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samedi, 29 octobre 2011

L'ENFANT ÜBER ALLES (2)

EPISODE 2 : la poussette et la horde barbare

 

 

Première petite parenthèse (adamantine).

 

 

FERNAND RAYNAUD s’est écrasé sur le mur du cimetière du Cheix (ou Le-Cheix-sur-Morge, 63), un 28 septembre 1973, mais il l’a fait avec classe. Pensez donc, un coupé Rolls-Royce « silver ghost » ! Il y a pire, comme cercueil. Bon, c’est vrai, il n’est peut-être pas enterré dedans. Il est un peu oublié, le pôvre, mais il eut son heure de gloire. La preuve, c’est la Rolls. Il l’avait achetée en faisant rire. Et même bidonner, voire tirebouchonner. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, il roulerait en Rolls. M’enfin, il se serait peut-être adapté.

 

 

Il devait être, une fois de plus, complètement bourré. A moins que ce ne soient les freins qui aient lâché : il racontait comme une blague que le voyant « brakes » (= freins) restait constamment allumé. Une fois, il avait pris en stop deux copines, J. et J. Trente secondes après, il leur demandait si elles étaient lesbiennes, avant de leur proposer la botte. Bon, c’était presque vrai : elles étaient aussi lesbiennes. Il ne s’embarrassait pas d’entrées en matière. Pas comme ici, diront certains.

 

 

J’y viens donc. FERNAND RAYNAUD racontait des histoires drôles. Entre autres, celle du père qui donne un ordre à son fils : « Toto, mange ta soupe ! – Non j’la mangerai pas ». Ce qui m’intéresse, quand le gamin se met à hurler, c’est les voisins qui crient : « Bourreau d’enfant ! ». C’était dans les années 1960. C’est le titre du sketch, visible sur internet.

 

 

La fin du sketch explique très bien qu’en certaines occasions, le parent puisse avoir envie de transformer sa progéniture en tache de sang sur le mur avec les os incrustés dedans : le père qui a été obligé par l’infernal chérubin d’acheter une saucisse, puis d’en manger une moitié, l’entend hurler pour finir : « Ouiiiin ! T’as mangé le morceau que j'voulais ! ».

 

 

Fin de la parenthèse adamantine.

 

 

C’était donc vrai, ce qu’on m’avait dit, que je ne voulais pas le croire : l’enfant n’est pas ce parangon d’innocence et de vertu qu’un certain catéchisme qui se dit « moderne » voudrait nous peindre dans les teintes pastel les plus tendres et les plus veloutées !?! Parce que l’ange à tête blonde se double, en filigrane, du pervers le plus égoïste, le plus endurci et le plus polymorphe qui se puisse trouver sous le ciel.

 

 

La divinisation de l’enfant ne date certes pas d’aujourd’hui. On la trouve, depuis un temps, à l’état endémique, mais souvent en phase critique (= de crise). Et ça commence à bien faire. Les lieux de la divinisation sont peu nombreux. Le domicile étant inaccessible, voire inavouable, après avoir vu le supermarché, il nous reste la rue, les transports en commun et les cafés. Je vous donne un exemple. L’autre jour, dans le bus, je m’assieds à côté de la porte centrale. Un gamin est là, debout tout contre, qui garde fermement le pouce appuyé sur le bouton d’ouverture, empêchant résolument la fermeture.

 

 

Je lui dis : « Tu sais, il ne faut pas appuyer sur le bouton tout le temps ». La mère, qui veillait pas loin, aussitôt : « Monsieur, c’est bien à vous de faire la morale à mon enfant, alors que vous venez de le bousculer ! ». « Faire la morale » ! « Bousculé » ! J’avoue qu’après avoir remis la dame et son merdeux à leur place, l’état mental de la personne m’a valu un court instant de perplexité.

 

 

Il y a aussi cette grappe de collégiennes, dans le métro, qui hurlent leur hystérie, trépignent leur surexcitation et vocifèrent dans leurs courses désordonnées. Bref : des merdeuses exaspérantes. A haute voix, je les compare à une troupe de chiennes en fureur, sans doute même en chaleur. La rombière à côté de moi, sans doute mazoutée pour le compte, comme un vulgaire guillemot de Troïl après une marée noire, prend un air enjoué, léger, presque flûté, pour comparer cette cacophonie stridente à un gazouillis d’oiseaux. « Espèce d’oie faisandée ! » Et n’ai-je pas vu une bergère entre deux âges offrir sa place assise non à la femme enceinte en phase terminale qui vient de monter, mais à son minot qui ne demandait rien ?

 

 

J’ai fini par comprendre (c’est vrai, je suis un peu lent) le sens de l’expression : « Il faut mettre l’enfant au centre », vous savez, ce slogan qui sortait à jet continu, il n’y a pas si longtemps, des groins politiques, des claque-merde économiques et des dégueuloirs des autorités éducatives. En fait, ça ne veut rien dire d’autre que : « Il faut donner la priorité absolue à l’enfant sur toute autre catégorie de personnes ». Les vieillards seront bientôt priés de céder leur place assise aux chiards, et bientôt les crèches capteront à leur profit la manne publique auparavant destinée aux maisons de retraite. On n’y est pas encore.

 

 

Cette caricature comporte cependant une part de vrai. Regardez calmement ce qui se passe : on parque un peu plus les vieux tous les jours. Bon, c’est vrai qu’ils s’incrustent. Vrai aussi qu’ils radotent. Vrai encore qu’il y en a une demi-douzaine qui bavent, et deux ou trois qui font pire. Pendant ce temps, voyez s’instaurer, dans les rues, dans les magasins, dans les bus et métros, le règne absolu de la poussette.

 

 

Et pas la petite poussette, discrète comme une trottinette qu’on suspend à l’épaule le temps d’une emplette. Non : la poussette agressive comme un char d’assaut, la poussette qui n’a pas besoin, sur fond blanc, d’une grande croix sanguinolente sur ses flancs pour impressionner et faire taire toute la compagnie, et qui, dans un espace de bus calculé au millimètre, occupe victorieusement tout le terrain, impose ses dimensions redoutables par sa seule présence. Ah, elle est bien finie, l’époque du Petit Poucet. Place à la Grosse Poussette ! Mes excuses, je me laisse aller à la facilité. 

 

 

A se demander si les femmes, sous nos climats, ne font pas tant d’enfants dans le but exclusif d’exercer le pouvoir. Vous avez vu, dans les rues, le nombre effrayant de gros ventres ? Pas un grand pouvoir, certes. Disons, un simple pouvoir de petite nuisance qui s’exerce dans l’espace public. Soyez franches, mesdames : quand vous êtes en cloque, n’y a-t-il aucun pressentiment des droits que vous aurez conquis sitôt que vous aurez retrouvé le ventre plat (dans le plus optimiste des cas) ? Car il faut s’en convaincre : un gros ventre croisé dans la rue aujourd’hui, c'est une poussette dans le bus demain. SARKOZY lui-même y travaille.

 

 

Et je ne vous décris pas le tableau quand un fauteuil roulant entre dans la danse, de préférence aux heures de pointe, sinon ça ne ferait pas rire. Rien de plus désopilant et féroce que cette concurrence sans merci entre l’infirme sûr de ses droits et la mère conquérante. Ben aussi, il faut les comprendre : chacun veille au mieux à ses intérêts, au prorata de son handicap. Le plus mal loti dans l’affaire, c’est encore le vieillard, face au risque d’écrasement auquel il est confronté. Il n’est pas de taille à lutter contre une poussette et un fauteuil ligués à l’occasion pour l’occupation de l’espace. Il n’a plus qu’à se rabougrir sur son siège, encore heureux s’il est assis.

 

 

Cette bataille des faibles pour la prééminence peut bien tourner à l’avantage de l’un ou de l’autre des adversaires, je sais bien, quant à moi, qui perd : le bête adulte valide, contraint de se faire petit, de se réfugier dans les coins, de s’entasser contre ses « semblables en infortune », en essayant de garder ses orteils à peu près en état de marche. L’adulte valide, il a presque honte d’être à la fois adulte et valide. Mais faut-il être assez bête pour cumuler ainsi les handicaps ? Peut-être même qu’il regrette de ne pas avoir même une béquille à brandir.

 

 

Et qui sait ? Une béquille fièrement arborée ne serait-elle pas un moyen de se faire enfin une place, oh, pas une bien grande, un tout petit espace, grâce à une minuscule intimidation ? Si cette hypothèse donne des idées à quelqu’un, merci toutefois de ne pas en abuser. Vous imaginez bien que le subterfuge serait vite découvert en cas de prolifération de béquilles dans les espaces publics. Ce serait aussi gros qu'une épidémie de Ventoline dans les rangs du Peloton du Tour de France. Ce qu'à Dieu ne plaise !!!

 

 

Même chose pour la canne blanche, dont on m’a dit qu’elle produit les meilleurs effets. Encore que, pour faire un aveugle crédible, il faille un véritable entraînement, si possible conduit par le PHILIPPE LUCAS de LAURE MANAUDOU, pas parce que son élément est liquide, mais parce qu’il sait ce qu’entraîner veut dire. Voyez la nageuse, elle n’a jamais été aussi belle que sous la férule et la houlette de son entraîneur. On voit que ça lui a réussi, la férule et la houlette de l'homme !

 

 

Nous avons laissé le polichinelle dans sa poussette. Lui, royal, tranquille comme Baptiste, il a une vue imprenable sur les plis au genou des pantalons et les mollets féminins, parfois un attaché-case (ou autre bagage authentique ou supposé) : ça le dégoûte vaguement, parce qu’il ignore encore son propre avenir. De trois choses l’une : soit il gazouille, soit il vocifère, soit il dort. Imaginons-le dans la troisième, et laissons-le à sa sieste.

 

 

A suivre …