dimanche, 08 janvier 2012
AU FIL DE "LA RECHERCHE" (3)
La fille de cuisine a accouché, mais devra à terme quitter son poste à cause de l’asthme (tiens donc !) que lui provoquent les asperges que Françoise se fait un malin plaisir de lui faire « plumer » tous les jours. Françoise apparaît alors d’une férocité féroce pour qui n’est pas de son clan.
Marcel nous fait ensuite le tableau ironique (mais que je trouve faisandé) des samedis où, Françoise devant aller au marché à Roussainville, le repas est avancé d’une heure, ce qui déclenche un nombre invraisemblable de plaisanteries qui ne sont drôles que dans le petit cercle familial, du genre « détail dont on fait une montagne de bonne humeur ». Cette avance fait que la journée va sembler très longue à tante Léonie.
On a droit au mois de Marie et aux visites à l’église remplie d’aubépines (nouveau tableau détaillé). A la sortie, on rencontre Monsieur Vinteuil qui, lorsqu’il reçoit les parents du petit, dispose un cahier de musique sur le piano, mais c’est pour mieux se défiler quand il est sollicité.
Il y a l’épisode Legrandin : un voisin élégant sans affectation, mais qui, lorsqu’il est en compagnie d’une dame qui est sa sœur, qui n’est autre que la duchesse de Guermantes, affecte de ne pas même s’apercevoir de leur existence. Après un certain nombre de valses-hésitations, il est décrété une fois pour toutes que Legrandin est un snob, puisqu’il ne veut pas admettre qu’il connaît la duchesse de Guermantes. Il l’affecte pour n’avoir pas à rédiger une lettre de recommandation en faveur de Marcel et de sa grand-mère qui doivent séjourner à Balbec. Exit Legrandin.
Après avoir rendu visite à la tante Léonie (considérations sur la lumière du soleil couchant comprises),au retour d’une promenade du côté de Guermantes, forcément plus longue, on fait en famille une promenade du côté de Méséglise. Marcel s’appesantit sur les lilas du château de Tansonville, qui appartient à Swann.
Nouveau chapitre sur les fleurs : « Avant d’y arriver, nous rencontrions, venue au-devant des étrangers, l’odeur de ses lilas. Eux-mêmes, d’entre les petits cœurs verts et frais de leurs feuilles, levaient curieusement au-dessus de la barrière du parc leurs panaches de plumes blanches ou mauves que lustrait, même à l’ombre, le soleil où elles avaient baigné. Quelques-uns, à demi cachés par la petite maison en tuiles appelée maison des Archers, où logeait le gardien, dépassaient son pignon gothique de leur rose minaret. Les Nymphes du printemps eussent semblé vulgaires, auprès de ces jeunes houris qui gardaient dans ce jardin français les tons vifs et purs des miniatures de la Perse ». Bon, cette fois, on a compris, Marcel, que tu es une fille.
Comme Swann n’est pas chez lui et qu’on ne risque donc pas de tomber sur Madame Swann, à laquelle il faudrait accepter d’être présentés, bien que le mariage de Swann fût considéré comme un déclassement, la famille a pu en effet longer le parc du château. C’est au cours de ce détour que Marcel fait la connaissance de Gilberte et qu’il en tombe aussitôt amoureux. Aïe mon cœur !
C’est au cours d’une de ces promenades qu’on aperçoit Mademoiselle Vinteuil, dont le père habite Montjouvain, passer à toute vitesse sur un tilbury, en compagnie d’une « amie plus âgée », avec laquelle elle « fait de la musique ». Mais enfin, ça arrive à tout le monde, de vivre en présence du vice et de s’en accommoder. De toute façon, Vinteuil est diminué, ce qui ne l’empêche pas de trouver Swann un homme exquis, alors que celui-ci le qualifiera plus tard, dans le salon Verdurin, de « vieille bête ».
Quand la promenade vers Méséglise rencontre la pluie, on s’abrite sous les halliers, ou sous le porche de l’église Saint-André-des-Champs : « Que cette église était française ! ». « On sentait que les notions que l’artiste médiéval et la paysanne médiévale (survivant au XIX° siècle) avaient de l’histoire ancienne ou chrétienne , et qui se distinguaient pas autant d’inexactitude que de bonhomie, ils les tenaient non des livres, mais d’une tradition à la fois antique et directe, ininterrompue, orale, déformée, méconnaissable et vivante. » Belle observation.
Pour montrer l’interpénétration entre passé et présent, je trouve que ce n’est pas mal. Il trouve même à Théodore, mauvais sujet s’il en est, les mêmes qualités de respect médiéval quand Françoise fait appel à lui pour soulever la vieille tante Léonie, qu’aux petits anges des bas-reliefs de l’église. Une église où est sculptée une sainte qui « avait les joues pleines, le sein ferme et qui gonflait la draperie comme une grappe mûre dans un sac de crin ». Quel sein doux à caresser ce devait être. On sent l’amateur de femmes !
Marcel prend l’habitude de se promener seul, « enveloppé dans un grand plaid », il aime observer une cahute couverte d’un toit de tuile, parfois rempli d’un soudain enthousiasme qu’il manifeste en brandissant mon parapluie refermé : « Zut, zut, zut, zut ! ». Il espère qu’une femme va venir à sa rencontre, il a toute une rêverie peut-être pas amoureuse, peut-être sentimentale : « Mais errer ainsi dans les bois de Roussainville sans une paysanne à embrasser, c’était ne pas connaître de ces bois le trésor caché, la beauté profonde ». Est-ce que ça sonne juste ?
Il observe ensuite Mlle Vinteuil et son manège dans la pièce avant l’arrivée de son amie. Quand celle-ci est là, autre manège entre les deux femmes, qui sont en train de se préparer ainsi une jolie soirée bien lubrique. Quelques considérations qu’il place dans le cadre du sadisme, de façon selon moi peu pertinente. « Ce n’est pas le mal qui lui donnait l’idée du plaisir, qui lui semblait agréable ; c’est le plaisir qui lui semblait malin. »
Quand il ne va pas vers Méséglise, Marcel va du côté de Guermantes. Ce n’est possible que quand on est sûr que le beau temps durera, car la promenade est beaucoup plus longue. On marche le long de la Vivonne. Un peu d’histoire sur les ruines du château des comtes de Combray. Un éloge du bouton d’or, quand il déferle en foule de son Asie natale.
Une description, si l’on veut, de la rivière. Une comparaison rigolote entre un nénuphar sans cesse basculé d’une rive à l’autre et la tante Léonie, « qui nous offrent sans changement au cours des années le spectacle des habitudes bizarres qu’ils se croient à chaque fois à la veille de secouer et qu’ils gardent toujours ». Que c’est bien dit.
La rêverie qui l’aurait conduit aux sources de la Vivonne ou à Guermantes même l’amène à évoquer la duchesse. Sera-t-il « le premier écrivain de l’époque » ? Ou bien, découragé, renoncera-t-il à la littérature ? L’avenir le dira, mon enfant. La duchesse est annoncée dans l’église de Combray à l’occasion du mariage de sa fille.
Elle s’assied dans la chapelle réservée à sa famille depuis des siècles. Marcel est interloqué par le fossé qui sépare l’idée qu’il s’en était faite et la duchesse réelle, « une dame blonde avec un grand nez, des yeux bleus et perçants, une cravate bouffante en soie mauve, lisse, neuve et brillante, et un petit bouton au coin du nez ».
Une petite coquetterie de Marcel : « Combien, depuis ce jour, dans mes promenades du côté de Guermantes, il me parut plus affligeant encore qu’auparavant de n’avoir pas de dispositions pour les lettres, et de devoir renoncer à être jamais un écrivain célèbre ». On a ensuite une tentative littéraire du petit Marcel, qui écrit, assis à côté du cocher du docteur Percepied, une description du mouvement optique de trois clochers. Pourquoi pas ? On est vraiment dans l’analyse de ses propres sensations.
Il termine cette partie sur un avis étrange. Pour lui, la vie « la plus pleine de péripéties » est « la vie intellectuelle ». C’est là, semble-t-il, qu’il fixe à la littérature l’objectif de restituer le passé : « Et certes quand ils étaient longuement contemplés par cet humble passant, par cet enfant qui rêvait – comme l’est un roi, par un mémorialiste perdu dans la foule – ce coin de nature, ce bout de jardin n’eussent pu penser que ce serait grâce à lui qu’ils seraient appelés à survivre en leurs particularités les plus éphémères ». Je ne suis pas sûr que tout ça soit fort intellectuel.
« Combray » s’achève sur un retour aux affres des insomnies de Marcel, dues à l’absence du baiser maternel du soir, et au désordre des perceptions nocturnes, rectifié dès les premières lueurs du jour. La boucle est bouclée.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marcel proust, à la recherche du temps perdu, littérature française
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