dimanche, 27 mai 2012
CHANSONS (PAS TROP) PAILLARDES
Nous disions donc que la chanson paillarde n'est pas présentable, et ne saurait le devenir. Elle convient à des soirées (qu'on dira "entre jeunes" et "arrosées"), en général plutôt en fin de repas. C'est du pataud, du rustique, du mal dégrossi. Mais à côté de ce folklore de fin d'adolescence, gît un patrimoine de chansons infiniment plus élaborées, plus « culturelles », dirons-nous.
J'ajoute que certaines sont d'une redoutable habileté pour ce qui est du maniement du verbe. Je vous ai embarqués hier sur le thème de la « fausse rime ». Restons-y, si vous le voulez bien. L'habileté en question consiste simplement (si on ose dire, car essayez d'écrire un texte obéissant à cette règle) à substituer au mot tabou un mot à rime sage, auquel on fera rimer, au vers suivant, un mot lui-même insoupçonnable.
Exactement sur le même principe de la « fausse rime », vous avez aussi Folâtreries.
L'autre soir ayant des idées folles
J'entrai dans un grand music hall
Et m'installai tout plein d'orgueil
Dans un fauteuil
On jouait une revue sans voile
Et toutes les femmes étaient à … genoux
Chacune avait le dos tourné
De mon côté
Comme elles n'avaient pas de tutus
Elles nous faisaient voir leur … corps
Ah ! mince alors !
C'était bien fait pour me réjouir
Et moi qu'avais envie de … danser
Très satisfait
J'applaudissais
Une danseuse à l'air folichon
Qu'avait de très jolis p'tits … petons
Me fit de l'oeil
Je m'dis ça va
Tu l'attendras
Une heure après à la sortie
Contre un mur je faisais le pied d'grue
Elle vint alors avec envie
Elle prit mon … bras
Puis elle me dit d'une voix d'crecelle
Tu sais je ne suis pas pu…dique
Faut que j't'explique
C'est dans un d'mes derniers voyages
Que j'ai perdu mon pu…ll-over
Mais oui mon cher
Faut pas t'en faire !
J'lui dis pour la mettre à son aise
J'm'en fous pourvu que je te … plaise
Toi tu me plais alors ma foi
Viens donc chez moi !
Ici quelqu'un peut nous épier
Et comme je veux prendre mon … temps
J'n'ai pas envie de m'démancher
Pour t'embrasser
Une fois chez moi je le confesse
Ma main s'égare et dans ses … ch'veux
J'étais heureux
Ensuite fier tout comme un pacha
Je lui chatouillais son petit … nez
Puis j'l'invitais
Suite à dîner
Après avoir fait la dînette
Elle me dit fais moi … risette
Moi j'aime les hommes qu'ont le sourire
C'est rien de l'dire
Avec ton visage rubicon
Mon p'tit tu n'a pas l'air d'un … type
Qui a le caractère brouillon
Bref d'un … melon
Oh ! Non j'n'ai rien d'un cénobite
Lui dis-je, j'ai même une grosse … envie
D'faire des folies
Là-d'ssus arrêtant ma harangue
Sur son cou je passais ma … main
Sacré matin,
C'était divin !
Mais elle s'écria tout coup
Mon vieux avant d'tirer … l'verrou
Donne moi du fric sinon sans ça
Je n'marche pas !
Y faut pas me prendre pour une nouille
Sinon moi je t'arrache les … yeux
En entendant ces mots scandés
Je déchantais
Puis elle reprit d'un ton bravache
Tu m'fais l'effet d'être une belle … rosse
Là-d'ssus la gosse
Partit sans tambour ni trompette
Mais moi j'conservais mes rou…geurs
Y'a pas d'erreur, j'ai eu très peur !
Pour compléter le tableau, en voici une dernière. L’action se passe dans le métro parisien. La chanson est intitulée, au choix, La Jeune fille du métro ou Idylle souterraine.
C’était une jeune fille simple et bonne
Qui ne refusait rien à personne.
Un jour dans le métro y avait presse,
Un jeune homme osa, je le confesse,
Lui passer la main dans les … cheveux.
Comme elle avait bon cœur,
Elle s’approcha un peu.
Il vit le mouvement de la demoiselle
Et recommença de plus belle
Puis, comme dans tout homme, tout de suite,
S’éveille le cochon qui l’habite,
Sans attendre, il sortit sa … carte,
Lui dit qu’il s’appelait Jules,
Et demeurait rue Descartes.
Le métro continuait son voyage.
Elle se dit : « Ce garçon n’est pas sage,
Je sens quelque chose de pointu,
Qui d’un air ferme et convaincu,
Tâche de pénétrer dans mon … cœur,
Ô sentiment nouveau,
Doux frisson du bonheur ».
Comme elle avait peur pour sa robe,
A cette attaque elle se dérobe.
Voulant savoir ce qui la chatouille,
Derrière son dos elle tripatouille,
Et tombe sur une belle paire de … gants
Que le jeune homme, à la main,
Tenait négligemment.
Alors, n’ayant plus aucun doute,
Elle dit à son compagnon de route :
« Ce que tu fais là est ridicule,
Tu vas trouer mon caracul.
Puisqu’à la fin, faut que tu m’em … bêtes,
Je me retrousse, car en dessous,
L’ouverture est toute faite ».
Ça prouve qu’à Paris quand on s’aime,
On peut se le dire sans problème.
Les amoureux ne se font pas de bile,
Entre tout le monde, ils se faufilent,
Je crois bien même qu’ils s’en … fichent,
Car l’amour ouvre les yeux,
Même aux gens les plus godiches.
* NB : caracul désigne une race de mouton, et l'étoffe de laine qu'on en tire.
Voilà de quoi passer de bons moments, sans pour autant passer pour un amateur de vulgarités grasses et païennes. Avouez que tout cela reste d’une distinction certaine et d’un véritable raffinement, non ?
En tout cas, voilà ce que je dis, moi.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chansons paillardes, érotisme
samedi, 26 mai 2012
CHANSONS (PRESQUE) PAILLARDES
Les chansons paillardes, ce n’est pas beau. Tout simplement parce que ce n’est pas fait pour ça. Non, c’est fait pour rigoler et faire rigoler, les soirs de retour de colonie de vacances. C’est un truc fait pour l’adolescent boutonneux ou la pucelle en mal d’impressions, et qui veut se donner des airs.
C’est fait par et pour des bidasses qui retournent en train à la caserne un soir de dimanche, après une permission chez papa-maman. C’est fait pour être dessiné sur les murs des salles de garde, à grands coups de pénis hypertrophiés, sains ou carrément chancreux, et de vulves ou de trous du cul avides de se faire « entrer dans le vif du sujet ».
C’est fait surtout par et pour les étudiants en médecine, ceux qu’on appelle les « carabins ». C’est vrai, quoi, côtoyant à longueur de journée la maladie, la vieillesse et la mort, ces jeunes ont un besoin accru d’alimenter leurs réserves de vie et d’optimisme, et de compenser le spectacle d’un hôpital où toute personne démunie de blouse blanche est forcément et obligatoirement classée parmi les victimes. A la rigueur parmi les visiteurs de victimes.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, dans un hôpital, les victimes et leurs visiteurs n’ont pas du tout le même air, le même visage ni le même comportement. Je ne parle pas de la robe de chambre ou du pyjama dans lesquels déambulent les malades. Je parle de l’égaré, du dépaysé, de l’absent, du perdu qui se lit sur le visage du visiteur qui cherche l’étage et le numéro de la chambre de l’opéré.
Autant le visiteur a tout d’une âme errante dans les ténèbres d’un au-delà homérique ou virgilien, autant le malade a l’air de bien connaître les lieux, au point de s’y être installé, comme s’il était chez lui. Il a observé les détails des murs, des sols, des plafonds centimètre par centimètre. Il s’est fait à cette lumière blafarde dont sont éclairés les couloirs. En quelque sorte, il est chez lui.
Certes, il lui faut un temps d’accoutumance, mais quand il a ses points de repère (tiens, elle est jolie, cette aide-soignante ; tiens, il faudra que je signale que la chasse d’eau fuit ; tiens, il est en retard, le toubib, pour sa visite ; etc.), c’est tout juste s’il n’éprouve pas quelques regrets au moment de la « sortie ».
Je reviens à mes moutons. La chanson paillarde est donc brutale, vulgaire, obscène, indécente, mais je l’ai dit : c’est fait pour ça. C’est le bouchon qui pète quand on agite le champagne : la pression s’est accumulée, il faut que ça sorte. Mais ça dure le temps des études, ce lâchage de bonde, le temps de s’habituer à la maladie et à la mort. Après, on s'assagit, paraît-il. Enfin, je ne sais pas si, tout au fond, il est possible de s’y habituer.
Ce qui est sûr, c’est que la chanson paillarde a du mal à « passer à la radio ». Disons qu’elle est tout simplement interdite d’antenne, et n’en parlons plus. Tout juste bon pour être enregistré dans la collection « Plaisir des dieux » (il y en a douze).
La chanson labellisée « paillarde » est perdue de réputation, exactement comme on disait autrefois des filles qui se retrouvaient en cloque avant que le beau garçon qui voulait soulager ses ardeurs leur eût mis la bague au doigt, et qui avaient la maladresse de croire à la sincérité de la promesse.
Pourtant, il existe un certain nombre de chansons intéressantes, qui gagneraient à être connues. Le présent blog, on l'aura compris, est assez soucieux de la pureté de ses intentions et de l'immaculation de sa réputation, qu'il serait au moins dommageable, et peut-être inexpiable qu'on ne se montrât pas sourcilleux sur tous les facteurs éventuels de corruption. Ces chansons, je les appellerai des chansons « quasi-paillardes », qui jouent subtilement sur et avec les mots tabous. Je vais en donner quelques exemples.
Est-ce que vous connaissez Aventure galante ?
Dans un restaurant, un matin
J'fis connaissance d'un p'tit trottin
A l'air mutin
Elle m'avait plu, je le confesse
Parce qu'elle avait de très belles... dents
C'était tentant
Profitant d'un moment propice
Je glissai ma main sous la... table
D'un air aimable
Tout en ramassant ma serviette
J'lui fis un tout p'tit peu... la cour
Ce fut très court
Tandis que je me réjouissais
Auprès d'moi la p'tite... demanda
Un autre plat
Puis elle me dit "Où c'est qu't'habites ?
Tu dois avoir une belle... demeure,
Très supérieure"
J'lui dis "J'ai même un grand balcon
Si tu veux m'ouvrir ton p'tit... cœur
Ce s'ra l'bonheur "
"Entendu" qu'elle m'fait, "c'est promis
Puisque t'as fini d'faire... la monnaie
Faut s'débiner"
Pendant que le taxi s'ébranle
J'lui dis "J'voudrais que tu me... racontes
Sans fausse honte
Ce que tu fais comme métier
Et si tu prends souvent... d'l'argent
C'est épatant"
"Oh, je n'travaille pas sur l'enclume
Seulement quelquefois je taille des... robes
Mais je m'dérobe
Car dans ce métier, on se dispute,
Et je préfère faire la … modiste,
C’est plus artiste.
En arrivant aux Batignolles,
Elle me prit par les rou … flaquettes,
C’était pas bête.
En rentrant chez moi, tout d'un coup
Elle m'dit "Avant d'tirer... l'rideau
Mon p'tit coco
Faut que j'te l'dise : On m'appelle Luce"
J'réponds "Alors faut qu'tu m'... embrasses
A cette place"
Et en voyant ses yeux de braise
J'lui dis "Viens ici que j'te... dise
Quelques bêtises"
Mais un jour pour me damer l'pion
Elle partit m'laissant des... dettes
C'est pas honnête
Elle m'avait bien pris pour un sot
Pourtant je n'suis pas pu... dibond
Oh, pour ça, non
Et depuis, je m'en mords les tifs
Regrettant mon ... cache-poussière
Quelle triste affaire
Messieurs, il faut que vous l'sachiez
Des femmes comme ça vous font... d'la peine
Voilà notre veine
Elles fouillent d'abord votre pelisse
Et puis vous laissent une... rancœur
Au fond du cœur
Moi je vous dis, il n'y a rien d'tel
Vaut bien mieux aller au... théâtre
C'est plus folâtre
Ce fut chanté par FERNANDEL (et par d’autres). Ce que j’adore, dans chaque strophe, c’est la pirouette à la fin du 2ème vers, et j’avoue que je trouve amusante la déception de l’oreille, qui n’entend pas le mot attendu pour la rime. Appelons le principe de la « fausse rime » la déception amusante. Et en même temps, ça permet de passer par-dessus la censure.
Voilà ce que je dis, moi.
La suiteetfin à demain.
10:45 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chansons paillardes, aventure galante, folâtreries, la jeune fille du métro, idylle souterraine, poésie, jeux de mots, fausse rime