mardi, 11 septembre 2012
L'ART D'AGATHE DAVID
Pensée du jour : « Notre siècle est celui de la précision. Appuyée par la statistique. La statistique est une science étonnante. Elle donne des certitudes chiffrées. Elle a prouvé que dans huit cas sur dix les boulangers sont des hommes qui fabriquent du pain ».
ALEXANDRE VIALATTE
« Toute la Gaule est occupée par les Romains … Toute ? Non ! Un village peuplé d’irréductibles Gaulois résiste encore et toujours à l’envahisseur. » Ainsi commence tout album des aventures d’Astérix. Dans le monde de l’art, on observe de telles résistances. Qui consolent. Car il n’y a pas que des GWENAËL MORIN, cet "artiste" d'une grande subtilité esthétique, qui suspend au plafond des dizaines de traversins, chacun portant le prénom de celle qui y a posé la tête la nuit précédente. On acclame.
Je veux dire qu’il n’y a pas que des gens qui ont des IDEES. Qu'on acclame parce qu'elles sont faites pour l'estrade et l'enthousiasme badaud. Bravo ! Très fort ! Chapeau l'artiste ! Il y a aussi des gens qui TRAVAILLENT. De leurs mains. Qui s’efforcent d’avancer dans la maîtrise technique de leur main, et de peaufiner l'aigu et l'énergique de leur oeil.
C’est le cas d’AGATHE DAVID. Ses outils ? Papier, crayons, stylos. On ne peut guère se contenter de moins. Être plus économe. Oh, ce n’est pas MICHEL-ANGE. Ci-contre, est-ce l'Oiseau Rock ? Ou le Simorgh de la mystique Conférence des oiseaux, de FARID UDDIN ATTAR ? Ne trouvez-vous pas qu'il y a quelque chose de persan ? D'une miniature persane ?
Moi qui ai un peu fréquenté les poètes d’aujourd’hui, vous savez, ceux qui tirent à 300 exemplaires et qui chuchotent pieusement leurs petites messes basses en petits comités secrets de carbonari honteux dans des petits lieux à demi clandestins, je dirai qu'AGATHE DAVID œuvre quelque part à l’écart des chemins fréquentés, un peu à l’ombre. En tout cas pas sous les feux de l’actualité. Cela n’a pas empêché la revue Beaux-Arts de lui consacrer un espace il n’y a pas longtemps.
Ses motifs ? Les traits d'écailles d'un reptile ou d'un poisson. Le trait des plumes d'un oiseau. Comme si les bestioles portaient sur le corps les tuiles du toit qui les protège des intempéries. Car il y a chez AGATHE DAVID une fascination pour l’effet de tuilage que produisent les peaux ou les plumes de ces animaux. Regardez ci-contre : ne dirait-on pas que les plumes et les couleurs pleuvent de l'animal ?
Alors pourquoi pas l’écorce de certains arbres ? Non, le végétal n’est pas l’animal. Mais on ne s'interdit rien. L’animal est mouvant. C’est ce mouvant-là qu’elle rend visible.
La figure du serpent, du poisson, du coquillage se découpe sur le blanc du papier avec une netteté de ciseau. Tout est tracé, avec vigueur et souplesse. La main qui pense le tableau est certainement féminine : il y a quelque chose de velouté, d’onctueux, jusqu'à du tendre, dans les enroulements, les infléchissements, les torsades.
La texture a de la transparence dans le moiré, la couche s’ajoute à la précédente sans la dissimuler, dans une sorte de mille-feuilles coloré qui fascine l’œil quand il s’approche au plus près. C’est certain, on est fort loin de ce qu’on appelle le « geste ». Ici, l’art est de patience et de précision. Peut-être en faudrait-il peu pour basculer dans l’obsessionnel, à la façon d’un BERNARD REQUICHOT (ci-contre), mais non, on reste dans le concerté, dans le calculé. On est presque dans le japonais pour ce qui est de l'élaboration esthétique. Presque japonaise, en effet, la présence esthétique au monde.
Les spécialistes, quand ils examinent un tableau de JOACHIM PATINIR (1475-1524), s’étonnent de l’étroitesse de certains coups de pinceau, difficilement imaginable. C’est un minutieux à la recherche de l'infime. AGATHE DAVID a cette minutie, mais moins pour le détail cultivé pour lui-même que pour l’effet produit par la superposition transparente des couleurs.
Ajoutons qu'elle s'est inspirée, pour élaborer ses figures, des Psaumes de David (avec quelques incursions dans Daniel, Ezéchiel et Isaïe). Je n'ai pas pensé à lui demander s'il y avait un lien avec son propre nom. Ce qui est certain, contrairement à ce qu'en dit bizarrement le galeriste en personne (« Vous comprenez, ce genre, ce n'est pas dans mes habitudes »), la mise en résonance du texte et de l'image fonctionne à merveille : ils dialoguent comme de vieilles connaissances.
La taille et la calligraphie des citations sont assez sobres (neutres) pour ne porter aucun ombrage aux images, et vice-versa. Les citations elles-mêmes se réfèrent au règne animal : « Leur venin est semblable au venin du serpent, de la vipère sourde qui ferme ses oreilles » (selon la traduction du chanoine CRAMPON). « C'est toi qui as écrasé les têtes du Léviathan, et l'as donné en pâture aux peuples du désert ». L'animal est visiblement un ami de longue date, qu'AGATHE DAVID a eu le loisir d'observer de près. Sans que le végétal soit rayé du paysage (ci-contre, le volatile artichaut d'une "floraison").
On passe en revue, au gré des fragments, tout un bestiaire biblique, de la précision entomologique du papillon et de la sauterelle au lyrisme fantastique des créatures marines, en passant par le torturé du reptile et de la pieuvre, dans un dessin fouillé, libéré de l'exactitude académique.
L'ensemble des oeuvres présentées offre à contempler l'unité certaine de la conception, dans la simplicité apparente de la réalisation : leur complexité se révèle en aggravant l'attention portée. Que le regard se fasse distant ou centimétrique, il voit que tout est en place, dans une sorte d'ailleurs familier.
Respect. Et merci à XAVIER LEBLANC de me l'avoir fait connaître.
Voilà ce que je dis, moi.
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lundi, 10 septembre 2012
L'ART D'AGATHE DAVID (PREAMBULE)
Pensée du jour : « Achras : Ô mais, c'est qué - y a point d'idée du tout de s'installer comme ça chez les gens. C'est une imposture manifeste ...
M. Ubu : Une posture magnifique ! Parfaitement, monsieur : vous avez dit vrai une fois dans votre vie ».
ALFRED JARRY
Je signalais, il y a quelques jours en bas de page, l'exposition AGATHE DAVID qui a lieu depuis jeudi à la Galerie Gilbert Riou (1, place d'Ainay, mais l'entrée est située rue Vaubecour).
AGATHE DAVID est une artiste. Comme je les aime. Car, contrairement à tous les « artistes » figurant dans mon album « art con et temporain » (ci-contre, n’hésitez pas à découvrir 80 façons de tuer l'art, à m’engueuler, voire à mépriser le néandertalien que je suis éventuellement), AGATHE DAVID ne désespère pas de la création artistique. Cette rareté attire forcément l'attention et la curiosité.
C’est vrai, aujourd’hui, la plupart des « artistes » ont emboîté le pas à MARCEL DUCHAMP. S'il n'est pas en personne le meurtrier, il en est l’emblème et le héraut. Le porte-parole et le messager. Le ready made (ci-contre, la "roue de bicyclette") a mis le point final au parcours millénaire de l’Art. Or le ready made, c'est l'appel de trompette après lequel il n’y a plus qu’à déclarer : « L’ART est mort ! Il est temps de vous repentir ! ». Pour la suite, voir l'Apocalypse de Jean.
Mais celui qui souffle dans la trompette (et la cohorte de ceux qui le suivent), en même temps qu'il sonne "Aux Morts", comme un 11 novembre ordinaire, ouvre un extraordinaire marché à toutes sortes d’hommes d’affaires. Certains protestent en vociférant : « TOUT EST ART ». Mais je rétorque : « Et alors ? Quelle différence ? ». Et toc ! C'est vrai, ça : si la réalité, la nature, nos objets sont de l'art, où il se trouve, l'art artistique ? Si vraiment tout est art, ça signifie juste que plus rien n'est art.
« Art con et temporain », donc : en plaçant JEFF KOONS à la porte d'entrée de l’album ainsi intitulé, en train de saillir (il n'y a pas d'autre mot, n'est-ce pas ?) sa femme, l’actrice porno CICCIOLINA, c'est une modalité de la mort de l'ART que je voulais illustrer.
On constate pourtant, éberlué, que le cadavre de l'ART a revêtu, depuis les « audaces » de DUCHAMP (1913 et après, avec l'invention du READY MADE, qu'il soit "aidé" ou non : porte-bouteilles, "fontaine", stoppage-étalon, ... On en fête bientôt le centenaire, préparez-vous, il est temps de vous repentir), une infinité de cadavres bien vivants, dont l’énumération gonflerait inutilement cette modeste note.
Il n’y a pas besoin d'un couple forniquant pour confirmer l’obscénité essentielle, pour ne pas dire la pornographie d’une bonne part de ce qu’il est convenu d’appeler « art » contemporain. Disons que cette copulation symbolise assez bien une des grandes tendances de l' « art » contemporain : j'ai nommé le FOUTAGE DE GUEULE.
Il est peut-être bon de rappeler que JEFF KOONS a commencé comme « courtier en matières premières » à Wall Street, et que s’il a changé d’orientation « professionnelle », s’il s’est lancé dans l’art, c’est, je le cite : « en tant que vecteur privilégié de mechandising ». On n’est pas plus « honnête ». Il ne s’agit de rien d’autre que de « glorifier des produits de consommation ». Comme son prédécesseur et mentor ANDY WARHOL.
Disons le fond des choses : l’artiste con et temporain n'est en général qu'un pervers nécrophile, qu'une chair nécrosée congénitale. Il prospère sur le cadavre de l’Art, comme l’insecte nécrophage sur la dépouille animale gisant au bord du chemin :
« Rappelez-vous l’objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d’été si doux :
Au détour d’un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l’air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d’une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d’exhalaisons ».
CHARLES B. (je vous laisse deviner)
Après la mort de l’ART, donc, voici l’ « art-mort ». Debout les morts, entendait-on dans les tranchées de 1914. Eh bien qu'on se rassure : c'est chose faite ! Et qu'on se le dise, le cadavre se porte comme un charme :
« On eût dit que le corps, enflé d’un souffle vague,
Vivait en se multipliant ».
Si GEORGES BRASSENS pouvait parler, il dirait : « On s’aperçut que le mort avait fait des petits ». Car après le second coup de grâce dans la nuque de l'ART, porté par ANDY WARHOL, le cadavre se met à vivre sa vie, pleinement, joyeusement et « artistement » : « J’ai commencé comme artiste commercial, je veux finir comme artiste d’affaires » (WARHOL).
DUCHAMP ayant rédigé l’acte de décès à coups de « ready mades », WARHOL pouvait introduire la dépouille mortelle de l’Art dans l’univers de la marchandise et de la publicité, et le marchand d’ « art-mort » commercialiser ses charognes « pleines d’exhalaisons ». Car je pense qu'on sera d'accord : il n'y a rien de plus mort qu'une marchandise. Pire : une marchandise érigée en être vivant.
Si vous n’avez jamais vu un cimetière en effervescence, prenez un billet pour Le Caire, où beaucoup de drôles de silhouettes, de jour comme de nuit, errent entre les tombes. Elles ont investi les caveaux et les pierres tombales. Les gens normaux s'interrogent. Les cimetières du Caire connaissent une belle animation, même si elle est encore honteusement minimisée par les tour opérateurs. Vous verrez qu’il n’y a pas plus vivant qu’un cimetière.
L’art contemporain, c’est pareil : un univers de ZOMBIES, de morts-vivants, qui s’activent, s’affairent, font des affaires, essaient de « percer ». Une seule solution : l'évacuation. Tirez la chasse. S'il n'est pas trop tard.
A la rigueur, reportez-vous à Trou dans la couche d’os jaunes, dans la série « Pierre Tombal », de HARDY & CAUVIN, éd. Dupuis.
L'art con et temporain est plus mort-vivant que jamais.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre, AGATHE DAVID.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agathe david, art, dessin, exposition, galerie gilbert riou, lyon, art contemporain, marcel duchamp, andy warhol, jeff koons, cicciolina, pornographie, ready made, une charogne, baudelaire, georges brassens, campbell soup, zombie, mort-vivant, pierre tombal, hardy et cauvin, bande dessinée
lundi, 03 septembre 2012
QUOI DE NEUF DANS LES NOUVELLES ?
Pensée du jour : « Le but inavoué de ces articles étant de flatter les puissants, je chanterai les magnats de la presse. C'est une conduite avilissante : je m'en promets mille prospérités ».
ALEXANDRE VIALATTE
DÉCÈS DU JOUR
Désolé, j’ai une très mauvaise nouvelle : Java est morte. Elle avait 67 ans. La plus vieille femelle en captivité dans un zoo européen. Je vous présente la malheureuse. C’était au parc de la Tête d’Or, au temps de sa splendeur.
AU PARC DE LA TÊTE D'OR
Elle habitait là depuis 1964. On pense que la tuberculose l’a tuée. Le centre vétérinaire de Marcy l’Etoile rendra prochainement les résultats de ses analyses. Des engins de levage ont été dépêchés sur place à cette fin. L’éléphant avait été donné par le cirque Amar (et j’en aurais, des choses à dire, sur le cirque Amar !).
*
LE TOURISME ORIENTAL ET LE SANG
Pour la Syrie, j’emprunte à un très vieux sketch de ROBERT LAMOUREUX : « Et l’année suivante, BACHAR EL ASSAD était toujours vivant ». Attendons l’année prochaine. D’ici là, le nombre des réfugiés, des morts et des blessés aura eu le temps d’exploser, comme le proclame la presse : le journaliste sociologiquement ordinaire aime à faire exploser les nombres.
Quoi, je me permets de rire ? Que voulez-vous que je fasse, avec la foule de ceux qui sont cramponnés au signal d’alarme et qui écrasent le frein ? Alors qu'ils sont aussi nombreux et forts, ceux qui enfoncent la pédale d'accélérateur ? C'est pour ça que le train de la mort continue, cahin-caha, vaille que vaille, son bonhomme de boulot.
*
ROMS EN VILLEGIATURE EN FRANCE
En France, pour les vacances, les Roms continuent à privilégier le départ sur les routes. Ces GM (Gentils Membres) d’un nouveau genre y sont incités par ceux qu’on appellerait GO au Club Méditerranée (Gentils Organisateurs), qui veillent à ce que la tradition du voyage, propre à cette population, ne se perde pas.
Une tradition d’autant plus symbolique qu’elle est inscrite dans le drapeau qu’elle s’est choisi librement en 1971.
En revanche, la science et la police se perdent en conjectures sur la composition réelle (et la fonction, sans doute religieuse) d’une mystérieuse « ESENȚǍ DE ROM » : serait-ce une sorte de teinture-mère obtenue par distillation de quelques individus de l'ethnie en vue de quelque expérience philosophale ? Un arôme destiné à la pâtisserie ?
PEU LISIBLE, MAIS JE GARANTIS L'AUTHENTICITE
Aucune hypothèse n’est écartée. Et que signifie cette date du 15 mai 1990 qui figure sur l’étiquette ? Mystère. En tout cas, le Rom est partout. Ci-dessus la photo suspecte.
Quoi ? Je ris du malheur des autres ? Et alors, la foule des grandes âmes et des bonnes consciences (de gôôôôche, comme par hasard) est si compacte que je n’aurais pas pu y introduire une feuille de papier à cigarettes (si j’avais eu du papier à cigarettes), et encore moins à m’y faire une place sans être dans la minute écrasé.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : éléphant, zoo, parc de la tête d'or, lyon, java, cirque amar, bachar el assad, syrie, robert lamoureux, roms, expulsions de roms, club méditerranée, humour, humour noir, société, politique, actualité, presse, journaux
vendredi, 17 février 2012
LE DEPUTE, RAPPORT QUALITE / PRIX
Qu'est-ce qu'un DEPUTÉ, dans le fond, quand on pose la question sous l'angle du rapport qualité / prix ?
Dans le commerce, dans notre merveilleuse société de consommation, pour toute marchandise vendue, on est en mesure de calculer le « rapport qualité / prix ». A cet égard, n’importe quel objet vraiment durable, et vendu à prix modique, peut être considérée comme d’un bon rapport qualité / prix. De ce point de vue, le coût d’un député peut être jugé exorbitant.
Le rapport qualité / prix du député ne se mesure pas tout à fait comme celui d’un produit de lavage, parce que la date limite de vente est fixée une fois pour toutes à cinq ans. Mais renouvelables. Indéfiniment renouvelables, pour être précis. Certains députés sont des rentiers.
Observons le député commun, le député officinal, pour ainsi dire, certifié sans O. G. M. Qu’est-ce qu’il rapporte, au consommateur qui l’a acheté (« élu » est le terme habituel) ? Il rapporte des lois. Du moins il est supposé le faire. Voyons cela.
Vous avez désormais pris l’habitude de voir le Président, NICOLAS SARKOZY, sauter sur chaque fait divers dramatique pour rassurer l’opinion publique alarmée par « la montée de l’insécurité ». Vite fait sur le gaz, vite écrite sur un coin de table, il fait rapidement pondre par quelques volailles une loi « ad hoc » (ou « loi de circonstance »), la fait inscrire et voter selon la procédure « d’urgence » (une seule lecture) au Parlement.
La télévision est contente, elle a eu sa dose de spectacle, de discours martiaux du Président et de ses sbires gouvernementaux, genre « je ne tolérerai plus », et le soufflé n’a pas eu le temps de retomber que – abracadabra ! – la loi est votée et l’opinion publique rassurée. « Trop fort ! », s’exclame-t-on unanimement dans la salle commune de la maison de retraite, lieu habituel, on le sait, de déchaînement soudain de la violence aveugle.
Or ce qu’il faut savoir, c’est que, quand une loi est votée, elle reste lettre morte si son adoption n’est pas suivie de la signature de divers décrets d’application et arrêtés. Vous vous souvenez de l’élu présidentiel de 2007 ? Faut-il vraiment redire son nom ici ?
Eh bien c’est tout simple, pour l’année 2007-2008, 24,6 % des textes réglementaires sont entrés en application. Pour les lois déclarées en « urgence », le taux d’application tombe à 10 %. Résultat ? Les lois n’entrent pas en vigueur (source : Sénat). Et je ne crois pas que le rendement, les années suivantes, se soit beaucoup amélioré.
Certains députés se sont émus de la chose, disant qu’on leur faisait faire un travail de singe, à voter dans la précipitation des textes de loi mal rédigés et qui n’ont guère de chances d’entrer en vigueur faute des décrets d’application subséquents.
Conclusion, quant à la « qualité », le député officinal se situe très bas sur l’échelle. Des esprits malintentionnés pourraient même aller jusqu’à interpeller le député officinal et lui demander : « A quoi sers-tu ? ». Je ne pense pas me tromper beaucoup en supposant qu’il protesterait énergiquement.
On le comprend, on ne quitterait pas sans de vifs regrets une table où le menu offre invariablement fromage ET dessert. Le repas est si plantureux qu’il sert, forcément et par définition, à quelque chose.
Il faudrait ajouter, pour être honnête, que la Constitution de la 5ème République ne place pas le député, mais le Président au premier plan. Le gouvernement apporte des « projets de loi », les députés apportent des « propositions de loi ». Mais combien de « propositions » sont en fait des « projets », induits par les amicales pressions du Président ou susurrés à tel ou tel par le gouvernement ?
De toute façon, quand on voit la discipline quasi-militaire que fait régner le pouvoir dans la majorité parlementaire, en usant tour à tour du charme (« si tu es gentil, je peux te faire avoir un poste intéressant à la Cour des Comptes ») et de la menace (« si tu n’es pas gentil, tu sais que j’ai la haute main sur la commission de validation des candidatures aux prochaines législatives, réfléchis bien »), on a tendance à voir dans le député un « obscur », un « sans-grade », simple masse de manœuvre mise en place grâce à une pure et simple légalité.
Au surplus, une petite moitié des lois votées sont seulement des transpositions de directives européennes dans le droit français. J’ai envie de dire : n’en jetez plus. D’ici qu’on ne voie dans le député français qu’une potiche, un simple décor de théâtre, il n’y a pas loin. L’efficacité du député tend vers zéro. Nous allons voir maintenant que son coût, s’il ne tend pas vers l’infini, en prend le chemin.
Oui, après la « qualité », examinons le « prix » : l’indemnité d’un parlementaire en France est de 7100 €, cumulable avec une indemnité reçue à titre local dans la limite de 8272 € et une queue de cerise. GERARD COLLOMB, qui est sénateur et maire de la ville de Lyon, perçoit donc cette somme. Il est également Président de la COmmunauté URbaine de LYon, mais ses services refusent de communiquer sur le sujet.
Le site Politiquemania indique cependant le chiffre de 5.512 €. Je vous laisse faire le calcul. Je ne me trompais pas trop en parlant de fromage ET dessert, mais là, s’il les touche effectivement, c’est carrément la « ronde des desserts ».
On comprend que monsieur GERARD COLLOMB soit un farouche partisan du cumul des mandats. On n’est pas obligé de croire monsieur GERARD FACON (http://lafitte-vigordane-le-citoyen-vigile.over-blog.com/article-voyage-chez-les-forcats-de-la-republique-96735508.html), qui évalue sur son blog les sommes reçues chaque mois par GERARD COLLOMB à 19.385 €. Sûrement un jaloux. Un élu, un notable de la « surface » de COLLOMB peut-il s’affranchir de la règle du plafonnement ? Je pose juste la question.
Loin de moi l’intention de jeter l’anathème sur la fonction d’élu du peuple, mais, une fois rassemblées les quelques données ci-dessus, je finirais presque par trouver que le député est décidément hors de prix.
Et je me pose la question : « Est-ce que, au prix qu’elle la paie et vu la faible qualité des résultats obtenus, la France a les moyens de rester une démocratie ? ». Oui, la France ne vit-elle pas au-dessus de ses moyens en entretenant des institutions coûteuses et surtout lourdes et inefficaces ? Sans parler de la « crise » …
Je me rassure en me disant que, de toute façon, l’idée démocratique elle-même est dans un tel état que, un peu plus, un peu moins …
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : politique, démocratie, parlementaire, député, assemblée nationale, sénat, parlement, société, constitution, république, antiparlementarisme, nicolas sarkozy, françois hollande, parti socialiste, ump, loi, législatif, élection présidentielle, gérard collomb, lyon, courly
mardi, 24 janvier 2012
ALERTE AUX CANUTS !
Alerte à la Croix-Rousse. Voilà-t-il pas que L’ESPRIT CANUT déboule dans le journal, pas plus tard qu’aujourd’hui même. C’est en page 20 du Progrès. Je parlais il y a deux jours de l’idée de musée des canuts que l’association s’efforçait de promouvoir, en laissant entendre qu’elle était loin d’être acquise.
Il en faut plus pour décourager le président, BERNARD WARIN, qui se démène comme un beau diable pour pousser l’idée dans l’esprit des décideurs. Il organise une « table ronde » à laquelle il les invite. Ça se passe à la maison des associations, rue Denfert-Rochereau. THERESE RABATEL, adjointe au maire du 4ème, a fait le déplacement. Ce n’est pas rien.
On sait maintenant que plusieurs commissions de travail planchent sur le sujet. C’est mieux que rien, même si je ne sais plus qui disait que pour enterrer une question, le mieux était de créer une commission. Ne soyons pas systématiquement négatif.
Mais c’est vrai que le Canut étant au centre de l’histoire de la ville, ça paraît un peu idiot de ne pas disposer d’un LIEU regroupant tout ce qui a trait à cet aspect précis. Aujourd’hui, on est perdu : musée Gadagne, musée des tissus, maison des canuts, soierie vivante, ça fait beaucoup, ne serait-ce qu’en distance à parcourir pour aller de l’un à l’autre.
D’autant plus que, BERNARD WARIN en tête, l’association L’ESPRIT CANUT tient beaucoup à la mise en avant de la question sociale qu’illustre parfaitement la corporation des tisseurs. Le président se veut finalement positif, en acceptant l’idée d’un « pôle muséal de la soie », composé de différents lieux. Moi je veux bien, Bernard, c’est mieux que rien. Comme les lieux existent déjà, la mairie n'a donc plus un sou à mettre là-dedans.
Voilà ce que je dis, moi.
16:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : canuts, croix-rousse, l'esprit canut, association, lyon, société
dimanche, 22 janvier 2012
"ESPRIT CANUT", ES-TU LA ?
Où il sera question de « L’Esprit canut », d’esprits, de canuts et autres objets plus ou moins musicaux.
« Esprit de mon mari, êtes-vous là ? », demande l’une des quatre dames très dignes assises autour d’une table, dont les petits doigts se touchent pour faire tourner celle-ci. Stupeur, c’est Jocko qui fait irruption par la fenêtre dans le costume exact du mari invoqué, dont le portrait est suspendu au mur. Jocko, c’est le petit singe de Jo et Zette.
UNE PAGE DE "JO ZETTE ET JOCKO" DE HERGE
(aucun rapport, mais c'est tout ce que j'ai)
Les deux vignettes, sans, puis avec le singe, figurent dans je ne sais plus quel album des « aventures de Jo, Zette et Jocko ». Je n’infère pas de cette histoire signée HERGÉ que l’esprit du canut s’est réincarné dans un corps de singe. Je ne me permettrais pas. Je veux juste parler de « L’Esprit canut » : je me demande s’il est possible de l’invoquer en faisant tourner les tables. Est-il possible de faire renaître l'esprit d'une population disparue, fût-ce sans faire tourner les tables ? Est-il possible de se servir d'un passé révolu pour agir sur un présent qui échappe ? Personnellement, j'en doute.
Alors, puisqu’on parle d’esprit canut, saviez-vous qu’on trouve, dans les collections du Musée des tissus à Lyon, un « Portrait tissé de FRANZ LISZT », fabriqué par la maison Carquillat (« satin de 8, 1 lat de liseré à plusieurs effets ») autour des années 1830 ? Saviez-vous que le musicien a composé une œuvre pour piano intitulée Lyon et pourquoi ? Oui, il ne faut pas confondre : d’une part le concert donné dans la ville par LISZT, d’autre part l’étonnant hommage du musicien aux canuts.
FRANZ LISZT
D’abord le concert. C’est un journaliste du Ménestrel de l’époque qui rapporte l’histoire. Attention, c’est un morceau qui vaut son pesant : « Pour se faire une idée de l’accueil de LISZT à Lyon, il faut reporter ses souvenirs [moi je veux bien !] vers ALEXANDRE LE GRAND et son entrée à Babylone [rien de moins]. A peine les autorités lyonnaises eurent-elles appris que FRANZ LISZT s’avançait vers la ville qu’une députation de notables et 5.000 canuts s’avancèrent à sa rencontre.
» Des arcs de triomphe étaient construits de distance en distance. Une triple rangée de jeunes filles vêtues de blanc et couronnées de roses formait la haie sur toute la route. Dès le matin du jour fixé pour son premier concert, les cloches de Lyon sonnèrent à toute volée. Les fabriques chômèrent. Les boutiques restèrent fermées ».
Bref, si ce n’était pas dieu le père, c’était son adjoint qui descendait dans la cité. Ce n’était pas non plus dieu-le-maire, GERARD COLLOMB qui, à l’époque, n’était pas encore « grand-maire » : les vrais événements étaient fêtés dignement, avec la pompe congruente et la ferveur appropriée.
L’hommage aux canuts, à présent. Si FRANZ LISZT a composé cette pièce pour piano intitulée Lyon, c’est que, proche alors des idées de l’abbé FELICITÉ DE LAMENNAIS, apôtre du catholicisme social, il tenait à rendre un hommage appuyé au combat opiniâtre des « CANUTS » (la révolte de 1831, ou celle de 1834) pour leur dignité et la juste rémunération de leur travail, combat auquel le musicien était très sensible. C’était peut-être aussi une façon de remercier les canuts pour la qualité de leur accueil.
L'ANTRE DU CANUT
(notez à gauche la soupente pour dormir et l'échelle pour y accéder)
Certes, Lyon n’est qu’un tout petit caillou dans la muraille de Chine de l’œuvre de LISZT. Un caillou confidentiel, minime et quasi-secret. Mais l’œuvre existe. On en trouve une version par LESLIE HOWARD (disque Hypérion CDA 66601/2). Des voix plus autorisées que la mienne y voient comme une préfiguration de la scène finale de La Walkyrie à cause de la puissance orchestrale déployée. L’œuvre est dédiée à LAMENNAIS.
FÉLICITÉ DE LAMENNAIS
Retenons de cette anecdote, simplement, qu’un très grand homme s’est incliné, en passant à Lyon, devant les symboles de la résistance et de la fierté du labeur ouvrier. Le Canut n’a-t-il pas brodé sur son drapeau :
« Vivre en travaillant ou mourir en combattant » ?
Des symboles toujours vivants, puisque les « Lejaby », qui viennent de se faire virer comme des malpropres à l’occasion d’une « restructuration », ont manifesté le 17 janvier dans l’illustre Cour des Voraces, dont elles ont occupé fugitivement l’illustre et spectaculaire escalier (photo dans Le Monde daté 20 janvier).
LA COUR DES VORACES
(SANS LES LEJABY)
« Il faut imaginer Sisyphe heureux », disait ALBERT CAMUS. Ben oui, c'est ça, la Croix-Rousse des Canuts. Monter, descendre, monter, descendre, et on recommence.
Voilà ce que je dis, moi.
Pour "L'Esprit Canut", désolé, j'ai vraiment essayé de me refréner, si si, mais il va falloir attendre que demain soit là.
09:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : esprit canut, lyon, croix-rousse, tissage, tisseurs, canuts, jo zette et jocko, hergé, franz liszt, musique, ouvriers, lamennais, révolte, le monde
mercredi, 28 décembre 2011
LA GRANDE MUSIQUE ET LES TOUT PETITS
La Grande musique et les tout petits est un titre. Celui d’un petit manuel de format 16 x 24 d’initiation musicale à couverture bleue, ornée d'un dessin édifiant : un monsieur en costume sévère et à calvitie respectable est assis à un piano à queue ouvert. Il est entouré de quatre petits enfants assis, un petite fille est debout.
Ils le fixent avec un attention dévote. Le sous-titre ? "Commentaire sur les grandes oeuvres de musique classique et moderne enregistrées sur disque." L'ouvrage, agrafé dans l'épaisseur, est édité aux "Editions du cep beaujolais", ce qui n'est pas un mince clin d'œil.
Une main enfantine l'a par ailleurs constellé d'exécrables dessins à l'encre lorsqu'elle avait l'âge du préadolescent normal que j'étais, pas tout à fait pubère, mais modèle accompli du crétin clinique, souillant de droites et de courbes médiocres les divers supports de papier que lui offrait le matériel scolaire à sa disposition. Vous avez évidemment compris que j'étais ce crétin.
Les têtes humaines de profil ressemblent furieusement à des casseroles, auquelles le nez tiendrait lieu de manche. Allusion subtile, sans doute, à la matière musicale qu'enseignait l’auteur du manuel et professeur, monsieur Hurter (tout le monde connaît la « Sonnette pour casserole et violon sale » de Ladislas Hégésippe Adhémar Loutrel. Il (Hurter) fut mon professeur de musique de la sixième à la troisième. Il faisait acheter son bouquin par tous les élèves, ce qui lui assurait une sorte de rente (modeste).
J’ai beaucoup plaint son fils, qui était dans notre classe, rien qu’à cause de la façon coupante dont il appelait le nom : « Hurter », pour le faire venir au tableau : « Viens me réciter ta leçon ! ». Personne n’aurait osé broncher, bavarder ou péter pendant son cours. pas comme les veinards qui avaient monsieur Zaëh. Alors là, c’était la fête ! Cela ne gênait personne, car déjà à cette époque, les salles de musique tendaient à être confinées dans les derniers étages des établissements scolaires. A cause du bruit, j'imagine.
Il faut cependant tresser un couronne de laurier à monsieur Hurter. Car c’est chez lui que j’ai découvert que j’avais l’oreille musicale : j’avais presque toujours 20 / 20 aux dictées de notes. Pourquoi n’ai-je pas insisté ? Pourquoi ne suis-je pas devenu musicien ? Vous vous en foutez ? Eh bien je vais vous le dire quand même. Franchement, je me demande si la musique aurait tenu dans ma vie la place qu’elle a tenue – une place finalement impressionnante et inexplicable – si j’en avais fait ma profession.
Et puis on me dira ce qu’on voudra, mais le solfège, ça m’est toujours resté rédhibitoire. La définition de "rédhibitoire" ? « Arête de poisson virtuelle restée en travers de la gorge » (définition proposée à l'Académie, qui n'en a pas voulu, allez savoir pourquoi). Méthode lourde ou méthode « ludique », le solfège reste lourd. Même lourdingue. Ou alors c’est moi qui ne le suis pas assez pour lui, je ne sais pas. Au fond, ce qui me chagrine dans le solfège, c’est peut-être ce qui me chagrine dans tout ce qui se présente comme théorie : précisément la théorie.
Comme je ne suis pas devenu musicien, je me suis contenté du titre de mélomane. Encore aujourd’hui, ça me frustre, comme bien vous pensez, mais que voulez-vous ? L’avantage que j’y ai trouvé, c’est que je suis né dans un temps où une foule d’objets techniques se sont mis à pleuvoir sur le monde, pour satisfaire les « besoins » des « consommateurs ». Je veux parler de la radio et de l’électrophone. Oui, j'avoue : je suis un enfant des débuts de la consommation musicale régnante.
J’ai déjà parlé du supplice que, vers l’âge de huit ans, je faisais subir à ma grand-mère – qui le supportait stoïquement – quand je passais des dizaines de fois sur le vieux Teppaz rouge et blanc, enfin une certaine sorte de « blanc », l’ouverture de Tannhäuser, de Richard Wagner, et l’Etude opus 25 n° 11 de Frédéric Chopin.
Le Teppaz logeait dans le placard à portes coulissantes du couloir à gauche au fond, en face du « coffre à papier », au 39, cours de la Liberté, au troisième étage, l’entrée juste à droite de la pâtisserie Bonnat, aux sublimissimes cônes en chocolat et aux superbes sphinx familiaux.
L’entrée a gardé jusqu’à sa récente rénovation la plaque devenue noirâtre où était gravé « sonnette de nuit », avec un bouton pour les urgences adressées au médecin, au même étage que l’électrophone. Je n’ai jamais su si le docteur Frédéric Paliard avait été souvent dérangé par cette sonnette. Et quand j’ai voulu dévisser la plaque, en souvenir, il était trop tard : elle avait disparu sous les coups de la rénovation.
Le téléphone du 39, cours de la Liberté était « Moncey 17 25 », pour vous dire quelle époque c’était. Chaque quartier avait son central téléphonique. Là, il était rue Moncey (MO, sur le cadran, ça faisait 60). Il y en avait un autre rue Burdeau (BU = 28). Il fut un temps où c’était même un progrès par rapport à l'époque précédente, quasiment paléontologique.
Pensez donc, au Mont-Joly, grande maison des Echarmeaux, une boîte en bois verni était fixée au mur. Sur le côté droit, une toute petite manivelle. A gauche, un drôle de cornet noir pendu à un crochet. En façade, une sorte d’entonnoir noir (ben oui !) vissé à la boîte.
J’étais si intrigué que je fis comme j’avais vu faire d’autres : je décrochai le cornet de gauche, je plaçai ma bouche devant l’entonnoir noir, puis je tournai la manivelle. Ô merveille, ô stupeur, ô frayeur, une voix (la voix de celles qu'on appelait les opératrices, c'est de l'archéologie) se fit entendre dans le cornet. Inutile de dire que je le reposai dans l’instant.
On comprend par cette anecdote qu’une blague qui fit hurler de rire les foules des années 1950, « Le 22 à Asnières », de Fernand Raynaud, a aussi peu de chances d’être comprise des générations actuelles qu’elle l’aurait été de celles de 1870.
Je reviens à mes moutons. Nous eûmes longtemps à la maison un électrophone gris (la Guilde) avec un bras blanc large et lourd qui a dû massacrer les dizaines de pauvres disques que nous avons posés dessus. Comme tous les appareils de l’époque, celui-ci accueillait diverses vitesses de déroulement, 78, 45 ou 33 1/3 tours par minute.
Je me souviens même d’un engin qui comportait la vitesse de 16 tours / mn, sur lequel j’ai vu tourner un disque et un seul (qu’est-ce que c’était ?). C’était encore au 39, cours de la Liberté, sur la table de la cuisine. Si le format 16 tours a rapidement disparu corps et biens, j’imagine que les fabricants y avaient vu le meilleur moyen de perdre le maximum d’argent à cause du déséquilibre « investissement / bénéfice » induite par la durée excessive de musique dont il aurait fallu doter chaque face du microsillon.
Une pile de lourdes galettes noires 78 tours a atterri un jour à la maison. Elles étaient à peine protégées par une pochette en papier, découpée au centre pour permettre d’en lire l’étiquette. J’ai encore dans l’oreille quelques titres, parmi lesquels La Belle de Cadix, par Luis Mariano, mais celle-ci est trop célèbre.
Une chanson bien moins connue reste en effet gravée dans mon disque dur : Qu’il fait bon, chez vous, maître Pierre, peut-être chantée par Fernand Gignac. Une chanson populaire exaltant la vie des classes populaires, il y a longtemps. Un peu la même époque, tiens, que Les Grands boulevards, d’Yves Montand (« Je suis tourneur chez Citroën. J'peux pas m'payer des distractions tous les jours de la s'maine »).
L'histoire de "maître Pierre" ? Un gars de douze ans entre comme apprenti chez un meunier, il est heureux de son métier, tombe amoureux de la fille du patron, l’épouse, et pour finir, le meunier meurt, regretté, mais heureux que le moulin soit en de bonnes mains pour continuer à tourner « du Nord à la Bretagne ». Le tableau sans ombre d’une vie limpide et simple comme on n’en fait plus :
Hardi ! Hardi petit gars !
Bonnet sur l’œil, sourire aux lèvres !
Hardi ! Quand il a deux bras,
Un bon meunier ne s’arrête pas !
Je ne suis pas sûr que les bonnes gens qui considèrent ce genre de "variétés" comme désuètes aient bien compris le sens de l'évolution des choses depuis ce temps. Pour lequel je précise tout de suite que je n'éprouve aucune espèce de nostalgie.
Voilà ce que je dis, moi.
lundi, 26 décembre 2011
PARLONS DU GENERAL RENE CHAMBE
Le Général René Chambe n’a pas toujours été Général, mais il a toujours été Chambe. Pour tout dire, il est né avec Chambe noué autour du cou. Tare ou privilège, bavoir, plastron ou gilet pare-balles, le fait est là. Au fait, c’était peut-être tatoué sur la face intérieure de sa boîte crânienne. C’était en 1889. A Lyon, la ville aux « trois fleuves » : le Rhône, la Saône, le Beaujolais. Enfin, il faudrait plutôt dire : un fleuve, une rivière et un robinet. L’important, c’est que ça reste quelque chose de triple.
Car René Chambe eut du triple dans sa vocation : il a passé sa vie à voler, à chasser, à écrire. Ce pourrait être un condensé de son existence. Si l’on ajoute qu’il eut trois enfants, on aura presque tout dit. Presque, car ce furent trois filles. Il n’a jamais laissé paraître qu’il en fût déçu en quoi que ce soit. Au contraire. Mais il va de soi que le nom de la lignée s’interrompit de ce côté. Qu’on se rassure, son frère Joseph prit le relais pour assurer la tâche.
Il est vrai que la règle de transmission du nom a été tant soit peu bousculée dans des temps pas très anciens, pour remédier, s’il n’est pas trop tard, à la disparition inquiétante de la foule des patronymes français tombés en déshérence par l’épuisement ou la paresse génésique de certaines familles et le malthusianisme induit par la filiation patrilinéaire (après une phrase comme ça, j’ai envie de dire : « Vous avez vu le travail ? »). Pour le dire simplement : de nombreux noms de famille ont fini en queue de poisson. Ce n’est pas comme en Chine, où 4 patronymes trustent 80 % des individus, au bas mot un milliard de gens.
Pour ce qui est de la guerre, le Général René Chambe a fait plus que le nécessaire. Parti simple troufion dans la cavalerie, il a, comme on dit, « gravi les échelons » jusque tout en haut de l’échelle. Je dirai qu’à cet égard, il s’est comporté en véritable aristocrate républicain, si cette expression a un sens, et avec un panache personnel certain qui l’a conduit, dans la remontée de la botte italienne par les Alliés en 1944, à enlever ses barrettes de colonel pour faire le coup de feu avec la troupe.
René Michel Jules Joseph Chambe est « engagé volontaire » dans la « cavalerie légère » le 9 octobre 1908 avec le matricule 413. Il a alors dix-neuf ans. Son père est mort en 1902. Il avait alors treize ans. Il est incorporé au « 10ème Hussards » (Tarbes). Il est brigadier le 25 février 1909, sous-officier le 28 septembre 1910. Voici l’avis du commandant d’unité pour le 1er semestre 1911 : « Sous-officier intelligent, actif. A toujours montré dans son service le plus grand zèle et le meilleur esprit. D’une santé délicate au début, s’est maintenant beaucoup fortifié. Il a toujours fait preuve d’une grande énergie. S’est très bien comporté aux manœuvres de 1910 ».
Sur quoi le chef de bataillon conclut : « Très bon sous-officier. Intelligent, très zélé. Monte vigoureusement (ou rig-). Très bonne tenue. Peut faire un très bon officier ». Après l’école de Saumur, il est sous-lieutenant (= officier) et « dragon ».
Pour ce qui est du « républicain », il fut loyal, mais je ne suis pas trop sûr qu’il ait eu la fibre. Sa belle-sœur se vantait d’avoir fait partie des « Croix-de-Feu » du Colonel de La Roque (6 février 1934). Lui-même assista dans les années 1970, m’avait-on dit, à un rassemblement d’un groupe dénommé « Charles Martel », qui n’est pas précisément une organisation de gauche. Mais enfin, il y a aussi des républicains authentiques à droite.
Enfin, Altitudes (1935), un de ses romans, fut préfacé par Paul Chack, dont le signe particulier est d'avoir été exécuté à la Libération comme « collaborateur ». De lui, j'avais adoré la lecture de Ceux du Blocus (la guerre sous-marine en Adriatique), et de quelques autres. Inutile de dire qu'Altitudes fut réédité en 1947 sans la préface. René Chambe n’est donc pas de gauche, ce n’est rien de le dire. En revanche, comme patriote, il est rigoureusement irréprochable et absolument inattaquable. Je ne juge pas : c’est comme ça.
Chaque fois que sa patrie (on ne sait plus bien ce que c’est aujourd’hui) fut en guerre, il a bien payé de sa personne. A deux reprises. Et pas à l’arrière, mais « au front ». La « Grande Guerre », il la commence dans la cavalerie. Ou plutôt, il faudrait dire « cavalerie à pied », si j’en juge par quelques dessins (René Chambe dessinait fort bien) réalisés dans les tranchées. Ils sont datés, de sa propre main, de janvier 1915, « d’après nature », comme le mentionne l’artiste.
L’un montre le genou d’un cadavre allemand qui émerge de plus en plus d’un talus, à cause de la pluie, et que les hommes appellent Camembert. « Pourquoi Camembert, demande R. C. ? – Parce qu’il coule ! » Plaisanterie militaire typique. Au cours de mon service militaire, j’ai croisé un sergent Quin. Tous les appelés se sentaient obligés, en le nommant quand ils étaient entre eux, de dire : « Quin, dit Villebreu ». C’est ça, une plaisanterie militaire. Et je ne dirai pas un mot du « père cent », antique humour, si le militaire est capable d’humour.
Les autres dessins sont tout aussi gais, mais les cadavres représentés sont tous allemands ! L’un montre un espace de champ labouré limité par deux lignes de barbelés, au premier et à l’arrière-plan. Entre les deux, des cadavres face contre terre. Le crayon est d’une précision extraordinaire. C’est intitulé : « Croquis d’après nature, pris à 40 mètres des tranchées allemandes occupées par un régiment saxon (Infanterie N° 56) ».
Un troisième dessin laisse émerger, en haut de la paroi de la tranchée, une paire de solides brodequins militaires. On est toujours en janvier 1915. « Ces deux pieds vous frôlent le visage. Ils sont là depuis septembre. » Un homme répond à la question de R. C. (je reproduis scrupuleusement) : « C’est quand on a creusé les tranchées… Les Allemands tiraient... On avait pas le temps… Depuis … on a essayé de le sortir, mais il est vieux… "Ça tombait de partout". Alors on n’y touche pas. Et puis, "il ne sent pas" ». C’est du vécu. René Chambe a donc tâté des tranchées, c'est incontestable.
Dès que l’aviation de chasse se constitue, il se débrouille pour y être rattaché. C’est fait en 1915, à la M. S. (pour Morane-Saulnier, le fabricant des appareils) 12, au Commandant De Rose. Pour l’instant, seuls deux avions allemands ont été abattus, la « guerre aérienne » est très loin d’être d’actualité. Il y a sur la base de jeunes officiers et sous-officiers. L’avion comporte une place pour le pilote et une pour l’ « observateur », toujours armé d’une carabine. On ne sait jamais.
Les lecteurs de ce blog savent que je suis un amateur des « plus belles histoires de l’oncle Paul », qui paraissaient dans Spirou. Or voilà-t-il pas que dans le n° 1410, du 22 avril 1965, pour le cinquantième anniversaire de l’événement, l’ « oncle Paul » braque son lorgnon sur la M. S. 12 en général, et sur quelques membres de l’escadrille en particulier. Ils ont nom Navarre et Pelletier-Doisy, dit « Pivolo », pilotes, Chambe et ROBERT, observateurs armés.
Le 1er avril, René Chambe et Pelletier-Doisy décollent, mais rentrent bredouilles, tandis que le tandem Navarre-Robert a abattu un « Aviatik ». Ils ne se tiennent pas pour battus et décollent aux aurores le lendemain. René Chambe, à coups de carabine (chargeur de 4), va percer le réservoir de l’ « Albatros » qu’ils ont rencontré, couper un câble de commande, casser le tableau de bord. L'autre est obligé d'atterrir, et dans les lignes françaises !
Bref, c’est une victoire aérienne, la quatrième de cette guerre, qui lui vaut un peu plus tard la Légion d’Honneur (« a donné la mesure de son sang-froid et de son audace, etc … »). Une goutte d’eau dans cet océan du désastre européen et humain que fut la première guerre mondiale (voir quelques notes précédentes et mon blog « kontrepwazon », catégorie « monuments aux morts »).
L’écrivain René Chambe racontera cette époque dans quelques livres, dont l’intéressant Au temps des carabines. Il a aussi consacré un ouvrage à Guynemer, marqué par le ton épique et volontiers lyrique qu’il affectionne quand la bravoure et le panache du soldat français sont de la partie. Sous sa plume, les termes d’ « honneur », de « chevaleresque » tombent tout naturellement sur le papier. Un ton que certains trouveront aujourd’hui suranné, voire obsolète. On peut aussi lire avec intérêt Dans l’Enfer du ciel ou L’Escadron de Gironde. René Chambe sait raconter, je vous le garantis.
Voilà ce que je dis, moi.
Il y aura une suite.
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vendredi, 23 décembre 2011
SARKOZY DEGAINE SON ARMENIE
Allez ! C’est reparti. Mais qu’est-ce que c’est, cette fièvre qui les prend régulièrement, les politicards, qu’ils soient « uhèmpistes » ou « péhessistes », qu’ils dorment au palais Bourbon ou au palais du Luxembourg, qu’ils aient le pouvoir ou qu’ils veuillent le conquérir ? Encore un tour de cinglés ! De toute façon, pour moi, le Bourbon est un mauvais whisky (américain) et le Luxembourg, un paradis fiscal avec « Chambre de Compensation » (ça veut dire Clearstream) incorporée.
On avait déjà la répression des PROPOS sur quelques sujets (antisémitisme, sexisme, homophobie et autres « phobies »), sur lesquels on a voulu coudre la bouche des dizaines de millions d’individus qu’on appelle en général la « population », puisqu’on a abandonné le mot « peuple ». Rien que ça : réprimer des PAROLES, ça me fait déjà craindre le pire.
Eh bien qu’on se le dise, de même que monsieur GERARD COLLOMB a mis les Arméniens dans sa poche électorale en laissant installer un « monument commémoratif » (en fait, une dizaine de totems bizarres) au pied du clocher de la Charité, de même, le président NICOLAS SARKOZY, en vue de la présidentielle, est parti à la pêche aux voix arméniennes en leur accordant le vote d’une loi réprimant la négation de « tout » génocide en général (sous entendu : du génocide arménien en particulier).
Eh bien, je me répète, qu’on se le dise : si un candidat, quel qu’il soit, veut acheter ma voix, il va falloir qu’il donne une rallonge sévère au chiffre des picaillons. Ma voix est hors de prix, monsieur COLLOMB. Ma voix est au-dessus de vos moyens, monsieur SARKOZY. De toute façon, il est probable que vous n’avanceriez pas un centime dans cet investissement. C'est du fonds perdu.
Et vous avez raison : dans toutes les prochaines élections, vous êtes prévenus, ma voix restera dans ma gorge. J’ai cessé de faire joujou avec les petits papiers. Et je ne ferai aucun jeu de mots sur « urnes » et « burnes ». Ici, on est toujours d’une correction impeccable. On a sa dignité, que diable !
De quoi s’agit-il ? D’une course à pied. D’un sprint, pour être précis. C’est à qui arrivera le premier pour occuper le créneau. Le « Parti Socialiste » annonce il y a quelque temps qu’il fait mijoter une loi sur le sujet. SARKO bondit sur l'UMP : « Merde, on va se faire griller sur le génocide arménien. Vite une loi ! ». Ben elle est là, la loi. Dans le match SARKOZY-HOLLANDE, avantage à SARKOZY.
Vous avez vu le coup de main ? Chapeau l’artiste ! Remarquez, c'est une habitude à prendre : les faits divers ont bien servi de galops d'essai, au chapitre des lois-événements. Et ces cons de socialistes, qui voient le fromage arménien leur échapper, vous croyez qu’ils font la gueule ? Mais non ! Ils l’ont dans le baigneur ! Dans le dos ! Dans l’anus ! Dans ce que vous voudrez : piégés par SARKO, ils vont la voter, la loi, comme un seul clampin. Bien obligés ! C’est bien fait pour eux !
Est-ce que ça veut dire pour autant que les Arméniens ont tort ? Non évidemment. Le sol turc abrite en tout et pour tout 60.000 individus de cette … quoi ? Ethnie ? Langue ? Religion ? En 1900, ils étaient 2.000.000. Je signale en passant que 1915 et 1916 ont vu disparaître non seulement des Arméniens en pagaille, mais en gros toutes les minorités (Grecs, Juifs, …) qui occupaient une portion du territoire ottoman. Aujourd’hui, on appellerait ça « minorités visibles ».
Avec déportations vers Alep, micmacs avec les Russes, et tout un tas d’atrocités sur lesquelles les historiens sont bien documentés, les « Jeunes Turcs » ont construit leur nouvel Etat sur la « turquification » de la population. Je recommande les photos montrant des officiers turcs posant fièrement derrière leurs trophées : des rangées entières de têtes coupées. On n'est pas plus "raffiné". On ne disait pas encore « nettoyage ethnique ».
Et le MUSTAPHA KEMAL ATATURK des familles, qu’on nous sort en toute occasion du placard comme fondateur moderne et progressiste de l’Etat actuel, c’est bien lui qui obtient l’amnistie pour les massacreurs, si je ne me trompe. La Turquie qui réclame son fauteuil à la table européenne, c'est exactement l'héritière de ça, il faut le savoir. La Turquie actuelle est un pays depuis bien longtemps nettoyé des impuretés raciales. Déjà ça, ça me chiffonne la somnolence postprandiale.
Ce qui me retourne l’estomac et me badibulgue la comprenette, ces jours-ci, ce n’est donc pas un quelconque problème avec les Arméniens, mais avec les épiciers français qui font commerce de ce genre de marchandise, sous l’emballage de n’importe quel yaourt électoral.
Car la loi votée jeudi n’est pas la première du genre à instaurer un délit d’opinion, une infraction de parole, un crime de pensée. Il a d’abord été interdit de dire du mal des juifs. On a ajouté l’interdiction de soutenir que les juifs n’avaient pas subi une extermination. Sauf erreur de ma part, cette loi "mémorielle" ne dit rien des tziganes, des handicapés, des homosexuels morts à Auschwitz ou ailleurs.
Et comme, en tout, « il n’y a que le premier pas qui coûte », et qu’un bon politicard soigne correctement les cuisiniers qui le nourrissent, on a continué sur la lancée : il a été interdit de traiter les handicapés d’infirmes ; d’appeler « pédé » un homme qui préfère les hommes ; de tenir sur les femmes des propos jugés méprisants par les femmes ; sur les noirs des propos jugés infamants par les noirs ; sur la Lune des propos jugés diffamatoires par les Lunatiques ; sur les bébés éprouvette des propos jugés injurieux par les éprouvettes. Et tutti quanti !!!
NE PENSEZ PLUS, VOUS ÊTES CERNÉS. NOUS AURONS LES MOYENS DE VOUS FERMER LA GUEULE. RENDEZ-VOUS !
Il paraît que nous vivons en « démocratie ». MONTESQUIEU, pour que ce régime fût viable, exigeait que les citoyens fussent vertueux. On voit aujourd’hui ce qu’il en est. Si MONTESQUIEU est dans le vrai, la démocratie est bel et bien foutue. Mais prenons les choses et les hommes comme ils sont, de niveau moral moyen et variable. Et « faisons avec », comme on dit. La simple logique veut que, en même temps que les fous, les handicapés et les imparfaits, la démocratie laisse vivre les imbéciles, les crétins, les bas-de-plafond, bref, toutes les sortes de bêtes et de méchants.
Cette démocratie s’honore de les laisser vivre, mais aussi et surtout de les laisser s’exprimer. En démocratie, on n’a pas le droit d’interdire aux gens d’être cons. Oui, les cons en jouissent aussi, de la liberté d’expression. Et c’est normal que ce soient des conneries qui sortent de leur bouche. Aussi longtemps que ça reste des paroles.
Qu’est-ce que c’est, ces « démocrates » en peau de lapin qui se chargent de faire la police du langage et s’érigent en juges de ce qu’il est licite ou pas de dire et d’écrire ? De penser ?
Les juifs s’honoreraient de laisser dire des blagues, même très mauvaises, sur les juifs. Visiblement, ce n’est pas la voie que prend le CRIJF, sous la houlette de son président RICHARD PRASQUIER. Même chose pour les homosexuels, les femmes, les handicapés.
Même chose, aussi, pour les Arméniens : j'aimerais assez, et pour tout dire, je considèrerais comme tout à fait normal et compréhensible que les Arméniens vivant en France soient eux-mêmes gênés aux entournures par le coup de lèche-cul que les politicards français leur ont fait en l'occurrence. Il faudrait voir à qui le crime profite.
Je me rappelle une exécrable plaisanterie du clown alsacien ROGER SIFFER : « Quelle est la différence entre un fumier alsacien et un fumier lyonnais (le spectacle avait lieu à Lyon, évidemment) ? ». La réponse était, vous l'avez devinée : « C'est qu'en Alsace, les fumiers n'ont pas de plongeoir ! ». Ouarf ! On s'éclate !
Minorités de tous les pays, par pitié, laissez dire du mal de vous ! Plus vous laisserez dire, plus ça voudra dire que vous êtes fortes ! Minorités de tous les pays, montrez-vous supérieures à tous les calculs sordides. Le SACRÉ ne se décrète pas à coups de lois. Minorités de tous les pays, ne vous faites pas les flics de la parole et de la pensée. N'ajoutez pas votre pelletée de terre dans le trou où se trouve la démocratie.
Sinon, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Je suggère qu’on fasse une loi pour punir les blagues belges de vingt ans de prison. Ça vaudrait le coup, non ? Et châtier les mauvais qui s'en prennent aux rouquins (voir Egypte ancienne), aux unijambistes, aux sauteurs à la perche, aux automobilistes à contresens, aux réverbères à l'envers, aux sauts de puce. Je vous le demande : de quel droit se moquerait-on des sauts de puce (à la Sainte Luce, les jours rallongent d'un saut de puce) ?
Un cri monte des profondeurs (vous vous rappelez ce que vous chantiez à l'église : "de profundis clamavi ad te") : des lois pour punir, DES LOIS POUR PUNIR, DES LOIS POUR PUNIR. A croire que c'est le point culminant de l'avenir démocratique. Chaque « minorité » doit dire : « Toi, sale politicard que je méprise et qui te mets à mon service pour accéder à ton misérable petit poste de petit pouvoir, satisfais mes exigences forcément légitimes et réprime ceux qui m'humilient, et tu auras droit aux voix de mon groupuscule. Sinon, que la fièvre quarte et la vérole de la Vierge de Guadalupe te patafiolent, la paille en cul et le feu dedans ».
Car le plus rageant, dans cette évolution inexorable, c’est la raison pour laquelle elle est promue : la ligne bleue de l’élection prochaine, le Graal de politicards vulgaires qui font leur marché en trimbalant de client en client leur bouche en cœur, dégoulinante de « convictions fortes ». « Clientélisme » est un mot décidément trop gentil. Il faudrait des termes plus injurieux, plus proches de la vomissure et de l’étron. Des mots plus sales et plus puants.
Je me contenterai de traiter tous ces premiers de la classe qui se servent de nous pour leur servir de marmitons, de mitrons et de saute-ruisseau, de qualifier tous ces élèves doués qui ont choisi la carrière de vendeurs de vent d’un seul mot : MINABLES.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 27 novembre 2011
UNE INTRANSIGEANCE FROMAGERE
Les traditions familiales, nous dit-on sur un ton éploré, se perdent. La famille occidentale, nous dit-on, échoue désormais à transmettre les vraies valeurs. Celle que je présente aujourd’hui est mentionnée en 1896 dans une sorte de Bible du Croix-Roussien. L’auteur, de son vrai nom, se nommait CLAIR TISSEUR, et se faisait appeler NIZIER DU PUITSPELU par ses amis de l’Académie du Gourguillon, de haute et insigne renommée.
Il est connu pour avoir beaucoup écrit à propos de notre bonne ville, de ses pentes et de son plateau. Mais la Bible dont je parlais, vénérée, constamment et fidèlement rééditée, s’intitule Le Littré de la Grand’Côte. C’est un dictionnaire de patois, si l’on veut, mais c’est aussi un trésor de mémoire vivante, et non un lexique sec de termes plus ou moins folkloriques qu’il est bon de prononcer dans les soirées « en ville » pour se faire mousser.
Pour vous dire, à l’article « canut », NIZIER se désole qu’en 1894, il n’y avait plus que 3.000 « métiers à la main », pour 60.000 en 1842. Vous entendez d’ici le raffut qu’il n’y a plus sur les pentes et sur le plateau de la « colline qui travaille ». Cette dernière expression est assez mal venue, parce que, mine de rien, il y a encore une bonne partie qui, manifestement, « prie », dans les environs de Saint-Bruno-des-Chartreux, dans la partie sud-ouest de notre colline.
Pour revenir à ce Littré-là, il faut dire que l’auteur n’hésite pas à intervenir en personne, parfois en gros sabots, dans son ouvrage, éminemment savant au demeurant : « Je connaissais une aimable demoiselle en âge d’être mariée. Le père voulait d’un commis de ronde. Comme bien s’accorde, la mère n’en voulait pas. Elle entendait d’un employé à la recette générale. « Je ne veux pas qu’Aspasie épouse un cul-de-plomb ! », s’écriait le père avec véhémence.
» Comme bien s’accorde, Aspasie écoutait à la porte. (…) On l’appela. Comme bien s’accorde encore, la mère l’avait emporté. Aux premiers mots, l’infortunée jeune fille tombe à genoux en sanglotant : « O maman… an… an !… je t’en supplie ! Pas un homme qui en ait un en plomb… omb…omb !... ». Je vous laisse deviner à quel article figure l’anecdote.
NIZIER aime bien les jeunes promises, apparemment. En témoigne l’anecdote suivante, qu’on trouve à l’article « navet » : « Une demoiselle de ma connaissance devait se marier [c’était peut-être la même]. Son prétendu était venu déjeuner à la campagne chez le futur beau-père. Or, parmi les plats se trouvaient des navets.
» Après déjeuner, on s’éparpille sur la terrasse. La jeune fille eut à monter au premier. En montant, elle se soulageait gaillardement en faisant à chaque marche : « Un navet : brrr ! Deux navets : brrr ! Trois navets : brrr ! ». Quand ce vint au quatrième navet, en tournant le palier, elle aperçoit le prétendu derrière elle. « Eh quoi, Monsieur, lui fit-elle, vous étiez là ! – Oui, Mademoiselle, depuis le premier navet !!! ».
Mais je ne vais pas vous débiter tout le Littré de la Grand’Côte. Il y a des éditions pas chères. Ce que je peux vous dire, c’est que c’est bourré de notations, d’images, d’histoires, de considérations parfois ironiques ou narquoises, qui lui font mériter le titre malicieux que NIZIER a donné à son ouvrage. J’étais parti sur la transmission des traditions familiales, c’est-à-dire sur une piste sacrée, n’est-ce pas.
Franchement, je ne sais pas si la recette du FROMAGE FORT fait toujours partie d’un patrimoine familial. Je me souviens en avoir mangé, étalé sur une tranche de pain, quand je n’étais pas très vieux. Je me souviens en particulier que c’est la première fois de ma vie que j’ai cru qu’on m’arrachait la gueule, tellement c’était fort. J’en ai goûté plus tard, qui était beaucoup plus … disons … courtois. Voici la recette, sans une coupure.
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Fromage fort. C’est un fromage à l’état pâteux, de goût très monté. « J’ai teté jusqu’à trois ans de lait qu’était épais comme de fromage fort », me disait un jour un Hercule à la vogue de la Croix-Rousse. Ce fromage n’étant pas d’usance à la maison, je me suis adressé, pour en avoir la recette, à mon excellent ami CLAUDIUS PORTHOS, qu’à cause de sa stature, comparable à celle d’Ajax, et de ses muscles puissants, nous avons surnommé « le Rempart de la Croix-Rousse ». Je ne saurais mieux faire que de transcrire sa réponse ; elle est d’un homme congruent en la matière.
« Il y a fromage fort et fromage fort. Celui de la Bresse et du Dauphiné est assez primitif. On prend du fromage de vache qu’on a fait préalablement sécher entre deux linges sur la braise ; on le met dans un pot de terre, et on le broie en le mouillant avec du bouillon de porreau, plus ou moins assaisonné de beurre frais. On le recroît en ajoutant du fromage et du bouillon. C’est l’enfance de l’art. Voici le vrai fromage fort de la Croix-Rousse :
« On achète une livre ou deux de fromage bleu bien fait ; on enlève la croûte et on le met dans un pot de terre. Il faut vous dire qu’il est important de prendre du fromage gras, dépourvu de vesons, qu’à l’Académie française ils appellent des asticots. Non que l’asticot soit à dédaigner par lui-même, mais comme celui-ci périt nécessairement dans le fromage fort, étouffé par les vapeurs de la fermentation, il devient peu ragoûtant.
Ce n’est plus l’asticot aux tons d’ivoire, bien en chair, appétissant, qui gigaude sur l’assiette, et qu’on savoure avec délices, mais une espèce de pelure grisâtre : ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, dont parle Bossuet. Le fromage bleu est alors arrosé de vin blanc sec et bien pitrogné avec une cuillère de bois.
Lorsque la pâte est à point, on râpe du fromage de chèvre bien sec avec une râpoire, et l’on ajoute au levain jusqu’à ce que le pot soit à peu près plein. On continue de mouiller avec le vin blanc… Le fromage fort est fait !
« On le recroît, à mesure que le pot se vide, toujours avec du fromage de chèvre râpé et du vin blanc sec. De temps en temps, lorsqu’on s’aperçoit qu’il devient moins gras, on verse dessus un bol de beurre frais qu’on a fait liquéfier au four.
« Première remarque importante : Ne jamais mouiller le fromage avec du bouillon, ce qui lui donne un goût d’aigre.
« Deuxième remarque importante : Brasser tous les jours le fromage avec une cuillère de bois.
« Un grand pot ainsi préparé et entretenu convenablement dure depuis l’automne jusqu’à l’été.
« Vous le voyez, un pot de fromage fort, bien réussi, vaut seul un long poème. Aussi une ménagère soucieuse n’oublie-t-elle jamais, au printemps, d’en conserver un petit pot pour l’hiver suivant. Elle remplit celui-là aux trois quarts, fait fondre une livre de beurre, et le verse presque froid sur le fromage. Elle descend ensuite le pot à la cave.
Cette couche épaisse de beurre fondu est placée là à seule fin d’empêcher l’air extérieur de petafiner le fromage fort. On entretient ainsi le ferment sacré avec une piété jalouse qui rappelle celle des prêtresses de l’antiquité conservant le feu sur l’hôtel [sic !!! dans l’édition originale, corrigée ensuite, mais ce genre de trouvaille, il faut conserver] de Vesta.
Je connais une famille à Fleurieu-sur-Saône, où le fromage fort est conservé depuis 1744. Lorsqu’une fille se marie, elle reçoit avec la couronne de fleurs d’oranger le pot précieux qu’elle transmet à ses enfants. Si, dans beaucoup de familles, le fromage fort ne remonte pas même à un siècle, il faut l’attribuer aux horreurs de 93, qui firent tout négliger. »
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Cette recette détaillée vous montre combien NIZIER DU PUITSPELU eut à cœur d’être précis et complet, quand l’importance de la situation se faisait sentir.
Voilà ce que je dis, moi.
09:04 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nizier du puitspelu, littré de la grand-côte, lyon, croix-rousse, clair tisseur, gourguillon, canut, fromage fort