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mardi, 21 août 2012

DES NOUVELLES DE GABRIEL

Le Gabriel de Pauline et Xavier, je vous signale, il date déjà du 31 mars. Il serait donc temps que j’en donne des nouvelles. Parce que la maternité, finalement, c’est déjà très loin : bientôt 5 mois. Autant dire une éternité. Mais la maternité qui n'a qu'un temps, c'est un lieu, rien de plus, un passage obligé. Ensuite, on entre dans le sérieux, dans le dur, dans le fort. Dans le définitif. Ça s'appelle aussi la maternité. Et la paternité. Parce que la paternité, on me racontera ce qu'on voudra, ça commence à la naissance du premier. Comme la maternité pour la mère aussi, je sais.

 

Le voilà donc le jour J : lancement de la fusée. Le premier étage. Notez bien que les étages suivants ne s'empilent pas en hauteur : ils se substituent. Ils délogent l'étage d'avant. Comme un jour déloge le jour précédent. Finalement, ça ressemble bigrement à ce qui se passe aussi pour nous. Sauf que nous, on commence à être habitués à oublier le jour précédent. Et surtout, à oublier qu'on est moins beau, vous ne trouvez pas ? Tiens, jetez un oeil, si vous ne me croyez pas.

GABRIEL, le 31 mars, jour J.

 

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 GABRIEL, le 7 avril.

 

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GABRIEL, le 11 mai.

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GABRIEL, le 22 juin.

 

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GABRIEL, le 23 juillet.

 

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Celle que je préfère, c’est évidemment la dernière. Avouez qu’ « il n’est pas fatigant à regarder », comme dit mon ami Yves, parlant toutefois d’autre chose. Elle date du 11 août. Eh oui, en 10 jours, qu'est-ce qu'il a dû changer, depuis !

GABRIEL, le 11 août. Je vous garantis que c'est vrai.

 

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C'EST PAS FORMIDABLE, ÇA ?

 

Voilà donc six photos. Bientôt cinq mois. C'est peu, mais c'est déjà pas mal, et puis ça parle bien, vous ne trouvez pas ? Ce serait comme une histoire qui a commencé à se raconter. Pas toute seule, mais à sa façon unique. Un grande traversée en perspective. Mais un tour du monde à la voile, ça se prépare. Et les préparatifs, tels qu'on peut les voir ici, laissent bien augurer de la suite. La mise à l'eau de l'embarcation s'est déroulée à la perfection. Bravo aux deux ouvriers du chantier naval. Et merci.

 

C'est qui, le poète ? Ah oui : KHALIL GIBRAN.

 

Vos enfants ne sont pas vos enfants.

Ils sont les fils et les filles de l'appel de la vie à elle-même

Ils viennent à travers vous, mais non de vous.

Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.

 

C'est le début. Mais vous connaissez la suite. Je ne suis pas fou de ce qu'écrit KHALIL GIBRAN, mais il y a de bonnes choses à prendre. Ces quelques vers en font partie, selon moi.

 

Bon vent, petit marin Gabriel ! Bonne traversée ! Que les vents du ciel te soient favorables ! Que les cieux te soient cléments ! Que les flots te soient magnanimes ! C'est mon voeu le plus cher.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

jeudi, 03 novembre 2011

L'ENFANT A LA SAUCE ONU

DIGRESSION : de l’importance des grands sentiments internationaux.

 

 

Tout laisse à penser que la tyrannie exercée à l’encontre des enfants a été définitivement balayée de notre meilleur des mondes. La meilleure preuve en est donnée par l’étalage des grands sentiments, au premier rang desquels figurent les grands sentiments internationaux.

 

 

Qu’on se le dise : contrairement à ce que laisse entendre un ménestrel du nom de GEORGES BRASSENS (« et les grands sentiments n’étaient pas de rigueur », c’est dans « Les Amours d’antan »), les grands sentiments internationaux sont de rigueur, comme les huit jours infligés au bidasse qui fait basculer la roue avant du camion dans la fosse d’évacuation des cuisines en roulant sur la plaque métallique qui la dissimule lâchement. Mais il n’y a plus de service militaire obligatoire.

 

 

Et pour que nul n’en ignore, il a été décidé d’apposer dans toutes les salles de classe la « Convention Internationale des Droits de l’Enfant ». Cette attrayante feuille dépliable et en couleur a été collée ou piquée dans le mur et, sans doute à force d’avoir été lue et relue par des jeunes avides d’apprendre ce qu’il ne sera plus désormais licite de leur faire subir, commence en général assez vite à montrer des signes de fatigue aux pliures et aux points d’attache, et tend d’elle-même à se décomposer sous le poids déchirant de sa propre importance.

 

 

On comprend l’avidité des jeunes yeux à la lecture de ce long poème lyrique de cinquante-quatre articles eux-mêmes subdivisés en des strophes d’importance variée, signalées suivant le cas par un grand I, ou un petit 1, voire un petit a (au total plus d’une centaine de subdivisions, sans doute dans le souci d’aérer le texte et d’en rendre la lecture plus facile), et rédigées par l’armée austère des juristes internationaux les plus qualifiés et les mieux dotés de la nécessaire et solide fibre poético-juridique, qu’on a vu se manifester avec un succès comparable dans la langue ô combien limpide de la « Constitution Européenne » de célèbre mémoire. Vous pouvez vérifier : cette phrase est grammaticalement irréprochable.  

 

 

Que cet effort syntaxique soit pour nous tous l’occasion tant attendue de lever notre verre hilare au « Préambule » de cette Convention des Droits de l’Enfant, car le dit « Préambule » est lui-même constitué d’une seule phrase. Attention, prenez votre souffle, c’est comme pour une immersion à 4000 mètres sans oxygène :

 

Les Etats parties à la présente Convention, Considérant que, conformément aux principes proclamés dans la Charte des Nations Unies, la reconnaissance inhérente à tous les membres de la famille humaine, ainsi que l’égalité et le caractère inaliénable de leurs droits, sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde,

Ayant présent à l’esprit le fait que …

Reconnaissant que les Nations Unies, …

Rappelant que, dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme …

Convaincus que la famille, …

Reconnaissant que l’enfant, pour l’épanouissement harmonieux de …

Considérant qu’il importe de préparer pleinement …

Ayant présent à l’esprit que la nécessité d’accorder …

Ayant présent à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration …

Rappelant les dispositions que la Déclaration …

Reconnaissant qu’il y a dans tous les pays …

Tenant dûment compte de l’importance …

Reconnaissant l’importance de la coopération internationale pour …

Sont convenus de ce qui suit : …………………………………….

 

Tout ceci est UNE SEULE phrase, évidemment, sinon ce ne serait pas drôle. On appelle ça des « considérants » : rien que des participes présents mis en apposition (j’ai souligné la proposition principale). Savourez le travail. Chapeau les artistes ! Un simple échantillon, et violemment tronqué, qui plus est.  Et j’ai corrigé quelques coquilles.

 

 

Vous comprenez que mon petit effort syntaxique de tout à l’heure n’est rien du tout, face à ce simple « Préambule » du monument juridique qui s’apprête à déferler juste après (54 articles), écrit dans le même ton poétique. Enfoncé, BAUDELAIRE. Et ça s’appelle un texte international. On comprend que son application effective se heurte à quelques difficultés.

 

 

On ne se doute pas de l’utilité (rions un peu) des fonctionnaires internationaux, pourtant, ils ne ménagent pas leurs efforts. Parcourant le monde avec à la main un carnet et un crayon, ils s’arrêtent dès qu’ils rencontrent un enfant. Ils lui posent les sept cent soixante-treize questions réglementaires que comporte le questionnaire officiel, auquel les ambassadeurs de cent quatre-vingt-douze pays sont arrivés après seulement soixante-deux ans de fructueuses réflexions et négociations.

 

 

Parmi les questions, notons par exemple, prise au hasard, la n° 343 bis : « Disposez-vous, le matin, d’un bol pour le café au lait ? ». La 343 ter : « Combien de tartines beurrées avez-vous le loisir d’y tremper ? ». Et la 343 quater : « Avez-vous le choix entre le miel et la confiture ? ». On voit par là que l’enfance ne laisse personne indifférent, à commencer par les grandes institutions, prouvant ainsi le haut degré de civilisation où le monde est enfin parvenu, après tant de siècles d’obscurantisme.

 

 

Ayant accompli sa mission de huit ans de vacations et divagations diverses, avec son carnet dûment et durement rempli, le fonctionnaire international peut alors rentrer d’Afrique à New York au volant de son 4 x 4 (c’est un 4 x 4 spécialement conçu pour la traversée de l’Atlantique à la rame) et fait son rapport. En général, il le tape sur une vieille machine mécanique de marque Underwood, tant il se veut économe des deniers alloués par les Etats du monde à l’institution à laquelle il s’enorgueillit d’appartenir. Il en a encore onze sur la planche.

 

 

Quand les douze rapports des douze fonctionnaires internationaux sont empilés sur le bureau de leur « n + 1 », deux fois plus large et long que le leur propre, comme le veut la hiérarchie, celui-ci monte dans son 4 x 4, deux fois plus long que le précédent, pour se rendre à la réunion des douze « n + 1 », dans le bureau beaucoup plus vaste du  « n + 2 », douze étages plus haut (ce sont des 4 x 4 à roues carrées, spécialement conçus pour le franchissement sans treuil des escaliers internationaux).

 

 

Après confrontations, additions, multiplications et réflexions poussées, le « n + 2 » ordonne à sa secrétaire de rédiger la synthèse, après avoir agité la sonnette d’alarme officielle de l’institution internationale, et de les transmettre (la synthèse et la sonnette d’alarme),  au secrétariat général. Cette synthèse, où il est fait mention du nombre officiel des enfants pauvres qui ont été dénombrés dans le monde, est immédiatement traduite dans les autres langues officielles de l’institution internationale.

 

 

On envoie ensuite synthèse et sonnette à tous les organes de presse du monde, sous forme de notice illustrée et chiffrée. Cette précaution a pour but et pour effet d’épargner aux journalistes des dits organes de presse le difficile et fastidieux travail d’analyse, de compréhension et d’interprétation des chiffres communiqués, des fois qu’il leur prendrait l’idée de leur faire dire autre chose que ce pour quoi ils ont été fabriqués. Chacun sait qu’un bon journaliste est un journaliste docile.

 

 

Le lendemain même de la réception de la notice illustrée et chiffrée, tous les organes de presse publient les mêmes chiffres alarmistes en première page et en gros titres : « 400 MILLIONS D’ENFANTS DANS LE MONDE VIVENT EN DESSOUS DU SEUIL DE PAUVRETÉ ». L’alarme aura donc résonné jusqu’au fond des chaumières, et la collecte des dons spontanés pourra donc commencer dès le lendemain aux aurores.

 

 

On ne se doute pas assez combien sont liées l’alarmisation des foules et la collecte des fonds pour venir en aide aux autres foules car, bien entendu ce ne sont pas les mêmes foules : les unes vivent au chaud, les autres vivent en zone tempérée, mais avec la clim. Un autre fonctionnaire international passera l’année prochaine avec un autre questionnaire pour demander aux parents de l’enfant si par hasard eux aussi sont pauvres.

 

 

L’institution internationale, en lisant ces gros titres, se frotte les mains et déclare : « Personne pourra dire qu’on a pas fait le job ! »(« to do the job », en américain), avant de fixer la date de la prochaine réunion, qui sera comme chaque fois dans une petite gargote new yorkaise, un français trois étoiles en général. En attendant, le secrétaire général officiel de l’institution internationale invite tous les collaborateurs ayant collaboré à joindre leur coupe de champagne officiel à la sienne et à entonner dans la langue officielle et d’une voix fière et  déterminée, l’hymne officiel à la gloire de leur action. C’est d’ailleurs le seul moment où il arrive qu’on entende des fausses notes. Pourtant, tous « connaissent la musique ».

 

 

Et le lendemain, les organes de presse du monde entier pourront enfin faire les gros titres qu’ils retenaient à grand-peine sur l’incroyable agression subie dans son travail par une femme de chambre de couleur marron foncé dans la suite 2806 d’un grand hôtel de la ville, de la part d’un fonctionnaire international blanc, quoique  légèrement gris du fait des libations internationales, aperçu la veille participant à une réunion importante dans le cadre de ses fonctions. Et chacun se dira : « Heureusement que l’actualité change  tous les jours, sinon, ça serait monotone. Passe-moi le sel ».

 

 

Fin de la digression sur les grands sentiments internationaux.  

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 31 octobre 2011

L'ENFANT ÜBER ALLES (4)

EPISODE 4 : Le psychologue et l’Enfant aux sortilèges

 

 

Troisième petite parenthèse (fulgurante).

 

 

« J’ai pas envie de faire ma page. J’ai envie d’aller me promener. J’ai envie de manger tous les gâteaux. J’ai envie de tirer la queue du chat et de couper celle de l’écureuil. J’ai envie de gronder tout le monde ! J’ai envie de mettre Maman en pénitence… » Le personnage qui prononce ces fortes paroles, allez, appelons-le « L’Enfant », ça ne s’invente pas. En face de  lui, préparant leur offensive, « Les Sortilèges ».

 

 

Le complot a été longuement machiné, patiemment ourdi en secret par un couple infernal : COLETTE pour les paroles, MAURICE RAVEL pour la musique, même si le bruit court que celui-ci en a pris largement à son aise avec le travail de celle-là. Bon, je résume l’argument : au début, l’enfant est méchant (« Je n’aime personne ! Je suis très méchant ! (…) Hourrah ! Plus de leçons ! Plus de devoirs ! Je suis libre, libre, méchant et libre ! »). A la fin : « Il est sage… si sage…Il est bon, il est sage… si sage… si sage… ». En gros, il était méchant, et il a retourné sa veste. Comme VIDOCQ qui, de bagnard, se retrouve chef de la police de sûreté.

 

 

Il faut dire qu’entre le début et la fin, il s’en est passé, des choses. La bergère et le fauteuil, et même la chaise de paille viennent sur la place Tahrir lui crier « Dégage ! » ; puis c’est au tour de l’horloge de crier « Casse-toi pauvre c… ! » ; la tasse et la théière ne sont pas en reste (« Ça-oh-râ toujours l’air chinoâ (…) Kek-ta fouhtuh d’mon Kaoua ? », c’est le texte véridique) ; les motifs du papier peint s’animent et protestent ; enfin bref, c’est tout son cadre familier qui n’en peut plus de ses abus de pouvoir, et qui brandit l’étendard, finissant par amener l’enfant à résipiscence, et à laisser s’exprimer la part de bonté qu’il cachait en lui.

 

 

« Tout est bien qui finit bien », comme il est dit à la fin du Trésor de Rackham le Rouge. Il y avait sûrement un tel fond de bonté chez le Tunisien ZINE EL ABIDINE BEN ALI, mais on ne lui a pas laissé le temps de l’exprimer (34 ans d’attente). Même chose pour le pauvre colonel libyen KHADAFI (42 ans). Mais lui il a toute la durée de l’au-delà pour que ça sorte. Il ne faut jamais dire « jamais ».

 

 

Mais il faut aussi dire que L’Enfant et les sortilèges, ça remonte à une époque où l’enfant n’avait pas encore été placé « au centre du système » (ça, c’est LIONEL JOSPIN quand il était sinistre de l’Education Nationale). L’enfant, là, il est comme la Sophie qui a des malheurs dans le livre de SOPHIA FIODOROVNA ROSTOPCHINA, plus connue comme épouse du comte EUGENE DE SEGUR, et donc comtesse par voie maritale et de conséquence. Dans Les Malheurs de Sophie, l’héroïne fait bêtise sur bêtise, des vraies. C’est sûr, l’enfant n’est pas idéalisé, c’est le moins qu’on puisse dire. Et c’est très bien comme ça.

 

 

Fin de la parenthèse fulgurante.

 

 

En fin de compte, c’est quoi, un enfant ? Je certifie ici, sur l’honneur, que je ne suis pas psychologue de profession, sinon, d’une part, je le saurais, et d’autre part, on m’aurait depuis longtemps rayé des tablettes et des cadres. Vous savez pourquoi ? A cause des « éléments de langage » qu’il faut avoir appris, du vocabulaire et de la syntaxe particuliers qu’il faut maîtriser, des « lunettes » spéciales qu’on vous colle sur le nez pour voir la vie, les gens, et donc les enfants.

 

 

Quatrième petite parenthèse (désolée)

 

 

Il m’est arrivé d’être assis à table juste à côté d’un psychologue. Il « intervient » dans l’établissement. Bon, c’est vrai qu’il ne faut pas généraliser à partir d’un seul « cas ». Mais c’est vrai aussi qu’il a déjà une tête un peu, disons, « spécifique ». Comment dire ? Du genre à examiner le macaroni sous tous les angles pour voir ce qu’il a dans le ventre avant de l’ingurgiter.

 

 

Nous ne nous étions jamais rencontrés auparavant. Dès les entrées, il me demande tout de go, et hargneusement, disons-le, si j’ai des enfants. Je lui réponds qu’en effet, j’ai eu la faiblesse de contribuer à ce genre de fabrication, et que j’ai besogné en vue de la repopulation. Mais que je n’ai pas fait ça tout seul. J’ajoute donc que j’ai tout fait pour que les bons moments qu’a durés ma contribution soient les plus plaisants, les plus mémorables possibles, pour moi bien sûr, mais aussi pour celle que la nature avait désignée pour le portage du fardeau qui devait en découler.

 

 

N’est-ce pas MONTAIGNE en personne qui, s’adressant à une femme enceinte sur le point d’exploser, lui souhaite d’avoir autant de plaisir à chier son marmot qu’elle en a eu à le concevoir (ce ne sont sans doute pas ses termes, encore que …, en tout cas, c’est l’idée) ? Ce sont des moments à entourer des soins les plus attentifs et les plus « tendres », tant il est désormais de notoriété publique que ce n’est qu’ensuite qu’apparaissent les contreparties exigées dans le « service après vente ».

 

 

Après tout : « Inter fæces et urinam nascimur », a dit SAINT AUGUSTIN en parlant du lieu qui voit les hommes naître à la lumière du jour et aux légères tribulations qui s’ensuivent. Quoi, traduire ? Vraiment ? Vous l’aurez voulu ! Ne venez pas vous plaindre : « Nous naissons entre la merde et l’urine ». C’est assez bien vu, je trouve.

 

 

Je reviens à mon propos. Le psychologue, apparemment, le suivait  attentivement. C’est ainsi que nous arrivons au steak-haché-frites, le moment choisi pour me décocher : « Je vois. Donc, c’est sûr, vous élevez très mal vos enfants ! ». Pantois je suis, pantois je reste. Je crains d’avoir mal entendu, mais pas du tout : il me répète la phrase, il a mûrement choisi les mots, il a fait des études pour en arriver là.

 

 

Je le regarde, hésitant sur la suite à donner. Au moment où je veux reprendre le fil, il a déjà fini son yaourt et sa compote, se lève, saisit son plateau avant de disparaître. Je me dis alors qu’il n’est sans doute pas très heureux, et j’attaque mon demi Saint-Marcellin. Les psychologues, c’est comme l’andouillette beaujolaise : il y en a sûrement des bien.

 

 

Et c’est vrai, j’en ai rencontré d’autres par la suite, dont beaucoup avaient un air assez normal. Il faut bien dire, malgré tout, que c’est une drôle de profession que l’Occident a inventée là. Est-ce qu’elle remplace le métier de curé – à peu près disparu, celui-là – comme cela se susurre parfois ? Comme dit BOB DYLAN : « The answer, my friend, is blowing in the wind » (bis). Pas besoin de traduire, là, j’espère.

 

 

Est-ce qu’elle est indispensable à l’encadrement des enfants, des élèves ? Ce qui est sûr, c’est que l’étude et les soins de l’âme ont proliféré dans la société humaine comme les mouches sur une bouse appétissante. Bref rappel (je jure de ne pas insister et de ne pas faire mon balourd) : ψυχή, c’est l’âme, λόγος, c’est l’étude « scientifique », ίατρός, c’est celui qui soigne. Tout ça a donné, vous vous en doutez : « psychologue » et « psychiatre ».

 

 

Quelle maladie notre civilisation a-t-elle injectée aux vivants qu’elle a vu et fait naître pour qu’elle-même juge nécessaire de les prendre en charge ? Est-ce vraiment ce que MARCEL GAUCHET nomme le « désenchantement du monde », c’est-à-dire le nettoyage complet du ciel, de l’au-delà, en bref, de tout ce qui, autrefois, était placé « au-dessus » de l’humanité ? Mon pote ROLAND le pense. Mais lui, il dit qu’il faut revenir, justement, à ce « statu quo ante ». Est-il vraiment sérieux ? Ou bien sait-il que ce n’est pas possible, comme c’est le plus probable ?

 

 

Fin de la parenthèse désolée.

 

 

Alors je repose la question sur la table : qu’est-ce que c’est un enfant ? Je reprends la formule : c’est une personne future. Il n’y a pas à sortir de là. Autrement dit, ça suppose d’abord de le prendre au sérieux en tant que personne potentielle. De se comporter soi-même de façon responsable. J’arrête : je ne vais pas tarder à pontifier, à sentencier, bref, à dogmatiser. Mais je veux quand même dire que s’il y a quelque chose d’insupportable chez l’adulte, c’est quand il se dit qu’il faut être soi-même enfant pour « se mettre à la portée » de l’enfant.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 29 octobre 2011

L'ENFANT ÜBER ALLES (2)

EPISODE 2 : la poussette et la horde barbare

 

 

Première petite parenthèse (adamantine).

 

 

FERNAND RAYNAUD s’est écrasé sur le mur du cimetière du Cheix (ou Le-Cheix-sur-Morge, 63), un 28 septembre 1973, mais il l’a fait avec classe. Pensez donc, un coupé Rolls-Royce « silver ghost » ! Il y a pire, comme cercueil. Bon, c’est vrai, il n’est peut-être pas enterré dedans. Il est un peu oublié, le pôvre, mais il eut son heure de gloire. La preuve, c’est la Rolls. Il l’avait achetée en faisant rire. Et même bidonner, voire tirebouchonner. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, il roulerait en Rolls. M’enfin, il se serait peut-être adapté.

 

 

Il devait être, une fois de plus, complètement bourré. A moins que ce ne soient les freins qui aient lâché : il racontait comme une blague que le voyant « brakes » (= freins) restait constamment allumé. Une fois, il avait pris en stop deux copines, J. et J. Trente secondes après, il leur demandait si elles étaient lesbiennes, avant de leur proposer la botte. Bon, c’était presque vrai : elles étaient aussi lesbiennes. Il ne s’embarrassait pas d’entrées en matière. Pas comme ici, diront certains.

 

 

J’y viens donc. FERNAND RAYNAUD racontait des histoires drôles. Entre autres, celle du père qui donne un ordre à son fils : « Toto, mange ta soupe ! – Non j’la mangerai pas ». Ce qui m’intéresse, quand le gamin se met à hurler, c’est les voisins qui crient : « Bourreau d’enfant ! ». C’était dans les années 1960. C’est le titre du sketch, visible sur internet.

 

 

La fin du sketch explique très bien qu’en certaines occasions, le parent puisse avoir envie de transformer sa progéniture en tache de sang sur le mur avec les os incrustés dedans : le père qui a été obligé par l’infernal chérubin d’acheter une saucisse, puis d’en manger une moitié, l’entend hurler pour finir : « Ouiiiin ! T’as mangé le morceau que j'voulais ! ».

 

 

Fin de la parenthèse adamantine.

 

 

C’était donc vrai, ce qu’on m’avait dit, que je ne voulais pas le croire : l’enfant n’est pas ce parangon d’innocence et de vertu qu’un certain catéchisme qui se dit « moderne » voudrait nous peindre dans les teintes pastel les plus tendres et les plus veloutées !?! Parce que l’ange à tête blonde se double, en filigrane, du pervers le plus égoïste, le plus endurci et le plus polymorphe qui se puisse trouver sous le ciel.

 

 

La divinisation de l’enfant ne date certes pas d’aujourd’hui. On la trouve, depuis un temps, à l’état endémique, mais souvent en phase critique (= de crise). Et ça commence à bien faire. Les lieux de la divinisation sont peu nombreux. Le domicile étant inaccessible, voire inavouable, après avoir vu le supermarché, il nous reste la rue, les transports en commun et les cafés. Je vous donne un exemple. L’autre jour, dans le bus, je m’assieds à côté de la porte centrale. Un gamin est là, debout tout contre, qui garde fermement le pouce appuyé sur le bouton d’ouverture, empêchant résolument la fermeture.

 

 

Je lui dis : « Tu sais, il ne faut pas appuyer sur le bouton tout le temps ». La mère, qui veillait pas loin, aussitôt : « Monsieur, c’est bien à vous de faire la morale à mon enfant, alors que vous venez de le bousculer ! ». « Faire la morale » ! « Bousculé » ! J’avoue qu’après avoir remis la dame et son merdeux à leur place, l’état mental de la personne m’a valu un court instant de perplexité.

 

 

Il y a aussi cette grappe de collégiennes, dans le métro, qui hurlent leur hystérie, trépignent leur surexcitation et vocifèrent dans leurs courses désordonnées. Bref : des merdeuses exaspérantes. A haute voix, je les compare à une troupe de chiennes en fureur, sans doute même en chaleur. La rombière à côté de moi, sans doute mazoutée pour le compte, comme un vulgaire guillemot de Troïl après une marée noire, prend un air enjoué, léger, presque flûté, pour comparer cette cacophonie stridente à un gazouillis d’oiseaux. « Espèce d’oie faisandée ! » Et n’ai-je pas vu une bergère entre deux âges offrir sa place assise non à la femme enceinte en phase terminale qui vient de monter, mais à son minot qui ne demandait rien ?

 

 

J’ai fini par comprendre (c’est vrai, je suis un peu lent) le sens de l’expression : « Il faut mettre l’enfant au centre », vous savez, ce slogan qui sortait à jet continu, il n’y a pas si longtemps, des groins politiques, des claque-merde économiques et des dégueuloirs des autorités éducatives. En fait, ça ne veut rien dire d’autre que : « Il faut donner la priorité absolue à l’enfant sur toute autre catégorie de personnes ». Les vieillards seront bientôt priés de céder leur place assise aux chiards, et bientôt les crèches capteront à leur profit la manne publique auparavant destinée aux maisons de retraite. On n’y est pas encore.

 

 

Cette caricature comporte cependant une part de vrai. Regardez calmement ce qui se passe : on parque un peu plus les vieux tous les jours. Bon, c’est vrai qu’ils s’incrustent. Vrai aussi qu’ils radotent. Vrai encore qu’il y en a une demi-douzaine qui bavent, et deux ou trois qui font pire. Pendant ce temps, voyez s’instaurer, dans les rues, dans les magasins, dans les bus et métros, le règne absolu de la poussette.

 

 

Et pas la petite poussette, discrète comme une trottinette qu’on suspend à l’épaule le temps d’une emplette. Non : la poussette agressive comme un char d’assaut, la poussette qui n’a pas besoin, sur fond blanc, d’une grande croix sanguinolente sur ses flancs pour impressionner et faire taire toute la compagnie, et qui, dans un espace de bus calculé au millimètre, occupe victorieusement tout le terrain, impose ses dimensions redoutables par sa seule présence. Ah, elle est bien finie, l’époque du Petit Poucet. Place à la Grosse Poussette ! Mes excuses, je me laisse aller à la facilité. 

 

 

A se demander si les femmes, sous nos climats, ne font pas tant d’enfants dans le but exclusif d’exercer le pouvoir. Vous avez vu, dans les rues, le nombre effrayant de gros ventres ? Pas un grand pouvoir, certes. Disons, un simple pouvoir de petite nuisance qui s’exerce dans l’espace public. Soyez franches, mesdames : quand vous êtes en cloque, n’y a-t-il aucun pressentiment des droits que vous aurez conquis sitôt que vous aurez retrouvé le ventre plat (dans le plus optimiste des cas) ? Car il faut s’en convaincre : un gros ventre croisé dans la rue aujourd’hui, c'est une poussette dans le bus demain. SARKOZY lui-même y travaille.

 

 

Et je ne vous décris pas le tableau quand un fauteuil roulant entre dans la danse, de préférence aux heures de pointe, sinon ça ne ferait pas rire. Rien de plus désopilant et féroce que cette concurrence sans merci entre l’infirme sûr de ses droits et la mère conquérante. Ben aussi, il faut les comprendre : chacun veille au mieux à ses intérêts, au prorata de son handicap. Le plus mal loti dans l’affaire, c’est encore le vieillard, face au risque d’écrasement auquel il est confronté. Il n’est pas de taille à lutter contre une poussette et un fauteuil ligués à l’occasion pour l’occupation de l’espace. Il n’a plus qu’à se rabougrir sur son siège, encore heureux s’il est assis.

 

 

Cette bataille des faibles pour la prééminence peut bien tourner à l’avantage de l’un ou de l’autre des adversaires, je sais bien, quant à moi, qui perd : le bête adulte valide, contraint de se faire petit, de se réfugier dans les coins, de s’entasser contre ses « semblables en infortune », en essayant de garder ses orteils à peu près en état de marche. L’adulte valide, il a presque honte d’être à la fois adulte et valide. Mais faut-il être assez bête pour cumuler ainsi les handicaps ? Peut-être même qu’il regrette de ne pas avoir même une béquille à brandir.

 

 

Et qui sait ? Une béquille fièrement arborée ne serait-elle pas un moyen de se faire enfin une place, oh, pas une bien grande, un tout petit espace, grâce à une minuscule intimidation ? Si cette hypothèse donne des idées à quelqu’un, merci toutefois de ne pas en abuser. Vous imaginez bien que le subterfuge serait vite découvert en cas de prolifération de béquilles dans les espaces publics. Ce serait aussi gros qu'une épidémie de Ventoline dans les rangs du Peloton du Tour de France. Ce qu'à Dieu ne plaise !!!

 

 

Même chose pour la canne blanche, dont on m’a dit qu’elle produit les meilleurs effets. Encore que, pour faire un aveugle crédible, il faille un véritable entraînement, si possible conduit par le PHILIPPE LUCAS de LAURE MANAUDOU, pas parce que son élément est liquide, mais parce qu’il sait ce qu’entraîner veut dire. Voyez la nageuse, elle n’a jamais été aussi belle que sous la férule et la houlette de son entraîneur. On voit que ça lui a réussi, la férule et la houlette de l'homme !

 

 

Nous avons laissé le polichinelle dans sa poussette. Lui, royal, tranquille comme Baptiste, il a une vue imprenable sur les plis au genou des pantalons et les mollets féminins, parfois un attaché-case (ou autre bagage authentique ou supposé) : ça le dégoûte vaguement, parce qu’il ignore encore son propre avenir. De trois choses l’une : soit il gazouille, soit il vocifère, soit il dort. Imaginons-le dans la troisième, et laissons-le à sa sieste.

 

 

A suivre …

 

 

 

 

 

 

 

vendredi, 28 octobre 2011

L'ENFANT ÜBER ALLES (1)

EPISODE 1 : la caisse du supermarché

 

 

Cette chronique n’abordant que les sujets les plus graves et les plus vastes, nous parlerons aujourd’hui de l’enfant (cette phrase se veut un petit hommage au grand ALEXANDRE VIALATTE). Et s’agissant de l’enfant, chacun conviendra qu’il n’y a rien de mieux que la caisse de supermarché pour l’observer « en action », dans la mission que lui a confiée le commerce industriel : vaincre la résistance de la ménagère, en général sa propre mère, ce qui en fait d'emblée un traître en puissance.    

 

 

Car si l’espace du supermarché, en soi, dévoile l’intention stratégique de son organisation (« coco, tu te débrouilles comme tu veux, mais à l’arrivée à la caisse, je veux que la longueur de la liste rédigée chez elle, sur un bout de papier et un coin de table, ait au moins triplé ! »), la caisse en est le couronnement. Cette cerise est bien vissée sur ce gâteau.

 

 

Vous savez sûrement que tout « bon musulman » doit impérativement accomplir au moins une fois dans sa vie le « hadj » (pèlerinage à La Mecque, dont le coût actuel, dans le bas de la fourchette haute, se monte à environ 5.000 euros par personne, je le sais de première main, c'est KHALED qui me l'a dit).

 

 

Le « hadj » du consommateur, c’est moins cher, mais c’est toutes les semaines, si possible le même jour de la semaine, pour garder les points de fidélité, de repère et de comparaison, et si possible le samedi matin, pour bien se souvenir que les autres ont une existence concrète, principalement au moment de faire la queue à la caisse. Ce voyage dans la Mecque de la consommation permet de révéler, à travers une petite scène du quotidien, le plus élaboré de tous les protocoles du commerce industriel, le plus prévisible, mais aux péripéties concrètes indéfiniment renouvelées : l’arrivée de la petite famille à la caisse.

 

 

Car la caisse est le piège, le cul-de-sac, la nasse, l’impasse, comme sont tous les péages. Arrêt obligatoire et patience vivement conseillée. Il faut l’avoir vue se dérouler, la scène : la maman (en général, c’est elle, mais on voit parfois un papa) pousse le chariot, qu’elle vide sur le tapis de caisse, après l’avoir rempli et avant de le remplir à nouveau pour le vider dans le coffre de la voiture (on ne s’en lasse pas, que ça devrait être considéré comme un loisir), et ce n’est pas fini. On ne le dit pas assez : le consommateur-en-supermarché est un manutentionnaire qui, non seulement travaille pour les beaux yeux de la princesse, mais en plus qui achète le droit de travailler.

 

 

Maintenant, mettez un gamin dans le siège du chariot (tout est prévu). Le gamin, son métier, c’est de regarder autour de lui. Et qu’est-ce qu’il voit, posé devant ses yeux, à portée de sa charmante et innocente  menotte potelée quand le chariot arrive à la caisse ? Evidemment bien sûr : LE TEST. Grandeur nature. Juste à la bonne hauteur. Bien en évidence dans des présentoirs avenants.

 

 

Donc des boîtes d’épinards ou de fayots, ça ne risque pas. Rien que des saloperies délicieuses, ou bien des cochonneries sucrées, ou alors des pacotilles suaves, et même des camelotes exquises, bref, des merdailles au goût délectable. Rien que des trucs défendus par le coran (euh non, aux dernières nouvelles, je me trompe ; sûrement un oubli du prophète, ce qui prouve d’ailleurs l'amateurisme de ceux qui se fient à lui). Rien que des trucs défendus par le docteur – mais celui-là je l’aime pas parce qu’il fait les piqûres.

 

 

Rien que des trucs défendus par papa et maman quand on les a pas encore trop épuisés, mais on va les avoir à l’usure, on n’est qu’au début de l’échauffement, ils vont voir à qui ils ont à faire.  « Rien que des trucs défendus », on a compris que ça veut dire : « Rien que des trucs éminemment désirables ». Dans « désirables », comprenez : « A saisir coûte que coûte ».

 

 

Poussant son chariot, la femme sait. Depuis l’entrée du magasin, elle tremble, car elle sait ce qui l’attend. Elle sait que le magasin « l’attend à la sortie », comme on dit. Autant dire qu’elle s’approche à regret de ce moment inéluctable de la corvée, de cette épreuve terrible et décisive pour les nerfs et l’autorité. Elle se prépare à résister : aujourd’hui je ne céderai pas, je ne céderai pas, je ne céderai pas.

 

 

Elle doit donc s’armer de fermeté pour résister à la coalition conclue entre son angelot et le magasin. Mais certains loupiots, même tout seuls, ils ont un pouvoir terrifiant. Il y en a qui ont un coffre, on ne se douterait pas à les voir. Le chérubin, quand il vient au supermarché, il vient armé. Et son arme, presque imparable, quand la mère affiche fermement sa décision de fermeté, c’est le DECIBEL.

 

 

Ça n’a l’air de rien, un décibel, comme ça, quand il est tout seul. « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça ne va plus. » Je cite monsieur BRICE HORTEFEUX, un homme très bien, malgré qu’il ait le teint rouge. Le décibel isolé, il a tellement peu de poids, autant dire qu’il n’existe pas. Mais attention, quand il vole en escadrille, c’est l’arme fatale. Et certains mioches ont un pont d’envol  particulièrement large, et ils arrivent à faire décoller cent ou cent dix décibels en même temps. Pas le seuil de douleur, mais pas loin.

 

 

J’en ai vu un, une fois, on l’aurait mesuré, je suis sûr qu’il était à cent douze ou cent seize. Virgule cinq. Essayez, pour voir : insoutenable. Le truc imparable du bourreau qui a derrière lui deux siècles d’expérience. Le blondinet qui découvre la puissance dévastatrice de son missile sonore embarqué, cette arme de destruction massive, il peut tout demander, ou presque. Il met la machine en route et, après un galop d’échauffement, envoie le projectile. Si le parent tient bon, c’est soit qu’il est héroïque, soit qu’il est un robot, soit qu’il est sourd. Disons-le, la plupart du temps, c’est la victoire en rase campagne, avant même qu’il ait envoyé ses mégatonnes.  

 

 

Mais il faut le comprendre, le lardon. Il sait que le magasin est de son côté. Il le lui a assez répété à la télévision : « Je suis ton ami, mon petit. Je fais tout pour te rendre heureux. Pas comme ces égoïstes de parents qui n’ont qu’une idée en tête : te restreindre, t’imposer des limites. Regarde toutes ces bonnes choses. Vas-y à fond, tu verras, c’est nous, toi et moi, qui sommes les plus forts ». Le merdeux, il n’aime pas ça, les limites. Pourquoi ça, des limites ? Ce qu’il déteste dans ses parents, ce sont les limites qu'ils lui imposent.

 

 

Alors, se dit le mouflet, toutes ces petites boîtes colorées, ces petits sachets amicaux, « toutes ces délicieuses petites choses en vente dans cette salle » (c’est ce qu’on entendait à l’entracte au cinéma, à l’époque des « bonbons, glaçons, chocolats » vendus par les accortes ouvreuses), toutes ces promesses de délices, tout ça, c’est exclusivement pour lui que c’est fabriqué.

 

 

On a compris que la bataille qui se présente est foncièrement inégale. La mère part battue d’avance. C’est vrai que le moutard n’a pas toujours le dessus, pour finir. Mais en général, c’est le chiard qui gagne, que dis-je, qui triomphe, et il n’a jamais le triomphe modeste. La preuve, c’est que les présentoirs sont toujours là.

 

 

Maintenant que j’ai vu la scène (dans les manuels de polémologie, on appelle ça une « guerre-éclair »), je peux ranger le carnet, replier l’observatoire, remballer les cannes à pêche, placer la sangle de ma musette sur l’épaule avec les poissons dedans. Je me lève pesamment, je m’ébroue et m’achemine vers la sortie. Je suis content. Je suis venu. J’ai vu. J’ai vu qui a vaincu.  Pas  César, mais presque.

 

 

Moralité de l’histoire : pour venir à bout de la ménagère aventurée sur le terrain hostile de la grande consommation, il n’y a pas d’arme plus efficace que le sale gosse envoyé en mission. Un suspense comme dans Les Infiltrés.

 

 

A suivre ...