jeudi, 20 octobre 2011
SONNETTE POUR VIOLON SALE (5)
Puisque j’en suis aux Américains, il n’y a pas que JOHN CAGE dans la vie (mais il faudra que je précise quand même pourquoi, avec ce monsieur, il y a un gros quelque chose qui cloche). Ce qui est bien avec l’Amérique, c’est qu’elle produit bien souvent le pire, mais aussi, de temps en temps, le meilleur. Les principaux « répétitifs » sont TERRY RILEY, STEVE REICH, PHILIP GLASS, LA MONTE YOUNG.
La salle s’appelait à l’époque « Théâtre du 8ème ». C’était au fin fond du Bachut. C’est devenu « Maison de la danse ». C’est là que j’ai assisté à un concert de TERRY RILEY. Je devrais dire Maître TERRY RILEY : avant le concert, c’est comme toutes les salles de concert, ça pérore, ça discute, ça s’interpelle, il y a un bruit de fond, comme un train qui passe au loin. Les lumières s’éteignent, la scène s’éclaire : un clavier sur le sol, et devant, une dizaine de roses disposées en couronne en bord de scène.
Une femme vient faire une annonce : « Pendant le concert, le Maître ne veut pas de photos ». Ça tombait bien, je n’avais pas d’appareil. Le Maître, en vêtements clairs, coupés à l’indienne, c’est-à-dire amples, s’assied devant le clavier, et commence à jouer. Je pense que si ce n’était pas Persian surgery dervishes, c’était quelque chose d’approchant. Ce qu’on appelait « musique répétitive ». Mettons que décor et mise en scène étaient « en plus ».
Je viens de réécouter In C, de TERRY RILEY, pas la version de 1990 qui dure 20’, mais la version de 1995, en 76’20’’, celle du 25ème anniversaire. Ailleurs qu’en France, C, ça veut dire « do ». Toute la pièce (« répétitive ») est en do. Pour vous dire si c’est bien, il y a trente-deux musiciens dans le studio, et à la fin, après un temps de silence complet, deux mains claquent, et alors tous les musiciens applaudissent. Ils applaudissent la musique. Ils sont heureux d'avoir participé à ça. Il n’y a pas à dire : cette musique procure de la joie. Il faut simplement laisser faire la musique, et bien écouter.
Un autre « répétitif », de belle carrure aussi : STEVE REICH. Je n’ai rien de particulier à dire du bonhomme. Ce que je sais, c’est que sa musique tient la route et que j’écoute ses disques régulièrement. Je passerai vite sur You are (variations), pour mentionner Six pianos, bien dans la veine citée et parfaitement écoutable. Mais si on veut avoir une idée de la dimension de sa musique, je conseillerai de commencer avec Different trains (joué par le KRONOS QUARTET), Music for 18 Musicians (une petite heure), et de terminer par The Desert music. Si vous ne connaissez pas, un monde nouveau s'ouvre à vous.
Un petit mot sur la musique « répétitive » (dite aussi « minimaliste ») : il ne faut pas partir sur l’idée que ça ressemble, mettons, à une sonate de MOZART, où l’artiste, d’une certaine manière, « raconte une histoire », dans laquelle les inflexions de la mélodie et les modulations harmoniques décrivent une sorte de succession événementielle. Ce n’est pas comme ça qu’on écoute la musique de STEVE REICH et des autres : c’est une musique statique qui dessine une « atmosphère » de mouvements internes qui respirent. Il y a quelque chose de « primitif » qu’il faut laisser pénétrer, ou dans lequel il faut accepter d’entrer en laissant faire la notion de durée.
Je ne dirai rien de LA MONTE YOUNG, dont je connais trop mal la musique, pour me tourner vers PHILIP GLASS, dont le nom est relativement connu, du fait de ses apparitions lors de la projection de films muets, avec ou sans le KRONOS QUARTET, et de sa trilogie opératique en l’honneur des plus grands bienfaiteurs de l’humanité (selon lui) : Einstein on the beach, Satyagraha (GANDHI en Afrique du sud) et Akhnaten (en l’honneur du premier et seul pharaon monothéiste Akhénaton).
Pour tout dire, ses opéras sont, comment dire … longs. Mais il y a quelque chose de fascinant dans ses quatuors à cordes (et dans ses autres œuvres). Le « style » de PHILIP GLASS, sa « marque de fabrique », ce sont des mouvements arpégés, pas forcément à l’unisson, qui ont, là encore, un effet hypnotique. Ecoutez sa musique pour le film Dracula, de TOD BROWNING : le finale, où le professeur Van Helsing plante un pieu dans le coeur du vampire, est fait d'arpèges du quatuor KRONOS, on est obligé de reconnaître la puissance évocatrice de cette musique. J’entendais tout à l’heure STEVE REICH nier rechercher un effet de « transe ». Je suis assez d’accord, mais je redis que cette musique ne peut pas s’écouter comme une musique européenne ordinaire, qu'elle a quelque chose d'hypnotique.
PHILIP GLASS a écrit beaucoup de musique. Pour sa trilogie d’opéras, je conseillerai surtout Einstein on the beach, ou même, tout simplement, le disque Songs of the trilogy, compilation suffisante. A écouter aussi : Solo piano, de et par PHILIP GLASS. Mais moi, franchement, si j’avais à dire une préférence, je prendrais sans hésiter le disque de ses quatuors à cordes (n° 2, 3, 4, 5), évidemment par le KRONOS QUARTET. Le sommet est le quatuor dit "Buczak".
Le dernier Américain par lequel je ferai un détour s’appelle GAVIN BRYARS, ’pataphysicien de son état, et auteur à ce titre de la partition Prélude à la rrose (quoi ?). Avec l’orthographe conforme, comme de juste. Un jour, j’ai passé le disque intitulé Jesus’ Blood never failed me yet, une somme de 74 minutes répétant une séquence incluant la phrase ci-dessus, inlassablement psalmodiée (plutôt que chantée) d’abord par un authentique « tramp », puis par TOM WAITS en personne, excusez du peu. Ma fille a manqué devenir folle. J’en ai conclu qu’elle manquait encore de maturité.
The Last days est un disque de quatuors à cordes. GAVIN BRYARS ne travaille pas avec le KRONOS, mais avec le BALANESCU QUARTET. Très valable. Quatre belles pièces dans After the Requiem. Ce que j’aime bien chez les Américains, c’est la plasticité de leurs formations orchestrales ou chambristes, et l’absence de préjugés sur les étiquettes. On a vu passer le nom de TOM WAITS. Ici, c’est le guitariste de jazz BILL FRISELL qui intervient.
On peut se laisser tenter par Vita nova, produit chez ECM par MANFRED EICHER, par Farewell to philosophy, dans lequel intervient le grand bassiste de jazz CHARLIE HADEN, un peu moins par A Man in a room, gambling, mais c’est un avis personnel. Ma préférence va cependant à The Sinking of the Titanic, où GAVIN BRYARS imagine d’un indéniable force la chute du navire de zéro à quatre mille mètres de profondeur, avec tout ce qu’on peut entendre de bruits divers sous la mer, accompagné par le cantique joué sans discontinuer par le quatuor à cordes de l’équipage, comme le veut la légende. Un travail extraordinaire.
Fermeture de la parenthèse américaine.
A suivre, peut-être.
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