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vendredi, 20 mai 2011

ARCHITECTURE : HITLER A GAGNE

Il faudra bien qu’un jour on cesse de faire de Staline et Hitler des épouvantails, des incarnations d’un Mal définitivement enterré à des années-lumière de notre monde si heureusement né au chef d’œuvre qu’est la démocratie, dans l’histoire des sociétés humaines. Il faudra cesser de mettre les deux grands totalitarismes du 20ème siècle dans des parenthèses, comme des parois étanches qui en font des sortes d’exceptions historiques, des espèces de dérapages du flux normal de la grande Histoire : finalement des erreurs. Non :  Staline et Hitler ne sont ni des dérapages, ni des exceptions, ni des erreurs. Ils sont l’expression, la conclusion logique, l’aboutissement « normal » d’un système né avec l’Europe industrielle (ça fait 150 ans, ou à peu près).

 

Qu’ils en aient été de sinistres caricatures ne change rien : Staline découle en pire du terrorisme d’Etat mis en place par Lénine (après tout, il a commencé sa carrière en attaquant des banques avec la bande qu’il dirigeait) ; Hitler découle en pire des traités qui ont suivi la guerre de 1914-1918 et des errements de la République de Weimar. Alors, c’est vrai : les doctrines de l’un et de l’autre, dûment condamnées, sont enfermées dans les placards, dans les caves et dans les archives. Mais elles ne sont pas restées sans postérité, sans descendants, sans héritiers dans notre monde très moderne, très actuel, pour tout dire. Le monde que nous héritons du passé doit aujourd'hui beaucoup à Staline et Hitler, comme j’ai essayé de le montrer pour l’eugénisme dans ma note du 12 mai dernier.

 

Pour voir si je ne délire pas, je me tourne vers un témoin irréfutable : Albert Speer, l’architecte de HITLER, son seul confident, paraît-il. Evidemment inscrit au Parti nazi, dont il devient rapidement l’architecte en chef, il a une conception de l’architecture qui épouse étroitement les visions du Führer, mais celui-ci va y insuffler toute l’ampleur de sa démesure. Et c’est quoi sa conception ? Par exemple, il invente « la valeur des ruines » : dans 1000 ans, il faudra que les ruines laissées soient aussi belles que celles, visibles aujourd’hui, de l'antiquité grecque. Dans leurs cartons, qu’est-ce qu’ils ont comme projets, les deux complices ? Le Reichstag, paraît-il (cf. Wikipédia), une coupole treize fois plus haute que Saint Pierre de Rome (131 mètres, ça nous porte à 1703 mètres : étrange). L’arche triomphale aurait pu contenir dans son ouverture l’Arc de Triomphe de l’Etoile (49,54 mètres). Pour le futur stade des « jeux aryens » à Nuremberg (après suppression des Jeux Olympiques), 400.000 places prévues. Bref, l'architecture nazi, c’est de l’impérial, du monumental, du triomphal de masse. Bref : surenchère, démesure, volonté de puissance (tiens tiens !).

 

Il faut dire que Mussolini a tenté de rivaliser avec Hitler, mais il n’avait pas les moyens. Consolons-le en lui répétant, sur son bulletin scolaire, que l’intention y était : « Bien, mais doit mieux faire, s’il veut accéder à la plus haute marche ». Côté Staline, c’est pas mieux, à voir les palais soviétiques, la magnifique Loubianka, à Moscou, vous savez, le palais du KGB de sinistre mémoire, remplacé par le moderne et riant FSB, et diverses autres grandioses réalisations dans les « démocraties populaires ». J’ai vu de mes yeux, en 1990, ce que Ceaucescu avait prévu de construire en plein Bucarest : un immeuble-ville, après avoir détruit sans sourciller quelques dizaines d’églises, dont certaines du 18ème siècle. Dans le même temps, il projetait de rassembler la population roumaine dans quelques dizaines de méga-villes, pour restituer à l’agriculture toute la surface disponible, moyennant la destruction pure et simple de quelque 5000 villages. Quand je me tue à vous dire que Hitler, il est pas mort. Est-ce que le gouvernement roumain d’aujourd’hui, forcément démocratique, on vous dit, sait désormais quoi faire de ce machin (je ne vois pas d’autre terme) ?

 

Mais du côté de chez nous, les pays « libres», comme toute le monde dit, qu’est-ce qu’on voit, éberlué ? Qu’est-ce que c’est, l’Empire State Building ? Qu’est-ce que c’est, les tours de Kuala Lumpur ? Burj Khalifa à Dubaï (828 mètres) ? Le stade de Maracaña ? Qu’est-ce que c’est, le plus grand pont du monde ? Le plus gigantesque barrage du monde (en Chine : le « Trois gorges ») ? Le tunnel le plus long du monde (en Suisse : le « Gothard »)? Etc., etc., on n’en finirait pas. Bon, vous avez compris : surenchère, démesure, volonté de puissance. Quand je vous disais que Staline et Hitler ne furent que l’expression caricaturale d’un système industriel voué par nature au gigantisme et à la compétition illimitée du gigantisme !

 

Je vais aggraver notre cas, à nous autres, les sociétés « démocratiques », qui se donnent en spectacle désirable à « toutes les dictatures antédiluviennes » (qu’on se demande comment elles ont pu se perpétuer). C’est à propos d’une autre trouvaille architecturale, vous savez, celle qui, moyennant finance, vous permet de gagner la Côte d’Azur le plus rapidement (sauf en cas de bouchon, d’accident ou de chute de neige un peu imprévue). Allez, lecteur, ne te fais pas plus bête que tu n’es. C’est évidemment l'autoroute. Tu sais, estimable lecteur, de quand ça date, l’autoroute ? De 1924 (77 kilomètres entre Milan et la région des lacs). Et tu ne devineras jamais où ça a été inventé ? Allez, je te le dis : Italie. Et qui est au pouvoir ? Mussolini. Et qui va se mettre à en fabriquer à n’en plus finir ? Adolf Hitler. Et à quoi ça devait servir prioritairement ? Acheminer les armées, les camions, les blindés, les canons, les chars. Evidemment, aujourd’hui, plus personne ne se pose la question : l’autoroute, c’est tellement plus pratique (tiens, c’est comme l’ordinateur, l’internet, le téléphone portable, la musique portable, etc.). L’autoroute, on l’emprunte (et on la rend à la sortie).

 

Moralité ? Toute le monde a compris : l'architecture et l'autoroute, qui structurent de fond en comble l’espace et le territoire de nos si désirables démocraties, nous ont été léguées par Hitler.

 

L’excellent Philippe Muray (y avait longtemps…) parle quelque part des fameuses tours du World Trade Center. Il parle, à leur propos de cataclysme architectural. Je trouve que c’est bien vu. Mais si l’on va par là, il faut bien dire que la tour Eiffel s’inscrit dans la lignée, au chapitre de l’archéologie des cataclysmes architecturaux (tour qui, au passage, a été prolongée « ad vitam aeternam » en 1909, année prévue de sa démolition, quand ce sont des militaires qui se sont rendu compte qu’elle pouvait rendre d’éminents services). La Tour Eiffel inaugure l’ère des exploits architecturaux. Ils ne cesseront plus. Je passe sur les projets que Le Corbusier, heureusement, n’a pas eu le temps ou l’occasion de concrétiser, restés à l’état de dessins : Paris rasé, sauf les monuments touristiques, pour dégager l’espace et y construire de gigantesques tours pour y mettre les masses ; Rio de Janeiro réduit à un gigantesque immeuble continu (sur des kilomètres), avec, évidemment, l’autoroute passant sur le toit.

 

Surenchère, démesure, volonté de puissance. Vous vous rappelez la devise si sublime des Jeux olympiques ? « Citius, Altius, Fortius ». Je n’ai même pas besoin de traduire, je pense ? Ce que nous condamnons aujourd’hui dans les camps de concentration, c’est l’espace même dans lequel nous vivons. Un espace concentrationnaire. La seule différence, c’est que pour nous, c’est payant.

 

Staline et Hitler sont les paroxysmes de la civilisation industrielle. Nous en sommes les continuateurs. Les héritiers, en quelque sorte. 

 

Alors, vous croyez toujours qu’ils sont des aberrations de l'histoire ? 

jeudi, 19 mai 2011

A TRES BONNE ECOLE (LA VRAIE ?)

FORMATONS INITIAL OU FORMATONS CONTINU ?

 

Je veux ici dénoncer l’injustice profonde dont sont victimes les hommes, dans cette société, paraît-il, égalitaire.

 

Nous les hommes n’avons pas assez l’idée de mettre le nez dans ce qu’il est convenu d’appeler la presse féminine. C’est un tort. Il m’est arrivé d’acheter, de loin en loin, quelques revues du genre Jeune et jolie, avec l’idée de me faire une idée de ce qu’avaient dans la tête les jeunes personnes auxquelles j’avais à faire. Je ne me rappelle pas tout, loin de là : ce serait trop me demander. La revue doit s’adresser à des filles de douze à quatorze ans, je ne suis pas spécialiste du ciblage marketing. Je n’ai pas été déçu du voyage. J’ai retenu, entre autres joyeusetés « modernes », des conseils pour, par exemple, se raser le pubis de façon à laisser des poils en forme de point d’interrogation, et teindre les poils restants dans un beau rouge profond (ou éclatant : ça dépend des goûts). La revue proposait aussi, dans un autre numéro, aux filles qui désiraient essayer,  une recette pour se faire sodomiser sans douleur (je jure que c’est vrai : j’imagine que c’était en direction des jeunes maghrébines, plus sourcilleuses peut-être sur la question de la virginité jusqu’au mariage).

 

Vous savez à quoi je compare toutes ces revues ? Vous ne devinerez jamais : à des  « établissements privés d’enseignement secondaire, chargés de la formation initiale ». Il faut absolument considérer Jeune et jolie comme un collège. Mais un collège aux dimensions nationales, bien sûr. Dans l’ensemble, strictement rien n’est omis de ce qu’une fille d’aujourd’hui doit savoir : il s’agit d’une véritable formation initiale des filles pré-pubères et des adolescentes. Tout ce qu’il faut savoir pour vivre au quotidien est, mois après mois, minutieusement décrit, mettant ainsi la jeune lectrice en possession de tout le code, concernant les rapports entre garçons et filles, les rapports entre filles, le soin qu’il faut apporter à son aspect extérieur, et tout et tout. Comment la jeune fille a-t-elle vécu ses premières règles ? Que doit-elle penser des regards appuyés de ce garçon de la classe qui ne lui adresse jamais la parole ? Accessoirement, quels produits doit-elle acheter pour s’enduire le visage avant de partir pour le collège ? Doit-elle opter pour le transparent quand elle va en soirée ? Bref : qu’est-ce qui l’attend, dans le monde où elle vit ? De tels « collèges » pullulent. L’offre d’enseignement est surabondante, et les revues, comme on dit dans le domaine politique, « se tirent la bourre ». Mais l’offre existerait-elle sans la demande complémentaire ?

 

Les femmes, de leur côté, font face à une offre encore plus variée et nombreuse, en matière de tels « établissements d’enseignement en formation continue ». La longueur des rayons consacrés à la presse féminine : vous avez déjà vu, forcément. Je n’insiste pas. Les hommes ne lisent pas assez les revues féminines, ou alors feuillettent distraitement, dans les salles d’attente, l’œil vaguement allumé, les pages consacrées aux dessous affriolants de l’année prochaine, aux maillots de bain qu’il faudra absolument porter, parce qu’on y voit, en quadrichromie, un peu de peau lisse et soyeuse et des formes, intéressantes du fait de leur jeunesse, rarement une vraie  chatte, rarement une vraie fesse. Mais il faut lire le reste, les conseils, les portraits en quizz (quelle cuisinière, quelle amie, quelle bricoleuse, quelle amoureuse, quelle bête de sexe êtes-vous ? Cochez la case.), les articles « de fond » (si !), si l’on veut espérer approcher, un tout petit peu, ce que les femmes, aujourd’hui, ont dans la tête : dans quelle sorte d’univers intérieur elles évoluent. Pas toutes, évidemment. Mais enfin, cela dessine un ensemble, disons pour parler lourd, de « repères culturels » que toutes sont amenées à côtoyer, même si elles n’y sont pas immergées. C’est ce que le Ministère de l’Education Nationale appelle la formation continue.

 

Mais les hommes, qu’est-ce qu’ils ont, sans même parler de formation continue, oui : qu’est-ce qu’ils ont comme revues, en matière de formation initiale ? Petits, ils ont lu, éventuellement, les publications de Fleurus ou de Bayard presse (Je Bouquine), résolument unisexes, c’est-à-dire non sexuées, encore perdues dans les limbes de l’innocence de l’enfance (c’est la même chose pour les filles). Un peu plus grands, ils vont peut-être s’intéresser aux arts picturaux (les revues consacrées aux tagueurs et grapheurs), aux sports (revues sur le skate, les rollers et autres « sports de glisse », à la rigueur le football). Plus tard encore, on attaque les sports mécaniques (revues sur la bagnole, la moto). Mais je fais remarquer que toutes ces revues ne sont masculines qu’implicitement : aucune ne s’adresse explicitement au viril des garçons, mais à ce qu’ils sont supposés aimer à leur âge, jamais au sexe masculin, en tant que tel. Il n’y a pas de presse masculine.

 

Conclusion : la formation initiale des garçons est laissée, honteusement, à l’abandon. C’est un terrain totalement en déshérence. Et même arrivés à l’âge de la formation continue, qu’est-ce qu’ils trouveront ? Des revues « de charme » ? Certes, mais quel rapport avec cet énorme effort éditorial en direction de toutes les filles, de toutes les femmes, dans la formation, tant initiale que continue, où elles apprennent comment il faut être ? Comment il faut paraître ? Les revues destinées aux garçons, elles, leur apprennent à quoi ils doivent s'intéresser, quasiment pas à être. Il y a là quelque chose de profondément injuste et  inégalitaire : ils sont laissés, pour se former à ce qu’il faut savoir pour vivre en société, dans le brouillard du hasard, l’incertitude des rencontres, les aléas des groupes auxquels ils s’agrègent, disons-le en un mot : à l’improvisation.

 

Je pose la question : pourquoi, comme c’est fait largement pour les filles, n’ouvrirait-on pas des « établissements privés d’enseignement secondaire pour la formation initiale » destinés aux garçons ? Je veux parler de revues qui leur donneraient les clés : ça veut dire quoi, l’érection au réveil ? Qu’est-ce qu’elle veut, celle qui ne te regarde jamais, mais qui se débrouille pour n’être jamais loin de toi ? Comment fait-elle pour te voir sans jamais te regarder ? Bref : livrer quelques secrets au sujet de l’adversaire. Non : c’est vroum-vroum et pouët-pouët.  Et l’on s’étonne que les garçons soient un peu bêtes, quand les filles sont de véritables initiées, en comparaison. C'est simple : elles savent tout, grâce au collège qu'elles trouvent dans les maisons de la presse. Les garçons, c’est la grande faiblesse du ministère de l'enseignement en magasins de journaux.

 

mardi, 17 mai 2011

ON L'APPELLERAIT UNE MAFIA

Mazarine Pingeot, vous vous souvenez ? La fifille à papa Mitterrand. Est-ce  que celui-ci la gardait « sous le coude », pour la « sortir », comme certains l’ont affirmé, quand des malintentionnés ont voulu lui jeter dans les pattes son amitié compromettante avec René Bousquet, celui qui signa des « bons de déportation » vers les camps ? Ce serait pour éteindre l’incendie avant qu’il ait vraiment pris, magie-magie, qu’il aurait projeté sa fille en pleine lumière ? Bon, c’est vrai, les dates ne coïncident pas vraiment. Ce qui reste sûr, en tout cas, c’est ce dévoilement brusque d’un morceau de la vie en coulisse d’un homme politique très important : la fille secrète, la fille cachée.

  

« Secrète » ? « Cachée » ? Pas pour tout le monde. C’est sûr que le « bon peuple », sous-entendu les cons, n’était pas au courant. Pourquoi ? Parce que le « bon peuple », c’est le spectateur, c’est celui qui avale les salades que journaux, radios et télévisions débitent du haut de leur étal des quatre saisons, selon la règle : « Une salade chasse l’autre ». Mais mis à part le « bon peuple », c’est-à-dire la quasi-totalité de la population, c’est-à-dire tous ceux qui, au sens propre, ne comptent pas, mis à part les gogos, donc, tout le monde était au courant. « Tout le monde » ? Tu exagères, camarade blogueur. A peine : "tout le monde", ici, ça veut dire tous ceux dont le métier est de savoir, des diverses polices jusqu’aux hommes politiques (adversaires compris, notez bien !), en passant par les « passeurs » de l’information, c'est-à-dire l’ensemble de la profession journalistique.

 

Quelles pressions a subies Jean-Edern Hallier, quand il a décidé, déguisé en bourgeois de Calais avec la corde au cou, de brûler, sur un trottoir, un manuscrit dans lequel, probablement, il éventait le secret de François Mitterrand ? On n’en sait rien. Depuis, il est mort en faisant du vélo. Toujours est-il que l’affaire était connue dans toutes les rédactions. Mais jamais imprimée. Voilà l’exemple cru de ce qu’on appelle la connivence (synonyme de complicité) entre la « profession politique » et la « profession journalistique » (les guillemets ne signifient pas tout à fait la même chose dans les deux cas, parce que la politique n'est pas un métier, ou ne devrait pas être considérée comme tel par ceux qui s'y lancent, non plus que par le peuple, et que le simple (et vrai) métier de journaliste interdit théoriquement toute connivence).

 

Tous ces gens (je parle des chefs, grands ou moins grands, les petits étant appelés du doux nom de porte-flingue) fonctionnent selon le principe de la bande. Vous vous rappelez ce cycliste, dont j’ai oublié le nom (était-ce Christophe Bassons ?) qui a cafté, après le Tour de France 1998 (affaire Festina, Willy Voet, etc .) ? Vous vous rappelez Jacques Glassmann, dans l’affaire OM-VA, en 1993 ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Vous ne connaissez peut-être pas François Rufin (Les Petits soldats du journalisme, Ed. Les Arènes) : son livre était courageux, il a donc été « ostracisé ». A cause d’eux, ce qui se passait dans les cuisines du cyclisme, du football et de la presse était soudain mis sur la place publique. Comme si, au restaurant, un marmiton venait dire aux clients que le chef vénéré crachait dans sa sauce grand veneur pour lui donner la bonne consistance. Suivant le camp dans lequel on se trouve, ça s’appelle « dénonciation » ou « délation », bien que la limite soit floue.

 

Eh bien en politique, c’est exactement pareil, tout au moins en France où, dans les hautes sphères de la politique, de l’économie, du spectacle et des médias, ça se tutoie, ça passe ses vacances ensemble (Sarkozy-Clavier n’est qu’un minuscule exemple), ça dîne en ville, ça se pique les femmes, enfin j’en passe, et des meilleurs (comme disait Victor Hugo). Entre puissants, on se respecte. Et le refrain chanté jadis par Guy Béart est toujours d’actualité : « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». Et personne, qu’il soit dans la chiourme ou dans la valetaille médiatique, ne souhaite, d’une part se fermer le robinet à infos parce qu’il a « trahi la famille », d’autre part se suicider, c’est-à-dire être liquidé professionnellement (Alain Genestar, qui a dû se recaser, doit quand même se souvenir de ce qu’il a perdu dans l’affaire de la une de Match, avec la photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de son amant). C’est de l’ordre de « je te tiens, tu me tiens ». Bref : tu respectes l’omerta, ou tu es mort (symboliquement, quoique…). En Sicile, cela porte le doux nom de mafia : entre « hommes d’honneur » (c’est comme ça qu’ils s’appellent), il y a des choses qui ne se font pas. Cela s'appelle un système : ça doit être entièrement cohérent. Cela veut dire que l'étanchéité entre l'intérieur et l'extérieur doit être parfaite. C'est tout ou rien, comme dans une secte. Les Américains ont une formule pour ça : "Love it or leave it !" Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.

 

Tout ça pour arriver à Dominique Strauss-Kahn, c’est un peu long, n’est-ce pas ? Mais cette petite mise en perspective par le contexte et quelques éléments historiques était utile. Pour ce qui concerne Dominique Strauss-Kahn, il y a bien quelques bulles qui sont remontées du fond vaseux vers la surface, mais somme toute, la surface est restée lisse, même après l’affaire "Piroska Nagy" au F. M. I. Pour vous en faire une idée, je vous conseille la lecture de trois articles de presse, qui montrent que, si ça se met à parler, c’est bien que, jusque-là, ils la bouclaient. Il respectaient la règle.

 

Le premier, intitulé « L’étrange omerta des médias sur le cas DSK », est signé dans Le Monde (daté du 17 mai) par Christophe Deloire, auteur de Sexus politicus en 2006, où il consacre un chapitre à DSK, et qui eut, paraît-il, du succès, mais où les témoins restent anonymes. Le deuxième, intitulé « DSK et les femmes : un secret de Polichinelle », est signé Jean Quatremer dans Libération du 17 mai : il raconte avoir en 2007 publié sur son blog quelques lignes où il évoque le problème de Dominique Strauss-Kahn avec les femmes. Aussitôt, il reçoit un coup de fil de Ramzi Khiroun (vous savez, le « communicant de DSK », l’homme à la Porsche Panamera), qui lui demande de retirer son billet, sur le thème : "Tu ne vas pas nous faire ça !" (Il le tutoie alors qu'ils ne se sont jamais rencontrés). Refus. Il accepte à la rigueur de publier quelque chose pour expliquer le sens de sa démarche. Mais si l’internet reprend son blog, chez les collègues médiatiques : rien. Le troisième article passe dans Le Monde daté du 18 mai : Raphaëlle Bacqué remonte dans le passé pour montrer « Les Deux visages de DSK ». Compte-rendu honnête et somme toute bien écrit.

 

Avec ça, on a une idée un peu précise du personnage. Pour être franc, Dominique Strauss-Kahn, je me rappelais ses tribulations judiciaires (MNEF, Alfred Sirven, la cassette Méry), et je ne voyais pas bien ce qui pourrait différencier un tel homme de Sarkozy à la présidence (est-il possible d’être en même temps un homme d’argent (la suite d'hôtel à 3000 euros la nuit, voir Le Monde du 17 mai) et un homme de gauche ?). Mais il y a aussi, dans le numéro de Libération (17), en face du texte de Jean Quatremer, l’article que Patricia Tourancheau consacre à Tristane Banon, qui raconte aujourd’hui que DSK l’avait agressée en 2002 (elle avait 23 ans). Elle n’a pas déposé plainte. Cet article paraît aujourd’hui. Elle était jeune journaliste, justement, et interviewait DSK. Elle ne voulait pas se suicider professionnellement. C’est sûr que l’autre face de Dominique Strauss-Kahn, je n’en avais aucune idée. Et pour cause : personne ne m’en a parlé. Les organes de presse ont, dans leur ensemble et avec une belle unanimité, fait silence. C'est pour ça que, quand j'apprends la nouvelle de l'arrestation, j'en tombe sur le cul, sidéré, comme la presse du monde entier. Cela veut dire que l'omerta a fonctionné à merveille : la "famille" est très soudée. Les "hommes d'honneur" font corps.

 

Alors ils sont trois, jusqu’ici, à cracher le morceau, à « passer à table ». Mais d’abord, c’est bien tard, parce que ça prouve que tous adhèrent au système, tant qu’il n’y a pas d’ « accident », c'est-à-dire en temps normal, c’est-à-dire tout le temps. C’est aussi pour ça que ça fait événement. C’est pour le « bon peuple » qu’il y a un « coup de tonnerre ». Ensuite, tous ces braves gens qui, à l’occasion, se gargarisent en rigolant des diverses « théories du complot », est-ce que, pendant toutes ces années, ce n’est pas eux qui en ont fomenté un, de complot ? Est-ce que l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn ne fonctionnerait pas comme ce qu'on appelle le réel en psychanalyse ?

 

Cela me donne seulement envie de dire un gros "merde" à tous ces bonimenteurs indignes.

 

Ça, des journalistes ? Laissez-moi rire !

lundi, 16 mai 2011

VOUS AVEZ DIT PSYCHANALYSE ?

Quoi que puisse en dire le nouveau pape auto-proclamé de la philosophie Michel Onfray dans Le Crépuscule d’une idole (sous-titré « l’affabulation freudienne »), la théorie freudienne n’a pas disparu, submergée, paraît-il, par ses « affabulations ». En passant, de même que Nicolae Ceaucescu était de son vivant immortalisé dans la formule « Danube de la pensée », on pourrait surnommer Michel Onfray « Amazone de la philosophie », si j’en juge au débit du fleuve éditorial qu’il fait couler : wikipédia indique, depuis l’an 2000, pas moins de 49 titres d’ouvrages. Cet homme-là doit être quadrumane et insomniaque : il faut des mains au bout des bras et des jambes et travailler 24/24, 7/7.  Six titres en 2008, cinq titres en 2010 : Comment fait-il ? Ce n’est plus de la pensée. On appelle ça « logorrhée ». C’est une pathologie.  Mais revenons à Sigmund Freud.

 

L’effort d’Onfray pour abolir la psychanalyse est pathétique, et peut-être pathologique : je ne me prononce pas (enfin : presque pas). Il est sûr que Freud, avec la psychanalyse, aura réussi à contrarier, à emmerder le maximum de monde, et les tentatives d’annulation sont innombrables, indénombrables et insubmersibles. Aussi insubmersibles que la psychanalyse elle-même. Je me souviens du chapitre que le grand René Girard consacre au freudisme dans son grand ouvrage La Violence et le sacré (Grasset, 1972) : il estime que sa théorie du « désir mimétique » englobe et invalide celle du « complexe d’Œdipe ». Je n’entre pas ici dans le débat.

 

Ce qui m’intéresse, c’est l’incomparable succès, l’invraisemblable prospérité, l’inimaginable fortune accumulée par la théorie psychanalytique : je n’exagère pas. C’est une véritable caverne d'Ali Baba. Si un lecteur frotté de psychanalyse découvre cette affirmation, il doit déjà être en train de se tapoter la tempe droite avec l’index (s’il est droitier). Certes, il y a de l’argent, dans les circuits, tous « psys » confondus (y compris la saloperie importée d’Amérique qu’on appelle « cognitivo-comportementale », dont la principale finalité est de fonctionner comme les « camps de réadaptation » mis en place en Chine sous Mao, sauf que là, il faut, en plus, payer le tortionnaire), mais moins que dans la poche de Zinedine Zidane. Et puis surtout, la caverne est métaphorique et même involontaire. C’en est au point que Sigmund Freud lui-même n’aurait pour rien au monde voulu ça, s’il avait pu le prévoir (enfin j’espère).

 

C’est comme Pierre et Marie Curie : s’ils avaient pu prévoir quels usages seraient faits du « radium » et de la radioactivité, peut-être auraient-ils laissé en plan leurs travaux, un demi-siècle avant Hiroshima. S’ils avaient pu deviner les dégâts que causerait, du vivant même de Marie, un médicament comme le Radithor (on lit distinctement sur l’étiquette : « radioactive water »), ils auraient sans doute fermé leur laboratoire. C’est la même chose pour la psychanalyse : quel cerveau de psychanalyste malade, qu’il fût orthodoxe ou hétérodoxe, aurait pu imaginer que quelques piliers de la théorie serviraient un jour à la plus gigantesque entreprise de domestication des peuples ? J’exagère à peine, comme je vais essayer de le montrer.

 

On n’est jamais si bien trahi que par les siens, et personne n’est parfait : Sigmund Freud a un neveu, et plutôt deux fois qu’une, puisque fils de sa sœur et du frère de sa femme (une variante, sans doute, de la double peine). Freud épouse Martha Bernays. Monsieur Bernays épouse Anna, sœur de Freud. Naîtra de cette union, en 1891, le petit Edward, Eddy pour les intimes, qui portera donc, et pendant 103 ans, le nom d’Edward Bernays (il est mort en 1995 : y a de la veine que pour la canaille). Cela valait le coup de s’attarder un peu : vous allez voir. Je ne sais pas quand sa famille a émigré en Amérique. Toujours est-il qu’il a eu le génie d’organiser un drôle de mariage entre les Etats-Unis et la vieille Europe, un mariage d’une originalité inouïe, jugez plutôt.

 

D’un côté, la théorie révolutionnaire d’un Autrichien qui dévoile les petits secrets bien cachés de l’âme humaine (c’est de tonton Freud que je parle). De l’autre, l’industrieuse et industrielle Amérique, en plein processus d’invention de la future « société de consommation ». D’un côté, la découverte de l’inconscient, du subconscient, bref, des motivations secrètes des individus. De l’autre, la découverte du moyen le plus moderne de s’enrichir : produire en masse, donc vendre en masse. D’un côté, une connaissance qui ira en s’affinant et se perfectionnant sans cesse des ressorts secrets du psychisme. De l’autre, le besoin pressant des industriels de convaincre le plus de gens possible d’acheter toutes affaires cessantes les marchandises produites.

 

Edward Bernay est encore bien jeune quand il fait partie d’un groupe mis en place par le président américain, chargé de trouver les moyens de convaincre la population du bien-fondé d’une entrée des Etats-Unis dans la 1ère guerre mondiale. Très tôt donc, il est mis en face de la question : comment amener une masse de gens à changer d’avis sur des questions importantes ? Autrement dit : comment agir sur l’esprit et le comportement des hommes, sans que ceux-ci s’en rendent compte ? Dit encore autrement : comment manipuler les esprits ? Et il était malin, le bougre, et s’était fait une doctrine solide sur les masses, considérées comme incapables de penser, tout juste capables d’exprimer des pulsions. C’est là que les idées de son tonton vont lui être très utiles : pour agir sur les foules, il ne faut surtout pas s’adresser à la Raison, par un Discours. C’est peine perdue.

 

Bon, c’est vrai qu’il n’est pas tout seul à penser ainsi : Walter Lippmann, par exemple, qui se demande, on est dans les années 1920, comment « fabriquer du consentement » (manufacture of consent, en langue originale). Années 1920 : c’est dire combien tout cela a été mûrement, longuement réfléchi, mis au point dans les moindres détails, et combien le travail sur les effets attendus a été minutieusement conduit, longtemps avant Patrick Champagne (Faire l’opinion, 1990) qui, lui, se contente de « décrypter » les données d’une pratique (les sondages) qui s’est tellement banalisée qu’elle en a acquis la force de l’évidence. Alors que des gens comme Lippmann et Bernays, entre autres, ont établi les codes qui servent encore de base à tout ce qui travaille sur l’opinion.

 

Bref : l’idée est certainement dans l’air, comme on dit. Donc, il s’agit de s’adresser tout de suite à l’en-deçà de la conscience, qu’on appelle le « subconscient ». On ne va pas construire des raisonnements et des discours comme dans l’ancien temps (vous savez, les vieilles lunes de la rhétorique classique : « inventio, dispositio, elocutio »). On va montrer des images, des formes symboliques : c’est d’autant plus facile que les moyens de communication sont en train de faire un véritable bond technologique (les « médias de masse »). Par exemple, Bernays, qui travailla pour l’industrie de la cigarette, va utiliser le « symbole phallique » (merci tonton Freud) pour étendre l’usage de ladite cigarette à l’autre moitié de la population américaine, celle pour laquelle fumer était très vilain, autrement dit à ce « gisement inexploité », ce « marché potentiel » constitué par les femmes. Et ça marche ! A coups de défilés de jeunes et jolies fumeuses (« les torches de la liberté », selon la notice wikipédia) : la femme aussi est libre de se goudronner les poumons.

 

C’est donc ça, la publicité ? Oui : ni plus ni moins. Et ça marche. Et depuis toutes ces dizaines d’années. Public opinion de Walter Lippmann date de 1922. Edward Bernays publie son ouvrage principal en 1928, sous le titre Propaganda.  Propagande : le mot sert aujourd’hui dans les petites joutes politiques pour accuser l’adversaire de « bourrer le crâne », ou alors il est censuré, rhabillé en « publicité », en « communication », en « communication politique » : cela s’appelle des euphémisme (vous savez : « non voyant », « à mobilité réduite », etc.). J’ai déjà parlé de la « propagande », dont un pape fut l’inventeur en 1622, quand il s’agissait de propager la « vraie foi » (autrement dit de convertir les mécréants). Il n’y a aucun hasard si Joseph Goebbels, « ministre du Reich à l’éducation et à la Propagande », s’inspirera de la théorie d’Edward Bernays, de même que Staline.

 

Cela veut dire quelque chose de finalement assez simple : En quoi, aujourd’hui, se différencient régime de terreur et régime « démocratique » ? Dans l'un comme dans l'autre, le principal problème d’un gouvernement, c’est de savoir comment diriger une population (on ne parle évidemment plus du tout de « peuple ») : susciter son adhésion, spontanée ou imposée, à ceux qui gouvernent, lui faire admettre la domination des dominants. Face à la « nécessité » d’adapter l’idée démocratique à la complexité du système économique, donc à la « nécessité » de gérer les foules, Edward Bernays et Walter Lippmann, par des chemins différents, ont abouti aux mêmes conclusions : il est indispensable de façonner les esprits, de manipuler les gens, de les amener à penser et à agir dans le sens voulu par les dirigeants. C'est pour avoir compris ça que le capitalisme a triomphé du communisme.

 

Cela veut dire aussi que la « démocratie » repose aujourd’hui sur une industrie qui, grâce à la psychanalyse, s’est développée en allant débusquer dans la tête des gens le moindre détail de leurs désirs plus ou moins secrets et de leurs motivations intimes : l'industrie de la propagande, tant dans la politique que dans le commerce marchand (pardon pour le pléonasme). Il n’y a plus aucun secret pour ceux qui gouvernent (président d’un pays ou d’une grande société commerciale) : après leur enquête dans les tréfonds autrefois obscurs de l’individu (le « subconscient »), ils élaborent en laboratoire des produits qui sont ensuite vendus au même gogo, qui ne se demande même pas : « Mais comment ont-ils fait pour deviner ce dont j’avais envie ? », et qui paie pour se procurer la marchandise qu’on a, en réalité, tirée de lui-même (à la caisse du supermarché ou dans l’urne électorale : le processus est strictement le même, et Edward Bernays, le père du marketing, vendra ses « conseils » aussi bien aux hommes politiques qu’aux grandes entreprises). Faut-il vous l’envelopper, votre « idéal du moi » ? De quelle couleur la voulez-vous, votre « libido » ? Nos créatifs ont fait de gros efforts sur le packaging de votre « refoulé ». Mes yaourts sont-ils assez « narcissiques » ?

 

Cela veut dire, enfin, qu’une découverte majeure du 20ème siècle, la psychanalyse, même si elle reste tout à fait controversée dans ses principes, ses modalités, son efficacité, son prix, tant qu’on se limite à son domaine (thérapeutique des névroses), s’est répandue très concrètement dans tous les aspects et tous les moments de la vie quotidienne, tout simplement parce qu’Edward Bernays (et quelques autres) ont compris à quoi elle pouvait très concrètement servir : gérer les masses humaines. Et je me demande pour finir, si ce n’est pas exactement la même chose pour toutes les disciplines qu’on appelle « sciences humaines ». Il ne s’est passé rien d’autre dans les sciences « dures » : aurait-on eu la bombe H sans la physique ? La dernière catastrophe financière sans les mathématiques ? Le contrôle social le plus dur sans la puce électronique ? L’explosion démographique sans la médecine ? Aurait-on eu l’infamie publicitaire sans Sigmund Freud (c’est vrai qu’il est loin d’être tout seul) ?

 

Le savant est tout à fait inoffensif, dans son laboratoire, avec sa blouse blanche, son air gentil, tout obsédé de compréhension et de connaissance, et pour qui le monde dans lequel il vit est une entité vague et vaguement abstraite. Mais il y a son double démoniaque : l’aventurier, l’explorateur, l’homme d’action, tout avide de richesse, de gloire et de puissance, qui guette tout ce qui va sortir de ce « bureau d’études » pour en tirer le maximum, très concrètement. C’est un médecin, le docteur Freud, qui a inventé la psychanalyse, dans le but de soigner l’homme, peut-être même de le guérir. C’est un homme d’action, son neveu Edward Bernays, qui va mettre à profit (au sens plein du terme) la découverte, très concrètement. D'un côté, la connaissance, qu'on nous vend comme le bien suprême. De l'autre, l'action, mot dont les médias regorgent dans le registre positif. Mais soigeusement séparés : on appelle ça la division du travail : que ma main gauche, surtout, ignore ce que fait ma main droite. La "main gauche" (Freud) s'appelle la science. La "main droite" (Edward Bernays) s'appelle la technique.  

 

C’est Edward Bernays qui déclara : « L’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer ». Et « La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible ». C’est cet homme qui est souvent considéré comme un des personnages les plus influents du 20ème siècle.

 

Elle est pas belle, ma « démocratie » ? Allez, quoi : achetez !!!

 

A suivre …

dimanche, 15 mai 2011

L'ETAU SE RESSERRE

Je vous raconte le dessin de SERGUEI paru, p. 15, dans Le Monde daté 15-16 mai 2011 (c’est du tout frais pondu, la maison travaille « à flux tendu », bien qu’elle ait pas mal de stock en magasin). Le titre : « Sécurité routière ». Le soleil braque un radar. Un épouvantail dissimule une caméra. Un gendarme manoeuvre son radar. Deux autres boîtiers mal identifiés, mais sûrement peu sympathiques. La femme dit à son mari, qui conduit : « Tu as bien mis ta ceinture ? Tu as enlevé l’avertisseur ? Tu n’as rien bu ? Tu n’as pas dépassé les 50 ? ». Le mari répond, tétanisé sur son volant : « On n’est plus en sécurité ». 

 

Il se trouve que, ce matin même, l’excellente (pas toujours, mais le plus souvent) émission de RUTH STEGASSI « Terre à Terre », sur France Culture, rendait compte d’une rencontre avec Gérard Pagès, Sébastien Delpech, Anna Labrousse et Babette Védoit. Ils sont tous ELEVEURS DE MOUTONS (dans le sud ouest de la France, à ce que j’ai compris). Lecteur bénévole, je sais, tu te demandes : « Quel rapport, Alexipharmaque, avec les contrôles pour la sécurité routière ? » Là, moi, je dis : « On est en plein dans le même sujet. – Prouve-le, blogueur ! – Je le prouve, lecteur : tous ces éleveurs de moutons ont déposé les statuts d’une association intitulée FAUT PAS PUCER. » 

 

J’explique : l’Europe, en dehors de réglementer la longueur et la résistance des PRESERVATIFS MASCULINS, le diamètre et la qualité des VIS et des ECROUS, la consistance et le goût des YAOURTS, elle distribue des subventions dans le cadre de la P. A. C. (Politique Agricole Commune). Et alors, dira-t-on ? Eh bien, en tant que dispensatrice de rémunérations aux agriculteurs, elle veut savoir exactement où va son bel argent, et si la dépense est justifiée. Après avoir admis que ceci n’est pas complètement absurde, je note quand même le statut du petit (ou du moyen) paysan (il paraît que ce dernier mot n’a plus cours : on dit « agriculteur ») : il est devenu un MENDIANT. Quelle que soit l’analyse qu’on peut faire du phénomène, quelqu’un dont l’existence ne pourrait pas continuer sur le même mode sans l’argent que quelqu’un lui procure, on appelle ça un MENDIANT (voir tous les festivals,  associations, institutions, groupements à VISEES CULTURELLES, dont l’une des activités les plus prenantes consiste à rechercher les « partenariats », les « sponsors » et autres « mécènes », ou a attendre, à réclamer LA subvention, mais ne nous égarons pas).

 

L’Europe, pour savoir si l’argent dispensé va bien où elle a voulu qu’il aille, il est indispensable qu’elle CONTROLE. Alors là, le lecteur commence à comprendre le lien entre sécurité routière et élevage de moutons. Je précise : Madame Europe a trouvé un moyen imparable : la PUCE « R. F. I. D ». (Radio Frequency Identification, en anglais). Je traduis : le mouton est immédiatement, électroniquement repérable et comptabilisable. La bête se dématérialise. L’éleveur aussi. D’ailleurs, au surplus, tout ça montre qu’il est d’abord un SUSPECT a priori, un fraudeur en puissance. Comme le dit un des éleveurs interrogés, l’animal vivant devient un flux de données informatiques. L’éleveur de moutons est exactement dans la même situation que le conducteur de SERGUEI. Et tout se passe en « temps réel ». La photo aérienne est mise à contribution pour établir les surfaces, le nombre des piquets qui délimitent ces surfaces, le nombre des bêtes qui y paissent, enfin tout. La réputation officielle du mouton (tu sais, lecteur : Panurge, moutonnier, grégaire, politiquement correct, bien-pensant...) n'avait vraiment pas besoin de ça.

 

Voilà le monde qui se présente : au nom des morts sur les routes, au nom de la traçabilité, au nom de la transparence, au nom de l’hygiène des poumons, au nom de la santé (le foie, le cœur, le côlon transverse et le grand côlon, la prostate, et que sais-je ?), au nom de la sécurité des innocents dans les aéroports et des citadins dans les rues des villes, bref : au nom du BIEN qu’on nous veut, on rétrécit l’espace vital et respirable de chacun. Mais, objecteras-tu, lecteur bénévole, si on n’a rien à se reprocher, quel mal y a-t-il à ça ? Je répondrai, lecteur insouciant, qu’avec un raisonnement comme celui-là, on va très loin.

 

Réfléchis. Un tel argument amène tôt ou tard, forcément, celui qui guette derrière son écran de contrôle à zoomer sur des détails de plus en plus fins, précis de ce qui constitue ton existence. Il viendra épier les plus menues circonstances de ton quotidien pour vérifier si rien ne cloche, si TOUT ce que tu fais est bien CONFORME aux règles édictées « démocratiquement » par la collectivité pour LE BIEN DE TOUS. Le filet moral se referme sur toi. La police est entrée dans ta propre personne. Le gendarme n’a plus besoin de se déplacer, ni même de se montrer : tout citoyen vit en permanence avec l’œil de ce moderne BIG BROTHER dans la tête. Pendant ce temps, tout dérapage par rapport à la GRANDE CONFORMITÉ est désigné, dénoncé, attaqué avec le plus d’unanimité possible, dans le bue de conforter le conforme.

 

FRANZ KAFKA écrit quelque part (Lettre sur l’éducation des enfants ?) que l’ultime liberté de l’individu est la liberté de disparaître. Ce qui ne renvoie pas forcément au suicide : disparaître, ça concerne quelques milliers de personnes par an, en France. Une autre liberté essentielle consiste à MAL AGIR, c’est-à-dire à choisir délibérément de s’écarter de la norme, pas forcément de façon terrible et voyante, et d’aller à l’encontre de ce que la règle ordonne (traverser en dehors des clous, ne pas céder sa place assise à une vieille dame, taguer un mur tout neuf et tout vierge, tirer les oreilles de la petite sœur, etc.) : de ne pas faire bien. Juste une petite infraction comme ça, gentille et en passant, pour mesurer ce qui reste d'espace libre et respirable. Juste une petite entorse au règlement, pour se faire plaisir. Juste une petite transgression de l'ordre établi pour réchauffer le désir d'exister. Ne me dis pas, lecteur, que tu te l'interdis 24/24 et 7/7.  Mais si un espion de la loi est installé en toi au poste de commande, que vas-tu FAIRE de ces libertés ? Et ces libertés, si tu n’en fais pas usage, A QUOI ÇA TE SERT D’ÊTRE LIBRE ? Le jour où chacun de nous sera "équipé" d'une puce R. F. I. D., la société BIG BROTHER aura fait définitivement main basse sur les morceaux d'humain vraiment vivants qui restaient de nous.

jeudi, 12 mai 2011

EUGENISME : HITLER A GAGNE

Adolf Hitler : tout le monde a sa photo dans l’esprit, tout le monde a son nom à la bouche. C’en est au point que les « Guignols de l’info » avaient un temps, si je me souviens bien, baptisé la marionnette figurant Le Pen : « Adolf », avant d’être sommés d’abandonner cette idée, tant par l’intéressé lui-même que du fait de l’exagération manifeste : n’est pas Adolf Hitler qui veut.

Bref, ce sinistre personnage (là, tout le monde est d’accord) occupe aujourd’hui la place d’épouvantail number one, cette place, bien d’autres ont espéré s'en emparer, et ont fait quelques réels efforts pour y parvenir. Ils ont nom Pol pot ou, jusqu’à hier, Oussama Ben Laden. Mais c’est comme avec les guerres, dans la chanson de Georges Brassens : « Chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite, mais mon colon celle que je préfère, c’est la guerre de quatorze-dix-huit ». Bon je ne vais pas me mettre à fredonner : « Moi le tyran que je préfère, c’est la gueule d’Adolf Hitler» (notez que ça rime).

 

Mais je remarque au passage que c’est la gueule qui se présente en général la première quand n'importe qui veut faire comprendre ce qu'est pour lui le Mal absolu. C’est une sorte de fascination bizarre, dont l’effet est de rejeter le nommé Adolf Hitler dans une anti-humanité, somme toute commode : tout le monde est d’accord pour dire que c’est un monstre. Conclusion obligatoire : donc il n’est pas humain. C’est logique : s’il est un monstre, il n’a rien à voir avec nous, les humains ordinaires, et pour tout dire normaux. Ça rassure, c’est d’ailleurs fait pour ça. Cela arrange tout le monde, de se dire qu’il n’est pas du tout comme nous, pas du tout du tout du tout, je vous jure. La gueule d’Adolf Hitler a ceci de commode qu’elle incarne le mal hors de chacun de nous. Et puis c’est de l’histoire ancienne, et puis il est mort, et puis « plus jamais ça » (le refrain).

 

Le problème, c’est que les monstres se sont mis à proliférer, et de façon tellement sournoise qu’ils se sont fondus dans la population, au point de ressembler à tout le monde : ça pourrait être n’importe qui, ça fout l’angoisse. Finalement, c’était bien commode, une gueule d’Adolf Hitler : tous les projectiles lancés par la bonne conscience pouvaient se concentrer sur elle avec une touchante unanimité. Mais il y a eu Dutroux, il y a eu Fourniret, il y a eu Priklopil (celui-là s’est fait voler la vedette par sa victime Natascha Kampusch : c'en serait presque injuste !). Il y a eu Outreau, avec sa rafale de monstres (lisez le portrait de Cherif Delay, fils de Myriam Badaoui, dans Libération du samedi 7 mai 2011). En fait de monstres, on a aujourd’hui l’embarras du choix : un comble !


Et le doute gagne : et s’il y avait du monstre en chacun ? Et si le « Bien » et le « Mal » coexistaient par nature à l’intérieur de tout individu ? Ça la fout mal. Mme Opinion Publique (c’est qui ?), à cette idée révoltante, s’emporte, bronche, proteste. Il n’y a qu’à voir le « débat » qui a accompagné le succès des Bienveillantes de Jonathan Littell : comment peut-on se mettre dans la peau d’un nazi ? Dans quel cerveau malade une telle idée a-t-elle pu germer ? Et le « débat » suscité par le film La Chute. Le monstre, jusqu’à récemment au moins, c’était une sorte d’ « Alien » radicalement autre.

 

Relisez la description de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Feuilletez à l’occasion le passionnant ouvrage de Martin Monestier, Les monstres (Editions du Pont Neuf, refondu sous le même titre aux éditions du Cherche Midi) : splendide collection de toutes les sortes d’aberrations qui touchaient les fœtus humains (et animaux, éventuellement), avant que la science ne triomphât. Voyez ou revoyez le film – ô combien célèbre et peu regardé – de Tod Browning : Freaks, où Madame Tetrallini déclare au propriétaire du terrain où jouent plusieurs monstres microcéphales, ce qui scandalise le contremaître : « Mes enfants ne font pas de mal. – Vos « enfants » ? murmure le propriétaire, avant d’autoriser cette présence pour le moins inhabituelle.

 

Relisez ce passage de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, dans lequel un bébé né avec une vraie queue (= prolongement osseux de la colonne vertébrale) se la voit tranchée au hachoir sur une table de cuisine. On savait alors ce que voulait dire le mot anormal, et la réaction première, face à cela était : « On n’en veut pas. », ou alors dans des cirques, comme phénomènes propres à attirer les foules qui payaient autant pour se faire peur que pour se rassurer. Trop différents, ils sont humains, mais en partie seulement, à moitié, au quart, que sais-je ? Ci-dessous Pasqual Piñon et Prince Randian (il faut voir ce dernier, dans Freaks, allumer sa cigarette seulement avec la bouche : essayez voir, pour comprendre l'exploit). 


C’est là que je reviens à Adolf Hitler. On sait que l’une de ses obsessions, c’était de restaurer la pureté de la race, en particulier en éliminant purement et simplement les anormaux, qui constituaient autant d’impuretés porteuses de dégénérescence. Intolérable, je vous dis ! Cette manie mortifère porte un nom : Eugénisme. Il s’inspirait sans doute des pratiques en vigueur à Sparte, dans l’antiquité grecque, où l’on éliminait sans sourciller, après examen (néonatal, notez bien), les individus jugés non conformes. C’est aussi là que je reviens sur la touchante unanimité qui fait condamner avec horreur la folie de Adolf Hitler : qui aurait l’insanité aujourd’hui de soutenir qu’il faisait bien ? Qui oserait risquer de se faire étriper par la foule en soutenant qu’il avait raison ? Qui voudrait passer aujourd’hui pour un odieux nazi ? C'est vrai qu'ils sont quelques-uns à oser. Mais dans l'ensemble, le Bien a triomphé de Adolf Hitler, c’est donc une affaire entendue : L'eugénisme, c'est le mal, l'eugénisme est un crime.
 

 

Or, si l’on se contente du seul registre de l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné. Pour l’instant, laissons de côté les autres aspects, pour nous intéresser à cette seule exigence : contrôler la normalité de ceux qui vont naître. Notre si douce époque est devenue capable, grâce à ses prouesses techniques, à ses exploits scientifiques, de prédire (pas toujours) dans quel état naîtra l’être humain encore à l’état fœtal. On avait l’amniocentèse, on a maintenant l’échographie pour observer en direct ce qui se passe dans le ventre de la future mère. En Inde, ils ont vite compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer, eux qui trouvent que les filles coûtent beaucoup trop cher aux familles, et qui avaient fait de l’échographie un moyen d’élimination des filles, avant que le gouvernement y mette le holà (avec quel succès ?).

 

Chez nous, autrefois, on conservait dans les sous-sols des hôpitaux les rangées de bocaux remplis de formol et d’anormaux, ces humains qui osaient naître monstrueux. Mais aujourd’hui, dans notre époque qui a sans arrêt plein la bouche de tolérance, de droit à la différence, de métissage, et de bien d'autres grands principes,  dites-moi, combien de monstres et d'anormaux sont autorisés par les autorités scientifiques et médicales à seulement apparaître à la surface de la Terre, et à y demeurer (ne parlons pas des éventuelles conditions qui leur seraient faites : même les cirques sont devenus bien-pensants) ? Et l'exception de ce bébé à deux têtes qui vient de naître en Chine, au Si Chuan, confirme globalement la règle. Ci-dessous, un autre au Bangla Desh. 

 

La règle, au moins dans nos pays (industriels, développés, déliquescents), reste : on a trouvé le moyen légal, admissible selon les « critères moraux » officiels, d’éliminer l’humain jugé anormal, avant même qu’il ait aperçu la lumière du jour. Toutes les procédures qui le permettent portent des noms savants, les seuls capables de faire passer l’amertume de cette terrible pilule. Cela s’appelle « diagnostic prénatal », « avortement thérapeutique » ; cela s’appelle même maintenant « médecine prédictive » : on se propose d’analyser l’ADN des futurs parents, pour repérer les éventuels gènes défectueux qui risquent de déclencher on ne sait quelles maladies autour de trente ou quarante ans. Le contrôle de normalité accroît sans cesse ses pouvoirs. Et c’est un processus en marche, qu’on se le dise.

 

On me rétorquera que donner la vie à un individu anormal transforme en enfer l’existence de ses malheureux parents. Je suis totalement d’accord (et très bien placé pour le savoir, par-dessus le marché). Mais il faut savoir : si j’approuve ce qui est aujourd'hui le contrôle de normalité, logiquement, je dois cesser de renvoyer l’épouvantail Adolf Hitler hors de l’espèce humaine, de le considérer comme un monstre inhumain. Je suis obligé de le réintégrer parmi les hommes. En somme, il faut admettre Adolf Hitler au sein de l’espèce humaine. Son très grand tort fut de s’en prendre à des humains déjà dotés d’un nom, d’une histoire personnelle, et d’un état civil. Mais sur le fond, en quoi sommes-nous différents des nazis ? Nous nous glorifions d’avoir progressé : les abattoirs qui alimentent nos boucheries sont tous carrelés de blanc, et c’est à peine si l’animal y meurt. On y pratique la « mort douce » (ça veut dire euthanasie, même si Jacques Pohier, un jésuite, a écrit La Mort opportune). Et à l’ombre des murs de nos très modernes et progressistes hôpitaux, il se passe …

 

En matière d’eugénisme, ce qui différencie le régime nazi de nos façons de faire modernes et démocratiques, ce n’est même pas la méthode (élimination pure et simple) : c’est que, chez nous, aujourd’hui, ceux que nous éliminons, simplement, nous ne les avons pas encore vus. Ils n’ont encore accédé ni à l’existence ni, surtout, à l’état-civil. Somme toute, on ne fait qu'éliminer du rien. Même si les motivations semblent (je dis bien « semblent ») moralement ou socialement acceptables, la finalité et le résultat sont identiques : empêcher des humains jugés défectueux d’accéder à l’existence. Ce cousinage a de quoi gêner et laisser perplexe, et de quoi nous interroger : si notre monde est vraiment meilleur qu’avant, n’a-t-il pas, aussi, quelque chose du Meilleur des mondes ?

 

N’y a-t-il pas quelques raisons d’affirmer, comme je le fais dans mon titre, que, au moins en ce qui concerne l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné ?