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samedi, 07 janvier 2012

EN ATTENDANT "LA BOUGIE DU SAPEUR"

2012 étant une année bissextile, il faut se préparer pour le jour le plus rare, donc le plus cher du calendrier, j'ai nommé le 29 février. Et pour célébrer ce jour futur de la façon la plus digne, je ne vois pas de façon plus digne que d'évoquer un de ces héros obscurs et sans grade que nous a légué l'invincible armée française (invincible tant qu'il n'y a pas de guerre). Ce héros porte un nom ineffaçable : CAMEMBER (http://aulas.pierre.free.fr/chr_cam_03.html), dont la rumeur publique a peut-être d'ores et déjà porté à vos oreilles (et à vos yeux) l'existence, une existence dont on regretterait l'absence si elle n'avait pas existé. 

 

 

UNE PLAIDOIRIE REMARQUABLE

 

 

Camember est sapeur. C’est pour ça qu’on l’appelle « le sapeur Camember ». Il est respectueux de ses supérieurs. A l’occasion, il se montre facétieux, mais trouve parfois plus facétieux que lui, à ses dépens. Si vous ne connaissez pas ce chef d’œuvre, soyez heureux : vous avez de la joyeuseté et de la réjouissance en perspective en 2012.

 

 

Exemple immédiat : un gamin essaie d’atteindre la sonnette d’entrée de l’immeuble. Camember passant par là s’offre à le dépanner. Le gamin remercie : « Quand le pipelet il viendra vous seriez bien aimable d’y dire bonjour de ma part », avant de détaler à toute vitesse. Ça ne manque pas : au moment où le concierge ouvre pour punir le farceur, Camember est obligé de se retourner pour saluer le major Mauve, et reçoit où je pense un coup de balai bien senti, qui envoie par réaction le pied de Camember dans la rotondité du Major. Ça, c’est pour la mise en bouche.

 

 

Le plat de résistance, c’est la plaidoirie du défenseur du sapeur devant le conseil de guerre, où Camember paraît pour insulte à supérieur. C’est l’avocat, qui s'appelle excellemment maître Bafouillet, qui parle : « Messieurs, comme l’a fort bien dit Bossuet, notre maître à tous, il n’est si petit ruisseau qui ne finisse par porter ombrage.

 

 

« Si l’on en croyait l’acte d’accusation qui, de son doigt sévère, nous a plongé sur ce banc d’infamie, messieurs, nous aurions frappé le major Mauve dans l’exercice de ses fonctions… Or, dussé-je faire rougir vos cheveux blancs, ce n’est pas à cet endroit-là que nous avons atteint l’honorable docteur.

 

 

« Alors, messieurs, jetons un voile sur les batailles d’Austerlitz et de Marengo ! Songez à son pauvre père, à ce vieillard octogénaire qui a déjà un pied dans la tombe et qui, de l’autre, a toujours marché dans le sentier de la vertu !

 

 

« Ce n’est pas, messieurs les membres du Conseil, à de vieux singes comme vous et moi qu’on apprend à faire des grimaces et, qu’il le veuille ou non, je vois bien d’ici l’œil du commissaire du gouvernement qui m’écoute et qui rit.

 

 

« La vie, hélas, n’est qu’un tissu de coups de poignard qu’il faut savoir boire goutte à goutte ; et, je le dis hautement, pour moi, le coupable est innocent ! »

 

 

Ceux qui ont quelque lumière au sujet des aventures de Spirou et Fantasio connaissent évidemment le Maire de Champignac, « un orateur de toute première force » (c'est dans Le Prisonnier du Bouddah), qui prononce des discours marqués du sceau de l’éloquence de maître Bafouillet. Je leur ferai un sort prochainement, car ils valent leur pesant de cacahuètes. A la suite de cette émouvante plaidoirie, Camember est acquitté. Voilà un échantillon de ce que sont Les Facéties du sapeur Camember (éditions Armand Colin).

 

 

Il faut que je vous présente le personnage plus en détail. C’est de la BANDE DESSINEE. L'art est mineur, j'en conviens, mais il forme une des briques qui, de guingois ou à bon droit, ont servi à l'dification physique et mentale de mon pauvre individu. François Baptiste Ephraïm CAMEMBER, fils d’Anatole Camember et de Polymnie Cancoyotte,  est né à Gleux les Lure, département de Saône Supérieure, le 29 février 1844. Sa vocation : ne rien faire.

 

 

C’est la raison pour laquelle il se trouvera bien dans l’armée française, comme « sapeur ». Je signale qu’en l’honneur du Sapeur Camember et de cette date de naissance, un journal a été fondé en 1980, qui paraît tous les 29 février : La Bougie du Sapeur. Le numéro 8 devrait donc paraître le 29 février 2012. Restez aux aguets, c’est pour très bientôt.

 

 

Le vrai, et facétieux, père du « Sapeur Camember » s’appelle GEORGES COLOMB qui, pour cette raison prendra le nom de plume de CHRISTOPHE. Il a laissé quatre chefs d’œuvre, dont je n’évoquerai ici que Les Facéties du Sapeur Camember (1896), sachant tout de même qu’il est vital pour la santé mentale et physique de ne rien ignorer de l’anémélectroreculpédalicoupeventombrosoparacloucycle, immortelle invention du savant Cosinus, mais aussi de tout savoir de la famille Fenouillard et de Plick et Plock.

 

 

Camember a du bon sens, et du gros. Ainsi, lorsque Cancrelat, qui doit scier le bois du Colonel et se désespère car le tas est vraiment très haut, il le réconforte : « Cancrelat, lui dit-il, tu m’affliges : tu n’as qu’à commencer par un bout, et quand t’arriveras à l’autre, tu seras tout épaté d’avoir fini ».

 

 

Et lorsque le pauvre est arrivé à la moitié, et se plaint que c’est vraiment très long : « S’pèce de moule ! C’est par l’aut’bout qu’il fallait commencer, parce qu’à présent qu’il n’y a plus rien de ce bout ici, il n’te resterait plus rien à faire ». IMPARABLE.

 

 

Une autre fois, le sergent Bitur (ça vaut l’adjudant Kronenbourg de CABU), qui a beaucoup moins de bon sens que Camember, lui « imprime » l’ordre de creuser un trou pour y cacher des ordures. Le sapeur, une fois la mission accomplie, se demande où il va fourrer la terre extraite du trou. Bitur : « Que vous êtes donc plus herméfitiquement bouché qu’une bouteille de limonade ! Creusez un autre trou ! ». Deuxième engueulade : « M’ferez quatre jours pour n’avoir pas creusé le deuxième trou assez grand pour pouvoir y mettre sa terre avec celle du premier ».

 

 

 

CAMEMBER 1.jpg

 

 

 

Camember a aussi l’art du compliment délicat. Un peintre a fait le portrait de la colonelle. Le sapeur se croit obligé de corriger « mam’selle Victoire » (servante alsacienne, c’est important de le préciser) qui vient d’émettre un jugement désobligeant sur la peinture, que la Colonelle a entendu : « C’est p’têtre vrai que ce n’est pas joli, joli… Mais avouez que c’est rudement ressemblant ! ».

 

 

Mam’selle Victoire a donc un accent alsacien à couper au couteau. Attention, je n'ai rien contre les Alsciens, mais je suis tout contre les Alsaciennes, ça plaisante pas. Elle appelle Camember « Mossieu Gamempre ». Un jour, à Camember qui cherche son Colonel : « Foui ! Mossieu Gamempre, ché fiens té lé foir… tans son gabinet… il é…grivé ». Persuadé que son cher colonel est mort, il court ameuter la caserne. Après vérification, le Colonel est bien vivant, et fait venir Victoire : « Ch’ai pas tit : "le golonel il est grévé", ch’ai tit : "Le golonel il égrivé… afec une blume quoi !" ».

 

 

Quelle chance vous avez, bande de petits veinards qui ne connaissiez pas Camember, vous allez vous régaler ! Vous découvrirez qu’il sait à l’occasion se comporter en véritable héros militaire, qu’il sauve son Colonel, qui le décore, si c’est pas une preuve, ça. Cancrelat, nommé capitaine des pompiers, « a eu le premier l’idée géniale qui consiste à essayer les pompes la veille de chaque incendie ».

 

 

Camember épouse Victoire qui, à la dernière image, lui a déjà donné huit garçons, pas tout à fait « l’effectif d’une escouade sur pied de guerre ». Peinture ironique et débonnaire d’une vie de caserne désormais disparue.

 

 

On peut considérer GEORGES COLOMB alias CHRISTOPHE comme un ancêtre français de la BANDE DESSINEE, de même que la Suisse a donné à celle-ci RODOLPHE TÖPFFER  (né en 1799) (Les Amours de M. Vieuxbois), l’Allemagne WILHELM BUSCH (les infernaux Max et Moritz), et l’Amérique RICHARD OUTCAULT (Yellow Kid, où apparaît la première bulle en 1896). Total respect !

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

NOTE A BENNE : A propos de Camember, je signale aux curieux une facétie de MARCEL PROUST dans Du Côté de chez Swann. Au cours d'une soirée très mondaine chez madame de Saint-Euverte, Swann et la princesse des Laumes disent du mal de madame de Cambremer (ex-Mlle Legrandin) : « Enfin ces Cambremer ont un nom bien étonnant. Il finit juste à temps, mais il finit mal ! dit-elle en riant. - Il ne commence pas mieux, répondit Swann. - En effet cette double abréviation ! ... - C'est quelqu'un de très en colère et de très convenable qui n'a pas osé aller jusqu'au bout du premier mot. - Mais puisqu'il ne pouvait s'empêcher de commencer le second, il aurait mieux fait de finir le premier pour en finir une bonne fois ». Qu'en termes élégants ces vacheries sont dites !

 

 

 

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