dit que la double négation, ça impressionne toujours). Mais il paraît que chez nous c’est pareil, quand on est mort, on ne voit plus rien. Ça me manquera.
Regardez n’importe quel oiseau, parmi ceux qui picorent au sol : sa tête n’arrête pas de bouger d’avant en arrière, de tourner dans tous les sens, de se baisser et de se relever. Epuisant, je me dis. Comparez avec la dame âgée qui fait la queue chez le charcutier : elle n’arrête pas de faire oui et non avec la tête et avec la main. Je me dis qu’elle doit être fatiguée en fin de journée, après avoir fait tant d’exercice. Quoi, maladie de Parkinson ? Pardon, je ne savais pas. Mais de toute façon, est-ce qu’elle n’est pas fatiguée quand même ?
Ce qui est sûr, c’est que chez l’oiseau, ce n’est pas Parkinson, mais une nécessité vitale. Son œil, c’est sa vigie, sa sentinelle, son guetteur : c’est qu’il faut voir venir, dans ce métier. Une seconde d’inattention, et on est cuit. En fait, c’est la victime qui a besoin de voir venir. Parce qu’il faut savoir : chez les oiseaux, on est soit victime, soit bourreau. Le bourreau a en général le bec recourbé et très affûté au bout de son crochet : c’est l’instrument de torture, c’est l’arme radicale.
Eh bien chez le bourreau, les deux yeux regardent du même côté. Tiens, c’est drôle, chez l’homme, c’est la même chose. C’est que le rapace a besoin des deux yeux à la fois pour situer la proie avec précision (angle et distance). L’homme aussi a besoin de repérer la proie. C’est ce qu’on appelle la vision binoculaire. C’est le cas de la chouette chevêche (21 cm) et du noble circaète Jean-le-Blanc (65 cm). En fait, tous les rapaces, à l’origine, se sont entendus, et ont voté pour ce système. Ils ont été bien inspirés, c’était un bon calcul. Bon, leur angle de vue est un peu réduit (110 degrés chez la chouette), mais après tout on n’a rien sans rien, c’est ce qu’il faut se dire, non ?
Attention, si vous remarquez que les yeux sont sur les côtés, c’est sûr, vous n’avez pas à faire à un rapace, vous avez à faire à une victime. Mettons un pigeon, parce que tout le monde ou presque est citadin aujourd’hui et qu’en ville, les pigeons pullulent, hélas pour les statues érigées sur les places publiques en l’honneur des inventeurs du métier à tisser mécanique et des généraux de l’Empire. Ce qui compte, ici, ce n’est pas le repérage des proies, c’est la détection des prédateurs. Autrement dit, il faut un angle de vue le plus large possible. Le pigeon ? 340 degrés, qu’est-ce que vous dites de ça ? Difficile de faire mieux, mais c’est possible, vous allez voir.
Très différents des nôtres, les yeux des volatiles : l’homme peut regarder « en face », la femme peut regarder « en coin », c’est d’ailleurs ce qui fait son charme. Et c’est vrai qu’à cet égard, l’homme est un gros bêta. La femme, en plus, peut à loisir faire semblant de ne pas regarder. Et ça, l’homme n’a toujours pas repéré le « truc », semble-t-il. Il lui reste encore à en apprendre, sur sa congénère.
Chez les oiseaux, c’est beaucoup plus républicain, je veux dire égalitaire : tout le monde regarde à peu près « en face ». On n’a pas connaissance, par exemple, d’un oiseau qui loucherait : le strabisme est inconnu chez la gent aviaire. Pour une raison simple, c’est qu’elle est presque dépourvue des muscles oculomoteurs (c’est comme ça qu’on dit) qui permettent à nos chasses (nos calots, nos mirettes, si vous préférez) de pivoter, voire de vriller, comme ceux du loup dans la boîte de nuit où il mate le chaperon rouge, chez TEX AVERY. Rien que pour ça, je n’ai aucune jalousie envers les oiseaux.
Et pourtant si, je dois l’avouer, je suis jaloux de la chouette, de n’importe quelle chouette : je suis incapable de faire pirouetter ma tête, comme elle, sur 270 degrés. Bon, elle en est fière, eh bien je lui laisse. Je me rattraperai ailleurs. Autre chose dont je suis incapable : comprimer plus ou moins, comme le font couramment tous les oiseaux, mon cristallin pour qu’il accommode précisément, grâce à deux muscles « ad hoc », pour qu’il « mette au point » sur la chose regardée. C’est grâce à ça qu’aucun oiseau n’a jamais été obligé de porter lunettes ou lentilles de contact.
On a appris par les journaux que chouettes et faucons peuvent même agir sur la courbure de leur cornée. Mais globalement, je suis quand même bien content de ne pas être une chouette : je n’ai aucune envie de finir cloué sur une porte de grange. C’est vrai qu’elle non plus, j’imagine.
Je ne vous embêterai pas avec le « peigne », qui reste assez mystérieux, dont certains pensent qu’il sert, par une irrigation vasculaire accrue, à combattre l’éblouissement, d’autres à identifier des objets éloignés. On en est là. Je mentionnerai en passant la membrane nictitante, cette troisième paupière qui permet aux oiseaux de nuit d’atténuer l’éclat du jour, en même temps qu’elle nettoie l’œil gratuitement et régulièrement. On ne saurait être mieux servi.
Venons-en à la bécasse, vous voyez que tout finit par arriver, même ce qui est annoncé. Je ne crains pas de le dire : c’est un oiseau attendrissant, non pas à cause de la scène infâmante dont GUY DE MAUPASSANT inaugure ses Contes de la bécasse, mais à cause de la « croule », ce curieux manège que les mâles font les soirs de mars autour du même « pâté de bois » (ben oui, ils n'ont pas de pâtés de maisons) en gonflant leur plumage, battant lentement des ailes et croassant des « croo », avant de siffler des « touissik ».
La bécasse possède une autre curiosité : ses oreilles sont placées en dessous de l’œil. Mais la vraie merveille qu’elle offre est la suivante : son champ de vision est SUPERIEUR à la totalité du cercle. C’est incroyable, mais c’est comme je vous le dis, soit dit sans nulle forfanterie de ma part. Environ 380 degrés. Texto. Ce résultat est indispensable à sa sécurité.
Pensez donc, quand elle enfonce son bec dans un sol humide à la recherche de vers de terre, elle est à la merci de qui passerait par là dans une intention mauvaise pour elle. Et ce qui rend possible ce résultat, c’est précisément l’emplacement des yeux : diamétralement opposés sur les extrémités latérales du crâne. J’explique : que vous regardiez la bécasse de face ou de dos, vous voyez nettement les yeux Vous apercevez exactement les yeux de la même manière, deux demi-sphères noires et brillantes qui protubèrent. Eh bien je vais vous dire : ça fait bizarre.
Voilà, vous savez tout. Ou presque. Enfin, pas loin.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ornitholologie, oiseaux, littérature, rapaces, chouette, circaète jean-le-blanc, maupassant
samedi, 08 octobre 2011
LES YEUX RETROVISEURS DE LA BECASSE
Je préviens tout de suite : on y viendra, à la bécasse, mais s’il vous plaît, laissez-moi le temps d’y arriver.
Les merveilles du monde animal, on ne saurait s’en lasser. Pensez aux vingt chapitres qu’ HERMAN MELVILLE consacre à la description du grand cachalot dans Moby Dick. Pensez aux liens mystérieux que PIERRE MOINOT tisse entre l’humanité et les bêtes dans La Chasse royale ou Le Guetteur d’ombre.
Pensez à cette nouvelle posthume du magnifique LOUIS PERGAUD, La Rencontre (oui, le même qui a écrit La Guerre des boutons, assassiné en 1915 sur je ne sais quel champ de bataille, lors du grand suicide inaugural de l’Europe dans le petit matin glauque du XX° siècle), où deux jeunes garçons rentrent chez eux un soir de Jura couvert de neige, obstinément suivis, à dix mètres, par un drôle de « chien » qui, aux abords du village, n’a rien de plus pressé que de sauter en un clin d’œil sur Tom, le roquet détesté du détesté père Zéphyr, de l’égorger proprement et de l’emporter brusquement dans la forêt. C’était évidemment un loup. C’était en d’autres temps.
Personnellement, je suis aux anges lorsque j’entends, quelque part en l’air, le miaulement caractéristique de la buse variable ; lorsque, dans les hauts de la vallée d’Aspe, j’aperçois pendant quatre secondes le vol d’un percnoptère ; lorsque, du côté de Puy-Saint-Vincent, un circaète Jean-le-Blanc offre la surprise d’un passage à proximité ; lorsque, du fond des gorges du Verdon, j’aperçois le vol d’une quinzaine de vautours largement éployés au sommet de la falaise, posés sur un coussin d’air chaud.
J’aime ces surprises animalières : quand toi, perdu dans le massif du Pilat avec une carte que les bûcherons ont si méticuleusement saccagée que tu n’es plus en mesure de savoir où tu te trouves à dix kilomètres près, et que tu tombes nez à nez avec une biche qui te regarde fixement aussi longtemps que tu ne bouges pas un cil, mais « qui preste s’évanouit » (BRASSENS, « Les belles passantes »), dès que tu romps l’enchantement, parce qu’il faut bien bouger. Mais la biche, même un autre jour au-dessus de Crémieu, sur un sentier à peine dessiné, tu vois plus souvent son cul que ses yeux : peut-être ce qu’on appelle la « gentillesse » féminine ?
Je peux même te raconter la truite, dans ce qu’on appelle le « ruisseau de Chaumargeais » (à toi de trouver où ça se trouve), quand tu marches pieds nus dans la flotte et que, à chaque pierre qui « fait de l’ombre », tu t’arrêtes tout doux, tu te baisses tout doux, et tu passes tout doux les mains sous la pierre, le gras des doigts vers le haut. Quand le contact est soyeux, tu redoubles de douceur, comme un fétu qui suivrait le courant et qui effleurerait ce que tu as senti.
Tu mesures la dimension de la bête : une main tendre à la tête, une main tendre au ventre, tu crispes soudain les doigts, et tu jettes sur l’herbe, assez loin pour que, de son saut puissant, elle n’ait aucune chance de retourner à l’eau. Le soir, si tu t’es pas fait prendre, tu te régales : une poêle, les quelques jolies pièces de l’après-midi, la maille ou pas la maille, roulées dans la farine, un peu de beurre, que demande le peuple ?
Seulement un peu de bonheur. Tu peux aussi essayer dans la Cérigoule, ça marche aussi, mais elle est un peu large. Bien entendu, la « pêche à la main » est tout à fait illégale, prohibée, voire interdite, si ce n’est même proscrite. Parce que trop efficace et moins aléatoire, sans doute. Plus sûrement parce que tu n’as pas payé le timbre. Je vais te dire : « Attrape-moi si tu peux ! »
Regarde mourir un pic-vert, ça laisse également des souvenirs. Le fusil paternel résonne juste à côté de ton oreille : il a tiré ! Et tu vois l’oiseau tout d’un coup monter en flèche vers le ciel. Le fusil paternel te déclare : « Il a eu un plomb en pleine tête ». C’est sûr. Ça dure un instant seulement : après la flèche, la pierre, qui tombe verticale vers le sol. Au moins, tu n’as pas à chercher dans les broussailles. L’étonnant, une fois l’oiseau vert allongé sur la plaque de marbre : la langue ! Jamais vu une langue aussi longue, un peu dégoûtante au toucher. Bon, je sais bien que c’est très bête, de tuer un pic-vert.
La taupe, ce n’est pas mal non plus. Cela se passe dans « les marais ». Le jour est sec, le chemin et le soleil aussi, et les feuilles mortes aussi, qui commencent à crisser toutes seules les unes contre les autres. Bizarre. Tu t’es mis à l’ombre pour siroter ton breuvage. Le vélo est couché sur le bas-côté du chemin de terre. Tu es assis. Tu savoures la chose et le repos. C’est quoi, ces feuilles qui bougent ? Evidemment, tu vas voir, tu soulèves une feuille, puis deux, puis un paquet. C’est quoi, ce cylindre noir qui essaie de s’enfouir ? Mets-y les doigts ! Attention, ça mord et ça griffe. Incroyable, cette méchanceté ! Retournes-y, mais prudence.
C’est drôle, quand tu tiens la bête, le ventre en l’air : un museau de musaraigne, mais en moins long et en plus fort. Et des pattes comme des battoirs griffus, avec un dessous entre le rose et le gris. Bon, vous aurez beau insister, je ne dirai rien de ce qui arriva ensuite. Vous risqueriez de m’en vouloir. Sachez seulement que je m’intéressais fort à l’époque aux divers procédés de tannage des peaux. Ce que je peux parfaitement avouer, c’est qu’il n’y a pas plus doux sur terre que la fourrure de taupe, y compris la peau des filles, qui ont certes les griffes, mais même pas de la fourrure partout, et nulle part cette sorte de fourrure, à poils courts et droits, et d’une finesse inégalée. Passons.
Puisqu’on est à la chasse, venons-en au moustique. Je n’ajouterai rien aux sempiternelles lamentations du touriste en vacances. Je pense aussi à une aventure de Lucky Luke : ce salopard de « poor lonesome cowboy and far away from home » introduit par le trou de la serrure un moustique dans la chambre d’hôtel d’Averell Dalton, qu’il doit affronter le lendemain. Au matin, celui-ci a le teint tellement verdâtre qu’il suffit d’une pichenette pour l’assommer. C’est vrai que ça rend la nuit impossible, le moustique. Mais il faudrait interdire cette déloyauté.
Moi, j’en avais régulièrement dans ma chambre, des moustiques. Heureusement, j’ai inventé une arme imparable. Quand vous aurez le temps, allumez une bougie. Intercalez-la entre la bombe insecticide et le moustique posé sur le mur en plâtre peint en bleu clair un peu pisseux. Laissez au moins vingt centimètres entre la bougie et la bombe. Appuyez. Pas longtemps. Relevez maintenant l’index, et observez : vous avez du mal à retrouver quelque trace que ce soit de la bestiole. Ben oui, elle a eu un peu trop chaud, quoi. Quoi, c’est dangereux ? Evidemment ! Où serait le plaisir de la chasse au chalumeau, je vous le demande ?
Bon, bref. Alors comme ça, mon sujet, c’était les oiseaux. Puisque j’en étais à la chasse, je signale que beaucoup d’espèces d’oiseaux distinguent à merveille le promeneur inoffensif et le chasseur armé d’un fusil. Vous vous baladez les mains dans les poches, vous avez des chances d’observer des vols presque normaux à proximité. Vous portez un grand bâton noir luisant et qui fait du bruit au creux du bras : vous ne voyez plus la queue d'un. Etonnant, mais c’est comme je vous le dis !
Il n’y a pas que le bec qui soit intéressant, chez les oiseaux. Voyez leur œil. Et tenez-le à l’œil jusqu’au prochain épisode.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : animaux, oiseaux, ornithologie, oeil, herman melville, pierre moinot, moby dick, la chasse royale, le guetteur d'ombre, louis pergaud, circaète, percnoptère, vautour
vendredi, 07 octobre 2011
LITTERATURE : ACCEDER AU PLAISIR
Pourquoi j’aime lire ? Comment ça m’est venu ? Puisque tout le monde s'en fiche, je vais vous raconter, tant pis.
Je vais vous dire un truc qui peut paraître étonnant à quelqu’un de normal : je crois que j’ai consenti à apprendre à lire parce que je ne comprenais rien au monde qui m'entourait. Rien à ce que disaient les adultes autour de moi. C’était quoi, ce « canon » de la messe où l’on n’entendait aucun coup de canon ? Absurde, évidemment. Et je détestais ces fins de repas familiaux, où ils se mettaient à se parler à l’oreille, à voix basse, « on ne sait jamais », « ils entendent tout ». Salauds d’adultes.
Une seule solution : essayer de comprendre. Prendre une revanche. La première raison du livre, chez moi, quand j’ai été en nage, euh non, en âge (je sais, c’est très bête), c’est ça. J’attends qu’enfin un secret me soit dévoilé, rien qu’à moi. Sans le savoir, j’attends une sorte de dépucelage. Et choisir la littérature, c'est accepter par avance d'être souvent dépucelé : on en redemande. J’ai découvert assez tôt qu’il n’y a pas de secret vital détenu par les adultes, et qu’en général, c’est assez pauvre. Les adultes, ils font exactement comme les gamins, ils essaient de vivre (ou de survivre). Simplement, ils ont appris des phrases pour l’expliquer, que les gamins ne connaissent pas encore. Et les gamins, ça les impressionne.
Je me souviens parfaitement de ma « première fois » : j’étais au Cours moyen, avec M. Noblet ou M. Tanghe, à l’école Michel Servet. Mais attention, je parle de littérature, et de rien d’autre. Bon, Le Capitaine Corcoran, d’Alfred Assolant, ce n’est pas le fin dessus du panier, mais c’est idéal pour découvrir les bienfaits de la lampe de poche, cet auxiliaire indispensable quand on a des parents sourcilleux sur l’extinction des feux. Et un bouquin nimbé de l'aura du clandestin resplendira toujours de mille feux. Là, en plus, il resplendissait, même sans lampe de poche.
Je compte pour rien quelques menus livres « pour enfants », avec une exception pour un « Gulliver à Lilliput ». J’étais fasciné par cet homme gigantesque, maintenu au sol par des milliers de câbles fins comme des fils (y compris par les cheveux, dans les ondulations desquels des Lilliputiens faisaient du toboggan), et autour duquel s’agitent des dizaines de personnages centimétrés. Allez, encore une exception pour un livre à couverture grise et titre rouge, intitulé Frédéric et le fantôme, où Frédéric découvre à la fin un trésor au pied d’un arbre dans le jardin. Disons que c'est un livre « véniel » : il y a plus niais.
Dans l’armoire au fond de la classe, il y avait des livres. J’avais commencé mollo avec Par Vingt mètres de fond, d’un certain Arthur Catherall, où il s’agissait de retrouver le trésor d’un galion envoyé par le fond autour de 1700. J’avais évidemment aimé. Mais le galion disparut corps et biens, et définitivement cette fois, quand j’eus entre les mains les Aventures du capitaine Corcoran. Ça, c’était du costaud. J’imagine que la couverture comportait le dessin d’un homme en tenue coloniale accompagné d’un tigre qui semblait domestiqué. Il est sûr qu’après trois ou quatre lectures d’affilée, je devais manquer d’un peu de sommeil. Mais voilà : le virus était inoculé. Ça compense.
Je vous jure qu’à dix ans, on n’a pas la tête à analyser : on y est ou on n’y est pas. Aujourd’hui, on dirait : « Ça le fait », ou « Ça le fait pas ». Eh bien en l’occurrence, ça le faisait. Il n’est pas sûr que, relu aujourd’hui, je dirais la même chose. L’action se passe en Inde, au temps de la colonisation anglaise.
Je me rappelle (j'avais dix ans !) en particulier deux scènes à suspense. Un : Corcoran est assiégé dans une pagode, en compagnie de sa merveilleuse tigresse et complice Louison, et se défend comme un diable en tirant au revolver sur des ennemis nombreux, à travers une embrasure. Deux : Louison est tombée dans une fosse creusée traîtreusement sous ses pattes. C’est affreux. On se demande forcément comment ils vont en sortir. Ils en sortent.
Quand des parents se plaignent au professeur de voir leur enfant fuir les livres et demander conseil pour les lui faire aimer, la première question que le professeur devrait poser est : « Est-ce que votre enfant vous voit qulequefois en train de lire des livres ? ». En général, ça leur cloue le bec. La honte du flagrant délit. Il devrait ensuite, en fonction de l’âge, indiquer des livres capables de le passionner. Je suggère, en collège, Notre Prison est un royaume, de Gilbert Cesbron.
J’ouvre une parenthèse Alexandre Dumas.
J’avais treize ans quand j’ai pris, sur les rayons de mes grands-parents, un énorme pavé (mais le papier était épais). Sur la couverture, quelques hommes à moustache et barbiche, à grand chapeau, croisant leurs épées en souriant virilement. Ben oui, bien sûr, c’était Les Trois mousquetaires, que je n’ai pas lâché : Milady de Winter, les ferrets de la reine, le coffret à l’aiguillon empoisonné, et tout le bataclan. Dans la foulée, j'ai fait un sort à Vingt ans après, puis au Vicomte de Bragelonne, deux et trois fois plus longs.
Mais autant le premier est limpide et homogène, autant, dans les deux autres, Alexandre Dumas, au fur et à mesure, se lâche, s’étale, se laisse aller, tire à la ligne. Et les intrigues deviennent compliquées, tortueuses. Cela sent l'atelier de scénaristes en ébullition. Aramis et Athos prennent quelque distance. C’est dommage. Je retiens quand même la trouvaille pathétique que constitue la mort de Porthos. Il tient de famille une « faiblesse dans les jambe » qui lui sera fatale. Non je n'en dirai pas plus.
Je ne vais pas me lancer dans Alexandre Dumas, parce qu’on en aurait jusqu’au réveillon, mais je prends le temps de m’incliner quand même devant l’extraordinaire combat que livre Bussy d’Amboise contre quatorze spadassins lancés contre lui par le Duc d’Anjou, dont il a orné le front d’une superbe ramure de cocu. Ah ! Le bruit des baisers que l’espion surprend en même temps qu’il aperçoit dans l’entrée les gants de buffleterie de Bussy d’Amboise !
A propos d’escrime (parenthèse dans la parenthèse), il faut célébrer la célébrissime « botte de Nevers » (c’est dans Le Bossu, de Paul Féval), dont l’enchaînement, avec frappe de taille atténuée sur la main tenant l’arme, saut, enroulement et pointe qui s’enfonce comme par magie entre les deux yeux.
Et il faut célébrer la moins connue botte de Luis de Ayala-Velate. C’est à la fin du Maître d’escrime, de Arturo Perez-Reverte, face à la belle et redoutable Adela de Otero, à qui il a étourdiment enseigné sa meilleure botte. Et il n’a qu’un fleuret de courtoisie, au bouton bien garni de son morceau de peau qu’on appelle mouche, face à une épée en bonne et due forme. Rassurez-vous, il lui enfoncera la mouche jusque dans le cerveau.
Revenons à Bussy (au fait, je me fiche de savoir qu’il fut dans la réalité un des grands bouchers de la Saint-Barthélémy), qui a donc étendu pour le compte quatorze bonshommes. Malheureusement, le Duc d’Anjou vient vérifier le travail de ses hommes, et constate amèrement que quatorze lames pour venir à bout de la plus fine du royaume, ce n’était pas encore assez, alors, en homme sans honneur, il lui lâche un coup de pistolet. Heureusement, il ne l’emportera pas en paradis : la dame de Monsoreau (Diane de Méridor, si je me souviens bien) et son complice se vengeront atrocement de lui en répandant du poison volatil dans les fleurs qu’il doit respirer. C’est bien fait !
Allez, pour finir sur Alexandre Dumas, un petit salut aux valets des Mousquetaires. Un petit mot pour Grimaud, Mousqueton et Bazin, respectivement à Athos, Porthos et Aramis. Un mot spécial pour Planchet, qui fut parfois la planche de salut de D’Artagnan. Un petit mot pour Chicot le prudent qui, dans La Dame de Monsoreau, il me semble, sachant qu’il va au-devant des ennuis, revêt une cotte de maille particulièrement étudiée, et bien lui en prend, car le coup de poignard sera particulièrement traître.
Non, je ne peux pas refermer cette note sans me prosterner devant le personnage d'Edmond Dantès et de ce noble vieillard enfermé depuis lurette au fond du château d'If, qui lui lègue le grand secret : un tunnel qu'il lui suffira d'achever pour retrouver l'air de la liberté, et surtout l'existence de l'île de Monte-Cristo, où il a laissé, bien en sécurité, un fabuleux trésor qui deviendra le moyen de la vengeance d'Edmond.
Je n'oublie pas que c'est dans la prison d'Edmond Dantès que j'ai appris l'expression "solution de continuité" : c'était, après chaque séance de travail de creusement dans son tunnel, la nécessité de faire disparaître toute trace qui aurait pu dévoiler aux gardiens son activité secrète autant que coupable.
J'avoue qu'en dehors de ces scènes, et d'une autre où, assis à table avec des convives, le comte de Monte Cristo sort d'un pilulier de petites boules vertes (du haschich) qui lui tiennent lieu, ou peu s'en faut, de nourriture, j'ai passablement oublié les modalités des actions qui suivent l'évasion et la prise de possession du trésor de l'abbé Faria.
Je ferme la parenthèse Alexandre Dumas
A suivre une autre fois.
jeudi, 06 octobre 2011
MON BON PLAISIR EN LITTERATURE
DU POPULAIRE EN GÉNÉRAL ET DU POLICIER EN PARTICULIER
Pourquoi je ne lis pas que des livres de « haute littérature » ? Pourquoi j’aime ça, disons, la « littérature populaire », à commencer par le « roman policier » ? J’ai certes jubilé intensément d’un bout à l’autre de Moby Dick, de HERMAN MELVILLE, peut-être, entre autres, à cause de la traduction parfaite d’ARMEL GUERNE. Mais le traducteur a beau faire des prouesses, l’essentiel, forcément, appartient au seul auteur. J’avoue cependant que j’ouvre avec plaisir, à l’occasion, un Maigret de GEORGES SIMENON, ou un Arsène Lupin de MAURICE LEBLANC. Pourquoi ce plaisir ?
Dans le premier cas, je me souviens des détails de l’action, j’ai pour ainsi dire vécu en compagnie des marins, sur le pont, dans les haubans ou dans la baleinière, et j’ai appris à les connaître. J’en ai bavé, j’ai bu la tasse, j’ai été secoué, chaviré. Longtemps après avoir lu, je mastique encore, je rumine, je persiste à digérer, je prolonge l’assimilation. C’est un livre qui dure.
Dans l’autre, dès que, satisfait de ma lecture, j’ai refermé sur la clé de l’énigme, j’ai déjà oublié les circonstances, les personnages, les lieux, sauf – encore que vaguement – cette cour sablonneuse d’une maison dans la Sarthe, un jour torride de juin, où il s’est passé quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? Pourtant SIMENON est un excellent écrivain. D’abord tout le monde le dit, c'est sûrement vrai. D'autant plus vrai que j'en suis convaincu.
En un mot comme en cent, la "grande littérature" me transporte, la "petite littérature" me fait plaisir. Et j'ai grand respect et besoin de la digression, comme l'ont sans doute remarqué les lecteurs de ce blog.
Je dirais, tiens, ça me vient là, que ce sont des livres à « évaporation rapide », en face d’autres livres, que je dirais à « sédimentation durable ». Maigret, ce n’est pas le premier, c’est loin d’être le seul, mais avant tout, c’est un personnage de SÉRIE : « J’aime bien lire "un" Maigret, de temps en temps », peut-on souvent dire ou entendre. Ou "un" James Bond. Ou "un" Arsène Lupin. Je rappelle que le premier héros d’une série policière est le Dupin d’EDGAR ALLAN POE dans trois récits : Double assassinat dans la rue Morgue, Le Mystère de Marie Roget, La Lettre volée (1841, 1842, 1844). Rendons à César…
Alors derrière le "un", posez Nestor Burma, Miss Marple, Hercule Poirot, OSS 117, le commissaire Adamsberg, Pepe Carvalho, le Juge Ti, Erwin le Saxon, bref : QUI VOUS VOUDREZ. Chacun des livres de ces séries n’est pas fait pour rester. Je dirai donc que l’évaporation est le principe même de la série. Et que le héros de la série, à son tour, s’évapore : en fait, il ne lui arrive rien Á LUI personnellement.
C’est flagrant avec James Bond, dont j’imagine en toute logique le corps couturé, non : zébré de cicatrices en tous sens, de toutes sortes, de toutes profondeurs. Normalement, sa surface est toute en creux, cratères, et bosses, comme celle de la lune. Quand James entreprend d’emboîter son corps dans celui de la « james bond girl » de service, dans le roman suivant, la peau de celle-ci devrait croire qu’on la frotte à la paille de fer, ou à la râpe à chambre à air de vélo, suite à crevaison. En tout cas, il m’arriverait le centième de ce qu’il a subi au total, moi, je serais au moins mort, voire pire que ça.
Mais non, « the show must go on », comme chante FREDDY MERCURY quelques mois avant d’avaler son bulletin de naissance. James Bond, lui, deux minutes après être passé sous le char d’assaut, il est prêt à entrer en scène pour son récital, smoking repassé, mise en plis impeccable, lisse comme le crâne de YUL BRYNNER, propre et net comme un napoléon « fleur de coin ».
Ce qui vaut pour James Bond vaut pour tous les autres : voyez, dans Tintin en Amérique, lorsque le héros, capturé par le syndicat de gangsters de Chicago, est balancé au lac ficelé avec aux pieds d’énormes haltères qui doivent l’envoyer par le fond, et qui s’avèrent être en bois ; le drôle, c’est que Tintin lui-même semble fait de bois puisque, les mains attachées dans le dos, il est aussi flottable qu’un tronc d’arbre.
Les séries policières ? Je vais vous dire : c’est comme un coin du feu, un bon fauteuil, des pantoufles, bobonne à côté, avec Socrate le griffon Korthals, affalé sur sa carpette à somnoler goulûment après ses bambanes au grand air. Vous avez tout de suite le décor familier, les personnages familiers, les habitudes de la boutique. San Antonio appelle illico le tandem Pinuche-Bérurier, mais aussi sa « brave femme de mère », Félicie. Ce sont de solides et rassurants points de repère.
Prenez qui vous voulez, mettons Sherlock Holmes, qu’est-ce qui vous vient, là, tout de suite ? Le violon, la pipe, le chapeau, le mac farlane, le docteur Watson : voilà, c’est automatique, vous ne connaissez pas tout, mais vous reconnaissez, vous êtes en pays de connaissance. Mieux que ça, vous êtes chez vous, à la maison, au chaud. Ça fait du bien. La série policière, au fond, c’est le CONFORT BOURGEOIS pour le lecteur. La série policière est d’abord confortable.
En fait, le héros, dans la série, s’il ne lui arrive rien à lui, c’est qu’il est tout simplement immortel. Il ne peut rien lui arriver de définitif (sinon, pas de série). La preuve, c’est que ARTHUR CONAN DOYLE a même été obligé de ressusciter Sherlock Holmes, sous la pression d’un public qui tenait à son héros plus qu’à un vieux pull sentimental et nostalgique du temps de sa jeunesse, ce pull qui a suivi la déformation du corps avec l’âge (arrondissement du ventre, fléchissement du dos), et dont le corps s’est, comme qui dirait, imprégné. Le héros de série policière ne peut ni ne doit mourir avant son auteur, à moins qu’il passe de main en main (Nick Carter, assez oublié aujourd’hui), preuve supplémentaire d’immortalité.
Et s’il est immortel, je vais vous dire, c’est que le héros de série n’existe pas. Enfin pas vraiment. Pas complètement. D’ailleurs, l’auteur n’y croit pas trop lui-même. Du moins il fait semblant d’y croire. Ce qui l’intéresse, l’auteur, ce n’est pas le héros, mais la sombre et riche combinaison du coffre-fort. Car son roman, c’est comme un coffre. L’auteur, qui prend le lecteur par la main ou pour un imbécile, l’amène progressivement et méthodiquement jusqu’au moment de l’ouverture. Le héros, mis en face du coffre au début, est sommé d’avoir « cassé » la combinaison à la fin. La lourde porte s’ouvre devant les yeux haletants (oui oui !). En fait, il n’y a rien dans le coffre (« hin hin hin » , grince l’auteur sardonique, « je vous ai bien eus »).
Le héros de série, finalement, ça a juste l’existence très mince d’un ciseau à bois (ou d'une clé à pipe, ou d'un tiers-point, au choix) que l’auteur remet à sa place au tableau au-dessus de l’établi quand il a accompli sa tâche. On aura beau faire comme MANUEL VASQUEZ MONTALBAN, et donner à Pepe Carvalho, entre autres spécialités, celle d’un PAGANINI des cuisines, du « piano », du chinois et de la lèchefrite, ça ne change rien : la gastronomie intervient dans l’histoire, quoi qu’on fasse, à la manière des parenthèses dans une phrase.
Maintenant, il faut savoir que certains héros de série sévissent dans un seul récit. L’élégance expressive en vigueur aujourd’hui parle de « one shot ». Prenez La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, de SEBASTIEN JAPRISOT. Prenez Fatale ou La Position du tireur couché, de JEAN-PATRICK MANCHETTE. Prenez Le Maître d’escrime, d’ARTURO PEREZ REVERTE. Le confort n’est pas aussi grand, mais presque, grâce parfois au jaune et noir de la couverture : c'est exprès que vous êtes entré dans cette boutique-là, vous savez que vous y trouverez l’article cherché.
Souvent, le plus marrant, dans le polar, c'est le titre. Parfois, il n'y a même que ça de drôle. Parce qu'il faut dire que les San Antonio, pendant un temps, ont été assez ratés. Mais quand vous tombez nez à nez avec Les Anges se font plumer, vous capitulez, bien sûr. Entre la vie et la morgue est une trouvaille. Ménage tes méninges n'est pas mal non plus. Mais il n'y a pas que San Antonio. Que pensez-vous de Enterrement pour Cythère (ANDRE HELENA ) ? J'aime beaucoup Mes Morts d'outre-tombe (PIERRE NEMOURS).
Bref : en peinture, il y a MICHEL-ANGE, et puis il y a mon oncle ; pour la musique, il y a BEETHOVEN, et puis il y a moi sous la douche; enfin il y a MARCEL PROUST et il y a FREDERIC DARD, pour ce qui est d'écrire des histoires. Et moi, j'ai un principe, je ne veux pas faire de jaloux. On a de la morale, ou on n'en a pas.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, moby dick, herman melville, armel guerne, georges simenon, littérature populaire, littérature policière, maigret, james bond, edgar poe, nestor burma, miss marple, hercule poirot, oss 117, commissaire adamsberg, pepe carvalho, juge ti, tintin, san antonio, sherlock holmes, arthur conan doyle, manuel vazquez montalban, sébastien japrisot, jean-patrick manchette, arturo perez reverte
lundi, 03 octobre 2011
TROIS HOUELLEBECQ SINON RIEN (2)
Suite et fin.
Les Particules élémentaires est un roman qui raconte quelle histoire, en fin de compte ? Janine Ceccaldi, une fille aux capacités intellectuelles hors du commun, épouse Serge Clément, qui entrevoit déjà (on est dans les années 1950) les immenses possibilités de la chirurgie esthétique. Puis elle rencontre Marc Djerzinski, homme talentueux qui œuvre dans le cinéma. Elle divorce pour l’épouser. De ces deux unions naîtront deux demi-frères : Bruno Clément et Michel Djerzinski.
Il y a donc l’histoire de Janine en pointillé. L’histoire d’Annabelle, qui a failli vivre une « belle histoire d’amour » avec Michel. L’histoire des ratages de Bruno qui, en compagnie de Christiane ou sans elle, hantera divers lieux où il espère connaître quelque aventure sexuelle.
A travers le personnage un peu pathétique de Janine, la mère, qui se fait appeler Jane, se formule une description somme toute caustique de l’ère baba-cool : délaissant les deux pères de ses enfants (et ses deux enfants par la même occasion), elle suit un genre de gourou, Francesco Di Meola, qui, s’étant fait pas mal d’argent, abandonne la Californie et Big Sur, où il a rencontré les dieux et les diables de la contre-culture, y compris l’imposteur CARLOS CASTANEDA, celui qui était entiché de son sorcier yaqui, DON JUAN MATUS, dont il vendit les probables bobards à des millions d’exemplaires (mais ça, ce n’est pas dans le livre de HOUELLEBECQ). Di Meola achète une propriété en Provence.
Janine-Jane (la mère) a baigné dans le jus contre-culturel, mais ce jus a tourné, ou alors il a aigri. Le bilan de son existence est « nettement plus catastrophique ». Et la mère des deux frangins aura une triste fin, dans une maison du village de Saorge, où vivent encore quelques illuminés post-soixante-huitards, dont « Hippie-le-Gris » et « Hippie-le-Noir », que Bruno appelle Ducon.
La scène est curieuse. Bruno est sous traitement de lithium pour raisons psychiatriques. Soit dit en passant, je ne sais pas si c'est encore le cas, mais il fut un temps où l'organiste titulaire de l'orgue de Saorge n'était autre que RENÉ SAORGIN, sans que les deux noms eussent quelque rapport que ce fût.
« Michel observa la créature brunâtre, tassée au fond de son lit, qui les suivit du regard alors qu’ils pénétraient dans la pièce. » Quant à Bruno, tout ce qu’il arrive à dire : « Tu n’es qu’une vieille pute… émit-il d’un ton didactique. Tu mérites de crever. ». « T’as voulu être incinérée ? Poursuivit Bruno avec verve. A la bonne heure, tu seras incinérée. Je mettrai ce qui restera de toi dans un pot, et tous les matins, au réveil, je pisserai sur tes cendres. »
Il y a souvent des problèmes, chez HOUELLEBECQ, avec la transmission et avec la filiation. Un moment vaguement hallucinant, où Bruno se met à entonner à pleine voix "Elle va mourir la mamma", tout en insultant à qui mieux-mieux les hippies qui, d'après le testament maternel, vont hériter de la maison.
Face à Bruno, qui débloque sévèrement, le littéraire raté et hors du coup, MICHEL HOUELLEBECQ fait de Michel, en dehors d’un errant affectif quasiment indifférent à tout ce qui est humain, un biologiste à la pointe du « progrès », disons-le, une sorte de génie : son « testament » de chercheur s’intitule Prolégomènes à la réplication parfaite. Michel ne veut pas être emmerdé par les tribulations humaines ordinaires. Peut-être est-ce ce qui guide ses recherches.
Car ce testament s'avère porteur de tout l'avenir scientifique de l'humanité. Chacune de ses propositions révolutionnaires en sera plus tard dûment et scientifiquement prouvée. Autrement dit, le point culminant de son travail ouvre la voie à l’admission du clonage humain comme fondement institutionnel de l’humanité, ce qui débarrasse l'ancienne humanité (la nôtre) de tout le poids sentimental qui l'écrase.
Le livre évoque, depuis un moment du futur, l’extinction de la vieille race humaine. « On est même surpris de voir avec quelle douceur, quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition. » On perçoit en positif cette post-humanité, qui adresse in fine sa gratitude à l’humanité archaïque : « Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, sut mettre ce dépassement en pratique ».
On est alors quelque part, dans ce regard rétrospectif, à la fin du 21ème siècle. Et la post-humanité rend alors hommage à l’humanité (la nôtre), qui fut si défectueuse, mais si touchante aussi. Glaçant, et très fort. Quand on ferme le livre, on se prend à espérer que c’est de la science-fiction. Mais ce n’est pas sûr.
La Carte et le territoireoffrait une perspective analogue sur la disparition programmée de l’humanité, à travers l’œuvre en mouvement de Jed Martin, présenté comme un grand artiste de son temps. Plateforme nous plonge dans la décadence sexuelle de l’Europe vieillissante. Le personnage principal, qui se nomme là encore Michel, est un obscur fonctionnaire aux Affaires Culturelles, un statut social négligeable. Au début du livre, Michel, qui vient de perdre son père, participe à un voyage organisé en Thaïlande. Il passe bien sûr par des « salons de massage ». Valérie fait partie du groupe, un groupe triste, hétérogène, et bête, avec ça !
Revenu à Paris, il démarre une relation vraiment amoureuse avec Valérie, qui travaille dans une entreprise de tourisme, sous la direction de Jean-Yves. Lui et Valérie, professionnellement, sont complémentaires. Ils gagnent confortablement leur vie. Une opportunité les propulse à la tête des villages Eldorador.
C’est dans un village de Cuba que Michel suggère à Jean-Yves, pour rétablir la situation de la société, de faire de ses villages des destinations pour un tourisme, disons … « de charme ». Tout se goupille à merveille, et l’entreprise est florissante, mais ces salauds d’islamistes feront tout capoter, avec à la clé l’insurrection de tout le féminisme français contre l’esclavage dégradant et le tourisme sexuel.
C’est sûr, l’humanité de MICHEL HOUELLEBECQ n’est pas belle à voir. Au fond, autant vaut qu’elle disparaisse, n’est-ce pas ? J'ai l'impression que les romans de MICHEL HOUELLEBECQ sont des applications romanesques pratiques de la pensée de GÜNTER ANDERS (L'obsolescence de l'homme), de HANNAH ARENDT et de GUY DEBORD. Et le pire, c'est que ces romans paraissent être à peine de la science-fiction. Ce sont, et c'est PHILIPPE MURAY qui le dit à propos des Particules élémentaires, des ROMANS DE LA FIN.
09:00 Publié dans LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, littérature, les particules élémentaires, la carte et le territoire, plateforme
dimanche, 02 octobre 2011
TROIS HOUELLEBECQ SINON RIEN
J’ai mis beaucoup de temps avant d’ouvrir un livre de MICHEL HOUELLEBECQ. Ce qui me repoussait, je crois l’avoir dit ici, c’est la controverse : il y a quelque chose de si futilement médiatique dans la présence éphémère du parfum de quelques noms dans l’air du temps, que je tenais celui-ci pour tout à fait artificiel, voire carrément faux et illusoire, comme c’est le cas de la plupart des effervescences télévisuelles et autres. Je suis devenu excessivement méfiant. En l’occurrence, j’avais tort.
J’ai donc commencé la lecture de MICHEL HOUELLEBECQ quand son dernier roman, La Carte et le territoire, fut placé, un peu par hasard, à proximité immédiate de ma main. J’ai dit grand bien du livre dans ce blog. J’en ai maintenant accroché deux autres à mon tableau de chasse : Les Particules élémentaires et Plateforme. Conclusion, vous allez me demander ? Voilà : je ne sais pas si on a à faire à un « grand » écrivain, je ne sais pas si ce sont des « chefs d’œuvre ». Je peux dire que ce sont des livres qui comptent, et des livres qui sont plutôt du grain que de la balle, si l’image peut encore être comprise.
Je lui ferai un reproche, cependant : la place quasi-nulle qu’il fait à la musique. Et ce n’est pas le « Et allons-y pour les quintettes de Bartok… » (Particules, p. 157) qui me fera changer d’avis, d’autant plus que, si BELA BARTOK a écrit six quatuors à cordes, je ne sache pas qu’il ait composé autre chose qu’un quintette avec piano.
Des « grands » écrivains comme s’il en pleuvait, des cataractes de « chefs d’œuvre », c’est le quotidien de la rubrique « culture » des magazines, des revues spécialisées type Le Magazine littéraire, ou du supplément « livres » d’un « grand quotidien du soir ». C’est une surabondance de productions « indispensables », d’oeuvres « incontournables ».
Moi je vais vous dire, de deux choses l’une : ou bien il règne une immense complaisance, voire une veulerie démesurée, au sein du milieu sinistré, ce milieu sinistré que l’on n’appelle plus que par complaisance la « critique littéraire », genre « Le Masque et la plume » ; ou bien ces soi-disant « critiques » sont totalement incompétents, et n’ont plus qu’une idée très approximative de ce qu’est le littéraire. « Critiques littéraires » : quand j’entends cette expression, je pouffe, je me gausse, que dis-je : je m’esclaffe. Voilà : ils sont soit complaisants, soit incompétents, peut-être même les deux, mon général.
Le Monde des livres n’échappe pas à la règle, qui fait, en général et sauf exception, de ses papiers « critiques » de simples prospectus de promotion publicitaire au service d’un copain, ou de quelqu’un à qui on doit quelque chose, ou à qui on a l’intention de demander quelque chose, dans le jeu bien connu du « renvoi d’ascenseur ». Les lycéens appellent cette catégorie de premier de la classe « lèche-cul » (mais suspect est encore plus sale, si on décompose, essayez). Le bocal « littéraire », spécialement français, a quelque chose d’assez répugnant.
Donc, je ne sais pas si MICHEL HOUELLEBECQ est le digne successeur de BALZAC et PROUST. J’ignore si ses livres sont des Everest de la littérature. Ce que je sais, c’est qu’il travaille sur le monde qu’il a sous les yeux, qu’il dit quelque chose du monde tel qu’il est, et qu’il développe sur celui-ci un point de vue, une analyse, une proposition d’éclairage précis, une grille de lecture, si l’on veut. Si l’on est malveillant, on dira qu’il regarde de derrière des « lunettes » (vous savez, chez PIERRE BOURDIEU, celles du journaliste, celles qui déforment le monde).
C’est un romancier qui a pris position face à la « civilisation occidentale », et qui a ceci de bien, c’est que, s’il parle de lui, c’est à distance respectable, hors de portée de tir de son propre nombril et des ravages courants que celui-ci commet dans les rangs des « écrivains » français, pour le plus grand plaisir des jurés du Prix Inter en général et de PATRICIA MARTIN en particulier.
On peut trouver le point de vue développé par MICHEL HOUELLEBECQ d’une noirceur exécrable : pour résumer, grâce à la civilisation actuelle, exportée par l’Europe, moulinée avec la sauce techniquante, massifiante et consommante de l’Amérique triomphante, le monde actuel court à sa perte et, d’une certaine façon, est déjà perdu.
L’auteur met-il pour autant ses pas dans ceux de PHILIPPE MURAY, comme je l’ai suggéré ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que PHILIPPE MURAY a développé dès les années 1980 un regard analogue sur la réalité, d’une acuité de plus en plus grande, et un regard de plus en plus pessimiste.
Avant lui, plusieurs auteurs se sont inquiétés de l’évolution de notre monde : GÜNTER ANDERS (L’Obsolescence de l’homme), LEWIS MUMFORD (Les Transformations de l’homme), HANNAH ARENDT (La Crise de la culture), CHRISTOPHER LASCH (La Culture du narcissisme), JACQUES ELLUL (Le Système technicien, Le Bluff technologique), GUY DEBORD (La Société du spectacle), et quelques autres.
Pardon pour l’étalage, mais c’est parce qu’il y a un peu de tous ces regards dans les romans de MICHEL HOUELLEBECQ, tout au moins les trois que j’ai lus (publiés en 1998, 2001 et 2010, ce qui révèle quand même une certaine constance). La « patte » de PHILIPPE MURAY, c’est l’attention portée à un aspect particulier de la crise moderne : l’humanité est devenue peu à peu superflue, submergée par des objets techniques, des gadgets qui sont devenus pour elle si « naturels », mais en même temps si dominateurs, qu’elle est progressivement devenue une vulgaire prothèse de ses propres inventions. PHILIPPE MURAY le synthétise dans la notion de fête, dans l’abolition de tout ce qui permettait la différenciation (en particulier entre les sexes), dans le nivellement de toutes les « valeurs ».
A suivre...
09:00 Publié dans LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, la carte et le territoire, les particules élémentaires, plateforme, philippe muray, littérature, critique littéraire, le magazine littéraire, le monde des livres, le masque et la plume, günter anders, lewis mumford, christopher lasch, jacques ellul, guy debord
samedi, 01 octobre 2011
UNE DRÔLE DE CHANTEUSE ALLEMANDE
Voilà un roman d’initiation qu’il est bon ! Encore un conte de fesse pour adultes, qu'on se le dise ! Le titre exact est Mémoires d’une chanteuse allemande, livre à scandale paru sans nom d’auteur en 1868 sous le manteau. Sont-ce vraiment des mémoires, ou un simple roman érotique ? La chanteuse narratrice est-elle vraiment la célèbre WILHELMINE SCHRÖDER-DEVRIENT, comme le bruit en a couru avec insistance ? Rien ne le prouve. Et on s’en fiche.
Pour une initiation, il faut dire que ça va bien au-delà. Normalement, dans l’ordre, vous avez 1) la théorie ; 2) les travaux pratiques ; 3) vogue la galère ! Ici, on peut dire que les travaux pratiques se prolongent au-delà du nécessaire, et même du suffisant, et que, dans ce « laboratoire », chacune des variantes est minutieusement examinée, dans ses tenants et ses aboutissants. Et si ça « tient » beaucoup, ça « aboutit » à chaque fois.
Cela commence par l’anniversaire du papa. Mademoiselle a quatorze ans, et ne trouve rien de mieux que de se cacher dans l’alcôve à porte vitrée de la chambre parentale pour faire une bonne surprise à ses parents une fois que maman aura fêté papa … en toute innocence, croit-elle. La maman, c’est une sacrée coquine, sous ses dehors de protestante rigoureuse. Elle fait mine d’être souffrante et, avant de s’étendre sous la couverture avec des opinions suggestives, c’est-à-dire très ouvertes, elle dispose un miroir qui lui permettra de voir son mari de dos sans qu’il s’en doute. Elle a donc tout de la bigote retorse, quoi !
Et ça ne manque pas : le papa découvre (aux deux sens) sa femme « endormie », se livre à quelques papouilles qui la « mettent en joie », et tous deux font la fête, « comme papa dans maman », sous les yeux de fifille qui n’en perd pas une miette. L’une des grandes qualités du scientifique n’est-elle pas dans l’exactitude des observations ?
Après les jeux de papa-maman, la coquine surprend la bonne, Marguerite, en train de lire un livre illustré qui lui met le feu aux joues et des éclairs aux yeux. Tout en lisant, elle se fait du bien avec un doigt, puis, ayant fait chauffer du lait sur un petit réchaud, elle en remplit un objet oblong muni de deux boules à la base et, tout en continuant à lire avec une respiration de plus en plus saccadée, elle opère, après introduction de l’objet, un transfert de liquide qui lui réchauffe les intérieurs. La petite scientifique se dit, en notant ses observations : « Intéressant, à retenir ». Elle décide de confesser la bonne.
On commence évidemment par se glisser dans son lit un soir d’orage, on lui dit qu’on a mal ici, non, un peu plus bas, non un peu plus haut, là ça y est. Comme la bonne n’est pas restée insensible, on accepte de se mouiller la main pour lui rendre la pareille, en essayant de rester dans une attitude de parfaite innocence, pour ne pas paraître trop « avertie ».
Marguerite raconte alors sa vie. Entrée au service de Madame la Baronne, elle supplée auprès d’elle, faute de mieux, l’absence de tout mâle dans les environs. Dans ce rôle de « suppléante », elle se fait à moitié déniaiser. L’autre moitié ne tarde pas à l’être à son tour, grâce à un stratagème qui lui permet de se mêler comme par accident aux jeux de mains jeux de vilains auxquels se livre la baronne en compagnie d’un comte, « un jeune homme fort beau et élégant ».
La baronne, et Marguerite à son exemple, accorde la plus haute importance à un objet particulier : « une vessie souple, blanche, bordée d’un cordonnet rouge – cette fameuse invention du célèbre médecin français Condom ».
A ce propos, voici ce que dit de « Condom » le Nouveau Larousse Illustré (autour de 1900) : « (du nom de l’inventeur) Sac en baudruche ou en caoutchouc, employé comme préservatif dans les rapports sexuels. – ENCYCL. Les condoms primitifs, dont on attribue l’invention à un hygiéniste anglais du 18ème siècle, étaient invariablement faits de baudruche spéciale (caecum de mouton). Aujourd’hui, on les fait aussi en caoutchouc laminé. La fragilité de ces engins les rend souvent inefficaces ».
Le Grand Robert préfère ne pas se prononcer sur l’origine du mot, aucun médecin du nom de Condom n’ayant pu être identifié sur tout le 18ème siècle. Enfin, il faut bien raconter l’Histoire, n’est-ce pas ?
Marguerite observe scientifiquement l’usage que les deux amants font de l’objet, dont elle ne cesse de recommander vivement l’usage à la future chanteuse. Machiavélique, elle parvient à se faire accepter, et même à mener le jeu : le duo devient dès lors trio, au léger désappointement de la baronne, qui n’a aucune idée de tout ce que le cerveau de sa bonne a tramé.
La narratrice se lance alors dans des considérations oiseuses, des observations sociologisantes, des remarques moralisatrices, dont je retiendrai, d’une part, qu’il ne faut jamais se fier aux apparences, que ce soit celles des femmes qui semblent beaucoup promettre et qui tiennent peu, ou celles des femmes au maintien et à la vêture austères ; d’autre part cette maxime : « Il est extraordinairement difficile à la femme d’avouer qu’elle jouit ». Je laisse aux dames le soin de décider s’il est plus vraisemblable que cette phrase sorte d’une bouche féminine.
Elle entreprend ensuite de faire la conquête d’un jeune puceau, Franzl, toujours en se débrouillant pour que ce soit lui qui s’imagine avoir l’initiative, mais cela lui donne du travail, car le jeune homme, en plus d’être inexpérimenté, est d’une timidité maladive. Mais enfin, vous savez ce que c’est, on n’ose pas, et puis on s’enhardit, et de fil en anguille… vous m’avez compris. Enfin presque : elle demeure inflexible, s’agissant de l’accès à sa « grotte », comme elle dit. Ils en restent donc à des jeux purement buccaux, quoique réciproques.
Entre-temps, on lui a découvert un don pour le chant, elle a de grands professeurs, elle se prépare pour la scène, où elle connaît un succès éclatant, ce qui la met matériellement à l’aise et lui procure un peu d’indépendance. Elle entre dans l’intimité d’un banquier qui voudrait bien l’ajouter à son tableau de chasse, mais comme elle se soustrait à ses ardeurs, elle suscite la sympathie de son épouse, Roudolphine.
Imitant Marguerite échafaudant un plan pour s’offrir le beau comte au nez et à la barbe de la baronne, la narratrice se débrouille pour que le Prince italien la surprenne en compagnie de sa nouvelle amie. Tout ce joli monde s’abandonne avec enthousiasme aux joies du triolisme, qui les laissent pantelants et épuisés.
La difficulté de ce genre de livre est d’échapper au reproche de répétition. Mais évidemment, ce genre de loisir ne saurait y échapper, ne serait-ce qu’à cause de la conformation anatomique des individus. DONATIEN ALPHONSE FRANÇOIS DE SADE, lui-même, que ce soit dans La Philosophie dans le boudoir ou dans Les 120 Journées de Sodome, est forcé de répéter, ne serait-ce que certaines exclamations qui surviennent dans les moments d’apogée, et il n’en sort, quant à lui, que par l’escalade. En général, l’escalade finit mal pour certains des participants.
Il faut sans doute se résoudre à accepter le fait que certaines occupations, même les plus agréables, ne sauraient éviter tout à fait une certaine monotonie. Quoi qu’il en soit, il n’est guère d’ouvrages dits du « second rayon » qui se renouvellent en cours de route. De cette sorte d’ouvrages tirés de l’ « Enfer », Gamiani ou deux nuits d’excès, sans doute (ou peut-être) écrit par ALFRED DE MUSSET, ou Les Onze mille verges, d’APOLLINAIRE, pratiquent à qui mieux-mieux l’escalade. Et dans les plus honnêtes des cas, il est compréhensible qu’on aboutisse à la mort.
Rien de tout ça, qu’on se rassure, dans Les Mémoires d’une chanteuse allemande. Une cantatrice célèbre ne saurait tomber dans les excès d’exploits génésiques et gymnastiques. Celle-ci se contente, comme on dit niaisement aujourd’hui, de « vivre une sexualité épanouie ».
Voilà, maintenant, vous en savez assez, si par hasard vous ignoriez l’existence de ce titre. Je vous en ai assez dit. Ce n’est pas un chef d’œuvre, à cause de longueurs et temps morts divers, c’est un livre « distraisant » (« treize ans et demi, après, je prends ma retraite », comme dit BOBY LAPOINTE). J’imagine qu’il est toujours disponible aux éditions Allia, dont il faut saluer les beaux efforts pour remettre en circulation ces « Curiosa » (dits aussi "livres qu'on ne lit que d'une main"), parfois difficiles à dénicher.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : mémoires d'une chanteuse allemande, littérature, littérature érotique, enfer, second rayon, cul, fesse
vendredi, 30 septembre 2011
MUSIQUE : L'ARABE ET L'OCCIDENTALE (3)
J’en étais resté à la célébration de la plus grande diva du monde arabe, OUM KHALSOUM. Elle n’avait donc, à une exception près – l’Olympia en novembre 1967 – jamais chanté hors de ce monde. C’est très regrettable, car la musique arabe savante est très savante et d’une richesse inépuisable. Pour être honnête, je ne peux apprécier cette musique que de l’extérieur, car je n’ai pas accès, d’une part à la langue, et ça, évidemment, c’est un sacré obstacle, et d’autre part au code culturel qui sous-tend cette tradition : je l’ai dit, je ne suis pas musicalement bilingue, et mon oreille est irrémédiablement polyphonique.
Et pourtant, cette musique me touche. Si j’essaie de comprendre pourquoi, ça devient compliqué. Bon, je peux me dire que tout ce qui est musical ne s’adresse pas en priorité à la compréhension, mais aux sensations et aux émotions, mais ça ne m’avance pas beaucoup.
Si je voulais être un peu précis, intuitivement, je dirais d’abord que c’est une musique qui m’étonne par un aspect : que ce soit OUM KHALSOUM, MOHAMED ABDELWAHAB, MOUNIR BACHIR, ou même NUSRAT FATEH ALI KHAN, qui n’est pas arabe, quand ils jouent avec un orchestre, comme c’est la règle, l’orchestre assure un fond harmonique, comme un sol bien irrigué, au-dessus duquel la tige mélodique du soliste va pouvoir s’élever en toute liberté.
Cet orchestre-là se contente, si j’en crois mes oreilles, d’accompagner le soliste : il n’est pas fait pour briller, comme dans les concertos à l’européenne, il se contente d’être un bon socle. Cet orchestre-là n’a pas de « chef » dirigeant avec une baguette, si ce n’est le soliste. Dans le « concerto », mot italien signifiant « combat », tour à tour, le soliste et l’orchestre prennent le dessus. Il y a rivalité, plus ou moins prononcée.
C’est aussi que, dans l'orchestre arabe, tous les musiciens jouent la même mélodie : ça s’appelle monodie, par opposition à la polyphonie. Dans la 7ème symphonie de BEETHOVEN, la polyphonie se manifeste avec netteté dans l’Allegretto : un premier thème de nature rythmique (noire, deux croches, deux noires, et on recommence) dans les graves ; là-dessus se greffe un deuxième thème, purement mélodique, appelé « contre-chant », aux altos et violoncelles. C’est ça, la polyphonie : deux thèmes différents, qui se marient pour faire de l’harmonie. Jamais rien de tel dans la musique savante arabe.
Si je voulais être un peu plus précis, je dirais que la musique arabe, passant par un soliste, lui-même soutenu par la base harmonique de l’orchestre, est une musique d’ « inspiration », et non pas une musique d’ « événement » musical, comme si on racontait une histoire, tel qu’on l’entend, par exemple, dans les différentes modifications d'une mélodie à l’occidentale. Le soliste a pour mission, non de raconter une histoire mélodique, mais de s’élever au-dessus de lui-même, en même temps qu’il permet à l’auditoire de s’élever : c’est une musique de « communion ».
Ce qui touche, dans l’art du soliste, c’est la façon dont il conduit la ligne mélodique, dont il l’habille de quarts de ton, voire huitièmes de ton (chaque ton est divisible en neuf parties, ou commas, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle on parle de gammes tempérées, faite de douze demi-tons arbitrairement égalisés), les inflexions qu’il lui fait subir, les mélismes dont il l’orne.
Le soliste lui-même ne cherche pas à briller pour briller. La virtuosité n’est pas un but en soi, mais un MOYEN d’accéder à un état supérieur. Je ne connais NUSRAT FATEH ALI KHAN que par le disque, mais par sa voix, cet extraordinaire artiste du chant Qawwali atteint des états spirituels qui nous sont étrangers, à nous autres Européens. Il y a quelque chose de religieux dans cette musique, ce que n’est plus la nôtre depuis belle lurette, si l’on n’y inclut pas les sinistres cantiques du dimanche à l’église.
Et puis il y a autre chose : le soliste n’a pas sous les yeux une partition qu’il doit suivre scrupuleusement, et que des juges sourcilleux éplucheront au cours de l’audition pour décider si le « texte » est respecté « à la folie » ou « pas du tout ». OUM KHALSOUM chante dans un moment particulier. La même chanson, une autre fois, ne sera pas chantée de la même façon. C’est là que la musique arabe présente des accointances avec le jazz.
Le soliste arabe, lui aussi, improvise en permanence. La « grille » de départ ne change pas, c’est ce qui se passe « autour » qui se modifie de concert en concert. KHALED BEN YAHIA me l’a dit : il ne joue jamais un morceau deux fois de la même exacte façon. Dans le jazz aussi, l’intérêt principal, selon moi, dans la formation reine comprenant piano, contrebasse, batterie, c’est la capacité pour chacun de relancer l’autre, de le pousser dans ses retranchements, de l’obliger à réagir musicalement dans l’instant. Autrement dit la capacité d’improviser.
La grande différence entre la musique arabe et la musique européenne, c’est évidemment le rapport à la partition écrite. Dans la partition arabe, il est impossible de tout noter, surtout les subdivisions du demi-ton. KHALED BEN YAHIA m’avait fait lire un article très savant, où étaient décrites les conditions de numérisation des micro-intervalles. J’avais trouvé ça, d’une part, très compliqué, d’autre part et surtout, tout à fait vain et prétentieux (et tant soit peu effrayant), finalement, de vouloir enfermer dans un programme informatique les minuscules, multiples et constantes possibilités de variation d’une prestation à l’autre, d’un musicien à l’autre.
Dans la musique occidentale, le rapport à la partition a quelque chose de sacré, du fait d’une sorte de sacralisation de l’acte de composer : le musicien a pour devoir suprême de RESPECTER LE TEXTE. C’est comme une dictée de français : la moindre atteinte au texte est considérée comme une FAUTE d’orthographe. C’est ce que me disait régulièrement madame BARBIER-REDON (Dieu ait son âme !), professeur de piano au conservatoire, quand elle me parlait du texte musical qu’elle comparait aux virgules et autres signes de ponctuation. Dans ces conditions, il y a une sorte de tyrannie de la partition.
Bon, c’est vrai que la musique européenne savante est devenue ce qu’elle est aujourd’hui après des transformations constantes depuis le moyen âge. Les musiciens ont commencé à avoir l’idée de noter la musique par écrit autour du 9ème siècle. Dès lors, les innovations n’ont plus cessé. Il est d’ailleurs probable que la civilisation européenne se caractérise principalement par l’innovation, et dans tous les domaines de l’art et de la technique. C’est très normalement que la musique a suivi le mouvement. Et c’est très évidemment que le fossé s’est creusé avec les musiques qu’on ne peut guère appeler autrement que « traditionnelles ».
Alors maintenant, se pose la question : est-ce que cette évolution constante, ces innovations permanentes qui ont façonné la musique européenne donnent à celle-ci une quelconque supériorité sur les musiques du monde ? Personnellement, pardon d’avance, je dirai – j’espère sans arrogance - que oui, qu’il y a quelque chose de plus dans la musique occidentale qu’il n’y a dans aucune autre musique, quelque chose, comment dire, sinon de supérieur, du moins d’englobant.
Je veux pour preuve de ce que j’avance le fait que les Occidentaux ont, plus que tout autre, fait preuve de curiosité pour d’autres musiques, même si c’était du haut de leur dédain et de leur supériorité affichée pour ces traditions « d’ailleurs ». J’en veux aussi pour témoignage le fait que deux des plus grands chefs d’orchestre qui dirigent aujourd’hui les grandes œuvres de la musique occidentale sont un Japonais et un Coréen : SEIJI OSAWA et MYUNG WUN CHUNG, et qu’on ne compte plus les asiatiques qui trustent les premières places dans les grands concours internationaux.
Je voudrais pour finir, citer quelques enregistrements de musique orientale qui me sont chers. D'abord et avant tout le monde, évidemment, les enregistrments publics de OUM KHALSOUM, édités (comme tous les autres, j'imagine) par la firme Sono. Je citerai ensuite le concert parisien de NUSRAT FATEH ALI KHAN, le Pakistanais, sous la marque Ocora (trois disques). On peut aller voir dans les disques pas trop tardifs de MOHAMED ABDELWAHAB, Egyptien comme la grande chanteuse citée ; de MUNIR BASHIR (ou MOUNIR BACHIR), l'Irakien ; de SAMIR TAHAR l'Algérien ; de KHALED BEN YAHIA le Tunisien (son disque Wissal) ; de SAMIR JOUBRAN, le Palestinien. Plus loin, du côté de l'Iran, on écoutera le Santour (genre de cymbalum) de MADJID KIANI et le luth sacré Tanbur de OSTAD ELAHI. Voilà déjà de quoi remplir la musette, comme on dit, pas vrai ?
lundi, 05 septembre 2011
TU VAS RANGER TES GENRES ?!
On n’en finit jamais avec les innovations. La première fois que j’ai assisté en spectateur à un débat sur le GENRE, c’était en salle fumeur. Deux estimables collègues, pas trop vieux (c’est-à-dire plus jeunes que moi) faisaient assaut de considérations « branchées » sur cette notion alors entièrement nouvelle (au moins pour moi, mais je suis long à la détente). Ça avait l’air intelligent, ça avait même l’air intellectuel, voire intello. Effectivement, c’était intello. Là, je suis infirme. Si si, je vous jure !
J’ai consacré un petit article, récemment et ici même, à l’introduction du « genre » dans des manuels de « Sciences et Vie de la Terre », en tant que notion à part entière. J’en ai dit tout le mal que j’en pense : en gros, la notion de genre est totalement inutile. L’enseigner en tant que telle n’est absolument pas innocent. Pour résumer, ma thèse est que le hasard de la conception dote chacun d’un sexe anatomique et que, ensuite, c’est à chacun de se débrouiller avec dans la vie, en fonction de ce que celle-ci lui présente comme expériences.
Ce n’est pas l’avis des promoteurs du « genre », évidemment, y compris du délicieux et suave RAPHAËL ENTHOVEN, qui sévit sur France Culture. Enseigner le genre à des adolescents, qu’on le veuille ou non, c’est leur présenter leur évolution sexuelle comme une croisée des chemins, où ils vont mettre en œuvre leur liberté et leur raison, pour décider en pleine conscience : moi, garçon, moi, fille, ai-je envie de vivre ma partie féminine ou ma partie masculine, puisqu’on m’a persuadé qu’il y a une part de masculin dans le féminin et inversement ? Ils ou elles choisiront donc délibérément, pour eux-mêmes, le yaourt masculin ou le yaourt féminin sur le rayon de l’hypermarché de la consommation sexuelle. Et pourquoi pas les deux ? La bisexualité comme avenir de l’humanité ?
La morale de tout ça, c’est qu’on présente l’homosexualité exactement à égalité avec l’hétérosexualité, et ce, au nom du combat contre la norme, obligatoirement mauvaise. Et surtout, il faut empêcher coûte que coûte le jeune d’éprouver le moindre sentiment de culpabilité si par hasard il n’entre pas dans le moule de cette effroyable norme. Il faut surtout que le jeune se sente libre, on se tue à vous le dire !
Conclusion : les mêmes éducateurs qui en appellent à grands cris à conforter et renforcer les « points de repère psychologiques » qui permettent aux jeunes de « se construire », ont entrepris de détruire ces « points de repère » en militant (ça aussi, c’est un problème) pour accroître la confusion dans les esprits. Autrement dit, on voudrait faire de la propagande pour l’homosexualité, on voudrait y encourager, on voudrait faire du prosélytisme homosexuel, on ne s’y prendrait pas autrement.
Eh bien, pendant qu’on solde les cadres de ce qui structure l’humanité depuis la nuit des temps (j’ai nommé la DIFFERENCE DES SEXES), l’offensive continue. Et puisqu’il s’agit de détruire cet ennemi à la racine, elle continue en amont de l’adolescence, pour remonter jusqu’à l’âge le plus tendre. Et le champ qu’il s’agit de nettoyer de tous les miasmes de la différenciation sexuelle, c’est maintenant le champ du JOUET. Parfaitement messieurs-dames.
Parce qu’on ne le dira jamais assez : il y a quelque chose de totalitaire dans le fait de donner au petit garçon des petites voitures ou des soldats, et à la petite fille des poupées dans des poussettes. Les parents ne se rendent pas à quel point ils orientent abusivement l’esprit de leur progéniture : c’est du terrorisme parental !
C’est donc entendu : tu es un garçon, tu joueras à la guerre en miniature, et ça te préparera à donner ta vie pour ton pays quand tu auras l’âge ; tu es une fille, tu joueras à la maman, et ce faisant tu répéteras longtemps à l’avance les gestes qu’il faudra faire quand tu auras ton premier.
C’est donc entendu : tu subiras un horrible conditionnement, un ignoble lavage de cerveau. C’est ce que les féministes et adeptes de la théorie du genre (qui est bel et bien une théorie, malgré RAPHAEL ENTHOVEN) appellent un déterminisme, un surdéterminisme, un dressage ou je ne sais quoi. C’est ce qu’ils trouvent absolument insupportable.
D’abord, ces gens-là sont ignares, ou ils font semblant : ils ne savent pas qu’il existe des garçons qui n’aiment pas jouer au foot ? Ils ignorent que certaines filles sont des « garçons manqués », comme il ne faut plus dire ? Les bras m’en tombent : les gamins n’ont pas attendu les savantasses intellos machins pour indiquer à leurs parents leurs préférences en matière de jeux et de jouets, quittes à ne pas respecter le « schéma dominant », quittes à tomber sur des becs qui les font plus ou moins souffrir.
Ensuite, il ne faut pas être passé par de grandes écoles de psychologie ou de psychanalyse pour se rendre compte que le schéma est exactement l’inverse de celui qu’avancent les adeptes du « genre ». Pourquoi offre-t-on, EN REGLE GENERALE, soldats et voitures au garçon ? Pourquoi offre-t-on, EN REGLE GENERALE, des poupées aux filles ?
Est-ce que par hasard ça ne serait pas parce que le petit garçon veut ressembler à son père, et l’imiter ? Ecoutez deux garçons discuter dans la cour de récréation : « C’est mon père qui est le plus fort, le plus riche ! – Ouais, mais c’est mon père qui a la plus grosse voiture, la plus grosse … ! » ? Ou deux filles : « C’est ma mère qui est la mieux habillée ! – Ouais, mais c’est ma mère qui est la plus belle ! » ? Non, je ne vais pas prétendre que tout ça, c’est inné, évidemment. Mais je n’invente rien si je dis, après les plus hautes autorités en la matière, que le gamin a BESOIN de s’identifier au parent de même sexe (et accessoirement d’essayer de séduire le parent de l’autre sexe).
Quoi, vous me dites que ce serait déjà le résultat d’un conditionnement ? Mais moi, digne et sans faire de chichis, je rétorque : « ET ALORS ? ». Vous avez vraiment l’intention d’éradiquer jusqu’à la moindre trace de conditionnement dans l’éducation de l’être humain ? C’est la notion de conditionnement qui vous taraude à ce point la comprenette ? Mais, messieurs-dames, je regrette : c’est vous qui êtes totalitaires, et mine de rien – et c’est d’ailleurs très drôle – vous rejoignez la bande de ces éducateurs post-soixante-huitards, qui s’interdisaient d’intervenir de façon autoritaire dans le « parcours éducatif » de l’enfant, comptant sur son développement spontané pour qu’il arrive par lui-même à s’éduquer et à s’instruire.
S’inspirant de Libres enfants de Summerhill, de ALEXANDER SUTER NEILL (éditions Maspero, 1971), des allumés de l’éducation sans contrainte avaient ouvert des « écoles », comme celle du « Tournesol », dans la région lyonnaise. Je me souviens de Journal d’un éducastreur (éditions Champ libre, 1971), d’un nommé JULES CELMA. Il est sorti de tout ça la certitude plus ou moins affirmée qu’une telle démission de l’autorité adulte, selon l’exigence de « libre épanouissement » de l’enfant, débouche sur quelque chose qui a à voir avec la violence, la tyrannie et l’homosexualité (dans le livre de CELMA). Et toutes ces « écoles nouvelles » ou presque, fondées sur les meilleures intentions du monde, ont lamentablement (et heureusement) fait naufrage.
Il existe quantité de définitions de ce qu’est, doit être ou devrait être un ADULTE (« avoir pardonné à ses parents » SAINT-EXUPERY, « être adulte, c’est être seul » JEAN ROSTAND, « un enfant gonflé d’âge », ça c’est de la détestable et confusionniste SIMONE DE BEAUVOIR, etc.). Je proposerais volontiers quant à moi celle-ci : un parent, un éducateur est adulte quand il exerce l’autorité que, en vertu de sa fonction, la société lui délègue. Il est adulte quand il accepte d’être celui qui conditionne celui dont il a la charge.
Eduquer, c’est vouloir donner une forme et une structure à un esprit, à une personne. Imagine-t-on qu’il puisse y avoir une formation sans aboutissement à une forme ? Mettez une boule d’argile sur un tour de potier, n’y mettez surtout pas les mains, et puis admirez le résultat. De toute façon, la liberté du gamin est forcément respectée, du fait du RATAGE plus ou moins grand des efforts de l’adulte. Toute éducation est, qu’on le veuille ou non, plus ou moins RATÉE. Je ne sais plus qui affirmait : « Il y a trois métiers impossibles : éduquer, enseigner, psychanalyser ».
Le GENRE, finalement, va tout à fait dans le sens de la doctrine d’enseignement actuellement en vigueur : faire en sorte que ce soit l’élève lui-même qui « construise son propre savoir ». Comme le disait excellemment JAIME SEMPRUN (L’Abîme se repeuple, éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, 1997) :
« Quand le citoyen écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ?, il évite de poser cette autre question, réellement inquiétante : A quels enfants allons-nous laisser notre monde ? »
Oui : à quels enfants allons-nous laisser notre monde ? Ce n’est pas pour rien que JEAN-CLAUDE MICHÉA cite cette interrogation à la fin de son minuscule et lumineux livre L’Enseignement de l’ignorance (Editions Climats, 1999).
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : genre, éducation sexuelle, sexe, gender studies, manuels de svt, raphaël enthoven, france culture, homosexualité, bisexualité, éducation, a s neill, jules celma, jaime semprun, jean-claude michéa
dimanche, 04 septembre 2011
PHILIPPE MURAY CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ
Je reviens à La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, dont j’ai parlé ici même du 17 au 20 août. Ben oui, je suis obligé. Je vous explique : j’ai retrouvé, dans un livre de Philippe Muray, l’emplacement où figure l’expression « la carte et le territoire ».
C’est à la page 389 de Festivus festivus (Fayard, 2005) : « La fameuse distinction de la carte et du territoire était encore rassurante : c’était la distinction du réel et de l’imaginaire ; mais il n’y a plus de territoire, et c’est le peuple de la carte qui s’exprime. Sans drôlerie, comme de juste. Sans imagination. Ou qui ne s’exprime pas du tout, d’ailleurs ». C’est intéressant. Il me semble qu’on doit pouvoir retrouver d’autres références à la même expression.
Lorsque le peintre Jed Martin expose ses photographies de cartes Michelin « départements », les choses se présentent ainsi : « L’entrée de la salle était barrée par un grand panneau, laissant sur le côté des passages de deux mètres, où Jed avait affiché côte à côte une photo satellite prise aux alentours du ballon de Guebwiller et l’agrandissement d’une carte Michelin « Départements » de la même zone. Le contraste était frappant : alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’une soupe de verts plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols. Au-dessus des deux agrandissements, en capitales noires, figurait le titre de l’exposition : « LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE ». ». Fin de citation. Je note qu'il ne parle à aucun moment, dans son énumération, de la moindre localité, ni de la moindre indication écrite. Cela devrait mettre la puce à l'oreille.
J’ignore si Michel Houellebecq part des considérations de Philippe Muray (qui dit à peu près que le peuple est devenu virtuel, c’est-à-dire qu’il n’est plus réel, il est devenu « la transparence », comme il dit ailleurs), mais au cas où…, on ne sait jamais, ça voudrait dire que le personnage de Jed Martin ferait en quelque sorte la preuve de la chose, mais en faisant semblant de trouver cela positif.
Et il faut savoir que Philippe Muray dit le plus grand mal de l’esprit de « positivité », dans une époque qui fait tout pour éliminer la moindre « négativité », c’est-à-dire qui pense pouvoir éradiquer totalement le Mal. (Rappelez-vous la « Croisade contre l’Axe du Mal », lancée par un certain Beorge W. Bush.) Ainsi, l’humanité devient-elle, en ce temps béni, définitivement et au sens propre, sage comme une image.
Autrement dit, la seule fonction de l’art capable de dire vrai aujourd’hui, ce serait d’annoncer la disparition de l’homme. D’où, dans la dernière partie de la carrière de Jed Martin, le « point de vue végétal sur le monde », d’où les photos exposées à l’air libre, d’où les composants électroniques et les figurines aspergés d’acide.
Si j’ai bien compris, Jed Martin est l’artiste qui projette dans ses représentations cette humanité, pour dire exactement, en train de disparaître du paysage. Et si j’ai bien compris, le tableau « Damien Hirst et Jeff Koons (ou l'inverse ?) se partageant le marché de l’art » est une métaphore de la dérision qui a envahi ce qu’on appela, pendant deux millénaires (et le pouce), des valeursS. C’est drôle, aujourd’hui, même un escroc comme Jacques Chirac peut affirmer : « J’ai mes valeurs ». Ce qui choque, ici, c’est l’adjectif possessif « mes ». Comme si l’on pouvait simplement imaginer qu’il y ait des « valeurs » individuelles !
Philippe Muray parle des Particules élémentaires, de Michel Houellebecq, dans ses Essais (Editions Les Belles Lettres, 2010), de la page 1166 à la page 1173. L'article, paru en 1999, s'intitule "Et, en tout, apercevoir la fin ...". Si la critique littéraire consiste à s'efforcer de dégager le sens d'un roman, alors c'est de la critique littéraire. Je cite : « Le roman de Houellebecq est né du sentiment de la fin, et tous ses personnages se débrouillent, d'une façon ou d'une autre, avec ce sentiment. C'est lui qui donne à l'oeuvre son éclairage poignant, sa lumière sourde, son climat de catastrophe intarissable, insaisissable, irrattrapable ».
N'oublions pas que la doctrine de l'obsolescence programmée de tous les objets de consommation a été élaborée dans les années 1920. Et ce qui valait au début pour les choses, il est somme toute normal que cela s'étende de plus en plus à tout ce qui est humain et, en bout de course, à l'humain en personne. C'est la logique de la machine. Les deux écrivains sont visiblement cousins en littérature, dans leur façon de voir le monde. Il faut que je lise ce livre car, selon Philippe Muray, « Beaucoup de bavardages sont mis en danger par Les Particules élémentaires ». Si c'est vrai, ça me convient.
Conclusion : il y a chez Michel Houellebecq, non seulement un « regard sur le monde », mais en plus, il y a de la « pensée ». Ça, c’est un roman.
09:00 Publié dans LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, les particules élémentaires, la carte et le territoire, philippe muray, george w. bush
samedi, 03 septembre 2011
LISEZ "LA BÊTE" de PIERRE BEARN
La Bête, de PIERRE BEARN est un petit récit très osé d’un auteur par ailleurs tout à fait estimable (poète, essayiste, romancier), récit supposé fait directement à l'auteur par la vieille femme que Sandrine est devenue au moment où il la rencontre. Ma foi, pourquoi pas ? Supposons donc que c'est vrai. Sandrine a donc 12 ans. Tout le monde la considère comme une vraie gourde. Sa mère est domestique, et cherche toujours à se placer, car elle est dans la précarité. Il s’avèrera que la gourde, c’est elle en définitive, car elle n’a aucune idée, et encore moins de pratique du monde dans lequel l’imaginaire de Sandrine évolue. Ici, le fossé des générations, c'est le fossé du sexuel. La mère bosse, la fille réfléchit, et pense à la vraie vie.
Il y a une cabane WC au fond du jardin. Elle est fascinée par Grand-Paul, qui bêche torse nu son propre jardin de l’autre côté de la clôture. Elle s’enferme dans la cabane, jusqu’à ce que l’autre s’approche et lui demande ce qu’elle attend de lui. Il se déboutonne, montrant sa « bête » en pleine glorieuse érection. Il ne tarde pas à se masturber sous ses yeux en prenant bien soin qu’elle ne perde pas une miette du spectacle, excepté la "crise" finale.
Il lui raconte ensuite le manège de sa voisine ; puis ses ébats avec une paysanne qui régulièrement se frottait le bas du ventre contre le manche de sa bêche ; une cueillette de cerises avec la dite voisine, en haut d’une échelle, en compagnie de deux fillettes : elle prend plaisir à cueillir vêtue de son seul jupon, les fesses et le sexe à l'air presque libre, provocatrice, en toute impudeur. Grand-Paul est au supplice ; il monte ; elle en profite alors pour se saisir de « la bête » et la manier sous les yeux des fillettes stupéfaites, puis ordonne à une des fillettes de monter en face de l’homme et lui fait empoigner la "bête" pour finir la besogne. Il raconte ça en même temps qu'il se finit.
Puis elle doit suivre sa mère, embauchée chez un banquier. Elle va à la plage avec deux garçons et une fille déjà déniaisés qui se livrent à quelques petits jeux dans une cabine (cunnilingus de Robert à Simone). Il y aura un jeu entre elle et le banquier, sur la base, tout d’abord, du « bain de monsieur », où il s’aperçoit qu’elle l’observe par la fente du rideau, puis dans son bureau, où elle s’accroupit sous le meuble, pour une séance de travaux manuels. "Et bientôt, tout le corps de l'homme éclata dans mes doigts gantés de miel". Est-ce que ce n'est pas bien dit ?
Puis on assiste au jeu avec le « frère de monsieur », obligé de coucher dans le même lit qu’elle et qui se couche nu. Il glisse sa « bête » entre les cuisses de Sandrine et se satisfait, éjaculant sur la cuisse. Elle retrouvera Grand-Paul, car la situation devient compromettante pour le banquier, qui congédie la mère. Un soir, elle passe de l’autre côté pour lui faire une branlette en direct. Il y aura encore un conducteur de charrette un jour de pluie. Assise entre sa mère et lui, elle tend la main, à l’abri de la bâche caoutchoutée, vers sa « bête », qu’elle va faire à son tour dégorger.
Bref, une fillette avertie en vaut deux, pourrait-on dire. En tout cas, elle peut à présent passer son brevet de pilote, parce qu'elle n'ignore rien du maniement du manche à balai. Pardon pour la facétie, un peu vulgaire, je le reconnais volontiers.
Bref, un récit d'initiation à la vie fort élégamment conduit et écrit. Je persiste à appeler cela de la littérature, tant c'est écrit dans une belle langue. J'imagine que Sandrine, si elle a existé, a raconté à l'auteur la suite de ses aventures. Mais si c'est le cas, il a gardé cette suite pour lui. Dommage que le texte soit un peu salopé par des négligences parfois grossières de l'éditeur (Editions Blanche, 2001).
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pierre béarn, littérature, littérature érotique
dimanche, 21 août 2011
GEORGES BRASSENS : PUTAIN DE TOI !
C’est évidemment une chanson que j’adore. C’était l’époque où, dit-il : « je chantais pour des prunes, Et tendais la patte aux chats perdus ». C’est vrai qu’il a connu des temps de « vaches maigres », comme on disait autrefois, avant l’ère définitive de prospérité et d’abondance que nous connaissons désormais, depuis que la finance s’est abattue sur le pauvre monde, comme on le constate depuis 2007.
GEORGES BRASSENS, car c’est bien sûr de lui qu’il s’agit, a gagné beaucoup d’argent, mais ç’a été après. J’adore en particulier la deuxième strophe : « Un soir de pluie, v’là qu’on gratte à ma porte, Je m’empresse d’ouvrir (sans doute un nouveau chat). Nom de Dieu ! L’beau félin que l’orage m’apporte, C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Le dernier vers de la strophe est exceptionnel, vous avez bien lu : « C’était toi, c’était toi, c’était toi… ». Comme trois coups de marteau sur la tête. Pas besoin de plus.
Chacun voit l’apparition selon son bon plaisir, mais c’est quand même, à la base, une APPARITION. Bon, c’est vrai, ça finit comme souvent, mais même là, il fait fort : faire rimer « salope » et « escalope ». J’avoue qu’il faut être gonflé. Et ça passe.
J’aime aussi énormément « Le mauvais sujet repenti » à cause d’un drôle de jeu sur les valeurs morales convenues. « L’avait le don, c’est vrai j’en conviens, L’avait le génie, Mais sans technique, un don n’est rien Qu’une sale manie… ». « Sans technique, un don n’est rien qu’une sale manie » : quelle formule ! Car, disons-le, dans le métier qu’elle exerce : « Le difficile est de bien savoir Jouer des fesses ». Dans ce métier : « On ne tortille pas son popotin De la même manière, Pour un droguiste, un sacristain, Un fonctionnaire ».
Il devient donc le maquereau de la demoiselle. Mais elle prend un jour « une maladie honteuse » : « Elle me passa la moitié de ses microbes … ». L’image est drôle, même si on pourrait objecter qu’une contamination n’est pas exactement un partage, car ça aurait plutôt tendance à démultiplier les animalcules, alors que partager, c'est diviser. Il la quitte ensuite sur une formule géniale (je ne trouve pas d’autre mot) : « Comme je n’étais qu’un salaud, Je me fis honnête… ». Elle finit mal, en « maison », comme on ne dit plus. Et le pire, c’est qu’il « paraît qu’elle se vend même à des flics, Quelle décadence ! Y a plus de moralité publique dans notre France … ».
Tout le monde connaît le « tube » « Les copains d’abord », mais on connaît moins « Le vieux Léon », qui tient pourtant des propos identiques sur un thème identique. Dans l’une, c’est : « Quand l’un d’entre eux manquait à bord C’est qu’il était mort, Oui mais jamais au grand jamais Son trou dans l’eau ne se refermait … ». Dans l’autre : « Y a tout à l’heure Quinze ans de malheur Mon vieux Léon Que tu es parti Au paradis de l’accordéon » ; et « Tous sont restés Du parti des Myosotis ». C’est vrai que « Le vieux Léon » fait moins fanfare.
Le myosotis fleurit aussi dans « Les deux oncles », dans ses versions anglaise et allemande (forget me not et vergissmeinnicht), qu’on n’entend jamais. Sur les ondes, de loin en loin, « Le parapluie », peut-être à cause de la durée, quelques autres, plus rarement, mais BRASSENS, qui forme un continent à lui tout seul, reste largement inexploré.
Par exemple, sous l’angle autobiographique. Ça surprend, a priori, parce que « tonton Georges » reste de toute façon toujours pudique. Mais il y a trois chansons que je considère comme relatant des épisodes empruntés à sa vie. Il y en a sans doute d’autres (« Jeanne », « La cane de Jeanne », …), mais de mon point de vue, le tiercé gagnant est : « Les quatre bacheliers », « La princesse et le croque-note », « Stances à un cambrioleur ».
Le cas de la dernière est assez clair. Il y parle de son portrait : « L’exécrable portrait Que l’on m’avait offert à mon anniversaire ». Puis : « Respectueux du brave travailleur, tu n’a Pas cru décent de me priver de ma guitare, Solidarité sainte de l’artisanat ». Mais un cambriolage, cela peut être vécu comme un viol, mais ça garde un côté un peu anecdotique. Après tout, ce ne sont que des choses. J’en parle par expérience.
Le fond de réalité qui sert de base à la première est semble-t-il connu, puisqu’on trouve ça sur la notice wikipédia. « Les quatre bacheliers », c’est un très bel hommage au père, parce qu’il a su pardonner la peccadille de son petit. J’avais eu très tôt la puce à l’oreille, à cause d’une curiosité grammaticale. Pas grand-chose, vous allez me dire, mais quand même. Pensez, BRASSENS commence en disant « Nous étions quatre bacheliers ». Et puis il continue : « Nous nous fîmes un peu voleur » (de quelques bijoux de sa propre sœur quand même !). Enfin : « Les sycophantes du pays (…) Aux gendarmes nous ont trahis ».
A partir de là, fini le « nous ». Il passe à la troisième personne du singulier et du pluriel. J’ai toujours trouvé ça louche. Et j’ai donc eu confirmation en faisant quelques recherches. « Mais je sais qu’un enfant perdu (…) A de la corde de pendu (…) A de la chance quand il a (…) Un père de ce tonneau-là ». Franchement, j’aurais aimé être en mesure de rendre un hommage aussi magnifique, de là où je suis.
Quant à « La princesse et le croque-note », je ne sais pas si GEORGES BRASSENS a confié quoi que ce soit au sujet d’une telle histoire. On trouve aussi un tel refus chez LEO FERRÉ : « S’il n’y avait entre nous, petite, le CODE PENAL » (je cite de mémoire). Et puis SERGE REGGIANI, mais pour d’autres raisons, moins nobles, je trouve, car la réaction du vieux devant la jeune amoureuse est de penser au qu’en-dira-t-on : « Vraiment de quoi aurions-nous l’air, J’entends déjà les commentaires », ce qui manque peu ou prou de noblesse.
Tout ça me fait penser à la « scène de la Lettre », dans Eugène Onéguine : fa, mi, ré, ré, ré, do (bémol), si (double bémol), la, quand Tatiana déclare son amour à Onéguine (il me semble que c’est une première, dans l’opéra, de la part d’une jeune fille). Onéguine regrettera finalement amèrement de l’avoir alors repoussée. Ici, l’âge n’intervient pas, c’est un « simple », disons, « déphasage chronologique » : ils n’aiment pas au même moment. Mais c’est le même refus. A cause de la loi, dans les cas de BRASSENS et FERRÉ.
« Or, un soir, Dieu du ciel, protégez-nous ! La voilà qui monte sur les genoux Du croque-notes et doucement soupire, En rougissant quand même un petit peu : "C’est toi que j’aime et, si tu veux, tu peux M’embrasser sur la bouche et même pire." ». Il faut croire que le gratteur de guitare a eu la trouille, car il part dès le lendemain, sans demander son reste, « dans la charrette Des chiffonniers… ». Si quelqu’un a des lumières là-dessus, merci d’avance.
Bon, sur ce, je vais prendre quelques vacances. Merci aux visiteurs d'avoir visité ce blog, et de revenir dans une quinzaine. Le 4 septembre, pour être précis.
samedi, 20 août 2011
MICHEL HOUELLEBECQ ROMANCIER
Un autre thème apparaît au début de la troisième partie. Enfin, pas un « thème » : on change de roman, du moins en apparence. On était dans la « littérature », on entre dans le polar. L’écrivain Michel Houellebecq et son chien sont retrouvés, enfin, quand je dis « retrouvés », c’est beaucoup dire, car il n’y a plus que leurs têtes qui trônent sur des fauteuils, par la police, éparpillés aux quatre coins de la pièce, pas exactement « façon puzzle », comme dit Bernard Blier dans un des films français les plus célèbres de tous les temps. La façon dont les restes sont disposés évoque les toiles de Jackson Pollock, « mais un Pollock qui aurait travaillé presque en monochrome ».
L’assassinat a duré à peu près sept heures, selon les enquêteurs. Cette scène de crime m’a fait penser à Un Lieu incertain de Fred Vargas, où on lit : « Comme si le corps avait éclaté ». La police patauge (c’est le cas de le dire). Jusqu’à ce que Jed Martin fasse part à Jasselin, le policier, de la disparition du tableau « Michel Houellebecq écrivain » dont il lui avait fait cadeau.
Il y a des idées marrantes, dans cette troisième partie. Par exemple, l’auteur pensait-il à François Bégaudeau en créant un « brigadier Bégaudeau » qui face à la scène de crime se met à osciller sur lui-même : « il fallait juste aller le coucher c’est tout, dans un lit d’hôpital ou même chez lui, mais avec des tranquillisants forts » ? Par exemple, pensait-il à la « trilogie marseillaise » de Jean-Claude Izzo, en faisant boire à ses flics du whisky Lagavulin, comme celui que préfère Fabio Montale ? « Il est impossible d'envisager un travail de police sérieux sans une réserve d'alcool de bonne qualité (...) ». Quant à moi, je choisirais plutôt du côté des « Speyside », moins « tourbés ». Ou alors un Irlandais, genre Bushmill, mais 10 ans d’âge.
« L’affaire est résolue », s’écrie Jasselin quand Jed Martin estime la valeur de son tableau à 900.000 euros. Il faut dire que l’exposition organisée par Franz a fait du peintre un homme très riche, qui peut acheter du jour au lendemain un vaste domaine. Trois ans plus tard, quand l’assassin est retrouvé (mort), le tableau est estimé à 12.000.000. Jed Martin est devenu une « valeur ». Il peut tout se permettre.
Le dernier pan de ce livre que je voudrais retenir, c’est la relation au père, qui quadrille pour ainsi dire le roman. Et c’est un des beaux aspects du livre. Le père intervient comme une ponctuation. Le mot « intervient » est d’ailleurs impropre : disons qu’il est là, présent à intervalles réguliers, tous les 25 décembre pour être précis, c’est le jour de l’année où ils prennent un repas en commun, et un repas de fête, qui plus est. En général, ce n’est pas très gai. Mais ce n’est pas lugubre non plus. L’événement est présenté comme allant de soi : le fils passe avec son père le réveillon de Noël. C’est tout simple, ça ne se discute pas.
C’est d’ailleurs intéressant, cette relation entre le fils et son père, car la mère est à peu près absente, simplement mentionnée comme un souvenir, mais un souvenir anodin. On apprend qu’à la vérité, elle s’est suicidée au cyanure. Cette absence de la mère change de l’habituelle dégoulinade de maternite aiguë dont sont atteints bon nombre de nos contemporains. Et c’est sans doute le seul point commun entre les livres de Michel Houellebecq et de Claude Arnaud (que j’ai dénigré précédemment).
Jed Martin est étonné quand son père déclare, au cours de leur premier repas du roman, « dans une brasserie de l’avenue Bosquet appelée Chez Papa », avoir lu deux romans de Michel Houellebecq : « C’est un bon auteur, il me semble. C’est agréable à lire, et il a une vision assez juste de la société. ». C’est vrai qu’ « il y a une petite bibliothèque à la maison de retraite ». Il a donc du temps pour lire.
J’avais des amis qui habitaient un grand appartement avenue Bosquet, au rez-de-chaussée, avec peu de lumière. Et puis Emmanuel D. a acheté dans une tour du « Front de Seine ». La classe. Il avait les moyens. Mais il paraît que c’est très chic quand même, l’avenue Bosquet, c’est dans le 7ème arrondissement parisien, celui où madame Rachida Dati a croqué la carotte de la mairie, avec ses dents de lapin (j’aurais dû dire « lapine », mais ç’aurait été mal interprété).
Le deuxième repas qu’ils partagent se passe chez le fils. D’abord en silence, au point que Jed s’assoupit. A ce moment, j’ai pensé au film Soleil vert : « Il eut la vision de prairies immenses, dont l’herbe était agitée par un vent léger, la lumière était celle d’un éternel printemps ». C’est le film que le vieux a demandé à visionner au moment où on l’euthanasie. Mais je dis ça parce que j’ai lu la fin.
« Jed se figea. Ça y est, se dit-il. Ça y est, nous y voilà ; après des années, il va parler. » Cela ne viendra pas tout de suite, mais le père se met à parler. De lui, de son histoire, du choix de l’architecture, de l’organisation sociale, de la mère et de William Morris, le peintre d’un seul tableau (La Reine Guenièvre), de genre préraphaélite. Aussi architecte. Une belle scène, économe de moyens. Jean-Pierre Martin est malade, il le sait. Cette conversation lui tient donc lieu de testament, de chaîne de transmission, avant sa disparition prochaine. Et le fils recueille ce legs avec une grande attention.
Eh bien voilà. C’est La Carte et le territoire, écrit par Michel Houellebecq, écrivain. Pas un immense chef d’œuvre : un excellent livre. Ce n’est pas si courant. Bon, il y a des facilités, par exemple dans le style ou le vocabulaire, il y a des coups de mou. Mais c’est un vrai bon travail de romancier. C’est de la littérature.
FIN
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la carte et le territoire, michel houellebecq, fred vargas, jean-claude izzo, william morris
vendredi, 19 août 2011
HOUELLEBECQ ET LA FIN DU MONDE
Donc Jed Martin est tombé amoureux des cartes Michelin. Il se fait une sorte de nom avec ses photos de cartes. Le titre de son exposition est d’ailleurs : LA CARTE EST PLUS INTERESSANTE QUE LE TERRITOIRE. Cela tombe bien : la Compagnie Financière Michelin est intéressée par cette mise en valeur inattendue. Et puis c'est l'occasion pour lui de tomber un peu amoureux d’Olga. Bref, je ne vais pas vous le refaire. Le premier thème du livre, c’est d’abord l’état du monde, pas brillant, on l’a vu.
Le deuxième thème, c’est le monde de l’esthétique, ou plutôt le monde de la beauté. Le père est architecte : la beauté qu’il élabore reste lestée par l’ « utile », le fonctionnel, le monde concret. En l’occurrence, il conçoit des stations balnéaires. Il peut y avoir (c’est même souhaitable) de l’art dans l’architecture, mais par principe, ça n’encourage pas l’oiseau à déployer ses ailes, ou alors il s’agit d’un oiseau attaché au sol, trop lourd pour voler, en quelque sorte.
Au passage, il est foncièrement positif que l'adjectif "totalitaire" soit accolé par Michel Houellebecq au nom de Charles-Edouard Jeanneret, dit Le Corbusier, qui est l'Albert Speer (architecte d'Adolf Hitler) des démocraties modernes. Cet architecte au nom intouchable aujourd'hui, et quasiment sacré, est celui qui a, en quelque sorte, inventé la séparation de l'espace humain en fonctions.
C'est vrai qu'il attendait, pour achever les "parcours piétonniers", que les habitants aient dessiné leurs cheminements avec leurs pieds. Mais segmenter la vie humaine selon le moment de la journée (pour résumer : habitat, travail, consommation), il faut raisonner en termes, non seulement, de gestion de la population humaine, mais c'est, en plus, totalitaire. Regardez, par curiosité, ses projets pour Paris ou Rio de Janeiro. Voilà, c'était au sujet de l'architecture nazi.
Jed, quant à lui, est un artiste. Il part de ses « objets de quincaillerie », dont l’exposition forme un « hommage au travail humain ». Il prend ensuite de l’altitude, avec les cartes Michelin, pour regarder le monde d’en haut, avec tout le sens conféré par les dessins, les formes, et puis surtout les noms.
Puis il devient peintre, avec des tableaux qui représentent le monde, ou plutôt qui essaient de dégager une signification du spectacle du monde. Les titres disent quelque chose : « Bill Gates et Steve Jobs s’entretenant du futur de l’informatique », « Michel Houellebecq écrivain », « Aimée, escort-girl », « L’architecte Jean-Pierre Martin quittant la direction de son entreprise ».
Wong Fu Xin, un essayiste chinois qui a travaillé sur le peintre, le voit « désireux de donner une vision exhaustive du secteur productif de la société de son temps ». Le roman, à travers le personnage de Jed Martin, parle bien du monde. Et il en dit quelque chose. Bon, je ne vais pas plaquer mes considérations vaseuses, mais ça a quelque chose à voir avec l’étriqué qui enserre l’humanité depuis que l’économique (pour ne pas dire le financier) est seul aux manettes.
« Je veux rendre compte du monde… Je veux simplement rendre compte du monde ». C’est ce que répète Jed Martin qui, ayant pris de l’âge et marqué le monde de l’art de son empreinte, est interviewé pour la revue Art press. Pour dire, la dernière partie de son œuvre consistera, le matin, à poser son caméscope, à cadrer, par exemple « une branche de hêtre agitée par le vent », ou « une touffe d’herbe, le sommet d’un buisson d’orties, ou une surface de terre meuble et détrempée entre deux flaques ». Il déclenche, et vient récupérer son matériel le soir ou le lendemain. Il en tire par montage des « œuvres », « qui constituent sans nul doute la tentative la plus aboutie, dans l’art occidental, pour représenter le point de vue végétal sur le monde ». LE POINT DE VUE VEGETAL SUR LE MONDE. Je ne sais pas pourquoi, mais cette trouvaille m’enchante.
Il y aura aussi ces « composants électroniques », qu’il asperge d’acide sulfurique pour « accélérer le processus de décomposition ». A la suite d’un long travail qu’il est inutile de détailler, il aboutit à de « longs plans hypnotiques où les objets industriels semblent se noyer, progressivement submergés par la prolifération des couches végétales ».
Il fera subir un sort analogue à des photographies laissées à « la dégradation naturelle », puis à des « figurines jouets, représentations schématiques d’êtres humains ». On aura constaté que la place de l’homme, dans tout ça, est si réduite qu’elle a pour ainsi dire disparu. Si tout ça n’est pas de la métaphore ! La ficelle est même un peu grosse. Dommage que tout cela soit tout de même un peu trop explicité à la fin.
A suivre (ben oui)...
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, la carte et le territoire, littérature, le corbusier, adolf hitler, bill gates, steve jobs, art press
jeudi, 18 août 2011
LISEZ LA CARTE ET LE TERRITOIRE
Damien Hirst, pour ceux qui l’ignorent, a réalisé l’œuvre d’art la plus chère de tous les temps (à la fabrication, dirons-nous), avec un véritable crâne humain recouvert de (environ) 8000 diamants authentiques. A mon avis, ça défonce l’œuvre de Jeff Koons, visible autrefois dans Art press, où celui-ci se photographie avec sa verge en train de pénétrer dans la Cicciolina à cheval sur lui, tout ça dans des couleurs tendres, voire kitsch, et où la femme fait tout, par sa mimique, pour indiquer qu’elle est en train de jouir. Bon, c’est vrai, elle fait toujours la mimique de la jouissance féminine sur toutes les photos de la série, car il y a une série entière, bien entendu, on aurait tort de se priver.
Il a dû chercher longtemps le moyen de se replacer au sommet du podium, Jeff Koons, mais, apparemment, il n’a pas trouvé. Moralité : l’argent a eu la peau du sexe. Dit autrement : la marchandise a triomphé de la morale, puisque pour « heurter les sensibilités », exhiber une copulation « in vivo » est dépassé : il faut maintenant des diamants, et des diamants comme s’il en pleuvait. Et ça ne heurte même plus personne. C’est le stade, en quelque sorte, des icônes désicônisées.
C’est d’ailleurs ce dont Michel Houellebecq est convaincu, au moins apparemment, car ce tableau impossible à achever, que Jed Martin finira d’ailleurs par détruire, ça symbolise bien sûr (mais est-ce si sûr ?) l’escroquerie cynique et arrogante que constitue désormais l’étalage sans vergogne des montagnes de fric sous le nez même de ceux que l’ultralibéralisme racle jusqu’à l’os.
La Carte et le territoire, c’est curieux, on rencontre cette expression deux ou trois fois dans le volume des Essais de Philippe Muray. Un territoire, à proprement parler, c’est rigoureusement indéchiffrable : regardez une photo aérienne prise à la verticale, impossible de se repérer, de s’orienter, ni numéro de routes, ni nom de village ou de rivière. Et si on est au-dessus d’une forêt, je vous dis pas. En gros, face à une telle photo, vous êtes, comme on dit, paumé. Remarquez, c’est la même chose pour n’importe quelle photo : dans la presse, qu’est-ce qu’il en reste, comme information, si vous en supprimez la légende ?
Elle sert à ça, la carte : à donner toutes les légendes nécessaires pour qu’on sache bien ce qu’on est en train de regarder, à poser l’étiquette avec les noms sur les paysages. A donner des points de repère. A s'orienter. S'il n'y a pas de métaphore, là, c'est rudement bien imité : nous avons fabriqué une époque totalement dépourvue de valeurs, qui n'a plus aucun sens de la valeur des choses et des êtres, démunie de points de repère. En clair, TOUT est possible (et l'inverse aussi, naturellement).
Et Jed Martin a été photographe avant de virer peintre. Il a commencé par « trois cents photos de quincaillerie », avec « écrous, boulons et clefs à molette », tout ça en « lumière neutre », sur « fond de velours gris moyen ». Puis il a l’illumination, un jour où, sur une aire d’autoroute, son père lui demande d’acheter la carte Michelin du département. Ils sont dans la Creuse. Le passage vaut, comme on dit dans le Guide Michelin, le détour.
« Cette carte était sublime ; bouleversé, il se mit à trembler devant le présentoir. Jamais il n’avait contemplé d’objet aussi magnifique, aussi riche d’émotion que cette carte Michelin au 150.000ème de la Creuse, Haute-Vienne. L’essence de la modernité, de l’appréhension scientifique et technique du monde, s’y trouvait mêlée avec l’essence de la vie animale. » C’est le coup de foudre. On ne comprend pas bien, mais le roman, c’est aussi ça.
A suivre...
P. S. du 26 août : L'expression "la carte et le territoire" se trouve aussi (ou alors, en fait) dans le livre de Philippe Muray Festivus festivus, paru en 2005 chez Fayard, à la page 389 : « La fameuse distinction de la carte et du territoire était encore rassurante : c'était la distinction du réel et de l'imaginaire; mais il n'y a plus de territoire, et c'est le peuple de la carte qui s'exprime. Sans drôlerie, comme de juste. Sans imagination. Ou qui ne s'exprime pas du tout, d'ailleurs ». Cela ouvre comme un horizon, une sorte de profondeur de champ.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jeff koons, peinture, art press, damien hirst, art contemporain, cicciolina, philippe muray, la carte et le territoire
mercredi, 17 août 2011
DIRE DU BIEN DE MICHEL HOUELLEBECQ
Je n’avais encore lu aucun livre de Michel Houellebecq. Vous allez me demander pourquoi, peut-être. La raison en est simple, je crois d’ailleurs l’avoir déjà exposée ici, quoique pour une autre raison : il y avait une controverse, que dis-je, une dispute, un débat national ! Le sujet, tout simplement, faisait exploser l’audience dans les médias.
Et l’ébullition virtuelle (récurrente, il faut bien l’avouer, le carburant des médias n’étant rien d’autre que l’ébullition, quel que soit le combustible), tout simplement, ça me donne dans la minute, en plus de la nausée, un urticaire géant, massif, à donner même au unau des gestes fébriles et saccadés, voire capricants et convulsifs, c’est vous dire.
Il suffit que la mayonnaise médiatique « prenne » autour d’un individu, d’un phénomène, d’un événement pour que je fasse comme l’escargot : je me rétracte, je retourne au fond de la coquille utérine de ma surdité natale. C’est simple, tout ce qui a pour vertu de « faire parler les gens », je m’en protège par instinct comme d’une peste. Bon, c’est vrai, j’ai abordé ici plusieurs fois, par exemple, l’ « affaire » Strauss-Kahn, mais c’est parce que j’écoute beaucoup la radio. Vous dites : paradoxal ? Je veux bien. Mais qui est sans contradiction ?
Une amie avait prêté à H. La Carte et le territoire, le petit dernier de l’auteur controversé. Le livre était là, sur sa table, inoccupé, désœuvré même, il s’ennuyait. Je l’ai ouvert – avec réticence, mais je l’ai ouvert. Autant l’avouer : je craignais le pire. Eh bien tenez-vous bien, je n’ai pas regretté. Franchement, c’est une heureuse surprise. J’ai donc lu récemment deux ouvrages contrastés d’auteurs français d’aujourd’hui : Claude Arnaud, avec Qu’as-tu Fait de tes frères ?, et, donc, Michel Houellebecq, avec La Carte et le territoire.
Autant je trouve le premier dénué de toute force et de tout intérêt, frappé d’émasculation littéraire, autant je trouve le Houellebecq réjouissant et « couillu ». Enfin un livre d’un auteur français d’aujourd’hui qu’il ne faut pas se forcer, la mort dans l’âme, à boire jusqu’à la lie de la dernière page. Tiens, du coup ça me donne envie de lire les précédents.
Le Claude Arnaud, c’est du mètre linéaire, comme on dit dans les supermarchés, mais du linéaire à tous les étages du bouquin, dans les faits, dans les personnages, dans la construction, et surtout dans le regard sur le monde que c’est censé refléter : tout simplement, de regard, il n’y en a pas. Mai 1968, avec ce qui précède et tout ce qui suit, pourtant, ça devrait motiver le romancier, bon dieu ! Là non, rien, pas de regard du tout : si l’on veut, c’est un tableau aveugle sur l’époque. Cette époque, il s’est contenté de la vivre. Ça ne fait pas une littérature. Le secrétaire de séance se contente d’exposer, comme je disais, son compte-rendu de conseil d’administration.
Avec Michel Houellebecq pas du tout. L’action se passe aujourd’hui, ou peu s’en faut : il ne faut pas compter sur une reconstitution historique. Et l’époque, on l’entend pester contre. On sent qu’il ne peut pas la sentir. Et pour moi, ça tombe bien, c’est une attitude que non seulement je comprends, mais que je partage. Je pense à Philippe Muray qui, d’ailleurs, dans sa détestation du bocal littéraire parisien, épargne plutôt l’auteur de La Carte et le territoire, si je me souviens bien (voir son volume d’Essais, aux Belles Lettres).
Ce qui est vraiment bien, c’est que Michel Houellebecq, non seulement ne dit jamais « je » comme dans ces pseudo-romans que sont les soi-disant « auto-fictions », mais encore met en scène un personnage qui s’appelle Michel Houellebecq, qui meurt atrocement, soit dit en passant, dans la troisième partie. Mais attention, ce n’est pas une projection, ce serait plutôt un double, et c’est assez marrant. Car le pire, dans l’autofiction, c’est l’espèce de vortex auto-érotique où l’auteur masturbe à longueur de page des obsessions qui l’obsèdent. C’est, bien entendu, insupportable. Rien de tel ici.
Le personnage principal, c’est l’artiste Jed Martin, fils de l’architecte Jean-Pierre Martin, à la riche et belle carrière d’architecte, mais il a pris sa retraite, un jour. Le roman commence sur l’impossibilité de finir le tableau dont le sujet consiste en Jeff Koons et Damien Hirst, les deux artistes les plus chers du marché de l’art contemporain. Déjà, cette impossibilité de finir un pareil tableau me rend le livre sympathique. Ça ne suffit pas, mais ça aide. D’autant que le futur tableau s’intitule « Jeff Koons et Damien Hirst se partageant le marché de l’art ».
A suivre...
mardi, 16 août 2011
MERCI TONTON GEORGES (2)
Je ne vais pas me mettre à énumérer les chansons de GEORGES BRASSENS. Ce n’est pas que ça me déplairait, mais ça vous fatiguerait assez vite. Tiens, dans quelle chanson trouve-t-on : « Ainsi que deux bossus tous deux nous rigolâmes » ? Dites un peu pour voir. Cette formule (qu’on trouve dans « La fessée ») me fait rire. En gros, « les-chansons-de-brassens », je me suis vautré, que dis-je, immergé dedans longuement.
Chose curieuse, il a fallu mon premier séjour en Allemagne, dans la belle maison (« Probstei ») de Möckmühl de la comtesse VON MOLTKE, pour que je découvre « Grand-père », chanson dans laquelle il s’agit d’enterrer le pépé, mais « chez l’épicier, pas d’argent pas d’épices ; chez la belle Suzon, pas d’argent, pas de cuisse ». Donc là, ils n’ont pas le premier sou pour le cercueil, puis pour la messe, puis pour le corbillard.
Mais heureusement, grand-père se venge : « Or j’avais hérité de grand-père une paire de bottes pointues », grâce auxquelles il botte le train des salauds : « C’est depuis ce temps-là que le bon apôtre (…) a une fesse qui dit merde à l’autre ». Réjouissant. « Mon prince on a les dames du temps jadis qu’on peut. » Je dirai, par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui : on a les rappeur qu’on peut. Il va de soi que CLARA (CLÄRLÄ pour les intimes) ne comprenait pas le moindre traître mot. Mais elle savait beaucoup d’autres choses.
Un fils de la maison, pour dire que le français n’avait de mystère pour personne dans la famille, avait dans sa chambre la collection à peu près complète du « Livre de poche », en plus de me flanquer de vraies raclées aux échecs.
Il y a tellement peu à jeter dans le grenier de GEORGES BRASSENS que je m’en veux un peu de déplorer une petite anicroche, oh, presque rien, un fétu, une misère. C’est dans la troisième strophe de « Quatre-vingt-quinze pour cent », vous savez, cette chanson qui proclame que dans 95 % des cas, « la femme s’emmerde en baisant ». Qu’est-ce qui lui prend de faire la liaison ? Mystère. Si la femme, dans ses ébats amoureux, crie « pour simuler qu’elle monte aux nues », dit-il, « c’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire ». On lit bien « croie », c’est bien le subjonctif présent : la liaison est donc une faute. Peut-être est-elle volontaire ?
GEORGES BRASSENS s’est, entre autres, immergé dans la poésie française. Il en a mis en musique une flopée, en commençant par des poèmes de PAUL FORT, qui ne sont pas trop ma tasse de thé. Mais il a fait quelques absolus chefs d’œuvre, où la musique est tellement bien adaptée aux contours du texte qu’on peut dire qu’elle les épouse. Le problème, ensuite, c'est que le poème n'existe plus pour lui-même : la musique s'est emparée de lui, et ne le lâchera plus. Tiens, ça n'a rien à voir, mais essayez d'écouter le début de la 5ème symphonie de BEETHOVEN sans entendre « La pince à linge » par Les Quatre Barbus !
Le premier est un poème d’ANTOINE POL : « Les passantes ». Je me rappelle ce séminaire de sémiotique, animé par le prétentieux BERNARD PARRET, qui se piquait de connaître l’opéra, et dont le discours s’était révélé d’une insondable vacuité, au grand dam de mon ami YVES J., musicien de profession. L’autre animateur, BRUNO GELAS, soutenait que dans l’opéra, le texte n’est pas fait pour être compris. Texto !
Il y avait là, aussi et surtout, une jeune femme qui avait aimanté le regard de tout ce qui était masculin dans la salle. Le plus drôle, c’est que nous avions été plusieurs, après coup, à lui parler de cette chanson, dont PATRICE E. Je ne sais pas quelle pouvait être l’impression de cette femme, d’avoir été l’objet de cet hommage fasciné. « Alors, aux soirs de lassitude, Tout en peuplant sa solitude Des fantômes du souvenir, On pleure les lèvres absentes De toutes les belles passantes Que l’on n’a pas su retenir. » ANTOINE POL n’entendit jamais la chanson, parce que BRASSENS était tellement maniaque qu’il ne voulait la livrer que poussée à la perfection.
LAMARTINE est l’auteur, lui, du magnifique « Pensées des morts ». ROGER BELLET, mon professeur, ne voyait dans toute sa poésie qu'une sorte de « jus sirupeux » (authentique). « C’est la saison où tout tombe Aux coups redoublés des vents ; Un vent qui vient de la tombe Moissonne aussi les vivants : Ils tombent alors par mille, Comme la plume inutile Que l’aigle abandonne aux airs, Lorsque des plumes nouvelles Viennent réchauffer ses ailes A l’approche des hivers. » Est-ce que ce n’est pas très beau ?
Et puis j’ai découvert, somme toute très récemment, une chanson que je ne connaissais pas, parce qu’elle ne figurait pas dans les vinyles 33 tours : « A mon frère revenant d’Italie ». Pour le texte, c’est ALFRED DE MUSSET. Un petit miracle de nostalgie ironique (ou d’ironie nostalgique). Un petit miracle aussi de mariage avec la musique : une introduction à la pointe de la guitare par JOEL FAVREAU, l’inébranlable contrebasse de PIERRE NICOLAS, et c’est parti.
« Ainsi mon cher, tu t’en reviens D’un pays dont je me souviens Comme d’un rêve, De ces beaux lieux où l’oranger Naquit pour nous dédommager Du péché d’Eve. » Et puis : « Ischia ! c’est là qu’on a des yeux, C’est là qu’un corsage amoureux Serre la hanche. Sur un bas rouge bien tiré Brille, sous le jupon doré, La mule blanche. » Je regrette beaucoup que ce ne soit pas la dernière chanson du disque, car « Le roi boiteux » casse l’ambiance.
Pour résumer, les chansons de GEORGES BRASSENS sont tellement gravées dans mon disque dur qu'elles ressortent parfois spontanément, comme par exemple au réveil, où je me récite "Le grand chêne" ou "Le vingt-deux septembre". Voilà.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : georges brassens, chansons, musique, poésie, littérature, paul fort, antoine pol, lamartine, alfred de musset, joel favreau, pierre nicolas
lundi, 15 août 2011
MERCI TONTON GEORGES (1)
« Tonton Georges », c’est dans « Le bulletin de santé » : « Et si vous entendez sourdre, à travers les plinthes Du boudoir de ces dames des râles et des plaintes, Ne dites pas : « C’est tonton Georges qui expire », Ce sont tout simplement les anges qui soupirent. ».
Quand on passe à Sète, si même on n’y va pas exprès, une halte au cimetière est obligatoire. Pas celui situé en hauteur, où se situe la tombe de PAUL VALÉRY, mais celui d’en bas, celui des pauvres. Ce n’est pas la plage, mais presque. La tombe est discrète. Une plaque elle-même discrète, en haut à droite, porte un nom : GEORGES BRASSENS (1921-1981). Juste en dessous, une autre plaque : JOHA HEIMAN, PUPCHEN (1911-1999). C’est avec lui qu’on l’a enterrée. Elle y avait droit.
La première chanson de BRASSENS qui m’est tombée dans l’oreille, c’est « Les amoureux des bancs publics ». Un disque 33 tours, 25 cm. Je ne me rappelle plus les autres chansons de l’album. Peut-être « Brave Margot » ? « Il suffit de passer le pont » ? « J’ai rendez-vous avec vous » ? En tout cas, le disque tournait sur l’électrophone gris de la Guilde du disque, et « Les amoureux » m’est restée. J’avais peut-être huit ans.
Dans le placard, il y avait aussi YVES MONTAND, même format, avec « Battling Joe » et « Les grands boulevards », que je connaissais par cœur : « On a des chances d’apercevoir Deux yeux angéliques Que l’on suit jusqu’à République ». C’était l’époque où MONTAND chantait : « Je ne suis pas riche à millions, Je suis tourneur chez Citroën ». Une autre époque, quoi !
« Les amoureux des bancs publics », peut-être pensais-je à ces deux tourtereaux goulus, qui se mangeaient la bouche sur le banc du square Michel Servet, juste en dessous de la cour de récréation. Ça avait l’air agréable, mais c’était une très mauvaise idée, ce banc, ils n’auraient pas dû, car COHEN leur avait gueulé : « Sucez-vous la poire ! » pour notre plus grande et bruyante joie, si bien qu’ils avaient dû s’enfuir. C’était la classe de Madame ARGELIÈS. Des sales gosses, vraiment. Ou jaloux. Ou impatients de passer au même genre de travaux pratiques ?
« Les Amoureux des bancs publics » c’est d’abord un joli texte, mais il y avait, vers la fin, ces mystérieux « toizarts », des « toizarts des rues », pour être précis. Je vous imagine aussi perplexes que je le fus : qu’est-ce qu’un toizart ? Et puis un jour, j’ai eu les paroles sous les yeux, et là, enfin, vint la lumière. « Ils s’apercevront émus Que c’est au hasard des rues Sur un de ces fameux bancs Qu’ils ont vécu le meilleur morceau de leur amour ». Eh oui, « c’est au hasard », mais avec la liaison, faite comme il faut. La Marseillaise m’a posé le même genre de problème, d’ailleurs, à peu près au même âge : je me demandais qui était ce soldat qui s’appelait Séféro. Ben oui, quoi : « Entendez-vous, dans les campagnes, Mugir Séféro ce soldat ? ». Passons.
LAURENCE avait – à l’époque, on s’entendait très bien – écrit un poème sur la page de garde de mon Brassens (Seghers, Poètes d’aujourd’hui, n° 99). Comme un idiot, je me le suis fait kidnapper en juin 1968. Et aucune demande de rançon ne m’a été adressée. Je le regrette encore, ce bouquin.
Celle de mes sœurs dont la chambre jouxtait la mienne écoutait « Les trompettes de la renommée ». J’appréciais particulièrement le père Duval. On a oublié le père DUVAL, curé et chanteur à la fois (« J’ai joué de la flûte sur la place du marché, mais personne avec moi n’a voulu chanter. »). BRASSENS lui a fait un sort éternel : « Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente, Avec le Père Duval, la calotte chantante, Lui le catéchumène, et moi l’énergumène, Il me laisse dire merde, je lui laisse dire amen. ».
J’aimais beaucoup, aussi, « L’amandier », à cause de la « bouche gourmande des filles du monde entier », évidemment : « Et mes lèvres sentent bon, et si tu me donnes une amande, je te donne un baiser fripon ». La fille mange tout : « Ma récolte était perdue », mais il n’a pas tout perdu : « Mais sa jolie bouche gourmande en baisers m’a tout rendu ».
09:56 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : georges brassens, littérature, poésie, chanson, musique, les amoureux des bancs publics, yves montand, la marseillaise, père duval, sète, paul valéry
dimanche, 14 août 2011
CIORAN : N'IMPORTE QUOI, MAIS QUEL STYLE !
Allez, je termine sur EMIL CIORAN.
Après Sur les cimes du désespoir, que j’ai considéré à la lecture un peu comme de la bouillie, j’ai attaqué Le Livre des leurres. Mais je ne suis pas sorti de la bouillie. En lisant : « Pour ceux qui ont dépassé la vie sans le vouloir… », je me pose la question : « Par la droite ? ». Et que pensez-vous de ceci : « Réjouis-toi de pouvoir, dans la confusion intérieure, être total ; de pouvoir en un instant actualiser tous les plans spirituels et toutes les oppositions. » ?
A partir de là, tout sera TOTAL : « Pourquoi vivre dans des fragments de temps, des bribes d’expériences alors que je suis capable à tout instant d’être tout en entier, de rendre actuelles toutes mes réalités et mes possibilités ? ». Ce ne sera plus que « paroxysme », « effervescence totale », « inquiétude totale », « expériences totales », « inquiétude absolue ». Il fait une différence entre « ceux qui sont tout à fait seuls » et « ceux qui le sont absolument ».
Ma parole, il y est resté, sur les cimes : « …ivre d’orgueil et d’extase vers les cimes ultimes de l’être… ». Il s’interroge plus loin : « La pensée ne mène-t-elle pas à tout ? ». J’ajoute : « A condition d’en sortir. ». Il note encore : « Ne pas oublier que les coups de poing, les cris, les gifles, la marche, le sport, les femmes, la vulgarité, sont à notre portée et que, par eux, nous pouvons gagner le combat dans le temps. ». Tiens, il a oublié le raton laveur.
Et puis, cette obsession du « nous », comme si ce qu’il ressentait était valable pour l’humanité entière, alors même qu’il déclare (p. 583) : « Il me suffit d’entendre quelqu’un parler sincèrement d’idéal, d’avenir, de philosophie, de l’entendre dire « nous » avec une inflexion d’assurance, d’invoquer les « autres », et de s’en estimer l’interprète, – pour que je le considère mon ennemi. ». La contradiction est ici aveuglante.
Dans ce Précis de décomposition, je sauverai quand même le premier chapitre, « Généalogie du fanatisme », qui me semble poser très bien ce qui est sous-jacent dans toute croyance : l’intégrisme. Si j’étais croyant, je serais fanatique, sauvagement intégriste, car toute croyance aspire à la totalité. C’est normal, puisque croire, c’est détenir LA Vérité. Pour tout croyant qui se respecte, il importe donc de combattre pour que tous l’admettent. Toute croyance a vocation universelle. Toute croyance est de nature totalitaire. Mais peut-on pour autant ne croire en rien ? C’est vrai que JACQUES BOUVERESSE a écrit un livre (Peut-on ne pas croire ? Agone, 2007) sur « la Vérité, la croyance et la foi ». Mais il est de fait que beaucoup déclarent ne croire en rien.
On a compris : je suis TOTALEMENT étranger à ce discours, et même d’un hermétisme brutal. Dans ces conditions, je ne vais pas continuer sur cette lancée à propos de Des Larmes et des saints, de Le Crépuscule des pensées, de Bréviaire des vaincus et de Précis de décomposition. Vous m’aurez laissé tomber bien avant. Pour résumer, je suis incapable de voir dans ce langage le récit d’une expérience intérieure : j’y vois des mots et, selon l’expression inventée par Le Canard enchaîné, des « paroles verbales ».
Allez, encore une gorgée de ce breuvage. « Comment pourrais-je oublier que je suis, quand l’excès de mort me délie de la mort ? » (Crépuscule). Quelqu’un peut-il me dire ce que signifie : « Un naufragé battu par toutes les vagues, projeté contre tous les rochers, aspiré par toutes les obscurités – et qui tiendrait le soleil dans ses bras ! » Et c'est le même gars qui dit pis que pendre de la poésie ! « La vie est éthérée et funèbre comme un suicide de papillon. » J’ai failli le dire ! « Je suis poète par tous les vers que je n’ai jamais écrits. » Et moi donc !
Et : « Pourvu que les cieux s’écroulent avant la ruine de l’esprit ! ». Et : « Même le suicide n’est qu’un hommage que nous rendons à nous-mêmes. » Ma foi, pourquoi pas ? La poésie ? « Elle nous fait descendre vers le suprême. » Il me l’ôte de la bouche. « Ne l’obligeons-nous pas [la mer] au reflux lorsque nous la regardons avec des yeux sans chagrin ? » « L’homme est le plus court chemin entre la vie et la mort. » Ça, ça me fait carrément marrer.
Bon, je ne vais pas m’acharner. EMIL CIORAN a sa statue, ses admirateurs. Ce que je peux dire, c’est qu’il est sans arrêt dans le paradoxe, l’exaltation, l’emphase, la généralisation, l’oxymore et la tautologie (« On croit sans croire et l’on vit sans vivre. »).
Alors, vous allez me demander pourquoi j’ai lu 737 pages des œuvres qui me sont à ce point étrangères. La question est légitime. Je répondrai d’abord qu’il y a quelque chose de fascinant dans la CONSTANCE du langage et du regard, dans la COHERENCE du propos. C’est étrange, mais il part d’une obsession, et il s’y tient, sans dévier d’un pouce de sa trajectoire. On peut considérer ce qu’il dit comme le symptôme d’une maladie, mais ce qui est sûr, c’est qu’il a trouvé une voie qui n’appartient qu’à lui, et qu’il explore avec la plus grande obstination.
Je répondrai ensuite que si je m’y suis tenu sur plus de 700 pages, c’est qu’il y a quelque chose d’unique dans le STYLE. En lisant Précis de décomposition, je vais vous dire, je suis fier d’être Français. Enfin quoi, voilà un Roumain qui se met à écrire en français avec la pureté de langue qu’on trouve dans Paradoxe sur le comédien de DIDEROT, et face à ça, tous les petits écrivailleurs que nos éditeurs actuels publient à tour de bras ne s’ensevelissent pas sous la honte des pelures de pommes de terre qui sortent de leur plume !
Moralité, quel dommage que CIORAN … que CIORAN quoi, au fait ? Non, rien.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, cioran, littérature française, style, précis de décomposition, jacques bouveresse
samedi, 13 août 2011
CIORAN : CE N'IMPORTE QUOI A DU STYLE
J’avais donc ouvert cette note sur le personnage de CIORAN. On connaît cet auteur en France par les aventures vécues récemment par ses Cahiers qu'une brocanteuse avait découverts dans sa cave. L’exécuteur testamentaire, YVES PEYRÉ, considérait qu’il n’y avait là que des débris. Erreur fatale ! Une mallette s’y trouvait, contenant les fameux cahiers, ceux justement qui formaient un « trou », jusque-là inexpliqué, après 1972. La brocanteuse vend les Cahiers aux enchères. La Bibliothèque Doucet, que dirige YVES PEYRÉ, fait arrêter la vente.
Car YVES PEYRÉ ne veut pas recommencer le pataquès qu’il a commis quelque temps auparavant, lorsque la compagne de RENÉ CHAR a voulu DONNER des archives, et qu’il a fait le dédaigneux. YVES PEYRÉ, on peut le considérer comme un auteur considérable, si l’on en juge par le nombre de ses ouvrages publiés. Il est en général tenu pour un bon poète. J’aime assez sa manière de parler d’un peintre qui me touche en profondeur, dans l’ouvrage qu’il consacre à JEAN FAUTRIER.
Mais avec CIORAN, il s’est planté. Il a dû ouvrir la porte de la cave et, après avoir vaguement aperçu le lieu à la lueur de sa lampe de poche, dégoûté, la refermer, laissant alors la brocanteuse s’emparer du trésor. Et le tribunal a tranché : les Cahiers restent à la brocanteuse, qui a toutefois promis de vendre en un seul bloc.
La notice sur CIORAN rédigée par le précédemment nommé MICHEL P. SCHMITT le présente comme un « moraliste et essayiste français, d’origine roumaine ». CIORAN, pour moi, c’était d’abord un nom, vaguement associé à la notion d’aphorisme, vous savez, ces phrases lapidaires dont la concision est censée contenir le maximum de substance, voire de sagesse. En général, c’est un milieu dense. Une sorte de « géante rouge » après sa réduction à l’état de « naine blanche » (c’est de l’astronomie). L’aphorisme est à la littérature française ce qu’est le haïku à la poésie japonaise.
CIORAN, son nom était aussi associé à un pessimisme radical, si radical qu’il en devenait paradoxal, pour ainsi dire invraisemblable. Un pessimisme intenable. A se demander pourquoi il ne s’était pas tiré une balle dans le crâne avant de commencer à écrire. Alors qu’il a vécu jusqu’à l’âge respectable de 84 ans (1911-1995). Conduire sa vie sur ce fil du rasoir sans se vider de son sang après quelques mètres, j’appelle ça être un virtuose. Mais c’est connu, les Français aiment les virtuoses roumains (DINU LIPATTI, RADU LUPU, SERGIU CELIBIDACHE, GUERASIM LUCA, …).
Et puis récemment, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. J’ai donc ouvert le volume intitulé Œuvres (Gallimard, 1995, collection Quarto). Un pavé (plus de 1700 pages), rassemblant les bouquins dans l’ordre chronologique. Et j’ai commencé par le début. Eh bien, j’avoue, je n’ai pas eu la force d’aller plus loin que la page 737, qui clôt Précis de décomposition, son premier livre écrit directement en français.
Le début s’appelle Sur les Cimes du désespoir. Bon, il a une excuse, il a vingt-deux ans. Et puis, c’est écrit en roumain, autre excuse possible. Pardon, je plaisante. Je veux bien qu’il ait écrit ça en référence à SØREN KIERKEGAARD, mais en lisant entre les lignes, j’ai surtout l’impression qu’il l’a fait après avoir subi un gigantesque désastre amoureux. Ce « chagrin d'amour », si c’est bien ça, jouerait en quelque sorte le rôle d’un cataclysme tragique et fondateur. Et qui plus est, qui a provoqué chez lui une insomnie pathologique, qui l’obligeait à marcher dans la nuit, dans les rues de Sibiu, où son père était pope. Au point qu’il peut affirmer : « Ce que j’ai de meilleur en moi, (…) c’est au désespoir que je le dois ». Ma foi, pourquoi pas ?
Moi, je dois être imperméable aux « cimes ». Par exemple, je ne comprends strictement rien à : « Le lyrisme total n’est rien d’autre que le destin porté au degré suprême de la connaissance de soi » (p. 57). Et puis pardon, quand je lis : « J’ai la nette impression d’avoir concentré en moi toute la souffrance de ce monde…. » (p. 54), j’entends avant tout : « Moi, moi, moi ».
Et je suis désolé, mais je pouffe en tombant sur : « Il est des expériences auxquelles on ne peut survivre ». Ce genre d’idée, on le trouve à la rigueur dans le Journal que tient un adolescent. « Dans ces moments extrêmes s’accomplit en moi une conversion au Rien. » Parfaitement. Et que pensez-vous de : « Je vous propose, quant à moi, la méthode de l’agonie… » ?
A suivre, peut-être.
09:02 | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 12 août 2011
CIORAN : DU STYLE ET DU N'IMPORTE QUOI
Introduction (avec digressions).
Dans le Dictionnaire des écrivains de langue française (Larousse, 2001), MICHEL P. SCHMITT est l’auteur de la notice sur EMIL MICHEL CIORAN. MICHEL P. SCHMITT (quelle sottise, entre nous, ce P. !), je l’ai connu. Il est le fils de JEANNETTE, décédée au début de 2011, le frère de BERNARD, qui navigue dans le cinéma, et l’oncle de BRIAN, qui était, la dernière fois que je l’ai entendu causer dans le poste, dans une boîte de post-production (ça a rapport avec le cinéma).
JEANNETTE avait une grande amie, ça datait de l’enfance, quand elle habitait derrière le cimetière de la Croix-Rousse. Elle s’appelait RUTH GOLDMAN, et fut la mère de JEAN-JACQUES GOLDMAN, directeur commercial de l’entreprise familiale d’articles de sport, devenu célèbre dans la musique de variétés, lui-même frère de PIERRE GOLDMAN, vous savez, l’auteur de Souvenirs obscurs d’un juif né en France, bandit innocenté du double meurtre des pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir, et assassiné en 1979.
BERNARD SCHMITT a réalisé des clips vidéo pour JEAN-JACQUES GOLDMAN, où JEANNETTE apparaissait surmontée d’un chapeau digne de l’hippodrome de Chantilly le jour du Prix de Diane. Je m’en suis voulu de ne plus lui avoir donné signe de vie après 1986. Je suis pourtant allé à ses obsèques, simplement pour lui dire adieu, pour dire adieu à une époque de ma vie qui a compté, et sur laquelle j’avais refermé la porte. A tort, je sais. Je m’en suis voulu. J'avais des liens somme toute amicaux avec elle.
Ses deux fils sont devenus, l’un un petit cinéaste (Pacific Palisad, que je n’ai pas vu, avec SOPHIE MARCEAU, 1990, est-ce que vous vous souvenez seulement de ce film ?). J'ai entendu dire qu’il a fini par mettre en scène les shows de JOHNNY HALLYDAY. L’autre, c’est donc MICHEL P., un universitaire moyen qui avait mis ses pas dans ceux d’un de ces apparatchiks qui sont arrivés à abîmer l’école publique à force d’idéologie dogmatique, de concepts abstraits et de pédagogisme fanatique. Il s’appelle ALAIN VIALA, et fut, hélas, directeur des programmes au sein de l’Education Nationale, et doté par ce fait du plus haut pouvoir de nuisance possible.
J’avais fourni un tout petit travail « sur le terrain », dans une classe où figurait son neveu BRIAN. Je ne m’en vante pas. Je n’avais même pas compris grand-chose aux enjeux de l’affaire. Ce qu’il fallait à ces gens, c’était, inspiré des méthodes « à l’américaine » (en passant, le P. de MICHEL P., c'est sans doute pour faire plus américain, moi je me gausse), et pour lutter contre l’intolérable à-peu-près dont se rendent coupables les professeurs et leur insupportable impressionnisme pédagogique, des « points de repère », comme une « écriture orthonormée », un cadre « scientifique », un fonctionnement « par objectifs », avec, s'il vous plaît, des « évaluations » d'étape, des « bilans» et des « récapitulatifs » comme s'il en pleuvait, qui sont aujourd’hui devenus les normes terroristes au sein du système éducatif, avec analyses sociologiques dûment estampillées « de gauche », au nom d’un égalitarisme qui aura finalement fonctionné comme la guillotine de 1793. Le mal que ces gens ont pu faire ! Et quand le mal est fait, c'est fini. Pardon pour la longueur du paragraphe.
Moi, je faisais justement partie des impressionnistes. J’étais un peu trop poète. Je faisais trop confiance à la créativité personnelle. Il eût fallu que je l’assumasse (et toc !), au lieu de m’asservir aux diktats de l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP). Mais que voulez-vous, j’ai l’esprit plutôt lent. J’aime faire la sieste. Et j’assume.
Bon, il faudrait peut-être que j’en arrive à mon sujet, vous ne croyez pas ?
Ce sera pour la prochaine fois.
09:56 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, johnny hallyday, jean-jacques goldman, pierre goldman, sophie marceau, alain viala, cioran
jeudi, 11 août 2011
LA COCHONNAISE (HYMNE NATIONAL)
CHANT DE GUERRE DE L'ARMEE DU GROIN
I
ALLONS GORETS DES PORCHERIES,
LE COUP DE GROIN VA ARRIVER !
CONTRE NOUS DE LA CHARCUTERIE,
ET LE LARD SANGLANT EST TRANCHÉ! (BIS)
ENTENDEZ DONC DANS LES BOUCHERIES
RUGIR CES TUEURS DE SUIDÉS,
ILS VIENNENT JUSQUE SOUS NOS PIEDS
EGORGER NOS PORCELETS, NOS TRUIES !
Refrain
AUX ARMES, LES COCHONS !
SORTEZ TOUS VOS LARDONS !
GRUIKONS GRUIKONS,
QU'AVEC DU SANG HUMAIN,
ON FASSE DU BOUDIN !
II
Tremblez, affreux bouchers perfides,
Lie infecte de l’humanité !
Tremblez ! Vos projets cochocides
Vont vous retomber sur le nez ! (bis)
Vous crèverez, tas de limaces,
Et si vous tuez nos pourceaux,
Nos truies en feront de nouveaux
Qui vous boufferont le pancréas !
Aux armes, les cochons, etc…
III
Amour sacré de nos rôtis,
Pourfends, achève tous ces branleurs !
Porcherie ! Porcherie chérie,
Aide-nous à en faire du beurre ! (bis)
Sous notre bannière, que notre lard,
Devienne le plus fort des poisons,
Que clamsent alors tous ces gloutons,
Bravo, cholestérol, indigestion !
Aux armes, les cochons, etc…
IV
Quoi, ces gros cons dégénérés
De notre graisse veulent s’empiffrer !
Quoi ces crétins décervelés
Passeraient leur temps à nous bouffer ! (bis)
Dieu ! Ils nous couperaient le groin
Et nous sectionneraient le chanfrein !
Et nos jambons et nos intestins
Présideraient à leurs hideux festins !
Aux armes, les cochons ! etc.
L’ANTI-COCHONNAISE (HYMNE)
1
Allons, enfants de la soierie,
Le jour de Lyon est arrivé.
Contre nous, de la porcherie,
Le cochon hideux est levé (beuark !).
Entendez-vous dans les campagnes
Gruiker ces énormes verrats ?
Ils viennent avec leur groin sournois
Déféquer leurs infâmes lasagnes.
Refrain
Aux armes, les canuts,
Tuez la cochonnaille.
Bouffons, bouffons
Les gros cayons,
Jusqu’à qu’on en peut plus !
2
Tremblez, cochons, et vous, cochettes,
Qui refusez de nous nourrir !
Tremblez, le tranchoir à gorgettes
Fera couler votre boudin !
Une forte « main vengeresse »
Fracassera vos crânes vains !
Et l’impitoyable canut
De vos gras fera maints abus.
Hommage à DIDIER FOND, blog http://fonddetiroir.hautetfort.com, en souvenir de la SALLE FUMEUR.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : la marseillaise, parodie, littérature