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jeudi, 13 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (2)

J’ai continué à m’intéresser. Je suis allé aux concerts, j’ai acheté les disques, en me disant que, de tout temps, les gens ont écouté la musique qui se faisait là où ils vivaient, au moment où ils vivaient, et qu’il n’y avait pas de raison pour que ça changeât. Ça tombe sous le sens. La musique a évolué, comme la peinture, comme l’architecture, comme la poésie. Ce n’est pas parce que la modernité a inventé la musique EN CONSERVE qu’il faut arrêter d’écouter ce qui se compose ici et maintenant.

 

 

Je précise que je parle ici de la « musique savante ». Une autre fois et à part, je parlerai du reste, c’est-à-dire de la saucisse sonore au kilomètre, qui sert à provoquer des gestes convulsifs légaux chez ses adeptes pendant des nuits entières et autorisées. J'évoquerai aussi  les ghettos musicaux infinitésimaux farouchement campés sur leurs « identités ». L’évolution des formes, certains appellent ça « l’histoire », d’autres appellent ça « le progrès ». C’était ce que je me disais naguère, avant de me poser des questions « existentielles ».

 

 

 

La musique contemporaine, si on ne s'y est jamais aventuré, c'est compliqué.

 

 

La première tendance à citer est l'amorphisme. Il m’arrive d’écouter de temps en temps, à titre de curiosité, « les lundis de la contemporaine » sur France Musique. J’ai évoqué ici même, le 29 mars, un de ces concerts du lundi. Je parlais, à propos de la musique de BRICE PAUSET de « retour massif de l’organique », de « régression vers l’animalité », et de « retour puissant de l’adulte vers l’oral et l’anal ». Il y a, dans cette branche de la musique contemporaine, de l'inarticulé. Remarquez, Tintin a bien appris à parler l'éléphant (Les Cigares du pharaon).

 

 

On assiste là à la promotion du larvaire et de l’informe. C’est choisir la trace du pas en lieu et place de la personne qui l’a laissée. C’est réduire le repas gastronomique aux bruits intestinaux qu’il provoquera. C’est ramener la forme esthétique élaborée à l’informe de la matière dont elle est constituée. C'est faire du bredouillement primitif de l'enfant le modèle impérieux de l'éloquence humaine. C'est disséquer l'emploi du temps amoureux et le menu des repas d'un grand homme pour percer le secret de son génie. J'arrête.

 

 

Une deuxième grande tendance à fuir dans la musique contemporaine, c’est celle de l’ingénieur en mathématiques et du théoricien des sons, qui concocte « in vitro » des partitions d’une complexité musicale insurpassable (pour bien montrer à ses confrères qu’il sait faire), mais qui laisse l’auditeur (je veux dire le mélomane) raide sur le carreau et froid comme un poisson juste sorti du congélateur.

 

 

Il faut être arrivé premier en mathématiques à X-Mines-Ponts pour entrevoir de loin la beauté de la chose. Je partage volontiers le prix Nobel dans cette catégorie entre PIERRE BOULEZ et KARLHEINZ STOCKHAUSEN (mais celui-ci s’est illustré de bien d’autres façons croquignolettes, alors que l’autre, le  gourou pénétré de son propre sérieux et de sa propre importance, n’a jamais utilisé d’hélicoptères pour accompagner ses quatuors à cordes).

 

 

 

La troisième tendance à évoquer, comme elle a offert à boire, mais aussi à manger, il faut se montrer prudent, nuancé et circonspect. Je veux parler de tous ceux qui ont suivi l'exemple de l'auteur du Traité des objets sonores : PIERRE SCHAEFFER, pionnier de la « musique concrète », et qui sont partis avec leurs magnétophones dans les gares, les ports, les usines et autres lieux où les hommes (ou bien la nature) produisent des sons, qui sont en l'occurrence des BRUITS.

 

 

Ensuite, ils revenaient dans leur laboratoire et, en coupant et collant savamment les bouts de leur collecte (ça s'appelle échantillonnage, et je ne vous dis pas les pas de géant que l'informatique a fait faire à cette façon de procéder), puis en combinant tout ça avec des sons électroacoustiques, mais aussi, ô merveille rare, avec des sons musicaux authentiques (= produits par des instruments de musique, c'est comme ça que ça s’appelle), bâtissaient des morceaux qu'ils appelaient oeuvres. Mais c'est vrai que des oeuvres, il y en a (je pense, par exemple, à City life, de STEVE REICH).

 

 

Une quatrième tendance de la musique contemporaine, c’est ce que j’appellerai le « FOUTAGE DE GUEULE». Je considère les « pianos préparés » de JOHN CAGE comme une aimable farce. Mais moins farcesque que son « morceau » pour piano intitulé 4’33’’, où le pianiste s’assied en croisant les bras ostensiblement devant son instrument pendant quatre minutes et trente-trois secondes, pour bien montrer au public que la musique ne s’arrête jamais, pourvu que l’on compte parmi les sons musicaux les catarrhes tubaires du dit public, les froissements de papiers, les fauteuils de la salle qui grincent, etc..

 

 

JOHN CAGE a aussi composé un morceau pour piano jouet (un vrai jouet faux piano) et diverses autres joyeusetés du même lard. Inutile de dire que toutes les explications tendant à démontrer que de telles « oeuvres » sont de savants commentaires sur la nature de la musique déclenchent chez moi de redoutables spasmes d'hilarité.

 

 

Remarquez, je ne sais pas si le larvaire n’a pas finalement quelque chose à voir avec le « foutage de gueule ». Quoi qu’il en soit, dans le même chapitre, je fais entrer pêle-mêle les coups sur le bois du piano (avec les doigts, le poing, le coude…), les fouettements du manche de violoncelle avec la mèche ou le bois de l’archet, la pichenette du violoniste lancée du bout de l’ongle au verre en cristal à moitié rempli, placé sur le pupitre, et tout un tas de trouvailles délicieuses et si originales, ma très chèèère !

 

 

C’est incroyable le nombre des gens de bonne foi qui prennent encore au pied de la lettre le dernier vers du dernier poème des Fleurs du Mal : « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Le « nouveau » à tout prix a vite fait de devenir une impasse. Ils oublient un peu vite ce qui précède : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! ». Baudelaire a raison : appareillons. Je veux dire : fuyons !

 

 

Une autre tendance a encore pas mal de succès. Prenez un instrument tout seul, poussez-le dans ses retranchements, faites-le hurler ses suraigus et gronder ses infrasons avec quadruple forte, faites passer l'archet du violon de temps en temps sur les cordes, mais aussi sur le bois, sur le chevalet, en dessous du chevalet. De la flûte, faites entendre le simple souffle qui passe à travers, ou le bruit que font les clés sous le choc des doigts. Sur les touches du piano, le bruit du choc du bout du doigt. Bref, tout comme ça. LUCIANO BERIO est sans doute le maître de l'exercice, sous le nom de Sequenza,  en faisant « chanter » à sa femme KATY BERBERIAN toutes sortes de bruits, y compris ceux qui sortent de la salle de torture, ou de la salle d'accouchement, ou du lit conjugal, on finit par ne plus savoir. 

 

 

Ce qui est marrant, ici, c'est que le compositeur essaie de faire dire à l'instrument tout ce pour quoi IL N'A PAS ETE FAIT, c'est-à-dire de la musique musicale. Il ne faut surtout pas que le compositeur donne l'impression que les instruments de son orchestre ont quoi que ce soit à voir avec le CHANT. J'exagère, je sais, mais il y a de ça. Faire entendre le bois du violon, le vent dans la flûte, et tout et tout : ce que veut le musicien, ici, c'est échapper au carcan, à la prison, à la dictature de la PARTITION. On ne dira jamais assez, dans la musique, les méfaits de la partition. On a observé le même effort dans la peinture : je ne sais qui avait exposé des toiles avec le côté peint face contre le mur.

 

 

Je signale pour finir, à propos de « foutage de gueule », que JOHN CAGE était un excellent copain de  MARCEL DUCHAMP, immortel inventeur de l’urinoir artistique (sous le nom de « fontaine ») et du non moins artistique sèche-bouteilles, objets qu’il dénommait « ready-mades », mot qui veut dire (je traduis en français) : « Ne me faites plus ch ... avec l'œuvre d’art ».

 

 

Je renvoie à la facétie du même, consistant à exposer un « objet-dard »  face à une « feuille de vigne femelle » (pas besoin de décrypter), ou à cette autre (pertinemment intitulée Why not sneeze Rrose Sélavy ?), qui consiste à empiler dans une petite cage à oiseau un tas de petits cubes de marbre (pour faire les morceaux de sucre) augmentés d’un thermomètre et d’un os de seiche. A la vôtre ! Mais le plus marrant dans l'affaire, c'est l'innombrable postérité de ce que j'appellerai le GAG à prétention artistique et les  mètres de rayons de bibliothèques savantes qui se sont écrits pour commenter l’ « œuvre » du maître.

 

 

Rien n’est plus drôle que cette armée de graves savantasses penchés, le front plissé dans un indicible effort de contention, sur les bobards, canulars et autres plaisanteries d’un brave monsieur très intelligent, excellent mystificateur, qui a très tôt compris que son talent était trop mince pour lui permettre de rivaliser avec des PICASSO, MATISSE ou BRAQUE, ses contemporains et qui, plutôt que de se résigner aux seconds rôles, a préféré « se faire un nom » en jouant les EROSTRATE, (excusez-moi : c'est l'incendiaire du temple d’Artémis à Ephèse, en – 356, dont le nom seul est resté, comme c’était son but).

 

 

Cette leçon n’est pas tombée dans l’œil d’un aveugle, puisque ANDY WARHOL a pris le même chemin, dans une variante et une époque « consommation de masse ». ANDY WARHOL, dont le but était avant tout de gagner beaucoup d'argent, fit tout de même un jour cet aveu ahurissant : « Il est trop difficile de peindre ». MARCEL DUCHAMP, ANDY WARHOL et une foule d’autres, après tout, ne sont que des flemmards, des cossards, de vulgaires GROSSES FEIGNASSES d’atelier, des tire-au-flanc de la palette et du chevalet. Bref des PARESSEUX. Dommage qu’ils aient été  intelligents (et rusés), et surtout qu’ils aient fait passer (c’est ça, la ruse) leur intelligence pour le nec plus ultra de la démarche artistique.

 

 

Et que des millions de gourdiflots vaguement niquedouilles, d’ânes carrément bigorneaux et d’andouilles joyeusement moules (j'ai malheureusement fait partie de la cohorte, mais je me suis soigné), guidés par tous les Diafoirus frénétiques et agités du bocal de la « critique », n’y aient vu que du feu et aient accouru au bruit tonitruant de la renommée, au point d’en obscurcir l’horizon et d’en gaver le paysage. Jusqu’à ce qu’un jour peut-être, l’estomac du paysage ne restitue tout ça sous la forme des vomissures que ça n’aurait jamais dû cesser d’être.

 

 

A suivre bientôt, et promis, retour à la musique contemporaine.

 

 

 

 

 

 

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