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mardi, 31 janvier 2012

ET LA GORGONE EST ZOLA

Je sais, mon titre ne veut strictement rien dire. Voulant garder "gorgon" (à cause de "zola", évidemment, je sais, c'est très bête), je ne pouvais quand même pas évoquer le personnage ainsi nommé des Loups de Rougecogne, de la série « Chevalier Ardent », la BD de FRANÇOIS CRAENHALS. Et puis allez, embrayons, on n'a pas que ça à faire.

 

 

Pourquoi je veux garder "gorgon", vous me direz ? C'est très simplement un hommage à une campagne publicitaire, il y a quelques années, pour je ne sais plus trop quoi, qui affirmait péremptoirement qu'EMILE ZOLA n'était pas un fromage italien. Cela reste évidemment à démontrer.

 

 

 

EPISODE 4

 

 

Dans La Curée, ZOLA trouve un sujet qui lui convient, parce que j’ai l’impression qu’il est aussi fasciné que dégoûté par la personnalité de Saccard (Aristide Rougon). Ce petit employé à la Mairie, bien servi par le hasard du poste qu’il occupe, découvre les projets secrets de transformation de la capitale. Ayant épousé Renée, il devient un terrible prédateur, décidé à tout dévorer pour faire fortune. Il y a de l’ogre chez Saccard. Il y en a sans doute aussi chez ZOLA lui-même. Cette parenté donne réellement vie au personnage central et à ceux qui l’entourent.

 

 

Je veux bien que ce livre soit une dénonciation des pratiques spéculatives et immobilières d’une bande de vautours qui se sont abattus sur Paris à la suite du coup d’Etat de LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE et des grands travaux lancés celui-ci et le baron HAUSSMANN. Mais franchement, la narration est si bien menée, tellement goulue que je soupçonne l’auteur d’admirer profondément, mais sans le dire, ces personnalités hors du commun.

 

 

Le livre est très solide. Au centre, le trio Saccard, René, Maxime. On voit défiler une pléiade de seconds rôles bien ficelés, dont le moindre n’est pas Larsonneau, le complice de Saccard. Pour le contraste, ZOLA mise sur le vieux père, grave, de Renée, et sur Sidonie, sœur de Saccard.

 

 

La mayonnaise de l’atmosphère générale prend remarquablement : l’auteur peint à merveille une société de stuc et de dorure, au rayonnement extraordinaire, mais construite sur un vide béant. Saccard est un équilibriste menacé de faillite et de poursuites judiciaires. Mais tout le monde ici est plus ou moins équilibriste.

 

 

***

 

 

Avec La Conquête de Plassans, ZOLA montre de quoi il est capable, quand il veut bien. Je lui conseillerais volontiers de s’engager dans cette voie, à l’avenir. Voilà du beau travail. Sur fond de lutte entre les camps bonapartiste et légitimiste, on assiste au tissage de sa toile par l’araignée elle-même, méthodique et sournoise, en la personne de l’abbé Faujas.

 

 

C’est l’histoire d’un beau complot ecclésiastique pour faire triompher une influence aux dépens d’une autre, sur la ville. Il y a Monseigneur Rousselot, l’abbé Fenil, l’abbé Surin. J’aime toujours autant la subtilité raffinée de ZOLA dans le choix des noms de ses personnages (un abbé est montré comme bête à manger du foin, l’autre comme prêt à suriner). Un beau tableau d’ambitions, de manies, d’arrière-pensées, de calculs, de haines : guère de chrétienté dans tout ça.

 

 

Côté politique, on a aussi les deux clans : Péqueur (voir Pecqueux dans Germinal), le sous préfet un peu raté, bonapartiste de surcroît, face à Rastoil le légitimiste, autour du jardin « neutre » de Mouret, où Faujas fait son ascension arachniforme. Il y a le salon vert de Mme Rougon, autre terrain « neutre ».

 

 

Une des réussites du roman est la progression respective de trois personnages : François Mouret, Marthe, sa femme, et l’abbé Faujas. Marthe est prise peu à peu d’une véritable passion religieuse qui la fait se remettre entièrement entre les mains de l’abbé. Une passion dont on verra qu’elle est aussi tout à fait terrestre : « Je vous aime, Ovide », déclare-t-elle à Faujas, qui peut se dire que la partie est gagnée.

 

 

Et François Mouret dans tout ça, me direz-vous ? C’est simple : plus l’abbé Faujas grandit, plus il diminue (vous savez, c’est dans la logique de l’inscription du « retable d’Issenheim », de MATHIAS GRÜNEWALD, qu'on peut voir au musée Unterlinden de Colmar : « Illum oportet crescere, me autem minui », dit Saint Jean-Baptiste en pointant l'index sur celui qui doit grandir).

 

 

Après être devenu étranger dans sa propre maison, il sera jeté chez les fous. La folie de Mouret est pour moi une faiblesse romanesque, dont ZOLA avait peut-être besoin pour amener l’incendie final de la maison. Toujours cette obsession : ce n’est plus de l’hérédité, c’est de la doctrine. L’auteur avait-il vraiment besoin de le faire marcher à quatre pattes dans sa cellule des Tulettes ?

 

 

***

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

lundi, 30 janvier 2012

LA BIBLE, C'EST TRES SURFAIT !

Je vais vous dire : la Bible, c’est très surfait. Il y en a qui en font des montagnes, qui ne s’en séparent jamais, qui l’ont apprise par cœur, qui sont prêts à se faire tuer pour elle, qui consentent même, pour elle, à devenir des assassins. Vous me direz que pour le Coran, c’est la même chose. Je sais.

 

 

Oui, on m’avait dit : « Lis la Bible, tu trouveras la vérité ». Même à Stockholm, tu te rends compte, il y a une bible (en anglais) dans la table de toutes les chambres de l’hôtel. Remarque, quand tu vas à l’Infirmerie Protestante, tu t’aperçois aussi qu’il y a une bible (en français) dans le tiroir de la table. Mais bon, c’est des protestants, ça n’excuse pas, mais ça explique. Il faut être indulgent.  

 

 

« The Good Book », ça c’est le titre d’un disque fameux de LOUIS ARMSTRONG. Il chante et joue des classiques bibliques et gospels. Mais là, c’est pas pareil, c’est de la musique. Parce que les nègres, ils ne plaisantent pas avec ça, la musique. Pour beaucoup d’entre eux, ce n’est pas un ornement de façade, c’est une personne à respecter. De l’ordre du sacré, si vous voulez. Autant que la Bible elle-même, c’est dire.

 

 

 

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LOUIS, alias SATCHMO (= BOUCHE EN FORME DE SACOCHE) 

 

A cet égard, après tout, peut-être que je suis un peu nègre sans le savoir. Je ne serais pas le premier blanc : CLAUDE NOUGARO (« Armstrong, je ne suis pas noir, je suis blanc de peau ») et NINO FERRER ( le capitaine Nino de Corto Maltese en Sibérie, de HUGO PRATT : « Je voudrais être noir ! ») m’auraient précédé. Bon, il se trouve que j’ai la peau pâle, et que finalement ça me convient. 

 

 

Mais c’est vrai que quand, par hasard, tu entres dans une église catholique (en France) pendant la messe, tu te rends compte que les chrétiens de cette espèce ignorent puissamment ce que c’est, la musique. J’ai parfois l’impression qu’ils la méprisent, même. Vous les entendez, ces chants las et lamentables, avachis, asthmatiques, exténués ? On dirait des bêtes étiques, faméliques, voire cachectiques, qu’on mène à l’abattoir se faire découper en lanières, stade ultime avant la farine animale.

 

 

Les nègres ? Ecoute-les un peu, pendant un office, quand le pasteur, pris d’enthousiasme, psalmodie en improvisant les paroles, soutenu par les répliques ferventes de l’auditoire. Ma parole, c’est sûr, tu perdrais presque l’habitude de ne pas croire.

 

 

C’est sûr qu’à Frontonas, malgré tout, pour le Credo et le Gloria, les phrases (en latin) étaient chantées alternativement par les filles des premiers rangs à droite et par les hommes assis en demi-cercle derrière l’autel, dans le chœur. C’était aussi de la musique, c’est vrai, mais bon. Rien à voir. C’est plus tard que j’en suis venu à SISTER ROSETTA THARPE et MAHALIA JACKSON.

 

 

Je me dis que peut-être, s’il y avait eu, dans nos églises bien catholiques, une goutte d’enthousiasme dans les cantiques, comme dans les gospels endiablés chantés par les nègres dans leurs offices, le catholicisme en France n’aurait pas ce visage triste, blafard, souffreteux, livide et, pour tout dire, cadavérique. Et que je serais peut-être encore croyant, va savoir. Bon, c’est peut-être surestimer l’importance de la musique.

 

 

Bon, alors, la Bible, le livre de la vérité ? A force de me l’entendre dire, j’ai fini par y mettre le nez. Eh bien, j’ai vu. Et je conclus que c’est très exagéré. Il n’y a sans doute pas plus de vérités dans la Bible que de mensonges. La preuve :  

 

« Il y a trois choses qui me dépassent,

et même quatre que je ne comprends pas :

la trace de l’aigle dans les cieux,

la trace du serpent sur le rocher,

la trace du navire au milieu de la mer,

et la trace de l’homme chez la jeune fille ».

(Proverbes, XXX, 18, traduction du chanoine CRAMPON)

 

Si, si, c’est dans la Bible. Moi qui ai un mal de chien à me rappeler les blagues, vous savez, celles qui font marrer tout le monde à la fin du repas, celle-là, je la connaissais, mais avec une variante. Ce n’était pas l’aigle, mais le nuage, qui passait dans le ciel sans laisser de trace. Bon, on ne va pas épiloguer. L’aigle ou le nuage, le serpent, le bateau, je veux bien. Mais la jeune fille ? Est-ce que c’est sérieux ? Moi, j’ai plutôt l’impression que le gars qui a écrit ça me prend pour une bugne.  

 

 

Prenez-la pucelle, prenez-la déjà un peu ou carrément usagée, qu’est-ce que ça veut dire ? Que lorsque l’homme ressort de la jeune fille après sa petite affaire, c’est comme si rien ne s’était passé ? Est-ce que ça signifie que l’orifice féminin est aussi inconsistant que l’air dans le ciel ? Aussi fuyant que l’eau de la mer ? Je laisse de côté le rocher, parce que … ça ne fait pas très réalistequand on examine posément la question. Quoi qu'il en soit, la Bible semble faire du féminin quelque chose qui n’est pas grand-chose.

 

 

Et puis franchement, pour l’engin masculin, c’est exactement la même chose : sans vouloir verser dans le vulgaire, y reste-t-il accroché quelque chose de l’antre féminin qu’il vient de visiter, en dehors des éventuels bocons, morpions, cirons, flocons et autres moutons, après la douche ? Dans ce cas, pourquoi seule la jeune fille est-elle citée ? N’y a-t-il pas quelque misogynie à la stigmatiser elle seule ? Et puis, est-ce qu’il n’y aurait pas, par hasard des traces autres que les visibles ?

 

 

C’est vrai que, dans certaines circonstances, la trace laissée par l’homme dans la jeune fille finira par se voir, au bout de quelque temps (9 mois environ).  Mais en dehors de ça, si quelqu’un peut m’expliquer la possible signification théologique, il est le bienvenu. S’il faut avoir Bac + 12 pour lire la Bible, ça augure mal de sa compréhension par les masses croyantes.

 

 

Une petite mention en passant pour les « madrasas », où les Pakistanais, Indonésiens et autres musulmans apprennent le Coran par cœur dès le plus jeune âge. Je signale que "taliban" vient de "taleb", qui veut dire "étudiant" (j'imagine qu'il étudie en tout et pour tout le Coran). Ça vaut les sectes protestantes. En pire. Tous ces gens qui, ayant appris par cœur des centaines, voire des milliers de pages qu’ils se récitent en boucle dans leur disque dur, moi ça me flanque la frousse. Parce que ça suppose que, tant que tu ne fais pas la même chose, tu restes leur ennemi.

 

 

Et les plus atteints, donc les plus dangereux, c’est ceux qui s’en tiennent une fois pour toutes à la lettre. J’ai connu un étudiant qui s’était fait embrigader dans les témoins de jéhovah, et qui n’en démordait pas : quand on lit la bible, on n’a strictement aucun besoin de lire quelque autre livre que ce soit. Je te dis pas l’étendue de sa culture générale.

 

 

Cet autre, qui s’appelait Taoufik, il était pourtant intelligent, avide d’apprendre, et c’est vrai qu’il en savait plein, des choses. Et puis un jour, il est arrivé, et il a déclaré fièrement que le Coran rend absolument inutiles, donc condamnables et combustibles, tous les autres livres. Il s’était laissé pousser la barbe.

 

 

C’est exactement ce principe qui a guidé le calife OMAR, en 642, quand il ordonna de détruire les 700.000 volumes que recelait la bibliothèque d’Alexandrie : « Si c’est dans le Coran, on n’en a pas besoin. Si ça n’y est pas, ce sont autant d’impiétés ».

 

 

Finalement, la Bible, c’est très surfait. Je n’avais déjà pas très bonne opinion des méthodistes, adventistes, mormons, quakers, témoins de jéhovah et autres sectes inventées grâce à la trouvaille que fut, chez les protestants, le lien direct établi spontanément entre Dieu et son croyant.  

  

L’appellation qui remporte tout mon suffrage, c’est l’Eglise de Jésus Christ  des Saints des Derniers Jours. C’est les mormons, ça, à vue de pied de nez ? Mais, comme dirait BRASSENS : « Moi mon colon celle que je préfère, c’est la guerre de 14-18 ». Chacun de ces protestants est à lui tout seul une petite entreprise qui ne demande qu’à prospérer, à s’étendre, à se répandre. « Allez, enseignez toutes les nations », qu’il dit, l’autre. On n’a pas fini d’en chier, avec les guerriers de dieu, les missionnaires, les prosélytes.

 

 

Bon, c’est vrai qu’ils n’en sont pas encore, les protestants, comme certains autres, à faire tenir leur pantalon avec une ceinture explosive au milieu des « infidèles », si possible des femmes et des enfants. Mais, la bombe en moins, c’est kif-kif bourricot.

 

 

Bon, on m'a dit qu'il n'y avait pas que ça dans la bible. Je la rouvrirai peut-être, mais à une autre page, en espérant tomber sur un passage plus rigolo. En tout cas, moi, je suis bien content d’être immunisé.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NOTE A BENNE : je sais, on va me dire que je plaisante avec des choses sacrées, que la bible est le plus grand best-seller de tous les temps, et patali et patala. Que voulez-vous, je ne peux pas demander à ma mère qu'elle me refasse. Elle se fait vieille.

 

 

 

 

dimanche, 29 janvier 2012

CONNAIS-TOI TOI-MÊME, C'EST UN ORDRE !

PREAMBULE VENU DU FOND DES ÂGES

 

(Attention, c'est du lourd !)

 

Madame Coutufon m'a dit avant-hier que « connais-toi toi-même » est le plus célèbre des préceptes que les Grecs avaient gravé sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes.

 

Γνῶθι σεαυτὸν

(= gnôthi séautonn)

 

Madame Coutufon, vous ne le savez peut-être pas, c'est chez elle que j’achète mon beurre demi-sel, mes épinards et mes conserves, me l’a dit, pas plus tard que ce matin : « Un peu de grec dans la conversation, ça vous pose un homme ». Alors je m’exécute. Est-ce que j’en suis plus « posé » pour autant ? Rien n’est moins sûr. J’en suis marri.

 

 DEVELOPPEMENT GRAVE ET PROCESSIONNEL

 

J’ai connu un type, dans le temps, il s’appelait Œdipe. Eh bien, ça lui aurait fait du bien d’au moins passer devant ce foutu temple, et de la voir, cette foutue devise, au lieu d’aller voir cette vieille sorcière, sur son trépied, au fond de sa grotte enfumée. « What a pity ! », s’exclame l’anglais peu au fait de l’orthographe grecque. Ça aurait évité au nommé Œdipe tous les ennuis qu’il a pris sur le paletot par la suite.

 

Ben oui, il se serait posé les bonnes questions : « Qui suis-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? ». Il aurait pris le temps d’y répondre. Au lieu que là, bille en tête, il est parti dans les pires embiernes (comme on disait chez moi) : « Tu tueras ton père et tu épouseras ta mère ». Il a pris ça pour des ordres, le con ! Alors que c'était le dernier avertissement avant la sanction !

 

Pourtant, le premier commandement du Décalogue (que c’est Dieu qui l’a dit, alors !) le stipule expressément : « Tu ne tueras point », et le vingt-deuxième et demi : « Tu n’épouseras pas ta mère, même si elle te le demande poliment ». En tout cas, c’est pas moi, c’est la Bible. Il faut tout leur dire. 

 

De toute façon, ce type-là, je vais vous dire, je le sentais pas bien. D’abord, il la ramenait sans arrêt. Tu lui voyais les chevilles enfler à vue d’œil. C’est tellement vrai que c’était devenu son surnom (« chevilles enflées »), je te jure que c’est vrai. Va voir la voisine, Madame Etymologie, si tu me crois pas. Et mouche-toi avant de lui parler. Œdipe ? Personne pouvait le piffer, parce qu’on voyait bien que tout ce qu’il voulait, c’était flanquer des complexes à tout le monde. Qu’est-ce qu’il s’en croyait !

 

Le pire, c’est que ça marchait. Et que ça marche encore. Infect, je vous dis. J’ai eu beau en parler à Sigmund, son meilleur pote, rien n’y a fait. Au contraire, Sigmund, ce salaud, il a tout de suite flairé la bonne affaire, et il a illico monté sa boîte, qu’il a appelée « Au Complexe d’Œdipe ». Je te dis pas le succès monstre : il a ouvert une boutique, et tout de suite ça a été l’affluence.

 

Au point qu’il a été obligé d’ouvrir des boutiques en série un peu partout, et de les confier à des gérants – pas toujours bien nets, il faut bien le dire. Et ça a marché du feu de dieu. La boîte principale s’est progressivement scindée en succursales multiples, sous les « raisons sociales » les plus diverses.

 

Ça a d’abord été la succursale « Jung », puis la « Rank » ou « Reik », je ne sais plus, et puis les scissions se sont multipliées, comme n’importe quel groupuscule trotskiste en ordre de marche, et l’on ne compte plus, aujourd’hui les « appellations d’origine » plus ou moins contrôlées. Il y a eu la « Reich », la « Lacan », et tellement d’autres que tu peux pas imaginer ; tout est bon dans le cochon pour appâter le gogo.

 

En fait, Sigmund se démerdait pour instaurer une concurrence acharnée entre toutes ces succursales. Les bisbilles entre « Néo-école freudienne » et « Ecole néo-freudienne », c’était du chiqué, juste pour la galerie, juste pour mettre de l’animation, quoi !  

 

Il mettait de l’huile sur le feu de dieu, et en sous-main, c’est lui qui tirait les marrons du feu de dieu. Un jour, on a appris par les journaux qu’en fait, depuis le départ, une holding appelée « Œdipe et Sigmund », chapeautant l’ensemble du groupe, avait été fondée et astucieusement domiciliée aux îles Caïman, l'empereur du paradis fiscal dans l'empire des paradis fiscaux.

 

La thune qu’ils se font, les gaillards, à se prélasser sur la plage, avec plein de bimbos en pleines formes qui viennent leur caresser le cuir et le reste, et plus si affinités, pendant que leurs milliers de comptes en banque leur crachent du cash sans qu’ils aient à lever le petit doigt pour ça. Ecœurant. Tout ça parce qu’ils ont trouvé l’idée du siècle, allonger sur des milliers de divans des dizaines de milliers de paumés pour qu’ils racontent leur vie. Ces gars-là, ils gagnent des fortunes rien qu’en respirant (réplique piquée à La Vérité si je mens).

 

 

Il y aurait même une affaire « Œdipe et Sigmund », si l’on en croit les révélations fracassantes de Pierre Péan, l’enquêteur justicier bien connu, qui a reçu bien des menaces de mort à cause de ça. Selon lui, la Mafia serait une assemblée d’enfants de chœur, comparée aux réseaux tentaculaires et inextricables de la holding « Œdipe et Sigmund ».

 

Leur spécialité ? Une multinationale du racket. Avec le consentement exprès des victimes, s’il vous plaît. Aucun juge, aucun policier n’a jamais pu apporter la moindre preuve du plus minime délit. Même pas un témoin repenti. Bien mieux et plus efficace que la Scientologie, c'est dire. Soit dit entre parenthèses, il se murmure dans les cercles bien informés que Pierre Péan serait le « ghost writer » du « best seller » de Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole.

 

On s’en souvient, l’intrépide chevalier-philosophe de Caen, et par ailleurs graphomane infatigable (jusqu’à dix gros ouvrages publiés en une seule année !), était parti en guerre contre les moulins à vent de la mystérieuse confrérie. Sans plus de succès au demeurant que Le Livre noir de la psychanalyse, quelques années plus tôt. La puissance de l’hydre est encore telle que rien ne peut en ébrécher la carapace.

 

 

En attendant, on se perd en conjectures sur les motifs d’un succès que rien ni le temps qui passe ne semble devoir amoindrir. Une hypothèse audacieuse a cependant été formulée récemment : et si, après tout, le nommé Œdipe était tout de même passé devant ce foutu temple d’Apollon et avait lu la foutue devise ? Γνῶθι σεαυτὸν ? « Connais-toi toi-même » ? Ce n’est pas impossible. Le temps de vérifier, et je vous tiens au courant.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

On verra si c'est à suivre, cette affaire.

samedi, 28 janvier 2012

C'EST PAS MOI, M'SIEUR, C'EST ZOLA !

Résumé : EMILE ZOLA est le champion toutes catégories de l'énumération descriptive et de la description énumérative.

 

 

EPISODE 3

 

 

Cette frénésie d’énumération est exactement le défaut qui me rend insupportable la lecture de La Faute de l’abbé Mouret. Figurez-vous une tranche de « Paradou » entre deux tranches de religion. Bon, passe que ZOLA soit un anticlérical fieffé, qu’il s’en donne à cœur joie. Mais le Paradou reste indigeste aussi pour d'autres raisons que ce prêche cousu de fil blanc.

 

 

 

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C'EST-Y PAS BEAU, LA FAMILLE ?

 

 

 

Comme dans Le Ventre de Paris et Au Bonheur des dames, l’auteur se laisse embarquer dans des litanies : ici, ce sont toutes les plantes qu’on trouve dans ce lieu paradisiaque, où l’abbé découvre le bonheur dans l’amour charnel.

 

 

Il est vrai qu’il n’est pas le seul à être pris de la folie de l’énumération. Je ne parle évidemment pas de Maître RABELAIS, qui domine forcément les débats avec ses listes de livres, de fous, de « couillons », etc. Mais on trouve quelque chose d’analogue, me semble-t-il, dans Suzanne et le Pacifique, de JEAN GIRAUDOUX.

 

 

Ce sont d’infernales énumérations, un interminable catalogue de toutes les plantes, de toutes les fleurs possibles, de paysages gorgés de sève et saturés de symboles : vertuchou, mille capédédiou, palsambleu, vertubleu, que c’est lourd ! La belle Albine opère sur l’abbé Mouret un « détournement de curé », et consomme en sa compagnie le crime de lèse-chasteté sous le grand arbre qui figure évidemment le père de toute chose. Et tout d’un coup, l’ecclésiastique a la révélation de la religion de l’amour charnel.

 

 

Et par qui l’abbé Mouret sera-t-il chassé du Paradou ? Par le frère Archangias : je vous le dis, rien ne nous est épargné. Il y a la Teuse, qui chapitre son curé en l’aimant bien quand même. Il y a le clan des mécréants : le docteur Pascal, la jeune Albine, le vieux Jeanbernat, qui finit par couper l’oreille d’Archangias (le Mont des Oliviers, mon vieux !).

 

 

Le curé, qui exprime au début le désir de rester eunuque, sera exaucé à la fin, quand il perdra sauvagement ses attributs, rendu à sa castration ordinale, après un passage éclatant, quoiqu'exorbitant, par la casevirile des hommes ordinaires.

 

 

On a une scène analogue à la fin de Germinal, quand les femmes châtrent l’épicier Maigrat (au nom oxymorique) et se promènent ensuite en brandissant fièrement tout l’appareil (mais là, il y a une vengeance ; enfin, n’y a-t-il pas toujours une vengeance dans la castration ? Je pose la question à Papa FREUD).

 

 

ZOLA a par ailleurs le souci de semer des petits cailloux blancs qui servent d’indices. Ici, ce sont quasiment des rochers : la femme morte dans la chambre ; le mot « suicide » en plein milieu de la 2ème partie. On retrouve l’auteur scolaire, qui ne laisse pas son livre vivre et respirer par lui-même, et qui proclame : « C’est moi qui commande ! ».

 

 

On a envie de lui dire : oui, on a compris que tu rejettes l’Eglise parce qu’elle est foncièrement opposée à cette Nature que tu présentes comme seule affirmation légitime de la Vie, qu’elle est négation radicale de la vie. Même rapportée à l’époque (réaction catholique avant les combats de la laïcité), ça fait d'un lourdingue, mes aïeux !

 

 

***

 

 

Nana tient davantage la route. Je ne parle pas de la pouliche de ce nom qui court à Longchamp (ou à Auteuil, je ne sais plus), déclenchant l’hystérie des parieurs. La facétie est anecdotique. Je parle de cette femme à nom de jument (à moins que ce ne soit l’inverse) venue des bas étages de la société (Gervaise et Coupeau de L’Assommoir) et à qui le théâtre va donner l’occasion de côtoyer et de pénétrer la haute société. Pour utiliser un mot moderne, le théâtre joue le rôle (un comble, pour un théâtre) d’interface entre les bas-fonds et le beau monde.

 

 

 

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NANA ? 

 

Nana n’est pas douée du tout pour le théâtre, mais son corps est fait de telle façon que sa simple apparition, pas trop habillée, sur une scène, met la gent masculine en délire, ce qu’aucun directeur de salle au monde ne saurait négliger. La « thèse » est limpide, comme d’habitude chez ZOLA : ce qui guide les hommes, ce ne sont pas les idées (ou autres fumées), ce sont les appétits.

 

 

Ce qui est drôle avec ZOLA, c’est que c’est comme ça que ça fonctionne : j’ai l’idée de ce que je veux démontrer, je rédige mon programme, et sur cette grille, je ponds mes 400 ou 500 pages. Les appétits sont capables de bouleverser les statuts sociaux, qu’on se le dise. Ça, c’est l’idée. La grille, c’est cette fille qui se prostitue à seize ans et qui devient une des femmes les plus célèbres de Paris à dix-huit, tout ça parce que son corps fait du mâle un cinglé prêt au pire. L’un devient un escroc, l’autre se suicide, bref, Nana, c’est Attila.

 

 

C’est par exemple le banquier Steiner qui doit régulièrement refaire sa fortune pour la claquer en femmes. C’est le comte Muffat, personnage socialement très en vue (chambellan de l’Impératrice), qui va de déclassement en déclassement, et qui devient au fur et à mesure un personnage tragique (ou dérisoire), pour les beaux yeux (et le reste) de celle qui était une putain il n’y a pas si longtemps.

 

 

 

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Alors c’est sûr, on peut se dire que ZOLA montre « les bouleversements d’un ordre miné de l’intérieur par sa propre gangrène » ; la réversibilité des rangs sociaux. L’ordre social tel qu’il existe n’a pas de sens, seul l’arbitraire y règne, à travers les appétits des différentes forces en présence. Je dis : certes !  

 

 

Encore deux choses à noter au sujet de Nana : la première, c’est la dernière scène du roman qui montre Nana en train d’agoniser dans sa chambre, atteinte de la « petite vérole », pendant que tous « ses hommes » font les cent pas sur le trottoir. Une scène très « cinématographique », je trouve. Et comique.

 

 

La seconde, c’est encore une fois sur la méthode de composition de ZOLA, qui semble toujours craindre que le lecteur ne comprenne pas ce qu’il tient absolument à démontrer. Ici, il applique la technique de « l’essuie-glace » : on passe avec une régularité de métronome de la description des bas-fonds aux intérieurs bourgeois, dans des allers-retours éminemment didactiques.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre, une autre fois.

 

 

vendredi, 27 janvier 2012

PROPAGANDE ET DEMOCRATIE (fin)

Résumé : les succès de SARKOZY sont bâtis sur une grosse machine à PROPAGANDE. Le Parti Socialiste a beaucoup réfléchi et, après mûre réflexion, a fini par se dire : « Pourquoi pas moi ? ».

 

 

Donc cette fois, qu’est-ce qu’on a mis en face de NICOLAS SARKOZY, comme produit ? On a troqué la preuse (ben oui, pourquoi y aurait pas de féminin à « preux » ? Vous voyez que j’ai l’esprit et la grammaire larges) héroïne nationale, SEGOLENE ROYAL, contre un fromage de HOLLANDE qui, à vue de nez, ne sort pas tout frais de la fabrique.

 

 

 

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LA BLAGUE EST UN PEU FACILE, MAIS INEVITABLE 

 

Ce n’est pas faute de conseillers en communication (chargés précisément du packaging du produit). Mais cette fois, promis, on va faire moins amateurs. Bon, c’est vrai, le moteur tourne de temps en temps sur « trois pattes », mais on a des bons mécanos dans l’équipe. Vous allez voir ce que vous allez voir. Roule Raoul.

 

 

Ce qui est sûr, c’est que la com’ de SARKOZY en 2007 n’est pas tombée dans l’œil d’un paralytique, et que le verrouillage des images n’est pas tombé dans l’oreille d’un aveugle. Au « grand meeting inaugural de la campagne de FRANÇOIS HOLLANDE », au Bourget, dimanche dernier, c’est une officine du Parti « Socialiste » (ou payée par lui) qui a exclusivement fourni les images offertes par la télévision dans la soirée. Exactement ce qu'avait fait SARKOZY en 2007. Entre eux, ils se piquent les trucs qui marchent. Enfin, ils espèrent que ça marche.

 

 

Ouverture de la parenthèse sur la bande-son du « meeting-du-Bourget-de-FRANÇOIS-HOLLANDE ».

 

 

C’est sûr qu’elle a été particulièrement soignée. On se serait cru chez STANLEY KUBRICK en personne, l’orfèvre en matière de bande-son, un des rares cinéastes à avoir fait des films qui « s’écoutent » vraiment. Tiens, regardez voir Eyes wide shut, et écoutez le piano obsédant de GYÖRGY LIGETI.

 

 

Au Bourget, je ne sais pas si vous avez fait attention à ça. Vous entendez l’orateur – mais est-ce que FRANÇOIS HOLLANDE est un orateur ? Ecoutez bien, vous entendez autre chose en même temps : la foule l’acclame pendant qu’il parle. C’est une acclamation EN CONTINU. Etonnant, la clameur collective semble ne jamais s’interrompre. Un sourd rugissement, venu du fond des êtres, sert de socle constant aux envolées du candidat du Parti « Socialiste ».

 

 

La foule trépigne donc sur place. L’orateur, pour donner l’impression que c’est lui qui déclenche cet enthousiasme, en même temps qu’il domine la situation, doit pousser sa voix. Le public est si heureux d’avoir trouvé le chef charismatique, qu’il l’incite à se dépasser, et le chef est tellement charismatique qu’il déclenche l’hystérie du public. La clameur le dispute à l’orateur dans des assauts alternés d’intensité et d’enchantement. J’ai trouvé ça spectaculaire.

 

 

Dans la tradition du discours de campagne, le public laissait sagement le chef développer un thème. Puis, lorsque le point culminant avait été atteint et que des mots qui marqueront forcément l’histoire avaient été prononcés, dans un élan lyrique particulièrement réussi, il laissait jaillir son allégresse comme un « sonneztrompettes éclatantes, taratata, taratata » (chœur des enfants au début de Carmen).

 

 

Ici, me semble-t-il, le Parti « Socialiste » a mis au point dans ses laboratoires de propagande une belle innovation : la manifestation permanente d’un enthousiasme collectif qui ne demande qu’à se répandre, à se propager dans la population entière, après avoir été dûment enregistrée dans la boîte aux images. On n'arrête pas un peuple enthousiaste qui déferle sur la place Tahrir. C'est l'effet de masse. Le peuple en marche est irrésistible. C'est le message des communicants du Parti « Socialiste ».

 

 

Tout cela est très au point, vraiment. Car évidemment destiné au sacro-saint « 20 heures » de TF1. C'est important, l’élaboration de la bande-son. J’espère que les « chauffeurs de salle » ont été dûment rémunérés, voire récompensés. Qu’on se le dise : le Parti « Socialiste » non plus, ne laissera rien au hasard, en 2012, pour ce qui est de la « communication ».

 

 

Clôture de la parenthèse.

 

 

Cela veut dire une chose : la machine à PROPAGANDE, qu’on soit à gauche ou à droite, tourne à plein régime. Bon, c’est vrai, je me suis déjà interrogé sur l’épaisseur de la feuille de papier à cigarettes qui sépare la droite de la gauche.

 

 

 

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C'EST-Y PAS BEAU ?

(le candidat avant son régime)

 

Et BERNARD ACCOYER peut toujours dire que si FRANÇOIS HOLLANDE est élu, la France subira un désastre comparable à celui d’une guerre. « Paroles verbales ». Mauvais cinéma. Gesticulation théâtrale. Car il faut posséder un nuancier excessivement précis, ou une balance de revendeur de haschich pour apprécier ou peser la différence entre P. S. et U. M. P.

 

 

Oui, je sais, on va encore me dire que j’exagère. Que le bipartisme existe toujours bel et bien en France. Et patali et patala. C’est vrai, on met une pincée de social et de redistributif d’un côté, on insiste de l’autre sur la sécurité et la performance économique.

 

 

Mais regardez 1983 : c’est bien le Parti « Socialiste » et FRANÇOIS MITTERRAND qui se sont convertis une fois pour toutes à l’économie de marché, à la concurrence « libre et non faussée », bref, à l’ultralibéralisme. Et qu’ils ont froidement laissé tomber, disons le mot : trahi les « couches populaires ».

 

 

Ce faisant, il faut le reconnaître, ils ont bien anticipé la chute du Mur de Berlin, la défaite du (soi-disant) « communisme » et le triomphe aveuglant du capitalisme, du libéralisme et de la finance débridée. Ont-ils pour autant eu raison de le faire ? Moi, je dis non.

 

 

Du coup, comme il n’y a plus qu’un seul système, mais que ça serait compliqué et risqué de le dire, gauche et droite sont obligés de faire comme si la guerre froide continuait. Ils sont tous obligés d’aller fouiller dans les poubelles de l’Histoire pour dénicher des « thèmes » qui les démarqueront de l’adversaire. A condition de ne pas se les faire piquer (cf. les GUY MÔQUET, JEAN JAURÈS sortis de la bouche de SARKOZY ; remarquez, MARINE LE PEN s’est bien mise à parler de « justice sociale » et de « redistribution »).

 

 

On n’est plus dans la politique. On est bien dans l’argumentation publicitaire. En débat public, ils haussent le ton comme au théâtre pour faire croire qu’ils s’engueulent et que de vraies « convictions » antagonistes les habitent et les opposent, irréconciliables. Mais regardez-les, les larrons en foire, les margoulins qui surveillent les clôtures des prés où leurs bêtes pâturent. S’agirait pas que le maquignon d’en face me pique la Blanchette, sinon qu’est-ce qui va me rester comme fromage ?

 

 

Il y a quand même quelques indices qui laisseraient presque des raisons d’espérer. Je ne sais pas si j’ai raison, mais il me semble que, si la machine à PROPAGANDE turbine plus fort que jamais, son rendement baisse de façon spectaculaire. Comme si la production d’automobiles régressait vers ses premiers âges, quand on faisait des moteurs de 200 CV qui tiraient péniblement la bagnole à 40 km / h.

 

 

Je ne voudrais pas trop m’aventurer, mais j’ai comme l’impression que le BARATIN a un peu plus de mal à faire de l’effet. Alors je voudrais vous dire que si, le 22 avril 2012, soir du premier tour de la présidentielle, j’entends qu’au deuxième tour, ce sera BAYROU contre LE PEN, je débouche le champagne.

 

 

Vrai, si les deux GEOLIERS (les deux GARDE-CHIOURME, si vous préférez) de la vie politique en France se font blackbouler, le lendemain matin, les flics pourront à bon droit et raison me placer en cellule de dégrisement pour une semaine. Et je redeviens OPTIMISTE, promis, juré, craché. Même si je ne me berce de nulle illusion quant à la nature profonde de FRANÇOIS BAYROU et de MARINE LE PEN.

 

 

Rien que la perspective d’un Parti Socialiste dans les choux et d’un U. M. P. dans les pommes, ça me donnerait une de ces patates !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

 

jeudi, 26 janvier 2012

PROPAGANDE ET DEMOCRATIE

C’est très curieux, une campagne électorale. Regardez celle de 2007 : tout est verrouillé, autour de NICOLAS SARKOZY. Je pense à cette photo de lui à cheval, en Camargue, paradant à proximité d’une charrette à foin tirée par un tracteur, sur laquelle la foule des photographes de presse a été vivement invitée à monter, au point que plusieurs sont en équilibre instable. Pas une image ne doit montrer le bout du nez en dehors de celles prévues par l’U. M. P. (ou l’officine de prod. qui en tenait lieu).

 

 

Car SARKOZY avait inventé, enfin, non, plutôt piqué aux Américains, le contrôle intégral des images distribuées dans les médias : une boîte de production payée par l’U. M. P. avait fabriqué 100 % des images vues alors à la télévision.

 

 

 

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NICOLAS SARKOZY A LA MAIN HEUREUSE QUI LE DEMANGE

 

 

Une manière de dire aux médias : vous êtes des moins que rien. Si vous croyez pouvoir jeter un œil critique sur notre campagne, vous vous fourrez le doigt dedans. C’est nous qui sommes chargés de la publicité. Et personne d’autre. Sur la base du principe : « Qui maîtrise les images maîtrise la réalité ».

 

 

Résultat, les gens n’ont vu que du papier millimétré, intégralement élaboré dans le laboratoire d’une officine privée, spécifiquement rémunérée pour ça. Ils n’ont rien vu d’autre, dans le pays qui célèbre régulièrement la liberté de la presse, que des images plus lisses et brillantes que des fesses de bébé sorti du bain. Cela signifie une chose précise et inquiétante : nous vivons désormais à l’ère de la PROPAGANDE, et d’une propagande qui s’affiche de plus en plus éhontément comme telle.

 

 

Pas du subliminal, non, de l’explicite bien net et bien franc. Enfin pas tout à fait, parce qu’il fallait être au courant des secrets de fabrication, sinon, on était devant ces images comme devant un film de cinéma ou une pause publicitaire : on gobait, un point c’est tout.

 

 

Parce qu’au cinéma, si vous n’êtes pas du métier, vous ne vous demandez pas si le plan est rapproché, américain ou éloigné, de quelle façon le film a été monté ou quels sont les angles préférés du cinéaste : un film, ça marche ou ça ne marche pas. Si ça marche, vous gobez, sinon, vous sortez. Sauf si vous vous dites que c’est bête d’avoir payé la place pour rien.

 

 

En face, en 2007, c’est sûr, ça faisait un peu amateur. SEGOLENE ROYAL, on a tout su de la conception et de la réalisation de sa campagne. On a su qu’elle avait un metteur en scène de cirque pour ses meetings, un habilleur, et tout le toutim. On n’a rien ignoré du nouveau flou de ses cheveux et de sa longue tunique, de la symbolique de ses couleurs, le bleu et le blanc de JEANNE D’ARC, j’en passe, et des meilleures, comme disait VICTOR HUGO (Hernani, III, 6).

 

 

On a tout su de ce qui se passait dans les coulisses de la candidate. On n’a rien su de la fabrique des images qui a vendu celle du produit NICOLAS SARKOZY. Le « marketing », le « merchandising », le « packaging » du détergent miracle ont fonctionné de façon absolument impeccable.

 

 

Comme le camelot et le produit étaient un seul individu, passez muscade, comme disent les petits escrocs de rue, avec leur bonneteau. Les électeurs ont acheté. Il leur a fallu quelques années pour déballer le détergent révolutionnaire, et se rendre compte que c’était de la poudre de perlimpinpin. Cela prouve une chose : que la PROPAGANDE, ça marche.

 

 

 

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L'HYENE VOUS SALUE BIEN

 

 

 

Et ce n’est pas fini. NICOLAS SARKOZY nous la joue en ce moment « homme-courageux-qui-a-ses-faiblesses », sur le mode « si je perds, je quitte la politique », qui ne veut dire qu’une chose : « aimez-moi, je vous en supplie », sanglotez, violons !

 

 

Le packaging va forcément être révisé, la révision des cinq ans, je vous la rends comme neuve. Mais la poudre est toujours la même perlimpinpin, celle de la fée qui transforme la citrouille en carrosse et Cendrillon en princesse, attention, jusqu’à minuit pas plus. Après, tant pis pour toi. Tu reviens à pinces.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Demain, promis, on goûte le fromage de HOLLANDE. Est-ce du Gouda (prononcer raouda, comme la ville), du frison, du leyden, du leerdamer, de la mimolette, du limbourg ? Le suspense est à son comble.

 


 

mercredi, 25 janvier 2012

ALORS, GORGON OU ZOLA ?

EPISODE 2

 

 

Je passe rapidement sur Pot-Bouille, sorte de La Vie mode d’emploi avant l’heure. Le « projet », évidemment, n’a rien à voir avec celui de GEORGES PEREC. On voit le jeune Octave Mouret avant son irrésistible ascension sociale, passer comme un ludion d’un étage à l’autre de cet archétype de l’immeuble bourgeois haussmannien, au gré de ses conquêtes féminines. L’idée est assez rigolote.

 

 

 

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PHOTO PRISE PAR ZOLA (EXPO 1900 ?)

 

 

 

On voit la société qui occupe la scène (l’escalier principal) et la société qui reste en coulisse (l’escalier de service). Je me rappelle qu’au 5 de la rue Valentin-Haüy, l’escalier principal était recouvert jusqu’au dernier étage d’un superbe tapis rouge, solidement maintenu en place, à chaque marche, par une tringle de cuivre ou de laiton, et que l’escalier de service ouvrait dans la cuisine.

 

 

On fait connaissance avec Mme Josserand, personnage superbe, peut-être le foyer romanesque. On renifle les remugles qui montent de la cour, décrite comme un pur fantasme d’énorme poubelle. Mais on se lasse vite de quelques obsessions lexicales : « débâcle », « débandade », « massacre » (qu’on retrouve constamment aussi dans Au Bonheur des dames).

 

 

***

 

 

Au Bonheur des dames me rase passablement. La seule chose qui retient mon attention, c’est l’ensemble des observations d’ordre économique touchant l’essor du commerce de grande distribution, comme naissance d’une industrie tout entière fondée sur la production et la consommation de marchandises. Voilà quelque chose de lucide et moderne.

 

 

On y voit le petit artisan Bourras, qui sculpte amoureusement ses pommeaux de parapluie, se faire balayer impitoyablement par les entreprises qui produisent en grande série des objets standardisés et sans grâce, dans une logique d’accumulation et d’empilement. Tout cela est très juste, y compris la perte de l’amour du travail bien fait.

 

 

C’est d’autant plus juste que le projet de l’ambitieux Octave Mouret est de réduire la femme en esclavage. Pour moi, ce livre, qui n’est pas un bon roman, est en revanche un excellent documentaire, qui n’a rien perdu de son actualité. Tout ce qui y est romanesque est comme un dahlia artificiel dans un bouquet de roses fraîches.

 

 

Ce qui est difficile à supporter, là encore, c’est l’intention démonstrative, le schématisme des situations et des personnages, à commencer par le conte de fées qui clora le roman : Denise Baudu, petite employée héroïque qui élève ses deux frères, tapera dans l’œil d’Octave Mouret, qui la suppliera de l’épouser. Commencée avec les excavateurs, l’histoire se termine dans le sirop.

 

 

Ce qui est proprement insupportable, en cours de route, ce sont les trois visites éprouvantes, épuisantes, ennuyeuses, assommantes, etc. que l’auteur inflige sans pitié au lecteur, au fur et à mesure qu’Octave Mouret installe, dans le paysage économique en général et urbain en particulier, le triomphe du commerce industriel. Trois fois un interminable tour du propriétaire qui ne nous épargne aucun détail.

 

 

***

 

 

Ensuite, entrons dans Le Ventre de Paris. Franchement, qui peut considérer ce livre comme un chef d’œuvre de la littérature ? La littérature selon ZOLA est une entreprise. Si l’on veut, une entreprise picturale : il s’agit de composer un tableau. Attention, un tableau complet. Un tableau littéraire, si l’on veut, mais un tableau scientifique. On ne plaisante pas. La différence entre ZOLA et FLAUBERT, c’est que celui-ci efface méticuleusement les traces de son travail, alors que celui-là laisse les ficelles bien visibles.

 

 

Un détail est à prendre en compte : les Halles de Paris, ce sont celles de VICTOR BALTARD. Il faut garder ça présent à l’esprit pendant la lecture, qui en sort un peu sauvée par ce filigrane, cette perspective virtuelle. Qu’est-ce qui m’a rasé, dans ce livre ? Je le dis tout de go : la conception purement théorique et démonstrative de la trame. On sent l’esprit de système à l’œuvre.

 

 

 

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HALLES DE BALTARD

 

 

 

Je passe sur les accumulations de boustifaille, petit 1, les légumes, petit 2, les volailles, petit 3, les poissons, et le reste défile à l’avenant. Si, quand même, je garde la scène où les femmes qui bavassent ont percé à jour le bagnard évadé dans le personnage de Florent, au milieu de l’odeur puante des fromages. Bon, d’accord, c’est rigolo. Mais ZOLA, ayant eu l’idée de son roman, développe tout ça avec une application scolaire horripilante.

 

 

Florent et Gavard sont si peu crédibles en républicains comploteurs et insurrectionnels que le retour de Florent au bagne est comme inscrit sur sa figure. Sa naïveté est si éclatante que, même comme outil romanesque, elle ne tient guère la route. Et le Gavard qui exhibe tout fiérot son pistolet devant les femmes ! Les ficelles du romancier sont trop grosses. L’intrigue finit par apparaître comme un simple prétexte à l’exposé documentaire.

 

 

Un beau personnage, cependant : la charcutière Lisa Macquart, dont on pressent que l’auteur la « sent » mieux. La belle Normande, future Mme Lebigre (le cafetier), fait à ce personnage symbolisant la satisfaction et la majesté de la réussite, un pendant honorable. Ne parlons pas de toute la symbolique assenée par ZOLA autour du gras et du maigre. C’est simplement épais.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre. Une fois, pas plus.

 

 

mardi, 24 janvier 2012

ALERTE AUX CANUTS !

Alerte à la Croix-Rousse. Voilà-t-il pas que L’ESPRIT CANUT déboule dans le journal, pas plus tard qu’aujourd’hui même. C’est en page 20 du Progrès. Je parlais il y a deux jours de l’idée de musée des canuts que l’association s’efforçait de promouvoir, en laissant entendre qu’elle était loin d’être acquise.

 

 

Il en faut plus pour décourager le président, BERNARD WARIN, qui se démène comme un beau diable pour pousser l’idée dans l’esprit des décideurs. Il organise une « table ronde » à laquelle il les invite. Ça se passe à la maison des associations, rue Denfert-Rochereau. THERESE RABATEL, adjointe au maire du 4ème, a fait le déplacement. Ce n’est pas rien.

 

 

On sait maintenant que plusieurs commissions de travail planchent sur le sujet. C’est mieux que rien, même si je ne sais plus qui disait que pour enterrer une question, le mieux était de créer une commission. Ne soyons pas systématiquement négatif.

 

 

Mais c’est vrai que le Canut étant au centre de l’histoire de la ville, ça paraît un peu idiot de ne pas disposer d’un LIEU regroupant tout ce qui a trait à cet aspect précis. Aujourd’hui, on est perdu : musée Gadagne, musée des tissus, maison des canuts, soierie vivante, ça fait beaucoup, ne serait-ce qu’en distance à parcourir pour aller de l’un à l’autre.

 

 

D’autant plus que, BERNARD WARIN en tête, l’association L’ESPRIT CANUT tient beaucoup à la mise en avant de la question sociale qu’illustre parfaitement la corporation des tisseurs. Le président se veut finalement positif, en acceptant l’idée d’un « pôle muséal de la soie », composé de différents lieux. Moi je veux bien, Bernard, c’est mieux que rien. Comme les lieux existent déjà, la mairie n'a donc plus un sou à mettre là-dedans.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

AU FIL DE "LA RECHERCHE" (5)

Résumé : La façon dont PROUST conduit « Un amour de Swann » est donc un chef d’œuvre par sa progressivité.

 

 

***

 

 

On admire que tout se passe indépendamment de la volonté de Swann. Odette ne lui plaît pas. C’est elle qui a décidé de se placer dans son champ de vision, d’y cultiver la rémanence de son image. C’est par effraction que le sentiment amoureux s’introduit en lui. Et il entre dans l’amour à reculons. Il en jouit naïvement, tout en se permettant de courir toujours la cuisinière et la couturière. La leçon est claire : l’amour rend bête. Il dit le plus grand bien des Verdurin, l’idiot.

 

 

L’histoire commence à devenir drôle quand Odette s’éloigne de Swann. PROUST se débrouille qu’on n’ait pas plus que ça de sympathie pour ce presque « grand seigneur » juif, ami des princesses et du boulevard Saint-Germain, qui se dévoie avec des parvenus et des nouveaux riches. L’auteur détaille minutieusement les soupçons qui commencent à se glisser dans son esprit, les efforts et démarches qu’il fait pour rester dans les bonnes grâces d’Odette.

 

 

 

PROUST MAIN.jpg

 

 

 

Il narre par le menu les allées et venues qu’il fait dans sa voiture, conduite par Lorédan (ainsi nommé parce que dans l’esprit de Swann, il ressemble au doge de Venise peint par BELLINI), puis par un remplaçant, quand Odette lui dit qu’elle ne supporte plus celui-ci. Il raconte cette soirée où, bourré de soupçons sur des infidélités qu’elle lui fait avec Forcheville, il va toquer au carreau qu’il croit être de sa fenêtre, et où ce sont deux vieux très surpris qui ouvrent, à sa grande confusion.

 

 

Bref, il se ridiculise. L’épisode amoureux dure (sans que ce soit nettement précisé) quand même quelques années. Il se termine ainsi : « Dire que j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand amour, pôur une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre ! ».

 

 

EPISODE 3 : NOMS DE PAYS : LE NOM

 

 

Ce « chapitre » clôt le livre sur la juxtaposition de trois thèmes : la rêverie du garçon sur les noms, les rencontres avec Gilberte Swann aux Champs Elysées, et le Bois des femmes, autrement dit le Bois de Boulogne.

 

 

Pour lui, le nom de Balbec, d’après ce que Legrandin et Swann lui en ont dit : l’un en parle comme de la partie terminale de la civilisation, à moitié sauvage, habitée par des pêcheurs, des brouillards et des tempêtes ; l’autre parle de la petite église de Balbec, « le plus curieux échantillon du gothique normand, et si singulière ! on dirait de l’art persan ». Du coup, la rêverie « mêlait en moi le désir de l’architecture gothique avec celui d’une tempête sur la mer ».

 

 

L’indicateur des chemins de fer soutient sa rêverie du nom de toutes les gares de Bretagne dont les sonorités se parent de couleurs particulières (MESSIAEN affirmait voir un bleu outremer dans telle harmonie, etc.). On apprend aussi que les chambres de Combray sont « saupoudrées d’une atmosphère grenue, pollinisée, comestible et dévote ». Cette liste est extraordinaire, ne trouvez-vous pas ?

 

 

Un des intérêts de ce « chapitre » est que le narrateur parle de ce qu’il est « avide de connaître » : « ce que je croyais plus vrai que moi-même ». Il y revient plusieurs fois.

 

 

Il imagine ensuite Venise et Florence (« le Ponte Vecchio encombré de jonquilles, de narcisses et d’anémones » : le pauvre, s’il y allait aujourd’hui, il y verrait surtout les fabricants d’objets en or). Il imagine les peintres dont il a vu des reproductions.

 

 

 

VENISE.jpg

CANALETTO

 

 

 

On assiste ensuite à ses rencontres avec mademoiselle Swann aux Champs Elysées, son amour pour elle, et les tourments qu’il éprouve quand il sait qu’elle sera absente tel jour. Chacun de ces gamins est doté d’une bonne. C’est là qu’on retrouve Françoise, d’ailleurs. Les enfants « jouent aux barres ».

 

 

J’ai eu la très curieuse impression de revoir les affres amoureuses de Swann pensant à Odette. Il s’ingénie à analyser ce qui se passe en lui. Son œil est aiguisé, et appuie sur le contraste irréductible entre l’image intérieure qu’on se fait d’une personne et la réalité objective de cette personne.

 

 

On lit dans ce passage une phrase assez ahurissante. Swann vient parfois attendre et chercher sa fille, sans toutefois daigner saluer le narrateur, avec la famille duquel une brouille s’est installée depuis le mariage avec Odette.

 

 

Gilberte et lui vont jusqu’à une baraque où une dame vend des friandises. Elle est particulièrement aimable avec eux « – car c’était chez elle que M. Swann faisait acheter son pain d’épice, et par hygiène, il en consommait beaucoup, souffrant d’un eczéma ethnique et de la constipation des Prophètes – ». J’avoue que la phrase me laisse sur le cul (pardon pour l’élégance). « Eczéma ethnique », « constipation des Prophètes » ? C’est du brutal.

 

 

Il pousse parfois ses promenades avec Françoise jusqu’au Bois de Boulogne, où des gens distingués se croisent, et où surtout Mme Swann se promène, parfois en voiture, parfois à pied, « dans une polonaise de drap, sur la tête un petit toquet agrémenté d’une aile de lophophore, un bouquet de violettes au corsage ».

 

 

Odette, de sa voiture, envoie aux messieurs qui la saluent au passage des sourires, dont l’un veut dire : « Je me rappelle très bien, c’était exquis ! », l’autre : « Comme j’aurais aimé ! ç’a été la mauvaise chance », le suivant : « Mais si vous voulez ! Je vais suivre encore un moment la file et dès que je pourrai, je couperai ». Non, Odette ne se refait pas.

 

 

La fin est consacrée à l’aspect artificiel et composé du Bois de Boulogne, qui : « répondait à une destination étrangère à la vie de ses arbres ». On trouve répété de page en page le mot « factice ». En fait, l’essence du Bois est de servir de cadre aux évolutions des belles promeneuses.

 

 

Quelques phrases à relever, quand il considère le passage du temps et la disparition de la beauté dans le passé : « Quelle horreur ! me disais-je : peut-on trouver ces automobiles élégantes comme étaient les anciens attelages ? Je suis sans doute déjà trop vieux, mais je ne suis pas fait pour un monde où les femmes s’entravent dans des robes qui ne sont même pas en étoffe ». « Quelle horreur ! Ma consolation, c’est de penser aux femmes que j’ai connues, aujourd’hui qu’il n’y a plus d’élégance ».

 

 

Ainsi finit Du Côté de chez Swann. Que me reste-t-il de la lecture ? Pas facile à dire. La première chose qui me frappe, c’est que j’ai lu déjà deux fois A la Recherche du temps perdu, et j’ai l’impression, aujourd’hui, que je n’avais jamais ouvert le livre.

 

 

Il y a bien des éléments qui m’étaient restés, Swann et Odette, la maison de Combray, etc. Mais d’une manière générale, en l’ouvrant pour la troisième fois, c’est comme si c’était la première. Peut-être que c’est toujours la première fois, après tout.

 

 

Ce que je trouve incommensurable et inextricable, c’est l’infinité des détails qui composent le récit, une matière tellement foisonnante, une végétation tellement luxuriante qu’il est impossible à l’observateur de tout saisir, de tout retenir. Impression que MARCEL PROUST a fait le choix de cette  syntaxe hors du commun pour se donner la capacité d’embrasser un vaste univers de sensations, d’aperçus.

 

 

Syntaxe hors du commun : je n’apprends rien à personne. Les phrases de MARCEL PROUST sont construites de manière à ce que le lecteur, quand il arrive au milieu, doit revenir au début pour rétablir mentalement la structure grammaticale. Je comparerais ça à la marche dans une forêt vierge encombrée de lianes : on avance de quelques mètres, on se retourne, et il est impossible de seulement discerner le point où l’on était auparavant. Oui, c’est inextricable.

 

 

PROUST ne s’y prendrait pas autrement, s’il voulait se donner les moyens d’envisager la vie subjective et le monde extérieur dans leur complexité et jusque dans les plus subtiles de leurs interactions. Autant dire que la lecture de ce monument littéraire est par définition et définitivement inépuisable : l’auteur s’est ingénié à entrelacer considérations et données comme des ronces inermes grimpant autour du lecteur, sinon jusqu’à l’étouffer, au moins à l'étourdir. Dans La Recherche, le lecteur est forcément perdu (pardon pour le jeu de mot, trop évident pour que je m’en prive). En réfléchissant un peu, je comprends mieux cette histoire de « première fois ».

 

 

Faut-il aimer la musique de RICHARD WAGNER pour aimer La Recherche du temps perdu ? C'est probable. Songez que pour aller d'un bout à l'autre de la Tétralogie, il ne faut pas moins de quinze heures et quinze minutes, sans compter les trajets, les entractes et les collations. Non, je rigole, mais il y a de ça. Combien d'heures, quand même, pour aller d'un bout à l'autre de La Recherche ?  J'arrête.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

lundi, 23 janvier 2012

VOICI VENIR "L'ESPRIT CANUT"

Résumé : J'ai rendu hier hommage au grand musicien FRANZ LISZT rendant hommage au bel orgueil ouvrier manifesté par les CANUTS lors de leurs révoltes de 1831 et 1834.

 

 

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FRANZ LISZT ÂGÉ

 

Presque deux siècles après LISZT, on n’est plus dans le même monde (même si le mépris pour le travailleur est resté).

 

Quand j’étais minot et que j’allais embêter quelques concierges en compagnie d'autres futurs bagnards, en arrivant à l’angle de la rue Célu et de la rue Joséphin-Soulary, j’entendais le raffut de quelques métiers qui turbinaient encore par là.

 

Un peu plus tard, j’eus l’occasion de me faire durement rabrouer et rebuter par Monsieur GOUBET, dont je souhaitais visiter et, éventuellement, photographier l’atelier, sis au deuxième étage, à l’angle de la place Tabareau et de la rue Grataloup.

 

 

Il n’avait pas apprécié. Sans doute me considérait-il déjà comme un touriste ? Le vrai canut a le caractère ombrageux. Mais je n’étais pas un touriste, juste un voisin. J’habitais rue Henri-Gorjus, à deux pas. Ce qui m’a nui, c’est sans doute que j’avais encore des cheveux. Oh, à peine, juste quelques dizaines de centimètres.

 

 

Aujourd’hui, c’est certain, le « canut » est mis à toutes les sauces touristiques, à tous les râteliers des tours opérateurs, avides d’exploiter le désœuvrement de générations « mûres », assez ingambes pour se mouvoir sans trop de cannes et de béquilles, en groupes compacts, dans les « traboules » des pentes de la Croix-Rousse, et assez libres de leur temps pour venir respirer l’air de la « colline qui travaille », maintenant qu’elle est débarrassée de la sueur qui l’empestait, précisément à l’époque où elle travaillait (elle est pas belle, ma phrase ?).

 

 

 

Pour l’appellation « canut », on est servi. Au choix ? Les plus connus, les plus « visibles » en tout cas : la République des Canuts, bien vue de la municipalité du fait du caractère « bon enfant » et « apolitique » de l’association, qui se démène pour « animer » diverses manifestations publiques et plus ou moins officielles, en faisant de la musique et en servant à l’occasion des « gorgeons » de beaujolais, sans doute pas tous tirés du carré de vigne qu’elle cultive dans le Parc de la Cerisaie.

 

 

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MAISON DES CANUTS 

 

 

Ensuite, vous avez les deux « sœurs ennemies » : La Maison des Canuts et Soierie Vivante qui, elles au moins, sont consacrées à des survivances du temps des canuts, à la conservation, à l’entretien et au bon fonctionnement de « métiers » (tissu, passementerie).

 

 

 

Disons clairement que la « Maison » est surtout une entreprise, un magasin, accessoirement un « musée », dont la vocation « culturelle » consiste en démonstrations de tissage en direct, et de « bambanes » croix-roussiennes et traboulesques, aux destinées desquelles préside, en temps normal, le distingué et savant cicérone ROBERT LUC. Soierie Vivante est moins facile à trouver, moins couru (le touriste va au plus facile, c’est une sorte de destin fluminal, il suit le courant principal), et partant, plus sympathique.

 

 

 

Et puis vous avez L’ESPRIT CANUT. C’est ceux que je préfère. C’est eux, les emmerdeurs, les « petits poucets rêveurs », les chiens dans le jeu de quilles, les graviers dans la chaussure. C’est du poil à gratter, du comme j’en achetais à « Joyosa » rue d’Algérie. Du temps que… Que ceux qui ont connu le magasin aient une pensée émue pour les « pétards pirates ».

 

 

 

GERARD COLLOMB, vous savez, notre « grand-maire », celui qui aboie son interminable discours de vœux aux associations, d’une voix de gueulard qui me rappelle des portraits d’orateurs ouvriers hystériques qu'on trouve dans L'Insurgé, de JULES VALLÈS. Eh bien, je vais vous dire, GERARD COLLOMB, il n’aime pas du tout « L’Esprit Canut ».

 

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GERARD COLLOMB

GRAND-MAIRE DE LYON

 

Quand il y va de son laïus, t'as l'impression qu'il t'engueule ou qu’il va se "casser la voix", mais non, t’as tout faux : sa voix de vieil adjudant ténor, de poissonnière au marché du Boulevard, c’est son naturel. Texto. Il te refait à sa façon l’histoire de l’Europe et de la Ville. En passant soigneusement sous silence l’attentat commis contre ce coeur du centre-ville que forme l’Hôtel-Dieu, et divers autres forfaits culturels. Mais on n’acquiert pas sans contrepartie, j’imagine, les « trois-points » labellisés G. O. D. F. de la « fraternité ».

 

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FRANCS-MAÇONS EN UNIFORMES

(MAIS PAS A VISAGES DECOUVERTS, FAUT PAS EXAGERER)

 

Alors que l’ « esprit canut », c’est un groupe de personnes pour lesquelles la question sociale garde toute son importance, et qui croient qu’on peut faire revivre l’esprit d’une population laborieuse et très croyante, qui a profondément marqué l’histoire de Lyon, mais qui a maintenant disparu. Accessoirement, l’association, présidée par le bouillant et vigilant BERNARD WARIN, milite, entre autres, pour l’ouverture d’un vrai musée des canuts. Ce n’est pas encore fait.

 

 

 

L’ « esprit canut » organise des conférences sur des thèmes variés touchant le passé de la ville, des Romains (il y a de quoi faire) jusqu’aux périodes plus récentes. Elle essaie de faire connaître et reconnaître des écrivains injustement restés dans l’ombre.

 

 

 

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HENRI BERAUD 

 

Ainsi, ses animateurs s’efforcent de répandre le nom d’HENRI BERAUD, encore placardisé, et pour de mauvaises raisons (on le fait injustement passer pour un collabo sous l'Occupation).

 

 

Tout récemment, après une conférence précédente sur « l’Odyssée des Tisseurs », une conférencière élégante raconta par le menu ce qu’on sait de LEON BOITEL, « pionnier de la décentralisation littéraire », dans les années 1830 et suivantes (fondateur de La Revue du Lyonnais, rivale provinciale de La Revue des deux mondes).

 

 

 

Encore une chose : l’ « esprit canut » rédige, fabrique et diffuse gratuitement un petit journal, dont le titre est évidemment L’Esprit canut. Le numéro 18 vient de sortir. Après un éditorial à la gloire de « Novembre des Canuts », un bon article de LUCIEN BERGER fait visiter la Maison des Canuts mentionnée plus haut. DOMINIQUE VIGNON propose d’intéressantes considérations sur ERNEST PIGNON-ERNEST, dont quelques œuvres parsèment le journal.

 

 

 

L’excellent ROLAND THEVENET, en plus d'avoir écrit, entre autres ouvrages notables, La Colline aux Canuts, belle pièce de théâtre déjà donnée à maintes reprises, et de maîtriser à merveille les outils graphiques sur ordinateur, ce qui lui permet de maquetter le journal en professionnel aguerri, donne un aperçu de l’activité de LEON BOITEL pour annoncer la conférence qui a eu lieu.

 

 

 

GERARD JOLIVET achève pour sa part un tableau des « Loisirs des Canuts sous la Monarchie de Juillet ». Le vrai amateur de canut trouve ce journal indispensable chez les commerçants du Plateau.

 

 

 

Je n'ai rien dit de la "cervelle de canut", du Canut sans cervelle, du Cani des Canuts, du Ryad des Canuts, du Canut et les gônes (sic), et autres enseignes exploitant a fond ce qui est maintenant devenu un vrai label.

 

 

Longue vie à L’ESPRIT CANUT !

 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

dimanche, 22 janvier 2012

"ESPRIT CANUT", ES-TU LA ?

Où il sera question de « L’Esprit canut », d’esprits, de canuts et autres objets plus ou moins musicaux.

 

« Esprit de mon mari, êtes-vous là ? », demande l’une des quatre dames très dignes assises autour d’une table, dont les petits doigts se touchent pour faire tourner celle-ci. Stupeur, c’est Jocko qui fait irruption par la fenêtre dans le costume exact du mari invoqué, dont le portrait est suspendu au mur. Jocko, c’est le petit singe de Jo et Zette.

 

 

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UNE PAGE DE "JO ZETTE ET JOCKO" DE HERGE

(aucun rapport, mais c'est tout ce que j'ai)

 

Les deux vignettes, sans, puis avec le singe, figurent dans je ne sais plus quel album des « aventures de Jo, Zette et Jocko ». Je n’infère pas de cette histoire signée HERGÉ que l’esprit du canut s’est réincarné dans un corps de singe. Je ne me permettrais pas. Je veux juste parler de « L’Esprit canut » : je me demande s’il est possible de l’invoquer en faisant tourner les tables. Est-il possible de faire renaître l'esprit d'une population disparue, fût-ce sans faire tourner les tables ? Est-il possible de se servir d'un passé révolu pour agir sur un présent qui échappe ? Personnellement, j'en doute.

 

Alors, puisqu’on parle d’esprit canut, saviez-vous qu’on trouve, dans les collections du Musée des tissus à Lyon, un « Portrait tissé de FRANZ LISZT », fabriqué par la maison Carquillat (« satin de 8, 1 lat de liseré à plusieurs effets ») autour des années 1830 ? Saviez-vous que le musicien a composé une œuvre pour piano intitulée Lyon et pourquoi ? Oui, il ne faut pas confondre : d’une part le concert donné dans la ville par LISZT, d’autre part l’étonnant hommage du musicien aux canuts.

 

 

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FRANZ LISZT

 

D’abord le concert. C’est un journaliste du Ménestrel de l’époque qui rapporte l’histoire. Attention, c’est un morceau qui vaut son pesant : « Pour se faire une idée de l’accueil de LISZT à Lyon, il faut reporter ses souvenirs [moi je veux bien !] vers ALEXANDRE LE GRAND et son entrée à Babylone [rien de moins]. A peine les autorités lyonnaises eurent-elles appris que FRANZ LISZT s’avançait vers la ville qu’une députation de notables et 5.000 canuts s’avancèrent à sa rencontre.

 

» Des arcs de triomphe étaient construits de distance en distance. Une triple rangée de jeunes filles vêtues de blanc et couronnées de roses formait la haie sur toute la route. Dès le matin du jour fixé pour son premier concert, les cloches de Lyon sonnèrent à toute volée. Les fabriques chômèrent. Les boutiques restèrent fermées ».

 

Bref, si ce n’était pas dieu le père, c’était son adjoint qui descendait dans la cité. Ce n’était pas non plus dieu-le-maire, GERARD COLLOMB qui, à l’époque, n’était pas encore « grand-maire » : les vrais événements étaient fêtés dignement, avec la pompe congruente et la ferveur appropriée.

 

L’hommage aux canuts, à présent. Si FRANZ LISZT a composé cette pièce pour piano intitulée Lyon, c’est que, proche alors des idées de l’abbé FELICITÉ DE LAMENNAIS, apôtre du catholicisme social, il tenait à rendre un hommage appuyé au combat opiniâtre des « CANUTS » (la révolte de 1831, ou celle de 1834) pour leur dignité et la juste rémunération de leur travail, combat auquel le musicien était très sensible. C’était peut-être aussi une façon de remercier les canuts pour la qualité de leur accueil.

 

 

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L'ANTRE DU CANUT

(notez à gauche la soupente pour dormir et l'échelle pour y accéder)

 

Certes, Lyon n’est qu’un tout petit caillou dans la muraille de Chine de l’œuvre de LISZT. Un caillou confidentiel, minime et quasi-secret. Mais l’œuvre existe. On en trouve une version par LESLIE HOWARD (disque Hypérion CDA 66601/2). Des voix plus autorisées que la mienne y voient comme une préfiguration de la scène finale de La Walkyrie à cause de la puissance orchestrale déployée. L’œuvre est dédiée à LAMENNAIS.

 

 

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FÉLICITÉ DE LAMENNAIS

 

Retenons de cette anecdote, simplement, qu’un très grand homme s’est incliné, en passant à Lyon, devant les symboles de la résistance et de la fierté du labeur ouvrier. Le Canut n’a-t-il pas brodé sur son drapeau :

 

« Vivre en travaillant ou mourir en combattant » ?

 

Des symboles toujours vivants, puisque les « Lejaby », qui viennent de se faire virer comme des malpropres à l’occasion d’une « restructuration », ont manifesté le 17 janvier dans l’illustre Cour des Voraces, dont elles ont occupé fugitivement l’illustre et spectaculaire escalier (photo dans Le Monde daté 20 janvier).

 

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LA COUR DES VORACES

(SANS LES LEJABY)

 

« Il faut imaginer Sisyphe heureux », disait ALBERT CAMUS. Ben oui, c'est ça, la Croix-Rousse des Canuts. Monter, descendre, monter, descendre, et on recommence.

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Pour "L'Esprit Canut", désolé, j'ai vraiment essayé de me refréner, si si, mais  il va falloir attendre que demain soit là.

 

 

 

 

samedi, 21 janvier 2012

ET UNE TÊTE DE ROI SAUCE GRIBICHE !

Résumé : la « décollation » (c’est comme ça qu’on dit) de LOUIS XVI a créé de l’irréversible. Je voulais évidemment marquer la date mémorable du  21 JANVIER 1793.

 

 

 

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UNE TÊTE DE LOUIS XVI 

 

Comment en est-on arrivé là ? On n’est pas au cours d’histoire. Mais il y a quand même un truc qui me frappe. Lors de la Révolution, les députés qui entendaient changer quelque chose à l’ordre des choses se sont assis les premiers dans la partie gauche de l’hémicycle. Ceux qui voulaient le conserver plus ou moins tel quel, dans la partie droite. C’est depuis ça qu’on parle de « droite » et de « gauche ». Je parle de l’aspect général, pas des détails, des nuances et des moments.

 

 

Tout le 19ème siècle a vu cet affrontement (1848, 1871, affaire Dreyfus, laïcité, …). Il ne faut pas s’imaginer que l’ordre ancien se laisse badibulguer sans résistance. Parce que 360 bonshommes, c’est un tout petit peu moins de la moitié des voix, mais ils ne vont pas sans regimber se laisser guillotiner par 361 régicides. Chez les loups, les vrais, on est bien plus avisé : le moins fort adopte rapidement la position de soumission. La Révolution n’a certes pas inventé la guerre sociale, mais elle l’a drôlement structurée, je trouve.

 

 

J’ai en effet l’impression que toute l’histoire récente (1789 en général et 1945 en particulier) de la France a dépendu de cet abîme creusé entre deux France antagonistes par ceux qui ont raccourci le roi en 1793. Comme si la Révolution avait définitivement crispé deux muscles dans un bras-de-fer éternel entre le bras droit et le bras gauche du même corps. Bon, on va dire que je suis en train d'inventer l'eau tiède. J'avoue, mais attendez la fin quand même.

 

 

Je n’en suis pas à dire « Embrassons-nous Folleville » (EUGÈNE LABICHE) ! Je ne suis même pas loin de penser que ce ne sont pas deux bras d’un même corps, mais attachés aux troncs de deux individus différents, qui revendiquent chacun la possession d’une seule identité : la leur. J’ai l’impression que, depuis la Révolution, c’est l’identité française qui est divisée et qui dit : « Ma main droite te caresse, et ma main gauche te gifle ».

 

 

Parce que la Révolution, ça a été drôlement indécis, si on regarde la durée, rien que depuis les Etats-Généraux jusqu'au 9 Thermidor : 5 ans. CINQ ANS ! Les « révolutionnaires arabes » qui la ramènent, c’est rien que des blancs-becs. On verra dans quatre ans, tiens, où ils en sont. Je me dis que les nôtres, c’est un peu comme des couvreurs qui, en zigouillant le roi et tout le paquet de sacré qui allait avec, auraient eux-mêmes fait tomber l’échelle avec laquelle ils sont montés sur le toit : pour redescendre sur terre, il ne reste plus qu’à sauter. Dans l’inconnu.

 

 

En 1793, l’échelle, c’est la tête du roi. C’est un raisonnement du genre « tout ou rien ». Du genre « pacte de sang » : tous complices, donc tous solidaires. Aucun rachat possible. Si c’est une faute, elle est inexpiable. Sinon, on appellera ça un « acte fondateur ». Un peu comme le meurtre rituel du roi chez les « primitifs », dont parle RENÉ GIRARD dans La Violence et le sacré. Le meurtre qui unifie tous les membres de la nation.

 

 

Sauf qu’ici, on est dans un schéma « mythe contre mythe ». La Révolution contre l’Ancien Régime. Le nouveau mythe (la République) n’a pas arraché les racines de l’ancien (le Roi), et pour cause : quoi que tu fasses, le second fait partie du passé collectif. Difficile de s’amputer ou de se déraciner soi-même. Comment unifier les contraires ? ALFRED JARRY a accompli l’exploit de cet oxymore réalisé (dans la ’pataphysique). Mais la gauche et la droite, ce n’est pas envisageable.

 

 

 

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ALFRED JARRY, INVENTEUR DE LA 'PATAPHYSIQUE

GRAVURE SUR BOIS DE FELIX VALLOTTON 

 

Que serait-il arrivé si le roi n’avait pas été décapité ? Là, tu m’en demandes trop. Peut-être que ses partisans, aidés de tous ses « cousins » couronnés d’Europe, auraient eu la peau des Révolutionnaires. Va savoir. Et on ne serait peut-être pas là pour en parler. Toujours est-il que, depuis, droite et gauche demeurent irréconciliables. Je sens que je vous apprends quelque chose, non ?

 

 

La seule solution, c’est de dissoudre. Quoi ? Mais précisément : la gauche et la droite, voyons ! S’il n’y a plus ni gauche ni droite, où sera le problème ? C’est comme le cercle de BLAISE PASCAL et de quelques autres qui l’ont précédé : le centre est partout, la circonférence nulle part. Dit autrement : tout est dans tout, et réciproquement.

 

 

Mais dis-moi au moins, blogueur patafiolé, dissoudre, pourquoi pas, mais par quel miracle ? Mais, cher lecteur, par le miracle de l’économie de marché, de la concurrence « libre et non faussée » et de l’Ecole Nationale d’Administration, que toutes les planètes habitées nous envient. Les révolutionnaires n’avaient rien compris. Ils croyaient que leurs idées devaient triompher, et ils étaient prêts à se faire étriper pour ça. C’est fini. Maintenant que MARX a définitivement perdu la bataille, et même la guerre, c'est fini.

 

 

Tu élimines les idées, autrement dit, tu fais de la politique sans politique, et tu apprends aux futurs politiciens à bien gérer, à bien administrer les affaires d’un pays. Tu les mets sur les mêmes bancs de la même école. Ils apprennent les mêmes choses, à s’apprécier, à se tutoyer. Tant que la « politique » ne s’apprenait pas à l’école, c’est sûr, le pire était à craindre, le pays à feu et à sang et tout ça.

 

 

On a remédié à cette tare : ils ont tous appris à « gérer » les affaires. C’est le service comptable qui est aux commandes. Elle est bien oubliée, la tête du roi. Elle ne peut même plus servir d'épouvantail. Elle est devenue, au sens propre, INSIGNIFIANTE. Et la droite et la gauche ont cessé d’être des adversaires, voire des ennemis, et ne sont plus que des rivales dans la conquête et la conservation du POUVOIR. La gestion a eu raison des idées politiques. Maintenant, "gauche" et "droite" sont de simples éléments d'un décor de théâtre.

 

 

La mort du roi LOUIS XVI, aussi longtemps que j’ai cru qu’on était en République, je l’ai fêtée dignement, commémorée fidèlement, célébrée pieusement, évoquée religieusement. Et joyeusement, s’il vous plaît. Avec le saucisson (ou la tête de veau gribiche) et le vin rouge républicains, s’il vous plaît. Et le bonnet phrygien de rigueur. Avec la fanfare, la clique et l’harmonie pour le « ça ira », « la carmagnole » et tout le saint frusquin.

 

 

Et puis voilà que, maintenant, je me demande ce qui m’arrive, je n’ai plus le cœur à ça. Fini, vidé de sa substance, le 21 janvier. Qu’est-ce qui m’arrive ? Me voilà comme GEORGES BRASSENS le 22 septembre : « Un vingte-deux septembre, au diable vous partîtes, et depuis, chaque année, à la date susdite, je mouillais mon mouchoir en souvenir de vous. Or nous y revoilà, et je reste de pierre, pas une seule larme à me mettre aux paupières. Le 22 septembre, aujourd’hui, je m’en fous ».

 

 

 

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Voilà, c’est arrivé. J’ai mis le temps, vous me direz. Certes. Je n’ai même plus envie d’aller me foutre de la gueule des royalistes et de leur messe commémorative, avec leur folklore, leur latin et leurs déguisements. La technique, la finance et le spectacle ont pris le pouvoir. Plus besoin des idées politiques. Et la mort de LOUIS XVI, aujourd’hui, je m’en fous. Et après tout, pourquoi pas royaliste ?

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

vendredi, 20 janvier 2012

TÊTE DE LOUIS XVI ET PENDULE DES JORASSES

Aujourd’hui, ça part d’assez loin. Mais je vous promets que j’y arrive, à mon sujet du jour. LAO-TSEU l’a dit : « La rivière de la vérité ne craint pas les méandres de la pensée qui déverse son eau de vaisselle à gros bouillons dans la mer des Sargasses à l’époque de la reproduction des anguilles qui en sont très friandes ». Après un truc pareil, je crois que j’ai mérité quelques minutes de repos, rien que pour le plaisir de contempler. Je me dis que FREDERIC DARD devait faire pareil après une page bien sentie sur Bérurier.

 

 

Alors voilà, bon, ça commence. Quand on sort de la gare du Montenvers et qu’on regarde vers le fond de la Vallée Blanche, on repère immédiatement la grande barrière rocheuse qui sépare la France de l’Italie. Cela s’appelle Les Grandes Jorasses. Respect. La pointe la plus à gauche (c’est-à-dire à l’est), c’est la « Walker » (4200 et des poussières).

 

 

 

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LES GRANDES JORASSES

AU-DESSUS DE LA VALLEE BLANCHE

 

 

 

Il y a des gens, on se demande pourquoi, qui ne rêvent que d’une chose : arriver au sommet. Les plus cinglés d’entre eux ont tracé sur une photo de la face nord (côté Chamonix, celle qu’on voit) une ligne droite qui part d’en bas et arrive en haut. Quelques-uns sont parvenus à la suivre. Ils sont fous, ces Romains !

 

 

Mais on n’est pas là pour parler d’alpinisme. La voie directe comporte une particularité particulière : le « PENDULE ». Qu’ès aco ? Tout le monde connaît le professeur Tryphon Tournesol : « Un peu plus à l’ouest » est dans toutes les mémoires.

 

 

Un pendule, c’est un petit objet chargé de graviter au bout d’un fil, et dont les mouvements donnent aux initiés des informations très claires et très mystérieuses. Sur quoi ? Je répondrai que ça les regarde. Approchez voir un pendule d’une télévision (cathodique), et vous verrez la samba, plus la lambada, plus la bossa-nova ! C’est magique ! Mieux que le Carnaval de Rio.

 

 

Dans la paroi rocheuse dont il est question, le pendule, ça veut dire qu’arrivé en un certain point, tu installes la corde une longueur (30 mètres) au-dessus. Tu redescends. Tu te lances alors dans un joli balancement pendulaire. Tu prends pied sur une vire située latéralement un peu plus loin, mais juste dans l’axe vertical de la voie. A ce moment-là, réfléchis bien avant de commettre l’irréparable : tu récupères la corde !

 

 

 

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On suppose que tu sais ce que tu fais. Parce qu’à partir de là, toute retraite est coupée, même en rappel. Ce n’est plus le temps d’avoir des regrets. Une seule solution : sortir par le sommet. Aucun retour en arrière n’est plus possible. Ça veut dire qu’il faut être vraiment sûr de toi et du copain de cordée. Ça veut dire qu’il faut oser. Voilà, c’est ça, le « pendule ».

 

 

Un certain Agathocle (Ἀγαθοκλῆς, on est en 311 avant « le » J. C.), qui menait une guerre contre Carthage, avait fait preuve de la même détermination en débarquant de Sicile sur la terre africaine : pour montrer à ses hommes qu’il avait bien l’intention d’aller jusqu’au bout, il avait fait brûler les vaisseaux qui les avaient conduits jusque-là, rendant tout retour impossible. Agathocle est sorti des mémoires, mais l’expression « brûler ses vaisseaux » est restée. C’est la même chose que le « pendule des Jorasses ».

 

 

J’allais prendre, comme troisième exemple, celui de l’homme qui, après avoir bien fixé la corde au crochet du plafond, fait tomber la chaise sur laquelle il est monté et qui reste pendu par le cou, mais s’il y a des enfants qui lisent ce blog, je ne voudrais pas risquer qu’on me fasse des reproches, alors je n’en parlerai pas (les rhétoriciens attentifs auront noté ici une prétérition). Cela n’empêche pas que le principe est toujours le même : quand tu n’a plus rien à perdre, tu te débrouilles pour te couper tout espoir de retraite. La chaise qui tombe, c’est le « pendule des Jorasses ».

 

 

Le 21 janvier 1793, c’est le geste fou qu’elle a fait, la Révolution française. Elle s’est élancée vers la Walker des Jorasses. Elle a « brûlé ses vaisseaux ». A-t-elle fait tomber la chaise ? C’est beaucoup moins sûr. C’est vrai que la décision s’était prise quelques jours avant, exactement le 17, à 21 heures : « La peine prononcée contre LOUIS CAPET est celle de mort ». C’est VERGNIAUD qui parle.

 

 

 

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LOUIS, SEIZIEME DU NOM

 

 

 

Il faut dire que, comme c’est lui qui préside la « Convention », c’est à lui d’annoncer. Ils ont été 334 à s’opposer à la condamnation à mort. Mais depuis que c’est la majorité des voix qui emporte la décision (ça ne fait pas très longtemps, vérifiez), ils ne peuvent rien contre les 387 régicides.

 

 

Il est vrai que le scrutin est entaché de divers soupçons de fraude (achats de voix (déjà !), marchandages, tripatouillages divers). Il faudra en organiser un second, le lendemain. Le résultat est beaucoup plus serré : 361 contre 360. Il n’empêche, c’est bien la majorité plus une voix qui l’emporte. Le 21 janvier 1793, le roi de France, LOUIS, seizième du nom, est donc exécuté sur la place qui n’est pas encore « de la Concorde ».

 

 

Alors on me demandera peut-être comment, en partant des Grandes Jorasses, j’arrive à l’exécution de LOUIS XVI. C’est une bonne question et je vous remercie de l’avoir posée. Je réponds benoîtement que c’est la même chose. Mais si ! A partir du 21 janvier 1793, toute retraite est coupée. Il ne sera plus jamais possible de faire comme si on ne lui avait pas coupé le cou suivant le pointillé, à CAPET. Cela fera demain 219 ans que cet irréparable s’est accompli.

 

 

Ce soir, messe royaliste à l’église Saint Denis de la Croix-Rousse, rue Hénon, à 18 heures trente.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Suite et fin demain.

 

 

 

jeudi, 19 janvier 2012

ÊTES-VOUS PLUTÔT GORGON OU PLUTÔT ZOLA ?

EPISODE 1

 

 

Je le dis d’entrée : ceci n’est pas un pamphlet (remarquez, MAGRITTE disait bien : « Ceci n’est pas une pipe »). EMILE ZOLA, j’aime bien. Le problème, c’est que ce n’est pas partout et pas tout le temps. Loin de là. Je dirai même que, chez ZOLA, beaucoup de choses m’insupportent carrément. Mais il faut encourager les jeunes auteurs : il ira peut-être loin, ce petit, on ne sait jamais.

 

 

 

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Par exemple, le Claude Lantier de La Bête humaine, programmé en héritier d’alcoolique, qui sent monter en lui, en même temps que le désir sexuel, l’envie de tuer la femme qu’il tient dans ses bras, me semble une caricature de « cas psychiatrique », même si, à la réflexion, le cas de Moosbrugger, dans L’Homme sans qualités de ROBERT MUSIL, quoique différent, fait penser rétrospectivement au cas de Lantier.

 

 

Le parti-pris « scientifique » par lequel ZOLA fait de l’hérédité une sorte d’agent de la malédiction divine est, selon moi, à chier, parce que ça donne à ses romans, de façon différente dans chacun des Rougon-Macquart, un aspect plaqué, artificiel, théorique qui tue la vie propre du livre. L’effort de démonstration est tout sauf romanesque. Finalement, ce qui m’embête chez ZOLA, c’est l’idée.

 

 

Et puis, il y a le parti-pris « scolaire », je veux dire didactique, on pourrait dire la tentation documentaire. Je me rappelle avoir lu Le Théorème du perroquet, du mathématicien DENIS GUEDJ. Il paraît que c’est un roman. Moi, je veux bien, mais quand la partie romanesque est bouffée à ce point par l’intention didactique (découverte des mathématiques), on n’est pas loin de l’escroquerie. Il n’y a même plus d’intrigue.

 

 

Dans le même genre, Le Monde de Sophie, de JOSTEIN GAARDER, sur la philosophie, est bien mieux réussi. ZOLA est encore plus loin de cette caricature, mais c’est un aspect qui transparaît toujours de façon gênante.

 

 

Prenez Au Bonheur des dames, par exemple. Le petit Octave Mouret, qu’on voit, dans Pot-Bouille, changer d’étage au gré de ses changements de maîtresse, possède assez d’esprit d’entreprise pour, devenu adulte, construire en trois temps l’industrie de la grande distribution. Eh bien, pourquoi ZOLA se croit-il obligé d’infliger au lecteur trois visites  exhaustives de l’hypermarché : un – éclosion, deux –  développement, trois – triomphe ? Exhaustives, les visites ! Faut rien oublier !

 

 

Entrez dans Le Ventre de Paris, et vous étoufferez littéralement sous les tonnes, les variétés, les couleurs et les odeurs des victuailles, présentées dans des avalanches oppressantes. Il paraît qu’il faut considérer ces descriptions comme de « colossales natures mortes ». Moi, je veux bien, je ne suis pas contrariant.

 

 

Allez voir La Faute de l’abbé Mouret, où ZOLA nous inflige l’énumération lyrique du Bottin de toutes les plantes de la Création. L’action se passe dans le « Paradou » (ce nom !), quand le curé découvre, dans une amnésie brutale de tous ses devoirs de prêtre, le cataclysme des plaisirs de la chair en compagnie d’Albine. Le lecteur est brutalement assommé à coups de traités de botanique et de catalogues de pépiniéristes, tous épais comme un dictionnaire français / sanskrit en douze volumes.

 

 

Si le poids des péchés du monde est comparable à celui de ces énumérations, je comprends aussitôt l’horrible horreur du chrétien pour  l’enfer. Et je suis prêt à considérer dès maintenant le haggis, la fondue au chester et le christmas pudding (spécialement conçus pour estomacs britanniques surentraînés) comme de tout légers amuse-gueule.

 

 

 

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Voici à présent quelques exemples, non dénués d’humeurs diverses et de considérations arbitraires et injustes. Le monument national s’en remettra.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

Exemples et considérations à suivre.

 

 

mercredi, 18 janvier 2012

CHERIE, J'AI RETRECI LA DEMOCRATIE !

Résumé : je chante, en m'appuyant sur son petit bouquin (Propaganda, éditions Zones-La Découverte, 12 euros), les louanges d’EDWARD BERNAYS, l’inventeur de la manipulation des foules et de la propagande comme seul moyen de gouvernement « démocratique » dans les sociétés de masse.

 

 

***

 

 

C’est au pays de la « libre Amérique » qu’a été adopté, en 1791, le mythique « premier amendement », interdisant au Congrès de prescrire ou proscrire en matière de religion, d’expression, etc. BERNAYS, c’est le moins qu’on puisse dire, juge que la liberté c’est très bien, à condition qu’elle soit « organisée ». Je ne dis pas qu’il a forcément tort. Je regarde.

 

 

Il énumère les multiples associations, les multiples organes de presse, les multiples salons organisés à Cleveland, etc., pour dire que les opinions se forgent dans une infinité de lieux, circulent le long d’une infinité de canaux. Mais pour dire aussi que chaque individu appartient à plusieurs cercles.

 

 

Il conclut : « Cette structure invisible qui lie inextricablement groupes et associations est le mécanisme qu’a trouvé la démocratie pour organiser son esprit de groupe et simplifier sa vie collective ».

 

 

Simplifier la vie collective : c’est une obsession. EDWARD BERNAYS aime l’ordre, qu’on se le dise. Tiens, quand il cite NAPOLEON, c’est ceci : « Savez-vous ce que j’admire le plus dans le monde ? C’est l’impuissance de la force pour organiser quelque chose ». Il aurait fallu dire ça à GEORGE W. BUSH, avant qu’il exporte ses caprices en Afghanistan et en Irak.

 

 

BERNAYS prône donc la douceur pour atteindre le même but. Ne pas assener, ne pas forcer, ne pas prendre de front. Mais insinuer, suggérer, et avant tout, comprendre. En gros et pour résumer : comprendre qui est le suiveur de qui, pour, en dernier ressort, agir sur le groupe par celui que les autres suivent. Ce qui l’intéresse, ce n’est pas le domaine d’activité du groupe (politique, religion, commerce, etc.), c’est la structure qui organise le groupe.

 

 

Déjà et d’une, il veut réhabiliter le beau mot de « propagande » : « tout effort organisé pour propager une croyance ou une doctrine particulière ». C’est dommage que ce joli terme ait pu être pris en mauvaise part, par suite de circonstances malheureuses ou détestables. Franchement, qu’y a-t-il de plus noble que le prosélytisme, cette démarche qui consiste à essayer d'embrigader un voisin, puis dix, etc. ?

 

 

De toute façon, sa thèse est claire : « Ce qu’il faut retenir, c’est d’abord que la propagande est universelle et permanente ; ensuite, qu’au bout du compte, elle revient à enrégimenter l’opinion publique, exactement comme une armée enrégimente les corps de ses soldats ». L’aspect militaire ne lui fait pas peur.

 

 

Au contraire, je dirais qu’il n’est pas pour lui déplaire. D’un certain point de vue, on ne peut pas lui donner tort : quoi de plus carrément organisé qu’une armée ? Mais si cette manipulation, c’est du militaire sans uniforme, et muni seulement d’armes « non létales », ça reste des armes. Si c’est de la police politique (ou de la « police secrète ») sans coercition directe, sans torture, ça reste de la coercition.

 

 

EDWARD BERNAYS passe en revue ce qui est aujourd’hui passé dans les programmes de toutes les écoles de communication, mais qui n’était pas encore établi comme « objet de savoir » au début du 20ème siècle. Il reconnaît, par exemple, sa dette envers WALTER LIPPMANN en ce qui concerne les « relations publiques ». C’est TROTTER et LE BON qui ont déniché la notion de « mentalité collective », foncièrement différente de la mentalité individuelle.

 

 

BERNAYS est de ceux qui pensent que l’individu, par principe, n’agit pas de sa propre initiative, mais suit forcément un leader : « C’est là un des principes les plus fermement établis de la psychologie des foules ». Si le leader est absent, le stéréotype prend sa place et son rôle. Ce n’est pas difficile, une foule, comme psychologie. Ce n’est pas un cortex cérébral, c’est une moelle épinière (seule nécessaire, selon EINSTEIN, pour marcher au pas).  

 

 

Tiens, un joli morceau : « La vapeur qui fait tourner la machine sociale, ce sont les désirs humains. Ce n’est qu’en s’attachant à les sonder que le propagandiste parviendra à contrôler ce vaste mécanisme aux pièces mal emboîtées que forme la société moderne ». La publicité est là tout entière, y compris celle pour la politique.

 

 

Finalement, tout ce que BERNAYS aborde dans son bouquin est devenu aujourd’hui d’une effroyable banalité. C’est devenu « naturel ». C’est devenu la couleur de nos murs, celle que nous ne voyons même plus. Mais ce paysage qu’il compose chapitre après chapitre a fort peu à voir avec la démocratie. Sur la démocratie même, il ne se prononce pas. C’est un pragmatique : il fait avec ce qu’il a.

 

 

Son raisonnement a quand même de quoi faire froid dans le dos : « La voix du peuple n’est que l’expression de l’esprit populaire, lui-même forgé pour le peuple par les leaders en qui il a confiance et par ceux qui savent manipuler l’opinion publique, héritage de préjugés, de symboles et de clichés, à quoi s’ajoutent quelques formules instillées par les leaders ». Dans un tel système, n’est-ce pas, pas besoin d’un dictateur.

 

 

Au sujet de la politique, il cite l’Anglais Disraeli : « Je dois suivre le peuple. Ne suis-je pas son chef ? ». Et ajoute : « Je dois guider le peuple. Ne suis-je pas son serviteur ? ». C’est certain, BERNAYS est un subtil. Mais que pensez-vous de ça : « Il est en effet incompréhensible que les hommes politiques ignorent les procédés commerciaux mis au point par l’industrie » ?

 

 

Je vais rassurer le cadavre d’EDWARD BERNAYS, et lui dire que le temps a largement comblé cette lacune. De toute façon, comme il est mort en 1995, à l’âge canonique de 103 ans, il a eu largement le temps de jouir de l’évolution des choses, et de se féliciter d’avoir apporté à celle-ci une contribution plus que généreuse.

 

 

Bon, j’en ai assez dit sur EDWARD BERNAYS, le trop méconnu bienfaiteur de l’Amérique triomphante en particulier, et du monde capitaliste moderne en général. Si vous ne le connaissiez pas, il y en a assez, je crois, pour vous dégoûter du personnage.  

 

 

Accessoirement, il est bon de se souvenir que l’un des premiers lecteurs attentifs de Propaganda s’appelait JOSEPH GOEBBELS, l’inventeur de la « Propaganda Staffel », de si heureuse mémoire au sein du régime mis en place par un certain ADOLF HITLER. Il est bon de se souvenir aussi que STALINE ne fut pas non plus un trop mauvais élève de BERNAYS.

 

 

Il est bon de savoir que le régime hitlérien, fondé, entre autres, sur la propagande, s’inspire de ce Satan capitaliste américain nommé  EDWARD BERNAYS. J’ai dit, dans des billets précédents, que, par certains aspects, le sang qui coule dans les veines de nos si beaux régimes démocratiques « irréprochables » (terme de SARKOZY) n’est pas aussi éloigné qu’on le voudrait de celui qui a nourri l’organisme hitlérien. N’y a-t-il pas ici quelques éléments de preuve ?

 

 

Vous comprenez peut-être pour quelle raison il y a chez moi quelque chose qui dit, avec les personnages des romans de MICHEL HOUELLEBECQ : « Je n’aime pas ce monde-là ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

 

mardi, 17 janvier 2012

CHERIE, QUI MANIPULE-T-ON, CE SOIR ?

Résumé et sommaire : la démocratie s’est inspirée des totalitarismes. En douceur, elle s’est imprégnée de totalitaire sur plusieurs points : eugénisme, abrutissement télévisuel, contrôle des populations par toutes sortes de moyens : caméras, puces électroniques, facebook, téléphones portables, G. P. S., etc.
 

Etre manipulé, c’est donc être gouverné sans le savoir. Etre gouverné sans savoir par qui. Sans savoir comment. Sans s’en rendre compte. On me dira que les Allemands sous Hitler et les Russes sous Staline savaient qu’ils étaient gouvernés. Ô combien. Et qu’ils auraient souhaité l’être moins, sans doute.
 

Mais remplacez la police politique et la délation par l’œil des caméras de surveillance et l’oreille des puces électroniques (pour ne rien dire des puces RFID), le résultat sera aussi vigoureux, mais aura été obtenu en douceur, s’il vous plaît. On a éliminé la violence des procédés, mais on arrive quand même au résultat souhaité. Avec l’adhésion des populations, s’il vous plaît.
 

Cette adhésion n’est pas le moins intéressant, car elle montre que la police n’est plus seulement une force extérieure visible de coercition, mais loge aussi à présent dans une case de toutes les têtes individuelles. Dans un tel système, la police a été intériorisée. Chacun porte en lui-même son flic. Comme le téléphone et l’ordinateur, la police est devenue portable. On la porte sur soi. On la porte en soi.
 

Et ça n’a pas grand-chose à voir avec ce que la psychanalyse appelle le « surmoi », tu sais, ce paquet d'interdit que l'éducation a pour mission de te transmettre dès ton âge le plus tendre, paquet qui sert à t'occuper les mains de l'esprit pour t'empêcher de faire n'importe quoi. La police intérieure n’érige pas seulement des proscriptions, mais aussi des prescriptions.

Ça veut dire qu'elle te dit ce que tu dois faire. Des choses que tu as l'impression d'avoir envie de les faire, mais que c'est rien que des obligations. Mais des obligations que tu t'es même pas rendu compte qu'elles sont entrées en toi, et que tu sais encore moins comment.
 

L’une des caractéristiques du régime totalitaire, selon Hannah Arendt, c’est le règne des polices secrètes, polices politiques etc. Il paraît qu'il y a en Syrie, aujourd'hui, pas moins de sept services faits pour ça, dont les attributions se chevauchent pour qu'ils puissent se faire concurrence et se surveiller plus commodément.

Regardez l’Angleterre en 2011, les émeutes, les pillages. Eh bien la police en est toujours à courir après les pillards, à les identifier, à les condamner sévèrement. Grâce aux caméras. Vous me direz que ce n’est pas bien de piller. Mais ce n’était pas bien vu non plus de dire du mal de Staline. Du moins de son vivant.
 

Nous sommes en démocratie, oui. Quelque chose me dit pourtant que si l’on voulait regarder d’assez près (et sans passion, s’il vous plaît) les points de ressemblance entre notre monde merveilleux et certaines caractéristiques de l’hitlérisme et du stalinisme, ceux-ci seraient moins honnis des manuels d’histoire, et notre monde merveilleux serait moins ovationné. Que se passerait-il si les gens commençaient à se dire : « l’esprit d’Hitler est en nous » ? Ça ferait une sacrée Pentecôte, vous ne croyez pas ? Et sans les langues de feu de l’Esprit Saint.
 

C’est la raison de l’ambiguïté foncière de Beauvois et Joule. Tenus par leur rigueur « scientifique » à ne pas sortir de leur champ, ils ne font qu’effleurer cette question. Pourtant, il y a peu de chances que Beauvois et Joule ignorent le nom et l’œuvre d'Edward Bernays, père fondateur de la manipulation des foules.

Qui connaît cet immense bienfaiteur de la « démocratie » américaine ? 

 

« La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans les sociétés démocratiques. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays ».
 

Voilà ce qu’il dit, Edward Bernays. En 1928. C’est exactement le premier paragraphe de son livre Propaganda. Ce neveu devenu américain de Sigmund Freud a su mettre à profit la découverte principale de son tonton (l’inconscient), et s’en servir pour élaborer sa théorie pour « la manipulation consciente (…) des masses ».

 

Une réussite de Bernays est d'avoir, lors d'une campagne pour le compte de la marque de cigarettes Lucky Strike, amené la masse des Américaines à fumer, y compris sur et à commencer par la voie publique. Parce que zut, il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que les hommes qui ... Je propose en passant de restituer, chaque fois qu'il est utilisé, à la place du terme tout innocent de publicité, le mot propagande, plus franc et plus près de la réalité manipulatoire. Dites-vous ça chaque fois que le mot publicité apparaît sur l'écran de la télé.

 

La question à laquelle s’est efforcé de répondre Bernays se situe en amont de celle que je me posais hier ici même : si 60.000.000 de Français (environ, ne chipotons pas) étaient vraiment libres, quel miracle faudrait-il imaginer pour qu’ils désirent et décident, au même moment, de faire la même chose que tout le monde (supermarché, plage, télévision, …), comme ça se passe dans la réalité ?

On imagine bien le tableau : si, au même moment, 60.000.000 de désirs et de décisions différents surgissent, émanant d’individus parfaitement autonomes et libres, ça ne va pas tarder à être le chaos. Pour Bernays, c'est clair : la liberté est une facteur de risque, car elle amène le chaos. Ça va partir dans tous les sens, comme dans un mouvement brownien. Ça va devenir rapidement « ingérable », comme on dit. A côté de ce cataclysme, l’anarchie ressemblerait à de la natation à peu près synchronisée. Il a donc fallu l’inventer, le miracle.

Parce que, précisément, ce n’est pas un miracle. Ou, dit autrement, c’est un miracle minutieusement conçu et fabriqué. Par Edward Bernays. Le sous-titre de son Propaganda, est « Comment manipuler l’opinion en démocratie » (éditions Zones-La Découvertes, 2007, 12 euros). L’auteur a le mérite de la franchise, et n’y va pas par quatre chemins. Ce n’est pas un aveu naïf. C’est la proclamation claire et nette d’une doctrine explicite. Edward Bernays entend être utile à son pays, et pour cela à faire triompher son idée du Bien.

« Théoriquement, chaque citoyen peut voter pour qui il veut. (…)Les électeurs américains se sont cependant vite aperçus que, faute d’organisation et de direction, la dispersion de leurs voix entre, pourquoi pas, des milliers de candidats ne pouvait que produire la confusionLe gouvernement invisible a surgi presque du jour au lendemain, sous forme de partis politiques rudimentaires. » Cela s’appelle limiter les risques de centrifugation. 

Dire que la lecture de ce petit livre (100 pages + la préface) est instructive ne dirait pas grand-chose. Le projet de l’auteur ne souffre pas l’ambiguïté : il s’agit de prescrire « un code de conduite sociale standardisé », d’user de « techniques servant à enrégimenter l’opinion ».
 

Pour que ça fonctionne, « la société accepte de laisser à la classe dirigeante et à la propagande le soin d’organiser la libre concurrence ». C’est-y pas merveilleux ? Chaque terme compte : « …organiser la libre concurrence … ». Il s’agit de mettre un peu d’ordre dans la loi de la jungle. En contournant au passage ceux qui sont élus pour écrire les lois.

Voilà ce que je dis, moi.

 

A finir, si vous le voulez bien.

lundi, 16 janvier 2012

QUI TE MANIPULE ?

Résumé : Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, livre de BEAUVOIS et JOULE, expose diverses techniques visant à faire faire à quelqu’un quelque chose qui, normalement, lui répugnerait. Si l’opération réussit, la personne va changer d’avis, pour se remettre en accord avec elle-même, parce que l’action a produit en elle une dissonance. Elle aura donc été manipulÉe.

 

 

Le point de vue de B. & J., pour le dire rapidement, se veut scientifique donc neutre, au moins théoriquement. C’est la merveille due au découpage du savoir en une infinité de « disciplines scientifiques ». Chacune est autonome. Et dans la bonne science, on ne regarde pas ce qu’il y a dans l’assiette du voisin.

 

 

Ça veut dire au passage que chaque discipline fonctionne en vase clos, selon sa propre logique, sans rendre de comptes à personne. Il faut bien se dire que, s’agissant de l’homme officinal (retenez bien la formule, c’est moi l’inventeur), plus personne n’est en mesure, depuis trois ou quatre siècles, d’envisager la totalité. C’est d’ailleurs pour compenser cette infirmité que l’ordinateur a été inventé.

 

 

Chaque rat est prié de croquer dans sa part individuelle de fromage. La « psychologie sociale » fait comme les autres. Elle n’a pas à se mêler de biologie moléculaire, de mécanique des fluides, de morale ou de politique. Oui, je sais, on me dira que morale et politique ne sont pas des « disciplines scientifiques ».

 

 

La conclusion de B. & J., à propos de leur notion de « soumission librement consentie », est : «  P’têt ben que ce n’est pas bien, mais c’est nécessaire à la paix sociale ». Il est vrai que nous vivons dans une société de masse. Pour que la machine fonctionne, il faut, nous dit-on, huiler les rouages. La manipulation des foules serait donc le lubrifiant indispensable, pour que les gens continuent à « faire groupe ». Sinon, la collectivité se transforme en centrifugeuse, et elle éclate.

 

 

Peut-être, après tout, le « communautarisme » tant redouté par les républicains (ce qu’il en reste) est-il le lubrifiant de substitution qui permet de croire encore pour quelque temps au « vivre-ensemble » (comme ils disent), selon le vieux principe du « divide ut regnas » (c’est du latin : si tu veux régner, divise). Chaque « minorité » (asiatiques, noirs d’Afrique, Antillais, arabes, sans compter les ratons laveurs, aurait ajouté le détestable JACQUES PREVERT) restera bocalisée, aquariumisée dans son quartier. Peut-être, après tout, est-ce la fin de la fiction du « peuple » ?

 

 

On me dira ce qu’on voudra : s’il faut gouverner les gens sans qu’ils le sachent, c’est qu’on est arrivé aux frontières du totalitaire.

 

 

Car je me pose toujours la même question : comment se fait-il, dans un monde où il n’y a jamais eu autant de liberté, que tout le monde ou presque fasse la même chose, parfois au même moment (plages, supermarché, télévision, etc.) ?

 

 

Comment se fait-il que des masses d’individus LIBRES décident librement de faire la même chose que tout le monde au même moment ? On me dira ce qu’on voudra : CE N’EST PAS NORMAL.

 

 

Et puis, franchement, n’avons-nous pas déjà acclimaté dans nos démocraties exemplaires, que les petits hommes verts planètes les plus avancées de l’univers nous envient, les merveilleuses trouvailles mises au point par ADOLF HITLER ?

 

 

J’exagère ? Alors je demande qu’on me dise ce que c’est, l’échographie. Cette technique si pratique qui permet d’éviter l’amniocentèse tout en arrivant au même résultat, qu’est-ce d’autre qu’un moyen d’éviter la naissance de bébés mal formés ? Qu’est-ce que c’est, sinon cet EUGENISME dont on fait bêtement reproche à HITLER ? Accessoirement, l’échographie permet, par exemple en Inde, d’éviter la naissance des filles.

 

 

 

hitler 1.jpg  

LE PETIT PERE DES PEUPLES

  

STALINE.jpg

LE FÜHRER

(à moins que ce ne soit l'inverse)

 

 

Oui, l’EUGENISME est bel et bien parmi nous. Est-ce bien, est-ce mal, c’est autre chose. Je suis comme tout le monde, je n’aimerais pas du tout avoir un enfant mongolien. Si une technique « non invasive » permet de l’éviter, je m’en félicite, mais je me dis qu’il s’agit, qu’on le veuille ou non, de SELECTION.

 

 

Cette analogie avec ce qui se passait dans un régime politique unanimement VOMI par le monde démocratique  actuel me laisse perplexe. C’est vrai qu’HITLER éliminait des personnes déjà nées, donc bien vivantes, alors que l'échographie débouche, en cas de mauvais diagnostic, sur un AVORTEMENT. A part cette « menue » différence, j'attends qu’on me dise en quoi le projet est différent (« élimination des mal formés », qu’on pratiquait déjà dans la Sparte antique).

 

 

Autre chose, tiens, pendant que j’y suis. Je ne vais pas, une fois de plus, m’insurger contre la télévision, mais là encore, je note que des gens comme HITLER ou STALINE auraient rêvé d’avoir à leur disposition un tel outil de domestication des masses. Le simple fait de les savoir assises devant l’écran les aurait sans doute rassurés.

 

 

Je trouve admirable que, bien avant le règne sans partage de la télévision sur les esprits, le 1984 de GEORGE ORWELL ait explicitement associé le télécran au régime totalitaire décrit dans le bouquin (le stalinisme en particulier, mais en regardant bien ...).

 

 

 

orwell 1.jpg

 

 GEORGE ORWELL

 

Or, aujourd’hui, qu’un type comme PHILIPPE SOLLERS puisse, parlant de LOUIS ALTHUSSER, affirmer que ne saurait se prétendre penseur un homme qui n’a pas la télévision, en dit long. Qu’est-ce que c’est, la télévision comme mode de vie, sinon le bromure que les militaires mettaient dans la nourriture des bidasses le premier soir de leur incorporation, pour qu’ils se tinssent tranquilles pendant les premiers jours ?

 

 

Vous voulez encore un exemple ? Selon vous, qui a inventé l’architecture de masse, le gigantisme architectural ? Personne d’autre qu’ADOLF HITLER, brillamment secondé (ou précédé) par son ALBERT SPEER préféré. Il suffit d’aller voir les projets de stade, d’arc de triomphe et autres lubies, pour le comprendre. A qui devons-nous les premières autoroutes, ces structures dirigistes, autoritaires, voire policières ? BENITO MUSSOLINI. Vous pouvez vérifier (autoroute Milan-Lacs, 1924). HITLER n’a pas mis longtemps à comprendre tout l’avantage technique de la chose.

 

 

Dans quels régimes dénoncés comme totalitaires a été utilisée la manipulation mentale ? Vous le savez : l’Allemagne hitlérienne et la Russie stalinienne. Deux pays pour lesquels tout bon démocrate dûment estampillé au fer rouge sur la fesse gauche a autant de détestation que si c’étaient des enfers. Ceux que ça intéresse peuvent aller voir mes notes de 12 et 20 mai 2011 (c’est loin, je sais).

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A demain pour la suite.

dimanche, 15 janvier 2012

AU FIL DE LA "RECHERCHE" (4)

UN AMOUR DE SWANN

 

Cette deuxième partie nous fait atterrir abruptement dans le salon de M. et Mme Verdurin, présenté illico comme abritant un clan, dont les membres se rassemblent autant par leurs affinités que par ce qu’ils repoussent : le pianiste et le Dr Cottard sont bien supérieurs à ceux que la renommée célèbre, appelés les « ennuyeux ». 

 

Mme Verdurin est dans la pose continuelle, elle surjoue, elle affecte au dernier degré, bref, elle en fait trop. Elle ne cesse de jouer à gronder par antiphrase. Elle est fort bien dépeinte comme insupportable (et vulgaire). M. Verdurin suit le mouvement. Il a intérêt, parce que c'est Madame qui règne, qui donne le ton, mais aussi le ticket d'entrée au sein du cénacle. C'est elle aussi qui, tel l'archange chassant Adam et Eve hors du Paradis de la pointe de son épée de feu, prononce le bannissement de celui qui a déplu. 

 

On fait connaissance d’Odette de Crécy, qui voudrait présenter Swann au cercle Verdurin. Swann, l’homme raffiné, l’habitué du faubourg Saint-Germain et de la plus haute aristocratie, plongé dans ce milieu qui a surtout la culture de l’argent, ça jure. Mais Swann est présenté comme un amateur infatigable de femmes, une sorte de Don Juan, intéressé autant par la grande dame que par la cuisinière ou la couturière, en même temps que l’ami de tout ce qui compte dans la très haute société. 

 

Avec ça, volontiers désinvolte dans les « manières ». Il dîne presque chaque jour chez des cousins de la grand-mère, puis cesse de venir du jour au lendemain, et l’on trouve la raison dans le livre de cuisine : amant de la cuisinière, c’est à elle seule qu’il a envoyé la lettre de rupture. 

 

Son goût pour Odette de Crécy est entré en lui comme par effraction : « Pour lui plaire elle avait un profil trop accusé, la peau trop fragile, les pommettes trop saillantes, les traits trop tirés ». Et vlan ! Et puis c’est elle qui s’immisce auprès de lui, allant chez lui, rapprochant ses visites. Une notation marrante sur la mode féminine du moment : « … donnait à la femme l’air d’être composée de pièces différentes mal emmanchées les unes dans les autres ; … ». On apprend le goût de Swann pour Ver Meer (sic), dont Odette ignore jusqu’au nom. 

 

Le grand-père a bien connu Verdurin, mais a rompu lorsque le « petit Verdurin » est tombé (avec ses millions) dans la « bohème et la racaille ». Il refuse d’introduire Swann dans la famille Verdurin. C’est donc Odette qui s’en charge. Le portrait du Dr Cottard fait de celui-ci un imbécile : ne sachant jamais si l’autre est sérieux ou plaisante, il adopte une mine immuable, entre incrédulité d’initié et interrogation naïve. En attendant, sa plus grande pente est de prendre tout ce qui se dit au pied de la lettre. 

 

Dans le milieu Verdurin, Swann est « smart » avec classe et naturel. Il veut faire la connaissance de tout le monde : le peintre (monsieur Biche), la tante du pianiste (qu’il brocarde indûment auprès de Verdurin), le docteur. On a l’histoire du siège suédois de Mme Verdurin, en sapin ciré et de tous les autres cadeaux reçus qui finissent par faire chez elle un drôle de bric-à-brac. 

 

Et puis vient l’épisode de la sonate de Vinteuil, une merveille de considérations remarquables sur la musique. Le récit commence par les amabilités que fait Swann au pianiste après l’exécution. « De même qu’il ne se demandait pas s’il n’eût pas mieux fait de ne pas aller dans le monde… ». Goûtons la triple négation. 

 

Le moment se caractérise d’abord par l’insaisissable de la sensation qu’il a éprouvée l’année précédente en entendant une phrase donnée, dans le même morceau, sensation qu’un effort intellectuel lui permet d’attacher à un moment précis. La musique est un art du temps, et les notes, aussitôt retenties, s’évanouissent. Saisir cet insaisissable-là, voilà à quoi travaille Proust, par Swann interposé. 

 

Et Swann, qui semblait jusqu’alors pris dans une routine qui devait apparemment durer jusqu’à sa mort, commence à sentir en lui renaître un goût vivant pour la vie en train de se dérouler. Le passage vaut le coup : « Or, comme certains valétudinaires chez qui, tout d’un coup, un pays où ils sont arrivés, un régime différent, quelquefois une évolution organique, spontanée et mystérieuse, semblent amener une telle régression de leur mal qu’ils commencent à envisager la possibilité inespérée de commencer sur le tard une vie toute différente, Swann trouvait en lui, dans le souvenir de la phrase qu’il avait entendue, dans certaines sonates qu’il s’était fait jouer, pour voir s’il ne l’y découvrirait pas, la présence d’une de ces réalités invisibles auxquelles il avait cessé de croire et auxquelles, comme si la musique avait eu sur la sécheresse morale dont il souffrait une sorte d’influence élective, il se sentait de nouveau le désir et presque la force de consacrer sa vie ». Il trouve donc une nouvelle raison de vivre dans cette « phrase de Vinteuil ». 

 

Le soir du concert Verdurin, il y a donc un an que Swann a entendu la sonate, et il a cessé d’y penser. « Rentré chez lui, il eut besoin d’elle ». On ne sait pas si c’est à Odette de Crécy ou à la phrase musicale que l’expression s’applique. En à peine trois pages, PROUST écrit à quatre reprises « tout d’un coup ». Et Swann le blasé semble alors heureux. 

 

Même s’il n’arrive pas à associer le bonheur musical qu’il vient de ressentir au Vinteuil qu’il connaît (« une vieille bête »). Alors même que : « La sonate de Vinteuil avait produit une grande impression dans une école de tendances très avancées, mais était entièrement inconnue du grand public ». 

 

Swann glisse incidemment dans la conversation qu’il connaît le président de la République (Jules Grévy), qu’il a avec lui des amis communs (sans dire que c’est le Prince de Galles). Le clan Verdurin n’en a cure, et ne montre même que mépris pour le « grand monde » de l’aristocratie et du boulevard Saint-Germain. 

 

Le tour de force romanesque que constitue l’épisode « Un Amour de Swann » n’est pas dans tel ou tel « moment », avant tout parce qu’il est très délicat de vouloir en isoler tel ou tel en y voyant une « unité », vu la fluidité permanente du récit, qui fait de ses deux cents pages un tout homogène, un flux continu. 

 

Le tour de force romanesque est dans l’intensité maintenue égale dans tout l’épisode de trois lignes de récit : la musique, avec la « phrase » de la sonate de Vinteuil, qui semble amener Swann à un renouveau de son goût de la vie ; l’amour, avec le personnage d’Odette de Crécy, dont la sonate de V. n’est au vrai qu’une métaphore, les deux étant intimement liés ; la société, avec l’entrée de Swann dans le « clan » Verdurin. Là, je m’incline et je dis : « Chapeau, Maître Proust ». 

 

L’éveil musical de Swann écoutant ce morceau, son éveil amoureux dans la compagnie apparemment inoffensive d’Odette, et sa découverte d’un milieu social dans lequel, selon toute apparence, il subit un déclassement – tout cela suit une seule et même courbe, d’abord ascendante, jusqu’à son point de rayonnement maximum, puis descendante, jusqu’à son retour à un point zéro. 

 

En musique, ce sera la sonate figurant d’abord la présence d’Odette, avant qu’il l’entende, pour finir, sans elle, au cours d’une soirée mondaine. En amour, ce sera l’irruption à son insu, voire contre son gré, d’Odette dans sa vie, avant la prise de distance, puis la fin de la liaison. En société, ce sera l’entrée officielle dans le cercle Verdurin, puis le froid qui s’installe dans les relations, jusqu’à l’éviction définitive de Swann. Un seul et même mouvement, dépeint sur trois registres, comme une oeuvre musicale fondée sur plusieurs thèmes simultanés. Je m'incline derechef : « Chapeau, Maître Proust ». 

 

Ce que je trouve très fort, c’est l’extrême, imperceptible et constante progressivité de l’évolution des sentiments, des personnages, des situations. On a vraiment l’impression d’une coulée, assez lente pour pouvoir en saisir le moindre détail en l’isolant, mais en même temps assez rapide pour que le lecteur n’ait pas l’occasion de s’arrêter à un état d’esprit. Tout est à la fois net et précis, mais instable et mouvant. Je dis que ça, c’est du grand art.

 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 14 janvier 2012

DIS-MOI QUI TE MANIPULE (suite)

Résumé : JEAN-LEON BEAUVOIS et ROBERT-VINCENT JOULE ont publié Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, en 1987. Il est assez facile d’agir sur le comportement des gens.  

 

 

Mon bon copain Grand Robert m’a dit récemment qu’une manipulation est une « emprise occulte exercée sur un groupe (ou un individu) ». Tudieu, c’était donc ça ! Si je comprends bien, alors, c’est quelque chose de vraiment pas bien. On va voir qu’au contraire, pour B. & J., tout baigne.

 

 

 

MANIPULATION MALKOVITCH.jpg


PORTRAIT DE JOHN MALKOVITCH

 

 

Un individu est donc d’autant plus « engagé » dans une action qu’il a l’impression d’avoir pris la décision lui-même. Et plus son « engagement » sera fort, plus il aura tendance à persévérer dans sa décision. Dit autrement : plus j’ai l’impression d’être libre, plus je m’engage dans ce que je décide, et plus j’aurai du mal à renoncer à ma décision. Notez bien le mot « impression ».

 

 

Inversement, plus j’agis pour exécuter un ordre (l’adjudant m’envoie nettoyer les chiottes, qu’il faut que même la merde brille, pour prendre un exemple d’une époque révolue), plus j’ai envie de tirer au flanc. Car je sais que là, je ne suis pas libre du tout. Ce n’est pas une simple impression.

 

 

De toute façon, tout le monde vous le dira : adjudant, ça ne se fait plus. A l’époque merveilleuse que nous sommes en train de vivre, rien n’est plus moche que de ne pas être libre. Enfin presque : de ne pas avoir « l’impression » d’être libre. Résultat : tout le monde a décidé qu’il est libre. Enfin, c’est ce qu’ils disent, tout le monde. On ne pourra pas leur enlever ça, aux gens : ils ont dur comme fer l’impression d’être libres.

 

 

Parce que les compères B. & J. montrent comment des gens très sérieux, dans des laboratoires, ont prouvé scientifiquement combien il était facile de « manipuler » les gens pour que, justement, ils en soient convaincus, qu’ils sont libres, alors même qu’ils faisaient des choses inspirées par des volontés extérieures.

 

 

B. & J. appellent ça la « soumission librement consentie ». Bon, on voit bien que c’est un oxymore, autrement dit une contradiction dans les termes. Ça ne les gêne pas, B. & J. Au contraire, ils trouvent ça parfait. Tout en maintenant le mot « manipulation » dans leur titre. Un peu faux-culs sur les bords, les compères.

 

 

Un certain ETIENNE DE LA BOETIE (oui, le même que « parce que c’était lui, parce que c’était moi ») appelait ça la « servitude volontaire ». C’était plus franc, moins sournois. Mais le yaourt LA BOETIE  porte une date de péremption dépassée depuis tellement longtemps … que tout le monde a oublié ce que veut dire « servitude ».

 

 

Parenthèse en train de s'ouvrir :

 

 

Tout le management d’entreprise, depuis des dizaines d’années, a consisté à faire entrer dans le fonctionnement journalier de l’entreprise les techniques de manipulation. Le but avoué ? Faire disparaître du paysage directement visible le PRINCIPE D’AUTORITÉ.

 

 

C’est ainsi qu’il n’y a plus d’employés, mais des « collaborateurs ». Que le patron se balade en chemise. Que tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, que t'as vraiment l'impression qu'il n'y a plus de hiérarchie, que tout le monde est sur un pied d'égalité.

 

 

Qu'on fait, tiens-toi bien, au cours des « stages de remotivation de l'équipe », du saut à l'élastique, des opérations survie, du parachute, pour montrer qu'on est tous un gros tas de chouettes copains, et qu'on est prêts à se défoncer pour l'entreprise. Mais tout le monde a beau jouer la comédie, tout le monde sait qu’il s’agit d’une simple opération d’escamotage du dit PRINCIPE D'AUTORITÉ.

 

 

Parce qu'il est increvable, dans ce système, le principe d'autorité.

 

 

Parenthèse qui se ferme.

 

 

Donc, nous disions qu'il s’agit de faire agir quelqu’un dans un sens souhaité. Dans les techniques de manipulation dévoilées par B. & J., figure en bonne place le « pied-dans-la-porte ». Dans la rue, par exemple, il est recommandé de demander l’heure avant de demander une pièce de monnaie.

 

 

De même, si une ménagère accepte d’apposer sur sa vitre de cuisine un auto-collant en faveur de la sécurité routière, elle acceptera plus volontiers qu’on installe dans son jardin un grand panneau sur le même thème. Demander petit au début pour obtenir gros à la fin, disons que ce sont de bons débuts dans la manipulation.

 

 

Une autre technique qui marche assez bien : la promesse non tenue. Enfin, en termes de « psychologie sociale », ils appellent ça « l’amorçage ». On pourrait aussi appeler ça « publicité mensongère ».

 

 

Vous vendez des voitures ? Annoncez une réduction de 15 %. Quand les gogos ont afflué sur place, dites-leur que ce sera finalement 3 %. Eh bien tenez-vous bien, un nombre respectable des gogos persiste. En gros, vous provoquez une attente, un désir, que vous décevez, mais pas trop. Normalement, il reste des gogos : ceux qui n’ont pas la sagesse de faire un trait sur le désir qu’on a fait naître en eux. 

 

 

 

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Bon, je ne vais pas résumer le livre de B. & J. Disons simplement qu’ils exposent un certain nombre de techniques, expérimentées dans un cadre universitaire, donc scientifique, parmi lesquelles certaines sont croquignolettes, par exemple, celle où des étudiants, à la suite de manœuvres tortueuses, acceptent de manger un ver de terre. Il y a aussi l’animateur de supermarché qui aiguille les clients vers le rayon pizza en leur touchant ou non l’avant-bras avec la main : ceux qui ont été touchés achèteront bien plus de pizzas que les autres.  

 

 

Les gens, c’est maintenant prouvé, on peut leur enlever une partie de leur liberté sans qu’ils s’en aperçoivent. C’est sans doute ce que B. & J nomment le « libre consentement ». Des hypocrites cauteleux, des papelards chafouins, finalement, les compères B. & J. Même « librement consentie », j’appelle la soumission « servitude ». Tout ça montre assez bien qu’on ne sait plus trop ce que c’est, la liberté.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre…bientôt.


 

vendredi, 13 janvier 2012

DIS-MOI QUI TE MANIPULE

Je l’ai déjà dit ici, la Bande Dessinée forme une part non négligeable de l’humus sur lequel l’Egopode podagraire ou le Centranthe rouge, bref, la mauvaise herbe que je suis, a poussé. « C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe », dit quelqu’un de bien. Je suis resté Egopode podagraire ou Centranthe rouge, bon gré mal gré.

 

 

Dans les rares séries B. D. actuelles où mes circuits trouvent encore un peu de sève pour alimenter leur course alentie (on dirait du Verlaine, vous ne trouvez pas ?), il s’en trouve une qui emporte l’unanimité de mon suffrage, c’est la série Alpha.

 

 

Bien sûr, pas pour le surhumain cornichon vaguement courge qui vient à bout de tout sans être défrisé (c’est la loi du genre). Mais pour des scénarios impeccablement construits, qui réjouissent l’esprit du lecteur presque autant que le scénario inoubliable du Retournement, roman de VLADIMIR VOLKOFF (1979), que vous avez sûrement lu.

 

 

Parmi les épisodes, on trouve l’histoire d’une arnaque diaboliquement vicieuse visant à assassiner le président des Etats-Unis en personne. Un Irlandais nationaliste (engagé dans l'I. R. A. ?) rentre paisiblement chez lui, découvre sa famille assassinée. Le cadavre d’un agent de la C. I. A. laissé sur place laisse penser que ce sont les Américains qui ont fait le coup. L’Irlandais est convenablement aiguillé (et aiguillonné) par des salopards vers une vengeance impitoyable à l’encontre du grand responsable, qui ressemble ici à GEORGE W. BUSH.

 

 

Sauf que le coup a été monté par le patron des services secrets de Sa Majesté, qui aimerait bien venger ainsi la mort tragique de son fils, précisément en Irlande. Il échoue au dernier moment, grâce au héros, évidemment. Inutile de dire que l’Irlandais devait exploser en même temps que la voiture généreusement offerte par les salopards. Pas de traces, chez les salopards.  

 

 

Le procédé utilisé par les barbouzes anglais porte le label d’origine contrôlée MANIPULATION. Il se résume à une question : comment faire que  quelqu’un obéisse à un ordre en croyant accomplir sa seule volonté ? Comment l’amener à adhérer au désir qu’un autre a eu à sa place ? Comment lui faire prendre à son insu la décision qu’un autre a prise à sa place ?

 

 

 

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Messieurs BEAUVOIS et JOULE (JEAN-LEON BEAUVOIS et ROBERT-VINCENT JOULE, que j’abrègerai en B. & J.) ont publié un intéressant petit livre en 1987 (ce n’est pas un perdreau de l’année, mais moi non plus, donc …), qui s’intitule précisément Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens.

 

 

C’est un livre de « psychologie sociale » qui acclimate sur le sol français une théorie qui a vu le jour sur le sol américain : la théorie de « l’engagement ». Acclimatation réussie, semble-t-il : 250.000 exemplaires vendus.

 

 

La théorie postule quelque chose de central : quand le colonel du régiment fait un discours sur les méfaits de l’alcool et de la drogue, c’est sûr qu’aucun bidasse ne va le contredire, mais c’est sûr aussi que chacun va continuer comme si rien ne s’était passé. En revanche, si vous arrivez à obtenir d’une personne qu’elle traduise en acte effectif, même minime, une décision qu’elle accepte de prendre, cette action aura tendance à perdurer dans le temps. Le discours est inefficace à long terme, au contraire de l'acte effectif.

 

 

Ce qui est rigolo, ici, c’est de penser aux vieux manuels de philo, qui étaient traditionnellement structurés selon la dichotomie « la pensée » / « l’action », et qu’on a tous, à une époque, appris que la pensée précède (et domine) l’action. L'hypothèse des auteurs est que ceci est un mythe aimablement colporté par une tradition, disons « humaniste ».

 

 

B. & J. soutiennent en effet que la persuasion (discours oral) est par nature inefficace. C’est, dans leurs termes, la méthode « cognitiviste », traditionnelle, qui s’adresse au cerveau, à la raison, à la compréhension, à l’intelligence, et qui suppose que l’esprit commande, selon la vieille image qu’on se fait de la liberté humaine (priorité à la pensée). Cette méthode ne vaut rien.   

 

 

Car si vous voulez que des choses changent en réalité, il vaut mieux essayer d’obtenir des actes de la part des personnes, parce que celles-ci se sentiront beaucoup plus engagées (elles auront fait). La méthode est ici « comportementale » (ça, c'est bien américain), et repose sur l’idée que l’individu est davantage dans ce qu’il fait que dans ce qu’il pense (priorité à l’action).

 

 

Ça va même plus loin, puisque les auteurs montrent que plus l’action réalisée a coûté à l’individu (parce qu’elle allait à l’encontre de ses convictions), plus celui-ci fera un effort mental et réarrangera ses propres convictions pour qu’elles reviennent en cohésion avec l’acte accompli. En clair : si vous réussissez à lui faire accomplir un acte auquel il n'adhère pas, vous réussirez ipso facto à le faire changer d’avis. La manipulation est là.

 

 

 

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Quelqu’un qui fait quelque chose qui lui coûte provoque en lui-même une dissonance, comme une fissure intérieure qui le rendrait rapidement schizophrène s’il n’y mettait bon ordre : il est plus facile de changer la conviction que d’effacer l’acte déjà accompli. A ce stade, on peut donc se dire que la manipulation a réussi son coup.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

 

 

jeudi, 12 janvier 2012

SONDAGE ET POLITIQUE : LE BOCAL

Résumé : L’action politique est réduite à l’étude des sondages, la politique est réduite à l’action publicitaire, le politicien est réduit à vendre des aspirateurs et des encyclopédies au porte-à-porte.

 

 

Le problème de la politique, en France plus qu’ailleurs du fait de particularités particulières, c’est que deux entreprises se partagent le marché, et que chacune aimerait bien grignoter la part de l’autre, ou des T. P. E. (très petites entreprises) qui font semblant de jouer le même match. Tout ce qui s’appelle « vie politique » en France, est accaparé par deux usines, dont chacune prétend régner à elle seule sur le marché. Non, je devrais dire deux entreprises complices dans ce qu’on peut appeler un délit d’entente illicite.

 

 

Les produits ne sont pas très différents l’un de l’autre. Plus de social et de redistributif pour bien claironner qu’on est « à gauche ». Plus de sécuritaire et de libéral pour que l’image de marque de « la droite » soit aussitôt identifiée et mémorisée. Mais à part ces petits « marqueurs identitaires », allez, soyez sympas, dites-moi ce qui les différencie, les deux V. R. P. ? Rien ! Que dalle ! Pas lerche ! Peau de zébi !

 

 

La trublionne cataloguée sur le bord tout à fait droit de l’échiquier l’a bien compris, et ce n’est pas idiot du tout, de dénoncer l’U. M. P. S. Elle a même raison. A voir la peur qu’elle déclenche à droite et la haine qu’elle déclenche dans les cercles de la bien-pensance de la gauche morale, tiers-mondiste et « solidaire », les lignes de production des usines citées risquent de se trouver bientôt perturbées.

 

 

Le dernier Charlie-Hebdo, un torchon bien dans cette ligne, présentait la semaine dernière, parmi les caricatures des candidats, celui de la fifille à son papa sous la forme d’un énorme étron fumant au beau milieu de la page. C’est facile et rapide : ça évite de se lancer dans d’ennuyeuses et subtiles analyses du phénomène Front National, et de se demander si ce succès annoncé (je demande à voir) ne pousse pas sur le répugnant fumier U. M. P. S.

 

 

Le roquet BRICE COUTURIER, qui aboie sur France Culture dès que la silhouette d’un « facho » se dessine dans le paysage, se demandait, lundi matin (9 janvier), si les deux journalistes du Point (SOPHIE COIGNARD et ROMAIN GUBERT) qui viennent de publier une charge contre L’Oligarchie des incapables, ne « faisaient pas le jeu du Front National ».

 

 

Aboyons le moins possible contre la classe politique vermoulue qui nous gouverne ou y aspire, nous aboie le roquet BRICE COUTURIER, car, chut, ça « fait le jeu du Front National ».

 

 

Il ne vient pas à l’esprit de ce monsieur, habituellement intelligent, raisonnable et parfois percutant, de se demander si ce n’est pas précisément au spectacle offert par les Arlequin, Pantalon et autres Matamore qui nous gouvernent et hantent les plateaux de télé munis de leurs « éléments de langage », que nous devons le pronostic d’un Front National à 30 % publié en une de Libération ce même 9 janvier. 

 

 

C’est vrai que Libération fait fort avec sa une : un gigantesque 30 % (plus de 10 cm) joue les grenades dégoupillées en haut de la page. La phrase apporte un sérieux correctif à l’effet bœuf produit par la maquettage : « 30  % n’exclueraient [sic !] pas de voter Le Pen » (notez la superbe faute sur « exclure », et on est en « une »). Notez la formule « n’excluraient pas » : en clair, ce n’est pas complètement inenvisageable, mais bon, ce n’est pas fait. Notez aussi, bien sûr, le conditionnel.

 

 

Le mot d’ordre de cette une : la montagne de l’image, la souris du résultat. Pour vous en convaincre, jetez un œil en bas de page 3. Vous savez combien ils sont, dans le sondage, à souhaiter la victoire de MARINE LE PEN ? Ils sont 15 %, pas un cheveu de plus. La moitié. Ils sont de plus en plus honnêtes, à Libé. C’est présenté comme un « sondage exclusif ». Bien sûr, coco : tu l’as acheté avec le pognon que je donne pour acheter ta feuille de chou.

 

 

En fin de compte, les sondages tiennent un discours. Les politicasseurs, qui ont lu ce discours, élabore leur propre discours à partir de là, au sujet duquel on va faire des sondages pour tester l’impact du discours, et c’est reparti pour un tour. La machine s’auto-alimente.

 

 

On pourrait même soutenir que la pratique du sondage fabrique du discours qui s’auto-proclame « politique ». Ce que nous disent nos responsables est directement induit de ce que leur apportent les sondages. C’est la machine folle, qui fonctionne pour elle-même, sans considération pour quelque autre réalité. Du fictif qui produit du fictif, qui produit du fictif….

 

 

Ça me fait penser à GOTLIB : « C’est comme le pot-au-feu, c’est meilleur à chaque fois ». C’est dans l’intégrale de la Rubrique-à-brac, page 329. C’est intitulé « La Vache ». L’auteur nous fait partager sa vision épique de la digestion de l’herbe qui se passe dans le circuit compliqué, entre l’estomac de l’animal et la cavité buccale. « Et ça remet ça. – C’est reparti comme en 14. – Ça y va à la manœuvre ».

 

 

Regardez comment réagissent d’un seul élan Protocolaires d’une gauche de plus en plus caviardée, saumonée et faisandée et Thuriféraires d’une droite de plus en plus décomplexée, policière et vaguement putschiste, face au danger « populiste » (voir mes notes des 5 et 6 janvier). Ils ont peur de perdre le monopole (duopole, pour être exact, mais est-ce même si exact ?) des affaires.

 

 

A quoi sert l’énorme 30 % de la une de Libération pour annoncer un score possible du Front National ? A quoi sert d’exploiter les faits divers affreux, bien mis en scène à la télé ? A quoi sert d’exploiter les risques d’explosion de l’euro, d’éclatement de l’Europe ? A quoi sert d’insister sur les bisbilles franco-allemandes auxquelles le peuple ne peut strictement rien ?

 

 

Le but me paraît bien clair et identifiable : la PEUR. Plus je crée un sentiment de peur dans la population, plus j’ai de chances de tirer les marrons du feu. Regardez le déguisement de NICOLAS SARKOZY : après le Père Noël des riches, le voilà Père Courage (pour l’extérieur) et Père Protecteur et Fouettard (pour l’intérieur). Plus j’accentue le contraste entre la peur et NICOLAS SARKOZY, plus je sers à NICOLAS SARKOZY. Pas sûr que ça marche à tous les coups.

 

 

Plus rien à tirer de tout ça.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

mercredi, 11 janvier 2012

DU SONDAGE COMME TORCHE-CUL

Résumé : Je disais donc du mal des sondages en général et de STEPHANE ROZÈS en particulier.

 

 

Un sondage est une affabulation de mythomane, une fiction provisoire et défécatoire dont se repaît la voracité du moulin à prières médiatique qui, après avoir éructé ses chiffres folâtres autant que récréatifs aux oreilles de l’auditeur assoupi, s’inscrit dans le réel. A ce titre, comme le dit un proverbe tibétain : « Celui qui agit change le réel ».  « Meuh non, voyons ! C’est une simple photographie de l’opinion publique à un instant "t", on vous dit ! ». Mon œil, tiens !

 

 

Le seul truc rassurant dans l’affaire, c’est de se dire que si les sondages bousculent la réalité des opinions, personne n’est en mesure de dire de quel côté la pièce de monnaie va retomber.

 

 

C’est comme dans Match Point, le film de WOODY ALLEN, où le gars qui vient d’estourbir une vieille après avoir dégommé sa femme (SCARLETT JOHANSSON), croit jeter l’alliance dans l’eau, mais celle-ci retombe sur le macadam. On se dit que tout est foutu. Or un vagabond la récupère, se fait poisser par les flics, et passe pour le seul meurtrier. Ouf, on a eu chaud ! A la présidentielle, qui est-ce qui aura eu chaud ?

 

 

Et puis franchement, vous ne croyez pas que les sondages sont pour quelque chose dans l’état de déréliction en phase terminale où sont les idées politiques ? J’insiste : qui, aujourd’hui, a de vraies idées vraiment politiques ? Regardez le pauvre hère, le pauvre « Vagabond des limbes » (Axle Munshine, de GODARD & RIBERA, pour les amateurs de B. D.), le pauvre « Naufragé du temps » (Christopher Cavallieri, de FOREST & GILLON, idem B. D.), qui a pour pauvre nom FRANÇOIS HOLLANDE. Pauvre Hollande, avec tous ces polders submersibles !

 

 

C’est dans Libération du 9 janvier : les salauds ont collé sa photo à côté de FRANÇOIS MITTERRAND, dans trois attitudes identiques. La copie à côté de l’original, aurait dit LE PEN. Effet dévastateur garanti.

 

 

HOLLANDE a regardé les films de MITTERRAND sur le conseil de son équipe de « communicants » (pendez-les haut et court), et s’ingénie à singer ses attitudes, gestes et mimiques : pointe l’index vers le haut, bon dieu !  Allez, cette fois, serre les deux poings devant toi, nom de Zeus ! Et maintenant, le coup du regard qui toise, tête en arrière et doigts croisés, coco ! Ça ira ! C’est dans la poche !  

 

 

Sérieusement, vous ne croyez pas que les sondages modifient le discours des politicrottes ? Pensez donc qu’ils ont l’œil fixé sur les derniers chiffres parus pour sélectionner et ajuster leurs « thèmes de campagne ». Que leur préoccupation principale c’est de repérer les principales « préoccupations des Françaises et des Français », pour enfourcher aussitôt le dada, en espérant que la prochaine courbe sera bien orientée.

 

 

Les zaums paulitik élaborent leur discours à partir du miroir tendu par les sondages. Cela veut dire que les sondages, indirectement, sont les auteurs de ce que ces gens nous déversent dans les oreilles. L'inodore nauséabond (oui ! moi aussi je sais faire des oxymores !) qu'excrète l'orifice buccal des petits zom politik, nous arrive mouliné, remâché et prédigéré par les résultats obtenus par les funestes instituts. Disons au moins qu'il y a une circularité narcissique, voire incestueuse, sinon auto-érotique, entre le client et le fournisseur de sondages.  

 

 

 

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Si vous ne connaissez pas la P. N. L., vous ne perdez rien. Comme beaucoup d’autres déchets, celui-ci, conçu à destination des vendeurs et autres démarcheurs, est né sur le sol américain. La Programmation Neuro-Linguistique, belle appellation de cinglés digne des camisoles de force les plus confortables et solides (à la rigueur d’escrocs dignes des plus belles cellules de pénitencier), enseigne, entre autres merveilles, à offrir à l’interlocuteur sa propre image en miroir.

 

 

Les yeux, la position de la tête, l’attitude du corps, les gestes des bras, tout y passe. Le bon vendeur est celui qui sait percevoir tous ces détails et « entrer en résonance » avec le gogo qui va lui acheter son aspirateur ou son encyclopédie, en l’imitant en tout. Il paraît que ça marche. Moi je veux bien, mais je suis un peu sceptique. J’ai eu l’occasion de voir le truc de mes yeux.

 

 

Je vais vous dire, c’était tellement gros que j’avais envie d’éclater de rire et de dire au gars d’arrêter de me prendre pour une prune : que je mette la main sous le menton, que je croise les bras, que je penche la tête, dans la seconde qui suivait, il se mettait « en résonance ». Je me suis bien amusé.

 

 

Les politiculs, avec les sondages, sont un peu dans la même logique. D’ailleurs ça en dit long, puisque la P. N. L. est une technique de vente. Cela tendrait à prouver que les politicons sont effectivement des représentants de commerce, qui voudraient bien nous fourguer leur camelote.  

 

 

On leur décortique le dernier « quali » (sondage « qualitatif » réservé au cercle des initiés, plus ouvert, mais plus instructif, paraît-il, que celui circulant dans le vulgum pecus), et l’équipe de campagne phosphore pour trouver le bon « angle d’attaque ». Un petit passage entre les mains de l’équipe de « communicants » (pendez-les haut et court), et voilà le politicornard prêt à plonger dans le grand bain, je veux dire à affronter les plateaux de télévision.

 

 

Ce n’est pas pour rien que les « enquêtes d’opinion » ont pour origine le marketing publicitaire, qui fait tout pour vous présenter, sur les rayons des magasins, le yaourt qui ressemble le plus à votre attente. Les politicouilles font la même chose, ils veulent vendre les yaourts qui ressemblent du plus près possible aux « attentes des Françaises et des Français ».

 

 

 

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Ce n’est donc plus un discours politique que les politicrapules tiennent, mais un propos à visée presque explicitement commerciale. Il se trouve un peu par hasard que le contenu du produit touche la vie en collectivité, la « polis », quand ils font semblant d’avoir fait du grec.

 

 

Voilà ce que je dis moi.

 

 

Suite et fin demain.


 

mardi, 10 janvier 2012

CHAMPS D'EPANDAGE DES SONDAGES

On sait qu’une des officines centristes se présente à l’élection présidentielle en la personne d’HERVÉ MORIN, dont la « cote » dans les sondages se situe à peu près à 0 % des intentions de vote. La « une » du dernier Canard enchaîné publie un savoureux dessin de LEFRED-THOURON : le conseiller a le sourire en dépiautant le « sondage » : « Ça y est ! Tu dépasses le zéro pour cent ! ». Réponse de MORIN : « C’est mon cholestérol ».

 

 

Eh oui, le sondage, c’est comme le cholestérol : il y en a toujours trop. Mais c’est aussi comme le cholestérol : c’est d’abord et surtout un marché très rentable. Les « sondages », j’en ai déjà parlé. Ceux qui suivent ce blog savent ce que j’en pense.

 

 

 

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Un sondage n’est rien d’autre qu’une crotte pondue par l’anus d’un chien malade sur les champs d’épandage de la démocratie et les trottoirs parlementaires de nos cités. Aussi, en période électorale, les crottes de chiens malades pleuvent-elles sur les gens, alors même qu’ils sont totalement démunis de paracrottes.

 

 

Un sondage, avant d’être une « enquête d’opinion », c’est : « action de sonder, exploration locale et méthodique d’un milieu à l’aide d’une sonde ou de procédés techniques particuliers ». Je ne sais pas si le thermomètre introduit dans le fondement est médicalement assimilé à un sondage. Mais dans les « sondages » qui ont commencé à nous déferler dessus avant la présidentielle, je vois très bien une sorte d’instrument introduit dans le trou-qui-pue de la population pour prendre sa température.

 

 

 

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D’abord, c’est injuste, ce n’est jamais moi qu’on interroge. Il est vrai que je raccroche brutalement au nez du sondeur téléphonique, et que si ça se passe dans la rue, je joue le grand indifférent légèrement hargneux. Vous me direz donc que ceci explique cela. Ah, si vous le dites, … Je veux bien. De toute façon, mes réponses ne sont prévues dans aucune case.

 

 

Ce qui m’épastrouille hautement, c’est qu’en général, les gens se sentent flattés, voire honorés qu’on leur demande leur avis en dehors d’une échéance électorale. Moi au contraire, je trouve toujours profondément humiliante l’introduction d’un thermomètre, quel qu’il soit, dans mes profondeurs intimes. Fussent-elles électorales. Le seul sondage avec lequel je serais un peu d'accord, c'est l'élection elle-même.

 

 

 

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Et puis en face, moi je les plains, ces gens qui errent avec des questionnaires à remplir, en quête de bonnes âmes qui accepteraient de répondre à leurs questions, toutes plus nazes les unes que les autres – ce qu’ils savent parfaitement –, que plus ils en auront rempli, plus ça leur fera des sous. A-t-on idée ?

 

 

Est-ce seulement un métier ? Remarquez qu’il y en a de moins en moins, des gens qui font un vrai métier. Les « jobs » (je ne vois pas d’autre mot) à la mode (caissière de supermarché, auxiliaire de vie scolaire ou sociale, agent des transports payés seulement pour être visibles dans leur uniforme, j’arrête là, on n’en finirait pas) sont-ils des métiers ?

 

 

Quand j’étais étudiant, oui, j’ai fait des « jobs ». Ce n’est pas fait pour durer, ça n’exige aucune vraie formation, c’est mal payé. J’ai tiré des plans à l’ammoniaque dans la cave d’un architecte. J’ai livré des machines à écrire et des photocopieurs. J’ai collé des enveloppes. J’ai vendu des légumes biologiques. J’ai conduit des poids lourds. Bref, j’ai eu des « jobs ».  Une vie d’adulte digne, ce n’est pas ça. Mais la société actuelle est-elle encore faite pour des adultes dignes ?

 

 

Les « enquêteurs d’opinion », oui, je les plains. Ils me font penser à Jérôme et Sylvie, vous savez, les personnages de GEORGES PEREC dans Les Choses. Ils se rêvent en bourgeois dans un intérieur bourgeois comportant le fin du fin du style bourgeois, qui culmine dans le canapé Chesterfield. En attendant, ils errent comme DIOGÈNE, l’âme en peine et précaires, dans des banlieues improbables, à la recherche non d’hommes, mais d’opinions. Non, ce n’est pas un métier.

 

 

Et puis qu’est-ce c’est, cette fantaisie qui leur a poussé dans le crâne comme un champignon hallucinogène (psilocybe mexicana), de s’intituler « instituts » ? Pour s’intituler « institut », d’abord, il faut de la noblesse, il y a de la majesté. Institut Pasteur, Institut de France (quai Conti), Inserm, Institut du monde arabe, tout ça, je veux bien. Mais une entreprise privée qui fait un commerce juteux avec un produit vulgaire appelé « enquête d’opinion », de quel droit, « institut » ? Vous me direz « institut de beauté ». Je sais.

 

 

Un certain monsieur STEPHANE ROZÈS, qui a longtemps dirigé je ne sais plus quelle boîte de sondages (ce n’est rien de plus qu’une « boîte »), continue – c’est ahurissant –, à venir blatérer, gazouiller, babiller ou hennir ses « commentaires de sondages » aussi creux que doctes sur les ondes nationales, avec son articulation suave et consciencieuse de cul de poule de lèche-le-cul-de-la-maîtresse.

 

 

Et ça n’a l’air de choquer personne que le troupeau entier des journalistes politiques, même les plus à cheval sur la déontologie professionnelle, ait fini par admettre comme une évidence qu’un sondage d’opinion constitue une information à parent tiers ! Le sondage comme information ! Alors ça, ça me troue ! Sur quelle planète déshéritée vivons-nous ?

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 


 

dimanche, 08 janvier 2012

AU FIL DE "LA RECHERCHE" (3)

La fille de cuisine a accouché, mais devra à terme quitter son poste à cause de l’asthme (tiens donc !) que lui provoquent les asperges que Françoise se fait un malin plaisir de lui faire « plumer » tous les jours. Françoise apparaît alors d’une férocité féroce pour qui n’est pas de son clan.

 

 

Marcel nous fait ensuite le tableau ironique (mais que je trouve faisandé) des samedis où, Françoise devant aller au marché à Roussainville, le repas est avancé d’une heure, ce qui déclenche un nombre invraisemblable de plaisanteries qui ne sont drôles que dans le petit cercle familial, du genre « détail dont on fait une montagne de bonne humeur ». Cette avance fait que la journée va sembler très longue à tante Léonie.

 

 

On a droit au mois de Marie et aux visites à l’église remplie d’aubépines (nouveau tableau détaillé). A la sortie, on rencontre Monsieur Vinteuil qui, lorsqu’il reçoit les parents du petit, dispose un cahier de musique sur le piano, mais c’est pour mieux se défiler quand il est sollicité.

 

 

Il y a l’épisode Legrandin : un voisin élégant sans affectation, mais qui, lorsqu’il est en compagnie d’une dame qui est sa sœur, qui n’est autre que la duchesse de Guermantes, affecte de ne pas même s’apercevoir de leur existence. Après un certain nombre de valses-hésitations, il est décrété une fois pour toutes que Legrandin est un snob, puisqu’il ne veut pas admettre qu’il connaît la duchesse de Guermantes. Il l’affecte pour n’avoir pas à rédiger une lettre de recommandation en faveur de Marcel et de sa grand-mère qui doivent séjourner à Balbec. Exit Legrandin.

 

 

Après avoir rendu visite à la tante Léonie (considérations sur la lumière du soleil couchant comprises),au retour d’une promenade du côté de Guermantes, forcément plus longue, on fait en famille une promenade du côté de Méséglise. Marcel s’appesantit sur les lilas du château de Tansonville, qui appartient à Swann.

 

 

Nouveau chapitre sur les fleurs : « Avant d’y arriver, nous rencontrions, venue au-devant des étrangers, l’odeur de ses lilas. Eux-mêmes, d’entre les petits cœurs verts et frais de leurs feuilles, levaient curieusement au-dessus de la barrière du parc leurs panaches de plumes blanches ou mauves que lustrait, même à l’ombre, le soleil où elles avaient baigné. Quelques-uns, à demi cachés par la petite maison en tuiles appelée maison des Archers, où logeait le gardien, dépassaient son pignon gothique de leur rose minaret. Les Nymphes du printemps eussent semblé vulgaires, auprès de ces jeunes houris qui gardaient dans ce jardin français les tons vifs et purs des miniatures de la Perse ». Bon, cette fois, on a compris, Marcel, que tu es une fille.

 

 

Comme Swann n’est pas chez lui et qu’on ne risque donc pas de tomber sur Madame Swann, à laquelle il faudrait accepter d’être présentés, bien que le mariage de Swann fût considéré comme un déclassement, la famille a pu en effet longer le parc du château. C’est au cours de ce détour que Marcel fait la connaissance de Gilberte et qu’il en tombe aussitôt amoureux. Aïe mon cœur !

 

 

C’est au cours d’une de ces promenades qu’on aperçoit Mademoiselle Vinteuil, dont le père habite Montjouvain, passer à toute vitesse sur un tilbury, en compagnie d’une « amie plus âgée », avec laquelle elle « fait de la musique ». Mais enfin, ça arrive à tout le monde, de vivre en présence du vice et de s’en accommoder. De toute façon, Vinteuil est diminué, ce qui ne l’empêche pas de trouver Swann un homme exquis, alors que celui-ci le qualifiera plus tard, dans le salon Verdurin, de « vieille bête ».

 

 

Quand la promenade vers Méséglise rencontre la pluie, on s’abrite sous les halliers, ou sous le porche de l’église Saint-André-des-Champs : « Que cette église était française ! ». « On sentait que les notions que l’artiste médiéval et la paysanne médiévale (survivant au XIX° siècle) avaient de l’histoire ancienne ou chrétienne , et qui se distinguaient pas autant d’inexactitude que de bonhomie, ils les tenaient non des livres, mais d’une tradition à la fois antique et directe, ininterrompue, orale, déformée, méconnaissable et vivante. » Belle observation.

 

 

Pour montrer l’interpénétration entre passé et présent, je trouve que ce n’est pas mal. Il trouve même à Théodore, mauvais sujet s’il en est, les mêmes qualités de respect médiéval quand Françoise fait appel à lui pour soulever la vieille tante Léonie, qu’aux petits anges des bas-reliefs de l’église. Une église où est sculptée une sainte qui « avait les joues pleines, le sein ferme et qui gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin ». Quel sein doux à caresser ce devait être. On sent l’amateur de femmes !

 

 

Marcel prend l’habitude de se promener seul, « enveloppé dans un grand plaid », il aime observer une cahute couverte d’un toit de tuile, parfois rempli d’un soudain enthousiasme qu’il manifeste en brandissant mon parapluie refermé : « Zut, zut, zut, zut ! ». Il espère qu’une femme va venir à sa rencontre, il a toute une rêverie peut-être pas amoureuse, peut-être sentimentale : « Mais errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à embrasser, c’était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde ». Est-ce que ça sonne juste ?

 

 

Il observe ensuite Mlle Vinteuil et son manège dans la pièce avant l’arrivée de son amie. Quand celle-ci est là, autre manège entre les deux femmes, qui sont en train de se préparer ainsi une jolie soirée bien lubrique. Quelques considérations qu’il place dans le cadre du sadisme, de façon selon moi peu pertinente. « Ce n’est pas le mal qui lui donnait l’idée du plaisir, qui lui semblait agréable ; c’est le plaisir qui lui semblait malin. »

 

 

Quand il ne va pas vers Méséglise, Marcel va du côté de Guermantes. Ce n’est possible que quand on est sûr que le beau temps durera, car la promenade est beaucoup plus longue. On marche le long de la Vivonne. Un peu d’histoire sur les ruines du château des comtes de Combray. Un éloge du bouton d’or, quand il déferle en foule de son Asie natale.

 

 

Une description, si l’on veut, de la rivière. Une comparaison rigolote entre un nénuphar sans cesse basculé d’une rive à l’autre et la tante Léonie, « qui nous offrent sans changement au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu’ils se croient à chaque fois à la veille de secouer et qu’ils gardent toujours ». Que c’est bien dit.

 

 

La rêverie qui l’aurait conduit aux sources de la Vivonne ou à Guermantes même l’amène à évoquer la duchesse. Sera-t-il « le premier écrivain de l’époque » ? Ou bien, découragé, renoncera-t-il à la littérature ? L’avenir le dira, mon enfant. La duchesse est annoncée dans l’église de Combray à l’occasion du mariage de sa fille.

 

 

Elle s’assied dans la chapelle réservée à sa famille depuis des siècles. Marcel est interloqué par le fossé qui sépare l’idée qu’il s’en était faite et la duchesse réelle, « une dame blonde avec un grand nez, des yeux bleus et perçants, une cravate bouffante en soie mauve, lisse, neuve et brillante, et un petit bouton au coin du nez ».

 

 

Une petite coquetterie de Marcel : « Combien, depuis ce jour, dans mes promenades du côté de Guermantes, il me parut plus affligeant encore qu’auparavant de n’avoir pas de dispositions pour les lettres, et de devoir renoncer à être jamais un écrivain célèbre ». On a ensuite une tentative littéraire du petit Marcel, qui écrit, assis à côté du cocher du docteur Percepied, une description du mouvement optique de trois clochers. Pourquoi pas ? On est vraiment dans l’analyse de ses propres sensations.

 

 

Il termine cette partie sur un avis étrange. Pour lui, la vie « la plus pleine de péripéties » est « la vie intellectuelle ». C’est là, semble-t-il, qu’il fixe à la littérature l’objectif de restituer le passé : « Et certes quand ils étaient longuement contemplés par cet humble passant, par cet enfant qui rêvait – comme l’est un roi, par un mémorialiste perdu dans la foule – ce coin de nature, ce bout de jardin n’eussent pu penser que ce serait grâce à lui qu’ils seraient appelés à survivre en leurs particularités les plus éphémères ». Je ne suis pas sûr que tout ça soit fort intellectuel.

 

 

« Combray » s’achève sur un retour aux affres des insomnies de Marcel, dues à l’absence du baiser maternel du soir, et au désordre des perceptions nocturnes, rectifié dès les premières lueurs du jour. La boucle est bouclée.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

samedi, 07 janvier 2012

EN ATTENDANT "LA BOUGIE DU SAPEUR"

2012 étant une année bissextile, il faut se préparer pour le jour le plus rare, donc le plus cher du calendrier, j'ai nommé le 29 février. Et pour célébrer ce jour futur de la façon la plus digne, je ne vois pas de façon plus digne que d'évoquer un de ces héros obscurs et sans grade que nous a légué l'invincible armée française (invincible tant qu'il n'y a pas de guerre). Ce héros porte un nom ineffaçable : CAMEMBER (http://aulas.pierre.free.fr/chr_cam_03.html), dont la rumeur publique a peut-être d'ores et déjà porté à vos oreilles (et à vos yeux) l'existence, une existence dont on regretterait l'absence si elle n'avait pas existé. 

 

 

UNE PLAIDOIRIE REMARQUABLE

 

 

Camember est sapeur. C’est pour ça qu’on l’appelle « le sapeur Camember ». Il est respectueux de ses supérieurs. A l’occasion, il se montre facétieux, mais trouve parfois plus facétieux que lui, à ses dépens. Si vous ne connaissez pas ce chef d’œuvre, soyez heureux : vous avez de la joyeuseté et de la réjouissance en perspective en 2012.

 

 

Exemple immédiat : un gamin essaie d’atteindre la sonnette d’entrée de l’immeuble. Camember passant par là s’offre à le dépanner. Le gamin remercie : « Quand le pipelet il viendra vous seriez bien aimable d’y dire bonjour de ma part », avant de détaler à toute vitesse. Ça ne manque pas : au moment où le concierge ouvre pour punir le farceur, Camember est obligé de se retourner pour saluer le major Mauve, et reçoit où je pense un coup de balai bien senti, qui envoie par réaction le pied de Camember dans la rotondité du Major. Ça, c’est pour la mise en bouche.

 

 

Le plat de résistance, c’est la plaidoirie du défenseur du sapeur devant le conseil de guerre, où Camember paraît pour insulte à supérieur. C’est l’avocat, qui s'appelle excellemment maître Bafouillet, qui parle : « Messieurs, comme l’a fort bien dit Bossuet, notre maître à tous, il n’est si petit ruisseau qui ne finisse par porter ombrage.

 

 

« Si l’on en croyait l’acte d’accusation qui, de son doigt sévère, nous a plongé sur ce banc d’infamie, messieurs, nous aurions frappé le major Mauve dans l’exercice de ses fonctions… Or, dussé-je faire rougir vos cheveux blancs, ce n’est pas à cet endroit-là que nous avons atteint l’honorable docteur.

 

 

« Alors, messieurs, jetons un voile sur les batailles d’Austerlitz et de Marengo ! Songez à son pauvre père, à ce vieillard octogénaire qui a déjà un pied dans la tombe et qui, de l’autre, a toujours marché dans le sentier de la vertu !

 

 

« Ce n’est pas, messieurs les membres du Conseil, à de vieux singes comme vous et moi qu’on apprend à faire des grimaces et, qu’il le veuille ou non, je vois bien d’ici l’œil du commissaire du gouvernement qui m’écoute et qui rit.

 

 

« La vie, hélas, n’est qu’un tissu de coups de poignard qu’il faut savoir boire goutte à goutte ; et, je le dis hautement, pour moi, le coupable est innocent ! »

 

 

Ceux qui ont quelque lumière au sujet des aventures de Spirou et Fantasio connaissent évidemment le Maire de Champignac, « un orateur de toute première force » (c'est dans Le Prisonnier du Bouddah), qui prononce des discours marqués du sceau de l’éloquence de maître Bafouillet. Je leur ferai un sort prochainement, car ils valent leur pesant de cacahuètes. A la suite de cette émouvante plaidoirie, Camember est acquitté. Voilà un échantillon de ce que sont Les Facéties du sapeur Camember (éditions Armand Colin).

 

 

Il faut que je vous présente le personnage plus en détail. C’est de la BANDE DESSINEE. L'art est mineur, j'en conviens, mais il forme une des briques qui, de guingois ou à bon droit, ont servi à l'dification physique et mentale de mon pauvre individu. François Baptiste Ephraïm CAMEMBER, fils d’Anatole Camember et de Polymnie Cancoyotte,  est né à Gleux les Lure, département de Saône Supérieure, le 29 février 1844. Sa vocation : ne rien faire.

 

 

C’est la raison pour laquelle il se trouvera bien dans l’armée française, comme « sapeur ». Je signale qu’en l’honneur du Sapeur Camember et de cette date de naissance, un journal a été fondé en 1980, qui paraît tous les 29 février : La Bougie du Sapeur. Le numéro 8 devrait donc paraître le 29 février 2012. Restez aux aguets, c’est pour très bientôt.

 

 

Le vrai, et facétieux, père du « Sapeur Camember » s’appelle GEORGES COLOMB qui, pour cette raison prendra le nom de plume de CHRISTOPHE. Il a laissé quatre chefs d’œuvre, dont je n’évoquerai ici que Les Facéties du Sapeur Camember (1896), sachant tout de même qu’il est vital pour la santé mentale et physique de ne rien ignorer de l’anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle, immortelle invention du savant Cosinus, mais aussi de tout savoir de la famille Fenouillard et de Plick et Plock.

 

 

Camember a du bon sens, et du gros. Ainsi, lorsque Cancrelat, qui doit scier le bois du Colonel et se désespère car le tas est vraiment très haut, il le réconforte : « Cancrelat, lui dit-il, tu m’affliges : tu n’as qu’à commencer par un bout, et quand t’arriveras à l’autre, tu seras tout épaté d’avoir fini ».

 

 

Et lorsque le pauvre est arrivé à la moitié, et se plaint que c’est vraiment très long : « S’pèce de moule ! C’est par l’aut’bout qu’il fallait commencer, parce qu’à présent qu’il n’y a plus rien de ce bout ici, il n’te resterait plus rien à faire ». IMPARABLE.

 

 

Une autre fois, le sergent Bitur (ça vaut l’adjudant Kronenbourg de CABU), qui a beaucoup moins de bon sens que Camember, lui « imprime » l’ordre de creuser un trou pour y cacher des ordures. Le sapeur, une fois la mission accomplie, se demande où il va fourrer la terre extraite du trou. Bitur : « Que vous êtes donc plus herméfitiquement bouché qu’une bouteille de limonade ! Creusez un autre trou ! ». Deuxième engueulade : « M’ferez quatre jours pour n’avoir pas creusé le deuxième trou assez grand pour pouvoir y mettre sa terre avec celle du premier ».

 

 

 

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Camember a aussi l’art du compliment délicat. Un peintre a fait le portrait de la colonelle. Le sapeur se croit obligé de corriger « mam’selle Victoire » (servante alsacienne, c’est important de le préciser) qui vient d’émettre un jugement désobligeant sur la peinture, que la Colonelle a entendu : « C’est p’têtre vrai que ce n’est pas joli, joli… Mais avouez que c’est rudement ressemblant ! ».

 

 

Mam’selle Victoire a donc un accent alsacien à couper au couteau. Attention, je n'ai rien contre les Alsciens, mais je suis tout contre les Alsaciennes, ça plaisante pas. Elle appelle Camember « Mossieu Gamempre ». Un jour, à Camember qui cherche son Colonel : « Foui ! Mossieu Gamempre, ché fiens té lé foir… tans son gabinet… il é…grivé ». Persuadé que son cher colonel est mort, il court ameuter la caserne. Après vérification, le Colonel est bien vivant, et fait venir Victoire : « Ch’ai pas tit : "le golonel il est grévé", ch’ai tit : "Le golonel il égrivé… afec une blume quoi !" ».

 

 

Quelle chance vous avez, bande de petits veinards qui ne connaissiez pas Camember, vous allez vous régaler ! Vous découvrirez qu’il sait à l’occasion se comporter en véritable héros militaire, qu’il sauve son Colonel, qui le décore, si c’est pas une preuve, ça. Cancrelat, nommé capitaine des pompiers, « a eu le premier l’idée géniale qui consiste à essayer les pompes la veille de chaque incendie ».

 

 

Camember épouse Victoire qui, à la dernière image, lui a déjà donné huit garçons, pas tout à fait « l’effectif d’une escouade sur pied de guerre ». Peinture ironique et débonnaire d’une vie de caserne désormais disparue.

 

 

On peut considérer GEORGES COLOMB alias CHRISTOPHE comme un ancêtre français de la BANDE DESSINEE, de même que la Suisse a donné à celle-ci RODOLPHE TÖPFFER  (né en 1799) (Les Amours de M. Vieuxbois), l’Allemagne WILHELM BUSCH (les infernaux Max et Moritz), et l’Amérique RICHARD OUTCAULT (Yellow Kid, où apparaît la première bulle en 1896). Total respect !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NOTE A BENNE : A propos de Camember, je signale aux curieux une facétie de MARCEL PROUST dans Du Côté de chez Swann. Au cours d'une soirée très mondaine chez madame de Saint-Euverte, Swann et la princesse des Laumes disent du mal de madame de Cambremer (ex-Mlle Legrandin) : « Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant. - Il ne commence pas mieux, répondit Swann. - En effet cette double abréviation ! ... - C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé aller jusqu'au bout du premier mot. - Mais puisqu'il ne pouvait s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait de finir le premier pour en finir une bonne fois ». Qu'en termes élégants ces vacheries sont dites !