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samedi, 12 décembre 2015

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

A DRAPEAU.jpg

LE VINGTIÈME SIÈCLE ET LES ARTS

ESSAI DE RECONSTITUTION D’UN ITINÉRAIRE PERSONNEL

(récapitulation songeuse et un peu raisonnée)

7/9

Du pré carré de la propriété intellectuelle (ou "Art et Image de Marque").

Nulle nostalgie dans tout ça, je vous assure. Simplement un regard effaré, abasourdi sur le monde réel et sur le monde de l’art tels qu’ils se fabriquent, jour après jour, avec une constance proprement effrayante. Au 20ème siècle, les artistes (musique, peinture, poésie, sculpture, architecture, …) se sont mis à « s’exprimer », à développer des « formes-sens » qui leur fussent propres, chacun avec son langage à lui, sa « grammaire » à lui, son « vocabulaire » à lui. Leur marque de fabrique, la raison pour laquelle certains noms brillent d’un éclat particulier au firmament esthétique, c’est leur capacité à synthétiser tout ce qui se faisait autour d’eux, jusqu’à faire de leur travail quelque chose qui a été considéré à la fois comme unique et comme supérieur, voire emblématique. 

Les « écoles » en -isme sont devenues des tendances, des « groupes », voire des « courants » aux contours flous et aux étiquettes fluctuantes : Cobra, Factory, Support / Surface, Fluxus, Abstraction lyrique, Nuagisme, Figuration narrative, Pop art, Expressionnisme abstrait, Art performance, Installations, … Ce qui a fait de Picasso un cas si particulier, le grand homme du 20ème siècle, c’est d’abord sa longévité (mort à 91 ans, ça aide), et aussi une énergie créative démesurée et une voracité hors du commun, qui lui ont permis de ne faire qu’une bouchée de toutes les tendances successives, au fur et à mesure de leur apparition, et de donner à chacune un état d’accomplissement qu’elle n’aurait jamais pu espérer. Tout en ne s’interdisant pas d’en créer autant de personnelles. C’est sûr, Picasso est incontournable : cela fait-il de lui un des plus grands artistes de l’histoire de l’art ? Je me permets d’en douter fortement (au 19ème siècle, Victor Hugo aussi fut "incontournable". "Hélas", ajoutait André Gide). 

Avec la mondialisation montante, chaque musicien, pour écouter tout ce qui passait à portée d’oreille, chaque peintre, pour saisir tout ce qui pouvait titiller sa rétine, a eu à sa disposition un réservoir absolument inépuisable (en apparence) : tout le réel, tout le passé de l'humanité, toute la géographie de l'art, dans l'infinie hétérogénéité de leur diversité, ont été embauchés. Chaque artiste a été prié de déposer au vestiaire de la « Modernité » le carcan de tous les codes d'expression qu'il avait appris à l'école (occidentaux, donc arbitraires, donc à bannir). Et de "s'ouvrir au monde". Et d'inventer pour son seul compte un nouvel alliage pour bâtir un édifice que nul autre que lui n'aurait pu concevoir : matériau, ciment, plan d'ensemble, méthode d'édification, aspect extérieur, et tout ça et tout ça.

DELACROIX LIBERTE.jpgLa documentation des artistes n’avait jamais été aussi volumineuse : chacun est devenu une véritable encyclopédie universelle. On peut dire ça autrement : le monde est devenu, pour les artistes, un gigantesque SUPERMARCHÉ. Le travail d’un grand nombre d’entre eux fut dès lors un travail de sélection, comme on remplit son caddie, puis de recombinaison des éléments retenus, si possible jamais opérée auparavant. La "LIBERTÉ" s'est racornie en liberté de choix. La liberté de choix, c'est celle du client : "Qu'y a-t-il en rayon ?". Le client est roi, dit-on : c'est parce qu'il paie. La liberté de choix est celle qui s'achète. Plus tu as les moyens, plus tu es libre. La LIBERTÉ, au contraire, ne saurait s'acheter, son prix est astronomique. Stratosphérique. Tout l'or du monde, et encore, on en est loin ! Même Bill Gates n'a pas les moyens.

Chaque artiste ainsi miniaturisé en client, musicien ou autre, ayant ainsi fait ses emplettes dans le grand magasin planétaire, se retire alors dans son laboratoire, parmi ses cornues, ses athanors, ses alambics, ses aludels, ses matras, ses mortiers, pilons et autres pélicans (on peut vérifier les termes), pour se livrer à l’élaboration de son Grand Œuvre, sa Pierre Philosophale à lui. C'est devenu un bidouilleur de chimie. Un bricoleur d'éprouvettes.

Dans le supermarché planétaire et de l’histoire de l’art, il a sélectionné son propre « vocabulaire », collection de substances qui n’appartienne qu’à lui, sa propre « grammaire », façon personnelle de mettre en ordre, d’assembler les éléments de la collection globale. Il a rédigé ses protocoles expérimentaux. Il en a publié le résultat dans des "revues à comité de lecture". Lu et approuvé par la communauté des semblables. Toutes les apparences, en effet, de la scientificité.

KLEIN 16 EPONGE SE 191.jpgTout cela ayant été mené à bien, l’artiste, musicien, poète ou plasticien, s’est fait le maître d’un « langage » qui rend ses œuvres reconnaissables entre toutes. C’est ainsi que Yves Klein a pu faire breveter son bleu « YKB », que Pierre Soulages a inventé l’ « outre-noir », que Mondrian s’est illustré comme le coloriste de la géométrie pure, que FrançoisROUAN 7.jpg Rouan a popularisé le tressage de toile peinte (que Jacques Lacan tenta - un peu en vain, si j'ai bien compris - d'enrôler dans sa théorie des fameux "nœuds borroméens", mais le grand homme était un peu "affaibli", et c'était peut-être Rouan qui était le plus déçu), que Roy Lichtenstein est devenu le recycleur en chef de vignettes de BD POLLOCK 1.jpgérigées en œuvres à part entière, que Jackson Pollock, avec quelques autres, a fondé l’ « action painting », cette danse à trois temps qu’il pratiquait sur de très grandes toiles posées au sol, etc. Tous ces gens ont confisqué l'objet de leur choix en en faisant un monomanie exclusive (pas toujours brevetée, reconnaissons-le, ni dûment déposée à l'INPI, Institut National de la Propriété Industrielle). 

ARMAN 12.jpgLes artistes ont pu proclamer : « Ceci est à moi ! » (implorons la pitié des mânes de Jean-Jacques Rousseau : « Le premier homme qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : "Ceci est à moi"... », Discours sur l'origine et les fondements des inégalités parmi les hommes). A Arman les accumulations, à Christo l'emballage de monuments historiques, à Villeglé les affiches déchirées, à Viallat les séries d’empreintes d’éponge (jusqu'auxVIALLAT AIGUES MORTES.jpg vitraux de l'église d'Aigues-Mortes, ci-contre : s'ils savaient ! Mais ils trouvent peut-être ça joli, s'il y a encore des fidèles pour assister à la messe à Aigues-Mortes), à Orlan les réfections chirurgicales de son corps en bloc opératoire, à Raynaud le carrelage de salle de bains (à joints noirs), à Tsykalov les pastèques sculptées façon tête de mort, à Buren les bandes parallèles, à Pagès les PAGES 5.jpgtotems, à Warhol les "multiples" (Campbell soup, Marilyn), à César les compressions et expansions, on n’en finirait pas, il suffit de trouver l’IDÉE, puis de la presser jusqu’au trognon pour en tirer tout le jus. Plus personne n'enchérit ? Pas de regret ? Adjugé !

RAYNAUD 5.jpgJean-Pierre Raynaud a fini par réduire en petits morceaux saRAYNAUD 7.jpg maison-salle-de-bains. Il a mis les morceaux dans des seaux.  
Ces seaux remplis de ces gravats, il les a solennellement RAYNAUD 6.jpgexposés, puis vendus, j’ignore à quel prix. Raynaud, récemment, a été choqué d'apprendre que la ville de Québec a détruit son monument (toujours en carrelage de salle de bains, en marbre, cette fois, toujours jointoyé de noir : trente tonnes de béton !) intitulé "Dialogue avec l'histoire". Rendons grâce à la ville de Québec pour son courage et la sûreté de son sens des valeurs.
 

A tous ces "artistes" devenus des marques déposées à l'INPI, l'image de marque a bientôt tenu lieu de style. Le "métier" des artistes s'est vu détrôné par le blason que chacun de ces faiseurs, se prenant pour quelque antique chevalier, avait dessiné sur son écu pour s'en parer, et sur son étendard pour le brandir. A chacun son fief, son apanage, son pré carré. Touche pas à mon concept.

La question qui se pose est (pour pasticher le Jacques Chancel de « Radioscopie ») : et l’homme, dans tout ça ? C’est bien là que le bât blesse. Réponse : il est absent. Peut-être s'est-il effacé. Ou alors il est mort. En tout cas, en tant que destinataire par nature des FAUTRIER OTAGE 1.jpgœuvres, il a disparu du radar de la plupart des artistes. JeTAL COAT 2.jpg ne reviens pas sur les désintégrations successives de la peinture dite « figurative », qui a très longtemps fait une place centrale à la « figure » (humaine) et au milieu dans lequel celle-ci se mouvait. Je pense ici à la saisissante série des "Otages" de Jean Fautrier (à gauche). Pierre Tal-Coat est allé jusqu'à barbouiller ses autoportraits (à droite). Fautrier, Tal-Coat : deux frères, deux démarches terriblement pleines de sens. De quoi frémir un bon coup.

Je ne reviens pas non plus sur l’insupportable agression dont les mélomanes, depuis Schönberg (et Varèse, et Schaeffer après lui), ont commencé à être victimes de la part de compositeurs dont beaucoup ne se considéraient plus comme les producteurs de plaisirs musicaux, mais comme des chercheurs lancés à la poursuite de codes sonores jusqu’alors inconnus, de langages musicaux d’un nouveau genre. Ils se sont mis à vociférer : « A bas la tonalité ! A bas la consonance ! A bas la mélodie ! A bas le chant ! A bas le plaisir ! A bas la dictature de l’oreille ! Vive la Dissonance absolue ! Que nous importe le destinataire ? C'est à l'oreille de s'adapter à nos théories ! Nous sommes la "Nouvelle Harmonie" ! ». 

Comme en peinture, les désintégrations se sont succédé : le destinataire des sons musicaux a fini par être éliminé, comme un vulgaire gêneur, comme un parasite. Comme un consommateur, sommé par la publicité d'acheter les produits innovants. En musique, en peinture, l'argument d'autorité s'est substitué à la publicité. Ces chercheurs trop savants, ces scientifiques trop intelligents, réfugiés au fond de leurs laboratoires, ont concocté de nouvelles sonorités, de nouvelles combinaisons, en se disant : « Quel dommage que mon travail d’orfèvre finisse dans l’oreille d’auditeurs conformistes, passéistes, incapables d’en apprécier l’ingéniosité, l’originalité, la nouveauté ! ». 

Voulez que je vous dise ? Pierre Boulez et son pote Karlheinz Stockhausen (ah, l'Helicopter-Streichquartett, quel pied !) : de la confiture aux cochons !

Je veux bien être considéré comme un cochon (car en lui tout est bon, à ce qu'on dit), mais qu'est-ce qu'on essaie de me faire croire ? De la confiture, cette tambouille immangeable ? Ne me faites pas vomir : c'est mauvais pour la qualité de la viande. 

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 20 décembre 2011

PEINTURE : LE TEMPS DU DESASTRE

Résumé : GEORGES POMPIDOU, par centre éponyme interposé, expose sur ses rayons les boîtes de merde de PIERO MANZONI.

 

 

Ce qui est important, désormais, ce n’est pas le « rendu », avec le savoir-faire et le style personnel qu’il suppose. C’est l’ « intention » du peintre et la « cohérence » entre celle-ci et les moyens qu’il met en œuvre, la « syntaxe », le « vocabulaire ». Ce qui compte, c'est le « concept », qu'on se le dise. C'est le « discours » que l'artiste tient sur son « travail ». Tiens, c'est drôle, l'artiste tient le même langage que le « critique ». Et le critique est immédiatement compris de l'artiste. Cela veut dire une chose : tous deux sont en apesanteur, sur le même nuage. Tous deux pratiquent le même enfumage.

 

 

 

Car on est entre soi, on se comprend, on fait partie des initiés. J’aime énormément le langage des « critiques ». Alors je pose la question : les trous dans la toile font-ils partie du « vocabulaire » ou de la « syntaxe » ? Sont-ils « structurels » ou « conjoncturels » ? Est-ce pour laisser passer l’air et la lumière ? Les trous dans la toile sont-ils de l'art ?

 

 

Qu’on se le dise, en art (je ne dis pas « en peinture », car qui fait encore de la peinture ?), TOUT est devenu POSSIBLE. D’ailleurs, on ne sait plus exactement les limites. Qu’est-ce qui est de l’art ? Est-ce que le Piss Christ d’Avignon (ANDRES SERRANO) ? Est-ce même que l’urinoir de MARCEL DUCHAMP ? Est-ce que la tenue rayée de prisonnier des camps à la DANIEL BUREN ? Est-ce que ORLAN ? Est-ce que BOLTANSKI ? Est-ce que CLAUDE VIALLAT ? Est-ce que FROMANGER ? Est-ce que DI ROSA ? Est-ce que COMBAS ?

 

 

Est-ce qu’une salle remplie de ballons de baudruche gonflés dans laquelle les gens doivent se frayer un chemin sans rien faire éclater ? Est-ce qu’une avalanche de balles de ping-pong dans la montée de la Grand’Côte ? Est-ce que des petits poissons dans des sachets en plastique remplis d’eau ? Est-ce que des planches diverses et diversement découpées posées de biais contre le mur ? Est-ce que les tags et les graphs ? Je ne cite évidemment que de l’authentique.

 

 

Que faut-il conclure de tout ça ? Quelque chose de très simple, je crois. Nous vivons dans un temps qui ABOMINE LA LIMITE. Qu’on se le dise : la limite, c’est le mal.

 

 

Tiens, j’ai lu récemment le témoignage d’un couple suédois, face à l’interdiction légale de la fessée chez eux : « Eh bien nous discutons avec lui, ce sont des négociations interminables et épuisantes ». Entre origines ethniques différentes, ça porte le nom glorieux de « métissage » (certains précieux disent « créolisation »). TIKEN JAH FAKOLY le chante à sa façon : « Ouvrez les frontières, ouvrez les frontières, ouvrez les frontières ». Succès international garanti.

 

 

C’est donc valable pour les marchandises et les hommes. On ne voit pas pourquoi l’art resterait épargné par le tsunami. 

 

 

C’est alors qu’on parle de « transgression institutionnelle ». L’oxymore, vous savez, la figure la plus littéraire qui soit, puisqu’elle assujettit impossiblement deux réalités contraires l’une à l’autre (« soleil noir », « feu glacé »), se transforme en mot d’ordre impérieux. Il faut se prosterner devant l'oxymore, accepter que le sens des choses se disloque de l'intérieur. C'est à ça qu'il sert, l'oxymore.

 

 

S’il n’y a pas encore de ministère de la « subversion officielle » (oxymore®), ce qui est sûrement un oubli, je propose à NICOLAS SARKOZY de le réparer séance tenante. Il subventionnerait l’institut des « mutins de la république » (oxymore®), qui n’auraient droit à l’appellation qu’après réussite au « concours de mutinerie » dûment organisé chaque année dans les temples de l’Education Nationale. Avec « numerus clausus » pour que le titre demeure irréprochable et prestigieux. Le « meilleur mutin de la république » recevrait une récompense spéciale du président. On le décorerait, parce qu'il est dérangeant, de l'ordre de la rébellion établie (oxymore®) ou de la dissidence autorisée (oxymore®). Et serait  grassement payé. Avec des pantoufles républicaines en or massif.

 

 

Démerdez-vous comme vous voulez, mais faites-le moi, le grand écart. On vous obligera à être libres. INDIGNEZ-VOUS ! Allez, qu’est-ce que vous attendez ? Dynamitez-moi cette forme, et plus vite que ça ! Faites-moi exploser ces codes ! Enfreignez-les, ces règles, et en chantant ! Un peu de conviction, que diable ! Plus fort ! Eclatées, les conventions ! Disloqué, le carcan des traditions ! Soyez dérangeant ! Subversif ! Bousculez le bourgeois ! Il adore ça, il est « moderne » !

 

 

L’artiste est promu « marginal d’honneur » (oxymore®). JEAN-MICHEL BASQUIAT fut en son temps promu membre honoraire de cette harde. JACK LANG décore des tagueurs et grapheurs de la Légion d’honneur. La « subversion » règne en maîtresse absolue dans les salons de la République. Le peintre qui ne voudrait pas détruire l’ordre établi restera enfermé dans les fumées de l’inexistant (= à la porte de la renommée et du succès).

 

 

La révolution se porte bien, c'est un beau lys rouge (oxymore®) au revers du veston. Le révolutionnaire a pignon sur rue. Il intimide. On baisse les yeux. Tout ça lui a rapporté des milliards. Le dynamiteur en chef est honoré, célébré, adulé des femmes, on se l’arrache. Les artistes l’imitent. Ce sont les MUTINS DE PANURGE, comme dit PHILIPPE MURAY, dans une formule qui condense à merveille l’imposture. 

 

 

Car tout ça est évidemment de la foutaise. En peinture, en théâtre, parfois même en musique (JOHN CAGE, dont j'ai réentendu hier soir la guignolesque et inénarrable "pièce pour piano jouet"), ce qui compte, ce n'est pas l'art. Ce qu'il faut, c'est avoir une IDEE, une simple idée qui va permettre de régner quelque temps sur l'esprit des snobs et des imbéciles, dans l'empyrée du SUCCES.

 

 

Attenter à l'ordre établi, tant que ça reste de l'ordre du spectacle, voilà le nouveau CONFORMISME. Si vous avez ce genre d'idée, fortune est faite. Mais soyez sûr que si vous voulez sortir du spectacle pour entrer dans la réalité avec l'intention d'attenter au même ordre établi, il y a la police et l'armée. Regardez du côté de l'armée égyptienne et de la place Tahrir.

 

 

Pour reconnaître les imposteurs, ces marionnettes du dérisoire, ce n’est pas difficile : vous regardez les « artistes » qui occupent le devant de la scène et dont la cote est au firmament financier. Pour les trouver, ce n’est pas difficile : vous observez le sillage des milliardaires, genre FRANÇOIS PINAULT ou BERNARD ARNAUD.

 

 

S’il reste des artistes, je pose la question : « Où sont-ils ? ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

J'arrête là.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

dimanche, 23 octobre 2011

MUSIQUE, PEINTURE ET SALMIGONDIS

Regardez en peinture, comment ça se passe : il y a longtemps, c’était du temps de la Galerie K (quai de Bondy, non loin de la salle Molière) et de Colette Kowalski, veuve du poète lyonnais Roger Kowalski, mort trop tôt, je m’étais permis de faire remarquer à Régis Bernard (qui avait repris l’atelier de Henri Vieilly, place Antonin-Poncet, il me semble) que sa peinture me faisait tout à fait penser à celle de Giorgio Morandi. Dans mon esprit, c’était plutôt flatteur, car Morandi est un tout grand artiste. Il n’avait pas donné l’impression d’être démesurément flatté de ma remarque. Et pourtant, Régis Bernard est un vrai bon peintre.

 

Cela montre peut-être combien est grande, sur l’artiste (poète, musicien, peintre), la pression d’une exigence : apporter du nouveau, en particulier un « style » qui devienne sa « patte » reconnaissable et irréfutable. Qui n’appartienne qu’à lui. Une condition sine qua non. Faire ce que personne avant lui n’a  fait. D’une manière qui ne fut celle de nul autre avant lui. Mathématiquement impossible : vous imaginez sept milliards d’artistes, tous individués de manière nette et sans bavure ?

 

Drôle d’exigence quand même, et dans un drôle de monde. C’est vrai quoi, pendant des millénaires, le nouveau a fait peur, et pour une raison bien simple : ce qui est nouveau est inconnu, et ce qui est inconnu est dangereux, et c’est dangereux, parce que ça risque d’ébranler l’ordre établi, le mode de vie, les points de repère, que sais-je ? De tout foutre en l’air, si ça se trouve.

 

Nous, on est des drôles d’animaux, par exemple. Même pas peur ! Pas peur du nouveau. C’est même le contraire : on guette, on est à l’affût. On est malades d’innovation. Besoin d’inscrire son nom dans la déjà interminable liste des innovateurs. Tiens, c’était quoi, le nom de cet « artiste », et en quelle année c’était, qui avait rempli un camion-benne de balles de ping-pong, qui avait été amené en marche arrière au sommet de la Montée de la Grand’Côte ? Le chauffeur avait actionné la benne. L’ « artiste » avait ouvert le battant arrière, et contemplé en riant et battant des mains les milliers de petites baballes débaroulant jusqu’à la place des Terreaux, tout au moins jusqu'au local de la secte scientologique.

 

Mais au moins, ce geste dérisoire a la gentillesse amusante de l’enfantillage. Et ça n’a pas la prétention hargneuse et hautaine de certains qui se disent « hartistes » (avec « h » violemment aspiré). Je pense à ce niais prétentieux qui avait cru intéressant de suspendre au plafond, en un quadrilatère régulier de 10 sur 10, une centaine de traversins de couleur écrue au bas de chacun desquels il avait inscrit au feutre noir le prénom de la fille supposée y avoir une nuit posé sa tête.

 

C'est quoi, ce monsieur ? Ni la vigueur, ni le savoir-faire pour donner aux dames l'envie de s'attarder plus d'une nuit sur son oreiller ? Eh bien je le dis : je le plains. En plus, cette exposition de l'intimité a quelque chose de prétentieux dans l'indécence, ou d'indécent dans la prétention. Il y a certes plus prétentieux. Cela se passait hélas au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, dirigé par l’excellent Jean-Claude Guillaumon. Lequel m’avait fait l’amitié trop généreuse de m’inviter à y intervenir en 1988, moi qui n’y avais guère de titres. J'avais platement lu mon Manifeste de Babelthérapie. Je n'ai aucun sens de la mise en scène.

 

Je ne partirai pas en guerre contre les moulins à vent de l’art contemporain qui se prennent pour des géants attendant en vain leur Don Quichotte pour en acquérir un petit lustre. Cela ferait trop plaisir à Daniel Buren, fossilisé avant  d’être mort dans les innombrables strates marneuses de ses milliers de bandes alternées de 8,7 centimètres de largeur. On en retrouvera les traces dans quelques milliers d’années, et les paléontologues interloqués se gratteront le crâne devant ces étranges manifestations de rituels religieux : à quoi de même pas intelligent, mais simplement sensé auraient bien pu se référer des éléments aussi secs, malhabiles et rudimentaires, qui avaient tout d’un académisme  bégayant et guindé ?

 

Je ne partirai pas en guerre contre Bertrand Lavier, qui « interroge les rapports de l’art et du quotidien », et qui modifie et hybride, au sein même du musée, « des objets de la vie courante, de façon à ce que leur statut même s’en trouve mis en question » (wikipédia). Je lui laisse ses porte-manteaux et autres accessoires accrochés en biais, en diagonale ou de guingois.

 

Je me garderai de partir en guerre contre les carreaux blancs de Jean-Pierre Raynaud, qui transforme tout en décor de salle de bains, dont  une « stèle pour les droits de l’homme », à Barcelone (ne pas oublier les joints noirs comme constitutifs de l’œuvre d’art). Je ne m’en prendrai pas davantage à la maison qu’il a mis plus de 20 ans à édifier pour des « études spatiales », et qu’il a décidé de détruire et de réduire en morceaux, pour vendre ceux-ci empilés dans de très gros pots de fleurs.

 

Ne me parlez pas non plus de Claude Viallat, immortel inventeur du quadrilatère flasque, forme qu’il a déclinée sur toutes sortes de supports textiles et dans toutes sortes de couleurs (des « toiles non tendues », s’il vous plaît), et dont il a défiguré l’église Notre-Dame des Sablons à Aigues-Mortes en en faisant le motif des vitraux.

 

Remarquez, tout le monde s’extasie devant le champion du monde du noir, Pierre Soulages, mais regardez l’effet visuel que donnent maintenant les vitraux de la fabuleuse église de Conques (avec son tympan du jugement dernier à se relever la nuit du dernier jour). Vu de l’extérieur, un effet d’acier mat, vu de l’intérieur, des diagonales relativement incompréhensibles.

 

Ce qui fait qu'on supporte qu'Erik Dietman fasse partie de la bande des truqueurs, c’est une sorte de jubilation noire et ricanante. Ma foi, pourquoi pas ? Mais le tableau de Christian Zeimert « Le monde riant » est juste fait pour s’esclaffer (hi hi, Piet Mondrian (1872-1944), la bonne blague). Orlan, la masochiste, a transféré très tôt son atelier dans un bloc opératoire, ce dont on voit les effets sur son propre corps. Elle est très fière des « cornes » qu’elle s’est fait greffer par un chirurgien, et ce n’est pas sa farce du « Baiser de l’artiste » qui peut sanctifier le naufrage (le slogan « Ceci est mon corps », était déjà pris).

 

Au fond, ce qui me donne la nausée, dans une bonne partie de l’art contemporain, c’est que ceux qu’on appelle par abus de langage des « artistes » se sont fait un nom sur une seule idée, qui devient leur marque de fabrique, qu’ils rentabilisent à tout va, et qu’ils déclinent ensuite de toutes les façons de formes, de couleurs, de lieux, de conditions temporelles possibles et imaginables : César et ses compressions, Andy Warhol et ses multiples, etc.

 

Cette unique idée, elle devient explication et synthèse du monde, « cymbalum mundi », système philosophique, grille de lecture pour les grands mystères de l'humanité. Elle est érigée en dogme. Les prêtres de leur Eglise le proclament. Les fidèles s'inclinent et s'agenouillent pour communier, et se mettent àat ventre pour leur baiser les orteils.

 

Vraiment, peut-on dire que Keith Haring ou Robert Combas ont développé un « style » ? Non : ils ont créé du « visuel ». C'est de la publicité. C’est de l’image de marque, et rien d’autre. Peut-on dire que Ben Vautier possède un style, avec ses formules à la noix qu’il a vendues contre monnaie sonnante à la marque Clairefontaine, et qui « habillent » à qui mieux-mieux les cartables et agendas des collégiens et lycéens ?

 

J’ai vu il y a fort longtemps une « installation » de Jean Clareboudt à la maison de la Condition des Soies : que voulez-vous, les bras m’en tombent. Même chose pour cette « performance », vue au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, je ne sais plus quand, où une femme parcourait un quadrilatère en versant du sable en quatre petits tas, pendant qu’un collègue équipé pour l’escalade parcourait un mur lui-même équipé pour ça, et qu’un troisième larron poussait à intervalles réguliers de petits cris, assis dans une baignoire suspendue au plafond dont il s’échappait par la bonde un liquide jaunasse comme  de l’urine. Y a-t-il quelque chose à ajouter à ce petit descriptif neutre et objectif ?

 

Mon but n’est évidemment pas de faire l’inventaire de toutes les colifichets que des camelots d’art ont cru de leur devoir d’encombrer la réalité existante. Ce serait plutôt de glisser une remarque dans l’oreille des « artistes expérimentaux ». Monsieur Daniel Dezeuze, reconnaissez que vous vous êtes livré à un bon gros foutage de gueule, avec votre « Echelle en bois souple déroulée au sol ». Monsieur Robert Malaval, avouez le mensonge moral que constitue  votre « Germination d’un fauteuil Louis XV » (d’ailleurs vieux comme L’Enigme d’Isidore Ducasse. Empaquetage, de Man Ray (1920), ou le Couvert en fourrure, de Meret Oppenheim (1936)).

 

Tout le monde a en mémoire les spectaculaires empaquetages de Christo. Mais quand il a empaqueté le Pont Neuf et le Reichstag, qui a dit qu’il a purement et simplement piqué l’idée, en l’amplifiant, à Man Ray qui, lui (en 1920, s’il vous plaît !), rendait hommage aux Chants de Maldoror, de Lautréamont (« beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table à dissection »), ce qui avait tout de même un peu plus de gueule, quoi qu’il faille penser de son paquet ficelé ?

 

Trop de démarches « artistiques » modernes sentent la rentabilisation effrénée d’idées toujours déjà précédentes, la recherche de notoriété et de fric, dont Andy Warhol est la caricature paroxystique. Ou alors tout simplement, ça sent le manque d’inspiration. « Qu’est ce que je pourrais trouver, qui n’ait jamais été fait ? Une idée qui marche ? » Surtout « qui marche ». Et si tous les fabricateurs d'oeuvres et les imposteurs d'art ne souffraient pas, tout bien considéré, de radicale pauvreté, de totale absence d'inspiration ?

 

Mais heureusement, il reste de la vie dans le désert de l’art contemporain.

 

Parlez-moi du travail de Bernard Réquichot, alors là, moi, je marche à fond. C’est tout ce que vous voulez, ces traits qui s’enroulent sur le papier, qui s’entrelacent, se recouvrent, se développent comme des tentacules ou des pseudopodes, qui me font penser aux monstres qui naissent sous la plume de Franquin (oui, le même que celui de Gaston Lagaffe). Quelque chose de complètement allumé, certainement, et de vaguement inquiétant, j’en suis d’accord. Mais tout à fait fascinant. Quoi, c’est confidentiel ! Bien sûr que c'est confidentiel !

 

Mais c’est justement pour ça que c’est intéressant, Bernard Réquichot. Pourquoi ? Parce qu’on sait tout de suite qu’on a à faire à un individu, et non pas à un marchand ou à un clone. C’est un vrai problème : comment se distinguer de la masse, c’est-à-dire comment devenir ou rester un individu, quand il y en a six milliards d’autres aussi légitimes à y prétendre ? Et comment le faire sans user de « trucs » et procédés dont la seule vertu est de frapper à l’estomac ? Le seul moyen, c’est de rester dans son coin à cultiver son lopin, comme Bernard Réquichot.

 

Mais du coup, qui connaît Bernard Réquichot ?

 

A suivre, avec un vrai peintre, cette fois, promis.