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jeudi, 07 juin 2012

LE MONDE, SUBVERSION DE SOI-MÊME

RÉSUMÉ : les critiques, dans toutes les disciplines de la création artistique (jusque dans le monde de la mode) crient au miracle et se rendent en longues processions dans les temples de la « Culture » pour se prosterner devant leurs grands prêtres, passés maîtres dans l’art de transgresser les règles admises, d’enfreindre les codes, de violer la morale, d’oser subvertir la société, de commettre des attentats contre l’ordre esthétique établi. Et pourtant, l’ancien monde n’a pas bougé, il est toujours debout. Comment se fait-ce ? 

 

N’allons pas chercher la réponse trop loin. Tout ce petit peuple qui mange aux multiples râteliers des Arts et des Lettres, tous ces laborieux tâcherons, plus ou moins lumineux, tous ces « révolutionnaires » qui ne font la « révolution » qu’à condition qu’elle soit subventionnée par l’Etat, - l’impeccable parce qu’intellectuellement intègre PHILIPPE MURAY les assaisonne dûment, en leur accolant généreusement la formule, délicieuse et parfaitement exacte, de « MUTINS DE PANURGE » (tiens, revoilà Panurge, décidément, on ne se débarrasse pas de Panurge). 

 

Et ce sont ces schtroumpfs qui déclarent que c’est eux qui changent le monde. Remarquez, BERNARD-HENRI LÉVY, dans son film Le Serment de Tobrouk, s’attribue bien la chute de KHADDAFI, pas à lui tout seul, mais pas loin ! Alors, au point où on en est. 

 

Sur les scènes de théâtre, de danse, d’expositions, de « performances », venez braves gens, voyez défiler la longue cohorte des MUTINS grassement rémunérés, des INSOUMIS fonctionnaires, des DISSIDENTS en mission officielle, des REVOLTÉS conformes, des REBELLES uniformisés.

 

 

Leur profession de foi ? « En dehors » ! (A condition que ça reste confortable.) Remarquez, on a vu récemment se présenter à la présidentielle un candidat paraît-il « anti-système », copain du dit BERNARD-HENRI LÉVY, qui venait de passer cinq ans à l’Elysée. Comme il disait en 2007, SARKOZY : « Tout devient possible ».

 

Si, si, c’est possible, le mec du système qui devient anti-système du jour au lendemain. J’entends quelques-uns soupirer : « On a déjà tout vu ». Et moi, je rétorque finement : « Non, messieurs, s’agissant de propagande, vous n’avez pas encore tout vu ». Attendez la propagande « socialiste », avant de prononcer un jugement. J’espère qu’il ne vous faudra pas trop de « neutralité » pour avouer que vous avez méchamment déchanté. 

 

Il suffit de savoir qu’on appelle aujourd’hui « subversion » ce qu’on appelait il n’y a pas si longtemps « conformisme ». C’est juste une question de vocabulaire, comme dans 1984 de GEORGE ORWELL. Il suffit d’appeler l’esclavage « liberté » pour que tout le peuple d’esclaves soit aussitôt déclaré « libre ». ORWELL appelait ça la « novlangue ». C’est un autre nom pour la « magie du verbe ». Certains appellent ça la « publicité ». Je trouve que c’est assez bien vu : l’inversion est une figure bien connu des publicitaires. 

 

La VÉRITÉ vraie, vous voulez que je vous dise, c’est qu’aujourd’hui, plus rien et plus personne au monde n’est en mesure d’introduire la plus petite once de SUBVERSION dans l’ordre du monde. La vérité vraie, c’est que toutes les tentatives, tous les efforts de subversion de l’ordre établi effectués jusqu’à présent ont échoué, y compris et au premier chef la révolution « communiste », dont les piques ont fini par s’enfoncer dans l’édredon insondable de l’ordre du monde. 

 

Et cela, pour une raison unique : si toute subversion de la société est devenue rigoureusement impossible, c’est que nous avons inventé la SOCIÉTÉ DE LA SUBVERSION. Notre société a accompli le tour de force d’adopter pour base et principe premier de fonctionnement la révolution constante, le bouleversement de tout à tout moment. Aujourd’hui, il est interdit de ne pas être « subversif ». 

 

Le monde tel qu’il est organisé a fait de sa propre SUBVERSION le moteur même qui l’anime. Pour éliminer tout risque de destruction par des forces extérieures à elle, il s’est débrouillé pour intégrer dans ses fibres mêmes les forces de sa propre négation. 

 

Pourquoi croyez-vous qu’un « puissant » comme Monsieur FRANÇOIS PINAULT dépense à plaisir beaucoup d’argent dans son immense Palazzo Grassi à Venise, pour abriter sa collection d’art « subversif » (qu’on appelle « art contemporain ») ? Pourquoi croyez-vous que Monsieur AILLAGON demande à des gens comme JEFF KOONS ou TAKASHI MURAKAMI de profaner le site historique de Versailles avec leurs déjections excrémentielles, ostensiblement encensées ?

 

C'est pour ça qu'il ne saurait plus y avoir de « menées subversives » dirigées contre l'ordre établi, puisque l'ordre établi est précisément établi sur la subversion en action, la subversion permanente. Il est là, le nouveau conformisme.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

A suivre dans quelques jours.

lundi, 24 octobre 2011

PEINTURE : ELOGE DE GERARD TITUS-CARMEL

Parlez-moi, si vous voulez, de GERARD TITUS-CARMEL, bien qu’il soit beaucoup moins confidentiel. Sa peinture (parce que, figurez-vous, il fait de la peinture) est celle d’un INDIVIDU. J’ai découvert les dessins de GERARD TITUS-CARMEL dans le volume des Actes d’un colloque qui s’est tenu en 1970 à Cluny (p. 86 et suivantes). Quelques-unes des 25 Variations sur l’Idée de Rupture. Des dessins d’une netteté de scalpel. Des tiges (en métal ?) attaquées par des forces adverses, soit torturantes, soit entaillantes, soit bourgeonnantes, etc. Enfin, tous les genres de déformations qui peuvent s’attaquer au lisse de l’objet sorti de la perfection manufacturière.

 

 

J’ai connu un excellent poète (un peu hermétique, hélas) du nom de  JACQUES DUPIN. Son gagne-pain, s’il est vrai que les poètes aussi doivent manger, consistait à administrer la galerie LELONG, 13, rue de Téhéran à Paris, dans le 8ème arrondissement. Une galerie abritant un certain nombre d’artistes considérables, comme PIERRE ALECHINSKY, le déjanté BARRY FLANAGAN, professeur agrégé de lapins en bronze  qui, je crois, a quitté ce monde, ERNEST PIGNON-ERNEST, PAUL REBEYROLLE ou ANTONI TAPIES, pour citer mes préférés. 

 

 

LELONG avait sous contrat (et peut-être encore) GERARD TITUS-CARMEL. Au fait j’avais oublié de préciser que l’un des vins préférés de JACQUES DUPIN était le Saint Joseph, si j’en crois un repas pris au restaurant, à présent disparu, « A Bon vin point d’enseigne ». J’ai toujours le bouquin absolument formidable de ses (pas DUPIN, mais TITUS-CARMEL) dessins 1971-1979 (Editions Maeght). Je vous jure, sa fascination pour les diverses manières dont la matière pure se dégrade est elle-même fascinante. Ce qui est merveilleux, ici, ce ne sont pas les textes, estimables (entre autres GILBERT LASCAULT, pas le premier venu),  mais les dessins.

 

 

On y voit « 20 variations sur l’idée de détérioration », « 17 exemples d’altération d’une sphère », « 7 démontages » : je pense en les regardant au travail qu’on demande au peintre dans les livres de botanique et de zoologie. Vous savez qu’une photo de fleur ou d’animal, censée représenter fidèlement son objet, n’arrivera jamais à la cheville de ce travail du peintre. La faiblesse de la photo, c’est qu’elle ne saisit qu’un seul moment, une seule lumière, un seul contexte. Dans la réalité, impossible de retrouver quoi que ce soit sur la base d’une photo.

 

 

Le dessin et la peinture qui, faisant figurer TOUTES les informations nécessaires sur l’illustration, synthétisent tout ce qu’il faut savoir de la Centranthe rouge, de la Picride fausse Vipérine ou de la Lysimaque des bois, sont incomparablement, infiniment supérieurs pour vous apprendre à vous y retrouver. La photo, c’est l’instant isolé. Le dessin, la peinture de la chose, c’est la permanence, la quintessence de la chose, un peu de son éternité. Rien à voir.

 

 

Eh bien GERARD TITUS-CARMEL possède cet ordre d’exactitude et de précision scientifiques. Impossible de vous tromper : quand vous tomberez sur une sphère dégradée, ce qui ne peut manquer d’arriver, n’est-ce pas, ce sera forcément un dessin de G. T.-C. Un conseil, gardez-le précieusement. J’ai fait il y a longtemps la bêtise de ne pas m’endetter pour acheter quelques œuvres qui étaient montrées rue Auguste-Comte. Je m’en mords encore les doigts. Remarquez, j’ai fait la même bêtise dans la même rue, s’agissant de linogravures de JEAN-MARC SCANREIGH, mais aussi à la galerie « L’œil écoute », pour un fabuleux tableau de SERGE PLAGNOL, alors … Si ce n'est pas de la récidive, ça... 

 

C’est la même précision et la même exactitude qui commandent aux « Démontages », aux « Déambulatoires », avec toujours le souci de marier en les distinguant à l’extrême les matières (bois, métal, ficelle, chiffon, fourrure), dans des dispositifs agencés selon une logique implacable mais mystérieuse. Les « Déambulatoires » comme des cadres de tableau où le tableau importe peu. Cela pourrait facilement virer à la préciosité. Même genre de travail avec les « Four seans sticks », la « Suite italienne », les « Noren », les « Constructions frêles ».

 

 

Il y a quelque chose de japonais dans le regard de GERARD TITUS-CARMEL sur les choses. Que ce soit dans la cuisine ou l’aménagement de la maison, les Japonais aiment confronter des matières dont les êtres sont opposés, par exemple le rugueux noirâtre et mat de la fonte confronté à un couvercle de porcelaine lisse et colorée, ou le cylindre vénérable d’un pilier de bois non travaillé sur le fond de laque brillante  noire et rouge de cette loge ménagée dans le mur de la pièce principale.

 

  

Je m’enorgueillis de posséder le catalogue intitulé « The Pocket Size Tlingit Coffin » (ou « cercueil tlingit de poche », les Tlingit étant une peuplade d’Alaska), non pas pour l’indigeste et rébarbatif baratin de monsieur JACQUES DERRIDA en personne (mais on a l'habitude), dont les premiers mots sont : « 30 novembre 1977. – et ainsi du reste, sans précédent. ». Voilà, vous savez tout du baratin, pas besoin de lire tout le filandreux qui suit, que DERRIDA  a chié en se tordant les boyaux de la tête (mais on va dire que je suis bêtement anti-intellectuel, ce qui est peut-être vrai).

 

 

Ce cercueil, d’abord, il faut savoir que c’en est un, tellement ça a l’air d’un jouet. Soit une petite boîte en acajou (environ 10 centimètres de long), fermée par une plaque d’altuglass, et comportant différentes petites pièces d’accastillage. Si vous avez aimé les séries de GERARD TITUS-CARMEL, là, vous serez servis : 127 fois exactement. C'est exactement comme ça qu'ANTOINE PARMENTIER a converti LOUIS XVI aux patates. Le même mets, accommodé de 127 manières différentes. Et pas deux pareilles : au crayon, à l’encre, à l’aquarelle, au trait, en à-plat, comme s’il voulait récapituler les trésors des techniques graphiques.

 

 

Cela me fait penser à un bouquin de GEORGES PEREC : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Si c’est un petit « cercueil » (rien n’est moins sûr), GERARD TITUS-CARMEL s’efforce de l’épuiser, de le vider de toute la force qu’il possède. Malheureusement, en même temps qu’il le vide, par le fait même il le renforce. L’objet irréductible devient en soi un défi. En voulant en venir à bout, le peintre l’élève en majesté. « Damnation, encore raté. » D’où cette fuite dans toutes sortes de « séries ». J’ai le même respect pour les « Intérieurs », « Eclats & Caparaçons », « Suite Chancay ». Respect à cause du respect de l’artiste pour les choses.

 

 

Moralité : le réel est inépuisable, tout simplement parce qu’il ne nous paraît mangeable qu’au prix d’un désespoir et d’une illusion. Je me demande si ce n’est pas pour ça que nous nous vengeons de lui en consommant physiquement la planète.

 

 

Ce que je reproche finalement à tous les « fabricateurs » et autres « truqueurs » contemporains qui s’intitulent « artistes », c’est une incroyable arrogance face au monde, auquel ils croient pouvoir impunément substituer le leur. Comme s’ils avaient un monde ! Comme s’ils étaient un monde ! Ils posent leur unique idée sur les trottoirs de la culture comme on voit les merdes de chiens sur les trottoirs des villes, à la façon des mystificateurs JEFF KOONS ou TAKASHI MURAKAMI, des clowns qu’un snob désinvolte et dégénéré, avide de bruit médiatique (JEAN-JACQUES AILLAGON) a laissés récemment souiller le château de Versailles de leurs déjections.

 

 

Au temps de LOUIS XIV, la puanteur était une réalité quotidienne (due à l’absence totale de « toilettes »). Cette fois, c’est l’aristocratie en place  qui fait tomber des trous du cul des « élites » cette bouse nauséabonde. Une telle ARROGANCE est d’origine biblique (« Tu seras possesseur et maître de la nature »), et a quelque chose à voir avec celle de l’Occident, qui a plié le monde à sa discipline. Il faudra que je revienne là-dessus. Rien de tel chez GERARD TITUS-CARMEL. Dieu merci.

 

 

 

Dire que je n'ai même pas parlé de l'oeuvre poétique de GERARD TITUS-CARMEL ! Car il en a publié, le diable d'homme. Très souvent chez Fata Morgana (La Tombée, Le Motif du fleuve, Instance de l'orée, Gris de Payne), mais pas seulement.

 

 

Fin de la série, pour le moment.