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jeudi, 12 janvier 2012

SONDAGE ET POLITIQUE : LE BOCAL

Résumé : L’action politique est réduite à l’étude des sondages, la politique est réduite à l’action publicitaire, le politicien est réduit à vendre des aspirateurs et des encyclopédies au porte-à-porte.

 

 

Le problème de la politique, en France plus qu’ailleurs du fait de particularités particulières, c’est que deux entreprises se partagent le marché, et que chacune aimerait bien grignoter la part de l’autre, ou des T. P. E. (très petites entreprises) qui font semblant de jouer le même match. Tout ce qui s’appelle « vie politique » en France, est accaparé par deux usines, dont chacune prétend régner à elle seule sur le marché. Non, je devrais dire deux entreprises complices dans ce qu’on peut appeler un délit d’entente illicite.

 

 

Les produits ne sont pas très différents l’un de l’autre. Plus de social et de redistributif pour bien claironner qu’on est « à gauche ». Plus de sécuritaire et de libéral pour que l’image de marque de « la droite » soit aussitôt identifiée et mémorisée. Mais à part ces petits « marqueurs identitaires », allez, soyez sympas, dites-moi ce qui les différencie, les deux V. R. P. ? Rien ! Que dalle ! Pas lerche ! Peau de zébi !

 

 

La trublionne cataloguée sur le bord tout à fait droit de l’échiquier l’a bien compris, et ce n’est pas idiot du tout, de dénoncer l’U. M. P. S. Elle a même raison. A voir la peur qu’elle déclenche à droite et la haine qu’elle déclenche dans les cercles de la bien-pensance de la gauche morale, tiers-mondiste et « solidaire », les lignes de production des usines citées risquent de se trouver bientôt perturbées.

 

 

Le dernier Charlie-Hebdo, un torchon bien dans cette ligne, présentait la semaine dernière, parmi les caricatures des candidats, celui de la fifille à son papa sous la forme d’un énorme étron fumant au beau milieu de la page. C’est facile et rapide : ça évite de se lancer dans d’ennuyeuses et subtiles analyses du phénomène Front National, et de se demander si ce succès annoncé (je demande à voir) ne pousse pas sur le répugnant fumier U. M. P. S.

 

 

Le roquet BRICE COUTURIER, qui aboie sur France Culture dès que la silhouette d’un « facho » se dessine dans le paysage, se demandait, lundi matin (9 janvier), si les deux journalistes du Point (SOPHIE COIGNARD et ROMAIN GUBERT) qui viennent de publier une charge contre L’Oligarchie des incapables, ne « faisaient pas le jeu du Front National ».

 

 

Aboyons le moins possible contre la classe politique vermoulue qui nous gouverne ou y aspire, nous aboie le roquet BRICE COUTURIER, car, chut, ça « fait le jeu du Front National ».

 

 

Il ne vient pas à l’esprit de ce monsieur, habituellement intelligent, raisonnable et parfois percutant, de se demander si ce n’est pas précisément au spectacle offert par les Arlequin, Pantalon et autres Matamore qui nous gouvernent et hantent les plateaux de télé munis de leurs « éléments de langage », que nous devons le pronostic d’un Front National à 30 % publié en une de Libération ce même 9 janvier. 

 

 

C’est vrai que Libération fait fort avec sa une : un gigantesque 30 % (plus de 10 cm) joue les grenades dégoupillées en haut de la page. La phrase apporte un sérieux correctif à l’effet bœuf produit par la maquettage : « 30  % n’exclueraient [sic !] pas de voter Le Pen » (notez la superbe faute sur « exclure », et on est en « une »). Notez la formule « n’excluraient pas » : en clair, ce n’est pas complètement inenvisageable, mais bon, ce n’est pas fait. Notez aussi, bien sûr, le conditionnel.

 

 

Le mot d’ordre de cette une : la montagne de l’image, la souris du résultat. Pour vous en convaincre, jetez un œil en bas de page 3. Vous savez combien ils sont, dans le sondage, à souhaiter la victoire de MARINE LE PEN ? Ils sont 15 %, pas un cheveu de plus. La moitié. Ils sont de plus en plus honnêtes, à Libé. C’est présenté comme un « sondage exclusif ». Bien sûr, coco : tu l’as acheté avec le pognon que je donne pour acheter ta feuille de chou.

 

 

En fin de compte, les sondages tiennent un discours. Les politicasseurs, qui ont lu ce discours, élabore leur propre discours à partir de là, au sujet duquel on va faire des sondages pour tester l’impact du discours, et c’est reparti pour un tour. La machine s’auto-alimente.

 

 

On pourrait même soutenir que la pratique du sondage fabrique du discours qui s’auto-proclame « politique ». Ce que nous disent nos responsables est directement induit de ce que leur apportent les sondages. C’est la machine folle, qui fonctionne pour elle-même, sans considération pour quelque autre réalité. Du fictif qui produit du fictif, qui produit du fictif….

 

 

Ça me fait penser à GOTLIB : « C’est comme le pot-au-feu, c’est meilleur à chaque fois ». C’est dans l’intégrale de la Rubrique-à-brac, page 329. C’est intitulé « La Vache ». L’auteur nous fait partager sa vision épique de la digestion de l’herbe qui se passe dans le circuit compliqué, entre l’estomac de l’animal et la cavité buccale. « Et ça remet ça. – C’est reparti comme en 14. – Ça y va à la manœuvre ».

 

 

Regardez comment réagissent d’un seul élan Protocolaires d’une gauche de plus en plus caviardée, saumonée et faisandée et Thuriféraires d’une droite de plus en plus décomplexée, policière et vaguement putschiste, face au danger « populiste » (voir mes notes des 5 et 6 janvier). Ils ont peur de perdre le monopole (duopole, pour être exact, mais est-ce même si exact ?) des affaires.

 

 

A quoi sert l’énorme 30 % de la une de Libération pour annoncer un score possible du Front National ? A quoi sert d’exploiter les faits divers affreux, bien mis en scène à la télé ? A quoi sert d’exploiter les risques d’explosion de l’euro, d’éclatement de l’Europe ? A quoi sert d’insister sur les bisbilles franco-allemandes auxquelles le peuple ne peut strictement rien ?

 

 

Le but me paraît bien clair et identifiable : la PEUR. Plus je crée un sentiment de peur dans la population, plus j’ai de chances de tirer les marrons du feu. Regardez le déguisement de NICOLAS SARKOZY : après le Père Noël des riches, le voilà Père Courage (pour l’extérieur) et Père Protecteur et Fouettard (pour l’intérieur). Plus j’accentue le contraste entre la peur et NICOLAS SARKOZY, plus je sers à NICOLAS SARKOZY. Pas sûr que ça marche à tous les coups.

 

 

Plus rien à tirer de tout ça.

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

 

 

 

Commentaires

Très bonne analyse. J'ai entendu Sophie Coignard répondre à Bruno Leymarie que son livre co-écrit avec Romain Gubert ne faisait pas le jeu du FN. Et vous apportez pour votre part une réponse très juste. Platon, il y a quelques années..., avait déjà analysé le processus qui conduit de l'oligarchie ploutocratique à la tyrannie. Le phénomène ne date donc pas d'hier non plus que l'analyse de "L'oligarchie des incapables", un excellent livre au demeurant (même si l'idée qui le sous-tend en permanence et que ses auteurs rappellent de façon récurrente, sur les ondes également, à savoir que l'on a le droit de gagner beaucoup d'argent et qu'il faut bien une élite, une chevalerie, pour diriger un pays - voir la 4e de couverture, est critiquable et pour ma part décevante). Voir un extrait du bouquin qui n'est pas piqué des hannetons (touchant l'influence de la cour sarkozyenne sur l'administration de l'Éducation nationale), ainsi que les textes de Platon concernés, sur Polit'productions :

http://politproductions.com/content/l%E2%80%99oligarchie-des-incapables-vive-la-philo

Écrit par : Pierrej | jeudi, 12 janvier 2012

Faut-il ou ne faut-il pas une élite ? Je ne suis pas sûr que la question soit bien posée : la détention du pouvoir par une élite est-elle évitable ? me semble plus près de la réalité pratique. Ce qui est insupportable (comme le disent Coignard et Gubert), c'est la confiscation de ce pouvoir, et l'auto-reproduction de cette élite : la reconstitution d'une féodalité.
Merci.

Écrit par : fred | jeudi, 12 janvier 2012

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