samedi, 26 mai 2012
CHANSONS (PRESQUE) PAILLARDES
Les chansons paillardes, ce n’est pas beau. Tout simplement parce que ce n’est pas fait pour ça. Non, c’est fait pour rigoler et faire rigoler, les soirs de retour de colonie de vacances. C’est un truc fait pour l’adolescent boutonneux ou la pucelle en mal d’impressions, et qui veut se donner des airs.
C’est fait par et pour des bidasses qui retournent en train à la caserne un soir de dimanche, après une permission chez papa-maman. C’est fait pour être dessiné sur les murs des salles de garde, à grands coups de pénis hypertrophiés, sains ou carrément chancreux, et de vulves ou de trous du cul avides de se faire « entrer dans le vif du sujet ».
C’est fait surtout par et pour les étudiants en médecine, ceux qu’on appelle les « carabins ». C’est vrai, quoi, côtoyant à longueur de journée la maladie, la vieillesse et la mort, ces jeunes ont un besoin accru d’alimenter leurs réserves de vie et d’optimisme, et de compenser le spectacle d’un hôpital où toute personne démunie de blouse blanche est forcément et obligatoirement classée parmi les victimes. A la rigueur parmi les visiteurs de victimes.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, dans un hôpital, les victimes et leurs visiteurs n’ont pas du tout le même air, le même visage ni le même comportement. Je ne parle pas de la robe de chambre ou du pyjama dans lesquels déambulent les malades. Je parle de l’égaré, du dépaysé, de l’absent, du perdu qui se lit sur le visage du visiteur qui cherche l’étage et le numéro de la chambre de l’opéré.
Autant le visiteur a tout d’une âme errante dans les ténèbres d’un au-delà homérique ou virgilien, autant le malade a l’air de bien connaître les lieux, au point de s’y être installé, comme s’il était chez lui. Il a observé les détails des murs, des sols, des plafonds centimètre par centimètre. Il s’est fait à cette lumière blafarde dont sont éclairés les couloirs. En quelque sorte, il est chez lui.
Certes, il lui faut un temps d’accoutumance, mais quand il a ses points de repère (tiens, elle est jolie, cette aide-soignante ; tiens, il faudra que je signale que la chasse d’eau fuit ; tiens, il est en retard, le toubib, pour sa visite ; etc.), c’est tout juste s’il n’éprouve pas quelques regrets au moment de la « sortie ».
Je reviens à mes moutons. La chanson paillarde est donc brutale, vulgaire, obscène, indécente, mais je l’ai dit : c’est fait pour ça. C’est le bouchon qui pète quand on agite le champagne : la pression s’est accumulée, il faut que ça sorte. Mais ça dure le temps des études, ce lâchage de bonde, le temps de s’habituer à la maladie et à la mort. Après, on s'assagit, paraît-il. Enfin, je ne sais pas si, tout au fond, il est possible de s’y habituer.
Ce qui est sûr, c’est que la chanson paillarde a du mal à « passer à la radio ». Disons qu’elle est tout simplement interdite d’antenne, et n’en parlons plus. Tout juste bon pour être enregistré dans la collection « Plaisir des dieux » (il y en a douze).
La chanson labellisée « paillarde » est perdue de réputation, exactement comme on disait autrefois des filles qui se retrouvaient en cloque avant que le beau garçon qui voulait soulager ses ardeurs leur eût mis la bague au doigt, et qui avaient la maladresse de croire à la sincérité de la promesse.
Pourtant, il existe un certain nombre de chansons intéressantes, qui gagneraient à être connues. Le présent blog, on l'aura compris, est assez soucieux de la pureté de ses intentions et de l'immaculation de sa réputation, qu'il serait au moins dommageable, et peut-être inexpiable qu'on ne se montrât pas sourcilleux sur tous les facteurs éventuels de corruption. Ces chansons, je les appellerai des chansons « quasi-paillardes », qui jouent subtilement sur et avec les mots tabous. Je vais en donner quelques exemples.
Est-ce que vous connaissez Aventure galante ?
Dans un restaurant, un matin
J'fis connaissance d'un p'tit trottin
A l'air mutin
Elle m'avait plu, je le confesse
Parce qu'elle avait de très belles... dents
C'était tentant
Profitant d'un moment propice
Je glissai ma main sous la... table
D'un air aimable
Tout en ramassant ma serviette
J'lui fis un tout p'tit peu... la cour
Ce fut très court
Tandis que je me réjouissais
Auprès d'moi la p'tite... demanda
Un autre plat
Puis elle me dit "Où c'est qu't'habites ?
Tu dois avoir une belle... demeure,
Très supérieure"
 
J'lui dis "J'ai même un grand balcon
 Si tu veux m'ouvrir ton p'tit... cœur
 Ce s'ra l'bonheur "
 
 "Entendu" qu'elle m'fait, "c'est promis
 Puisque t'as fini d'faire... la monnaie
 Faut s'débiner"
 
 Pendant que le taxi s'ébranle
 J'lui dis "J'voudrais que tu me... racontes
 Sans fausse honte
 
 Ce que tu fais comme métier
 Et si tu prends souvent... d'l'argent
 C'est épatant"
 
 "Oh, je n'travaille pas sur l'enclume
 Seulement quelquefois je taille des... robes
 Mais je m'dérobe
 
 
Car dans ce métier, on se dispute,
Et je préfère faire la … modiste,
C’est plus artiste.
En arrivant aux Batignolles,
Elle me prit par les rou … flaquettes,
C’était pas bête.
 En rentrant chez moi, tout d'un coup
 Elle m'dit "Avant d'tirer... l'rideau
 Mon p'tit coco
 
 Faut que j'te l'dise : On m'appelle Luce"
 J'réponds "Alors faut qu'tu m'... embrasses
 A cette place"
 
 Et en voyant ses yeux de braise
 J'lui dis "Viens ici que j'te... dise
 Quelques bêtises"
 
 Mais un jour pour me damer l'pion
 Elle partit m'laissant des... dettes
 C'est pas honnête
 
 Elle m'avait bien pris pour un sot
 Pourtant je n'suis pas pu... dibond
 Oh, pour ça, non
 
 Et depuis, je m'en mords les tifs
 Regrettant mon ... cache-poussière
 Quelle triste affaire
 
 Messieurs, il faut que vous l'sachiez
 Des femmes comme ça vous font... d'la peine
 Voilà notre veine
 
 Elles fouillent d'abord votre pelisse
 Et puis vous laissent une... rancœur
 Au fond du cœur
 
 Moi je vous dis, il n'y a rien d'tel
 Vaut bien mieux aller au... théâtre
 C'est plus folâtre
 
 
Ce fut chanté par FERNANDEL (et par d’autres). Ce que j’adore, dans chaque strophe, c’est la pirouette à la fin du 2ème vers, et j’avoue que je trouve amusante la déception de l’oreille, qui n’entend pas le mot attendu pour la rime. Appelons le principe de la « fausse rime » la déception amusante. Et en même temps, ça permet de passer par-dessus la censure.
Voilà ce que je dis, moi.
La suiteetfin à demain.
10:45 Publié dans POESIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : chansons paillardes, aventure galante, folâtreries, la jeune fille du métro, idylle souterraine, poésie, jeux de mots, fausse rime

