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samedi, 17 janvier 2015

TARAF DE HAÏDOUKS

Ils m'ont tué Cabu. Ils n'avaient pas le droit.

 

Pour ne pas trop penser à sa mort, à celle de  Wolinski et des autres, en ce moment, je me shoote à la musique. Une musique de joie et d’énergie, si possible. Le hasard faisant bien les choses cette fois, je suis retombé en triant quelques disques sur un album que je n’avais plus écouté depuis une éternité.

 

A l’époque, le groupe s’appelait « Les lăutari de Clejani ». Clejani est une commune située à proximité de Bucarest, au sud-ouest. En remettant le CD sur la platine, je me suis demandé pourquoi j’avais enterré si longtemps cette musique éclatante de vie. D’un autre côté, je me dis que c’est merveilleux de redécouvrir. Parce que vous avez de nouveau cette incroyable impression de « première fois » qui vous saisit. Cette musique, vous ne l’aviez jamais entendue auparavant. Vous êtes disponible. Tout neuf.

 

Surtout qu’entretemps, (de 1988 à 1991) ils ont changé de nom. Moi, je les connaissais sous le nom de « Taraf de Haïdouks ». En français : orchestre de bandits d’honneur, « haïdouk » désignant un Robin des Bois à la roumaine. Relire à cette occasion Présentation des haïdouks, petit livre mémorable de Panaït Istrati. Ils ont eu leur heure de gloire. Pas d'erreur possible. Et c’est sûr, ce sont les mêmes. Le vieux Nicolae Neacşu, Ion Manole, Ion Fălcaru, d’autres, on les retrouve d’un CD à l’autre. Environ une douzaine, en formations variables suivant les morceaux.

 

J’ai passé grâce à eux des instants magiques, me replongeant dans des ambiances exotiques datant d’avant la chute de Ceaucescu. Du coup, j’ai révisé les trois volumes que je m’étais procurés du temps de la célébrité de ces « haïdouks ». Dans celui de 1994 (« Bandits d’honneur,chevaux magiques et mauvais œil »), j’était littéralement tombé en extase en écoutant la plage 7 (« Cintec de Dragoste şi joc »). C’est une chanson d’amour, paraît-il. Mais quelle envolée, ma parole !

 

C’est étourdissant. Vous les entendrez, les deux compères, ils se relancent l’un l’autre, ils se répondent. Que disent-ils ? Je n'en sais rien, et je m'en fiche. Une « jam session » endiablée, rien d’autre. Ils se laissent aller à l’idée du moment, à la réplique qui fuse. Dans le jazz, on appelle ça l’improvisation. Et attention, ils sont déchaînés. La preuve que c’est excellent, c’est que les producteurs ont laissé les éclats de rire quand le morceau s’arrête. Ils sont tout étonnés d'avoir fait ça, de s'être donnés comme ça, ensemble. Des ambiances comme ça, ça ne se rencontre pas tous les jours, surtout en studio.

 

Le fin du fin, je l’ai trouvé sur Youtube. Un film de 1998 qui dure 44'16". C’est une chance unique, je vous assure. C’est enregistré par des Suisses qui s’y connaissent en sons musicaux et en technique d’enregistrement (c'est quand même en Suisse que Kudelski a inventé le Nagra et que Studer a fondé la marque Revox) : le son est parfait. Je veux dire que chaque instrument est individualisé au moment où il le faut.

 

Le plus formidable dans l’histoire, c’est qu’on les voit de près, chacun à son tour. Le vieux Neacşu qui n’a plus de dents et qui joue et chante « Balada conducatorului » (le Conducator en question s'appelait Ceaucescu) en tirant artistement un crin de cheval sur les cordes de son violon. Le cymbaliste barbu et le bassiste, les deux virtuoses de la « section rythmique ». Les deux accordéonistes qui, à deux minutes de la fin, réussissent à jouer strictement la même ligne mélodique effrénée. Les acrobaties ahurissantes de deux des violonistes, le grassouillet tout placide et l’enthousiaste tout nerf. Les interventions du flûtiste, Fălcaru je crois, avec son air un peu égaré de vagabond des limbes (aucun rapport avec la BD de Ribera et Godard).

 

Un des airs qui me touchent particulièrement est intitulé « Pe deasupra casei mele » (plage 4) : situé tout au centre du concert, il étonne et détonne. Son rythme balancé, ses modulations plus complexes entre couplets et refrain, ses quatre solistes successifs, contrastés et homogènes, ont un grand charme.

 

Je ne me lasse pas de visionner ces images qui me remplissent de joie. Ces musiciens se regardent, s’écoutent, se donnent. On les voit exulter, sérieux ou exubérants. La « Cintec de Dragoste » n’a pas autant d’éclat que la version mentionnée, mais ça déménage quand même.

 


 

Je suis sûr que Cabu aurait adoré.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Les plages : 1 – Turcească ; 2 – Balada conducatorului (à 8’58") ; 3 – Rustem şi suite (à 16’46") ; 4 – Pe deasupra casei mele (à 21’07") ; 5 – Doina, hora şi briu (à 25’16") ; 6 – Cintec de dragoste ca la Roata (à 31’12") ; 7 – Tot Taraful (à 36’38"). 

mardi, 15 mai 2012

VOTE FRONT NATIONAL ? FAITES-LE TAIRE !

Ceux qui viendraient lire ce billet parce qu’ils pensent trouver l’expression d’une horreur absolue à l’égard des thèses du Front National doivent être prévenus : ils seront déçus. Ceux qui espéreraient au contraire y trouver un éloge des mêmes thèses en seront pour leurs frais. Mon propos est ailleurs.

 

Si Marine Le Pen a des convictions et des « théories », ce que je peux en connaître me fait dire que tout ça manque de sérieux. En revanche, la muselière que le système politique, paraît-il républicain, accroche au museau de ces chiens d’électeurs du Front National me semble une grave anomalie.

 

Je veux ici m’étonner contre cette anomalie incompréhensible, s’agissant de ce qu’il faut appeler, faute de mieux, la démocratie. Ma question est la suivante : « Qu’est-ce que la représentativité ? ». Le principe par lequel le représentant représente. C’est bête, va-t-on me dire. Oui et non. Est-ce que les électeurs du Front National sont représentés politiquement ? Non. Ce n’est pas normal.

 

On est d’accord, Marine Le Pen, c’est salissant, c’est vilain, c’est sûr que ça ne se fait pas, une immondice pareille. Pierre Marcelle, le beau démocrate de Libération, proposait même très récemment de l'interdire. Charlie Hebdo, roi de la bonne conscience et de la bien-pensance « de gauche », se contente, au milieu d'une page, de dessiner une grosse merde légendée Marine Le Pen. Bel exemple de lucidité, sans doute « de gauche ».

 

Mais bon, c’est comme ça, et n'en déplaise à tous ces démocrates de bazar : Marine Le Pen, ça fait 17,9 % au premier tour de la présidentielle. Je signale doucement que trois semaines après le premier tour, silence radio, c’est comme si Marine Le Pen n’avait jamais existé. « Je vous assure, mon cousin, vous avez dit "bizarre, bizarre". – Moi, j’ai dit "bizarre" ? Comme c'est bizarre ! ».

 

Vomir le Front National, c’est devenu aujourd’hui le PGCD (plus grand commun dénominateur) de ceux qui forment le cordon sanitaire contre la « peste brune » appelé « front républicain ». Jean-Luc Mélenchon participe à l’enfumage : admirez le héros de caméra que je suis, qui ose aller défier Marine Le Pen dans son fief (le mot « fief », prononcé par un journaliste, a un délicieux parfum de moyen âge).

 

La fable, comme a raison de le susurrer Martine Aubry, est évidemment destinée à occuper les petits enfants dans le bac à sable des médias (qui détestent le « populisme » d’où qu’il vienne, comme on sait, mais qui raffolent de son effet extraordinaire sur l’Audimat, et donc sur les tarifs imposés aux publicités).

 

L’hypothèse des « démocrates », c’est que les gens qui ont voté pour Marine Le Pen ne sont que des dégénérés. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sauraient être considérés comme des vrais et bons Français. Et c’est vrai qu’à l’arrivée, on peut se demander. Le consensus. Zéro député Front National. On a tiré la chasse d’eau. Six millions de gens, d’abord traités en « citoyens » (avant l’élection), disparaissent dans la trappe. Escamotée, la « démocratie ». 

 

Réfléchissons un peu : comment les commentateurs expliquent-ils les 17,9 % de Marine Le Pen au premier tour ? Primo – Par l’angoisse sociale de gens précarisés. Secundo – Par la peur de la mondialisation et le besoin de repli sur soi. Tertio – Par le sentiment du déclassement identitaire face à des populations venues d’ailleurs, avec des mœurs inassimilables (autrement dit, la xénophobie, il paraît).

 

Ce n’est peut-être pas faux. Mais il n’y a pas que ça. Pourquoi, en 2007, Nicolas Sarkozy a-t-il réussi à « siphonner » les voix des électeurs de  Jean-Marie Le Pen ? Parce qu’en utilisant ses thèmes dans ses discours, il a, en quelque sorte, promis de les traiter dans la réalité s’il était élu. Quoi d’étonnant à ce que ces électeurs se soient sentis trahis par le petit homme, cinq ans après ? Et le lui fassent payer ? Ça marche une fois, pas deux.

 

Si les gens qui veulent se faire élire se contentent d’être des hypermarchés, sur les rayons desquels ils promettent à toutes les catégories de la population qu’elles trouveront l’intégralité des variétés de yaourts, et qu’à l’arrivée, au lieu de la diversité des produits, on se retrouve dans un magasin soviétique, avec seulement des yaourts aux morceaux de mûres (« c’est comme ça et pas autrement », variante du célèbre « there is no alternative » de Margaret Thatcher), c’est forcé qu’ils le désertent, l’hypermarché.

 

Les électeurs du Front National qui ont voté Sarko en 2007ont bien vu qu’il n’était qu’un de ces « camelots bavards qui vous débitent leurs bobards » (Yves Montand, Les Grands boulevards). Et ils n’ont aucune envie des morceaux de mûres. La vie politique française, c’est exactement ça.

 

On croit être dans « la vie Auchan ». En réalité, on est devant la vitrine de ce magasin de chaussures pour femmes contemplée avec stupéfaction au centre de Bucarest à l’été 1990, juste après la fin de Ceaucescu et du « communisme » : à des dizaines d’exemplaires, rangés comme un bataillon de Coréens du Nord à la parade (ou comme les croix militaires du cimetière de Douaumont), un seul et unique modèle à haut talon, recouvert d’une sorte de papier à motifs roses. Une sorte d’uniforme, quoi. 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

A suivre.