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mercredi, 26 octobre 2011

ELOGE DE L'OPERETTE

Reprenons. J’en étais à l’opérette. Inoubliables opérettes entendues à l’Opéra. Attention les yeux, là, ça devient grandiose ! L’ouvreuse a la clé spéciale pour ouvrir la « loge du gouverneur ». Je fais l’important, pour un peu, je jouerais les blasés. Juste parce que les parents sont amis de l’adjoint au gouverneur militaire. J’en profite sans vergogne. J’en profiterais bien davantage, si l’extase proprement musicale ne risquait pas d’en souffrir

 

 

Car il y a dans la loge les très belles LAURENCE et ANNE-SYLVIE D. Mais la présence de SYLVIE, l’œil et l’oreille dans les coins, me dissuade. Je n’ai aucune envie de partager avec elle quoi que ce soit, surtout du clandestin. Je suis donc obligé, dans ces occasions, de laisser le puissant réchaud de LAURENCE fuser en veilleuse et en vain, et la jolie tête penchée d’ANNE-SYLVIE sans épaule pour s’appuyer, pour porter mon attention sur ce qui se passe du côté de la scène, dessus et en dessous.

 

 

Je suis donc spectateur, dans des conditions privilégiées, mais assis sur des chaises inconfortables au possible (revers du privilège), aux opérettes classiques, dans des mises en scène classiques, avec un orchestre excellent et des chanteurs de très bonne qualité : les conditions optimales. Pour cette raison, la salle est bourrée à craquer. Et c’est là que se produit le merveilleux : la salle  connaît par coeur « l’escarpolette », « va petit âne », et les autres airs, et le plus fort, c’est qu’elle les reprend avec les chanteurs, et en mesure s'il vous plaît. Pas la peine de vous décrire l’ambiance dans la salle et sur scène. Voilà ce que c’est, une musique populaire.

 

 

Qui a rempli la salle, me direz-vous ? Des vieux ? Bien sûr qu’il y en a. Des gens du « populo » ? Bien sûr qu’il y en a. Mais nous, nous avons quel âge, là ? De quinze à dix-huit, à tout casser. Et pas les seuls de cet âge, loin de là, je vous jure. Et à côté des concierges et des épiciers, je vous jure, il y a des gens « bien », et qui n’ont pas honte ! Et vous verriez tout ce monde, un jour où on donne L’Auberge du cheval blanc, entonner avec un bel air de conviction et de joie : « La bonne auberge du cheval blanc, séjour aimable et troublant, pour toi le bonheur s’apprête, au seuil de la porte il te guette » ! Tous !

 

 

Enfin, mettez tous les verbes à l’imparfait. Aujourd’hui, ce genre d’événement est rigoureusement impossible, inimaginable. C’est vrai qu’on donne encore des opérettes de temps en temps. Mais regardez le public : rien que des vieux ! Ça me fait « flipper ». Idem un car de touristes qui débarque son « troisième âge » allant faire ses emplettes au supermarché installé juste sur le Cap Nord.

 

 

Ben oui, quoi, aujourd’hui, c’est chacun chez soi : prenez votre file et surtout n’en bougez pas. Vous alliez voir THIRD WORLD  ou BURNING SPEAR, et vous vous retrouvez à BRITNEY SPEARS ; vous aviez payé pour MARTIAL SOLAL, et vous tombez sur RADIOHEAD, un tout petit peu dépaysé, et à peine déplacé ; vous attendiez le QUATUOR BORODINE, c’est NOLWENN LEROY qui entre en scène. Avouez que ça la foutrait mal !

 

 

Aujourd’hui, on vous demande dans quel créneau vous vous situez. Oh, c’est bien fait, c’est scientifique, les sondages, enquêtes marketing et autres enquêtes d’opinion. Le statisticien a découpé le « marché » de la musique en autant de tranches qu’il y a de « genres », il vous a préparé votre case comme une concession au cimetière : si vous êtes « punk rock », c’est par là, si vous êtes « électro jazz », c’est par ici, on va vous guider. Faut pas que vous vous perdiez, des fois que vous vous mélangeriez à des « pas comme vous ».

 

 

Vous voulez que je vous dise ce que c’est, un « créneau » musical, aujourd’hui ? Moi j’entends « ghetto » : les jeunes avec les jeunes, les trente-quarante dans un autre bocal, les « new orleans » entre eux, les « rappeurs » sous le péristyle de l’Opéra, les « techno », n’en parlons pas. On ne peut même pas appeler ça « paroisse », parce que, comme il n’y a plus que les vieux qui vont à la messe, elle est devenue un autre ghetto.

 

 

Non, je trouve que le mot « bocal » convient assez bien. Comme un poisson, je vois passer au loin d’autres poissons, mais on ne risque pas d’avaler les mêmes paillettes. Pour définir cette époque où les gens sont de plus en plus conduits à refuser de se mélanger, je propose ce mot d’ordre: « Chacun dans son bocal, et les poissons seront bien gardés ».

 

 

Vous savez pourquoi ? Les sondages des sondeurs ne sont pas faits pour les chiens, ils servent. Un nouveau « goût » pointe son nez ? Vite, on dessine précisément le « profil » de la « cible », et on lui fabrique dans la foulée son « produit » spécifique qui sera dans les bacs dès la semaine prochaine. En marketing, le métier du mec, c’est d’être « au taquet » de minuit à minuit. Les goûts de « niche », ça demande un peu de travail, mais on arrive à vendre assez de « consensuel » pour rentrer dans nos frais et faire un peu de gratte par-dessus le marché.

 

 

Dites-moi la seule fois que vous avez trouvé un  « échantillon représentatif » de toute la société dans une même salle de concert. J'attends. Est-il même possible de trouver quoi que ce soit qui « fasse société », de nos jours ? Je signale que c’est précisément maintenant que tous nos orateurs sociaux et politiques deviennent lyriques pour n’avoir à la bouche que de « redonner du sens », de restaurer le « vivre-ensemble », de favoriser la « fête des voisins » et autres fadaises, fariboles et calembredaines. C’est quand on l’a définitivement perdu qu’on se rend compte de la perte.  

 

 

Il faut dire que bien des efforts ont été faits pour arriver à ce glorieux résultat qu’ils appellent « délitement du lien social », que tout le monde déplore évidemment. Pour ponctuer l’expression, je laisserais volontiers la parole à Zazie, celle de RAYMOND QUENEAU, qui savait placer au bon moment une formule moins consensuelle que le trop connu : « Ils sont fous, ces Romains ! », mais que ma sainte répugnance pour la vulgarité m’interdit de reproduire ici. Il faut sans doute compter au nombre de ces efforts l’irruption sauvage de l’Opéra Nouveau !

 

 

Ah, on allait voir ce qu’on allait voir ! Fini la poussière ! Au diable, la routine ! Dans le placard à balais, les vieilleries ! Et du jour au lendemain, l’opérette est passée à la trappe. L’oukase est tombé : « RINGARD ». Qu’est-ce que ça voulait dire, en réalité, « ringard » ? On peut se poser la question. Tout bien considéré, ça signifiait que le répertoire ne s’ouvrait pas assez au « contemporain », à « l’avant-garde », à « l’art en train de se faire ».

 

 

A suivre …

 

 

Commentaires

Belle prétérition dans l'évocation en creux d'une force certaine du vulgaire, de l'informé brutal qui se réduit par défaut de civilisation, de formulation, en une expression de moindre résistance éructée. Je préfère pour ma part, rejetant tout autant ce qui est banale vulgarité, employer "grossier" en place de" vulgaire" pour ces instants de cri entr'articulé...

Etonné aussi que ma journée d'hier ait tristement fait écho au "délitement du lien social" évoqué dans ce fil, par l'annonce au peuple salarié auquel j'appartiens de l'octroi souverain d'une promesse d'augmentation de salaire individuelle en réponse à l'expression collective d'une augmentation générale. Où le rejet s'immisce dans l'opération de distinction individuelle séparant le méritant du non-méritant tous deux entomologiquement épinglés sur une échelle subjective réalisant l'aliénation de mesurer les mérites respectifs du cerveau et des intestins… De la gestion des ressources humaines au seul kilogramme, qui porte au front la marque du rejet du complémentaire, du différent, de l'imparfait, du vieux… de l'Autre… de l'espace, du temps… du Soi.

Ce qui n'est pas sans évoquer la construction de la tour de Babel pour laquelle les bâtisseurs "prirent des briques à la place des pierres", "pierre" que le terme hébreu relie aux deux racines père et fils, alors que "brique" ne renvoie qu'au seul fils. La perte de la commune origine, principe ou passé, matrice ou opérette, conduit l'humanité à la présente confusion des langues d'individus sans plus aucun lieu commun, révélant la nudité sans esprit du Roi derrière l'habit d'arlequin sans couture des monologues.

Et, en son élan profond, la Vie refleurit déjà de nouveaux liens … Vivat !

Écrit par : Vincent G. | jeudi, 27 octobre 2011

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