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jeudi, 07 juin 2012

LE MONDE, SUBVERSION DE SOI-MÊME

RÉSUMÉ : les critiques, dans toutes les disciplines de la création artistique (jusque dans le monde de la mode) crient au miracle et se rendent en longues processions dans les temples de la « Culture » pour se prosterner devant leurs grands prêtres, passés maîtres dans l’art de transgresser les règles admises, d’enfreindre les codes, de violer la morale, d’oser subvertir la société, de commettre des attentats contre l’ordre esthétique établi. Et pourtant, l’ancien monde n’a pas bougé, il est toujours debout. Comment se fait-ce ? 

 

N’allons pas chercher la réponse trop loin. Tout ce petit peuple qui mange aux multiples râteliers des Arts et des Lettres, tous ces laborieux tâcherons, plus ou moins lumineux, tous ces « révolutionnaires » qui ne font la « révolution » qu’à condition qu’elle soit subventionnée par l’Etat, - l’impeccable parce qu’intellectuellement intègre PHILIPPE MURAY les assaisonne dûment, en leur accolant généreusement la formule, délicieuse et parfaitement exacte, de « MUTINS DE PANURGE » (tiens, revoilà Panurge, décidément, on ne se débarrasse pas de Panurge). 

 

Et ce sont ces schtroumpfs qui déclarent que c’est eux qui changent le monde. Remarquez, BERNARD-HENRI LÉVY, dans son film Le Serment de Tobrouk, s’attribue bien la chute de KHADDAFI, pas à lui tout seul, mais pas loin ! Alors, au point où on en est. 

 

Sur les scènes de théâtre, de danse, d’expositions, de « performances », venez braves gens, voyez défiler la longue cohorte des MUTINS grassement rémunérés, des INSOUMIS fonctionnaires, des DISSIDENTS en mission officielle, des REVOLTÉS conformes, des REBELLES uniformisés.

 

 

Leur profession de foi ? « En dehors » ! (A condition que ça reste confortable.) Remarquez, on a vu récemment se présenter à la présidentielle un candidat paraît-il « anti-système », copain du dit BERNARD-HENRI LÉVY, qui venait de passer cinq ans à l’Elysée. Comme il disait en 2007, SARKOZY : « Tout devient possible ».

 

Si, si, c’est possible, le mec du système qui devient anti-système du jour au lendemain. J’entends quelques-uns soupirer : « On a déjà tout vu ». Et moi, je rétorque finement : « Non, messieurs, s’agissant de propagande, vous n’avez pas encore tout vu ». Attendez la propagande « socialiste », avant de prononcer un jugement. J’espère qu’il ne vous faudra pas trop de « neutralité » pour avouer que vous avez méchamment déchanté. 

 

Il suffit de savoir qu’on appelle aujourd’hui « subversion » ce qu’on appelait il n’y a pas si longtemps « conformisme ». C’est juste une question de vocabulaire, comme dans 1984 de GEORGE ORWELL. Il suffit d’appeler l’esclavage « liberté » pour que tout le peuple d’esclaves soit aussitôt déclaré « libre ». ORWELL appelait ça la « novlangue ». C’est un autre nom pour la « magie du verbe ». Certains appellent ça la « publicité ». Je trouve que c’est assez bien vu : l’inversion est une figure bien connu des publicitaires. 

 

La VÉRITÉ vraie, vous voulez que je vous dise, c’est qu’aujourd’hui, plus rien et plus personne au monde n’est en mesure d’introduire la plus petite once de SUBVERSION dans l’ordre du monde. La vérité vraie, c’est que toutes les tentatives, tous les efforts de subversion de l’ordre établi effectués jusqu’à présent ont échoué, y compris et au premier chef la révolution « communiste », dont les piques ont fini par s’enfoncer dans l’édredon insondable de l’ordre du monde. 

 

Et cela, pour une raison unique : si toute subversion de la société est devenue rigoureusement impossible, c’est que nous avons inventé la SOCIÉTÉ DE LA SUBVERSION. Notre société a accompli le tour de force d’adopter pour base et principe premier de fonctionnement la révolution constante, le bouleversement de tout à tout moment. Aujourd’hui, il est interdit de ne pas être « subversif ». 

 

Le monde tel qu’il est organisé a fait de sa propre SUBVERSION le moteur même qui l’anime. Pour éliminer tout risque de destruction par des forces extérieures à elle, il s’est débrouillé pour intégrer dans ses fibres mêmes les forces de sa propre négation. 

 

Pourquoi croyez-vous qu’un « puissant » comme Monsieur FRANÇOIS PINAULT dépense à plaisir beaucoup d’argent dans son immense Palazzo Grassi à Venise, pour abriter sa collection d’art « subversif » (qu’on appelle « art contemporain ») ? Pourquoi croyez-vous que Monsieur AILLAGON demande à des gens comme JEFF KOONS ou TAKASHI MURAKAMI de profaner le site historique de Versailles avec leurs déjections excrémentielles, ostensiblement encensées ?

 

C'est pour ça qu'il ne saurait plus y avoir de « menées subversives » dirigées contre l'ordre établi, puisque l'ordre établi est précisément établi sur la subversion en action, la subversion permanente. Il est là, le nouveau conformisme.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

A suivre dans quelques jours.

mercredi, 06 juin 2012

EURO URGENCE

Je glisse ce billet impromptu parce qu'il faut très vite diffuser la vidéo de cette conférence de MYRET ZAKI et ETIENNE CHOUARD, pour faire connaître à tout le monde les vrais ressorts de la guerre de l'euro qui est en train de se livrer, et qui a bien des chances de ruiner l'Europe. Attention : ça dure deux heures et demie. Mais ça en vaut la peine !!! Le titre exact est "L'Etat et les banques : les dessous d'un hold-up historique". C'est du brutal. Pour ceux qui n'ont pas le temps, n'allez pas jusqu'à l'intervention de ETIENNE CHOUARD, un peu trop exalté à mon avis, et concentrez-vous sur le quart d'heure de MYRET ZAKI. A mon avis, PAUL JORION lui-même est dépassé. C'est dire où on en est.

 


DE LA SUBVERSION EN MILIEU CULTUREL

 

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N'EST-CE PAS QUE C'EST DERANGEANT ?

 

Vous avez entendu, le critique de théâtre enthousiaste, qui chantait les louanges de tel spectacle en Avignon où des acteurs pissaient sur les premiers rangs de spectateurs : « Quel sens admirable de la transgression ! » ? Vous l’entendez, le critique de cinéma, encore terrassé par la violence des émotions ressenties lors de la projection de Crash : « Jamais on n’avait osé aller si loin dans l’ébranlement des conventions ! » ? Et de louer dans la foulée le pouvoir de subversion exercé par  l’œuvre.

 

 

Dans quelque direction de la « création culturelle » que vous tourniez votre regard, c’est à qui s’extasiera de la façon la plus spectaculaire et bruyante face au « bouleversement de tous les codes », face aux « infractions radicales ». C’est à qui criera au génie (forcément dérangeant) d’un DAMIEN HIRST (l’homme au crâne humain orné de plus de 8000 diamants), d’un JEFF KOONS (l’homme qui copulait en photo avec la CICCIOLINA, mais aussi l’auteur de l’outrage d’aspect gonflable fait à Versailles, à l'invitation de Monsieur JEAN-JACQUES AILLAGON). Il paraît que ce sont eux qui font la révolution.

 

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Enfin bref, le commentaire obligé, aujourd’hui, dès que l’on parle de peinture, d’art, de musique, de danse, de théâtre, de cinéma, de tout ce que vous voulez qui soit de la « création esthétique », c’est la couronne de laurier tressée autour de l’auguste tête de l’artiste qui saura se montrer le plus « subversif », le plus « révolutionnaire ». « Défilé de mode révolutionnaire, je vous reçois fort et clair. Parlez. » Je ne sais pas si vous avez remarqué : si un artiste n’a pas l’ambition d’être SUBVERSIF, il est catalogué comme intolérablement conformiste.

 

 

Les mots sacrés que tout ce monde a à la bouche sont SUBVERSION, TRANSGRESSION. Tout, dans ce monde, n’est que DESOBEISSANCE et INSOUMISSION. Pour un peu, c’en deviendrait presque drôle. Surtout quand on regarde la définition du mot « subversion » : « action de renverser l’ordre établi ». A entendre les LAURE ADLER, les FRANÇOIS ANGELIER, enfin tous ceux qui confisquent à leur seul profit le rôle de « prescripteurs culturels », l’ordre établi ne cesse d’être renversé, badibulgué, mis cul par-dessus tête.

 

 

Bref : guillotiné. Les multiples  expressions artistiques contemporaines ne cessent, jour après jour, de séparer le corps du roi Louis XVI de sa tête et d’instaurer un « ordre nouveau », destiné à régénérer l’homme social : « Après le Piss Christ d’ANDRÈS SERRANO, vous serez des hommes neufs ». La règle observée par ces gens, en la matière, est importée tout simplement de l’intégrisme bolchevique le plus pur : « Du passé faisons table rase », chantent ces enfants de chœur d’un nouveau genre. 

 

 

A les entendre, tout ne serait, dans tous les « événements culturels » qui se produisent, que 11 septembre 2001, tsunami de Sumatra de 2004, tsunami du Japon de 2011, tremblements de terre d’Italie de 2012. Les colonnes de nos temples de la Culture, à force de vaciller sur leurs bases à cause des sols successifs qui se dérobent sous elles, devraient être par terre depuis belle lurette. « Etonnant, non ? », comme disait PIERRE DESPROGES dans La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède.

 

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Oui, on est étonné qu’il subsiste, de l’ordre établi (forcément honni), vaille que vaille, autre chose et davantage que deux ou trois pierres l’une sur l’autre. Normalement, avec toutes les destructions qu’il a subies, l’ordre établi (forcément détesté et détestable), jour après jour, sous les coups de boutoir de tous les héros (« sublimes, forcément sublimes », comme disait MARGUERITE DURAS, jadis, à propos d’un crime) de la subversion artistique du monde, nous devrions normalement nous retrouver comme les survivants de Dresde au soir du 15 février 1945 après le bombardement de la ville par les Forteresses volantes B 17 de l’USAF et les Avro Lancaster de la RAF (15.000 morts).

 

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Nous devrions être devant un paysage intégralement détruit. Or il n’en est RIEN. Toute la société désespérément ancienne est restée désespérément DEBOUT (enfin, c’est l’impression qu’on a). Je pose la question :

 

« Comment se fait-ce ? »

 

 

Réponse demain.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 04 juin 2012

MODESTE LEçON DE RHETORIQUE

La rhétorique, on ne le sait pas assez, tout le monde l’a à la bouche. On croit que c’est uniquement un truc réservé aux savants, mais de même que Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, de même les gens les plus ignorants de ce qu’on trouve dans les traités de rhétorique les plus érudits passent leur temps la métaphore à la bouche. Prenez « l’air du temps », « boire un canon », « discuter le bout de gras », etc. Rien que des métaphores.

 

 

Mais il est un domaine où un minimum de connaissance rhétorique explicite est requis : la littérature érotique. Si l’on met sur la « chose » le mot cru, le mot brut qui la désigne, on est plutôt dans le porno (comme on le dit à l’église : « priez porno »). Pour passer du pornographique à l’érotique – je parle évidemment de littérature –, il est indispensable de maîtriser au moins la métaphore.

 

 

J’ai parlé récemment, à propos d’Histoire d’O, du « ventre » et des « reins » : ce sont des métonymies, pour désigner les deux orifices de la femme, dans ce roman célèbre, mais qu’on peut aujourd’hui considérer comme excessivement compassé. La métaphore, étant plus facile à « manier », est infiniment plus fréquente.

 

 

« D’un doigt, il entrouvrit les lèvres ; elle poussa alors un petit gémissement. Elle était inondée et son sexe lui donnait l’impression d’être un abricot gorgé de soleil. »

 

ANNE-MARIE DE VILLEFRANCHE

 

 

L’abricot dont il est question ressortit tant soit peu de la comparaison. Mais voici une métaphore véritable :

 

 

« Un soir, ma sœur me dit : si nous étions dans le même lit, tu pourrais faire entrer ta petite broquette qui est toujours raide dans la bouche de ma petite marmotte. »

 

RESTIF DE LA BRETONNE

 

 

Là, c’est même deux pour le prix d’une : pour une bonne compréhension de la première, une « broquette » est un clou de tapissier. Les énumérations sont fastidieuses, n’est-ce pas ? Aussi m’en garderai-je comme de la peste. Tenez, voici un petit poème du grand VOLTAIRE.

 

 

« Je cherche un petit bois touffu que vous portez, Aminthe,

Qui couvre, s’il n’est pas tondu, un gentil labyrinthe.

Tous les mois, on voit quelques fleurs couronner le rivage.

Laisse-moi verser quelques pleurs dans ce gentil bocage. »

 

 

N’est-ce pas tendre et délicieux ? Aimablement dit ? Suavement tourné ?

 

 

A quoi pense CHARLES BAUDELAIRE quand il écrit :

 

 

« Guidé par ton odeur vers de charmants climats,

Je vois un port rempli de voiles et de mâts

Encor tout fatigués par la vague marine (...) ? »

 

 

Faut-il faire un dessin ? Une explication de texte ? Je m’en voudrais. C’est pourtant, dans Les Fleurs du Mal, un poème (« Parfum exotique ») figurant fort souvent à l’oral du bac. Je signale qu’une seule lettre distingue « exotique » et « érotique ».

 

 

Je ne suis pas sûr, si cela peut rassurer les parents, que le professeur aille, dans son cours, jusqu’à l’explicite. Eh bien, je dis que c’est tout à fait regrettable, car il n’est pas mauvais de dépuceler ainsi l’imaginaire pubère – qui ne demande pas autre chose –, et bien des contes des 17ème et 18ème siècles gagneraient à être lus pour ce qu’ils sont : des métaphores.

 

 

« Voyez fille qui dans un songe

Se fait un mari d’un amant ;

En dormant, la main qu’elle allonge

Cherche du doigt le sacrement ;

Mais faute de mieux, la pauvrette

Glisse le sien dans le joyau. »

 

 

Ce petit sizain est du sieur BÉRANGER, et rappelle une anecdote que je tire de RABELAIS, vous savez, celle qui raconte Grandgousier et Gargamelle, qui faisaient souvent la « bête à deux dos », bien que je ne sache pas si c’est maître FRANÇOIS qui a inventé la formule.

 

 

En tout cas, il raconte l’histoire de l’anneau de Hans Carvel, jeune marié qui, forcément, s’inquiète de se voir pousser du « cerf sur la tête », selon la formule de GEORGES BRASSENS, dans « Le cocu », car sa jeune épouse est jolie et ardente. Dans son rêve, une bonne fée lui passe au doigt un anneau magique qui fera de sa femme la plus chaste des femmes. Evidemment, quand il se réveille, il se rend compte qu’il a le doigt dans le « joyau ». Belle métaphore, n’est-il pas ?

 

 

Ne pas nommer, « suggérer au lieu de dire. Faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots » (ALFRED JARRY). Voilà le secret. Notre époque semble impropre aux secrets de cette sorte. Il lui faut la chose sous le nez, l’obscène, le réel. A ce titre, l’époque tend davantage au porno qu’à l’érotique. Notre époque est impropre aux subtilités du langage, au déplacement, à la métaphore. Elle ne sait pas de quels plaisirs de haute lisse elle se prive ainsi.

 

 

Signe des temps : vous ouvrez L’Equipe un lendemain de grand match : des métaphores comme s’il en pleuvait. Des métaphores très souvent guerrière du genre « exploser la défense », « tirs de barrage », etc. La déchéance, je vous dis. La métaphore qui survit grâce au sport-spectacle, c’est un comble.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

dimanche, 03 juin 2012

CONTREPETERIE : LA FIN ?

Un peu d’histoire aujourd’hui, non pas du pet (JEAN FEIXAS et ROMI s’en sont occupés en 1991, avec Histoire anecdotique du pet Ramsay-Pauvert, ouvrage jovial et très documenté), mais du contrepet, cette perversion amicale et presque familiale du langage, et finalement de bonne compagnie. On pourrait prétendre, en poussant la logique de cette perversion gentille et sale jusqu’au bout, que les phrases « normales » que tout le monde prononce tout le temps, devraient être considérées comme des suites de  « contre-contrepets », c’est-à-dire, au fond, de la perversion revêtue du masque de la normalité. J'espère que vous suivez.

 

 

J’ai cité quelques noms. Il faut donc maintenant absolument préciser quels ont été les héros et les hérauts qui ont présidé au fabuleux destin de la contrepèterie dans la deuxième moitié du 20ème siècle, dont beaucoup ont trouvé refuge au sein de l’Oulipo, le céleste OUvroir de LIttérature POtentielle, fondé en 1960 par RAYMOND QUENEAU et FRANÇOIS LE LIONNAIS. Mais je parlerai de l’Oulipo une autre fois, sans ça, on n’est pas arrivés. Restons-en à la contrepèterie.

 

 

Disons quand même que FRANÇOIS LE LIONNAIS traîne derrière lui une lourde et terrible casserole. Dans ses Souvenirs désordonnés, JOSÉ CORTI (oui, celui de la maison d'édition magnifique) raconte qu'il doit (!?!) la mort de sa femme et de son fils dans les déportations de la deuxième guerre mondiale, à l'ahurissante et révoltante inconscience de cet homme, qui, d'après lui, tenait, si l'on peut dire, "table de résistance ouverte" dans les locaux de sa librairie, jusqu'au jour où il vit la Gestapo embarquer sa famille. J'imagine que l'événement ne l'a pas prédisposé à admirer les oeuvres nées de l'Oulipo.

 

 

A tout seigneur tout honneur. YVAN AUDOUARD, qui a inauguré la rubrique du Canard enchaîné intitulée « Sur l’Album de la Comtesse » (d’abord intitulée « la Comtesse M. de la F. », qui ne renvoie pas à l’antistrophe de RABELAIS (« molle de la fesse », mais l’intention est quand même bien d’induire en erreur), mais à la comtesse MAXINE DE LA FALAISE). A vrai dire, ce n’était pour Y. A. qu’un passe-temps exercé dans les moments creux. Il a en effet écrit beaucoup d’autres choses, dont un délicieux polar rigolard, Antoine le vertueux.

 

 

Il a par ailleurs laissé des sentences et autres apophtegmes frappés au marteau de la bonne forge, comme : « Je n’attendais rien d’elle. J’ai été comblé », ou : « C’est faire honneur au soleil que de se lever après lui ». Dans la préface qu’il a donnée au Manuel de contrepet de JOËL MARTIN (Albin Michel, 1986), il raconte l’exquise et délectable anecdote suivante :

 

 

« Du temps où j’étais responsable de "L’album de la comtesse", je reçus un coup de téléphone suppliant et affolé d’un chef d’entreprise qui me dit : « Je dirige un petit atelier de dessin industriel. Vous m’avez déjà coûté deux cents heures de travail. Mes dix-huit employés n’ont plus l’esprit à ce qu’ils font. Ils n’arrivent pas à trouver la contrepèterie de la semaine. » Elle était pourtant classique.

 

 

C’était le fameux : « Aucun homme n’est jamais assez fort pour ce calcul ». « Je vous en conjure, poursuivit le brave homme, donnez-moi la solution, sinon je suis ruiné ». Je la lui ai donnée. » La bonté d’YVAN AUDOUARD le perdra. Ah, on me dit qu’il est mort en 2004 ? Alors, paix à ses cendres. C’est vrai, qu’étant né en 1914, il avait le droit. Avant d’avaler sa chique, il a quand même écrit La Pastorale des Santons de Provence, à l’enregistrement de laquelle il a même participé, en donnant sa voix à l’âne.

 

 

Son successeur à « L’Album de la Comtesse » s’appelait LUC ETIENNE (né, lui en 1908, et décédé en 1984), qui fut, sauf erreur, Régent de Contrepet (ou d’Astropétique) au Collège de ’Pataphysique, a donné à « l’art de décaler les sons » l’ampleur et la noblesse d’un mode d’expression littéraire à part entière. Il a établi dans la durée la rubrique hebdomadaire du Canard, et l’a rendue indispensable comme un vrai rite.

 

 

Rompu à toutes sortes d’exercices de jonglerie avec les mots, il était néanmoins un scientifique averti (professeur de mathématiques), ainsi qu’un vrai musicien, par-dessus le marché. J’eus en ma possession, il y a déjà quelque temps, un fascicule intitulé Palindromes bilingues (anglais/français, c’était édité par le Cymbalum Pataphysicum).

 

 

Le palindrome, je ne sais pas si vous vous rappelez, c’est ce tour de force qui consiste à élaborer un texte qui puisse se lire indifféremment à l’endroit ou à l’envers, tout en gardant le même sens, parce qu’exactement symétrique (en miroir) autour de son point central, en ce qui concerne la suite des lettres.

 

 

GUY DEBORD a rendu hommage à la technique dans le titre de son film In girum imus nocte et consumimur igni (c’est du latin : « nous tournons en rond dans la nuit et nous sommes consumés par le feu », vous pouvez essayer dans les deux sens, ça marche, et c’est assez fortiche).

 

 

Le recordman de la discipline est sans contestation possible (quoiqu’un record soit a priori fait pour être battu) GEORGES PEREC, avec son texte de 1247 mots. Bon, c’est vrai qu’il ne faut pas être trop chatouilleux sur le sens de l’ensemble, mais la prouesse est là.

 

 

De LUC ETIENNE, j’ai gardé précieusement la cassette audio éditée par le Collège de ’Pataphysique en … (vulg. 1990) en hommage au Régent, qui, le diable d’homme, y présente des « palindromes phonétiques » et des « inverses phonétiques », dont l’incroyable début de Zazie dans le métro, du Transcendant Satrape RAYMOND QUENEAU.

 

 

Le successeur, en 1984, pour la rubrique du Canard enchaîné, des grands ancêtres qu’étaient YVAN AUDOUARD et LUC ETIENNE s’appelle JOËL MARTIN. Dans le civil, ce n’est pas un comique : c’est un ingénieur en physique nucléaire, il travaillait au CEA. Quand il est en uniforme, c’est indéniablement le pape qui porte sur sa tête la tiare de l’Eglise Contrepétante, dans la discipline de laquelle il a apporté la rigueur et la méthode propres à l’esprit des ingénieurs.

 

 

Et ça donne, dans Manuel de contrepet (Albin Michel, 1986, p. 320-321, j’aime bien la précision), des graphique savantissimes, en trois dimensions, qui sont supposés donner au lecteur les clés de la maison. C’est sûr que JOËL MARTIN, on dirait une usine à contrepet, qui tourne 24 / 24. Je pense qu’il doit faire la pause de temps en temps. Son agilité, qui plus est, est telle, qu’on a du mal à suivre. Pour un peu, je dirais qu’il est le PAGANINI de la contrepèterie.

 

 

Avec JOËL MARTIN, la contrepèterie acquiert la dignité de la Science, et je ne suis pas sûr que l’Université Française n’ouvrira pas, dans un avenir plus ou moins proche, une chaire de Contrepet, avec Licence, Maîtrise et Doctorat. Au point que cela risque d’en devenir intimidant pour le vulgum pecus auquel j’appartiens. Au point qu’on pourrait dire que « trop de science tue l’amour ».

 

 

JOËL MARTIN a pondu un nombre effrayant d'ouvrages sur la contrepèterie, à commencer par le Manuel de contrepet, en 1986, où il expose la méthode qu'il a mise au point pour fonder en science le contrepet, dans un chapitre horriblement savant (« Précis de Pataphysique (sans l'apostrophe obligatoire) du solide »), finissant par deux pages intitulées "morphologie, physiologie et pathologie du contrecube", et couvertes de schémas déliremment pataphysiques.

 

 

L'un d'eux mesure la tension artiérielle du contrapétiste, pour vous dire : on est dans le sérieux et le scientifique, mais il ne faut pas exagérer. De toute façon, ALFRED JARRY lui-même a donné l'exemple, dans le dernier chapitre des Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien, intitulé « De la surface de Dieu ».

 

 

Le maître ouvrage de l'empereur de la contrepèterie, sorti en 2003 en collection "Bouquins", est sobrement intitulé Le Bible du contrepet (960 pages), et sous-intitulé "une bible qui compte pour décaler les sons" (deux permutations à faire).

 

 

JOËL MARTIN, en érigeant la contrepèterie en SYSTÈME, régi par des règles quasi-scientifiques (je dirai plutôt des règles quasi-mécaniques, puisque son système finirait presque par ressembler à une machine), risque de réduire le contrepet à un vulgaire tiroir des meubles de la cuisine oulipienne, dont il faudra bien un jour que je me décide, quoi qu’il m’en coûte (et quoiqu’il m’en coûte), à dire tout le mal que j’en pense, en tant qu’entreprise de destruction.

 

 

A mon avis, en effet, avec JOËL MARTIN, la contrepèterie a tout simplement perdu de vue Panurge, et ça, c’est plus que je ne peux supporter. Tout simplement parce que, dès qu’on fait de quelque chose d’humain, d’intimement lié au rire et à la joie, le support d’une THEORIE SCIENTIFIQUE, je fais comme le rat : je quitte le navire, même si je dois me noyer.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.  

 

 

 

 

samedi, 02 juin 2012

CONTREPETONS EN CHOEUR

Résumé : la contrepèterie heurte tout un tas de codes moraux, de religions et de pudeurs.

 

 

Car il faut que ce soit clairement affirmé : il n’est de bonne contrepèterie que portant sur les sujets les plus scabreux, les plus inconvenants, les plus poivrés, en un mot les plus « libres », je veux dire évidemment SEXUELS (« Sagesse n’est pas folie »). La contrepèterie, qu’on se le dise, est un jeu de l’intelligence qui sait prendre la vie du bon côté. Excellente formule pour définir la voie tracée par maître FRANÇOIS RABELAIS. Le jeu savant des bons vivants, quoi (non, désolé, pas de contrepèterie).

 

 

Pour apprécier la contrepèterie, il ne s’agit donc pas seulement d’avoir un peu d’astuce lexicale. Il s’agit de maîtriser un minimum de vocabulaire dans le domaine du « bite-couille-chatte-cul ».

 

 

Déclaration solennelle :

 

Je déclare solennellement que les quatre mots précédemment prononcés ne l’ont été – et à mon corps défendant, j’espère que le lecteur en est intimement convaincu – que pour indiquer vers quel « Nord » le curieux et l’amateur sont invités à orienter la boussole de leur attention, et qu’il ne saurait être question pour moi, dans un blog habitué à planer dans les azurs éthérés de l’Idée et de la Science, et à ne pas se vautrer dans l’immonde fange des appétits trop animaux d’une humanité livrée à ses appétits trop animaux, de me laisser aller dans la suite de ce billet à quelque étalage de grossièretés que ce soit, en citant l’un ou l’autre vocable susceptible de blesser l’honnêteté de la vertu, et même la vertu de l’honnêteté (relisez un peu cette phrase, pour voir : n’est-ce pas qu’elle est belle et pleine d’une vérité forte ?).

 

 

Cela implique, ipso facto, que le lecteur sera impitoyablement privé de la « solution », et qu’il ne devra la découverte de celle-ci qu’à ses propres compétences, à la qualité de son imaginaire libertin, à son ingéniosité lexicale et, pour tout dire, à la « maltournure » de son esprit. « Oh ! Votre pull mou ! » (la solution n’est pas « votre poule mue », beaucoup trop « sortable »).

 

 

Est-ce que JOËL MARTIN, qui a pris glorieusement la suite de l’immortel LUC ETIENNE – qui restera pour les siècles des siècles, après avoir pris la succession d’YVAN AUDOUARD, le fondateur de cette Restauration de la Légitimité de la Lettre, à travers la rubrique intitulée « Sur l’album de la Comtesse » –, aurait  eu la faiblesse, pour ne pas dire la bassesse, de résoudre chaque semaine les énigmes qu’il propose dans Le Canard enchaîné (par exemple : « Cannes, raquettes et dures luttes des starlettes » (n° du 30 mai 2012) ?

 

 

Que non pas, que diable ! Fi ! Que nenni, vertuchou ! J’avoue humblement, pourtant, qu’il m’arrive de caler aux contrepèteries de JOËL MARTIN, le mercredi (« Labyrinthe et routes » (non, ça, c'est facile, Canard du 30 mai). J’ai parfois l’impression que même les plus retorses lui coulent de la plume aussi spontanément et naturellement que les diaboliques « onzains hétérogrammatiques » viennent par dizaines à GEORGES PEREC (Alphabets, Galilée, 1976), quand HARRY MATTHEWS lui-même avoue suer des heures pour en pondre seulement le fantôme d'un.

 

 

Que le digne lecteur ne compte donc pas sur moi pour donner la traduction de la contrepèterie bien connue : « Le boutre du sultan entra dans le confluent de la Garonne ». Pour ceux qui auraient du mal, par pure bonté d’âme, je me permettrai seulement de signaler qu’il s’agit de permuter trois consonnes. Lesquelles ? Alors là, je le déclare solennellement, la tête sur le billot et la main serrant le fer rougi, je n’irai pas plus loin.

 

 

Pareil pour la plus difficile, mais connue : « L’aspirant habite Javel » (parente de « l’accessoiriste peint les tuniques », mais là, il faut beaucoup permuter) ou la célébrissime (mais très facile) : « Le Général est arrivé à pied par la Chine », qui remonte à l’époque de DE GAULLE (mais on trouve aussi un fakir à la place du général, plus en accord avec la prouesse physique que la solution suppose, et qui vaut la naissance de Gargantua "par l'oreille senestre").   

 

 

Dans les contrepèteries « mâles », on trouvera donc très souvent des gens qui habitent (« Monsieur le maire, il est difficile d'habiter votre Nîmes! »), qui vont en Chine (« La Chine se dresse devant les Nippons », « Mettre la Chine au pas, n'est-ce pas mettre le feu à l'Annam ? »), qui élèvent des jars (« recyclé dans l’élevage, l’ancien ministre dupé montre son jars »), qui participent à des jeux (« avant chaque examen, les séminaristes doivent montrer leurs jeux aux curés »), qui brouillent toutes sortes de choses (la très connue « ces parasites nous brouillent l’écoute »), qui conjuguent toutes sortes de verbes (« ah maître, que votre verbe est agile ! »).

 

 

Message : je t'assure, M., tout ça est réputé facile. Rappelle-toi : consonnes, ou voyelles à permuter (ici, c'est surtout des consonnes).

 

 

Il en existe même des authentiques, je veux dire « prononcées à la télé », comme celle-ci, de BERNARD TAPIE (enfin, qu’on lui prête), à l’époque de ses ennuis judiciaires, malheureusement (et salopement) terminés : « le procureur m’entend pour mieux m’acculer ». Allez, M., là, c'est les voyelles initiales. Un petit effort, que diable, vertuchou !

 

 

Pour les contrepèteries « femelles », on s’attend évidemment à tomber très souvent sur des mots en « -elle »(« les gamelles de morilles », « les gamelles de mousse », «  il faut deux jumelles pour bien mater »), en « -atte » (« nous avons le choix dans la date » (qui répond, en toute logique à « Le Poids de la Chine »), « la geisha fait caresser sa natte pendant le show » ou « bois dans ma jatte, Sachem »), en « -ente » (« les ventes vont-elles souffrir ? »), en « -ousse » (« les guerrières de brousse sont rarement ludiques » permutation circulaire à 3), en « -ine » (« la zoologue cherche en vain des fouines grisées »).

 

 

Mais il convient de préciser qu'en général et évidemment, contrepèteries mâle et femelle sont faites pour se rencontrer.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

vendredi, 01 juin 2012

VOULEZ-VOUS (CONTRE)PETER AVEC MOI ?

« Voulez-vous que je vous envoie dans la culture ? ».  « Les nouilles cuisent au jus de cane » (x 2). « Le curé est devenu fou entre deux messes ». « Ma cousine joue au tennis en pension ». « Ce vieux marcheur veut courir sur le mont » (x 2, dont une dans un mot). « La magistrature assise ment debout ». « Le Suisse sortait sa pique au milieu des beatnicks ». « La pâtissière moule des quiches ». « Joseph a maculé Henri ». Bon, j’arrête là. Je sais que ceux qui ont compris ont compris. J'encourage les autres à lire ce qui suit.

 

 

Je chantais, il n’y a pas très longtemps, les beautés subtiles de la chanson que j’appelais « quasi-paillarde », où l’auteur se plaît à décevoir l’oreille de l’auditeur en substituant au terme « cru » (« le tout de mon cru », psalmodiait l’immortel LUC ETIENNE), au moment de la rime « sale » attendue, un terme innocent, que la rime suivante a pour mission de justifier.

 

 

Cela dit, non seulement le jeu de la « fausse rime » n’empêche nullement l’auditeur de comprendre, mais en plus, elle multiplie son plaisir par le taux d’intelligence qu’il se décerne (très objectivement, forcément) quand il estime qu’il a compris, sur le principe du « je ne prête qu’à moi, parce que je suis riche » (même si ce n’est pas vrai).

 

 

Je veux chanter aujourd’hui, dans le même esprit (c’est-à-dire avec les mêmes arrière-pensées, que je qualifierai pudiquement de « décolletées »), une des formes les plus anciennes de jeu sur les mots de notre belle langue. J’ai nommé la CONTREPÈTERIE. Certes, on peut prétendre que « cette menthe a le goût de fiel », mais il n’en est pas moins vrai que « Virginie prend les bols » (tout au moins chez BERNARDIN DE-SAINT-PIERRE, je dis ça pour aider).

 

 

L’inventeur de la contrepèterie est peut-être – ce n’est pas sûr –  FRANÇOIS RABELAIS, que j’ai célébré ici même récemment. C’est vrai qu’on trouve dans Pantagruel deux exemples célébrissimes. Le premier est au chapitre 16, qui détaille les « mœurs et conditions de Panurge » : « car il disait qu’il n’y avait qu’un [sic] antistrophe entre "femme folle à la messe" et "femme molle à la fesse" ». Je laisse à Panurge la responsabilité de ce propos.

 

 

Le seul commentaire qui s’imposerait (éventuellement) concernerait la fréquentation, par les individus de sexe féminin, des lieux consacrés que les catholiques investissent chaque dimanche, et où ils se rassemblent « au nom du Christ », pour se faire une idée de la consistance de leur « partie charnue », à une époque où la déchristianisation est un fait accompli, mais ce commentaire-là, je m’en abstiendrai pour cette fois, parce que ça rallongerait inutilement (cela dit, tous les rallongements ne sont pas inutiles).

 

 

Notre vieil oncle GEORGES BRASSENS, puisqu’il faut aujourd’hui parler d’ « orientation textuelle », était plus VILLON que RABELAIS, a assez longtemps creusé le sillon de la rime qu’offrent ces deux mots (« messe » et « fesse », … pardon, il y a aussi (et même plutôt) « confesse ») pour que je me dispense d’ajouter mon grain de sel. 

 

 

Le deuxième exemple se trouve un peu plus loin (chapitre 21) : « Madame, sachez que je suis tant amoureux de vous que je n’en peux ni pisser, ni fienter. Je ne sais comment vous l’entendez ; s’il m’en advenait quelque mal, qu’en serait-il ? – Allez, dit-elle, allez, je ne m’en soucie pas ! Laissez-moi ici prier Dieu. – Mais, dit-il, équivoquez sur "A Beaumont-le-Vicomte". – Je ne saurais, dit-elle. – C’est "A beau con le vit monte" ». Avouez : comment pourrait-on se lasser de Panurge ? Contrepèterie, « antistrophe », « équivoquer », tout ça, c’est du pareil au même. Vous pouvez aussi dire « métathèse » si voulez faire votre cuistre.

 

 

Contrepéter, c’est donc permuter (« j’ai glissé dans la piscine », c’est autorisé aux enfants en bas âge). On peut permuter des tas de choses : des consonnes, des voyelles, des syllabes. Le plus souvent, on permute les éléments par paire, mais on peut compliquer à plaisir. Deux grandes règles à respecter.

 

 

La première est de toujours se fier au son, à l’oreille, à la phonétique, jamais à l’orthographe ou à la séparation des mots écrits (quoique …). Comme le cite JOËL MARTIN, en couverture d’un de ses livres, le contrepet, c’est « l’art de décaler les sons » (deuxième exercice très facile).

 

 

La deuxième règle est, aussi cruel que ça puisse paraître, de ne jamais dévoiler la solution. C’est la règle du : tant pis pour ceux qui ne comprennent pas (ceux qui ont décrypté l’exemple ci-dessus l’admettront aisément, et décrypteront celle-ci de même : « on reconnaît les concierges à leur avidité »).

 

 

Elle s’apparente à celle de la fausse rime (déjà vue dans les « chansons quasi-paillardes ») : si l’on se donne la peine d’escamoter le mot qui heurte la morale, la religion, les bonnes mœurs, et qui taquine les bonnes sœurs en cornette et des bons pères en soutane jusque dans leurs parties intimes (la cornette et la soutane se sont diablement raréfiées), pour le remplacer par un « mot sage », qui cache le « message », ce n’est quand même pas pour des prunes.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

jeudi, 31 mai 2012

COMMENT PROUST DEVIENT ECRIVAIN

Il faut attendre la fin du roman pour assister à l'événement nodal, pour arriver jusqu'au foyer central qui anime toute La Recherche du temps perdu, le centre de cette toile arachnéenne, vers lequel tendent tous les fils fabriqués par un auteur qui, jusque-là, cherchait sans le trouver ce qu'il pourrait bien faire de sa vie.

 

 

Le moment le plus bouleversant à mes yeux se situe en effet dans Le Temps retrouvé, c’est-à-dire le dernier « épisode » du roman. Bien des années ont donc passé, il y a eu la guerre de 14-18, et Marcel est invité à une grande soirée mondaine chez le prince de Guermantes (à ne pas confondre avec le duc du même nom, frère du baron de Charlus). Comme il ne veut pas écouter tout le concert, il ne se presse pas, et il arrive en retard. Mais commençons par la fête chez le prince, qui vient plus loin, dans le récit, et entrons dans le grand salon.

 

 

Quand il est invité à entrer par le maître d’hôtel, j’ai mis un peu de temps à comprendre qu’il ne s’était pas trompé d’adresse et qu’il n’avait pas débarqué dans un lieu inconnu de lui :

 

 

« Au premier moment, je ne compris pas pourquoi j’hésitais à reconnaître le maître de maison, les invités, et pourquoi chacun semblait s’être "fait une tête", généralement poudrée et qui les changeait complètement. (…) Le prince avait encore cet air bonhomme d’un roi de féerie que je lui avais trouvé la première fois mais cette fois (…) il s’était affublé d’une barbe blanche (…) A vrai dire je ne le reconnus qu’à l’aide d’un raisonnement" ».

 

 

Mais non, ce n’est pas un bal masqué et costumé pour lequel Marcel aurait oublié de se déguiser : c’est le temps qui a passé. Beaucoup de temps. « Le petit Fezensac (…) avait trouvé le moyen de couvrir sa figure de rides ». J’avoue que le tableau qu’il fait de la soirée chez le prince de Guermantes est d’une grande force. Parce qu’au passage, il a lui-même vieilli, au point qu’il s’étonne qu’on lui témoigne des égards qu’il considère comme dus aux gens âgés, alors que vu de l’intérieur, sa façon d’éprouver les choses lui ferait croire qu’il a gardé la fleur de sa jeunesse. Toute la scène forme un ensemble extraordinaire.

 

 

Et c’est d’autant plus saisissant que c’est précisément qu’il vient de se passer, quelques minutes avant, le quelque chose d’inoubliable, qui va décider de tout l’avenir du narrateur, enfin, des années qui lui restent à vivre. Le quelque chose dont il avait besoin, après lequel il avait passé sa vie à courir désespérément. Au moment d’entrer chez le prince, il manque de se faire écraser par une voiture, qu’il évite de justesse :

 

« et je reculai assez pour buter malgré moi contre les pavés assez mal équarris derrière lesquels était une remise. Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avaient donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé et que les dernières œuvres de Vinteuil m’avaient paru synthétiser ».

 

 

Ce pied qui boite sur un pavé, ce n'est rien d'autre qu'une description pure et simple du BONHEUR. Voilà, la boucle est bouclée : l’épisode célébrissime de la madeleine se situe au tout début de La Recherche (Du Côté de chez Swann, p. 45), et ce qui précède se passe environ 200 pages avant la fin.

 

 

J’avoue que cette façon de récupérer, dans un minuscule instant, de « synthétiser » (comme il le dit) toute la matière dont son existence s’est finalement tissée hors de sa volonté, m’impressionne : une façon pour l’architecte de poser en une fois le dôme qui va couronner l’édifice en même temps qu’il va faire tenir les murs. Peut-être que c’est ça qu’on appelle « donner un sens à sa vie » ?

 

 

L’auteur précise :

 

 

« Chaque fois que je refaisais rien que matériellement ce même pas, il me restait inutile ; mais si je réussissais, oubliant la matinée Guermantes, à retrouver ce que j’avais senti en posant ainsi mes pieds, de nouveau la vision éblouissante et indistincte me frôlait comme si elle m’avait dit : "Saisis-moi au passage si tu en as la force, et tâche à résoudre l’énigme de bonheur que je te propose." Et presque tout de suite, je la reconnus, c’était Venise (…) ».

 

« Saisis-moi au passage si tu en as la force». Là est le secret de tout. Il faut s’abstraire des circonstances matérielles présentes, contingentes et accidentelles, pour accéder au sens de tout ça. PROUST ajoute : « Mais pourquoi les images de Combray et de Venise m’avaient-elles, à l’un et à l’autre moment, donné une joie pareille à une certitude, et suffisante, sans autres preuves, à me rendre la mort indifférente ? ». N’est-ce pas, que c’est beau : « A me rendre la mort indifférente » ? Quand j’y pense, qu’est-ce qui serait à même de me rendre « la mort indifférente » ?

 

 

Introduit dans le petit salon, il entend le bruit d’une cuiller heurtée contre une assiette, et aussitôt c’est toute la scène d’un train arrêté à la hauteur d’un petit bois qui lui est restituée dans son entier instantanément, train dont un employé frappe une roue avec un marteau.

 

 

Puis, buvant une orangeade, il s’essuie les lèvres avec une serviette qui « avait précisément le genre de raideur et d’empesé » que celle avec laquelle il avait eu tant de mal à se sécher le jour de son arrivée à l’hôtel donnant sur la plage de Balbec : « une nouvelle vision d’azur passa devant mes yeux ; mais il était pur et salin, il se gonfla en mamelles bleuâtres ; l’impression fut si forte que le moment que je vivais me sembla être le moment actuel ». Que pensez-vous de « mamelles bleuâtres » ?

 

 

Bref, c’est seulement juste avant d’entrer chez les Guermantes pour renouer avec des mondanités dont sa santé l’a longuement tenu éloigné, que Marcel est convaincu d’être écrivain : « ma présence même en ce moment chez le prince de Guermantes, où venait de me venir brusquement l’idée de mon œuvre ». « L'idée de mon oeuvre » !!!! Et ce moment n’est autre que la somme exhaustive de tous ceux où il a vécu l’essentiel des moments successifs de sa propre vie.

 

 

Il faut qu'il ait fini de vivre tous ces moments, pour se rendre compte que ce sont eux qui constituent la matière du livre qui se présente enfin à son esprit. Lui qui voulait faire carrière dans les lettres, il ne découvre l'essentiel qu'à la fin de son parcours. Quand on se rend compte qu'il a fallu attendre si longtemps dans la lecture pour apprendre que le sujet du livre est ce qui vient d'être lu et qu'à partir de maintenant l'auteur va enfin pouvoir se mettre à l'écrire, on se dit : chapeau l'artiste ! Et l'on s'incline devant le maestro, chapeau bas !

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

mercredi, 30 mai 2012

PROUST ECRIVAIN

Proust, je vais vous dire, j’ai été intéressé par Du côté de chez Swann, intrigué par A l’ombre des jeunes filles en fleur, interloqué par Le Côté de Guermantes, éberlué par Sodome et Gomorrhe, horripilé par La Prisonnière, agacé par La Fugitive, enthousiasmé par Le Temps Retrouvé. Vous voyez, il y en a pour tous les goûts. 

 

Mais je me demande, à l’arrivée, s’il n’est pas nécessaire d’en être passé par tous ces états, d’avoir lu les six premiers épisodes, et d’éprouver les sentiments successifs, pour que le septième et dernier livre fasse son effet avec la plénitude dont l’auteur l’a chargé. Cependant, il faut dire que, tout au long du livre – et c’est même très curieux : y compris dans les passages de « basses eaux » de l’intérêt ou de l’attention, et malgré les agacements – le lecteur trouve constamment de quoi alimenter son envie de poursuivre. 

 

Parce que l’action, si on veut la résumer, est très simple : c’est l’histoire d’un gamin maladif qui a au départ la très vague idée de se lancer dans la littérature, et qui met un certain nombre de dizaines d’années à s’y décider pour de bon, parce qu’un beau jour, il a la révélation que c’est le but de toute sa vie. Et l’on peut vraiment parler de révélation. 

 

Bon, c’est sûr qu’il faut à Proust presque 3000 pages pour arriver au moment où tout se dénoue, et où sa vocation d’auteur devient brusquement d’une luminosité aveuglante, en même temps qu’elle synthétise et justifie les milliers de pages qui précèdent. 

 

Tout est évidemment dans le « certain nombre de dizaines d’années », où Marcel, le narrateur, ne fait rien, où il s’en veut d’être un paresseux invétéré qui passe le plus clair de son temps à observer et analyser ses sentiments, la nature, les œuvres humaines, les choses et les êtres dans leurs manèges sociaux et sentimentaux. 

 

Il aura fallu un certain nombre de dizaines d’années pour qu’il prenne conscience que c’étaient ces dizaines d’années qui constituaient l’objet même de sa vocation. Autrement dit, il a fallu que le narrateur vive sa vie pour qu’il se rende compte que c’était cette vie-là qu’il était fait pour raconter. C’est vrai qu’il se défend de tomber dans l’autobiographie, et il prend bien soin de rappeler qu’on est dans un roman, même s’il ne peut s’empêcher de laisser parfois tomber le masque. 

 

Tiens, c’est dans La Prisonnière (derniers tiers de l’œuvre) :

 

« Et pourtant, cher Charles Swann, que j’ai si peu connu quand j’étais encore si jeune et vous près du tombeau, c’est déjà parce que celui que vous deviez considérer comme un petit imbécile a fait de vous le héros d’un de ses romans, qu’on recommence à parler de vous et que peut-être vous vivrez. Si dans le tableau de Tissot représentant le balcon du Cercle de la rue Royale, où vous êtes entre Galliffet, Edmond de Polignac et Saint-Maurice, on parle tant de vous, c’est parce qu’on voit qu’il y a quelques traits de vous dans le personnage de Swann ».

 

Le balcon en question domine la place de la Concorde. Le tableau de James Tissot est peint en 1868 (Proust naît en 1871). Charles Haas, qui est sans doute le dernier à droite, a donc, parmi d’autres, servi de modèle à Proust pour le personnage de Swann.

 

Toujours dans La Prisonnière, Albertine fait porter un mot urgent par un cycliste : « "Mon chéri et cher Marcel, j’arrive moins vite que ce cycliste dont je voudrais bien prendre la bécane pour être plus tôt près de vous. (…) Quelles idées vous faites-vous donc ? Quel Marcel ! Quel Marcel ! Toute à vous, ton Albertine" ». 

 

La « vocation » littéraire du petit Marcel est très tôt exprimée. Il compose son premier texte dans la voiture du docteur Percepied au spectacle des clochers de Martinville. Il est très jeune. Il montrera ce texte à Monsieur de Norpois qui, sans décourager Marcel, fait la fine bouche et doute sérieusement qu’il pourra faire, comme il l’espère, carrière dans les lettres. Mais déjà, dans Du Côté de chez Swann, l’idée est présente : 

 

« Et ces rêves m’avertissaient que, puisque je voulais un jour être un écrivain, il était temps de savoir ce que je comptais écrire. Mais dès que je me le demandais, tâchant de trouver un sujet où je pusse faire tenir une signification philosophique infinie, mon esprit s’arrêtait de fonctionner, je ne voyais plus que le vide en face de mon attention, je sentais que je n’avais pas de génie ou peut-être une maladie cérébrale l’empêchait de naître. » 

 

Le thème de la vocation littéraire jalonne tout l’ouvrage, mais comme sans conviction, comme une simple hypothèse. C’est vrai, à un moment, la mère de Marcel, l’air de rien, dépose sur sa table de nuit le numéro du Figaro où un article de lui vient d’être publié, mais c’est comme « en passant », elle fait semblant de n’y prêter aucune attention. C’est qu’il lui semblerait impudique d’exprimer ses sentiments. Mais la manière même dont ce sentiment d’impudeur est exprimé est tout simplement remarquable.  

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

A suivre.

mardi, 29 mai 2012

PROUST ET LA CONFITURE

Pour mon titre, je ne me suis pas cassé la tête. Je sais qu'il vaut ce qu'il vaut. C'était bêtement et vaguement en rapport avec « moins on en a, plus on l'étale ».

 

Qu’est-ce qui me reste de ma récente relecture d’A la Recherche du temps perdu, de MARCEL PROUST ? Je vais tâcher d’être sincère. De ne pas tergiverser. De ne pas tourner autour du pot. Ce n’est pas aussi facile qu’on pense, s’agissant d’un monument littéraire aux dimensions écrasantes, et pas seulement en nombre de pages. A peu près 3500, notes comprises, dans l’édition « Clarac » de la Bibliothèque de la Pléiade (3134 une fois enlevé le « gras » des notes). 

 

C’est l’édition de 1954, qui est en trois volumes. La plus récente (l'édition « Tadié »), tenez-vous bien, qui est en quatre volumes, tient sur 7400pages (plus du double), coûte 241 € (selon le catalogue), parce qu'elle est surchargée de notes et variantes savantissimes. Mais de nos jours qui lit les notes, imprimées en Garamond corps 5 ou 6, qu’il faut une loupe pour les déchiffrer ? J'aimerais bien savoir le nombre de pages qu'il faudrait ajouter, si les notes et variantes étaient imprimées à égalité. 

 

Et même, faut-il lire les notes des modernes sorbonagres (merci RABELAIS) ? Qu’est-ce que ça veut dire, lorsque le nombre de « signes » (au sens informatique) accordé aux « notes et variantes » surpasse, et de très loin, celui consenti au texte de l’œuvre proprement dite ? 

 

Il y a dans cette surenchère de glose, cette inflation de recherche, cette turgescence phallique de commentaires universitaires et, pour tout dire, ce débordement libidinal dégoulinant d’un vain sperme exégétique globalement stérile, quelque chose d’infiniment ridicule, futile et désespéré. 

 

Ce n’est plus « les Français parlent aux Français » (vous savez, pom-pom-pom-pom, radio-Londres, PIERRE DAC, les « messages personnels »), c’est « les savants parlent aux savants ». Or, comme tout le monde fait semblant de ne pas le savoir, de même qu’en 1940, le nombre de « Résistants » s’élevait à environ 0,01 % de la population, de même les éditions Gallimard font-elles payer les maigres subsides qu’elles versent aux savants savantissimes dont elles utilisent les services pour la Pléiade, par les acheteurs de leurs volumes ainsi bodybuildés au clenbutérol chlorhydrate ou à la nandrolone phénylpropionate.

 

A propos du monument de PROUST, je disais donc qu’il n’y a pas que le nombre de pages : il y a aussi la dimension de l’ensemble, la stature morale dinosaurienne de l’objet, qui le fait unanimement appartenir aux chefs d’œuvre du patrimoine littéraire mondial, stature qui se mesure aux kilomètres de rayons qu’occupent les épais ouvrages que des gens extrêmement savants ont consacrés à l’ouvrage. Tout ça est bien fait pour impressionner. 

 

Remettre l’ouvrage sur l’ouvrage sur le métier semble d’ailleurs être une constante de la mission universitaire. La société en mouvement commande la production de travaux, de mémoires, de thèses, de publications multiples, qui n’ont pour but que d’effacer de la mémoire universelle les travaux, mémoires, etc... précédents. 

 

Et tout ça s’empile dans les réserves des bibliothèques justement nommées « universitaires », sans jamais en sortir, jusqu’au jour où un incendie, comme cela s’est produit à Lyon dans la nuit du 11 au 12 juin 1999, fasse partir en poussière et fumée entre 300.000 et 400.000 volumes. Qui l’a déploré ? Qui s’en souvient ? 

 

Le problème, avec l’irruption de l’informatique dans le domaine du savoir, c’est que plus personne n’a le droit d’oublier le plus petit détail. C’était déjà plus ou moins le cas, mais s’il m’est arrivé d’être en « correspondance » avec des gens comme PAUL GAYOT (Collège de ’Pataphysique) ou RENÉ RANCŒUR (pape de la « Bibliographie de la France » dans la Revue d’Histoire Littéraire de la France, alias RHLF), il n’y a jamais eu, d’eux à moi, cette manifestation d’autorité imposée, semble-t-il, par l’irréfutabilité de la référence informatique, mais la belle courtoisie humaniste et manuscrite, que la dite référence élimine sans violence, mais impitoyablement. Appelons ça un totalitarisme « soft ». 

 

L’informatique a donc débarqué, elle règne incontestablement, moyennant quoi, le « plus petit détail » est noyé sous des cataractes niagaresques de « données », entre lesquelles il est quasiment impensable d’espérer accéder à quelque chose qu’on pourrait appeler, par exemple, la « vérité ». 

 

PROUST, maintenant. Ben oui, quoi, ça intimide, PROUST, on n’ose pas dire quoi que ce soit de négatif, par peur de passer pour un moins que rien, un minus qui ne comprend pas la beauté et la grandeur de l’entreprise. Le risque a de quoi faire réfléchir, non ? Si vous voulez mon avis, on a tort. Il y a une différence notable entre ce qu’il « faut savoir » (Lagarde et Michard pour le lycéen, mais aussi, dans le fond, tous les bouquins qui paraissent dans la série bêtement intitulée POUR LES NULS) et ce qu’on aime en réalité. Moi, j’essaierai de m'en tenir au deuxième principe (si c’en est un). 

 

Par exemple – il me semble l’avoir déjà dit – j’ai en très grand respect les œuvres de BALZAC ou DIDEROT, mais je ne suis jamais arrivé à renoncer à mon goût pour le San Antonio de FREDERIC DARD ou le Maigret de GEORGES SIMENON. Même chose en musique : ma mémoire laisse voisiner sans bisbille aucune l’Etude opus 25 n° 11 de CHOPIN ou le quatuor opus 132 de BEETHOVEN, avec Belle belle belle, de CLAUDE FRANÇOIS ou Les Funérailles d’antan de GEORGES BRASSENS. Disons que j’ai la mémoire culturelle plus pommelée, plus bigarrée, plus mosaïquée, plus losangée qu’un costume d’Arlequin, et n’en parlons plus. 

 

Il ne faut pas faire comme VICTOR HUGO, qui dit, parlant de SHAKESPEARE : « Quand je visite un génie, j’entre chapeau bas ». Non, non, Victor, il ne faut pas oublier d’exister, quand on est face à un monument majeur du génie humain, et il ne faut pas taire, en même temps qu’on avoue quelles en sont les parties qui nous touchent, celles qui nous laissent indifférent, quitte à passer pour un béotien parmi les idolâtres. 

 

« Un béotien parmi les idolâtres » : les amateurs de formules ne pourront pas me reprocher de leur avoir fait perdre leur temps. 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

A suivre. Promis, demain, le train arrive en gare de PROUST, quelques minutes d’arrêt, vérifiez la fermeture des portières, attention au départ, tûuut.

lundi, 28 mai 2012

SAUVEZ LE SOLDAT DOSIERE

Il ne fait pas bon être un ami des « socialistes » en période électorale, surtout si vous avez pris au pied de la lettre le mot d’ordre lancé par FRANÇOIS HOLLANDE de la « République Exemplaire », et que vous vous êtes efforcé de le mettre en pratique avec ténacité, en traquant par exemple l’argent public englouti dans l’institution présidentielle.

 

 

Monsieur RENÉ DOSIÈRE est un député « apparenté socialiste ». A priori, pas de quoi en faire un fromage. En général, je n’ai guère d’estime pour la faune politique, la grenouille parlementaire, la tortue sénatoriale et autres bestioles peu appétissantes. Mais il se trouve que certains individus trouvent grâce à mes yeux. Monsieur ETIENNE PINTE, élu sous l’étiquette UMP, est de ceux-là. En compagnie, donc, de Monsieur RENÉ DOSIÈRE.

 

 

 

 

DOSIERE R.jpg

 

 

 

C’est vrai que la logique partisane, au Parlement, oblige l’élu du peuple, la plupart du temps, à voter, comme un mouton, pour la couleur sous laquelle il s’est fait élire. Et quand un individu se fait repérer dans ce troupeau d’ovins, en général, son horizon politique se borne à la fin de son propre mandat, car il y a bien des chances que ses « amis » ne lui pardonnent pas les infidélités partisanes qu’il aura pu commettre à l’occasion de certains votes.

 

 

RENÉ DOSIÈRE est donc parti à la recherche de tout ce qui concernait le financement de l’Elysée. Il en a tiré un ouvrage instructif : L’Argent caché de l’Elysée. Il y raconte l’incroyable et presque indémêlable écheveau qui a été tissé de main de maître autour de tout ce qui touche aux finances de la présidence française, et les incroyables obstacles qu’il a trouvés sur son chemin avant de faire un peu de lumière sur cette question tabou.

 

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Entre autres trouvailles qu’il a faites dans ce labyrinthe, il a montré que les sommes dépensées par et pour l’Elysée sous la présidence de JACQUES CHIRAC avaient augmenté, au cours des douze années de ses mandats (1995-2006), de 798 %. Parfaitement : sept cent quatre-vingt-dix-huit pour cent, ce qui autorise l’auteur wikipedia à parler de « forte progression ». L’euphémisme confine ici au mensonge. Ah, vraiment, la peste soit du "modérateur" de wikipedia.

 

 

798 % !

 (en douze ans)

 

Histoire de ne pas dire 800 %. Un chiffre, donc, si je compte bien, multiplié par huit. Pour un peu, je regretterais presque de ne pas avoir voté pour JEAN-MARIE LE PEN en 2002. Les manifestants anti LE PEN de 2002 n’avaient-ils pas quelque raison de traiter CHIRAC d’escroc ? Comment ne pas comprendre que certains entonnent le refrain du « tous pourris » ?

 

 

Les « socialistes » sont pour une « République Exemplaire », mais faut pas pousser, quand même. Il y a des limites à l’intégrité, quand même. C’est sans doute la raison pour laquelle RENÉ DOSIÈRE s’est vu, pour les prochaines législatives, retirer l’investiture du Parti « Socialiste » dans la première circonscription de l’Aisne. Je précise que je ne connais pas ce monsieur, et ne suis pas en mesure d'évaluer le taux d'intégrité personnelle qu'il serait en droit de se voir accorder.

 

 

 

DOSIERE RENE.jpg

 

Sans remonter au déluge (l’affaire Urba), c’est sans doute en vertu de la R. I. (« République Irréprochable ») qu’a pu éclater l’affaire DOMINIQUE STRAUSS-KAHN. C’est sans doute en vertu de la vertu (républicaine, cela va sans dire) qu’a pu éclater l’affaire des frères JEAN-NOËL et ALEXANDRE GUERINI. Y a-t-il eu ou non une affaire (corruption) KUCHEIDA dans la fédération socialiste du Pas-de-Calais (au sujet de cette affaire KUCHEIDA, on lira avec profit la chronique de DANIEL SCHNEIDERMANN dans Libération daté du 28 mai) ?

 

 

Remarquez que NICOLAS SARKOZY a mis aussi de la poussière sous le tapis : à propos des conditions d’attribution d’un permis de construire à un promoteur pour un immeuble à l’île de la Jatte à Neuilly, quand il en était maire, et sur la curieuse moins-value dont il a bénéficié pour l’achat d’un appartement dans le dit immeuble (doublée d’une belle plus-value à la revente), l’enquête préliminaire a été fort opportunément interrompue, malgré les investigations embarrassantes du Canard enchaîné.

 

 

Moralité : il ne fait pas bon, pour la « vertu républicaine », de voisiner de trop près avec le pouvoir. En attendant, malgré mon abstentionnisme militant, j’en suis arrivé à souhaiter que Monsieur RENÉ DOSIÈRE soit réélu, malgré le Parti « Socialiste ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi. 

 

 

P. S. (je vous assure que ce PS n'a rien à voir avec le Parti "Socialiste") dernière minute : je n'achète jamais Marianne. Le dernier numéro paru offre pourtant un article croquignolet sur l'usage et l'abusage que les députés font de leur IRFM (indemnité représentative de frais de mandat). Quelqu'un a déniché (sûrement grâce à un gros jaloux) les relevés bancaires d'un député magnanimement laissé anonyme.

 

 

Résultat : escapades en plein mois d'août en Espagne, à l'île de Saint-Barth, au parc Disney, etc. Tout ça, c'est moi qui lui paie, alors que j'ai pas vraiment envie. Et ça, c'est de la petite turpitude courante, quotidienne, banale, entrée dans les moeurs. Tous partis confondus. TOUS PARTIS CONFONDUS, qu'on se le dise.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

PPS (post-post-scriptum, je dis ça pour rassurer) : on trouve en p. 14 du même numéro de Marianne le propos suivant : "Pourtant s'il fallait élargir la règle appliquée à AUDREY PULVAR [compagne d'ARNAUD MONTEBOURG] à tous les journalistes entretenant des relations de très grande proximité, voire de connivence affichée, avec les politiques (il n'y a pas besoin de partager leur couche pour ça), les rédactions des grands journaux seraient dévastées". C'est signé F. D. Mais c'est en tout petit, en bas de la page 14, alors que ça devrait être en gros et gras, en UNE. Vous êtes rassurés, sur la racaille journalistique ?

 

 

 

 

dimanche, 27 mai 2012

CHANSONS (PAS TROP) PAILLARDES

Nous disions donc que la chanson paillarde n'est pas présentable, et ne saurait le devenir. Elle convient à des soirées (qu'on dira "entre jeunes" et "arrosées"), en général plutôt en fin de repas. C'est du pataud, du rustique, du mal dégrossi. Mais à côté de ce folklore de fin d'adolescence, gît un patrimoine de chansons infiniment plus élaborées, plus « culturelles », dirons-nous.

 

J'ajoute que certaines sont d'une redoutable habileté pour ce qui est du maniement du verbe. Je vous ai embarqués hier sur le thème de la « fausse rime ». Restons-y, si vous le voulez bien. L'habileté en question consiste simplement (si on ose dire, car essayez d'écrire un texte obéissant à cette règle) à substituer au mot tabou un mot à rime sage, auquel on fera rimer, au vers suivant, un mot lui-même insoupçonnable.

 

Exactement sur le même principe de la « fausse rime », vous avez aussi Folâtreries 

L'autre soir ayant des idées folles
J'entrai dans un grand music hall
Et m'installai tout plein d'orgueil
Dans un fauteuil


On jouait une revue sans voile
Et toutes les femmes étaient à … genoux
Chacune avait le dos tourné 
De mon côté
Comme elles n'avaient pas de tutus
Elles nous faisaient voir leur … corps
Ah ! mince alors !
C'était bien fait pour me réjouir
Et moi qu'avais envie de … danser
Très satisfait 
J'applaudissais

Une danseuse à l'air folichon
Qu'avait de très jolis p'tits … petons
Me fit de l'oeil 
Je m'dis ça va 
Tu l'attendras
Une heure après à la sortie
Contre un mur je faisais le pied d'grue
Elle vint alors avec envie
Elle prit mon … bras
Puis elle me dit d'une voix d'crecelle
Tu sais je ne suis pas pu…dique
Faut que j't'explique
C'est dans un d'mes derniers voyages
Que j'ai perdu mon pu…ll-over
Mais oui mon cher 
Faut pas t'en faire !

J'lui dis pour la mettre à son aise
J'm'en fous pourvu que je te … plaise 
Toi tu me plais alors ma foi
Viens donc chez moi !
Ici quelqu'un peut nous épier
Et comme je veux prendre mon …  temps
J'n'ai pas envie de m'démancher 
Pour t'embrasser
Une fois chez moi je le confesse
Ma main s'égare et dans ses … ch'veux
J'étais heureux
Ensuite fier tout comme un pacha
Je lui chatouillais son petit … nez
Puis j'l'invitais 
Suite à dîner

Après avoir fait la dînette
Elle me dit fais moi … risette
Moi j'aime les hommes qu'ont le sourire
C'est rien de l'dire
Avec ton visage rubicon
Mon p'tit tu n'a pas l'air d'un … type
Qui a le caractère brouillon
Bref d'un … melon
Oh ! Non j'n'ai rien d'un cénobite
Lui dis-je, j'ai même une grosse … envie
D'faire des folies
Là-d'ssus arrêtant ma harangue
Sur son cou je passais ma … main
Sacré matin,
C'était divin !

Mais elle s'écria tout  coup
Mon vieux avant d'tirer … l'verrou
Donne moi du fric sinon sans ça
Je n'marche pas !
Y faut pas me prendre pour une nouille
Sinon moi je t'arrache les … yeux
En entendant ces mots scandés
Je déchantais
Puis elle reprit d'un ton bravache
Tu m'fais l'effet d'être une belle … rosse
Là-d'ssus la gosse
Partit sans tambour ni trompette 
Mais moi j'conservais mes rou…geurs
Y'a pas d'erreur, j'ai eu très peur !


Pour compléter le tableau, en voici une dernière. L’action se passe dans le métro parisien. La chanson est intitulée, au choix, La Jeune fille du métro ou Idylle souterraine.

C’était une jeune fille simple et bonne

Qui ne refusait rien à personne.

Un jour dans le métro y avait presse,

Un jeune homme osa, je le confesse,

Lui passer la main dans les … cheveux.

Comme elle avait bon cœur,

Elle s’approcha un peu.

 

Il vit le mouvement de la demoiselle

Et recommença de plus belle

Puis, comme dans tout homme, tout de suite,

S’éveille le cochon qui l’habite,

Sans attendre, il sortit sa … carte,

Lui dit qu’il s’appelait Jules,

Et demeurait rue Descartes.

 

Le métro continuait son voyage.

Elle se dit : « Ce garçon n’est pas sage,

Je sens quelque chose de pointu,

Qui d’un air ferme et convaincu,

Tâche de pénétrer dans mon … cœur,

Ô sentiment nouveau,

Doux frisson du bonheur ».

 

Comme elle avait peur pour sa robe,

A cette attaque elle se dérobe.

Voulant savoir ce qui la chatouille,

Derrière son dos elle tripatouille,

Et tombe sur une belle paire de … gants

Que le jeune homme, à la main,

Tenait négligemment.

 

Alors, n’ayant plus aucun doute,

Elle dit à son compagnon de route :

« Ce que tu fais là est ridicule,

Tu vas trouer mon caracul.

Puisqu’à la fin, faut que tu m’em … bêtes,

Je me retrousse, car en dessous,

L’ouverture est toute faite ».

 

Ça prouve qu’à Paris quand on s’aime,

On peut se le dire sans problème.

Les amoureux ne se font pas de bile,

Entre tout le monde, ils se faufilent,

Je crois bien même qu’ils s’en … fichent,

Car l’amour ouvre les yeux,

Même aux gens les plus godiches.

 

* NB : caracul désigne une race de mouton, et l'étoffe de laine qu'on en tire.

 

 

Voilà de quoi passer de bons moments, sans pour autant passer pour un amateur de vulgarités grasses et païennes. Avouez que tout cela reste d’une distinction certaine et d’un véritable raffinement, non ?

 

En tout cas, voilà ce que je dis, moi.

 

samedi, 26 mai 2012

CHANSONS (PRESQUE) PAILLARDES

Les chansons paillardes, ce n’est pas beau. Tout simplement parce que ce n’est pas fait pour ça. Non, c’est fait pour rigoler et faire rigoler, les soirs de retour de colonie de vacances. C’est un truc fait pour l’adolescent boutonneux ou la pucelle en mal d’impressions, et qui veut se donner des airs. 

 

C’est fait par et pour des bidasses qui retournent en train à la caserne un soir de dimanche, après une permission chez papa-maman. C’est fait pour être dessiné sur les murs des salles de garde, à grands coups de pénis hypertrophiés, sains ou carrément chancreux, et de vulves ou de trous du cul avides de se faire « entrer dans le vif du sujet ».

 

C’est fait surtout par et pour les étudiants en médecine, ceux qu’on appelle les « carabins ». C’est vrai, quoi, côtoyant à longueur de journée la maladie, la vieillesse et la mort, ces jeunes ont un besoin accru d’alimenter leurs réserves de vie et d’optimisme, et de compenser le spectacle d’un hôpital où toute personne démunie de blouse blanche est forcément et obligatoirement classée parmi les victimes. A la rigueur parmi les visiteurs de victimes. 

 

Je ne sais pas si vous avez remarqué, dans un hôpital, les victimes et leurs visiteurs n’ont pas du tout le même air, le même visage ni le même comportement. Je ne parle pas de la robe de chambre ou du pyjama dans lesquels déambulent les malades. Je parle de l’égaré, du dépaysé, de l’absent, du perdu qui se lit sur le visage du visiteur qui cherche l’étage et le numéro de la chambre de l’opéré. 

 

Autant le visiteur a tout d’une âme errante dans les ténèbres d’un au-delà homérique ou virgilien, autant le malade a l’air de bien connaître les lieux, au point de s’y être installé, comme s’il était chez lui. Il a observé les détails des murs, des sols, des plafonds centimètre par centimètre. Il s’est fait à cette lumière blafarde dont sont éclairés les couloirs. En quelque sorte, il est chez lui. 

 

Certes, il lui faut un temps d’accoutumance, mais quand il a ses points de repère (tiens, elle est jolie, cette aide-soignante ; tiens, il faudra que je signale que la chasse d’eau fuit ; tiens, il est en retard, le toubib, pour sa visite ; etc.), c’est tout juste s’il n’éprouve pas quelques regrets au moment de la « sortie ». 

 

Je reviens à mes moutons. La chanson paillarde est donc brutale, vulgaire, obscène, indécente, mais je l’ai dit : c’est fait pour ça. C’est le bouchon qui pète quand on agite le champagne : la pression s’est accumulée, il faut que ça sorte. Mais ça dure le temps des études, ce lâchage de bonde, le temps de s’habituer à la maladie et à la mort. Après, on s'assagit, paraît-il. Enfin, je ne sais pas si, tout au fond, il est possible de s’y habituer. 

 

Ce qui est sûr, c’est que la chanson paillarde a du mal à « passer à la radio ». Disons qu’elle est tout simplement interdite d’antenne, et n’en parlons plus. Tout juste bon pour être enregistré dans la collection « Plaisir des dieux » (il y en a douze). 

 

La chanson labellisée « paillarde » est perdue de réputation, exactement comme on disait autrefois des filles qui se retrouvaient en cloque avant que le beau garçon qui voulait soulager ses ardeurs leur eût mis la bague au doigt, et qui avaient la maladresse de croire à la sincérité de la promesse.  

 

Pourtant, il existe un certain nombre de chansons intéressantes, qui gagneraient à être connues. Le présent blog, on l'aura compris, est assez soucieux de la pureté de ses intentions et de l'immaculation de sa réputation, qu'il serait au moins dommageable, et peut-être inexpiable qu'on ne se montrât pas sourcilleux sur tous les facteurs éventuels de corruption.  Ces chansons, je les appellerai des chansons « quasi-paillardes », qui jouent subtilement sur et avec les mots tabous. Je vais en donner quelques exemples. 

 

Est-ce que vous connaissez Aventure galante ?

 

 

Dans un restaurant, un matin

J'fis connaissance d'un p'tit trottin

A l'air mutin

 

Elle m'avait plu, je le confesse

Parce qu'elle avait de très belles... dents

C'était tentant

 

Profitant d'un moment propice

Je glissai ma main sous la... table

D'un air aimable

 

Tout en ramassant ma serviette

J'lui fis un tout p'tit peu... la cour

Ce fut très court

 

Tandis que je me réjouissais

Auprès d'moi la p'tite... demanda

Un autre plat

 

Puis elle me dit "Où c'est qu't'habites ?

Tu dois avoir une belle... demeure,

Très supérieure"

J'lui dis "J'ai même un grand balcon
Si tu veux m'ouvrir ton p'tit... cœur
Ce s'ra l'bonheur "

"Entendu" qu'elle m'fait, "c'est promis
Puisque t'as fini d'faire... la monnaie
Faut s'débiner"

Pendant que le taxi s'ébranle
J'lui dis "J'voudrais que tu me... racontes
Sans fausse honte

Ce que tu fais comme métier
Et si tu prends souvent... d'l'argent
C'est épatant"

"Oh, je n'travaille pas sur l'enclume
Seulement quelquefois je taille des... robes
Mais je m'dérobe

Car dans ce métier, on se dispute,

Et je préfère faire la … modiste,

C’est plus artiste.

 

En arrivant aux Batignolles,

Elle me prit par les rou … flaquettes,

C’était pas bête.


En rentrant chez moi, tout d'un coup
Elle m'dit "Avant d'tirer... l'rideau
Mon p'tit coco

Faut que j'te l'dise : On m'appelle Luce"
J'réponds "Alors faut qu'tu m'... embrasses
A cette place"

Et en voyant ses yeux de braise
J'lui dis "Viens ici que j'te... dise
Quelques bêtises"

Mais un jour pour me damer l'pion
Elle partit m'laissant des... dettes
C'est pas honnête

Elle m'avait bien pris pour un sot
Pourtant je n'suis pas pu... dibond
Oh, pour ça, non

Et depuis, je m'en mords les tifs
Regrettant mon ... cache-poussière
Quelle triste affaire

Messieurs, il faut que vous l'sachiez
Des femmes comme ça vous font... d'la peine
Voilà notre veine

Elles fouillent d'abord votre pelisse
Et puis vous laissent une... rancœur
Au fond du cœur

Moi je vous dis, il n'y a rien d'tel
Vaut bien mieux aller au... théâtre
C'est plus folâtre

 

Ce fut chanté par FERNANDEL (et par d’autres). Ce que j’adore, dans chaque strophe, c’est la pirouette à la fin du 2ème vers, et j’avoue que je trouve amusante la déception de l’oreille, qui n’entend pas le mot attendu pour la rime. Appelons le principe de la « fausse rime » la déception amusante. Et en même temps, ça permet de passer par-dessus la censure.

 

Voilà ce que je dis, moi.   

 

La suiteetfin à demain.

vendredi, 25 mai 2012

UN PEU DE SADO-MASO ?

"Que d'eau ! Que d'eau !", pourrait avoir déclaré le général MAC MAHON, président de la France, en contemplant des inondations dans le Sud-Ouest. QUENEAU ! QUENEAU ! aurait pu déclarer RAYMOND, l'immortel père de Zazie. Ô ! Ô ! nous contenterons-nous de grommeler aujourd'hui, comme PAULINE REAGE, l'auteur, donc de cette Histoire d'Ô, qui a renoué, au milieu de notre XXème siècle, avec la tradition scandaleuse de la jouissance amoureuse dans l'humiliation de la personne, dans la souffrance physique et dans la soumission.

 

 

Ces aventures du personnage que son auteur PAULINE REAGE a appelé Ô sont un classique de l’érotisme du 20ème siècle. Cela doit dater des années 1950. La préface de JEAN PAULHAN est une preuve qu’on n’est pas dans le « second rayon », mais dans la chose littéraire, dans le salon chic où des gens riches vont s’encanailler artistement en poussant des petits « oh » horrifiés qui humidifient certaines régions des dames bien élevées.

 

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QUELLE DRÔLE D'IDEE, D'EN FAIRE UN FILM !

(NOTEZ QUAND MÊME LES "BRACELETS" MUNIS D'ANNEAUX)

 

 

 

Cette préface intitulée « Le Bonheur dans l’esclavage » n’est pas bête, et pourrait être une réponse au De la Servitude volontaire, d'ETIENNE DE LA BOETIE, et un héritage du Grand Inquisiteur imaginé par le Ivan Fiodorovitch créé par DOSTOIEVSKI dans Les Frères Karamazov : rien n’est plus difficile que d’être libre, pour ne pas dire angoissant, voire insupportable. Rien n'est plus rassurant que de déposer sa liberté aux pieds d'une personne entre les mains de laquelle on s'en remet.

  

 

Ah, la liberté ! Je ne parle pas de cette liberté veule que tout le monde a à la bouche aujourd’hui, la liberté de choisir, mais de choisir entre le plus de produits possible. Ce n’est pas ça, la liberté. La liberté de choix, ce n’est finalement qu’une LIBERTE DE SUPERMARCHE, qui consiste à décider de la façon dont on va consommer, c’est-à-dire à choisir comment on va être consommé par la machine consommation.

 

 

Ceux qui ont excellemment compris la logique de cette liberté au rabais sont les entrepreneurs de l’industrie numérique, téléphone mobile, internet à toutes les sauces, « tablettes » et autres jouets à trouver dans la cheminée les soirs de visite du Père Noël. Essayez pour voir de dresser un comparatif raisonné des contrats qui vont vous lier à Bouygues, SFR ou Orange pour votre téléphone transportable, et vous m’en direz des nouvelles. Au choix, c’est la jungle, le maquis, le labyrinthe. A condition que ce soit en ILLIMITE. C'est ça, la liberté de supermarché.

 

 

Vous voulez savoir ce que c’est, le téléphone portable, la tablette portable, l’ordinateur portable, et tout ce qui se présente sous le jour souriant de la « vie portable » ?

 

 

Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.

" Qu'est-ce là ? lui dit-il. - Rien. - Quoi ? rien ? - Peu de chose.

- Mais encor ? - Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

- Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas

Où vous voulez ? - Pas toujours ; mais qu'importe ?

- Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. "

Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor.

LA FONTAINE, Le Loup et le chien

 

 

Ah, la liberté ! La vraie ! Celle, fondamentale, par laquelle chacun décide (ou non) de rester en vie ou de mourir, ou de disparaître aux yeux des vivants. Le genre de liberté revendiquée par FRANÇOIS AUGIÉRAS, et qui fait dans son cas mourir jeune. Une oeuvre marginale, comme son auteur, et qui, comme lui, mérite d'être connue.

 

 

Revenons à nos moutons. On ne sait pas pourquoi Ô accepte librement, pour obéir à son amant René, de devenir, du jour au lendemain, comme il le dit lui-même « la fille que je fournis ». On ne saura pas grand-chose des individus qui gravitent autour de l’héroïne, sinon qu’ils sont amateurs de rituels compliqués, de cérémoniaux quasi-religieux, bien qu’ouvertement consacrés au sexe.

 

 

Je me rappelle m’être assez ennuyé au film compliqué Le Grand cérémonial, inspiré d’une œuvre de l'allumé et grand joueur d'échecs FERNANDO ARRABAL, qui raconte la délivrance de Cavanosa (il faut oser un nom pareil) de l’emprise de la mère incarnée par Ginette Leclerc, « la plus freudienne des mères », comme dit MICHEL AZZOPARDI dans son commentaire. 

 

 

A propos de rituels sexuels, je me souviens d’avoir rencontré un type il y a bien longtemps, par l’entremise d’une certaine MARIE-JEANNE. Il était professeur de gym (pardon, il faut dire Education Physique et Sportive, c’est comme le prof de dessin, qui est élevé à la dignité des Arts Plastiques, et ça change tout, il paraît).

 

 

Le brave garçon, qui se prenait par ailleurs pour un grand joueur d'échecs, était obsédé de parties fines (et « carrées »). Libéral, il acceptait volontiers de partager sa femme, pas très belle au demeurant. Il la prêtait à qui voulait, pourvu qu’en échange, lui-même pût s’épanouir avec des jeunesses. Il avait évidemment lu Histoire d’Ô. Mais le désopilant de l’affaire, c’est qu’il n’avait pas compris dans leur vrai sens deux mots qui reviennent constamment, fréquemment et récurremment tout au long du livre : le mot « ventre » et le mot « reins ». Je m'étais senti obligé de lui expliquer. Il en était resté éberlué.

 

 

Le brave garçon croyait, dans une naïveté assez surprenante chez quelqu'un se prétendant "au parfum", que, au moment où Ô se fait « infibuler » (un piercing aux grandes lèvres par un anneau au moyen duquel l’amant mènera, vers la fin, au milieu des invités d’un château, sa maîtresse, au bout d’une « laisse », en fait une lourde chaîne), on lui perce platement la peau du « ventre ». Or, dans le bouquin, le mot désigne sans ambiguïté la vulve de l'héroïne.

 

 

Sir Stephen, le « maître » d’Ô, obtient d’elle en effet qu’elle consente à se laisser poser, dans la plus intime de ses chairs, « des anneaux de fer mat inoxydable ». « Anne-Marie lui ouvrit les cuisses et fit voir à O qu’un des lobes de son ventre, dans le milieu de sa longueur et à sa base, était percé comme à l’emporte-pièce ». On n’est pas plus clair, me semble-t-il. Passons sur les autres détails.

 

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De même – mais là, j’ai plus de mal à comprendre l’incompréhension du « brave garçon » – Ô doit, à la demande de Sir Stephen, se faire « élargir les reins » au moyen de godemichés de plus en plus larges, pour faciliter la pénétration de l’orifice par la variété la plus variée des « membres » bien vivants de la secte, du plus modeste au plus majestueux.

 

 

Il n'y a pas besoin de ne pas être un demeuré pour comprendre de quels « reins » il s'agit. Comment le « brave garçon » dont je parle se représentait-il la « chose » ? Mystère. Toujours est-il qu’il s’agit bel et bien de pénétration systématique (et finalement sans joie aucune) de l’anus, et de rien d’autre.

 

 

Il n’avait pas dû bien comprendre non plus la chanson mondialement connue de SERGE GAINSBOURG, chantée d’abord avec BRIGITTE BARDOT (qui fut effrayée du scandale potentiel), puis avec JEANNE BIRQUAIN. Ah, on me dit que ça ne s’écrit pas comme ça ? Excusez-moi, je ne savais pas. Je tâcherai d’y penser la prochaine fois. La chanson dit : « Je vais et je viens entre tes reins ».

 

 

Le titre imbécile de la chanson est Je t’aime moi non plus (rudimentaire et ridicule technique surréaliste et publicitaire de destruction du « signifiant », rien que pour faire l’intéressant). Dans le texte, il me semble que JEANNE BIRQUAIN ne dissimule guère le plaisir qu'elle trouve à se faire enculer. Le comique de l’affaire, c’est que, au contraire de notre « brave garçon », le Vatican avait immédiatement et violemment réagi, parce qu’il avait immédiatement et violemment compris, on l’aura compris.

 

 

Le mystère règne sur les motivations d’O, qui devient cependant volontairement, peut-être par amour (tout est possible), une esclave sexuelle, un « instrument » dont se servent son amant et d’autres. Rien ne sert de raconter par le menu. Sir Stephen, le “maître”, déclare sans ambages : « And besides, I am fond of habits and rites » (p. 102). Ô entre dans l’esclavage avec la dignité d’une femme libre et avec la pudeur aristocratique d’une femme du monde.

 

 

 

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SIR STEPHEN (ou RENE ?) ET Ô 

 

Moralité de tout ça, et question : est-ce un livre « érotique », je veux dire qui donne des impressions, un de ces « livres qu'on ne lit que d'une main » (JEAN-MARIE GOULEMOT) ? Personnellement, tout ce qui donne dans les rituels sado-masochistes me laisse froid comme un poisson mort (quoique, même vivant, le poisson n'est pas très chaud).

 

 

A ce sujet, j’ai même tendance (au risque de me tromper) à jeter un œil soupçonneux sur la « philosophie » de MICHEL FOUCAULT, le philosophe mondialement célébré, connu pour s’être adonné à toutes ces sortes de jeux SM au long de sa vie. Et c’est ça qui fut nommé professeur au Collège de France. Bref, je n’insiste pas, parce que je sens qu’on va me bassiner avec la « vie privée ».

 

 

De même, j’avais sans plaisir vu, dans le temps, un film avec GERARD DEPARDIEU et BULLE OGIER (Maîtresse, de BARBET SCHROEDER, 1975). GERARD, à un moment, pissait sur un client de BULLE, qui se livrait au doux métier de prostituée spécialisée dans la vente de sévices, clouant à l’occasion à une planche la peau du scrotum d’un de ces messieurs, avide de souffrances raffinées. Bon, c’est sûrement très « documenté ». Pour m'en souvenir, faut-il que ça m'ait traumatisé !

 

 

Mais dans le genre cruel, nul ne saurait égaler le maître de la discipline, le marquis DONATIEN ALPHONSE FRANÇOIS DE SADE, à la cheville duquel nul n’est arrivé, deux siècles après, même ALFRED DE MUSSET, avec l’héroïne carrément cinglée de Gamiani ou deux nuits d’excès. Et je confesse que la lecture du « divin » (adjectif obligé, paraît-il) marquis devient très vite (pour moi) d’un ennui bien carré aux angles.

 

 

Même le baron de Charlus, dans la dernière partie de La Recherche du temps perdu, me paraît totalement pathétique, quand il se rend dans la « maison » tenue par Jupien pour se faire fouetter de chaînes par des jeunes gars dont il escompte le maximum de cruauté. C’est d’ailleurs bien sur le ton pathétique que PROUST raconte cette avant-dernière phase descendante du flamboyant Charlus.

 

 

Histoire d’Ô a-t-il fait scandale à parution (1954) ? J’avoue que j’ai la flemme de chercher. Cela dit, j’ai bien supporté la version Bande Dessinée du livre signée par GUIDO CREPAX, qui offre les charmes de l’élégance et de l’absence de vulgarité, en même temps que la virtuosité du dessin. Vous avez dit sado-maso ? Très peu pour moi, en fin de compte.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

jeudi, 24 mai 2012

LA GUERRE DES DESSINS

Cela fait une éternité que le journal Le Monde s’est converti à la publicité, à la photographie et au dessin de presse. Une éternité qu’il s’est mis à publier les cours de la bourse. Une éternité qu’il a cédé à la pipolisation, imitant en cela la dernière page de Libération, en publiant des portraits curieusement neutres et alléchants de personnalités plus ou moins fêtées dans les médias.  

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Une éternité que Le Monde s’est adapté à la modernité, je veux dire à la « nécessité » d’aérer de toutes les manières possibles des contenus d’une sévère austérité, d’une densité fatigante, et pour tout dire capables de flanquer des indigestions carabinées. Une éternité qu’il propose pour remédier à ces défauts des articles allégés de toute matière grasse.

 

 

Bref : le « journal de référence » a suivi le cours des choses pour s’adapter à un public de « jeunes cadres dynamiques », d’une allègre modernité, et qui, pour cette raison, consacrent trop de temps à leur jogging, à leur(s) maîtresse(s), à leur ordinateurs pour en perdre à vouloir s’informer en allant trop au fond des choses. On ne sait jamais : peut-être que ça colle aux doigts.

 

 

De son côté, le journal Libération n’est pas resté inactif, et a su accompagner souplement l’évolution des mœurs. Cela fait en effet une éternité que, sous la houlette inspirée, quoiqu’énergique, de SERGE JULY (le journaliste devenu patron qui, à ce titre, fut considéré comme acheté, avant d’être « à jeter »), il a abandonné la Révolution à son triste sort.

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Une éternité qu’il a délaissé la futilité de ses célèbres « petites annonces » pour s’intéresser à son tour aux personnes dignes d’intérêt, c’est-à-dire celles qui portent l’étiquette « vu à la télé ». Une éternité qu’il a jeté dehors l’extraordinaire, génial et décoiffant  supplément Un regard moderne où le collectif Bazooka portait le visuel à ébullition. Adieu CHRISTIAN CHAPIRON (Kiki Picasso), JEAN-LOUIS DUPRÉ (Loulou Picasso) et OLIVIA CLAVEL (Electric Clito).

 

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 ET ÇA REMONTE A 1978 !

 

Je ne sais pas si c’est le mot « ébullition » qui s’impose, parce que je pourrais aussi bien parler d’explosion, de dynamitage, mais on me reprocherait l’outrance. Au sujet de Bazooka, il ne saurait y avoir d’outrance, puisqu’aucune ne serait en mesure d’égaler la leur, à l’époque.

 

 

Si je peux donner mon avis, je pense que Bazooka, en son temps, a fait basculer l’univers graphique dans l’infini émiettement de la marchandise, du fait du triomphe de la consommation comme mode de vie. Pour ce qui est du graphique, je dirai que personne mieux que Bazooka Production n’a compris (ou reflété, ce serait peut-être plus juste) le sens de l’époque qui s’ouvrait (avec à la clé récupération des détournements situationnistes).

 

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Bref, ça fait une éternité que Libération s’est converti à la social-démocratie « responsable », que la social-démocratie « responsable » s’est convertie à l’économie de marché, et que l’économie de marché s’est convertie à l’intégrisme libéral et à la lutte de tous contre tous (THOMAS HOBBES, Léviathan). Rassurons-nous : la destruction du monde par l’économie est en cours.

 

 

Tout ça pour en venir à quoi, vous demandez-vous peut-être ? A ceci : en dehors du fait que la presse française n’a cessé de décliner et de perdre des forces et du caractère, les deux journaux cités ci-dessus cultivent une tradition : le dessin de presse. Et c’est là que leurs chemins se séparent. Au Monde, le dessinateur s’appelle PLANTU (son vrai nom est JEAN PLANTUREUX, si, si, je vous assure). A Libération, il s’appelle WILLEM (BERNARD WILLEM HOLTROP).

 

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DESSINS PARUS LE 21 MAI 

 

La différence entre les dessinateurs reflète exactement la différence entre les journaux. Pendant que PLANTU adopte la couleur conformiste de la feuille qui le rémunère, et se prend pour un nouveau DAUMIER (y compris pour la sculpture) et pour le porte-drapeau internationaliste de la liberté de la presse (« cartooning for peace », créé en 2006) et de l’humanisme journalistique, avec bonnes intentions et certificat de belle âme, le rigolard WILLEM, plus individu, donc infiniment préférable, promène son regard et son ricanement vaguement désenchanté dans toutes sortes d’endroits plus ou moins mal famés, couchant sur le papier les vachardises plus ou moins prononcées de son ironie plus ou moins féroce.

 

 

Une autre différence entre les deux dessinateurs est que, dans Le Monde, il est publié en « une », alors que dans Libération, il faut le chercher en pages intérieures. Mais la grande différence est dans la teneur elle-même des dessins. PLANTU est effroyablement gentil. Bon sang, que ses dessins sont sages. C’est énervant à force d’être sympa. Je me demande si cette gentillesse est propre à l’individu, ou si c’est la « ligne » du journal qui commande.

 

 

Sans doute un peu les deux, mon général : Le Monde n’aurait jamais demandé, par exemple, à CABU un dessin de « une ». CABU, c’est tout juste bon pour un hebdomadaire satirique paraissant le mercredi ou pour Charlie Hebdo.  CABU est trop méchant pour travailler au Monde. Regardez comme il arrange SARKOZY (et BERNADETTE CHIRAC au passage).

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COMME DIT LINO VENTURA : C'EST DU BRUTAL !

(et très bien vu, je trouve)

 

 

Cette gentillesse de PLANTU fait en général son dessin lisse et mou : il manque des piquants, bon sang de bonsoir ! Et puis, cette petite souris qu’il ajoute à tous ses dessins, est-ce qu’il ne l’a pas tout simplement piquée à GOTLIB ? Bon, c’est vrai, chez GOTLIB, ce n’est pas une souris, mais une coccinelle, mais elle a une véritable existence, elle devient un vrai personnage, qui vit des aventures. La souris de PLANTU ne sert à rien. Clin d’œil, si vous voulez, mais sans signification.

 

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 Tiens, regardez un peu ce que PLANTU et WILLEM dessinent le 7 mai, lendemain du 6 (vous vous rappelez ? Ah bon, moi, j’ai déjà oublié). Si vous voulez mon avis, PLANTU joue les « chambres d’écho » pour les événements, alors que WILLEM est davantage dans le commentaire politique. Le dessin de WILLEM est en actif ce que celui de PLANTU est en passif.

 

 

 

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Voilà ce que je dis, moi.

 

 

P. S. : j'aime beaucoup aussi ce portrait de NICOLAS SARKOZY :

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 BEAU PORTRAIT CUBISTE, ET TRES RESSEMBLANT

mercredi, 23 mai 2012

CATECHISME LIBERTIN (suite et fin)

J’aurais dû commencer par le commencement : qu’est-ce qu’une putain ? Le Catéchisme libertin à l’usage des filles de joie et … (j’arrête là le titre, ça n'en finit pas) répond : « C’est une fille qui, ayant secoué toute pudeur, ne rougit plus de se livrer avec les hommes aux plaisirs sensuels et charnels ». Personnellement, le choix du verbe « secouer » me touche. Et quelles sont ses trois qualités essentielles ? Réponse : « L’effronterie, la complaisance, la métamorphose ».  

 

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DU TEMPS QU'IL Y AVAIT DES "MAISONS"

(par FELICIEN ROPS)

 

L’effronterie consiste pour la putain à ne considérer aucune partie de son corps comme tabou, « c’est-à-dire que ses tétons, sa motte, son cul doivent lui être aussi indifférents auprès de l’inconnu qu’elle amuse, que l’est à l’égard d’une femme honnête la paume de la main qu’elle ne rougit pas de montrer ». Que pensez-vous de « qu'elle amuse » ?

 

 

La complaisance est une qualité très subtile : c’est l’art d’agir avec le client de telle façon qu’il aura envie d’y revenir. « Par ce moyen, elle le retient comme dans des filets. » Autrement dit, avec une vraie bonne putain « recordée et aguerrie », c’est « satisfait ou remboursé ».

 

 

Quant à la métamorphose, là encore, je vais me référer à Tonton GEORGES : « On ne tortille pas son popotin de la même manière pour un droguiste, un sacristain, un fonctionnaire » (Le Mauvais sujet repenti). Le Catéchisme est également très clair : « Elle doit être comme un Protée, savoir prendre toutes les formes, varier les attitudes du plaisir, suivant le temps, les circonstances et la nature des tempéraments ».

 

 

Il précise même : « Tandis qu’un tortillement de fesses voluptueusement fait, plongerait l’homme à tempérament dans un torrent de délices, qui causerait la mort au Narcisse fouteur et au paillard décrépit ». C’est de la haute psychologie, ou je ne m’y connais pas. Adapter l'offre à la demande, c'est ce qu'on dit en général, n'est-ce pas, au sujet des rapports amoureux ?

 

 

Avec la question suivante, on sera en droit d'émettre des doutes sur la rumeur qui veut que l’auteur du livre soit une femme. En effet, à la demande : « Toutes les femmes ont-elles un penchant décidé à devenir putain ? », il est répondu : « Toutes le sont ou désirent l’être, il n’y a que les convenances et la bienséance qui retiennent la plupart ; et toute fille qui succombe, même pour la première fois, est déjà, dès le premier pas, putain décidée ; la chemise une fois levée, la voilà familiarisée avec son cul, autant que celle qui a joué du sien pendant dix ans ».

 

 

Cette phrase me fait penser à une nouvelle de MAUPASSANT, qui raconte la mésaventure survenue à une jeune et ravissante bourgeoise, qui habite en face du "lieu de travail" d'une prostituée professionnelle, dont elle observe le manège par lequel elle racole les mâles qui passent dans la rue. Elle l'imite, juste pour jouer, et ça marche : le premier homme auquel elle fait un signe monte illico, et elle a beau supplier sur l'air de : « Je ne suis pas celle que vous croyez », elle doit finir par y passer, honteuse, mais secrètement ravie.

 

 

Rendez-vous compte, mesdames ! Allez dire et écrire de telles horreurs à la face de nos féministes actuelles, qui en sont déjà à hurler à l’infâme imparité dans la future Assemblée Nationale (elles dénoncent même la fausse « parité » du gouvernement AYRAULT, où tous les ministères « régaliens », sauf la Justice, gouverné par CHRISTIANE TAUBIRA, sont détenus par des hommes, comme quoi, quand on commence à revendiquer, quand on proclame être victime d'une injustice, il n'y a aucune raison de s'arrêter avant d'avoir TOUT raflé) !

 

 

A propos d’AYRAULT, tiens, il faut absolument que ça se sache : les journaux arabes sont très embêtés, parce qu’il paraît que ce nom, prononcé comme chez nous (éro), veut dire exactement « le membre viril » en langue arabe (enfin, à ce qu'on m'a dit) : le ministère des Affaires Etrangères, de LAURENT FABIUS, a trouvé la parade : il suffira de faire comme si toutes les lettres se prononçaient (érolt), et le tour est joué. Voilà de la fermeté et de l'habileté dans la politique extérieure de la France. Voilà qui conforte le Ministère du pharamineux "redressement productif".

 

 

Les Arabes sont des gens vraiment très pudiques, non ? Remarquez qu’en français, il suffirait d’adjoindre au même nom d'AYRAULT le suffixe « tique », pour que la gravité apparente du monsieur en prenne un méchant coup. Mais dans quel esprit dégénéré et mal tourné pourrait germer une telle idée, je vous le demande ? Je reviens à mes putains parisiennes, finalement, c’est plus intéressant. Avouez qu’on peut appeler cette digression une « arabesque », au sens propre, pour le coup. Merci, CHATEAUBRIAND.

 

 

Une putain doit-elle procurer autant de plaisir à un fouteur de vingt-quatre sous, qu’à celui qui la paie généreusement ? Quels sont les attributs et les ustensiles qui doivent orner la chambre d’une putain ? Pour cette dernière question, la réponse est sans ambiguïté : « Dans les tiroirs de sa commode, il doit y avoir des martinets, des disciplines à cordes à petits nœuds, et d’autres armées d’épingles ; les peintures licencieuses, les estampes les plus voluptueuses et les plus lubriques doivent entourer son lit ».  

 

 

Une putain doit-elle se livrer à tous les caprices des hommes ? Réponse : « Quoique tous les genres de fouterie doivent être familiers à une putain, il en est néanmoins qui répugnent à la délicatesse de certaines filles, l’enculomanie est de ce genre. Une putain peut donc refuser de se prêter au zèle perforique d’un bardache [= giton], à moins qu’elle-même n’ait le cul porté au plaisir sodomique ». Décidément, on a le sens de la formule : le zèle perforique est du meilleur effet.

 

 

Une putain qui a la chaude-pisse ou la vérole doit-elle et peut-elle sans remords baiser avec un homme sain ? La fille qui a ses ordinaires peut-elle aussi se laisser baiser ? Qu’entendez-vous par capote anglaise ? Quel langage doit tenir une putain en fouettant ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles veut répondre ce livre. Allez, en voici une dernière, pour la route :

 

« DEMANDE : Jusqu’à quel âge une putain peut-elle exercer cet emploi avec honneur et profit ?

REPONSE. Cela peut dépendre de plus ou moins de tempérament ; les blondes doivent quitter le commerce avant les brunes, leur chair étant plus sujette à l’affaissement (…) ». 

 

 

Déjà les blondes ! Qu’ont-elles donc fait au ciel pour mériter une pareille et éternelle malédiction ? Quoique …

 

 

 

GOBE MOUCHE SANS COLLIER.jpg

ELLE S'APPELLE PARIS : ELLE A DONC BIEN SA PLACE CHEZ LES "BLONDES"

(on ne demandera pas si elle en redemande, du "zèle perforique")

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.       

 

mardi, 22 mai 2012

CATECHISME LIBERTIN

Tiens, ces quelques épisodes consacrés à FRANÇOIS RABELAIS m’ont donné envie de retourner à quelques petites choses agréables que j’ai laissées de côté depuis trop longtemps. Je vais vous parler, aujourd'hui et demain, d'une femme particulière. On me dira que toutes les femmes sont particulières.

 

 

Je répondrai qu'à ce compte-là, tous les hommes aussi seraient eux-mêmes particuliers, c'est-à-dire des individus, ce qui est loin d'être encore prouvé, puisque, à l'époque de la statistique triomphante et du sondage tout puissant, on ne raisonne même plus par nombre, mais par quantité, par pourcentage et par masse.

THEROIGNE MERICOURT.jpg

 

On ne connaît pas assez ANNE-JOSEPHE TERWAGNE, plus connue sous le nom de THEROIGNE DE MERICOURT, cette pasionaria de la Révolution qui a peut-être servi de modèle à la femme du premier plan dans le tableau de DELACROIX, La Liberté guidant le peuple. J’ai bien dit « peut-être », parce que le tableau date de 1830, soit treize ans après sa mort. Drôle de vie que la sienne, franchement.

 

 

Agitée, instable, comme on voudra. De sa Belgique natale jusqu’à Naples, puis à Paris, où elle participe à la prise de la Bastille, elle n’a pas froid aux yeux. Elle porte sabre et pistolet pour aller déloger de Versailles « le boulanger, la boulangère et le petit mitron ». Elle retourne à Liège, se fait emprisonner par les Autrichiens, revient à Paris.

 

 

Elle est finalement prise à partie par des femmes qui, non contentes de l’accuser politiquement, la dénudent et la fessent en public. C’est ce qui lui permettra sans doute d’éviter la guillotine : parce qu’avant même d’être jugée (la Terreur bat son plein), elle fut mise dans un asile de fou, où elle passa ses vingt-trois dernières années, nue dans sa cellule à s’asperger d’eau froide. Je schématise. Paix à son âme.

 

 

Je voulais en venir à ceci : THEROIGNE DE MERICOURT n’est probablement pas l’auteur de ce Catéchisme libertin qu’on lui prête, mais vous savez qu’on ne prête qu’aux riches, enfin c’est ce qu’on dit. Ce petit ouvrage instructif, sympathique et distrayant est publié en 1791 ou 1792 suivant les sources. Il expose sans trop de pudeur mais avec esprit, en quelque sorte, le « cahier des charges » des putains parisiennes.

 

 

Voici le texte de la « prière » dédicatoire placée au début :

 

 

« Oraison à Sainte Magdeleine, à lire avant le catéchisme. Grande Sainte, Patronne des Putains, fortifiez mon esprit, et donnez-moi la force de l’entendement, pour bien comprendre et retenir tout le raffinement des préceptes contenus dans ce Catéchisme : faites qu’à votre exemple, je devienne, dans peu, par la pratique, une Garce aussi célèbre dans Paris que vous l’étiez dans toute la Judée, et je vous promets, comme à ma divine Patronne et Protectrice, de donner mes premiers coups de cul en votre honneur et gloire. Ainsi soit-il. »

 

Voici un mot de « l’abbé Couillardin » dans sa préface dédiée à Madame l’Abbesse de Montmartre :

 

« Agréez, Madame, comme une offrande légitimement due, le sacrifice que je vous fais de deux pollutions [faut-il expliquer ?] complètes, et que je jure de réitérer chaque jour en votre honneur et intention ; c’est un tribut qu’on ne peut refuser au souvenir de vos charmes, dont j’ai tant de fois éprouvé l’empire, surtout dans ces moments d’ivresse et d’abandon général où vous vous plaisiez à les exhiber dans l’état de pure nature. Quelle motte ! Quel con ! Quel fessier plus attrayant que le vôtre ! Vous voir, vous trousser, vous foutre et décharger n’était que l’instant de l’éclair au coup de tonnerre. »

 

Autant dire que l’abbé Couillardin, si on l’en croit, était un éjaculateur précoce. L’auteur procède par « Demandes » et « Réponses ». En voici un exemple, qui en dira long à la fois sur la subtilité du propos et sur l’attitude théâtrale que certains prêtent aux femmes – à tort ou à raison, je m’empresse de le préciser :

 

« DEMANDE. La putain qui procure de la jouissance à l’homme, peut-elle s’y livrer avec tous, sans s’exposer à altérer son propre tempérament ?

REPONSE. Il est un milieu à tout : il serait très imprudent à une putain de se livrer avec excès au plaisir de la fouterie : une chair flasque et molle serait bientôt le fruit de ce désordre ; mais il est un raffinement de volupté qui tient à la volupté même, et dont une adroite putain doit faire usage. Une parole, un geste, un attouchement fait à propos, offre à l’homme l’illusion du plaisir ; il prend alors l’ombre de la volupté pour la volupté même ; et comme le cœur est un abîme impénétrable, la putain consommée dans son art remplit souvent, par une jouissance factice, les vues luxurieuses de l’homme, qui se contente de l’apparence. Les femmes étant plus susceptibles et plus propres que tout autre à ce genre d’escrime, il dépend d’elles de donner le change à l’homme. » Qu'on se le dise : jouir tout le temps est nuisible à la densité et à la tenue des chairs. Et pan dans les gencives des anarchistes de 1968, avec leur "jouir sans entraves".

 

Loin de moi l’idée de généraliser le propos à toutes les femmes, qui ne sont pas toutes, aux dernières nouvelles, de la profession, mais les mânes de GEORGES BRASSENS ne m’en voudront pas de citer Quatre-vingt-quinze pour cent : « Les « encore », les « c’est bon », les « continue » Qu’elle crie pour simuler qu’elle monte aux nues, c’est pure charité (…) C’est à seule fin que son partenaire se croie un amant extraordinaire. ».

 

 

Cette dernière phrase est, je crois bien, le seul reproche grammatical qu’on puisse adresser à Tonton GEORGES : qu’est-ce donc qui lui a pris de faire la liaison (en "t") entre « croie » (subjonctif présent) et « un amant » ? Craignait-il de froisser l’oreille de l’auditeur ignorant ? Bon, on me dira que le péché est véniel au regard de tout le reste, et j’en conviens évidemment. Va, mon enfant, ego te absolvo.

 

 

On me dira aussi que je m’éloigne de mon sujet, que je digresse. A cela je répondrai – excusez du peu – par cette petite citation tirée des Mémoires d’outre-tombe (XXXIX, 10, soyons précis) du grand CHATEAUBRIAND : « Lecteurs, supportez ces arabesques ; la main qui les dessina ne vous fera jamais d’autre mal ». Autrement dit, digresser n'est pas agresser. J'adopte le mot "arabesque", plus élégant et euphonique que "digression".

 

 

Mais rassurez-vous, dès demain je reviens à mes putains parisiennes et à ce Catéchisme libertin, supposé être leur bible, l’alpha et l’oméga de ce qu’elles doivent savoir, le compendium de leurs compétences et le promptuaire de leurs aptitudes au métier. Qu'on se le dise : ça ne rigole pas.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

lundi, 21 mai 2012

DU RABELAISISME GARGANTUESQUE

Décidément, je n'y peux rien. Incorrigible : derrière le masque solennel et majestueux des toges des cérémonies officielles, je vois la trogne  de Bérurier. Il m'est impossible de concevoir le philosophe ou le penseur abîmés dans le sérieux de leurs abstractions sublimes autrement que vêtus du nez rouge de l'Auguste et chaussés de pataugas de quarante centimètres. Chaque fois que j'ai été confronté à un jury, je me suis efforcé de les imaginer assis sur la cuvette de leurs WC. Je vous assure que ça relativise.

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C'est ce vent-là (pardon pour le rapprochement) qui oriente ma girouette dans la direction du FRANÇOIS VILLON de : « Je suis François, dont il me poise, Né de Paris près de Pontoise, Et de la corde d'une toise Saura mon col que mon cul poise ». Le « col » n'est pas si éloigné du cul. Qu'est-ce qu'une pensée sans le corps ? C'est maigre, décharné, inconsistant. C'est aussi pour ça que je regarde vers BEROALDE DE VERVILLE et son Moyen de parvenir. Et donc, bien entendu, vers RABELAIS, qui fait figure de seigneur et maître sur le territoire où la plus haute culture n'est pas l'ennemie de la bonne vie.

 

 

 

Il n’y a pas que Panurge, dans RABELAIS. Dans l’ordre généalogique, si l’on peut dire (car R. est friand de généalogie, et de la plus réjouissante, je vous garantis), il y a d’abord Grandgousier, dont on ne peut faire mentir le nom, comme bien vous vous doutez. Mais pour la paillardise aussi, on est servi.

 

 

« En son âge viril épousa Gargamelle, fille du roi des Parpaillos [un roi païen, à l’époque, d’où « parpaillot »], belle gouge et de bonne trogne, et faisaient eux deux souvent ensemble la bête à deux dos, joyeusement se frottant leur lard, tant qu’elle engraissa d’un beau fils et le porta jusqu’à l’onzième mois. » Eh oui, encore un legs de RABELAIS : ah, la « bête à deux dos », quelle trouvaille ! C'est quand même mieux que la position du missionnaire.

 

 

L’histoire des onze mois que dure la grossesse, c’est aussi histoire de broder des fantaisies : RABELAIS en déduit juridiquement la légitimité des enfants nés onze mois après la mort du mari : « Moyennant lesquelles lois, les femmes veuves peuvent franchement jouer du serrecropière [besoin de traduire ?] à tous envis et à toutes restes [à toute berzingue et à tout va], deux mois après le trépas de leurs maris ». On ne se demande plus pour quelle mystérieuse raison l’adjectif « rabelaisien » est passé dans la langue.

 

 

Et l’auteur ajoute même : « Je vous prie par grâce, vous autres, mes bons garçons, si parmi elles vous en trouvez qui vaillent qu’on se débraguette, montez dessus et me les amenez. Car, si au troisième mois elles engraissent, leur fruit sera héritier du défunt ; et, une fois la grossesse connue, qu’elles poussent hardiment outre, et vogue la galère, puisque la panse est pleine ! – comme Julie, fille de l’empereur Octave [Auguste], ne s’abandonnait à ses « tambourineurs » sinon quand elle se sentait grosse, pour la raison que le navire ne reçoit son pilote que premièrement il ne soit calfaté et chargé ». Elle est pas belle, la vie, quand on la comprend de cette façon ? Si ce n’est pas ça, le jovial, j’y perds mon latin et mon grec. Je vous assure qu’on ne trouve pas ça dans Lagarde et Michard.

 

 

Il ne faut évidemment pas oublier la tripaille. « De ces gras bœufs, avaient fait tuer trois cent soixante-sept mille et quatorze pour être à mardi gras salés, afin qu’au printemps ils eussent bœuf de saison à tas pour, au commencement des repas, faire commémoration de salures et mieux entrer en vin ». « Entrer en vin », parfaitement.

 

 

Et Gargamelle a de l’appétit, vous pouvez m’en croire, et elle mange, ce jour-là, tant et plus, malgré les conseils de modération de Grandgousier son époux : « Nonobstant, ces remontrances, elle en mangea seize muids, deux bussards et six tupins. O belle matière fécale qui devait boursoufler en elle ! ». Qu’on se le dise, RABELAIS n’a pas peur d’appeler les choses par leur nom.

 

 

La naissance de Gargantua ne manque pas d’originalité non plus. Les sages femmes se précipitent aux cris de Gargamelle : « et, la tâtant par le bas, trouvèrent quelques pellauderies d’assez mauvais goût, et pensaient que ce fût l’enfant ; mais c’était le fondement qui lui escapait, à la mollification de l’intestin droit, que vous appelez le boyau cullier, pour avoir trop mangé de tripes, comme nous avons déclaré ci-dessus ».

 

 

Une vieille lui fait boire une potion tellement astringente que le col se ferme hermétiquement, ce qui pousse l’enfant à traverser successivement la matrice, la veine creuse, le diaphragme jusqu’au-dessus des épaules, à prendre alors « à main gauche », comme on dit, et à sortir par l’oreille du même côté (« l’oreille senestre »). « Soudain qu’il fut né, ne cria pas comme les autres enfants "Mies ! Mies !", mais à haute voix s’écriait : "A boire ! A boire !" ».

 

 

Et le père, entendant son fils vociférer à tous les diables, le baptise au moment même : « Il dit :"Que grand tu as !". Ce qu’entendant, les assistants dirent que vraiment il devait avoir par cela le nom de Gargantua, puisque telle avait été la première parole de son père à sa naissance ». Et RABELAIS ajoute : « Et si ne le croyez, que le fondement vous escappe ! ».

 

 

Je passe sur l’enfance, l’adolescence, la vêture, les « chevaux factices » de Gargantua, pour en venir au chapitre 13 : « Comment Grandgousier connut l’esprit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul ». C’est, dit-il à son père, « le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expédient qui jamais fut vu ».

 

 

On peut dire qu’il aura tout essayé : le « cachelet de velours d’une damoiselle », le « chaperon » d’une autre, qu’il trouve tous deux d’une « volupté bien grande » ; des « oreillettes de satin cramoisi », « mais la dorure d’un tas de sphères de merde qui y étaient m’écorchèrent tout le derrière ; que le feu de Saint Antoine brûle le boyau cullier de l’orfèvre qui les fit et de la damoiselle qui les portait ».

 

 

Après le cache-col et le bonnet de page, il fiente derrière un buisson et, trouvant un « chat de mars », l’essaie, « mais ses griffes m’exulcérèrent tout le périnée ». Le lendemain, il essaie avec les gants de sa mère, parce qu’ils sont « bien parfumés ». Il passe ensuite en revue divers végétaux, du fenouil à la feuille de courge en passant par la sauge et la laitue.

 

 

A retenir : évitez la consoude, parce qu’elle donne la colique « la caquesangue de Lombard, dont je fus guéri en me torchant de ma braguette ». Il faut savoir que ce qu’on appelait la braguette était une pièce à part entière, saillant par-devant, du vêtement masculin, retenue à celui-ci par des attaches. Gargantua essaie ensuite les draps, la couverture, les rideaux, un coussin, un tapis : « En tout je trouvai de plaisir plus que n’ont les rogneux quand on les étrille ».

 

 

Passons sur quelques autres moyens (il en cite quand même au total 57, j'ai compté), et venons-en au fin du fin, au nec plus ultra, à l’excellent, au supérieur. Après avoir digressé en récitant des vers qu’il a ouï « réciter à dame grand que voyez ici, je les ai retenus en la gibecière de ma mémoire », Gargantua revient, à l’invitation de son père, à son « propos torcheculatif ».  Auparavant, une mention particulière au chapeau de poil, « car il fait très bonne abstersion de la matière fécale ».

 

 

« Mais, concluant, je dis et maintiens qu’il n’y a tel torchecul que d’un oison bien duveté, pourvu qu’on lui tienne la tête entre les jambes. Et m’en croyez sur mon honneur. Car vous sentez au trou du cul une volupté mirifique tant par la douceur d’icelui duvet que par la chaleur tempérée de l’oison, laquelle facilement est communiquée au boyau culier et autres intestins, jusqu’à venir à la région du cœur et du cerveau

 

 

Je terminerai cet épisode rabelaisien juste au moment où les choses se gâtent à cause de la dispute imbécile que les fouaciers de Lerné font à ceux du pays de Gargantua, qui déclenchera la colère du roi Picrochole et sa guerre contre les forces du géant (dont il aura à se repentir, disons-le tout de suite). « Picrochole », c'est la bile amère (BOBY LAPOINTE le dit bien : « Ma mère est habile, mais ma bile est amère »).

 

 

Pendant que les premiers événements se produisent en Touraine : « Or laissons-les là et retournons à notre bon Gargantua qui est à Paris, bien ardent à l’étude des bonnes lettres et exercices athlétiques, et le vieux Grandgousier, son père, qui après souper se chauffe les couilles à un beau, clair et grand feu et, attendant que grillent des châtaignes, écrit au foyer avec un bâton brûlé d’un bout dont on escharbotte le feu, faisant à sa femme et famille de beaux contes du temps jadis ».

 

 

Les lycéens, vous verriez s’ils s’y mettraient, à la lecture, s’ils trouvaient ça dans Lagarde et Michard. Mais chut ! Retirons-nous sur la pointe des pieds. Ce sera tout pour aujourd’hui.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.  

 

 

 

dimanche, 20 mai 2012

POUR EN FINIR AVEC PANURGE

Oui, c’est sûr, Panurge est un sale gosse. Capable, simplement pour s’amuser, de poser un étron frais dans la capuche d’un maître ès-arts (universitaire). Capable de précipiter sur les soldats du guet, dans une rue en pente de la Montagne Sainte Geneviève, un tombereau qui mettait « tout le pauvre guet par terre comme porcs ». Capable, toujours avec le guet, de répandre sur le sol, avant leur passage, une bonne traînée de « poudre de canon », et d’y mettre le feu au bon moment, pour les voir déguerpir, croyant avoir le diable à leurs trousses.

 

 

Connaissez-vous la « tarte bourbonnaise », recette de Panurge ? Tous les ingrédients sont renommés pour leur puanteur : de l’ail (?), des résines de galbanum et d’assa fetida, du castoreum (même genre de production glandulaire que le putois). Il mélange tout ça avec des étrons chauds et de la « sanie de bosses chancreuses ». Puis il répand le contenu sur le pavé.

 

 

Résultat ? « Toutes ces bonnes gens rendaient leur gorge devant tout le monde (…) et en mourut dix ou douze de peste, quatorze en furent ladres [lépreux], dix-huit en furent pouacres [galeux], et plus de vingt et sept en eurent la vérole ».

 

 

Il va prélever les puces et les poux chez les gueux, va se placer, pour la messe, au milieu des femmes, et se sert d’une sarbacane pour les leur jeter dans le cou. Il pose la main sur l’épaule de gens très bien habillés après se l’être enduite de « vieille huyle », pour tacher irrémédiablement les vêtements aux endroits les plus visibles. Bref, une horreur, ce type.

 

 

« Fin de compte, il avait (…) soixante et trois manières de recouvrer argent ; mais il en avait deux cent quatorze de le dépenser, hormis la réparation de dessous le nez ».  

 

 

Il faut lire le chapitre 19 de Pantagruel, qui raconte « comment Panurge fit quinaud l’Anglais, qui arguait par signes » : sorte de duel à coups de gestes des mains, relativement difficile à suivre, du fait de la langue, mais où l’on saisit que les principaux arguments de Panurge ont quelque chose à voir avec le grotesque et l’obscène. De toute façon, il paraît clair que ce chapitre n’est clair pour personne. Des gens très savants ont posé sur ce chapitre le fruit quintessencié et circonstancié de leurs cogitations éminentes, sans pour autant faire avancer le schmilblick.

 

 

Mais Panurge n’est pas seulement celui qui déclare sa flamme à une dame en lui déclarant : « Madame, sachez que je suis tant amoureux de vous que je n’en peux ni pisser ni fienter ». Il est aussi celui qui fait des miracles.

 

 

Epistémon, le bon compagnon, a eu la tête coupée (« la coupe testée », dit RABELAIS) dans le carnage que Pantagruel fait parmi les géants armés de pierres de taille, qu’il massacre en se servant de leur chef Loup Garou comme d’une massue. Tout le monde se lamente, sauf Panurge, qui s’écrie : « Enfants, ne pleurez goutte. Je vous le guérirai aussi sain qu’il fut jamais ».

 

 

Aussitôt dit, aussitôt fait : « Ce disant, prit la tête et la tint sur sa braguette [ah, la braguette de Panurge !], afin qu’elle ne prît vent ». Mais les autres doutent fort. Alors Panurge : « Si je ne le guéris, je veux perdre la tête ; laissez ces pleurs et m’aidez ».

 

 

« Adonc, nettoya très bien de beau vin blanc le col et puis la tête, et y synapisa de poudre de diamerdis, qu’ils portait toujours en une de ses poches ; après les oignit de je ne sais quel onguent, et les ajusta justement, veine contre veine, nerf contre nerf, spondyle contre spondyle, afin qu’il ne fut torticolly (car telles gens il haïssait de mort) [allusion au cou tordu des cafards et autres faux dévots]. Cela fait, lui fit à l’entour quinze ou seize points d’aiguille afin qu’il ne tombât derechef, puis mit à l’entour un peu d’un onguent qu’il appelait ressuscitatif. 

         Soudain Epistémon commença à respirer, puis ouvrir les yeux, puis bâiller, puis éternuer, puis fit un gros pet de ménage. »

 

 

Voilà une autre des nombreuses faces de Panurge : il ressuscite les morts (pas n’importe lesquels quand même). Juste après, on a droit au récit qu’Epistémon fait de ce qu’il a vu « de l’autre côté », en particulier une pléiade de puissants de l’antiquité qui, dans l’au-delà, exercent de modestes métiers d’artisans, façon burlesque d’imiter les célèbres descentes aux Enfers d’Ulysse dans l’Odyssée et d’Enée dans l’Enéide.

 

 

Alors, les moutons, me dira-t-on ? Ils arrivent, il leur faut le temps. L’épisode se trouve au début du Quart Livre. Le navire qui transporte Pantagruel et toute la compagnie croise la route d’un autre qui rentre en France, avec une cargaison de moutons que le marchand Dindenault a achetés. Qu’est-ce qui lui prend, à Dindenault, de traiter Panurge de « tête de cocu » et de bouffon ?

 

 

On ne sait pas. Toujours est-il que Panurge se tourne vers ses amis et leur murmure : « Vous allez voir ce que vous allez voir ». Et il se met à marchander avec l’autre pour lui acheter une de ses bêtes. Dindenault vante longuement sa marchandise pour faire monter le prix. L’affaire se fait, à prix d’or, et Panurge saisit son mouton et, tout à trac, le jette à la mer.

 

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Dès lors, « tous les autres moutons, criant et bêlant en pareille intonation, commencèrent soi jeter et saulter en mer, à la file ». Le marchand essaie de retenir sa marchandise, saisit un mouton par sa laine, mais se fait entraîner, comme les « bergers et moutonniers » qui étaient sur le bateau. Et Panurge, avec un aviron, les empêche gaillardement de remonter à bord.

 

 

Voilà. Il y aurait encore beaucoup à dire de ce personnage énorme et hors norme, mais bon, on ne va pas y passer le réveillon. Il faut savoir quand même qu’à partir du début du Tiers Livre, et jusqu’au Cinquième et dernier, toutes les aventures qui arrivent à la petite bande d’amis sont suspendues à la question posée par Panurge à Pantagruel : « Dois-je ou non me marier ? ».

 

 

Et que le mot final de la quête sera donné par la « Dive Bouteille » : « Bois ! ». Soit. Choquons les verres et humons le pyot en hommage à « MAÎTRE FRANÇOIS » (qui n'est pas le même que celui chanté par GEORGES BRASSENS, il fallait bien que je lui fasse une place ici, à Tonton GEORGES).

 

 

 

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Car s'il est sûr que les oeuvres de RABELAIS s'ouvrent sur ce vers ô combien célèbre : "Pour ce que rire est le propre de l'homme", elles se terminent, pour ainsi dire (Cinquième Livre, 45), par : "Et ici maincterons [pour ce mot, je donne ma langue au chat] que non rire, mais boire est le propre de l'homme".

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

samedi, 19 mai 2012

CE SALAUD DE PANURGE !

Ce qui est étonnant, concernant RABELAIS, c’est la force des traces qu’il a laissées. Prenez Panurge, ce personnage tout à fait extraordinaire, qui est resté dans le langage à cause d’une histoire de moutons. Or, il faut attendre le Tiers Livre (des faits et dicts héroïques du bon Pantagruel, c’est le titre complet) pour découvrir l’aventure. Je corrige après vérification : c'est même dans le Quart Livre, c'est-à-dire le quatrième.

 

 

En réalité, ses exploits commencent dès le premier épisode (Pantagruel, je vous épargne le titre complet, mais on est content d’y découvrir « feu M. ALCOFRIBAS, abstracteur de quinte essence »). La rencontre se fait au chapitre 9 (« Comment Pantagruel trouva Panurge, lequel il aima toute sa vie »). Il faut savoir que « Panurge », c’est du grec (πανουργια = aptitude à tout faire) ; traduisons : capable de tout (et de n’importe quoi).

 

 

Et c’est vrai, qu’il est capable de tout. L’entrée en scène de Panurge, c’est d’abord celle du mauvais garçon, qui aurait été promis à la corde et aux « fourches patibulaires » si RABELAIS n’avait pas mis Pantagruel sur son chemin. Et puis il a bourlingué : il répond aux premières questions de son futur protecteur en pas moins de 13 langues (dont certaines hautement fantaisistes, il est vrai).

 

 

Ce que je préfère, dans l’arrivée de Panurge, ce sont les épouvantables farces auxquelles il se livre. Passons sur la façon dont il échappe aux Turcs, qui voulaient le faire rôtir à la broche. Passons sur les innombrables poches dont son habit était garni, et dans lesquelles il mettait tout ce qui lui servait à couper les bourses, et autres tours pendables.

 

 

Attardons-nous un peu sur la mauvaise blague qu’il joue à un prêtre qui va dire sa messe : sous prétexte de l’aider à s’habiller, il en profite pour coudre ensemble l’aube, l’habit et la chemise. Devant l’assistance, au moment de l’ « ite missa est », voulant enlever l’habit, il se retrouve tout nu, « montrant à tout le monde son callibistris, qui n’était pas petit sans doute » (inutile, je crois, de traduire le mot).

 

 

« Et le monde demandait pourquoi est-ce que les fratres avaient la couille si longue ». Panurge répond : « Ce qui fait la couille des pauvres béats pères, c’est qu’ils ne portent point de chausses foncées [munies d’un fond], et leur pauvre membre s’étend en liberté à bride avalée et leur va ainsi triballant sur les genoux, comme font les patenôtres [chapelets de luxe pendant à la ceinture] aux femmes ».

 

 

Dans le même genre, Panurge prend un malin plaisir à « accoupler » dans la rue hommes et femmes en train de converser, au moyen d’hameçons introduits dans le tissu des vêtements, pour que, au moment où ils se séparent, les robes des femmes se déchirent. Il prend un malin plaisir à faire perdre contenance aux femmes au moyen d’un miroir, pendant la messe, car, disait-il : « il n’y avait qu’un antistrophe [= contrepèterie] entre femme folle à la messe et femme molle à la fesse ».

 

 

Capable de jeter dans le dos des femmes assez de poil à gratter (« alun de plume ») pour qu’elles se déshabillent en pleine rue, Panurge se précipite alors pour offrir de les couvrir de son manteau (« comme homme courtois et gracieux »).

 

 

Panurge est aussi un excellent prestidigitateur : « Et quand il changeait un teston ou quelque autre pièce, le changeur eût été plus fin que Maître Mouche si Panurge n’eût fait évanouir à chaque fois cinq ou si grands blancs [grosses pièces], visiblement, ouvertement, manifestement, sans faire lésion ni blessure aucune, dont le changeur n’en eût senti que le vent ». Redoutable.

 

 

Son habileté manuelle est telle qu’il peut impunément tromper les vendeurs d’indulgences (les « pardons ») : « en leur baillant le premier denier, je le mis si souplement qu’il sembla que ce fût un grand blanc ; ainsi d’une main je pris douze deniers, voire bien douze liards ou doubles pour le moins, et de l’autre trois ou quatre douzains ». Vous avez dit « moral » ? C’est la même habileté qu’il met à crocheter portes et coffres. Mais ce qui est sûr, pour ce qui est de l’argent, c’est qu’il a les mains percées.

 

 

L’un des plus magnifiques tours que joue Panurge reste la vengeance qu’il tire d’une dame de Paris qui a refusé ses avances. Un jour où elle a mis ses plus beaux et riches vêtements, il se débrouille pour récupérer la substance odorante d’une chienne en chaleur, substance qu’il répand sur toute la dame en lui offrant un poème, une fois à l’église. « Panurge n’eut achevé ce mot que tous les chiens qui étaient en l’église accoururent à cette dame, pour l’odeur des drogues qu’il avait épandu sur elle ».

 

 

Il se retire dans une chapelle pour observer la suite : « ces vilains chiens compissaient tous ses habillements, tant qu’un grand lévrier lui pissa sur la tête, les autres aux manches, les autres à la croupe ; les petits pissaient sur ses patins, en sorte que toutes les femmes de là autour avaient beaucoup à faire à la sauver ». Panurge jouit, comme on pense, du spectacle, disant : « Je crois que cette dame-là est en chaleur, ou bien que quelque lévrier l’a couverte fraîchement ».

 

 

Elle est évidemment obligée de quitter l’église et de rentrer chez elle, poursuivie par « six cent mille et quatorze chiens à l’entour d’elle ». Et même une fois à l’abri dans sa maison, les chiens viennent de partout pisser devant la maison, au point que leur urine finit par former une rivière (« qui de présent passe à Saint Victor »).

 

 

Il faut bien sûr évoquer le chapitre où « Panurge enseigne une manière bien nouvelle de bâtir les murailles de Paris ». Comme, dit-il, « les callibistrys [sexes] des femmes de ce pays sont à meilleur marché que les pierres », il suffira, pour faire des murs inexpugnables, d’empiler les sexes féminins, en ayant soin de commencer par les plus grands et de finir par les petits, « puis faire un beau petit entrelardement (…) de tant de braquemarts enroidis qui habitent dans les braguettes claustrales ».

 

 

Ce sera tout pour aujourd’hui. C’est-y pas beau, RABELAIS ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

vendredi, 18 mai 2012

ELOGE DE MAÎTRE RABELAIS

Comme promis (« Compromis, chose due », disait COLUCHE en parlant des femmes), aujourd’hui, j’attaque Maître FRANÇOIS, alias ALCOFRIBAS NASIER. Bien sûr, que c’est RABELAIS. Que puis-je dire, au sujet de RABELAIS ? Si je disais que j’ai l’impression que j’ai du rabelais qui me coule dans les veines, je ne serais pas très loin de la vérité, mais ce ne serait sans doute pas très bon pour ma réputation (quoique …).

 

Pourquoi ? Mais à cause de la réputation de grand buveur devant l’éternel, qu’il traîne depuis toujours, pas complètement à tort, probablement. Ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas sa lecture qui vous empêchera de passer à l’éthylomètre avant de prendre le volant. Tout ça pour dire que parmi les auteurs français que ma prédilection m’a amené à cultiver de préférence aux autres, je l'avoue aujourd'hui, c’est RABELAIS qui vient en tête.

 

En confidence et par parenthèse, je peux vous dire aussi que celui qui vient en queue s’appelle PIERRE CORNEILLE, mais ça, c’est dû à la longue malédiction qui a poursuivi ce malheureux génie depuis un épouvantable Cinna étudié en classe de 5ème, sous la férule de Monsieur LAMBOLLET, au lycée Ampère. J’imagine que c’était au programme. Je vous jure, Cinna à douze ans, il y a de quoi être dégoûté des mathématiques. Euh, j’ai dit une bêtise ?

 

« Prends un siège, Cinna, et assieds-toi par terre, Et si tu veux parler, commence par te taire ». Non, je déconne, ce n’est pas Auguste qui dit ça à Cinna, c’est nos esprits mal tournés d’élèves mal élevés qui brodaient. Forcément, c’est ça qui m’est resté. Mais ça doit être du genre de la « pince à linge » des Quatre Barbus et de la 5ème symphonie de BEETHOVEN.

 

Si, j’ai quand même retenu « Je suis maître de moi comme de l’univers », parce que je vous parle d’un temps où l’on apprenait par cœur. Je crois bien que c’est dans la bouche d’Auguste. Mais CORNEILLE m’a collé à la semelle gauche (il paraît que ça porte bonheur !), parce que plus tard, j’ai dû me farcir Sertorius, et puis Suréna, et ce traumatisme, franchement, je ne le souhaite à personne. Et je n’ai rien dit d’Agésilas et d’Attila : « Après l’Agésilas, hélas, mais après l’Attila, holà ! ». Même que ce n’est pas moi qui le dis, c’est BOILEAU, alors.

 

Résultat des courses, il m’est resté un automatisme : de même que Gaston Lagaffe éternue dès qu’on prononce le mot « effort », de même, dès que j’entends le nom de CORNEILLE, je bâille. Bon je sais, la blague est un peu facile, mais avouez qu’il fallait la faire, celle-là, et c’est d’autant plus vrai que ce n’est pas faux. Et puis si, par-dessus le marché, ça désopile la rate, on a rien que du bon.

 

Mais foin des aversions recuites – et injustes comme sont toutes les vendettas, et je ne vais pas passer ma vie à assassiner CORNEILLE qui, après tout, ne m’a jamais empêché de vivre, malgré des dommages monumentaux à mon égard, pour lesquels je n’ai jamais reçu d’intérêts –, revenons à RABELAIS. 

 

Le portrait ci-dessus est donné pour celui de RABELAIS en 1537. Il tranche avec tout ce qu'on connaît, et l'on est pris de doute. Pourtant, je me rappelle la collection de portraits accrochés dans un des bâtiments de La Devinière, la maison natale : beaucoup ressemblaient à l'officiel, de plus ou moins loin, il est vrai. Mais quelques-uns étaient de la plus haute fantaisie, faisant parfois de l'auteur une sorte de nègre.

 

Je ne vais pas refaire mon chapitre sur Lagarde et Michard, avec leur damnée tendance à tout tirer vers le sérieux, le pontifiant et l'asexué, bref, le SCOLAIRE (« ce qu’il faut savoir »), mais il est sûr que si on veut jouir de RABELAIS, c’est dans le texte qu’il faut aller. Et pour y aller, j’espère qu’on m’excusera, il faut avoir envie de jouir. C’est un aveu. Tant pis. J’espère qu’à mon âge, il ne me coûtera pas trop cher.

 

RABELAIS ? C’est ma respiration. C’est mon espace vital. C’est comme un socle. Je n’y peux rien, ça s’est fait malgré moi, comme ça, sans que j’y prête la main, c’est certain. RABELAIS m’a appris une chose : la JOIE est le centre nerveux, le cœur et le muscle de l’existence. Tout le reste est résolument secondaire, accessoire, décoratif, facultatif, marginal, subsidiaire, superfétatoire et, disons le mot, superflu. Ce que je trouve chez RABELAIS me ramène toujours à la JOIE.

 

Il serait d’ailleurs peut-être plus exact de dire que j’ai satisfait dans RABELAIS ce besoin d’éprouver la JOIE. C’est ce même genre de besoin vital qui m’a rendu récemment jubilatoire, proprement et absolument, la lecture de Moby Dick. Mais c’est vrai, je ne sais pas encore tout, et je ne suis pas sûr d’en savoir plus « quand fatale [sonnera] l’heure De prendre un linceul pour costume » (Le Grand Pan, GEORGES BRASSENS). 

 

C’est sûr, MONTAIGNE me touche, mais c’est un homme qui s’écoute. Beaucoup de passages plaisants, c’est sûr (je me suis efforcé d’en indiquer à plusieurs reprises ici même), mais il y a à mon goût trop de gravité chez MICHEL EYQUEM, petit châtelain de Montaigne. En comparaison, RABELAIS, je vous jure, existe concrètement, jovial et fraternel. Dès qu’il vous aperçoit, il vous invite à sa table. C’est une tout autre vision de l’humanité.

 

Une humanité qui converse gaiement autour d’une table couverte de plats ventrus et de flacons vermeils. Une humanité qui parle de la vraie vie, poétique et réelle, qui est forcément celle de tout homme. Poétique, parce que tout homme rêve et que tout rêve est poétique. Réelle, parce que lire les livres de RABELAIS est une excellente recette pour apprendre à renoncer sans regret à devenir maître du monde. Il y a tout ça, dans l’œuvre de FRANÇOIS RABELAIS.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Et ce n'est pas fini.

jeudi, 17 mai 2012

LA SECTE POLITIQUE

Pourquoi CHARLES PASQUA n’a-t-il été embêté que pour de la broutille, de la babiole, de l'amusette, du brimborion et pour tout dire, du rien ? Parce qu’il a été assez habile pour créer autour de lui une impressionnante chaîne de « solidarité ». On peut dire, dans le cas de PASQUA : plus solidaire, tu meurs. Pourquoi a-t-il fallu attendre que se produise un fait divers au Sofitel de New York pour qu’on en apprenne un peu sur la pathologie de DOMINIQUE STRAUSS-KAHN ?

 

 

Pour avoir échappé, pour l’essentiel, aux foudres de la justice, il est probable que PASQUA dispose quelque part d’un fabuleux trésor de guerre constitué de petites fiches, de petits ou de grands papiers, peut-être des photos, avec des dates, des noms, des signatures, bref : des « traces ». Pure supposition, me dira-t-on. Certes, je ne fournis pas de preuve, et n’émets que des hypothèses, mais autorisées, me semble-t-il, par ce qu’on appelle une déduction, un raisonnement logique. En effet, on se demande pourquoi la justice passe sur CHARLES PASQUA comme la pluie sur les plumes d'un canard.

 

 

 

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Une telle « solidarité » repose sur les traces laissées par les acteurs. Elle repose sur un faisceau inextricable de crédits et de dettes qui assure la cohérence et la solidité du réseau. Pourquoi croyez-vous que JACQUES CHIRAC (celui que les pancartes appelaient « l’escroc » entre les deux tours de la présidentielle de 2002, face au « facho ») a pu compter sur l’indéfectible « loyauté » d’ALAIN JUPPÉ ? Miser sur BALLADUR en 1995 a failli coûter cher à la carrière de SARKOZY, et il faut bien dire qu’il a su y faire pour revenir dans la partie (sans doute beaucoup de gens ont misé sur lui parce qu'ils en avaient aussi soupé de pépé CHIRAC).

 

 

La « solidarité », la « loyauté » manifestées dans le milieu dont nous parlons – une sorte de « famille » –, et fondées sur l’existence de « traces » et de croisements de « services rendus », c’est tout ce qui forme la base d’une règle absolue, qu’on trouve à l’œuvre dans le peloton du Tour de France et parmi ceux qui s’appellent eux-mêmes les « hommes d’honneur », à Palerme, en Sicile. C’est l’omerta.

 

 

Pour entrer dans ce cercle fermé, il faut d’une part être adoubé (présenté par un déjà membre, comme chez les francs-maçons), et d’autre part prêter serment d’allégeance (qui implique que ce qui se passe et se dit au-dedans ne doit en aucun cas être divulgué au-dehors).

 

 

Cette « solidarité » tissée de dettes et de crédits produit plusieurs effets : la « discipline » de parti (« un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne », disait CHEVENEMENT), la « langue de bois » (dite à présent « éléments de langage ») et, pour finir, l’omerta, ou loi du silence. Et plus on s’approche du sommet de la pyramide, plus est implacable cet impératif de « solidarité » (de quoi sont morts BOULIN, GROSSOUVRE, BEREGOVOY ? Je ne parle pas du moyen létal, mais de la cause profonde : quelle règle avaient-ils enfreinte ?).

 

 

Ainsi se dessinent les « carrières » dans les deux « familles » qui se partagent le gâteau politique français. Au sortir de l’ENA ou de HEC, on « déguille », façon « dessus-dessous », je ne sais pas si ça se pratique encore, vous savez, pour faire l’équipe de foot, les deux « chefs » sont face à face, ils avancent, et celui qui pose son pied sur celui de l’autre a l’avantage décisif de choisir son second, et ainsi de suite. Une manière comme une autre de choisir son camp.

 

 

Car des deux côtés, il ne s'agit que de faire carrière. C’est juste pour entrer dans l'entreprise « droite », ou dans l'entreprise «  gauche », avec l'intention d'arriver le plus haut possible. Il s’agit, évidemment, pour tout le monde, de « faire carrière ». Accessoirement, de se répartir les postes. Pour ça, rien ne vaut un bon fichier bien tenu et une bonne liste de « services rendus » (la colonne "débit" face à la colonne "crédit").

 

 

Voilà le tableau. Compte tenu du fait que j’exagère sûrement, il faudrait tempérer. Mais voilà à peu près comment sont sélectionnées les élites politiques. Il s’agit d’introduire un doigt dans quelque chose qui ressemble à une belle mécanique. Quand c’est fait, on a fait le plus dur. Le milieu que produit l'ensemble des processus (cooptation, etc.) est remarquablement homogène, mais aussi hermétique. Ce sont à peu près les caractéristiques d'une secte. 

 

 

Demandez-vous maintenant pourquoi, par exemple et au hasard, Monsieur GERARD COLLOMB peut cumuler trois fonctions dirigeantes (s’il ne cumule pas les trois salaires). Pas touche au cumul des mandats (cas de 85 % des parlementaires français, contre 20 % en Allemagne). Pour une raison simple, en dehors de la désolante baisse des revenus qui s’ensuivrait : imaginez qu’on ouvre toutes grandes les portes des responsabilités. Vous voyez la foule des nouvelles têtes ? Des gens dont on ne sait rien ? Le cumul des mandats est une clé de l'homogénéité indispensable du système.

 

 

Et comment cette homogénéité résisterait-elle à l'afflux de nouvelles têtes ? Des gens – horreur ! – sur lesquels on ne pourrait rien. Vous vous rendez compte le nombre de parts à découper dans le gâteau ? De plus en plus maigres. Sans compter que ça risquerait de devenir démocratique, rendez-vous compte. 

 

 

Entre parenthèses, je ne sais pas si la réforme des collectivités territoriales s’avèrera positive ou négative, mais réfléchissez à ce qu’elle divisera le nombre d’élus par presque deux (3493 au lieu de 5657) : autant de gras en plus à se faire pour les heureux élus. Pour savoir s’il n’y aura plus ainsi le gaspillage qu'entraîne le mille-feuille administratif, attendons de voir.

 

 

Le logique, en effet, est : moins on est nombreux à table, plus chacun peut s’empiffrer. L’intérêt de chacun est de bien veiller à ce qu’aucun convive indésirable ne vienne jouer les pique-assiette. Rien de tel pour cela que la surveillance mutuelle (colonne "débit" et colonne "crédit"). Rien de plus efficace pour que tout continue comme avant. C’est à ça qu’il sert, le bipartisme UMPS : maintenir le couvercle en place. On pourra toujours encourager la participation des citoyens à des « comités de quartier », pour décider des jours de collecte du papier ou du réaménagement d’une place. Tant que l’essentiel est préservé.

 

 

C'est contre cette anomalie, ce vice de forme et de fond, cette consanguinité des élites politiques que s'élèvent les voix qui partent au Front National.  Contre l’accaparement des leviers du pouvoir par deux appareils partisans, deux machines à conserver les commandes bien en main, deux entreprises qui s’entendent comme larrons en foire pour mettre le pays en coupe réglée. Là, j'exagère. Disons : pour contrôler.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

mercredi, 16 mai 2012

VOTE FRONT NATIONAL (suite)

La vie politique française est donc congelée, confisquée, fossilisée. Tout est fait pour que la « volonté du peuple » (ça c’est beau tant que ce ne sont que des mots) reste lettre morte. Le « gros » score de MARINE LE PEN au premier tour de la présidentielle, qui scandalise tant de « belles âmes », s’explique largement par le « ciel bas et lourd » du couvercle que le tandem Parti « Socialiste » – UMP (que MARINE LE PEN a bien raison de fusionner en « UMPS ») s’efforce de faire peser sur la marmite politique du pays.

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LES BALCONS SONT DECORES. C'EST LA FÊTE.  

 

En termes économiques, on appellerait ça un quasi-monopole, ou un abus de position dominante, avec à la clé un truc rigoureusement interdit, qui s’appelle « ENTENTE ILLICITE », et qui est sanctionné – tout au moins quand on est pris la main dans le sac – d’amendes astronomiques de la part des autorités. Il s’agit tout simplement d’interdire à des petits concurrents de venir jouer dans la « cour des grands » comme dit le mauvais journaliste normal.

 

 

A quoi comparer le phénomène LE PEN ? Au filet de vapeur qui sort, d’abord à petit bruit, de la cocotte-minute quand la pression monte. En réalité, le phénomène politiquement informe qu’on appelle les « indignés » n’est pas autre chose. MARINE LE PEN est une expression identique, mais dans l’ordre politique, officiel, structuré – et qui plus est légitime (puisque le Front National n’est pas interdit, que je sache). Certains feraient bien de se méfier de la cocotte-minute dont ils s'efforcent de boucher la soupape. Car on ne me fera pas croire que six millions d'adultes sont devenus fachos.

 

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A force de construire l’Europe sans, voire contre les peuples, à force de gouverner la France sans le peuple, à force de faire passer, au Parlement un texte préalablement rejeté par référendum (tout le monde voit, ou faut-il un dessin ? Allez, un dessin.), il ne faut pas s’étonner.

 

 

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Je ne fais aucune confiance à MARINE LE PEN pour ce qui est des solutions, en particulier économiques (mais aussi politiques : pas plus de carrure pour ça que le papa JEAN-MARIE). Mais j’en fais encore moins au couple UMPS, bien que ce soit pour des raisons différentes : le personnel politique émane presque en entier de grandes écoles où tout le monde est fondu dans le même moule intellectuel et quand il sort de la fabrique des élites, il est identique à tout le monde. Ils sont beaucoup à bien se connaître (Science-Po, ENA et maintenant HEC) et à se tutoyer, à « dîner en ville » ensemble, et à faire semblant de s’affronter quand les caméras sont là.

 

 

Vous voulez l’ENA ? Prenez la promotion Voltaire (1980) : HOLLANDE, ROYAL, VILLEPIN, JOUYET, SAPIN, BREDIN, CAMBACÉRÈS, DONNEDIEU DE VABRES, et quelques autres. Vous préférez HEC ? HOLLANDE (encore lui), PECRESSE, LAMY (OMC), PROGLIO (qui a dégommé LAUVERGEON à Areva), CLAIRE CHAZAL, RICHARD (France Télécom) et le milliardaire PINAULT.

 

 

Ah c’est sûr qu’ils réussissent, les premiers de la classe. Cela devrait être d’ailleurs un sujet d’inquiétude, que nous soyons gouvernés rien que par des premiers de la classe. Voilà qui rendrait presque SARKOZY, je ne dis pas sympathique, il ne faut pas exagérer, mais moins antipathique. Car un premier de la classe a tendance à se montrer plein d’arrogance et de certitude. Regardez un type comme JEAN-FRANÇOIS COPÉ. Et vous l'avez déjà entendu parler ?

 

 

Vous trouvez vraiment que c’est normal de donner le pouvoir aux premiers de la classe ? Bon, je veux bien, à la rigueur, que de temps en temps, ça arrive. Mais vous ne vous posez aucune question, quand ça FAIT SYSTÈME ? Quand plus aucun des moins bons n’arrive en tête ? Ne disons pas « des moins bons », disons des scolaires « moins éminents », si vous voulez. HOLLANDE, avec toutes ses grandes écoles, vous le trouvez normal ?

 

 

A partir de ce constat, quel est le mode de sélection des futurs gouvernants ? Un seul : la COOPTATION. Pour les autres pays, je ne sais pas, mais pour la France, c’est sûr, on croit que c’est démocratique, mais c’est le contraire qui se produit. Parce que si on croit que ça se passe « au mérite », on se met le doigt dans l’œil jusqu’au trou de balle (quatre doigts de sérieux, un doigt de vulgarité, pour garder la forme). Vous allez voir où je veux en venir.

 

 

Bien sûr, il faut manifester quelque aptitude et quelques compétences. Quelqu’un qui exerce un pouvoir n’a besoin de « gras-du-bulbe » que pour les toutes basses besognes (passer la serpillière après le sang versé). Le secret de la cooptation, c’est la capacité qu’on montre à « rendre des services ». De façon efficace, mais aussi et surtout de façon docile et discrète. Et plus on est efficace, docile et discret, plus nombreuses sont les marches qu’on est en droit d’espérer gravir.

 

 

Et cela pour une raison assez évidente : cette façon de procéder est une formidable machine à créer de la « solidarité ». Une solidarité très spéciale, comme vous allez voir, et très difficile à saisir, en dehors des procédures judiciaires : aurait-on appris quoi que ce soit des affaires BETTENCOURT, si BANIER n'avait pas voulu s'en mettre plein les fouilles jusqu'à l'indigestion ? FRANÇOIS-MARIE BANIER a seulement eu le tort d’exagérer. S’il s’était montré « raisonnable » et avait su se contenter de milliers au lieu de millions, on n’aurait jamais rien su des enveloppes BETTENCOURT aux politiciens.

 

 

 

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"ELLE PORTAIT SUR SA TÊTE TROIS POMMES DANS UN BANIER"

(ENFIN "TROIS POMMES", LA CHANSON OUBLIE QUELQUES ZEROS) 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

 

 

 

mardi, 15 mai 2012

VOTE FRONT NATIONAL ? FAITES-LE TAIRE !

Ceux qui viendraient lire ce billet parce qu’ils pensent trouver l’expression d’une horreur absolue à l’égard des thèses du Front National doivent être prévenus : ils seront déçus. Ceux qui espéreraient au contraire y trouver un éloge des mêmes thèses en seront pour leurs frais. Mon propos est ailleurs.

 

Si Marine Le Pen a des convictions et des « théories », ce que je peux en connaître me fait dire que tout ça manque de sérieux. En revanche, la muselière que le système politique, paraît-il républicain, accroche au museau de ces chiens d’électeurs du Front National me semble une grave anomalie.

 

Je veux ici m’étonner contre cette anomalie incompréhensible, s’agissant de ce qu’il faut appeler, faute de mieux, la démocratie. Ma question est la suivante : « Qu’est-ce que la représentativité ? ». Le principe par lequel le représentant représente. C’est bête, va-t-on me dire. Oui et non. Est-ce que les électeurs du Front National sont représentés politiquement ? Non. Ce n’est pas normal.

 

On est d’accord, Marine Le Pen, c’est salissant, c’est vilain, c’est sûr que ça ne se fait pas, une immondice pareille. Pierre Marcelle, le beau démocrate de Libération, proposait même très récemment de l'interdire. Charlie Hebdo, roi de la bonne conscience et de la bien-pensance « de gauche », se contente, au milieu d'une page, de dessiner une grosse merde légendée Marine Le Pen. Bel exemple de lucidité, sans doute « de gauche ».

 

Mais bon, c’est comme ça, et n'en déplaise à tous ces démocrates de bazar : Marine Le Pen, ça fait 17,9 % au premier tour de la présidentielle. Je signale doucement que trois semaines après le premier tour, silence radio, c’est comme si Marine Le Pen n’avait jamais existé. « Je vous assure, mon cousin, vous avez dit "bizarre, bizarre". – Moi, j’ai dit "bizarre" ? Comme c'est bizarre ! ».

 

Vomir le Front National, c’est devenu aujourd’hui le PGCD (plus grand commun dénominateur) de ceux qui forment le cordon sanitaire contre la « peste brune » appelé « front républicain ». Jean-Luc Mélenchon participe à l’enfumage : admirez le héros de caméra que je suis, qui ose aller défier Marine Le Pen dans son fief (le mot « fief », prononcé par un journaliste, a un délicieux parfum de moyen âge).

 

La fable, comme a raison de le susurrer Martine Aubry, est évidemment destinée à occuper les petits enfants dans le bac à sable des médias (qui détestent le « populisme » d’où qu’il vienne, comme on sait, mais qui raffolent de son effet extraordinaire sur l’Audimat, et donc sur les tarifs imposés aux publicités).

 

L’hypothèse des « démocrates », c’est que les gens qui ont voté pour Marine Le Pen ne sont que des dégénérés. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sauraient être considérés comme des vrais et bons Français. Et c’est vrai qu’à l’arrivée, on peut se demander. Le consensus. Zéro député Front National. On a tiré la chasse d’eau. Six millions de gens, d’abord traités en « citoyens » (avant l’élection), disparaissent dans la trappe. Escamotée, la « démocratie ». 

 

Réfléchissons un peu : comment les commentateurs expliquent-ils les 17,9 % de Marine Le Pen au premier tour ? Primo – Par l’angoisse sociale de gens précarisés. Secundo – Par la peur de la mondialisation et le besoin de repli sur soi. Tertio – Par le sentiment du déclassement identitaire face à des populations venues d’ailleurs, avec des mœurs inassimilables (autrement dit, la xénophobie, il paraît).

 

Ce n’est peut-être pas faux. Mais il n’y a pas que ça. Pourquoi, en 2007, Nicolas Sarkozy a-t-il réussi à « siphonner » les voix des électeurs de  Jean-Marie Le Pen ? Parce qu’en utilisant ses thèmes dans ses discours, il a, en quelque sorte, promis de les traiter dans la réalité s’il était élu. Quoi d’étonnant à ce que ces électeurs se soient sentis trahis par le petit homme, cinq ans après ? Et le lui fassent payer ? Ça marche une fois, pas deux.

 

Si les gens qui veulent se faire élire se contentent d’être des hypermarchés, sur les rayons desquels ils promettent à toutes les catégories de la population qu’elles trouveront l’intégralité des variétés de yaourts, et qu’à l’arrivée, au lieu de la diversité des produits, on se retrouve dans un magasin soviétique, avec seulement des yaourts aux morceaux de mûres (« c’est comme ça et pas autrement », variante du célèbre « there is no alternative » de Margaret Thatcher), c’est forcé qu’ils le désertent, l’hypermarché.

 

Les électeurs du Front National qui ont voté Sarko en 2007ont bien vu qu’il n’était qu’un de ces « camelots bavards qui vous débitent leurs bobards » (Yves Montand, Les Grands boulevards). Et ils n’ont aucune envie des morceaux de mûres. La vie politique française, c’est exactement ça.

 

On croit être dans « la vie Auchan ». En réalité, on est devant la vitrine de ce magasin de chaussures pour femmes contemplée avec stupéfaction au centre de Bucarest à l’été 1990, juste après la fin de Ceaucescu et du « communisme » : à des dizaines d’exemplaires, rangés comme un bataillon de Coréens du Nord à la parade (ou comme les croix militaires du cimetière de Douaumont), un seul et unique modèle à haut talon, recouvert d’une sorte de papier à motifs roses. Une sorte d’uniforme, quoi. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.

lundi, 14 mai 2012

ENCORE UNE LOUCHE DE MONTAIGNE (fin)

Restons encore un peu en compagnie de MONTAIGNE, dans les Essais et dans sa "librairie".

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On trouve, au chapitre « De l’ivrognerie » (Livre II), en dehors d’un certain nombre de considérations très sages (MONTAIGNE est quelqu’un qui tient par-dessus tout à rester mesuré), une histoire digne d’être retenue.

 

 

De l’ivrognerie.

 

Et ce que m’apprit une dame que j’honore et prise singulièrement, que près de Bordeaux, vers Castres où est sa maison, une femme de village, veuve, de chaste réputation, sentant les premiers ombrages de grossesse, disait à ses voisines qu’elle penserait être enceinte si elle avait un mari. Mais, du jour à la journée croissant l’occasion de ce soupçon et en fin jusques à l’évidence, elle en vint là de faire déclarer au prône de son église que, qui consentirait à reconnaître ce fait en l’avouant, elle promettait de le lui pardonner, et, s’il le trouvait bon, de l’épouser. Un sien jeune valet de labourage, enhardi de cette proclamation, déclara l’avoir trouvée, ayant bien largement pris son vin, si profondément endormie près de son foyer, et si indécemment, qu’il s’en était pu servir sans l’éveiller. Ils vivent encore mariés ensemble.

 

 

Elle est pas mignonne, l’histoire ? Une variante, en quelque sorte, de la chanson « Emmener sa femme au champ pour la…bourer ». « Qu’il s’en était pu servir ». Et on nous raconte que ce furent des époques puritaines ? Qu’est-ce que c’est que cette fable ? J’ai plutôt l’impression que le puritanisme a rarement été aussi actuel (le puritanisme est copain comme cochon, comme l’avers avec le revers, avec tout ce qui porte l’étiquette X).

 

 

Le passage suivant est beaucoup plus moral, mais il jette un drôle de jour sur la façon dont nous (moi le premier) nous extasions au-dessus du berceau d’un nouveau-né. N’y a-t-il pas quelque ressemblance avec ce que nous faisons devant le chiot ou le chaton que la chienne ou la chatte a mis bas quelque temps avant ? MONTAIGNE parle, quant à lui, de « guenon ». Sûr que ça fait plus exotique.

 

 

Chapitre VIII : De l’affection des pères aux enfants. (A madame d’Estissac.)

 

 

Comme, sur ce sujet de quoi je parle, je ne puis recevoir cette passion de quoi on embrasse les enfants à peine encore nés, n’ayant ni mouvement en l’âme, ni forme reconnaissable au corps, par où ils se puissent  rendre aimables. Et ne les ai pas soufferts volontiers nourris près de moi [d’où le recours à la nourrice]. Une vraie affection et bien réglée devrait naître et s’augmenter avec la connaissance qu’ils nous donnent d’eux ; et lors, s’ils le valent, la propension naturelle marchant quant et [du même pas que] la raison, les chérir d’une amitié vraiment paternelle ; et en juger de même, s’ils sont autres, nous rendant toujours à la raison, nonobstant la force naturelle. Il en va forcément au rebours ; et le plus communément nous nous sentons plus émus des trépignements, jeux et niaiseries puériles de nos enfants, que nous ne faisons après de leurs actions toutes formées, comme si nous les avions aimés pour notre passe-temps, comme des guenons, non comme des hommes.

 

 

« S’ils le valent » : au moins c’est clair, le sentiment paternel est loin d’être naturel, comme le bruit s’en est colporté depuis JEAN-JACQUES ROUSSEAU (que cela n’a jamais empêché de mettre à l’Assistance les enfants qu’il a eus avec THERESE LEVASSEUR), et comme le montre ELISABETH BADINTER dans L’Amour en plus (1980). Est-ce que c’est MONTAIGNE qui est un salopard ? Est-ce que c’est nous qui sommes fondus gaga ?

 

 

Ce qui m’impressionne ici, c’est qu’il attend pour se faire une opinion que l’enfant ait assez grandi pour montrer aux yeux de tous quelle forme allait prendre l’être en devenir qu’il était exclusivement au départ. Nous, qui vivons à une époque qui se met à plat-ventre devant l’enfant, à l’époque de l’ « enfant au centre du système », de l’enfant-roi, ne pouvons plus guère, me semble-t-il, comprendre un tel propos.

 

 

Le plus drôle, c’est que nous nous chagrinons, plus tard, de l’écart éventuel entre l’enfant espéré et l'être accompli. MONTAIGNE, lui, n’attend rien de précis. Il attend de voir ce que ça va donner, le gamin. HANNAH ARENDT ne dit pas autre chose, dans La Crise de la culture, quand elle conteste radicalement qu’il existe un quelconque « monde de l’enfance », qui serait autonome, et insiste sur la nécessité de ne voir dans un enfant qu'un être humain en devenir. Rien de moins, certes, mais rien de plus.

 

 

Il y a bien du ridicule dans le seul fait d'avoir pensé qu'il fallait absolument que les instances internationales signassent une mirifique "Déclaration des Droits de l'Enfant". Tiens, mettez-y le nez ici, pour voir, et vous comprendrez pourquoi les Français ont rejeté la Constitution Européenne : il faut une formation juridique au moins de bac + 12 pour s'y retrouver, et rien que pour arriver jusqu'au bout.

 

 

Mais il est vrai que MONTAIGNE ignorait tout de ce qu’est un « marché », découpé en divers « segments » (5-9 ans, 9-12 ans, etc.), la consommation, et tous les objets qui se proposent en permanence d’irriguer notre besoin de bonheur, ce qui est de toute évidence un progrès incommensurable.

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Ce sera tout pour cette fois.