vendredi, 03 février 2012
LE FLEAU DU DROIT DE VOTE (2)
Les tribulations d’un bulletin de vote français.
On est donc en période électorale. Il importe d’avoir des lectures « citoyennes ». La Journée d’un scrutateur, ça s’appelle. Si vous ne l’avez pas encore lu et que vous avez une petite heure à perdre, la petite heure ne sera pas perdue, promis. ITALO CALVINO, entre quelques chefs-d’œuvre, a écrit ce bijou de tout petit bouquin (une centaine de pages) sur les mœurs « civiques » en démocratie.
ITALO CALVINO, 'PATAPHYSICIEN EMERITE
Comment, en démocratie, les gens au pouvoir s’arrangent pour le garder, y compris en faisant voter quelques vieux décatis hébergés dans les hôpitaux, quelques aliénés de l’asile, quelques vieilles bonnes sœurs grabataires, toutes bonnes gens dont la main est soigneusement guidée vers le bon bulletin de vote. Il faut voir les gars balader l’urne d’hospice en maison de retraite et les vieux de leur grabat jusqu’à l’urne. Livre réjouissant et lugubre.
Ce n’est pas en France, je n’apprends rien à personne, qu’on verrait s’étaler pareilles turpitudes. La France est – tout le monde en est d’accord – au-dessus de ces miasmes de bas étage. Bon, c’est vrai qu’aux élections municipales de 2008 à Perpignan, un certain GEORGES GARCIA, président d’un bureau de vote, a été vu avec plein de bulletins de vote dans ses poches et ses chaussettes. Simple anicroche. Billevesée.
D’ailleurs, qu’on se rassure : il a été dûment condamné – avec sursis, faut pas exagérer. Le maire sortant, JEAN-PAUL ALDUY, a été, quant à lui, confirmé dans sa réélection (il a démissionné en 2009). Ce n’est pas l’existence de quelques brebis galeuses qui vont autoriser quelque obscur blogueur pamphlétaire vindicatif – réactionnaire vaguement gauchiste (ou l'inverse) –, éventuellement doté au surplus de tendances paranoïaques, à s’en prendre au troupeau électoral dans son entier. Que cela soit dit une bonne fois pour toutes : le troupeau électoral français est fondamentalement sain.
On me fait remarquer dans mon oreillette que JEAN TIBERI, autrefois maire de Paris, a inventé (sans s'attribuer la paternité de l'invention, par modestie sans doute) l'électeur fantôme, plus souvent appelé « faux électeur ». Oh, rien de bien grave : juste il demandait à un réseau d'amis de s'inscrire sur la liste électorale de son 5ème arrondissement de Paris, même et surtout s'ils habitaient ailleurs.
LA, ON N'EST PAS LOIN D'UN TRIBUNAL
ON LUI DONNERAIT LE BON DIEU
A BOIRE AVEC UNE PAILLE
TOUT LE SECRET EST DANS LA BRECHE
Les soirs d'élection, ces témoignages d'amitié et de solidarité lui donnaient un bon matelas d'avance sur ses rivaux, n'est-ce pas, Mme LYNE COHEN-SOLAL ? A propos de laquelle j'ai cru voir mentionner dans les journaux, il y a quelque temps, quelques turpitudes commises en compagnie de M. JACQUES MELLICK, rendu célèbre dans les années 1990, à côté d'un certain BERNARD TAPIE, le monde judiciaire n'est pas si petit.
Il aurait même tendance à s'étendre, si on le laissait faire. Mais nous le disons bien haut et bien fort : nous ne nous laisserons pas faire ! Nous ne laisserons pas la dent mauvaise de la calomnie rouler impunément, avec la semelle immonde de ses intentions ténébreuses, sur nos réputations immaculées ! Nous ne laisserons pas la langue de vipère de la subversion et de la haine fouler au pied la poutre faîtière de notre intégrité sans faille (merci, monsieur le maire de Champignac).
Mais baste ! Simples anicroches ! Billevesées !
De toute façon, en France, pays de vieille démocratie, paraît-il, les camps opposés s’observent avec tant d’attention jalouse, les soirs d’élection, lors du dépouillement, que, si quelqu’un veut frauder, c’est excessivement difficile, c’est immédiatement rendu public, c’est donc rarissime, vu que les adversaires se tiennent mutuellement en joue, même si c’est courtoisement fait.
A la place du démocrate blanchi sous le harnois qui est en train de me lire, je garderais quand même un œil fixé, pour les prochaines législatives, sur la façon dont sont « gérés » les électeurs appelés « Français de l’étranger ». NICOLAS SARKOZY et ses sbires veillent sur eux comme sur du lait qui ne va pas tarder à bouillir.
Ils ont bien onze sièges de députés à pourvoir, ce qui n’est pas négligeable du tout (les curieux peuvent aller voir (http://www.politiquemania.com/forum/2012-legislatives-f31/les-circonscriptions-des-francais-etablis-hors-france-t469.html). Cela fait 90.909 électeurs pour un député. La moyenne nationale tourne autour de 70.000. Qui est avantagé a priori ? Et qui, a posteriori ?
Qui se souvient de CHARLES PASQUA et de ses merveilleux redécoupages à la petite scie (ça c'est pour les lecteurs de La Vie mode d'emploi, de GEORGES PEREC) de toutes les circonscriptions de députés ? Personne n'a jamais fait mieux que CHARLES PASQUA pour biaiser le résultat du suffrage universel. Finalement, c'est lui, THE ARTIST.
LE MAÎTRE DANS L'ART DE LA DECOUPE ELECTORALE.
(UN REMARQUABLE IMPUNI)
Revenons aux formalités. Je ne sais pas si vous avez participé à des dépouillements, mais rien n’est à la fois aussi fastidieux (ouvrir l’enveloppe, dire le nom, cocher au crayon chaque voix dans la colonne qui lui revient) et aussi électrique (en cas d’enjeu particulier, de basculement possible, de résultat spécialement serré, …).
Le fastidieux, c'est pour les petites mains consciencieuses, les citoyens ordinaires et bénévoles. Ceux qui y croient. L'électrique, c'est pour le chef shooté à l'adrénaline (mais, hmmmmm ! c'est si bon, l'adrénaline !) qui appelle pour la dix-huitième fois alors qu'on n'en est qu'à 52 % du dépouillement complet.
Je signale, en passant, dans le cadre électoral, la curiosité de l’emploi du mot « dépouillement », qui signifie au départ « priver quelqu’un de ses vêtements » (Dictionnaire historique d’ALAIN REY). Certains citeraient aussitôt l’expression « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Pas moi. Cela n'a aucun rapport et n'a aucun sens. On a sa dignité.
Le problème, en France, ce n’est évidemment plus de conquérir le droit de vote. Tous les bébés français sont nés avec la cuillère électorale en argent dans la bouche. Ce serait plutôt de le reconquérir. C’est comme les règles de la politesse : quand on a oublié que ça existe, on ne sait plus à quoi ça servait. Et on le jette. Moi, je m'abstiens parce que j'ai perdu le Nord démocratique et républicain.
Quand un individu fait irruption sur cette terre, c’est compréhensible et humain, il a tendance à considérer tous les éléments de son paysage comme des parties de la Nature éternelle. Comme des évidences et des points de départ. C'est donné. Et le bébé français, avec sa cuillère en argent dans la bouche, il se rend pas compte.
Et il a tendance à voir les individus un peu plus âgés que lui comme des croulants faisant partie des meubles, des murs et des galeries d’ancêtres, voire des PPH (Passera Pas l’Hiver), qui ont fait leur temps, tu comprends, ils datent de l’époque où le téléphone servait seulement à téléphoner. Ce qu’on se marre.
Aux yeux des jeunots, les un peu plus anciens qu’eux prennent des airs paléontologiques. « Dégage » est désormais leur cri de ralliement. Le bulletin de vote fait partie de ce décor poussiéreux qu’ils éternuent.
Le problème électoral …
Ah zut, mon manquier m'avise à l'instant que j’ai un découvert à mon compte en manque de mots, juste maintenant. Bon, je réapprovisionne, et vous avez la suite.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre, les tribulations d’un bulletin de vote en Afrique et ailleurs.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droit de vote, la journée d'un scrutateur, italo calvino, élection présidentielle, politique, société, démocratie, citoyen, civisme, perpignan 2008, jean tiberi, fraude électorale, bernard tapie, nicolas sarkozy, françois hollande, parti socialiste, ump, dépouillement, dictionnaire historique, alain rey, france, collège de pataphysique, georges perec, la vie mode d'emploi, charles pasqua, circonscription électorale
lundi, 27 juin 2011
PROFESSION MENTEUR (4)
Emmanuel Todd qui, à ma connaissance, n’a pas dit beaucoup de conneries jusqu'à maintenant, déplorait il y a quelque temps l’extrême médiocrité des personnels politiques occidentaux en général, et français en particulier. Par exemple, au moment de la crise des « subprimes » en 2008, les éditorialistes, ces klaxons enchaînés à l’actualité, ont claironné au grand retour du politique, à la reprise en main de l’économique par le politique, et je ne sais quelle autre fadaise. On allait voir ce qu'on allait voir, scrogneugneu !!!
Eh bien trois ans après, on voit : les financiers en train de finir de racler la Grèce jusqu’à l’os, les politiciens grecs passant sous leurs fourches caudines, et tous les politiciens européens courant pour monter dans la remorque tirée par le char des actuels maîtres du monde, j’ai nommé les marchés. La vérité sur les politiciens, en plus de leur médiocrité, c’est que ce sont dorénavant des impuissants.
Tous les discours masquant cette vérité sont des mensonges. Or, aucun politicard qui aspire au pouvoir (pléonasme) ne déclare qu'il sera complètement ligoté et qu'il ne pourra pas agir, parce que les obstacles sont infranchissables. S'il espère être élu, il a tout intérêt à faire croire qu'il fera quelque chose. Et ce ne sont pas les incantations à coups de « il faut » qui y changeront un iota.
Nicolas Sarkozy a beau jouer les fiers-à-bras en promettant d’aller « avec les dents » chercher le 1 % de croissance qui manque, on voit bien que la réalité n’est pas docile. « Un président qui en a et qui s’en sert », se vantait-il de façon tellement raffinée au moment de ses affaires conjugales et de sa « love story » avec Carla. A l’arrivée, ça donne quoi, le fier-à-bras ?
Dans ces conditions, je ne comprends pas que la politique puisse être considérée comme un métier, et même faire l’objet de plans de carrière (dont la trajectoire de Nicolas Sarkozy est l’exemple archétypal et la caricature), exactement comme les premiers de la classe qui font prépa, puis X-Mines-Ponts-HEC. Il y a en particulier quelque chose de proprement féodal dans l’établissement de dynasties de politiciens.
Il faut savoir : si la politique est un métier et que l’action politique repose sur la notion de compétence professionnelle, il n’y a plus de citoyens. Si la politique est un métier, il ne faut plus d'élections, mais un recrutement d'individus repérés par un bureau de chasseurs de têtes et par un directeur des ressources humaines. Si la politique est un métier, ceux qui parlent encore de démocratie au prétexte que des scrutins sont régulièrement organisés, eh bien ils mentent, c'est aussi simple que ça.
Ben oui quoi, être citoyen, ce n’est pas, tous les cinq ou six ans, « choisir ses représentants », et puis fermer sa gueule jusqu’à la prochaine élection. Il n'y a qu'à voir la façon dont les gouvernants s'assoient sans vergogne sur les protestations de rue ("ce n'est pas la rue qui gouverne") en prenant argument de leur (non, ne rions pas) "légitimité démocratique".
Etre citoyen, si le mot a encore un sens, c’est, d’abord et avant tout, être un acteur à part entière dans la vie de la cité (je rêve, je sais). Et ce n’est pas votre présence aux réunions d’un « comité de quartier » qui va vous rendre acteur : on discute du jour de ramassage des poubelles vertes (l’inénarrable « tri sélectif »), et autres sujets aussi graves. Tout juste les politicards consentent-ils à vous laisser ce strapontin au bout de la rangée.
Tant qu’il s’agit de serrer des mains pour draguer les suffrages, ça va. Mais c’est comme au restaurant : on n’entre pas facilement dans la cuisine. Il faut montrer patte blanche, je veux dire signer une acceptation de tous les codes, obligations et devoirs qu’on reconnaît avoir envers le « mentor » auquel on a choisi de prêter allégeance, en espérant que ce soit le cheval gagnant. Et jurer de ne jamais cracher dans la soupe. Et jurer de respecter la loi de l’omerta (exemple Juppé payant pour Chirac).
Si la politique est un métier, la population doit, et c’est ce qu’elle fait de plus en plus, refuser mettre son nez (son bulletin de vote) dans les affaires (l’urne) de l’entreprise, et laisser faire les « professionnels ». Mais en fait, il est faux de prétendre qu’on demande à un politicien d’être compétent comme un professionnel : ça c’est le rôle, précisément, des professionnels (personnels techniques, administratifs, juridiques, etc.). On demande (enfin, on devrait demander) au politicien, une fois éclairé par les professionnels compétents, de prendre la bonne décision. Point. Ce n’est pas un problème de compétence, mais de « vision », de « choix ».
Autrement dit, la population doit cesser de croire à ce mensonge : « C’est trop compliqué pour vous, laissez faire ceux qui savent. Faites-nous confiance ». Justement : non. Aucune confiance.
Mais le meilleur moyen de réhabiliter la politique, aujourd’hui tombée dans un état de délabrement tellement écœurant que c’en est écœurant, le meilleur moyen de m’inciter à voter à nouveau : que les élus soient tirés au sort. Les modalités seraient bien sûr à préciser : on ne peut guère imaginer 40.000.000 de candidats en France, c’est techniquement infaisable. Il faudrait creuser.
Mais je pose la question : « Pourquoi pas le tirage au sort pour la désignation de nos élus ? » Après tout, c’est bien le mode de désignation (tempéré) des citoyens qui deviennent juges le temps d’une session de Cour d’Assises. Pourquoi ce qui est obligatoire dans un cas (on ne peut se soustraire à son devoir de juré) resterait-il totalement impensable et interdit dans l’autre ?
« Voilà, maintenant j’ai posé mes conditions. J’attends. – Ben tu peux attendre longtemps, gros malin. – Je sais. »
09:14 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : politique, société, littérature, nicolas sarkozy, emmanuel todd, politicien, citoyen