lundi, 06 février 2012
LE FLEAU DU DROIT DE VOTE (4)
DEMOCRATIE MONDIALE
Tiens, encore une curiosité du droit de vote. C’est génial, l’O. N. U. D’abord parce qu’elle est éminemment démocratique. La preuve ? Mais c’est évident : un Etat dispose d’une voix, à égalité exacte avec tout autre Etat du monde. Dans le principe, rien à dire, c’est parfait. Soit dit comme ça en passant, puisqu'on parle d'égalité, allez donc voir le billet de SOLKO du 2 février.
UNE LUMIERE NOIRE
TYPIQUEMENT SOLKIENNE
Depuis l’intégration du Soudan du Sud, on en compte 193, d'Etats. Avec les îles Kiribati, qui n’envoient pas d’ambassadeur, disons 194. Le cas du Vatican (0,44 km², 738 habitants), des îles Cook (capitale Avarua) et de Niue (capitale Alofi) reste à part : ces « Etats » n’ont qu’un statut d'observateur, bien qu’ils soient reconnus officiellement. Tous égaux, c’est-y pas merveilleux ? A un minuscule détail près : est-ce que vous avez jeté un œil précis sur les Etats qui siègent ? C’est très intéressant.
Tout le monde connaît, c’est certain, les Etats-Unis, la Chine, la Russie et quelques autres dont les médias nous rebattent les oreilles, les vedettes, celles qui roulent des mécaniques à l'avant-scène. Mettons une centaine d’Etats. Les choses se compliquent avec quelques autres. Tiens, par exemple, quand les journaux parlent-ils du Malawi, du Belize, de la Gambie, du Lesotho, de la Micronésie ? Pas très souvent, reconnaissez-le.
ON DIT QUE J'AI D'BELLES GAMBIETTES !
CÉVRAI !
(accent parigot de ménilmuche si possible)
Alors allons plus loin : qui a entendu parler de ces six Etats qui ont nom Nauru, Palau, Tuvalu, St-Kitts-et-Nevis, Kiribati, Barbade ? Vous pouvez vérifier, ça existe. Ce sont les Etats qu’il faut un microscope pour les apercevoir sur la carte. Et c’est là que ça devient drôle.
Y A QUELQU'UN QUI M'A DIT KIRIBATI
(air connu)
Notez que j’aurais pu en prendre douze, et même quinze (Andorre, Antigua, La Dominique, Grenade, Liechtenstein, Marshall, Monaco, et autres confettis). Parce que si vous comparez les six nommés plus haut, allez, soyons gentil, avec les quatre plus gros Etats du monde (Chine, Inde, Etats-Unis, Russie), l’anomalie époustouflante vous saute aux yeux.
A priori, sur un ring de boxe, six contre quatre, c’est plus que jouable, l’affaire est quasiment dans la poche. D’un côté du ring, vous avez un peu plus de 400.000 habitants (quatre cent mille) casés sur un peu plus de 2.000 km² (deux mille, et encore, faut-il compter la flotte liquide dans la surface d’un archipel du Pacifique ?).
De l’autre côté du ring, vous avez à peu près 3.000.000.000 d’individus (trois milliards) qui occupent un peu moins de 40.000.000 (quarante millions) de kilomètres carrés des terres émergées. Comparez : 7.500 fois plus d’individus sur 200.000 fois plus de terres. Cherchez l’erreur. Les six confettis se font écraser par les quatre mastodontes.
Tiens, tout d’un coup, à propos de ring de boxe, je pense à Des Barbelés sur la prairie, épisode des aventures de Lucky Luke, des immortels RENÉ GOSCINNY et ALBERT UDERZO. Dans la lutte sans merci que les éleveurs mènent contre les cultivateurs, pour empêcher ceux-ci de poser leurs barbelés protecteurs, les premiers, tous des hommes à la corpulence considérable, sont réunis sur une estrade pour se congratuler.
L'INFÂME CASEY
Le gag, ici, c’est le bouquet que la petite fille est chargée d’offrir, et dont le poids, une fois dans les mains du gros plein de beefsteack, suffit à faire céder l’échafaudage. Eh bien nos six Etats microscopiques, c’est un peu ce bouquet de fleurs offert aux mastodontes. Et il n’est pas sûr que les fleurs ne finissent pas entre deux rangées de molaires. Et que le ring ne s'écroule pas.
Question bête : à quoi servent-ils, les quarante micro-Etats du monde ? A rien. Que pèsent-ils ? Presque rien. Pourquoi leur a-t-on donné un siège d’ambassadeur à l’O. N. U. ? Le seul argument valable, c'est qu'ils existent et qu'il n'y a pas de motif assez fort pour les faire disparaître. Tiens, et le Bhoutan et le Sikkim, qui se soucie du Bhoutan et du Sikkim ?
ÇA FAIT UN BHOUTAN, DIS DONC !
Pourquoi fait-on croire à tout le monde qu’il y a 194 Etats ? A quoi et à qui est utile cette fiction ? Est-ce une prime aux « minorités visibles » ? Ainsi, la voix de l’obèse ne pèserait pas plus lourd que celle de l’anorexique ? Même si leurs places dans l’avion sont différemment mesurées ?
Même si, dans l’économie mondiale, la voix de mon épicier de quartier valait autant que Hilton, Virgin ou Nestlé, qui sont ce qu’on appelle des multinationales, ce qui n’est pas près d’arriver ? A qui fera-t-on croire que la voix de l’obèse ne pèse pas plus lourd que celle de l’anorexique ? Pas en droit, n’est-ce pas, mais en fait ?
La preuve qu’on nous enfume, c’est que les « gros » de l’immédiat après-guerre se sont arrangés entre eux, avec d’une part le Conseil de Sécurité (quinze membres, dont dix temporaires), et d’autre part la désignation (cooptation) des membres permanents de ce Conseil (les « quatre » vainqueurs du nazisme, merci DE GAULLE, + la Chine). Il y a les voix qui comptent (une dizaine d’Etats « installés » et « émergents », pas beaucoup plus), et celles qui ne comptent pas (tous les autres, ça fait une palanquée). Oui, comme disait DE GAULLE, l’O. N. U., c’est vraiment un « machin ».
Soit dit en passant et entre parenthèses, les quarante micro-Etats qui siègent à l’O. N. U., comme on s’en doute, ont beaucoup servi, pendant la guerre froide. Avec un net avantage aux Etats-Unis, qui ont impunément acheté leurs voix. Ils formaient une belle main d’œuvre d’appoint, une belle masse de manœuvre, les confettis.
Conclusion ? Une bonne démocratie est une démocratie « tempérée », modérée, restreinte, et pour tout dire, pas trop démocratique, justement. Pour que la démocratie puisse hisser fièrement à son mât d’apparat le drapeau de la LIBERTÉ (en lettres de feu sur la nuit), il ne faut pas que la « liberté », dans le fonctionnement réel, se croie tout permis. Il ne faudrait pas que les petits et les sans-grade le prennent au pied de la lettre, le mot de « liberté ». Sans ça, tout le monde se retrouverait bientôt sans-culotte.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 03 février 2012
LE FLEAU DU DROIT DE VOTE (2)
Les tribulations d’un bulletin de vote français.
On est donc en période électorale. Il importe d’avoir des lectures « citoyennes ». La Journée d’un scrutateur, ça s’appelle. Si vous ne l’avez pas encore lu et que vous avez une petite heure à perdre, la petite heure ne sera pas perdue, promis. ITALO CALVINO, entre quelques chefs-d’œuvre, a écrit ce bijou de tout petit bouquin (une centaine de pages) sur les mœurs « civiques » en démocratie.
ITALO CALVINO, 'PATAPHYSICIEN EMERITE
Comment, en démocratie, les gens au pouvoir s’arrangent pour le garder, y compris en faisant voter quelques vieux décatis hébergés dans les hôpitaux, quelques aliénés de l’asile, quelques vieilles bonnes sœurs grabataires, toutes bonnes gens dont la main est soigneusement guidée vers le bon bulletin de vote. Il faut voir les gars balader l’urne d’hospice en maison de retraite et les vieux de leur grabat jusqu’à l’urne. Livre réjouissant et lugubre.
Ce n’est pas en France, je n’apprends rien à personne, qu’on verrait s’étaler pareilles turpitudes. La France est – tout le monde en est d’accord – au-dessus de ces miasmes de bas étage. Bon, c’est vrai qu’aux élections municipales de 2008 à Perpignan, un certain GEORGES GARCIA, président d’un bureau de vote, a été vu avec plein de bulletins de vote dans ses poches et ses chaussettes. Simple anicroche. Billevesée.
D’ailleurs, qu’on se rassure : il a été dûment condamné – avec sursis, faut pas exagérer. Le maire sortant, JEAN-PAUL ALDUY, a été, quant à lui, confirmé dans sa réélection (il a démissionné en 2009). Ce n’est pas l’existence de quelques brebis galeuses qui vont autoriser quelque obscur blogueur pamphlétaire vindicatif – réactionnaire vaguement gauchiste (ou l'inverse) –, éventuellement doté au surplus de tendances paranoïaques, à s’en prendre au troupeau électoral dans son entier. Que cela soit dit une bonne fois pour toutes : le troupeau électoral français est fondamentalement sain.
On me fait remarquer dans mon oreillette que JEAN TIBERI, autrefois maire de Paris, a inventé (sans s'attribuer la paternité de l'invention, par modestie sans doute) l'électeur fantôme, plus souvent appelé « faux électeur ». Oh, rien de bien grave : juste il demandait à un réseau d'amis de s'inscrire sur la liste électorale de son 5ème arrondissement de Paris, même et surtout s'ils habitaient ailleurs.
LA, ON N'EST PAS LOIN D'UN TRIBUNAL
ON LUI DONNERAIT LE BON DIEU
A BOIRE AVEC UNE PAILLE
TOUT LE SECRET EST DANS LA BRECHE
Les soirs d'élection, ces témoignages d'amitié et de solidarité lui donnaient un bon matelas d'avance sur ses rivaux, n'est-ce pas, Mme LYNE COHEN-SOLAL ? A propos de laquelle j'ai cru voir mentionner dans les journaux, il y a quelque temps, quelques turpitudes commises en compagnie de M. JACQUES MELLICK, rendu célèbre dans les années 1990, à côté d'un certain BERNARD TAPIE, le monde judiciaire n'est pas si petit.
Il aurait même tendance à s'étendre, si on le laissait faire. Mais nous le disons bien haut et bien fort : nous ne nous laisserons pas faire ! Nous ne laisserons pas la dent mauvaise de la calomnie rouler impunément, avec la semelle immonde de ses intentions ténébreuses, sur nos réputations immaculées ! Nous ne laisserons pas la langue de vipère de la subversion et de la haine fouler au pied la poutre faîtière de notre intégrité sans faille (merci, monsieur le maire de Champignac).
Mais baste ! Simples anicroches ! Billevesées !
De toute façon, en France, pays de vieille démocratie, paraît-il, les camps opposés s’observent avec tant d’attention jalouse, les soirs d’élection, lors du dépouillement, que, si quelqu’un veut frauder, c’est excessivement difficile, c’est immédiatement rendu public, c’est donc rarissime, vu que les adversaires se tiennent mutuellement en joue, même si c’est courtoisement fait.
A la place du démocrate blanchi sous le harnois qui est en train de me lire, je garderais quand même un œil fixé, pour les prochaines législatives, sur la façon dont sont « gérés » les électeurs appelés « Français de l’étranger ». NICOLAS SARKOZY et ses sbires veillent sur eux comme sur du lait qui ne va pas tarder à bouillir.
Ils ont bien onze sièges de députés à pourvoir, ce qui n’est pas négligeable du tout (les curieux peuvent aller voir (http://www.politiquemania.com/forum/2012-legislatives-f31/les-circonscriptions-des-francais-etablis-hors-france-t469.html). Cela fait 90.909 électeurs pour un député. La moyenne nationale tourne autour de 70.000. Qui est avantagé a priori ? Et qui, a posteriori ?
Qui se souvient de CHARLES PASQUA et de ses merveilleux redécoupages à la petite scie (ça c'est pour les lecteurs de La Vie mode d'emploi, de GEORGES PEREC) de toutes les circonscriptions de députés ? Personne n'a jamais fait mieux que CHARLES PASQUA pour biaiser le résultat du suffrage universel. Finalement, c'est lui, THE ARTIST.
LE MAÎTRE DANS L'ART DE LA DECOUPE ELECTORALE.
(UN REMARQUABLE IMPUNI)
Revenons aux formalités. Je ne sais pas si vous avez participé à des dépouillements, mais rien n’est à la fois aussi fastidieux (ouvrir l’enveloppe, dire le nom, cocher au crayon chaque voix dans la colonne qui lui revient) et aussi électrique (en cas d’enjeu particulier, de basculement possible, de résultat spécialement serré, …).
Le fastidieux, c'est pour les petites mains consciencieuses, les citoyens ordinaires et bénévoles. Ceux qui y croient. L'électrique, c'est pour le chef shooté à l'adrénaline (mais, hmmmmm ! c'est si bon, l'adrénaline !) qui appelle pour la dix-huitième fois alors qu'on n'en est qu'à 52 % du dépouillement complet.
Je signale, en passant, dans le cadre électoral, la curiosité de l’emploi du mot « dépouillement », qui signifie au départ « priver quelqu’un de ses vêtements » (Dictionnaire historique d’ALAIN REY). Certains citeraient aussitôt l’expression « déshabiller Pierre pour habiller Paul ». Pas moi. Cela n'a aucun rapport et n'a aucun sens. On a sa dignité.
Le problème, en France, ce n’est évidemment plus de conquérir le droit de vote. Tous les bébés français sont nés avec la cuillère électorale en argent dans la bouche. Ce serait plutôt de le reconquérir. C’est comme les règles de la politesse : quand on a oublié que ça existe, on ne sait plus à quoi ça servait. Et on le jette. Moi, je m'abstiens parce que j'ai perdu le Nord démocratique et républicain.
Quand un individu fait irruption sur cette terre, c’est compréhensible et humain, il a tendance à considérer tous les éléments de son paysage comme des parties de la Nature éternelle. Comme des évidences et des points de départ. C'est donné. Et le bébé français, avec sa cuillère en argent dans la bouche, il se rend pas compte.
Et il a tendance à voir les individus un peu plus âgés que lui comme des croulants faisant partie des meubles, des murs et des galeries d’ancêtres, voire des PPH (Passera Pas l’Hiver), qui ont fait leur temps, tu comprends, ils datent de l’époque où le téléphone servait seulement à téléphoner. Ce qu’on se marre.
Aux yeux des jeunots, les un peu plus anciens qu’eux prennent des airs paléontologiques. « Dégage » est désormais leur cri de ralliement. Le bulletin de vote fait partie de ce décor poussiéreux qu’ils éternuent.
Le problème électoral …
Ah zut, mon manquier m'avise à l'instant que j’ai un découvert à mon compte en manque de mots, juste maintenant. Bon, je réapprovisionne, et vous avez la suite.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre, les tribulations d’un bulletin de vote en Afrique et ailleurs.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : droit de vote, la journée d'un scrutateur, italo calvino, élection présidentielle, politique, société, démocratie, citoyen, civisme, perpignan 2008, jean tiberi, fraude électorale, bernard tapie, nicolas sarkozy, françois hollande, parti socialiste, ump, dépouillement, dictionnaire historique, alain rey, france, collège de pataphysique, georges perec, la vie mode d'emploi, charles pasqua, circonscription électorale
jeudi, 02 février 2012
C'ETAIT ZOLA
EPISODE 5 (et dernier, ça commençait à faire)
Nous arrivons à Son Excellence Eugène Rougon. Oui, je crois que ZOLA est béat d’admiration devant cette catégorie d’hommes hors du commun qui appartiennent à l’espèce des « grands fauves » (voir le Haverkamp de JULES ROMAINS). Il fait tout en tout cas pour que le lecteur épouse la cause de Rougon.
Son seul truc à lui, c’est le même que NICOLAS SARKOZY : la conquête du pouvoir politique. On verra plusieurs fois l’empereur NAPOLEON III apparaître, dont une pour refuser la démission de Rougon, une autre pour l’accepter. Comme SARKOZY, il a peu d’appétit à table. Il n’a pas d’appétit non plus au lit. SARKOZY en a-t-il vraiment, ou s’est-il contenté de faire courir le bruit ?
EMILE ZOLA ADORAIT FAIRE DES PHOTOS
Eugène Rougon est un roué. Une petite bande s’est agglutinée autour de cet homme fascinant parce que puissant : Kahn, Charbonnel, Delestang, Du Poizat, Bouchard, … C’est un clan tout ce qu’il y a de minable, répugnant de mauvaise foi. Ils gravitent autour du maître auquel ils s’accrochent pour en tirer le bénéfice maximum, et dont ils se détournent dès qu’il est affaibli.
Il aura fort à faire avec la belle et dangereuse Clorinde, une aventurière ambitieuse qui voudrait bien, mais en vain, se faire épouser. On plaint cet Hercule à l’occasion, mais quelle idée de se laisser dominer par cette femme mystérieuse et intelligente, qui sait tracer son chemin, mais qui reste insaisissable. Quoi qu’il en soit, c’est un couple qui fait à merveille fonctionner cette machine romanesque.
Il est certain que Rougon se sent faible face à Clorinde, capable dans je ne sais plus quelle occasion de poser en Diane quasiment nue devant les hommes. Rougon, fasciné, s’abandonne, va jusqu’à lui expliquer les secrets de sa stratégie, alors qu’il ne sait pas grand-chose d’elle. La scène de la cravache dans l’écurie est excellente.
Les femmes jouent un rôle dans l’ascension des hommes : Clorinde, Madame Bouchard, Mme de Combelot. Elles sont soit vertueuses, soit belles. ZOLA ne craint pas la dichotomie, le contraste, voire l’antithèse. Vertueuses, elles seront intrigantes, méchantes, envieuses, cancanières. Belles, elles sont promises à tous les lits possibles, soit pour le plaisir, soit par calcul.
C’est DE GAULLE, paraît-il, qui disait : « Il y a deux sortes d’hommes, ceux qui pensent qu’il y a deux sortes d’hommes, … et les autres », avec un clin d’œil en direction de MALRAUX. En tout cas, pour le romancier ZOLA, les ressorts qui meuvent l’humanité en général, et la gent féminine en particulier, sont assez simples, pour ne pas dire rudimentaires. Il force toujours la note, peut-être par crainte de manquer l’effet.
Son Excellence Eugène Rougon est un livre remarquable. Par le tableau politique d’une époque, dont je me demande s’il n’est pas de toutes les époques. De bons personnages secondaires, comme Merle, le majordome, ou Flaminio, le domestique à tête de bandit. Ce que ZOLA s’efforce de montrer, c’est le vide sidéral des idées politiques (ça ne vous dit rien ?). Seules comptent ces deux règles : « s’enrichir et conserver » et « le pouvoir pour le pouvoir ».
***
Résultats des courses ? C’est vrai, je n’ai pas dit un mot, ou presque, de La Bête humaine, de Germinal, de L’Assommoir. Je crois qu’il n’y a pas de hasard si ce sont aujourd’hui les œuvres les plus célèbres d’EMILE ZOLA, les plus étudiées au lycée, les plus appréciées peut-être. Est-ce que ce sont les plus réussies ? Qui peut le dire ?
1 – On sait que ZOLA accumulait des montagnes de notes documentaires avant d’attaquer un roman. Qu’il savait tout de la Bourse et des mouvements financiers quand il a écrit L’Argent. Qu’il a voulu monter dans une locomotive pour écrire La Bête humaine. Qu’il a étudié dans le détail la guerre franco-prussienne de 1870 pour écrire La Débâcle. Tout comme ça. C’est très bien, et je le félicite.
2 – Sans compter que Monsieur ZOLA a quelque chose à démontrer. C’est d’ailleurs, en plus de toutes les thèses sociales, tout le travail du Docteur Pascal, dans le dernier volume de la série des Rougon-Macquart. C’est sûr qu’il s’en est donné, du mal, pour illustrer ses thèses. Le problème, c’est justement que ce sont des thèses (anticléricalisme, naturalisme, etc.).
Documentation + thèses à démontrer : double handicap. C’est sûr, en maints endroits la corde de ce travail n’a pas été couverte par l’enduit de la composition romanesque. Trop souvent, il ne laisse guère de place, dans la cage thoracique du roman, pour la respiration vivante des personnages. Tout romancier est forcément confronté à ce problème. Où se situe le point d’équilibre ?
D’une part, il doit donner coûte que coûte au lecteur l’impression que les personnages vivent de leur vie propre, autonome. D’autre part, s’il tient à ce que son livre soit « ancré dans la réalité » (comme on dit), il est obligé de se documenter. Voilà, tout est là. Après, c’est une affaire de mayonnaise : ça prend ou ça ne prend pas.
Il y a un troisième facteur, délicat à définir. Je crois que ZOLA, tout « naturaliste » qu’il se définisse, n’échappe pas à ses tentations subjectives : il y a des personnages qu’il doit traiter, mais qu’il n’aime pas, et il y en a vers lesquels il se sent spontanément « porté », des personnages qu’il « sent » mieux. Ceux qu'il n'aime pas prennent une silhouette scolaire, théorique. Ceux qu'il « sent » acquièrent une vie personnelle beaucoup plus intense.
Je crois qu’à ces trois égards, il y a des Rougon-Macquart réussis, et d’autres plus ou moins ratés, voire carrément H-I-É. J’ai fait mon choix, j’ai mes préférences, j’ai dit pourquoi. Ce n’est pas moi qui vais déboulonner la statue. Je n’ai rien à ajouter.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 01 février 2012
LE FLEAU DU DROIT DE VOTE (1)
C'est très beau, le droit de vote. C'est magnifique. Le monde entier nous l'envie. C'est le résultat glorieux de siècles de combat contre l'obscurité, contre l'obscurantisme, contre l'obscuration, contre l'obscurcissement, et allez tiens, tant que j'y suis, contre l'obscurisme. Parfaitement.
Et conquis de haute lutte, au prix d'efforts prométhéens et de sacrifices, humains, surhumains, inhumains. Et nous, qui « entrerons dans la carrière quand nos aînés n'y seront plus, nous y trouverons leur poussière et la cendre de leur vertu », et nous avons le sacré devoir et le devoir sacré de faire honneur à leur héroïsme et de perpétuer leur mémoire. Moi je dis : « Certes ».
Mais je dirais aussi volontiers : « Je suis celui qui passe à côté des fanfares, et qui chante en sourdine un petit air frondeur » (tout le monde a reconnu Le Pluriel, de tonton GEORGES BRASSENS). Il paraît même que c'est un devoir. Que tu es coupable si tu le remplis pas. Il faut que tu dises, tous les cinq ou six ans, si tu veux que ce soit M. ou Mme Foncoutu, ou M. ou Mme Coutufon qui tienne les commandes. Aux prochaines élections syndicales, sera-ce FRANÇOIS HOLLANDE ou NICOLAS SARKOZY qui sera élu Délégué du Personnel ?
Ah c'est sûr, on me fait beaucoup d'honneur en me demandant mon avis chaque fois qu'il y a une élection. D'autant plus d'honneur qu'on se fout bien de ce que je pense pendant les cinq ans moins un jour qui suivent. Cela me fait penser au 8 mars, vous savez, qu'on appelle la Journée de la Femme : « un jour pour y penser, 364 jours pour l'oublier ». Et les syndicats UMP et Parti « Socialiste » se replient sur des positions préparées à l’avance, derrière la muraille de la légalité démocratique.
Cela vaut évidemment pour la journée des maladies contagieuses, celle sans voiture, celle sans tabac, bref, il ne reste qu'à inventer la Journée de la Journée, pour qu'on puisse oublier les autres journées. Le droit de vote, c'est pareil. A quand une Journée du Vote, pour oublier qu'on oublie les électeurs tout le reste du temps ?
La démocratie est la plus merveilleuse des choses, c’est entendu. « Le pire de tous les systèmes à l’exception de tous les autres », selon WINSTON CHURCHILL. Il paraît qu’on y vit en liberté. Je dis « il paraît », parce qu’il existe de puissants moyens d’orienter cette liberté dans des directions précises, comme j’ai eu l’honneur de le narrer ici même il y a peu (voir mes notes récentes sur la manipulation).
La plus merveilleuse invention de la démocratie, donc, avant même la Liberté-Egalité-Fraternité, c’est le DROIT DE VOTE. Elle est le signe merveilleusement ineffaçable d’une dictature – quand elle s’effondre. Bon, c’est vrai que si c’est les islamistes qui s’assoient sur le trône, et pas celui des cabinets, c’est embêtant, mais bon, on va pas chipoter, hein, quand la démocratie gagne, ça veut dire que c’est la démocratie qui a gagné, hein. Enfin, c'est ce qu'ils disent. Et ça ressemble à du vrai.
Qu’est-ce qui a été gagné ? Par qui ? Là, c’est beaucoup moins clair. Et si, au fond du fond, le droit de vote était tout bonnement un FLÉAU ?
Précision liminaire : je hais le théoricien qui a mis au jour et en équations les structures des sociétés et qui peut tout vous expliquer parce qu'il a tout lu. Cela lui permet de pérorer doctement du haut d'un savoir qu'il a lui-même contribué à édifier, et qu'il a en grande partie hérité de théoriciens qui l'ont précédé et ensemencé.
Ce faisant, il tient à distance respectable le « vulgum pecus », auquel j'appartiens, considéré comme inculte et ignare. Je veux parler, évidemment, du SPECIALISTE, de l'EXPERT. Je dirai une autre fois les raisons et les caractéristiques de cette haine de la race des « experts », quelque chatoyante qu’en apparaisse l’espèce mordorée et pavanante.
L'être humain à peine social que je suis au présent, essaie dans la mesure de son maigre possible, de comprendre le monde dans le bouillon duquel il a été mis à mijoter. Du fond de ma boîte, j’ai vu, entendu, vécu deux ou trois petites choses. Et je me demande comment il se fait que notre système politique, a priori sérieux, m’apparaît aujourd’hui comme une énorme FARCE.
En dehors de facteurs qui ne dépendent que de moi, et qui ne regardent que moi, comment diable se fait-il que le simple fait de voter ressemble à mes yeux, trait pour trait, à une comédie sinistre, à une aimable fumisterie, à une entourloupe de foire, à une vaste usine à fabriquer de l’imposture ? Je tâche de comprendre. A haute voix.
Voilà ce que je dis, moi.
A venir, les tribulations d’un bulletin de vote français.
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samedi, 28 janvier 2012
C'EST PAS MOI, M'SIEUR, C'EST ZOLA !
Résumé : EMILE ZOLA est le champion toutes catégories de l'énumération descriptive et de la description énumérative.
EPISODE 3
Cette frénésie d’énumération est exactement le défaut qui me rend insupportable la lecture de La Faute de l’abbé Mouret. Figurez-vous une tranche de « Paradou » entre deux tranches de religion. Bon, passe que ZOLA soit un anticlérical fieffé, qu’il s’en donne à cœur joie. Mais le Paradou reste indigeste aussi pour d'autres raisons que ce prêche cousu de fil blanc.
C'EST-Y PAS BEAU, LA FAMILLE ?
Comme dans Le Ventre de Paris et Au Bonheur des dames, l’auteur se laisse embarquer dans des litanies : ici, ce sont toutes les plantes qu’on trouve dans ce lieu paradisiaque, où l’abbé découvre le bonheur dans l’amour charnel.
Il est vrai qu’il n’est pas le seul à être pris de la folie de l’énumération. Je ne parle évidemment pas de Maître RABELAIS, qui domine forcément les débats avec ses listes de livres, de fous, de « couillons », etc. Mais on trouve quelque chose d’analogue, me semble-t-il, dans Suzanne et le Pacifique, de JEAN GIRAUDOUX.
Ce sont d’infernales énumérations, un interminable catalogue de toutes les plantes, de toutes les fleurs possibles, de paysages gorgés de sève et saturés de symboles : vertuchou, mille capédédiou, palsambleu, vertubleu, que c’est lourd ! La belle Albine opère sur l’abbé Mouret un « détournement de curé », et consomme en sa compagnie le crime de lèse-chasteté sous le grand arbre qui figure évidemment le père de toute chose. Et tout d’un coup, l’ecclésiastique a la révélation de la religion de l’amour charnel.
Et par qui l’abbé Mouret sera-t-il chassé du Paradou ? Par le frère Archangias : je vous le dis, rien ne nous est épargné. Il y a la Teuse, qui chapitre son curé en l’aimant bien quand même. Il y a le clan des mécréants : le docteur Pascal, la jeune Albine, le vieux Jeanbernat, qui finit par couper l’oreille d’Archangias (le Mont des Oliviers, mon vieux !).
Le curé, qui exprime au début le désir de rester eunuque, sera exaucé à la fin, quand il perdra sauvagement ses attributs, rendu à sa castration ordinale, après un passage éclatant, quoiqu'exorbitant, par la casevirile des hommes ordinaires.
On a une scène analogue à la fin de Germinal, quand les femmes châtrent l’épicier Maigrat (au nom oxymorique) et se promènent ensuite en brandissant fièrement tout l’appareil (mais là, il y a une vengeance ; enfin, n’y a-t-il pas toujours une vengeance dans la castration ? Je pose la question à Papa FREUD).
ZOLA a par ailleurs le souci de semer des petits cailloux blancs qui servent d’indices. Ici, ce sont quasiment des rochers : la femme morte dans la chambre ; le mot « suicide » en plein milieu de la 2ème partie. On retrouve l’auteur scolaire, qui ne laisse pas son livre vivre et respirer par lui-même, et qui proclame : « C’est moi qui commande ! ».
On a envie de lui dire : oui, on a compris que tu rejettes l’Eglise parce qu’elle est foncièrement opposée à cette Nature que tu présentes comme seule affirmation légitime de la Vie, qu’elle est négation radicale de la vie. Même rapportée à l’époque (réaction catholique avant les combats de la laïcité), ça fait d'un lourdingue, mes aïeux !
***
Nana tient davantage la route. Je ne parle pas de la pouliche de ce nom qui court à Longchamp (ou à Auteuil, je ne sais plus), déclenchant l’hystérie des parieurs. La facétie est anecdotique. Je parle de cette femme à nom de jument (à moins que ce ne soit l’inverse) venue des bas étages de la société (Gervaise et Coupeau de L’Assommoir) et à qui le théâtre va donner l’occasion de côtoyer et de pénétrer la haute société. Pour utiliser un mot moderne, le théâtre joue le rôle (un comble, pour un théâtre) d’interface entre les bas-fonds et le beau monde.
NANA ?
Nana n’est pas douée du tout pour le théâtre, mais son corps est fait de telle façon que sa simple apparition, pas trop habillée, sur une scène, met la gent masculine en délire, ce qu’aucun directeur de salle au monde ne saurait négliger. La « thèse » est limpide, comme d’habitude chez ZOLA : ce qui guide les hommes, ce ne sont pas les idées (ou autres fumées), ce sont les appétits.
Ce qui est drôle avec ZOLA, c’est que c’est comme ça que ça fonctionne : j’ai l’idée de ce que je veux démontrer, je rédige mon programme, et sur cette grille, je ponds mes 400 ou 500 pages. Les appétits sont capables de bouleverser les statuts sociaux, qu’on se le dise. Ça, c’est l’idée. La grille, c’est cette fille qui se prostitue à seize ans et qui devient une des femmes les plus célèbres de Paris à dix-huit, tout ça parce que son corps fait du mâle un cinglé prêt au pire. L’un devient un escroc, l’autre se suicide, bref, Nana, c’est Attila.
C’est par exemple le banquier Steiner qui doit régulièrement refaire sa fortune pour la claquer en femmes. C’est le comte Muffat, personnage socialement très en vue (chambellan de l’Impératrice), qui va de déclassement en déclassement, et qui devient au fur et à mesure un personnage tragique (ou dérisoire), pour les beaux yeux (et le reste) de celle qui était une putain il n’y a pas si longtemps.
Alors c’est sûr, on peut se dire que ZOLA montre « les bouleversements d’un ordre miné de l’intérieur par sa propre gangrène » ; la réversibilité des rangs sociaux. L’ordre social tel qu’il existe n’a pas de sens, seul l’arbitraire y règne, à travers les appétits des différentes forces en présence. Je dis : certes !
Encore deux choses à noter au sujet de Nana : la première, c’est la dernière scène du roman qui montre Nana en train d’agoniser dans sa chambre, atteinte de la « petite vérole », pendant que tous « ses hommes » font les cent pas sur le trottoir. Une scène très « cinématographique », je trouve. Et comique.
La seconde, c’est encore une fois sur la méthode de composition de ZOLA, qui semble toujours craindre que le lecteur ne comprenne pas ce qu’il tient absolument à démontrer. Ici, il applique la technique de « l’essuie-glace » : on passe avec une régularité de métronome de la description des bas-fonds aux intérieurs bourgeois, dans des allers-retours éminemment didactiques.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre, une autre fois.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, société, naturalisme, émile zola, les rougon-macquart, la faute de l'abbé mouret, le ventre de paris, au bonheur des dames, rabelais, jean giraudoux, suzanne et le pacifique, germinal, nana, l'assommoir
vendredi, 27 janvier 2012
PROPAGANDE ET DEMOCRATIE (fin)
Résumé : les succès de SARKOZY sont bâtis sur une grosse machine à PROPAGANDE. Le Parti Socialiste a beaucoup réfléchi et, après mûre réflexion, a fini par se dire : « Pourquoi pas moi ? ».
Donc cette fois, qu’est-ce qu’on a mis en face de NICOLAS SARKOZY, comme produit ? On a troqué la preuse (ben oui, pourquoi y aurait pas de féminin à « preux » ? Vous voyez que j’ai l’esprit et la grammaire larges) héroïne nationale, SEGOLENE ROYAL, contre un fromage de HOLLANDE qui, à vue de nez, ne sort pas tout frais de la fabrique.
LA BLAGUE EST UN PEU FACILE, MAIS INEVITABLE
Ce n’est pas faute de conseillers en communication (chargés précisément du packaging du produit). Mais cette fois, promis, on va faire moins amateurs. Bon, c’est vrai, le moteur tourne de temps en temps sur « trois pattes », mais on a des bons mécanos dans l’équipe. Vous allez voir ce que vous allez voir. Roule Raoul.
Ce qui est sûr, c’est que la com’ de SARKOZY en 2007 n’est pas tombée dans l’œil d’un paralytique, et que le verrouillage des images n’est pas tombé dans l’oreille d’un aveugle. Au « grand meeting inaugural de la campagne de FRANÇOIS HOLLANDE », au Bourget, dimanche dernier, c’est une officine du Parti « Socialiste » (ou payée par lui) qui a exclusivement fourni les images offertes par la télévision dans la soirée. Exactement ce qu'avait fait SARKOZY en 2007. Entre eux, ils se piquent les trucs qui marchent. Enfin, ils espèrent que ça marche.
Ouverture de la parenthèse sur la bande-son du « meeting-du-Bourget-de-FRANÇOIS-HOLLANDE ».
C’est sûr qu’elle a été particulièrement soignée. On se serait cru chez STANLEY KUBRICK en personne, l’orfèvre en matière de bande-son, un des rares cinéastes à avoir fait des films qui « s’écoutent » vraiment. Tiens, regardez voir Eyes wide shut, et écoutez le piano obsédant de GYÖRGY LIGETI.
Au Bourget, je ne sais pas si vous avez fait attention à ça. Vous entendez l’orateur – mais est-ce que FRANÇOIS HOLLANDE est un orateur ? Ecoutez bien, vous entendez autre chose en même temps : la foule l’acclame pendant qu’il parle. C’est une acclamation EN CONTINU. Etonnant, la clameur collective semble ne jamais s’interrompre. Un sourd rugissement, venu du fond des êtres, sert de socle constant aux envolées du candidat du Parti « Socialiste ».
La foule trépigne donc sur place. L’orateur, pour donner l’impression que c’est lui qui déclenche cet enthousiasme, en même temps qu’il domine la situation, doit pousser sa voix. Le public est si heureux d’avoir trouvé le chef charismatique, qu’il l’incite à se dépasser, et le chef est tellement charismatique qu’il déclenche l’hystérie du public. La clameur le dispute à l’orateur dans des assauts alternés d’intensité et d’enchantement. J’ai trouvé ça spectaculaire.
Dans la tradition du discours de campagne, le public laissait sagement le chef développer un thème. Puis, lorsque le point culminant avait été atteint et que des mots qui marqueront forcément l’histoire avaient été prononcés, dans un élan lyrique particulièrement réussi, il laissait jaillir son allégresse comme un « sonnez, trompettes éclatantes, taratata, taratata » (chœur des enfants au début de Carmen).
Ici, me semble-t-il, le Parti « Socialiste » a mis au point dans ses laboratoires de propagande une belle innovation : la manifestation permanente d’un enthousiasme collectif qui ne demande qu’à se répandre, à se propager dans la population entière, après avoir été dûment enregistrée dans la boîte aux images. On n'arrête pas un peuple enthousiaste qui déferle sur la place Tahrir. C'est l'effet de masse. Le peuple en marche est irrésistible. C'est le message des communicants du Parti « Socialiste ».
Tout cela est très au point, vraiment. Car évidemment destiné au sacro-saint « 20 heures » de TF1. C'est important, l’élaboration de la bande-son. J’espère que les « chauffeurs de salle » ont été dûment rémunérés, voire récompensés. Qu’on se le dise : le Parti « Socialiste » non plus, ne laissera rien au hasard, en 2012, pour ce qui est de la « communication ».
Clôture de la parenthèse.
Cela veut dire une chose : la machine à PROPAGANDE, qu’on soit à gauche ou à droite, tourne à plein régime. Bon, c’est vrai, je me suis déjà interrogé sur l’épaisseur de la feuille de papier à cigarettes qui sépare la droite de la gauche.
C'EST-Y PAS BEAU ?
(le candidat avant son régime)
Et BERNARD ACCOYER peut toujours dire que si FRANÇOIS HOLLANDE est élu, la France subira un désastre comparable à celui d’une guerre. « Paroles verbales ». Mauvais cinéma. Gesticulation théâtrale. Car il faut posséder un nuancier excessivement précis, ou une balance de revendeur de haschich pour apprécier ou peser la différence entre P. S. et U. M. P.
Oui, je sais, on va encore me dire que j’exagère. Que le bipartisme existe toujours bel et bien en France. Et patali et patala. C’est vrai, on met une pincée de social et de redistributif d’un côté, on insiste de l’autre sur la sécurité et la performance économique.
Mais regardez 1983 : c’est bien le Parti « Socialiste » et FRANÇOIS MITTERRAND qui se sont convertis une fois pour toutes à l’économie de marché, à la concurrence « libre et non faussée », bref, à l’ultralibéralisme. Et qu’ils ont froidement laissé tomber, disons le mot : trahi les « couches populaires ».
Ce faisant, il faut le reconnaître, ils ont bien anticipé la chute du Mur de Berlin, la défaite du (soi-disant) « communisme » et le triomphe aveuglant du capitalisme, du libéralisme et de la finance débridée. Ont-ils pour autant eu raison de le faire ? Moi, je dis non.
Du coup, comme il n’y a plus qu’un seul système, mais que ça serait compliqué et risqué de le dire, gauche et droite sont obligés de faire comme si la guerre froide continuait. Ils sont tous obligés d’aller fouiller dans les poubelles de l’Histoire pour dénicher des « thèmes » qui les démarqueront de l’adversaire. A condition de ne pas se les faire piquer (cf. les GUY MÔQUET, JEAN JAURÈS sortis de la bouche de SARKOZY ; remarquez, MARINE LE PEN s’est bien mise à parler de « justice sociale » et de « redistribution »).
On n’est plus dans la politique. On est bien dans l’argumentation publicitaire. En débat public, ils haussent le ton comme au théâtre pour faire croire qu’ils s’engueulent et que de vraies « convictions » antagonistes les habitent et les opposent, irréconciliables. Mais regardez-les, les larrons en foire, les margoulins qui surveillent les clôtures des prés où leurs bêtes pâturent. S’agirait pas que le maquignon d’en face me pique la Blanchette, sinon qu’est-ce qui va me rester comme fromage ?
Il y a quand même quelques indices qui laisseraient presque des raisons d’espérer. Je ne sais pas si j’ai raison, mais il me semble que, si la machine à PROPAGANDE turbine plus fort que jamais, son rendement baisse de façon spectaculaire. Comme si la production d’automobiles régressait vers ses premiers âges, quand on faisait des moteurs de 200 CV qui tiraient péniblement la bagnole à 40 km / h.
Je ne voudrais pas trop m’aventurer, mais j’ai comme l’impression que le BARATIN a un peu plus de mal à faire de l’effet. Alors je voudrais vous dire que si, le 22 avril 2012, soir du premier tour de la présidentielle, j’entends qu’au deuxième tour, ce sera BAYROU contre LE PEN, je débouche le champagne.
Vrai, si les deux GEOLIERS (les deux GARDE-CHIOURME, si vous préférez) de la vie politique en France se font blackbouler, le lendemain matin, les flics pourront à bon droit et raison me placer en cellule de dégrisement pour une semaine. Et je redeviens OPTIMISTE, promis, juré, craché. Même si je ne me berce de nulle illusion quant à la nature profonde de FRANÇOIS BAYROU et de MARINE LE PEN.
Rien que la perspective d’un Parti Socialiste dans les choux et d’un U. M. P. dans les pommes, ça me donnerait une de ces patates !
Voilà ce que je dis, moi.
09:02 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sarkozy, ump, politique, élection présidentielle, propagande, société, françois hollande, ségolène royal, parti socialiste, marketing politique, le bourget, meeting hollande, stanley kubrick, györgy ligeti, carmen, bernard accoyer, françois mitterrand, mur de berlin, économie libérale, économie de marché, marine le pen, françois bayrou
jeudi, 26 janvier 2012
PROPAGANDE ET DEMOCRATIE
C’est très curieux, une campagne électorale. Regardez celle de 2007 : tout est verrouillé, autour de NICOLAS SARKOZY. Je pense à cette photo de lui à cheval, en Camargue, paradant à proximité d’une charrette à foin tirée par un tracteur, sur laquelle la foule des photographes de presse a été vivement invitée à monter, au point que plusieurs sont en équilibre instable. Pas une image ne doit montrer le bout du nez en dehors de celles prévues par l’U. M. P. (ou l’officine de prod. qui en tenait lieu).
Car SARKOZY avait inventé, enfin, non, plutôt piqué aux Américains, le contrôle intégral des images distribuées dans les médias : une boîte de production payée par l’U. M. P. avait fabriqué 100 % des images vues alors à la télévision.
NICOLAS SARKOZY A LA MAIN HEUREUSE QUI LE DEMANGE
Une manière de dire aux médias : vous êtes des moins que rien. Si vous croyez pouvoir jeter un œil critique sur notre campagne, vous vous fourrez le doigt dedans. C’est nous qui sommes chargés de la publicité. Et personne d’autre. Sur la base du principe : « Qui maîtrise les images maîtrise la réalité ».
Résultat, les gens n’ont vu que du papier millimétré, intégralement élaboré dans le laboratoire d’une officine privée, spécifiquement rémunérée pour ça. Ils n’ont rien vu d’autre, dans le pays qui célèbre régulièrement la liberté de la presse, que des images plus lisses et brillantes que des fesses de bébé sorti du bain. Cela signifie une chose précise et inquiétante : nous vivons désormais à l’ère de la PROPAGANDE, et d’une propagande qui s’affiche de plus en plus éhontément comme telle.
Pas du subliminal, non, de l’explicite bien net et bien franc. Enfin pas tout à fait, parce qu’il fallait être au courant des secrets de fabrication, sinon, on était devant ces images comme devant un film de cinéma ou une pause publicitaire : on gobait, un point c’est tout.
Parce qu’au cinéma, si vous n’êtes pas du métier, vous ne vous demandez pas si le plan est rapproché, américain ou éloigné, de quelle façon le film a été monté ou quels sont les angles préférés du cinéaste : un film, ça marche ou ça ne marche pas. Si ça marche, vous gobez, sinon, vous sortez. Sauf si vous vous dites que c’est bête d’avoir payé la place pour rien.
En face, en 2007, c’est sûr, ça faisait un peu amateur. SEGOLENE ROYAL, on a tout su de la conception et de la réalisation de sa campagne. On a su qu’elle avait un metteur en scène de cirque pour ses meetings, un habilleur, et tout le toutim. On n’a rien ignoré du nouveau flou de ses cheveux et de sa longue tunique, de la symbolique de ses couleurs, le bleu et le blanc de JEANNE D’ARC, j’en passe, et des meilleures, comme disait VICTOR HUGO (Hernani, III, 6).
On a tout su de ce qui se passait dans les coulisses de la candidate. On n’a rien su de la fabrique des images qui a vendu celle du produit NICOLAS SARKOZY. Le « marketing », le « merchandising », le « packaging » du détergent miracle ont fonctionné de façon absolument impeccable.
Comme le camelot et le produit étaient un seul individu, passez muscade, comme disent les petits escrocs de rue, avec leur bonneteau. Les électeurs ont acheté. Il leur a fallu quelques années pour déballer le détergent révolutionnaire, et se rendre compte que c’était de la poudre de perlimpinpin. Cela prouve une chose : que la PROPAGANDE, ça marche.
L'HYENE VOUS SALUE BIEN
Et ce n’est pas fini. NICOLAS SARKOZY nous la joue en ce moment « homme-courageux-qui-a-ses-faiblesses », sur le mode « si je perds, je quitte la politique », qui ne veut dire qu’une chose : « aimez-moi, je vous en supplie », sanglotez, violons !
Le packaging va forcément être révisé, la révision des cinq ans, je vous la rends comme neuve. Mais la poudre est toujours la même perlimpinpin, celle de la fée qui transforme la citrouille en carrosse et Cendrillon en princesse, attention, jusqu’à minuit pas plus. Après, tant pis pour toi. Tu reviens à pinces.
Voilà ce que je dis, moi.
Demain, promis, on goûte le fromage de HOLLANDE. Est-ce du Gouda (prononcer raouda, comme la ville), du frison, du leyden, du leerdamer, de la mimolette, du limbourg ? Le suspense est à son comble.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : campagne électorale, nicolas sarkozy, politique, société, ump, parti socialiste, ségolène royal, françois hollande, image, bourrage de crâne, élection présidentielle, communication politique, propagande, jeanne d'arc, victor hugo, hernani, bonneteau
mercredi, 25 janvier 2012
ALORS, GORGON OU ZOLA ?
EPISODE 2
Je passe rapidement sur Pot-Bouille, sorte de La Vie mode d’emploi avant l’heure. Le « projet », évidemment, n’a rien à voir avec celui de GEORGES PEREC. On voit le jeune Octave Mouret avant son irrésistible ascension sociale, passer comme un ludion d’un étage à l’autre de cet archétype de l’immeuble bourgeois haussmannien, au gré de ses conquêtes féminines. L’idée est assez rigolote.
PHOTO PRISE PAR ZOLA (EXPO 1900 ?)
On voit la société qui occupe la scène (l’escalier principal) et la société qui reste en coulisse (l’escalier de service). Je me rappelle qu’au 5 de la rue Valentin-Haüy, l’escalier principal était recouvert jusqu’au dernier étage d’un superbe tapis rouge, solidement maintenu en place, à chaque marche, par une tringle de cuivre ou de laiton, et que l’escalier de service ouvrait dans la cuisine.
On fait connaissance avec Mme Josserand, personnage superbe, peut-être le foyer romanesque. On renifle les remugles qui montent de la cour, décrite comme un pur fantasme d’énorme poubelle. Mais on se lasse vite de quelques obsessions lexicales : « débâcle », « débandade », « massacre » (qu’on retrouve constamment aussi dans Au Bonheur des dames).
***
Au Bonheur des dames me rase passablement. La seule chose qui retient mon attention, c’est l’ensemble des observations d’ordre économique touchant l’essor du commerce de grande distribution, comme naissance d’une industrie tout entière fondée sur la production et la consommation de marchandises. Voilà quelque chose de lucide et moderne.
On y voit le petit artisan Bourras, qui sculpte amoureusement ses pommeaux de parapluie, se faire balayer impitoyablement par les entreprises qui produisent en grande série des objets standardisés et sans grâce, dans une logique d’accumulation et d’empilement. Tout cela est très juste, y compris la perte de l’amour du travail bien fait.
C’est d’autant plus juste que le projet de l’ambitieux Octave Mouret est de réduire la femme en esclavage. Pour moi, ce livre, qui n’est pas un bon roman, est en revanche un excellent documentaire, qui n’a rien perdu de son actualité. Tout ce qui y est romanesque est comme un dahlia artificiel dans un bouquet de roses fraîches.
Ce qui est difficile à supporter, là encore, c’est l’intention démonstrative, le schématisme des situations et des personnages, à commencer par le conte de fées qui clora le roman : Denise Baudu, petite employée héroïque qui élève ses deux frères, tapera dans l’œil d’Octave Mouret, qui la suppliera de l’épouser. Commencée avec les excavateurs, l’histoire se termine dans le sirop.
Ce qui est proprement insupportable, en cours de route, ce sont les trois visites éprouvantes, épuisantes, ennuyeuses, assommantes, etc. que l’auteur inflige sans pitié au lecteur, au fur et à mesure qu’Octave Mouret installe, dans le paysage économique en général et urbain en particulier, le triomphe du commerce industriel. Trois fois un interminable tour du propriétaire qui ne nous épargne aucun détail.
***
Ensuite, entrons dans Le Ventre de Paris. Franchement, qui peut considérer ce livre comme un chef d’œuvre de la littérature ? La littérature selon ZOLA est une entreprise. Si l’on veut, une entreprise picturale : il s’agit de composer un tableau. Attention, un tableau complet. Un tableau littéraire, si l’on veut, mais un tableau scientifique. On ne plaisante pas. La différence entre ZOLA et FLAUBERT, c’est que celui-ci efface méticuleusement les traces de son travail, alors que celui-là laisse les ficelles bien visibles.
Un détail est à prendre en compte : les Halles de Paris, ce sont celles de VICTOR BALTARD. Il faut garder ça présent à l’esprit pendant la lecture, qui en sort un peu sauvée par ce filigrane, cette perspective virtuelle. Qu’est-ce qui m’a rasé, dans ce livre ? Je le dis tout de go : la conception purement théorique et démonstrative de la trame. On sent l’esprit de système à l’œuvre.
HALLES DE BALTARD
Je passe sur les accumulations de boustifaille, petit 1, les légumes, petit 2, les volailles, petit 3, les poissons, et le reste défile à l’avenant. Si, quand même, je garde la scène où les femmes qui bavassent ont percé à jour le bagnard évadé dans le personnage de Florent, au milieu de l’odeur puante des fromages. Bon, d’accord, c’est rigolo. Mais ZOLA, ayant eu l’idée de son roman, développe tout ça avec une application scolaire horripilante.
Florent et Gavard sont si peu crédibles en républicains comploteurs et insurrectionnels que le retour de Florent au bagne est comme inscrit sur sa figure. Sa naïveté est si éclatante que, même comme outil romanesque, elle ne tient guère la route. Et le Gavard qui exhibe tout fiérot son pistolet devant les femmes ! Les ficelles du romancier sont trop grosses. L’intrigue finit par apparaître comme un simple prétexte à l’exposé documentaire.
Un beau personnage, cependant : la charcutière Lisa Macquart, dont on pressent que l’auteur la « sent » mieux. La belle Normande, future Mme Lebigre (le cafetier), fait à ce personnage symbolisant la satisfaction et la majesté de la réussite, un pendant honorable. Ne parlons pas de toute la symbolique assenée par ZOLA autour du gras et du maigre. C’est simplement épais.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre. Une fois, pas plus.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, société, naturalisme, émile zola, pot-bouille, la vie mode d'emploi, georges perec, paris, haussmann, au bonheur des dames, le ventre de paris, flaubert, halles baltard, halles de paris
mardi, 24 janvier 2012
ALERTE AUX CANUTS !
Alerte à la Croix-Rousse. Voilà-t-il pas que L’ESPRIT CANUT déboule dans le journal, pas plus tard qu’aujourd’hui même. C’est en page 20 du Progrès. Je parlais il y a deux jours de l’idée de musée des canuts que l’association s’efforçait de promouvoir, en laissant entendre qu’elle était loin d’être acquise.
Il en faut plus pour décourager le président, BERNARD WARIN, qui se démène comme un beau diable pour pousser l’idée dans l’esprit des décideurs. Il organise une « table ronde » à laquelle il les invite. Ça se passe à la maison des associations, rue Denfert-Rochereau. THERESE RABATEL, adjointe au maire du 4ème, a fait le déplacement. Ce n’est pas rien.
On sait maintenant que plusieurs commissions de travail planchent sur le sujet. C’est mieux que rien, même si je ne sais plus qui disait que pour enterrer une question, le mieux était de créer une commission. Ne soyons pas systématiquement négatif.
Mais c’est vrai que le Canut étant au centre de l’histoire de la ville, ça paraît un peu idiot de ne pas disposer d’un LIEU regroupant tout ce qui a trait à cet aspect précis. Aujourd’hui, on est perdu : musée Gadagne, musée des tissus, maison des canuts, soierie vivante, ça fait beaucoup, ne serait-ce qu’en distance à parcourir pour aller de l’un à l’autre.
D’autant plus que, BERNARD WARIN en tête, l’association L’ESPRIT CANUT tient beaucoup à la mise en avant de la question sociale qu’illustre parfaitement la corporation des tisseurs. Le président se veut finalement positif, en acceptant l’idée d’un « pôle muséal de la soie », composé de différents lieux. Moi je veux bien, Bernard, c’est mieux que rien. Comme les lieux existent déjà, la mairie n'a donc plus un sou à mettre là-dedans.
Voilà ce que je dis, moi.
16:54 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : canuts, croix-rousse, l'esprit canut, association, lyon, société
samedi, 14 janvier 2012
DIS-MOI QUI TE MANIPULE (suite)
Résumé : JEAN-LEON BEAUVOIS et ROBERT-VINCENT JOULE ont publié Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens, en 1987. Il est assez facile d’agir sur le comportement des gens.
Mon bon copain Grand Robert m’a dit récemment qu’une manipulation est une « emprise occulte exercée sur un groupe (ou un individu) ». Tudieu, c’était donc ça ! Si je comprends bien, alors, c’est quelque chose de vraiment pas bien. On va voir qu’au contraire, pour B. & J., tout baigne.
PORTRAIT DE JOHN MALKOVITCH
Un individu est donc d’autant plus « engagé » dans une action qu’il a l’impression d’avoir pris la décision lui-même. Et plus son « engagement » sera fort, plus il aura tendance à persévérer dans sa décision. Dit autrement : plus j’ai l’impression d’être libre, plus je m’engage dans ce que je décide, et plus j’aurai du mal à renoncer à ma décision. Notez bien le mot « impression ».
Inversement, plus j’agis pour exécuter un ordre (l’adjudant m’envoie nettoyer les chiottes, qu’il faut que même la merde brille, pour prendre un exemple d’une époque révolue), plus j’ai envie de tirer au flanc. Car je sais que là, je ne suis pas libre du tout. Ce n’est pas une simple impression.
De toute façon, tout le monde vous le dira : adjudant, ça ne se fait plus. A l’époque merveilleuse que nous sommes en train de vivre, rien n’est plus moche que de ne pas être libre. Enfin presque : de ne pas avoir « l’impression » d’être libre. Résultat : tout le monde a décidé qu’il est libre. Enfin, c’est ce qu’ils disent, tout le monde. On ne pourra pas leur enlever ça, aux gens : ils ont dur comme fer l’impression d’être libres.
Parce que les compères B. & J. montrent comment des gens très sérieux, dans des laboratoires, ont prouvé scientifiquement combien il était facile de « manipuler » les gens pour que, justement, ils en soient convaincus, qu’ils sont libres, alors même qu’ils faisaient des choses inspirées par des volontés extérieures.
B. & J. appellent ça la « soumission librement consentie ». Bon, on voit bien que c’est un oxymore, autrement dit une contradiction dans les termes. Ça ne les gêne pas, B. & J. Au contraire, ils trouvent ça parfait. Tout en maintenant le mot « manipulation » dans leur titre. Un peu faux-culs sur les bords, les compères.
Un certain ETIENNE DE LA BOETIE (oui, le même que « parce que c’était lui, parce que c’était moi ») appelait ça la « servitude volontaire ». C’était plus franc, moins sournois. Mais le yaourt LA BOETIE porte une date de péremption dépassée depuis tellement longtemps … que tout le monde a oublié ce que veut dire « servitude ».
Parenthèse en train de s'ouvrir :
Tout le management d’entreprise, depuis des dizaines d’années, a consisté à faire entrer dans le fonctionnement journalier de l’entreprise les techniques de manipulation. Le but avoué ? Faire disparaître du paysage directement visible le PRINCIPE D’AUTORITÉ.
C’est ainsi qu’il n’y a plus d’employés, mais des « collaborateurs ». Que le patron se balade en chemise. Que tout le monde se tutoie et s’appelle par son prénom, que t'as vraiment l'impression qu'il n'y a plus de hiérarchie, que tout le monde est sur un pied d'égalité.
Qu'on fait, tiens-toi bien, au cours des « stages de remotivation de l'équipe », du saut à l'élastique, des opérations survie, du parachute, pour montrer qu'on est tous un gros tas de chouettes copains, et qu'on est prêts à se défoncer pour l'entreprise. Mais tout le monde a beau jouer la comédie, tout le monde sait qu’il s’agit d’une simple opération d’escamotage du dit PRINCIPE D'AUTORITÉ.
Parce qu'il est increvable, dans ce système, le principe d'autorité.
Parenthèse qui se ferme.
Donc, nous disions qu'il s’agit de faire agir quelqu’un dans un sens souhaité. Dans les techniques de manipulation dévoilées par B. & J., figure en bonne place le « pied-dans-la-porte ». Dans la rue, par exemple, il est recommandé de demander l’heure avant de demander une pièce de monnaie.
De même, si une ménagère accepte d’apposer sur sa vitre de cuisine un auto-collant en faveur de la sécurité routière, elle acceptera plus volontiers qu’on installe dans son jardin un grand panneau sur le même thème. Demander petit au début pour obtenir gros à la fin, disons que ce sont de bons débuts dans la manipulation.
Une autre technique qui marche assez bien : la promesse non tenue. Enfin, en termes de « psychologie sociale », ils appellent ça « l’amorçage ». On pourrait aussi appeler ça « publicité mensongère ».
Vous vendez des voitures ? Annoncez une réduction de 15 %. Quand les gogos ont afflué sur place, dites-leur que ce sera finalement 3 %. Eh bien tenez-vous bien, un nombre respectable des gogos persiste. En gros, vous provoquez une attente, un désir, que vous décevez, mais pas trop. Normalement, il reste des gogos : ceux qui n’ont pas la sagesse de faire un trait sur le désir qu’on a fait naître en eux.
Bon, je ne vais pas résumer le livre de B. & J. Disons simplement qu’ils exposent un certain nombre de techniques, expérimentées dans un cadre universitaire, donc scientifique, parmi lesquelles certaines sont croquignolettes, par exemple, celle où des étudiants, à la suite de manœuvres tortueuses, acceptent de manger un ver de terre. Il y a aussi l’animateur de supermarché qui aiguille les clients vers le rayon pizza en leur touchant ou non l’avant-bras avec la main : ceux qui ont été touchés achèteront bien plus de pizzas que les autres.
Les gens, c’est maintenant prouvé, on peut leur enlever une partie de leur liberté sans qu’ils s’en aperçoivent. C’est sans doute ce que B. & J nomment le « libre consentement ». Des hypocrites cauteleux, des papelards chafouins, finalement, les compères B. & J. Même « librement consentie », j’appelle la soumission « servitude ». Tout ça montre assez bien qu’on ne sait plus trop ce que c’est, la liberté.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre…bientôt.
vendredi, 13 janvier 2012
DIS-MOI QUI TE MANIPULE
Je l’ai déjà dit ici, la Bande Dessinée forme une part non négligeable de l’humus sur lequel l’Egopode podagraire ou le Centranthe rouge, bref, la mauvaise herbe que je suis, a poussé. « C’est pas moi qu’on rumine et c’est pas moi qu’on met en gerbe », dit quelqu’un de bien. Je suis resté Egopode podagraire ou Centranthe rouge, bon gré mal gré.
Dans les rares séries B. D. actuelles où mes circuits trouvent encore un peu de sève pour alimenter leur course alentie (on dirait du Verlaine, vous ne trouvez pas ?), il s’en trouve une qui emporte l’unanimité de mon suffrage, c’est la série Alpha.
Bien sûr, pas pour le surhumain cornichon vaguement courge qui vient à bout de tout sans être défrisé (c’est la loi du genre). Mais pour des scénarios impeccablement construits, qui réjouissent l’esprit du lecteur presque autant que le scénario inoubliable du Retournement, roman de VLADIMIR VOLKOFF (1979), que vous avez sûrement lu.
Parmi les épisodes, on trouve l’histoire d’une arnaque diaboliquement vicieuse visant à assassiner le président des Etats-Unis en personne. Un Irlandais nationaliste (engagé dans l'I. R. A. ?) rentre paisiblement chez lui, découvre sa famille assassinée. Le cadavre d’un agent de la C. I. A. laissé sur place laisse penser que ce sont les Américains qui ont fait le coup. L’Irlandais est convenablement aiguillé (et aiguillonné) par des salopards vers une vengeance impitoyable à l’encontre du grand responsable, qui ressemble ici à GEORGE W. BUSH.
Sauf que le coup a été monté par le patron des services secrets de Sa Majesté, qui aimerait bien venger ainsi la mort tragique de son fils, précisément en Irlande. Il échoue au dernier moment, grâce au héros, évidemment. Inutile de dire que l’Irlandais devait exploser en même temps que la voiture généreusement offerte par les salopards. Pas de traces, chez les salopards.
Le procédé utilisé par les barbouzes anglais porte le label d’origine contrôlée MANIPULATION. Il se résume à une question : comment faire que quelqu’un obéisse à un ordre en croyant accomplir sa seule volonté ? Comment l’amener à adhérer au désir qu’un autre a eu à sa place ? Comment lui faire prendre à son insu la décision qu’un autre a prise à sa place ?
Messieurs BEAUVOIS et JOULE (JEAN-LEON BEAUVOIS et ROBERT-VINCENT JOULE, que j’abrègerai en B. & J.) ont publié un intéressant petit livre en 1987 (ce n’est pas un perdreau de l’année, mais moi non plus, donc …), qui s’intitule précisément Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens.
C’est un livre de « psychologie sociale » qui acclimate sur le sol français une théorie qui a vu le jour sur le sol américain : la théorie de « l’engagement ». Acclimatation réussie, semble-t-il : 250.000 exemplaires vendus.
La théorie postule quelque chose de central : quand le colonel du régiment fait un discours sur les méfaits de l’alcool et de la drogue, c’est sûr qu’aucun bidasse ne va le contredire, mais c’est sûr aussi que chacun va continuer comme si rien ne s’était passé. En revanche, si vous arrivez à obtenir d’une personne qu’elle traduise en acte effectif, même minime, une décision qu’elle accepte de prendre, cette action aura tendance à perdurer dans le temps. Le discours est inefficace à long terme, au contraire de l'acte effectif.
Ce qui est rigolo, ici, c’est de penser aux vieux manuels de philo, qui étaient traditionnellement structurés selon la dichotomie « la pensée » / « l’action », et qu’on a tous, à une époque, appris que la pensée précède (et domine) l’action. L'hypothèse des auteurs est que ceci est un mythe aimablement colporté par une tradition, disons « humaniste ».
B. & J. soutiennent en effet que la persuasion (discours oral) est par nature inefficace. C’est, dans leurs termes, la méthode « cognitiviste », traditionnelle, qui s’adresse au cerveau, à la raison, à la compréhension, à l’intelligence, et qui suppose que l’esprit commande, selon la vieille image qu’on se fait de la liberté humaine (priorité à la pensée). Cette méthode ne vaut rien.
Car si vous voulez que des choses changent en réalité, il vaut mieux essayer d’obtenir des actes de la part des personnes, parce que celles-ci se sentiront beaucoup plus engagées (elles auront fait). La méthode est ici « comportementale » (ça, c'est bien américain), et repose sur l’idée que l’individu est davantage dans ce qu’il fait que dans ce qu’il pense (priorité à l’action).
Ça va même plus loin, puisque les auteurs montrent que plus l’action réalisée a coûté à l’individu (parce qu’elle allait à l’encontre de ses convictions), plus celui-ci fera un effort mental et réarrangera ses propres convictions pour qu’elles reviennent en cohésion avec l’acte accompli. En clair : si vous réussissez à lui faire accomplir un acte auquel il n'adhère pas, vous réussirez ipso facto à le faire changer d’avis. La manipulation est là.
Quelqu’un qui fait quelque chose qui lui coûte provoque en lui-même une dissonance, comme une fissure intérieure qui le rendrait rapidement schizophrène s’il n’y mettait bon ordre : il est plus facile de changer la conviction que d’effacer l’acte déjà accompli. A ce stade, on peut donc se dire que la manipulation a réussi son coup.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
09:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, alpha, vladimir volkoff, le retournement, littérature, politique, société, états-unis, c. i. a., george w.bush, manipulation, manipulation mentale, beauvois et joule, petit traité de manipulation, psychologie sociale, théorie de l'engagement
vendredi, 23 décembre 2011
SARKOZY DEGAINE SON ARMENIE
Allez ! C’est reparti. Mais qu’est-ce que c’est, cette fièvre qui les prend régulièrement, les politicards, qu’ils soient « uhèmpistes » ou « péhessistes », qu’ils dorment au palais Bourbon ou au palais du Luxembourg, qu’ils aient le pouvoir ou qu’ils veuillent le conquérir ? Encore un tour de cinglés ! De toute façon, pour moi, le Bourbon est un mauvais whisky (américain) et le Luxembourg, un paradis fiscal avec « Chambre de Compensation » (ça veut dire Clearstream) incorporée.
On avait déjà la répression des PROPOS sur quelques sujets (antisémitisme, sexisme, homophobie et autres « phobies »), sur lesquels on a voulu coudre la bouche des dizaines de millions d’individus qu’on appelle en général la « population », puisqu’on a abandonné le mot « peuple ». Rien que ça : réprimer des PAROLES, ça me fait déjà craindre le pire.
Eh bien qu’on se le dise, de même que monsieur GERARD COLLOMB a mis les Arméniens dans sa poche électorale en laissant installer un « monument commémoratif » (en fait, une dizaine de totems bizarres) au pied du clocher de la Charité, de même, le président NICOLAS SARKOZY, en vue de la présidentielle, est parti à la pêche aux voix arméniennes en leur accordant le vote d’une loi réprimant la négation de « tout » génocide en général (sous entendu : du génocide arménien en particulier).
Eh bien, je me répète, qu’on se le dise : si un candidat, quel qu’il soit, veut acheter ma voix, il va falloir qu’il donne une rallonge sévère au chiffre des picaillons. Ma voix est hors de prix, monsieur COLLOMB. Ma voix est au-dessus de vos moyens, monsieur SARKOZY. De toute façon, il est probable que vous n’avanceriez pas un centime dans cet investissement. C'est du fonds perdu.
Et vous avez raison : dans toutes les prochaines élections, vous êtes prévenus, ma voix restera dans ma gorge. J’ai cessé de faire joujou avec les petits papiers. Et je ne ferai aucun jeu de mots sur « urnes » et « burnes ». Ici, on est toujours d’une correction impeccable. On a sa dignité, que diable !
De quoi s’agit-il ? D’une course à pied. D’un sprint, pour être précis. C’est à qui arrivera le premier pour occuper le créneau. Le « Parti Socialiste » annonce il y a quelque temps qu’il fait mijoter une loi sur le sujet. SARKO bondit sur l'UMP : « Merde, on va se faire griller sur le génocide arménien. Vite une loi ! ». Ben elle est là, la loi. Dans le match SARKOZY-HOLLANDE, avantage à SARKOZY.
Vous avez vu le coup de main ? Chapeau l’artiste ! Remarquez, c'est une habitude à prendre : les faits divers ont bien servi de galops d'essai, au chapitre des lois-événements. Et ces cons de socialistes, qui voient le fromage arménien leur échapper, vous croyez qu’ils font la gueule ? Mais non ! Ils l’ont dans le baigneur ! Dans le dos ! Dans l’anus ! Dans ce que vous voudrez : piégés par SARKO, ils vont la voter, la loi, comme un seul clampin. Bien obligés ! C’est bien fait pour eux !
Est-ce que ça veut dire pour autant que les Arméniens ont tort ? Non évidemment. Le sol turc abrite en tout et pour tout 60.000 individus de cette … quoi ? Ethnie ? Langue ? Religion ? En 1900, ils étaient 2.000.000. Je signale en passant que 1915 et 1916 ont vu disparaître non seulement des Arméniens en pagaille, mais en gros toutes les minorités (Grecs, Juifs, …) qui occupaient une portion du territoire ottoman. Aujourd’hui, on appellerait ça « minorités visibles ».
Avec déportations vers Alep, micmacs avec les Russes, et tout un tas d’atrocités sur lesquelles les historiens sont bien documentés, les « Jeunes Turcs » ont construit leur nouvel Etat sur la « turquification » de la population. Je recommande les photos montrant des officiers turcs posant fièrement derrière leurs trophées : des rangées entières de têtes coupées. On n'est pas plus "raffiné". On ne disait pas encore « nettoyage ethnique ».
Et le MUSTAPHA KEMAL ATATURK des familles, qu’on nous sort en toute occasion du placard comme fondateur moderne et progressiste de l’Etat actuel, c’est bien lui qui obtient l’amnistie pour les massacreurs, si je ne me trompe. La Turquie qui réclame son fauteuil à la table européenne, c'est exactement l'héritière de ça, il faut le savoir. La Turquie actuelle est un pays depuis bien longtemps nettoyé des impuretés raciales. Déjà ça, ça me chiffonne la somnolence postprandiale.
Ce qui me retourne l’estomac et me badibulgue la comprenette, ces jours-ci, ce n’est donc pas un quelconque problème avec les Arméniens, mais avec les épiciers français qui font commerce de ce genre de marchandise, sous l’emballage de n’importe quel yaourt électoral.
Car la loi votée jeudi n’est pas la première du genre à instaurer un délit d’opinion, une infraction de parole, un crime de pensée. Il a d’abord été interdit de dire du mal des juifs. On a ajouté l’interdiction de soutenir que les juifs n’avaient pas subi une extermination. Sauf erreur de ma part, cette loi "mémorielle" ne dit rien des tziganes, des handicapés, des homosexuels morts à Auschwitz ou ailleurs.
Et comme, en tout, « il n’y a que le premier pas qui coûte », et qu’un bon politicard soigne correctement les cuisiniers qui le nourrissent, on a continué sur la lancée : il a été interdit de traiter les handicapés d’infirmes ; d’appeler « pédé » un homme qui préfère les hommes ; de tenir sur les femmes des propos jugés méprisants par les femmes ; sur les noirs des propos jugés infamants par les noirs ; sur la Lune des propos jugés diffamatoires par les Lunatiques ; sur les bébés éprouvette des propos jugés injurieux par les éprouvettes. Et tutti quanti !!!
NE PENSEZ PLUS, VOUS ÊTES CERNÉS. NOUS AURONS LES MOYENS DE VOUS FERMER LA GUEULE. RENDEZ-VOUS !
Il paraît que nous vivons en « démocratie ». MONTESQUIEU, pour que ce régime fût viable, exigeait que les citoyens fussent vertueux. On voit aujourd’hui ce qu’il en est. Si MONTESQUIEU est dans le vrai, la démocratie est bel et bien foutue. Mais prenons les choses et les hommes comme ils sont, de niveau moral moyen et variable. Et « faisons avec », comme on dit. La simple logique veut que, en même temps que les fous, les handicapés et les imparfaits, la démocratie laisse vivre les imbéciles, les crétins, les bas-de-plafond, bref, toutes les sortes de bêtes et de méchants.
Cette démocratie s’honore de les laisser vivre, mais aussi et surtout de les laisser s’exprimer. En démocratie, on n’a pas le droit d’interdire aux gens d’être cons. Oui, les cons en jouissent aussi, de la liberté d’expression. Et c’est normal que ce soient des conneries qui sortent de leur bouche. Aussi longtemps que ça reste des paroles.
Qu’est-ce que c’est, ces « démocrates » en peau de lapin qui se chargent de faire la police du langage et s’érigent en juges de ce qu’il est licite ou pas de dire et d’écrire ? De penser ?
Les juifs s’honoreraient de laisser dire des blagues, même très mauvaises, sur les juifs. Visiblement, ce n’est pas la voie que prend le CRIJF, sous la houlette de son président RICHARD PRASQUIER. Même chose pour les homosexuels, les femmes, les handicapés.
Même chose, aussi, pour les Arméniens : j'aimerais assez, et pour tout dire, je considèrerais comme tout à fait normal et compréhensible que les Arméniens vivant en France soient eux-mêmes gênés aux entournures par le coup de lèche-cul que les politicards français leur ont fait en l'occurrence. Il faudrait voir à qui le crime profite.
Je me rappelle une exécrable plaisanterie du clown alsacien ROGER SIFFER : « Quelle est la différence entre un fumier alsacien et un fumier lyonnais (le spectacle avait lieu à Lyon, évidemment) ? ». La réponse était, vous l'avez devinée : « C'est qu'en Alsace, les fumiers n'ont pas de plongeoir ! ». Ouarf ! On s'éclate !
Minorités de tous les pays, par pitié, laissez dire du mal de vous ! Plus vous laisserez dire, plus ça voudra dire que vous êtes fortes ! Minorités de tous les pays, montrez-vous supérieures à tous les calculs sordides. Le SACRÉ ne se décrète pas à coups de lois. Minorités de tous les pays, ne vous faites pas les flics de la parole et de la pensée. N'ajoutez pas votre pelletée de terre dans le trou où se trouve la démocratie.
Sinon, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Je suggère qu’on fasse une loi pour punir les blagues belges de vingt ans de prison. Ça vaudrait le coup, non ? Et châtier les mauvais qui s'en prennent aux rouquins (voir Egypte ancienne), aux unijambistes, aux sauteurs à la perche, aux automobilistes à contresens, aux réverbères à l'envers, aux sauts de puce. Je vous le demande : de quel droit se moquerait-on des sauts de puce (à la Sainte Luce, les jours rallongent d'un saut de puce) ?
Un cri monte des profondeurs (vous vous rappelez ce que vous chantiez à l'église : "de profundis clamavi ad te") : des lois pour punir, DES LOIS POUR PUNIR, DES LOIS POUR PUNIR. A croire que c'est le point culminant de l'avenir démocratique. Chaque « minorité » doit dire : « Toi, sale politicard que je méprise et qui te mets à mon service pour accéder à ton misérable petit poste de petit pouvoir, satisfais mes exigences forcément légitimes et réprime ceux qui m'humilient, et tu auras droit aux voix de mon groupuscule. Sinon, que la fièvre quarte et la vérole de la Vierge de Guadalupe te patafiolent, la paille en cul et le feu dedans ».
Car le plus rageant, dans cette évolution inexorable, c’est la raison pour laquelle elle est promue : la ligne bleue de l’élection prochaine, le Graal de politicards vulgaires qui font leur marché en trimbalant de client en client leur bouche en cœur, dégoulinante de « convictions fortes ». « Clientélisme » est un mot décidément trop gentil. Il faudrait des termes plus injurieux, plus proches de la vomissure et de l’étron. Des mots plus sales et plus puants.
Je me contenterai de traiter tous ces premiers de la classe qui se servent de nous pour leur servir de marmitons, de mitrons et de saute-ruisseau, de qualifier tous ces élèves doués qui ont choisi la carrière de vendeurs de vent d’un seul mot : MINABLES.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : arménie, arméniens, députés, sénateurs, loi mémorielle, ump, p.s., politique, société, élections, élection présidentielle, antisémitisme, homophobie, sexisme, gérard collomb, nicolas sarkozy, génocide, parti socialiste, empire ottoman, turquie, ataturk, auschwitz, lyon, crijf, richard prasquier, roger siffer
dimanche, 18 décembre 2011
MON HISTOIRE DU DESASTRE EN PEINTURE (1)
Résumé : je disais donc que regarder, ce n’est pas réciter ce que les yeux ont appris. Cette belle phrase est un proverbe tchouvache ou oudmourte, je ne sais plus ; si vous me dites que c’est tchouktche, je me tais. Mais après tout, il est possible que ce soit un proverbe narikurava. Mon vieux proverbe bantou des familles, qui m’a déjà rendu bien des services, disait : « Le touriste ne voit que ce qu’il sait ». Ce qui veut dire la même chose.
Qu’est-ce que c’est, un tableau, au bout du compte ? Une surface quadrangulaire de dimensions variables, enduite de substances colorées. Je jure que je n’invente rien. C’est madame Foncoutu qui me l’a dit. Mais ça ne dit pas grand-chose. Madame Coutufon ajoute alors qu’on pourrait comparer ça à une fenêtre. Ben oui, quoi, il y a un cadre, et quand on ouvre à deux battants, on voit un paysage. Merci mesdames.
C’est vrai qu’une fenêtre ouverte, c’est fait justement pour ne pas être vu. C’est même pour ça qu’on l’a inventée. Autrement dit, elle n’existe que pour qu’on ne la voie pas. On ne regarde pas la fenêtre, on regarde par la fenêtre. C’est bête, mais ça reste vrai, même aujourd’hui. Qui est une époque compliquée.
Un tableau, c’est une fenêtre ouverte sur une infinité de choses. Un bouquet de fleurs opulent, une crucifixion, un visage, un déjeuner sur l'herbe, des Noces de Cana, des pommes et une bouteille, une ville, Napoléon au champ de bataille d’Eylau, des arbres dans une vallée, une montagne, Vénus endormie, des gens qui jouent de la musique, une chaise, une Tour de Babel, une vache, plusieurs vaches, que sais-je : un troupeau de vaches.
Sur fond de verdure. Avec au premier plan à droite une paysanne en robe colorée et en sabots, l’aiguillon à la main, conduisant au pré toutes ces bêtes à cornes. Pour faire couleur locale. Monsieur Prudhomme le verrait bien dans son salon, sur le mur face à la cheminée. Mme Prudhomme estime que les verts de la prairie jureraient avec les tentures et le tapis. M. Prudhomme plisse le front en regardant Mme Prudhomme, finit par opiner et se faire une raison.
Ç’aurait été pourtant bien, cette grande fenêtre ouverte sur la vie champêtre, la rudesse des travaux, la sincérité de la nature, le cycle des saisons. Ah, l’air pur de la campagne s’engouffrant en bourrasques virtuelles sous la lourde armoire en noyer, faisant trembler les deux bergères Louis XVI en bois laqué et soulevant les rideaux cramoisis ! Cette transparence de vitre apportant la fraîcheur des odeurs candides au milieu de la tiédeur moite et du bien-être confortable !
D’accord, j’arrête. C’était juste pour montrer que je peux le faire. J’ai squatté un instant le cerveau de M. Prudhomme. Celui du poème de VERLAINE : « Il est grave : il est maire et père de famille ».
Ce n’est quand même pas complètement faux, ce qu’il pense, le père Prudhomme : depuis que les peintres peignent des tableaux, leur effort a longtemps consisté à faire apparaître, dans un cadre finalement étroit, une portion d’une réalité qui, naturelle ou non, reste paradoxalement absente, car je rappelle que dans un atelier de peintre, il n’y a en général pas beaucoup de vraies vaches.
Ce qui compte alors, pour la vitre du tableau, c’est la transparence. C'est ce qu’on appelle « réalisme ». Ou « illusion de la transparence », comme on dit dans les écoles. Car c’est une transparence qui se travaille, qui se fabrique. La vitre, il faut la rendre invisible.
Ce travail n’est pas à la portée du premier venu. Demandez au petit BUONAROTTI. Son prénom ? MICHEL-ANGE. Tiens, regardez-le se crever la paillasse à piler péniblement ses pigments dans son mortier, pour le compte de son maître, le grand GHIRLANDAIO. Celui de Florence et de la chapelle Sixtine.
Il a treize ans. C’est lui qui va chercher les cafés et les cigarettes, et qui balaie l’atelier. Ça dure jusqu’à ce que le maître l’autorise à passer le premier enduit. En même temps, il aura eu tout loisir pour observer et écouter. C’est ça, le métier : avant qu’il sorte, il faut du temps pour qu’il entre. C’est pas demain la veille, le Moïse et le mur du fond de la Sixtine.
Alors voilà, pour fabriquer de la transparence, c’est une longue patience. Cela s’appelle perspective, ligne, surface, forme, modelé, matière. Mais aussi ombre et lumière, avec leurs façons d’aller ensemble, les couleurs avec tous leurs mariages et tous leurs dégradés possibles, bref, tout ce qu’on appelle la technique. Beaucoup préféraient le mot « métier ». De toute façon, « technique », en grec, ça veut dire « art », allez vous y retrouver.
La technique, c’est tout ce qu’il faut maîtriser pour faire croire que c’est vrai – ce qu’on appelle très bêtement le « réalisme » (vous savez : « Il ne lui manque que la parole », « On dirait qu’il va aboyer », et autres fadaises). On appellerait ça « illusionnisme » si on était raisonnable.
Tous ces trucs, quand vous les aviez au bout du doigt, vous pouviez y aller. Que ce soient des scènes sacrées, paysannes, guerrières ou familières, que ce soit du gibier, du poisson ou du bétail, que ce soient des palais ou des masures, le Grand Canal de Venise ou les falaises d’Etretat, si vous maîtrisiez les outils mentionnés plus haut, vous aviez les moyens de tout faire, et l’argent rentrait. L’argent de la transparence.
Qu’est-ce qui a opacifié la fenêtre ? Qui ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? Comment se fait-il qu’un jour, les peintres ont cessé de regarder le monde à travers leur toile ? Et qu’ils se soient mis à regarder leur toile ? Et à se regarder dans leur toile ? Parce que c’est ça, qui s’est passé : la toile est devenue la scène du peintre en personne. Pourquoi, je n’en sais rien de sûr. J’ai mon idée, vous vous en doutiez.
Un jour, la toile du peintre a cessé d’être transparente. Comme si la fenêtre se refermait. Pour expliquer ça, je ne vois rien de mieux que le Capitaine Haddock. C’est dans Les 7 boules de cristal, à la page 14. Il ouvre la porte de la « buvette », et se fracasse le nez sur un mur. On peut dire deux choses. Soit : « Le réel est brutal ». Soit : « L’illusion est à son comble ». Ça revient au même.
Qui a fait ça, et quand ça s’est passé, c’est sans doute assez facile. Mais ça reste paradoxal. Ben oui, j’ai l’impression que la fenêtre est devenue un mur au moment même où on commençait à croire que la vitre en personne tombait, pour laisser place à la réalité brute et vivante. Ça se passe à peu près au moment où les gars ont commencé à sortir de leurs ateliers pour aller peindre dans la nature. « Il faut peindre sur le motif », ils disaient, EUGENE BOUDIN et quelques autres.
Il est là, et il est gros, le paradoxe : la toile prend le premier rôle au moment même où elle est supposée porter la réalité extérieure en personne. Bon, c’est vrai, pas mal de gens ont noté que ça se passe à peu près au moment de l’explosion du marché de la photographie. Pour ce qui est de restituer le réel, la photographie, yapafoto, comme disent les Japonais. Impossible de rivaliser, pour le peintre. Même pas la peine d’essayer.
C’est donc bizarrement en rencontrant la nature en direct que les peintres ont perdu la transparence. A cause de la photographie, probablement. A cause aussi de leurs sensations. Ben il faut les comprendre. Quand tu es dans ton atelier, la nature, tu l’imagines, tu la reconstruis, au final tu la fabriques. La meule de foin, quand tu la vois sous ton nez, ce n’est pas pareil.
Parce que voilà, les sensations, c’est le matin ou le soir. C’est en pleine lumière ou à contre-jour. Il fait beau ou il pleut. Enfin, on n’a que des emmerdes. Ce n’est jamais pareil. C’est pour ça que MONET aligne les meules de foin en série. A cause des sensations. Même chose pour les Cathédrales de Rouen. C’est pour coïncider avec les différents moments. Voilà, en gros, comment ça s’est passé. Je résume.
Voilà ce que je dis, moi : qui m'aime, à suivre.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, peinture, artiste, peintre, société, histoire de l'art, art contemporain, claude monet, michel-ange, chirlandaio, chapelle sixtine, moïse, eugène boudin
lundi, 05 décembre 2011
LA JOURNALISTE FARCIE, C'EST DELICIEUX
C’est dit : aujourd’hui, je me farcis une journaliste.
La recette ? Prenez une journaliste de niveau CSP+ (moyen supérieur dans la hiérarchie). Pas besoin de l’ouvrir : on garde tout, la peau, les seins, les fesses, les cuisses, le sexe, enfin tout ce qui peut servir, les yeux à la rigueur, pour compléter tout ce qui fait le « sex appeal », comme on ne dit plus. Mettez-la en présence. En présence de qui, blogueur étourdi ?
Mais en présence de qui vous voudrez, pourvu que ce soit dans le « panel » que nous vous présentons. Un « panel » d’hommes politiques judicieusement choisis, pour être précis. Vous introduisez l’homme politique dans la journaliste, et le tour est joué. Même pas la peine de passer au four : c’est déjà cuit. Servez. C’est toujours chaud. Chaud bouillant, même.
Je me suis déjà payé la profession journalistique, dans ce blog. Je n’ai pas dit trop de mal des personnes (sauf d’ALAIN DUHAMEL, il ne faut pas demander l’impossible). J’ai dit pis que pendre de cette profession journalistique structurée comme une mafia et, tiens, c’est bizarre, exactement comme le sont nos personnels politiques des hautes couches de l’atmosphère.
C’est bizarre, il y avait dans un journal récent un article sur les éditorialistes cumulards, qui courent de presse écrite en plateaux de télévision, et de télé en radio. « Or c’est un usage bien établi », c’est GEORGES BRASSENS qui le dit (« L’Hécatombe »), la politique française se fait sur la base du cumul des mandats. Drôle d’homothétie, vous ne trouvez pas ? C’est peut-être pour ça que l’homme politique est aisément empilable sur la journaliste politique.
Cumulards de mandats en politique et éditorialistes multicartes dans les médias : j’ajoute les renvois d’ascenseurs couramment pratiqués dans les conseils d’administration des grandes entreprises, qui font que monsieur untel touche quatre ou cinq « jetons de présence » en espèces sonnantes non négligeables, tout ça pour ne pas se donner la peine de siéger aux assemblées des sociétés auxquelles il a été convié par un « ami ».
Ainsi, moi qui ne suis pas dans le secret des dieux, loin de là, mais qui lis correctement la presse, je me dis que dans les couches supérieures de ces trois secteurs, règne une logique de mafia. Les « familles » se partagent le gâteau. « Je lui ai dit, à ma femme : à partir d’aujourd’hui, tout le fumier ça sera pour toi ! » (FERNAND RAYNAUD, « J’suis qu’un pauv’paysan »).
La POLITIQUE, les MEDIAS, les GRANDES ENTREPRISES. Autrement dit : la LOI, la PROPAGANDE, l’ARGENT. Faire la loi pour être juridiquement inattaquable. Bourrer les crânes pour se faire réélire. Racketter les entreprises pour atteindre les deux premiers objectifs. Pour le coup, « racketter » est abusif : les grands patrons se précipitent pour cracher au bassinet. En attendant le retour sur investissement.
Regardez bien comment tout ça est organisé. Rappelez-vous le référendum de 2005 sur l’Europe : c’était le tir de barrage, venant du triumvirat régnant. L’ordre règne, même si ces gens furent désavoués dans cette occasion. Rassurons-les : en temps ordinaire, les hautes sphères sont fermement « tenues ».
Evidemment, on me dira que je schématise, que je caricature, que je suis injuste, que je généralise abusivement, que je fais le jeu des extrêmes, et je ne sais trop quoi d’autre. Certes, j’exagère. Mais ne trouvez-vous pas, néanmoins et nonobstant la simplification outrancière, que ça dessine assez bien les lignes de forces générales du paysage ? Je maintiens que c’est non seulement vraisemblable, voire probable, mais aussi que, dans les grandes lignes, c’est comme ça que ça se passe, dans la réalité.
Ce n’est pas la première fois que je concentre mon tir sur la connivence qui règne en général (je parle toujours des hautes couches de l’atmosphère) entre les personnels politiques et les journalistes. Qui sont « à tu et à toi » dans la vie. J’ai failli oublier de préciser que c’est seulement quand les micros et les caméras sont fermés.
Car, qu’on se le dise : il ne faut pas que ça se sache. Les francs-maçons non plus, ne disent jamais qu’ils « en sont ». Je crois même que ça leur est interdit. Cela n’empêche pas quatre « frères » d’être mis en examen dans l’affaire du Carlton de Lille. C'est le Grand Maître de l'Ordre lui-même qui le dit. De même en Sicile, personne ne porte un écriteau marqué : « homme d’honneur », comme ils se nomment. Le mot d’ordre est simple : secret et solidarité. Gare à qui l’enfreint. Les deux cartouches seront chargées « a lupara » (renseignez-vous).
Je signale que, dans l’affaire du Carlton de Lille, on retrouve une grande entreprise de travaux publics (Eiffage), des hommes politiques (autour de DSK), des putes et, fait nouveau, des flics. Un article récent (27/28 novembre) du Monde, très documenté, exposait assez bien ce grenouillage, dans un article de EMELINE CAZI et ARIANE CHEMIN, intitulé « DSK et sa circonscription secrète ».
Je me fiche de savoir s’il est vrai qu’Eiffage, ou FABRICE PASZKOWSKI, a fourni des putes et payé le voyage au cercle de DSK pour des « parties fines », dont certaines ont eu lieu dans le bureau même du directeur général du FMI. Je me borne à relever le fait, exposé en détail dans le journal.
Je répète que ce n’est pas tel ou tel individu qui est à distinguer ou à vilipender. Ce qui fait hurler, c’est ce qui fait système. C’est comme ça que c’est organisé, structuré. Pour entrer, aucun autre moyen que d’être « adoubé », comme on disait au moyen âge. L’usage assez courant de ce mot en dit d’ailleurs long sur le caractère FEODAL des allégeances mutuelles. Il y a les suzerains, les vassaux, les « vavasseurs » (si si, ça existe).
Et c’est d’ailleurs drôle : figurez-vous que les journalistes, quand ils rendent compte d’une réunion organisée par ARNAUD MONTEBOURG dans sa circonscription, parlent facilement de son « fief » de Frangy-en-Bresse. Ce que, tous partis confondus, les politiciens dans leur ensemble appellent en chœur « l’ancrage local » pour empêcher quelques utopistes de nuire au sacro-saint cumul des mandats.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre … les femmes journalistes qui se font « farcir ».
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journalisme, journaliste, presse, télévision, alain duhamel, georges brassens, cumul des mandats, éditorialiste, jeton de présence, fernand raynaud, politique, société, carlton de lille, mafia, dsk, le monde, arnaud montebourg
vendredi, 02 décembre 2011
CONTINUONS LE COMBAT ?
Après le sujet sérieux, après le sujet grave, voilà un sujet déplaisant. Un sujet qui m’est inspiré par ce que j’entends régulièrement.
J’étais allé rendre visite à Dédée quelque part en Dauphiné. J’y tenais. Va savoir pourquoi, au fond du fond. Elle avait du mal à tenir debout. Amaigrie à faire peur. Elle trouva néanmoins la force de rire en me disant : « Oui, Frédéric, on retournera dans les marais, un soir de Noël, pour faire les loups ». Quinze jours après, elle n’était plus de ce monde. Je l’aimais beaucoup.
« Faire les loups », je vais vous dire ce que c’est. Pendant une soirée de Noël, tout le monde était sorti pour prendre l’air et faire de la place dans les estomacs pour la suite. Il faisait nuit, il était tard, mais sans plus. Par jeu, j’avais commencé à pousser des cris dans le suraigu, comme je sais faire, à la façon des loups, dit-on. Et comme le proposait le générique d’une émission de radio il y a fort longtemps (« Loup-garou », de PATRICE BLANC-FRANCARD ?).
Dédée s’y était mise, elle faisait ça très bien : on avait donné tous les deux une sorte de concert improvisé, de loups hurlant à la lune. L’imitation devait être assez réussie, si j’en juge par les lumières extérieures des maisons qui s’allumèrent à ce moment.
On entend fréquemment, à propos de gens qui sont morts « des suites d’une longue maladie » ou « d’une cruelle maladie », qu’ils se sont battus avec courage contre la maladie. Dédée ? Oui, elle s’est battue. Mais d’abord, ça veut dire quoi, « se battre contre la maladie » ? Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? J’avoue que je l’ignore.
Se battre contre n’importe quelle maladie, je vois bien. Ça veut dire, en gros, se soigner. On va chez le toubib, il fait un examen sérieux (Docteur L., 30 minutes) ou pas sérieux (Docteur P., 4 minutes, tension comprise), il vous fait rhabiller, il vous fourgue une ordonnance, vous la suivez, vous êtes guéri. On a fait ce qu’il fallait.
Se battre contre la maladie, ça veut donc dire « se soigner ». Accessoirement, ça veut dire, faire ce que le docteur a dit de faire. Et normalement, ça marche. Dans la plupart des cas. Le problème se pose quand la maladie devient « longue » ou « cruelle ».
De l’usage de l’euphémisme et de la périphrase, quand ça devient vraiment grave. GEORGES BRASSENS, dans « Le Bulletin de santé », dit « ce mal mystérieux dont on cache le nom ». Disons-le : il s’agit du cancer. Cancer de ce que vous voudrez, c’est un mot qui fout la trouille. Je signale en passant qu’on n’a pas fini de l’entendre, le mot.
Pour vous en convaincre, allez voir La Société cancérigène, de GENEVIEVE BARBIER et ARMAND FARRACHI : 262 % d’augmentation entre 1950 et 1988, + 20 % entre 1980 et 2000. Les décès ? 7 % en 1920, 30 % en 2000. Un homme sur trois, une femme sur quatre en meurt, aujourd’hui en France. Je ne m’affole pas, j’essaie de voir en face. Je précise quand même que je ne suis pour rien dans cette évolution.
Se battre contre la maladie, j’ai dit que c’était « obéir à son médecin ». Faire ce qu’il ordonne. Vous avez envie de vivre, et vous n’avez pas envie de mourir ? Obéissez. Soumettez-vous à l’autorité du médecin. Pour le cancer, deux ordonnances : la chirurgie ou la chimiothérapie. Il y a aussi la radiothérapie, mais bon.
Se battre contre la maladie, c’est prendre les médicaments qui sont sur l’ordonnance. C’est aller bien sagement à sa « chimio » pour vomir tripes et boyaux. C’est passer par le bloc opératoire pour se faire enlever un morceau de corps pourri.
C’est ça, que je ne comprends pas : c’est donc ça, se battre ? Et je ne parle que des cas où les toubibs ne se sont pas trompés dans leurs diagnostics, dans leurs appréciations, où ils ont vraiment fait ce qu’il fallait, rien que du pertinent, de l’idoine et de l’adéquat.
Si les gens croient qu’avoir le moral quand on est malade suffit pour vaincre le cancer, libre à eux. Quelle différence objective, à l’arrivée, y a-t-il entre quelqu’un qui « s’est battu » et quelqu’un qui s’est « laissé aller » ? Vous en voyez une, vous ? A quoi ça me servirait, en pareil cas, d’avoir la volonté de « me battre » ?
Non, franchement, je préfèrerais qu’on dise qu’untel ou unetelle a FAIT FACE à la maladie, qu’il ou elle l’a bien regardée dans les yeux. « Se battre », on ne m’enlèvera pas de l’idée que c’est le genre de pieux mensonge qu’on dit pour réconforter. Je n’aurais pas envie qu’on me réconforte comme ça.
C'est PIERRE DESPROGES qui disait, et il savait de quoi il retournait, dans son propre cas : « Vivons heureux en attendant la mort ». Ça oui, c'est une vraie leçon.
Voilà ce que je dis, moi.
PS : Promis, la prochaine fois, je rigole.
17:31 Publié dans UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cancer, maladie, littérature, société, médecine, médecins, docteur, soins, toubib, loup, loup-garou, patrice blanc-francart, georges brassens, la société cancérigène, chimiothérapie, pierre desproges
mercredi, 30 novembre 2011
DU SAVOIR COURTOIS A HANNAH ARENDT
Résumé : après diverses considérations sur le « savoir courtois », retour laborieux à HANNAH ARENDT.
A propos de « savoir courtois », il faut dire que, si je fuis tous les « systématistes » et autres élaborateurs extrêmement savants de globalités, de généralités et autres totalités totalisantes, voire totalitaires, il y a bien sûr une part de décision, une décision quasiment politique, le refus horrifié d’une menace qu’on fait peser sur l’individu. Mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi une infirmité. Enfin, c’est peut-être une infirmité. Pas sûr.
Vous voulez que je vous fasse une confidence ? Vous vous rappelez sans doute le 12 juillet 1998, n’est-ce pas ? Eh bien, pendant que deux personnes qui me sont très chères avaient décidé d’aller au cinéma, juste parce que c’était gratuit ce soir-là pour les dames (H.) et demoiselles (J.), j’ai choisi d’écouter Cosi fan tutte, le casque sur les oreilles, qui m’a permis d’échapper aux trois énormes clameurs de la soirée. Je l’ai d’autant moins regretté que les deux personnes en question se sont laissé détourner par « l’ambiance d’enfer » qui régnait place Bellecour, où de gigantesques écrans avaient été dressé. Abdication pitoyable.
Ce n’est pas pour me vanter, mais j’ai lu Masse et puissance, de ELIAS CANETTI. Un drôle de livre, bizarre, atypique, qui m’a laissé perplexe, dont le sujet avoué est une analyse du processus qui transforme une « meute » conduite par un chef en « masse » conduite par un « führer », suivez mon regard. Un drôle de livre, qui ne ressemble à aucun autre quant à son objet ou à sa méthode. Où ELIAS CANETTI veut-il en venir ? Ce n’est pas évident. Si je me souviens bien et pour résumer, l’individu, dans la meute, a encore une existence propre, qu’il perd quand celle-ci se transforme en masse. Mais c’est sûrement plus compliqué que ça.
Pour vous dire, si j’ai fait de l’alpinisme, c’est qu’au sommet du « Moine », du « Grépon » ou de « Trélatête », il y a place pour trois, allez : quatre si on se serre. On est encore des individus. Et on fait de la place au saucisson et au kil de rouge (à 3500 mètres, « la plus humble piquette » (BRASSENS, « Le grand Pan ») se transforme en nectar. Or c’est le même homme de bien qui l’a dit : « Le pluriel ne vaut rien à l’homme et sitôt qu’on / Est plus de quatre, on est une bande de cons » (« Le pluriel »).
C’est pourquoi j’ai tiré il y a fort longtemps un trait violent sur les plages du Midi en été, le supermarché le samedi matin, l’autoroute A7 pendant les week ends de « pont », et un certain nombre d’autres lieux qui attirent la concentration du genre humain, devenus comme des camps de sinistre mémoire.
L’agglutiné vit au rebours de sa propre vie. Ou c’est que je ne sais rien. Je commence à respirer quand l’humain se raréfie. Quand l'individu se dessine et prend forme et consistance. Supermarché, cinéma ou remonte-pente, l’un des fléaux de notre temps est la file d’attente. Quand il s’agit de faire nombre, je me désagrège. Car il s’agit de faire nombre, il paraît. Il paraît aussi, d’ailleurs, que ça se mesure. Scientifiquement, même.
J’adapterais volontiers la fable du Corbeau et du Renard en la faisant finir par une sentence comme : « Sachez que tout sondeur vit aux dépens de celui qui répond. Cette leçon vaut bien mon fromage, pauv’con !». J’ai pris « sondeur » parce que ça passait mieux que « statisticien ».
J’envierais celui qui porterait sur sa carte d’identité une mention du genre : « Celui qui ne ressemble pas ». Ou : « Perturbateur de statistiques officielles ». Et l’expression « fondu dans la masse » me semble d’une terrifiante vérité. « Fondre » à une température donnée, n’est-ce pas perdre ses contours, ses traits ? Disparaître ? A cet égard, je suis profondément occidental.
Il paraît que l’oriental se vit comme simple élément d’un grand tout, ce qui a au moins le mérite de faciliter sa disparition, alors que chaque occidental se vit comme une réplique en miniature du centre du monde, et comme tel, irremplaçable. C’est pour ça que SARKOZY se sent obligé de payer des rançons quand des Français sont enlevés au Mali ou au Yémen. Même et surtout quand il nie avoir payé un seul centime.
Occidental, je suis, occidental je reste. J’accepte l’héritage de l’individu et des Lumières. Plus consciemment et plus volontairement que des gens prêts à piétiner leurs semblables pour rejoindre leur petit carré de plage, parfumé à l’ambre solaire et au suint bestial des animaux vautrés.
Vous avez compris pourquoi la télévision n’a jamais franchi mon seuil : être comptabilisé comme un petit sept milliardième de l’humanité ou le six millionième de l’audience de FRANÇOIS HOLLANDE à la télé m’importe autant que le slip de flanelle que portait le président CARNOT quand il fut assassiné. Le problème de la télévision, c’est qu’elle fait disparaître les individus qui la regardent sans que ces individus s’en rendent seulement compte.
Bon, je vais quand même tâcher de revenir à HANNAH ARENDT. J’ai un peu l’impression de piétiner à l’entrée. Voire de reculer. Enfin, je me dis que je ne quitte pas tout à fait le terrain. Si j’insiste, c’est que je crois que cette femme, sans a priori, sans volonté de « faire système », nous parle du monde qui est le nôtre, et essaie d’en dégager pour nous le sens. Ce n’est pas une négatrice. Je crois même qu’elle ne l’est pas assez. Mais c’est qu’elle reste attachée à une démarche profondément philosophique.
Il faut d’abord dire que la Grèce ancienne fascine HANNAH ARENDT, qu’elle est très souvent présente à son esprit comme modèle insurpassé de civilisation, auquel il convient de se référer en priorité. C’est un socle. Pour parler franchement, j’ai buté sur la distinction entre « privé » et « public », et il y a des maillons du raisonnement qui m’échappent.
« Privé » ? « Public » ? On se rappelle les batailles de chiffonniers qui ont été livrées autour des chiffons « islamiques ». Qu’est-ce que c’est, « l’espace public » ? Il me semble qu’aujourd’hui, on peut dire qu’on entre dans l’espace public dès qu’on sort de chez soi. Si c’est bien ça, ce dont je ne suis pas si sûr, finalement, l’espace privé, j’en conclus que c’est tout simplement « chez soi ». C’est pas logique, ça ? Et bien pour les Grecs de l’antiquité, pas du tout, figurez-vous.
Si j’ai correctement compris, les Grecs opposaient le social (autrement dit le privé) et le politique (autrement dit le public). Du côté du social, la famille, cellule de base, où le père règne en despote, la famille qui est régie par la nécessité. ARENDT semble soutenir que toute l’économie antique relevait exclusivement de la sphère privée. Du côté du social et de la nécessité, encore, le travail. Tout cela est donc considéré comme relevant de la sphère du privé.
Du côté du politique, il y a la cité, la « polis » (πόλις), où règne l’égalité entre des individus libres. Être libre, c’est n’être ni chef, ni sujet. C’est dans cette sphère publique que se réalise la politique, que s’exerce le gouvernement. Pour HANNAH ARENDT, cette division des tâches semble être la plus noble qui puisse être, car c'est au niveau de cette vie publique que s'organise la société des hommes.
Ensuite, ça se complique. Au moyen âge, le privé prend de l’extension, donc le politique en perd logiquement, parce que le gâteau essentiel n’est pas plus gros qu’avant, ce qui entraîne une contamination du politique par le social, et de ce fait même, une réduction de l’homme à une fonction économique. Jusque-là, c’est logique.
Si j’ai correctement compris, c’est au 18ème siècle qu’apparaît la notion d’intimité. Et c’est là que, pris en sandwich entre le « public » proprement politique et le « privé » (tout le reste ?), s’interpose quelque chose qu’elle appelle le « social ». Et si j’ai correctement compris, ce dernier est assez envahissant. On change de dimension. On passe de la famille à la société, mais en gardant le despotisme. Dans la famille ancienne, le despote, c’est le « paterfamilias ». Dans la société, c’est la MAJORITÉ, le despote.
Et qu’est-ce qu’elle devient, l’égalité ? Ben oui, c’est quand même dans la devise républicaine, non ? Là, HANNAH ARENDT a une idée qui me semble GENIALE. L’égalité des Grecs anciens, c’est de n’être ni chef, ni sujet. Notre égalité à nous, c’est le CONFORMISME. Parfaitement ! C’est rude, je sais. Et un conformisme conscient, lucide, voulu par la structure elle-même. La preuve ? La statistique, mon bon monsieur. La reine des sciences sociales. « La science sociale par excellence », dit HANNAH ARENDT.
Là, je ne peux pas faire moins que de renvoyer à mon blog KONTREPWAZON et aux articles sur les statistiques et le terrorisme de la moyenne (2008). Pourquoi ? Parce que je crois que l’entrée de la société dans la statistique fait passer l’Occident d’une ère proprement politique de la vie humaine en liberté à l’ère de la gestion comptable de l’humanité réduite à l’état de stock.
Même si ce n’est qu’une hypothèse, ça mérite d’être médité, en ces temps de propagande enfoncée dans le crâne des foules à coups de télévision et de radio (tous partis confondus). Attention, mesdames et messieurs, c’est qu’il y a de la pensée, ici !
Ben réfléchissez ! Au moment où la statistique et la moyenne font leur apparition, l’attitude et le comportement des dirigeants CHANGENT. Avant, qu’est-ce qu’ils ont, comme outils ? Rien. On commence aux missi dominici, aux préfets, aux commissaires, aux fermiers généraux, qui sont tous envoyés par le haut pour faire régner l’ordre du haut. C’est, on l’admettra facilement, ALEATOIRE.
A partir du moment où, tout en haut, on sait, par exemple, sur combien d’hommes costauds on peut compter pour la prochaine guerre, parce qu’on a pris le soin de les compter, mais rendez-vous compte de l’avantage ! Il semblerait que ça ait commencé avec LOUIS XIV. Et la statistique, qui n’est pas une science, mais une suite d’opérations, va permettre l’épanouissement d’une autre discipline, une discipline dévorante, qui va bientôt prétendre au noble statut de science alors qu’elle n’y a aucun droit : l’ECONOMIE.
HANNAH ARENDT écrit : « L’économie ne put prendre un caractère scientifique que lorsque les hommes furent devenus des êtres sociaux et suivirent certaines normes de comportement ». Ce qui est extraordinaire, dans cette mutation brutale (« rupture », mais pas en termes sarkozystes), c’est que la moyenne statistique s’impose bientôt comme une NORME. Autrement dit, magie-magie : le simple constat prend force de loi.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre ? Peut-être.
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vendredi, 25 novembre 2011
LA TECHNIQUE ET LA FEMME SOÛLE
Donc, le progrès, le bienfaisant progrès, le prometteur progrès, c’est finalement un avorton de progrès, il s’est réduit et se résume à son aspect technique. Pour le progrès culturel, le progrès intellectuel, le progrès moral, le progrès humain, le progrès de civilisation, enfin bref, toutes ces vieilles lunes pour idéalistes attardés, l’humanité repassera. Plus tard. La prochaine fois. Une autre humanité, si possible. S’il y a de la place. Et on n’a pas réservé.
En attendant cette bienheureuse apocalypse (le cuistre qui sommeille en moi ne peut pas s’empêcher : ça veut juste dire « dévoilement »), on se contentera de jouer avec nos gadgets, ces objets dont nous sommes si fiers, ces objets sur lesquels je suis en train de m’escrimer dans le fol espoir que ça serve à quelque chose ou à quelqu’un, ces objets dont tout porte à croire que nous sommes en train de devenir de simples prothèses animées, si ce n’est déjà fait. Je sais que mon espoir est « fol », mais, comme disent ceux qui jouent au loto, « on ne sait jamais ».
Ce ne sera pourtant pas faute d’avoir été avertis. Il y a quelque chose chez Goethe (je crois que c’est dans le second Faust), qui dit que, certes, l’homme est capable de prouesses techniques infinies, mais que c’est au prix d’un pacte avec Méphistophélès en personne. Le Diable. Satan. L’Ange du Mal. Le message ? En inventant les bonnes intentions du progrès technique sans fin, l’Europe a commencé à paver le joli petit enfer promis à l’humanité. Mais Goethe est-il prophète ?
D’autres devins se collèrent à cette noble tâche d’endosser le rôle ingrat de Cassandre. J’aime beaucoup Cassandre. D’abord, elle est d’une beauté à couper le sifflet, tous ceux à qui je l’ai présentée sont d’accord. Et puis aussi, c’est un caractère. Comment ? Se refuser à l’étreinte d’Apollon en personne ? Il faut en avoir où je pense. Non, ça, c’est vulgaire, et je ne voudrais pas tomber trop bas.
Et puis, dans la version que j’aime des Troyens, de notre Hector Berlioz, la Cassandre de Deborah Voigt est d’une justesse irréprochable, même qu’elle parvient à donner un peu de consistance au falot personnage de Chorèbe, avant de laisser toute la magistrale place dans le lit à la Didon de Françoise Pollet. Tout ça se passe sous la baguette de maître Charles Dutoit.
Je voulais seulement parler de quelques nobles individus qui, à force de bien regarder dans les yeux l’époque et le monde dans le bain desquels ils ont été plongés malgré eux, ont jugé que tout ça n’était pas bien beau, ni très ragoûtant, et qui ont désiré faire part de leurs observations à leurs contemporains. Et qui ont donc « endossé le rôle ingrat de Cassandre » (je me cite, voir plus haut).
Je pense à Hans Jonas et à son Principe responsabilité, mais si j’ai bien compris sa démarche, il ne remet pas en question la technique en tant que telle, mais seulement l’usage qui en est fait : si les conséquences de cet usage portent un risque de déshumanisation de l’homme, alors il faut s’abstenir. Je caricature évidemment, mais il y a de ça.
Cette position me paraît bien vaine, car elle ne va pas au fond des choses : un objet technique n’existe que parce que quelqu’un lui a trouvé une utilité. Il se trouve que, soit quelqu’un a trouvé un usage destructeur (poudre à canon, radioactivité), soit que l’objet comporte à terme des effets pervers (au hasard : la télévision, la voiture).
L’expérience montre que le meilleur et le pire sont comme l’avers et le revers de la médaille « technique ». J’ai assisté à des procès d’Assises où le meurtrier s’était servi, au moment des faits, d’un marteau, d’une pelle à poussière ou d’une casserole. Ce que les pénalistes appellent des « armes par destination ». Le tournevis aussi n’est qu’un outil, conçu au départ pour visser. Côté invention, si le pire advient aussi, le meilleur vaut-il la peine ?
J’ai déjà parlé de Lewis Mumford, un des rares Américains éclairés (non, j’exagère, ils sont quelques-uns). Son livre Les Transformations de l’homme, dans sa plus grande part, décrit l’émergence de la technique, son triomphe, puis l’implacable logique de destruction et de déshumanisation que ce triomphe annonce, avant le spectaculaire retournement des deux derniers chapitres, où il étale un improbable optimisme de catéchisme, quant à l’avenir radieux promis à l’humanité souffrante.
Dans le genre « Zorro est arrivé », ce n’est pas mal, je trouve. Très curieux. Bon, je sais bien qu’il ne saurait s’avancer à prédire l’avenir et que la plus élémentaire prudence universitaire interdit d’ôter tout espoir. Ce qui me semble curieux, en fait, c’est que tout le bouquin montre une logique en marche, un processus quasiment mécanique. Et tout d’un coup, miracle, on ne sait quoi vient inverser le processus.
Je pense à Günther Anders et à L’Obsolescence de l’homme. Le tome II, qui a paru très récemment, est sous-titré « Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle ». Son attitude face à la technique, on le comprend déjà, est radicale. Parce qu’il admet qu’il faut aller au bout des hypothèses, soit pour les invalider par l’absurde, soit, évidemment, pour les valider.
Il est vrai que c’était un homme intransigeant, refusant de retourner en Allemagne après la fin de la guerre, refusant un poste enviable à l’université de Halle, refusant, plus tard, un poste encore plus enviable à Berlin. Sa méthode consciente et explicite est celle de l’exagération. Mais c’est pour mieux lutter contre le fait que les phénomènes observés sont, selon un consentement général, minimisés.
Je pense à Hannah Arendt. Elle non plus n’attaque pas la technique en tant que telle, que ce soit dans La Crise de la culture ou dans Condition de l’homme moderne. Je regrette un peu qu’une telle femme ait préféré faire porter son attention sur les aspects culturels, politiques et philosophiques de l’existence humaine, et qu’elle ait délaissé la technique en tant que problème en soi.
La Crise de la culture n’aborde la technique qu’à la toute fin, à travers « la conquête de l’espace ». Hannah Arendt, visiblement, adhère au monde qui est le sien, et néglige la technique comme problème en soi. Au contraire, elle parle de « la grandeur de l’entreprise spatiale », et réfute nettement les arguments qui la remettent en question.
A ses yeux, l’entreprise scientifique est louable en soi : « Ce fut la gloire de la science moderne que d’avoir été capable de s’affranchir de toutes ces préoccupations anthropocentriques, c’est-à-dire authentiquement humanistes ».
Ce qui l’intéresse, ce n’est pas la technique en tant que telle, donc, c’est le fossé grandissant entre l’expérience sensorielle de l’homme ordinaire et le langage scientifique, toujours plus abstrait et désincarné, toujours plus déshumanisé. Mais cette déshumanisation n’a pas l’air de l’inquiéter outre-mesure. Elle irait même jusqu’à s’extasier devant : « une véritable avalanche d’instruments fabuleux et de machines toujours plus ingénieuses ».
Mon dieu, je me permets de critiquer la grande Hannah Arendt ! C’est peut-être dû au fait qu’elle reste vissée dans la logique imperturbable du raisonnement philosophique. Le texte de ce dernier chapitre de La Crise de la culture doit dater de 1959. J’avoue que je le trouve le moins convaincant de l’ouvrage.
Ce qui est curieux, c’est qu’elle insiste beaucoup sur le « point d’Archimède », ce point fixe qui, s’il avait été donné à celui-ci, lui aurait permis de « soulever l’univers ». Ce point qui, dans l’esprit de la philosophe, constitue comme un œil qui regarderait la Terre depuis l’espace. C’est cet œil fictif qui, pour Hannah Arendt, signe l’éloignement radical du discours scientifique par rapport à l’expérience de la perception sensorielle de monsieur tout-le-monde, et à son langage.
Dans le fond, je le trouve fumeux, ce dernier chapitre de La Crise de la culture.
Et pourtant, ce « point d'Archimède », elle le reprend dans Condition de l'homme moderne. Il s'agit vraiment, à ses yeux, d'un point de basculement dans la vision que l'homme se fait de son propre monde : pour la première fois, c'est comme s'il voyait la planète et l'humanité de l'extérieur. Cela ne l'amène pas pour autant à porter un regard critique sur tout ce qui en découlera plus tard, je veux parler de la permanence et de l'accélération incontrôlée de l'innovation technique. J'y vois, pour ma modeste part, un certain aveuglement.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 24 novembre 2011
POLITIQUE ET ENVIE DE VOMIR
Quelques billevesées, balivernes, calembredaines et autres coquecigrues bien de saison :
I – La philosophe HANNAH ARENDT, dans Condition de l’homme moderne, hiérarchise ainsi les activités humaines :
1 – Tout en bas, le travail, qui traduit un asservissement à la nécessité. Son statut est le même que celui du servage.
2 – Un peu au-dessus du travail, l’œuvre, c’est-à-dire tout ce que l’homme interpose entre le monde et lui. On pourrait dire : tout ce qu’il ajoute à la réalité naturelle.
3 – Tout en haut des activités humaines : l’action. Essentiellement l’action politique, celle par laquelle les individus décident de leur appartenance au monde humain.
Bien sûr, il s’agit là de l’os. Je ne vais pas résumer le bouquin. Je laisse à chacun le soin de disséquer toute l’abondante et forte viande que HANNAH ARENDT a mise autour.
*
II – Le sociologue EMMANUEL TODD qui, à mon avis, porte sur le monde qui est le nôtre un regard original et non dépourvu de pertinence, déclarait à la radio il y a déjà quelque temps que les personnels politiques occidentaux en général, et français en particulier, se caractérisaient par une énorme, une inconcevable, une colossale MEDIOCRITÉ. Je pense qu’il voulait parler spécifiquement de leur médiocrité politique.
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III – Le philosophe PLATON me déclarait, pas plus tard que la semaine dernière, que la pire des calamités qui puissent s’abattre sur un peuple, c’est que le pouvoir soit exercé par quelqu’un qui l’a ardemment désiré. Moralité : je ne vise personne, mais suivez mon regard. La juxtaposition de ces trois « jalons » constitue sans doute une claire indication de la direction.
***
Avant de commencer, un peu de correction du langage : il devrait être interdit de parler des élections présidentielles, qui supposeraient qu’on élit plusieurs présidents. Parlons, oui, des élections législatives : 577 députés, c’est certain, ça mérite le pluriel. Mais tant qu’il n’y a qu’un président élu, parlons, s’il vous plaît, de l’élection présidentielle. Merci d’avance.
***
Qui gouvernera la France en 2012 ? En l’état actuel des choses, je dirais volontiers que ma crainte est la réélection de notre nabot national. Mon raisonnement est le suivant. Ce ne sont pas tant le charisme, le prestige ou l’infaillibilité de NICOLAS SARKOZY qui plaident en faveur de cette hypothèse, que la médiocrité de ses adversaires putatifs.
Mais il y a aussi et surtout, à son service, une machine à conquérir le pouvoir redoutablement huilée et entraînée. Pour reprendre les trois jalons ci-dessus, personne en France, aujourd’hui, ne désire plus ardemment le pouvoir que NICOLAS SARKOZY. La politique, il s’en balance, il s’en fout, il s’en gausse.
La politique ? Mais il la méprise ! Il faut bien s’en convaincre : NICOLAS SARKOZY n’est pas un homme politique. C’est un APPÉTIT. C’est une des raisons qui font qu’EMMANUEL TODD a raison : nos personnels politiques sont incomparablement MEDIOCRES.
Pour lui, la politique se réduit à quelques données fondamentales : MANIPULER, MENTIR, PROMETTRE, ACHETER.
Mentir, ça a commencé très tôt : « Je ne vous mentirai pas, je ne vous trahirai pas ». Manipuler, c’est, par exemple, un homme de droite qui cite JEAN JAURÈS, célèbre GUY MÔQUET, débauche quelques bâtons merdeux du Parti Socialiste (KOUCHNER, BESSON, etc.). Acheter, c’est nommer à un poste prestigieux ou très rémunérateur des gêneurs ou des adversaires possibles. On appelle ça « voie de garage ».
Voilà le seul « credo » politique de NICOLAS SARKOZY. Cet homme (excusez-moi pour le terme, je n’en trouve pas d’autre) a compris l’état de déliquescence au stade terminal dans lequel se trouve le système politique français (l’italien n’est pas mal non plus, et quelques autres). Il a compris qu’il n’y a plus d’idées politiques. Il a compris que le monde actuel est guidé par deux certitudes qui se foutent éperdument de toute doctrine : la GESTION d’une part, et la COMPETITION d’autre part.
Il a compris que le monde actuel est une COQUILLE POLITIQUEMENT VIDE, dans laquelle se contentent de jouer des FORCES voraces, qui n’ont besoin que de gestionnaires très compétents, de bons élèves sortis de bonnes écoles. Pour un tel opportuniste, c’est pain bénit.
Car NICOLAS SARKOZY a un seul objectif : LE POUVOIR. Si ce n’est pas pour le conquérir, c’est qu’il l’a déjà conquis et, avis à la population, qu’il fera TOUT pour le garder. Pour cela, il profite et abuse d’un outil aberrant, mais qui est entré dans les mœurs, au point d’imposer son hégémonie contre toute raison. Je veux parler du tout puissant SONDAGE.
Cette obsession du sondage chez NICOLAS SARKOZY est une preuve suffisante et aveuglante que son premier objectif n’est pas la politique à proprement parler, mais L’IMAGE que la population se fait (ou plutôt dont on lui bourre le crâne) de la politique. Toute l’action de NICOLAS SARKOZY se limite à la construction, à l’élaboration, à la fabrication et à l’invention de l’image de la politique, qui doit se résumer, dans son esprit, à son image à lui.
D’où l’explosion des factures de l’Elysée en dépenses de sondages pullulants et proliférants, fiévreusement décortiqués et analysés. D’où l’explosion du budget que l’Elysée consacre à la « communication » (voir par exemple ce qui s’est passé avec l’arrivée de THIERRY SAUSSEZ à l’Elysée). D’où le verrouillage minutieux et permanent des « éléments de langage » colportés par les équipes du gouvernement et des communicants, et le rappel à l’ordre impérieux des maladroits et des récalcitrants.
Si après les intimidations et menaces diverses, le « bug » insiste et refuse de s’écraser, on fait le ménage, et on débarque sans ménagement le coupable sur quelqu’une des nombreuses îles sécrétées par les institutions de la République (laissez-moi pouffer !), îles aussi désertes que princièrement rémunérées. La promotion éliminatoire est en effet un des procédés favoris de NICOLAS SARKOZY (et soyons jute : de ses prédécesseurs) pour se débarrasser d’un adversaire potentiel (en l’achetant).
Une autre pièce d’importance sur l’échiquier « politique » de NICOLAS SARKOZY : le FOU. Je veux dire, évidemment, le JOURNALISTE, dont il achète l’attention à coup de sièges et de confidences « off the record » dans l’avion présidentiel, ou qu’il punit à l’occasion, comme LAURENT MOUCHARD dit JOFFRIN, à une conférence de presse remarquée. Le principe est le même que pour les publicités BENETTON après le scandale qu’elles ont volontairement déclenché : dites du mal ou dites du bien de moi, je m’en fous, pourvu que vous parliez de moi.
L’important est le positionnement : toujours au centre du foyer (on parle alors de « focalisation »), par exemple en lançant de belles et saignantes polémiques. Etre celui qui suscite reste une des bases de la communication de toute l’équipe de NICOLAS SARKOZY. Le journaliste suivra comme le mouton suit celui qui le précède. Et tout ça est évidemment soigneusement concerté, calculé, supputé dans l’équipe de communication.
Dernier point sur la mécanique de conquête, je n’y insisterai pas : L’entente avec les puissants et les riches. On n’a pas oublié ERIC WOERTH flattant les membres du « Premier cercle » au cours de réunions discrètes et hautement rémunératrices pour les caisses de l’UMP. C’est la litanie bien connue : FOUQUET’S, BOLLORÉ, LAGARDERE, BOUYGUES et compagnie.
Les premiers éléments indiquant que NICOLAS SARKOZY a toutes les chances d’être réélu sont là. Les autres éléments sont exactement en face. Et regardez-les, les éléments-en-face. Un énigmatique monsieur POUTOU clair comme de l’eau de roche : il découle de la LCR déguisée en NPA, lui-même hérité de BESANCENOT. Un JEAN-LUC MELENCHON qui veut faire croire que quoi ? Qu’il est honnête, quand il tempête à une tribune ou sur un plateau de télévision ? A qui fera-t-on croire ce conte de fées ?
Une EVA JOLY bientôt vierge et martyr jetée dans le panier de vieux crabes, qui tâche d’exister en pariant sur l’intransigeance, mais qui est déjà bien abîmée avant même d’être vraiment entrée en scène. Si elle s’appelait JEANNE D’ARC, je parie qu’elle irait faire sacrer le roi à Reims.
Une MARINE LE PEN, autopromue chevalier blanc en lieu et place du chevalier blanc « tête haute, mains propres », et qui défend des « idées », paraît-il, comme ce très improbable retour de la NATION. Si vous voulez mon avis, la nation, si elle n’est pas tout à fait « en trépas », n’est plus tout à fait « en vie ».
Et maintenant, « grelot, grelot, combien j’ai de sous dans mon sabot ? », « last, but not least », le pauvre FRANÇOIS HOLLANDE. Pourquoi « pauvre » ? Je ne parle évidemment pas de son patrimoine : je crois savoir qu’il est supérieur au mien (voir les quelques pages de journaux y consacrées il y a quelques années).
Je parle de la tête qu’il fait sur les photos. On me dira ce qu’on voudra, cet homme, quand il ne fait pas des yeux de bête traquée, a l’air d’un élève de CM 2 récompensé par la maîtresse d’école. A la rigueur, je l’admets comme le comptable de l’entreprise, que le patron vient de remercier chaleureusement pour la clarté de son bilan, à la fin du conseil d’administration. Lui aussi, il essaie de faire croire. Mais quoi ?
Un dernier mot sur la médiocrité de nos personnels politiques. Vous avez forcément remarqué que ce sont TOUS d’excellents élèves, et même des premiers de la classe (regardez bien COPÉ, MONTEBOURG, FILLON, PEILLON ; regardez-les bien tous en version « premiers de la classe »). Ils ont choisi de « faire carrière », aidés en cela par le cumul des mandats.
Ces quelques centaines de membres de l’élite de notre pays qui, droite ou gauche, fonctionnent comme une « famille » sicilienne qui intronise ou repousse qui elle veut, ne font rien d’autre que se partager des gâteaux, même s’ils proclament être « portés par de fortes convictions ». Droite ou gauche, ils sont formatés intellectuellement de façon strictement identique (la caricature, c’est l’E. N. A.).
Vous avez compris pourquoi je crains, en 2012, le retour du nabot.
Voilà ce que je dis, moi.
Question subsidiaire : lecteur attentif, fûté et affûté, sauras-tu deviner l'anagramme dissimulée dans "nabot" ? Quand je te dis qu'il faut craindre le "retour de bâton" !
09:15 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hannah arendt, philosophie, condition de l'homme moderne, politique, société, emmanuel todd, hommes politiques, platon, élection présidentielle, nicolas sarkozy, jean jaurès, guy môquet, kouchner, éric besson, parti socialiste, ump, sondages, élysée, lucien sfez, laurent joffrin, benetton, françois hollande, éva joly, marine le pen
dimanche, 13 novembre 2011
EXTENSION DU DOMAINE DE HOUELLEBECQ
Le titre exact du livre est Extension du Domaine de la lutte. L’auteur s’appelle MICHEL HOUELLEBECQ. Il me semble avoir déjà parlé de lui. Petit livre. Qui fait vraiment dans le modeste : cent quatre-vingts pages, un argument terne. Est-ce que c’est son premier roman ? En tout cas, il est né en 1994. C’est marqué dessus.
Comme dans Plateforme, c’est un narrateur qui est censé tenir la plume. Et le narrateur, à la fin, décide d’en finir. Il a trente ans. Il roule en Peugeot 104, dont il perd les clés. Ça fait deux ans qu’il n’a pas couché. Il vomit facilement après plusieurs vodkas. Il est cadre moyen, analyste-programmeur dans une société (un SSII j’imagine ?) qui lui donne une façade d’existence sociale objectivement acceptable. Et totalement insipide.
C’est un livre sur l’envie de vivre. Ce qu’on appelle, dans les Curricula Vitarum (ben oui, c’est le pluriel), la « motivation ». En fait, c’est la motivation qui est terne. L’envie de vivre est faible. C’est un livre sur le ratage. Mais un ratage mal caractérisé, et pas grandiose du tout : le ratage ordinaire, quotidien, le ratage de tout le monde et de tout le temps, quoi. Une sorte de routine du ratage dont le narrateur a fait son principal vêtement de sortie dans le monde.
Une des pistes qui s’offrirait au narrateur, s’il en éprouvait un début d’envie, ce serait l’écriture. Mais l’écriture d’avance désabusée : « Ce choix autobiographique n’en est pas réellement un : de toute façon, je n’ai pas d’autre issue. Si je n’écris pas ce que j’ai vu je souffrirai autant – et peut-être un peu plus. Un peu seulement, j’y insiste. L’écriture ne soulage guère. Elle retrace, elle délimite. Elle introduit un soupçon de cohérence, l’idée d’un réalisme ».
Ce chapitre 3 pourrait être considéré comme une sorte de « théorie littéraire ». Caractérisée par un rejet dégoûté de la psychologie. De l’anecdote. Et une préférence marquée pour le constat sec. Mais soigneusement sélectionné. Une littérature qui évite de prendre le lecteur par les sentiments. Ici, impossible en effet de s’identifier à cet être falot qui a du mal à exister à ses propres yeux. C’est l’avantage de cette narration neutre et distanciée.
C’est un roman sur le monde modérément et normalement chiant qui est le nôtre. Un monde et des individus face auxquels il est difficile d’éprouver. On dirait parfois un monde qui parodie l’époque où il y eut vraiment de la vie à l’intérieur des gens. Le narrateur : « Je n’aime pas ce monde. Décidément, je ne l’aime pas ». Exactement ce que dit la Valérie de Plateforme.
Le tableau ici n’est pas aussi précis, ni aussi poussé que dans les romans ultérieurs, mais la froideur et le peu d’intérêt sont à l’œuvre. L’univers où évolue le narrateur est défini de façon floue : une entreprise informatique comme il en existe sans doute des milliers. C’est fou ce qu’il y a de « un peu », dans ce livre.
HOUELLEBECQ s’attaquera ensuite à beaucoup plus net et consistant (l’industrie touristique, la recherche en génétique, la création artistique). Ici, il dessine dans ses grandes lignes ce qui deviendra sa « marque de fabrique » (désolé du cliché, mais c’est ça).
Bref, le premier roman d’un véritable AUTEUR.
Voilà ce que je dis moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, extension du domaine de la lutte, plateforme, roman, littérature, société
vendredi, 11 novembre 2011
HYMNE A LA POLITIQUE
(FANTAISIE INACTUELLE)
Il était une fois, au pays des plaisirs,
Des tables très bien mises et des mille loisirs,
Un roi qui s’ennuyait, qui, pour tromper le temps,
Tel un vibrion fou, bougeait à chaque instant.
Tout, en lui, frétillait, bronchait, se démenait,
Tout se contorsionnait, courait, ruait, piaffait.
L’épaule s’agitait, l’œil roulait sur lui-même,
Le corps entier sautait de problème en problème.
Oui, tel un étalon ivre de sa puissance,
Il battait la campagne et parcourait la France,
C’était son obsession, son hobby, sa marotte.
Discourant en usine, ou bien dans les popotes,
Il haranguait la foule en prêchant la vertu,
Pérorant d’abondance en homme convaincu.
Postillonnant ses vérités catégoriques
Il était plein d’orgueil, et un brin fanatique.
« Quoi ! Nous avons élu ce pitre, ce fantoche ! »,
Se lamentait le peuple, indigné du cinoche
Auquel se complaisait le président français,
Se promettant bientôt, après tant de méfaits
Commis en peu de temps par l’odieux personnage,
De le renvoyer paître en ses verts pâturages.
Hélas, trois fois hélas, personne face à lui
Ne semblait en mesure, ou trop peu aguerri,
Ou trop peu sérieux, de pouvoir lui contester
Le fauteuil principal, la place de premier.
Une Marine aura le « front » de la briguer,
Forte de l’oncti-on paternelle héritée.
Mais peut-on se fi-er, sans traumatisme aucun,
A la main inexperte, aux choix inopportuns,
A la vindicte, aux préférences nationales,
Aux xénophobes, aux replis, aux mercuriales ?
Quant à ce triste « Sir », FRANÇOIS quand il lui plaît,
HOLLANDE quand le vent, carrément retourné
Comme un gant de cuir jaune, ou bien comme une couette,
Lui souffle allègrement des airs de girouette,
Voulez-vous faire fond sur ses patelinages,
Ses airs de bon élève, à l’œil de racolage ?
Socialiste aujourd’hui mais libéral demain,
Comment faire confiance à ce Français moyen ?
Flanby, homme propret, conviendrait à merveille
Pour diriger demain l’école maternelle.
Mais lui confier la France ? Perdîtes-vous l’esprit ?
Reprenez-vous, de grâce, admettez mon avis.
Alors voterons-nous pour JEAN-LUC MELENCHON
(Est-il descendant de PATERNE BERRICHON ?*),
Le tribun, l’orateur, le foudre d’éloquence,
Qui jure ses grands dieux de redresser la France ?
La redresser ? Quoi donc ? Mais tous, ils y aspirent.
Tous, ils chantent très fort, rêvent de rebâtir
La Nation forte en gueule et riche de jurons.
Qui leur ferait crédit ? Souffleurs de mirlitons !
Tous porteurs de postiche ! Et tous vrais arlequins !
Prestidigitateurs flétris ! Tous cabotins !
Ils nous la baillent belle, avec leurs grands serments,
Leurs mots définitifs, leurs mirifiques plans !
Pour moi, j’ai dès longtemps délaissé leurs estrades,
Leur grimace à l’air faux et leurs fanfaronnades :
« J’irai chercher Croissance en jouant de mes dents »,
Disait l’autre avorton, ce nouvel Artaban.
Electeur déniaisé, crois-en mon expérience,
Si l’un qui veut la place y voit l’unique chance,
Pour lui, enfin, de naître à la seule existence
Valant d’être vécue, vois, c’est sans importance.
Avec raison, dis-toi qu’il est bien malheureux,
L’homme qui court sans cesse après le fallacieux.
Qu’il entre dans l’histoire, ou qu’il en soit chassé,
Que t’importe sa course ? Que te chaut sa pensée ?
Laisse courir son ambition avec la poudre
Du chemin, vois cette poussière se dissoudre.
Reste chez toi, ferme les yeux sur le spectacle.
Reste bien en repos, nul ne fait des miracles.
Dis-toi : « La vie qu’il a choisie n’est pas la mienne ».
Dis-toi qu’il n’y a pas de promesse qui tienne.
Et la prochaine fois qu’à grands coups, la trompette
T’appelle vers une urne qui fait la coquette,
Crois-moi, reste chez toi, ou bien va à la pêche.
Il faut aussi te cuirasser contre le prêche.
Pour cela, rien de mieux que le lit conjugal,
Donne et prends du plaisir au degré maximal.
Car c’est jusqu’à présent l’un des plus sûrs moyens,
Sans vouloir être un poids pour ses contemporains,
D’accéder au bonheur simple d’être vivant.
En attendant la mort, profitons du bon temps.
* PATERNE BERRICHON fut le beau-frère et l'éditeur d'ARTHUR RIMBAUD.
NOTE À BENNE : en ce 11 novembre, ayons une pensée pour les victimes du génocide européen de 1914-1918. Vous pouvez faire un petit détour par les articles que je leur ai consacrés en 2007 sur mon blog KONTREPWAZON. Vous cliquerez sur la catégorie Monuments aux morts (colonne de gauche).
On peut aussi s'arrêter dans les villages, pour voir le nombre de noms de la même famille qui sont gravés sur le flanc ou sur la face du monument. Il y eut, en tout et pour tout, dix-sept communes qui n'eurent pas à graver les noms des garçons du patelin sur le monument aux morts. Ils n'érigèrent même aucun monument. Parce qu'aucun garçon, ou bien ne fut appelé, ou bien ne fut tué.
Certains grands généraux français firent pilonner la tranchée française de première ligne, pour obliger les poilus à attaquer. Il leur suffisait de donner l'ordre à l'artillerie (française) de raccourcir ses tirs. Ce sont autant de CRIMES DE GUERRE.
Le souvenir de ces criminels qui ne furent jamais jugés me fait irrésistiblement penser aux grands généraux européens qui, en cet instant même, dirigent les opérations, dans la guerre qui se mène aujourd'hui contre l'Europe. Ils sont en train d'ajuster les tirs de l'artillerie financière sur les tranchées où se sont réfugiés les peuples.
Quel avenir pour les peuples européens ? Jugera-t-on les criminels ?
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, littérature, politique, société, nicolas sarkozy, france, françois hollande, télévision, jean-luc mélenchon, paterne berrichon, arthur rimbaud
mercredi, 02 novembre 2011
LISEZ "GULLIVER" (suite et fin)
Les considérations sur les dimensions ne sont pas inintéressantes en soi, à cause de l’effet de relativisme produit par rapport aux normes physiques du monde humain. L’idée a ensuite été souvent reprise par des romanciers, pas seulement dans la science-fiction : on se souvient du très court séjour fait par Tintin sur le rocher abîmé dans l’océan Arctique, dans L’Etoile mystérieuse, où il est confronté à une araignée géante, bientôt elle-même détruite par une pomme géante.
De Lilliput à Brobdingnag, on passe donc d’une humanité-jouet accueillant un géant somme toute bienveillant à un jouet humain débarquant chez des gens de taille « normale », où, potentiellement, tout lui devient une menace. L’effet de contraste est assez drôle et réussi.
A Brobdingnag, Gulliver est donc confronté aux hommes, mais aussi à des animaux qui, tous, le considèrent comme un gibier : ce sont tour à tour des guêpes (« Ces insectes étaient gros comme des perdrix »), une grenouille, un singe gros comme un éléphant, un chien qui le saisit dans sa gueule.
Il n’est pas jusqu’au nain du souverain – qui mesure 30 pieds (10 mètres) de haut – qui ne le menace en le jetant dans une jatte pleine de lait ou en secouant un pommier nain au-dessus de lui. Et quand il marche dans une bouse de vache, il en a jusqu’au-dessus du genoux.
Le meilleur ébéniste du royaume a été mis à contribution pour construire une maison aux dimensions de l’invité, destinée à être posée sur la table, et une « boîte de voyage » : on entre alors dans de véritables « maisons de poupée ».
C’est d’ailleurs dans la dite boîte qu’il quitte Brobdingnag, bien malgré lui, puisque brutalement emporté dans les griffes d’un aigle gigantesque qui, attaqué dans son vol, lâche sa proie. C’est dans ces conditions qu’il est repêché par un navire britannique et ramené à bon port. Mais il a juste le temps de retrouver les siens et de faire un enfant à sa femme : le voilà reparti.
Ce qui est rigolo, c’est que SWIFT se soucie extrêmement de varier les situations dans lesquelles Gulliver débarque en terre inconnue. Il aborde à Lilliput seul survivant de l’équipage du navire écrasé contre un rocher. Il découvre Brobdingnag après avoir débarqué en chaloupe pour « faire de l’eau » et s’être vu abandonné de ses camarades paniqués par l’apparition d’un géant.
Ce sont des pirates qui attaquent son navire et le débarquent au pays de Laputa, et des marins mutinés qui le débarqueront en terre des Houyhnhnms. Le lecteur ne saurait donc se plaindre de monotonie ou de procédé abusif : tout reste « vraisemblable ». On peut quand même se dire que Gulliver n'a vraiment pas de chance.
Si les deux premiers voyages confrontent Gulliver à des humains en réduction ou à la taille multipliée, les deux derniers inventent des peuples de la plus haute excentricité, quoiqu’opposés entre eux. Pour Laputa, JONATHAN SWIFT invente, un siècle et demi avant les anticipations de JULES VERNE, une île volante.
Le secret de l’île ? D’abord un diamant poli, taillé en plateau, d’un diamètre de plus de 7 kilomètres, sur lequel est bâtie la cité royale. Ensuite « une pierre d’aimant d’une grandeur prodigieuse, taillée en forme de navette de tisserand », autrement dit une boussole précieuse et démesurée, qui permet de faire varier la hauteur et de mouvoir l’île dans la direction souhaitée.
La population est assez folklorique, à tout point de vue : tout le monde a la tête penchée à droite ou à gauche, et « un œil tourné en dedans, et l’autre vers le ciel ». Sur leurs habits sont figurés des astres, lunes, soleils, étoiles. Ils sont tous astronomes, musiciens, géomètres, mathématiciens et astrologues.
Chaque seigneur est accompagné d’un « frappeur » qui, tenant une vessie remplie de pois secs accrochée au bout d’une perche, a pour mission, en présence de quelqu’un d’autre, de frapper l’oreille ou la bouche de son maître, pour lui rappeler qu’il lui faut écouter ou parler.
Car ces gens sont plus distraits que le professeur Cosinus en personne, toujours plongés dans une profonde méditation scientifique et des calculs mathématiques tous plus savants les uns que les autres. La nourriture elle-même est méticuleusement présentée sous forme de volumes géométriques (« une pièce de bœuf sous la forme d’un rhomboïde ») ou d’instruments de musique.
Ici comme dans les autres pays visités, Gulliver se met en devoir d’en apprendre la langue. A Lilliput, il apprendra les mots glumgluffs (l’unité de mesure locale), hekinah degul, nardac (titre de noblesse supérieur à celui du trésorier, qui n’est que glumglum). La capitale de Brobdingnag, Lorbrulgrud, mesure trois glomglungs (= 72 kilomètres à vue de nez) de long.
Pour les habitants, Gulliver n’est qu’un relplum scalcath (= jeu de nature). Il est bon de savoir ces choses, on se sent tout de suite rassuré. A Laputa, on parle le balnibarbien, évidemment, dont voici un échantillon : « Ickpling gloffthrobb … » (= puisse votre célèbre Majesté …). J’allais le dire.
Les femmes rêvent de descendre de leur île pour aller « s’émanciper » à Lagado, la capitale du royaume, mais il leur est très difficile d’en obtenir l’autorisation : on raconte qu’une épouse de ministre fut recherchée et trouvée en compagnie d’un laquais très laid avec lequel elle faisait mille folies, et auprès duquel elle retourna quand elle eut été ramenée de force. Bref, l’horreur. Gulliver ayant eu l’occasion de s’y rendre, il observa que toutes les maisons était mal bâties, de guingois, sans aucun angle droit, parce que les architectes se moquaient de toute symétrie, et de toute verticalité.
Moralité : ils sont fous, ces Laputiens ! Après un petit séjour au royaume de Luggnagg, dont il découvre les struldbruggs, il se rend au Japon, où il trouve un navire pour rentrer en Angleterre et accroître sa famille au moyen du ventre de son épouse (« Je laissai ma pauvre femme enceinte », dit-il en partant pour son dernier voyage).
Après la mutinerie déjà évoquée, il se retrouve donc chez les Houyhnhnms. Cela revient à dire : après les plus cinglés (les Laputiens), les plus sages des êtres. A ceci près que ce sont des chevaux. Ils n’ont rien dans leur vocabulaire qui soit à même de désigner la haine ou le mépris. Ces « chevaux » sont gouvernés par la raison et rien d’autre.
Autrement dit, ils n’ont jamais la moindre ombre de mauvaise pensée, ignorent ce qu’est un mensonge, bref, une humanité à l’envers. Quand l’un d’eux meurt, ni lui, ni ceux qui lui survivent ne sont tristes ou joyeux : la mort est le dénouement neutre d’un processus logique. La vie et la mort font partie des lois naturelles.
Les Houyhnhnms sont un peuple qui ignore donc jusqu’à l’idée de sentiment. Le seul dégoût qu’ils éprouvent est à l’encontre des « yaouhs », de hideuses créatures marchant sur deux pattes, impossibles à domestiquer et à améliorer, et ressemblant furieusement à Gulliver lui-même. Comment cette espèce est-elle arrivée dans le pays ? Personne n’en sait rien. Les Houyhnhnms se contentent d’utiliser leurs services pour tirer leurs charrettes et de prélever leur cuir une fois qu’ils sont morts, pour en faire divers objets utiles.
Le pauvre Gulliver est tellement subjugué par l’univers de Houyhnhnms qu’il se met carrément à leur école, avec l’intention de rester définitivement dans le pays. Mais l’assemblée en décide autrement : il est forcément un yaouh, et il doit disparaître, soit en se fondant dans la population de ses hideux semblables, soit en regagnant son pays à la nage. Son maître accepte cependant de lui laisser fabriquer une embarcation pour quitter le pays.
La mort dans l’âme, il s’éloigne donc. Mais il n’est pas au bout de ses peines, car il est tellement traumatisé par le souvenir des abominables yaouhs, qu’une fois rentré à la maison, il ne supporte absolument plus le voisinage, l’aspect et l’odeur de ses semblables. La description que fait SWIFT de ce déni fait de la fin du livre un document quasiment psychiatrique sur une pathologie digne d’enfermement. C’est assez curieux.
C’en est au point que quand sa femme l’embrasse, il s’évanouit. Il est encore sous le choc de la hideur des yaouhs : « Et quand je songeais que par mon union avec une femelle yaouh [soigneusement passée sous silence] j’étais devenu le père de plusieurs de ces animaux, je me sentais pénétré de honte et d’horreur ». Ce n’est certes pas un livre pour enfants.
Toujours est-il qu’il a le plus grand mal à se réacclimater à son pays et à son environnement : « La première année [après son retour], je ne pouvais endurer la vue de ma femme et de mes enfants, et leur odeur me semblait intolérable ».
Il compense le grand déplaisir éprouvé en famille par une grande familiarité avec deux chevaux qu’il a achetés et mis dans son écurie, non pour les monter, mais pour causer avec eux « au moins quatre heures par jour ». Le livre s’achève sur un plaidoyer « pro domo », où l’auteur réaffirme haut et fort la véracité de ses récits et son profond dégoût pour certains aspects de l’humanité : « Mais quand je vois un monde de difformités et de maladies du corps et de l’esprit toutes engendrées par l’orgueil, la patience m’échappe ; il m’est impossible de concevoir comment un pareil vice et un pareil animal peuvent aller ensemble ».
Le livre aurait pu s’intituler : « Comment on devient misanthrope ».
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mardi, 01 novembre 2011
LISEZ "GULLIVER"
Si vous croyiez que c’est le roi des livres pour enfants, c’est que vous n’avez pas lu le livre de JONATHAN SWIFT, plus célèbre que vraiment connu. Le héros s’appelle exactement Samuel Gulliver. Le titre exact ? Voyages de Gulliver dans des contrées lointaines. « Contrées lointaines » faisant référence à une époque où les zones de blanc sur les cartes du monde étaient encore plus étendues que les zones dûment renseignées. Et ce n’est pas Gulliver qui a pu faire progresser la géographie du globe, puisque il ne sait pas, et pour cause, dans quelles zones de blanc il a atterri.
Je viens de lire ce livre. Je croyais donc très bêtement, comme beaucoup de gens sans doute, que c’était un héros pour les enfants. Sur la base bien compréhensible des innombrables éditions illustrées à destination des petits, où seul apparaissait le pays de Lilliput. On voit bien la raison d’un tel succès : ce petit homme qui fait du toboggan dans la chevelure de ce géant immobilisé au sol par des milliers de fils, c’est l’enfant lui-même qui se rêve. On connaît aussi peut-être la gravure montrant l’armée entière de l’empire de Lilliput défilant entre les jambes du géant.
Là s’arrêtent les possibilités d’identification de l’enfant au monde de Lilliput. Qu’on se le dise : Gulliver n’est pas un livre pour enfants, et sa lecture serait pour lui un abominable pensum. Au reste, Gulliver sera contraint de fuir Lilliput, où il risque la peine de mort. Je dirai plus loin pour quel motif inavouable. La mort aurait été infligée au moyen de milliers de flèches minuscules, dont les pointes microscopiques auraient été empoisonnées, si le héros n’avait faussé compagnie aux Lilliputiens pour se rendre dans l’île rivale de Blefuscu.
Il importe évidemment que le héros soit sauvé parce que, d’une part, il a encore trois voyages lointains à accomplir, et que d’autre part, il lui faudra, une fois accomplis tous ses périples, publier le récit circonstancié de son séjour dans chacune des quatre contrées mystérieuses. Au total, il aura passé quinze ans hors de son foyer, loin de sa patrie, ne rentrant chez lui, finalement, que pour embrasser ses enfants et en accroître le nombre en s’occupant de son épouse.
Soit dit en passant, une telle fidélité et, pour dire la chose, une telle abstinence, a quelque chose d’absolument effrayant, puisqu’il n’a d’activité sexuelle que légitime, c’est-à-dire « at home », c’est-à-dire tous les trois à cinq ans, comme un chasseur de baleines du temps de la marine à voile. Il aura effectué trois de ses voyages comme chirurgien du bord, le dernier comme capitaine de vaisseau, ce dont d’ailleurs mal lui a pris.
Il est vrai que les femmes de Lilliput auraient pu, à peu de centimètres près, se loger dans son prépuce ; que celles de Brobdingnag l’auraient englouti dans n’importe lequel de leurs orifices ; et qu’il dédaigna de « serrer de près » les femmes de Laputa, alors que l’occasion s’en fût présentée s’il l’eût voulu, leurs maris les trompant à longueur d’année avec des équations mathématiques du plus haut niveau d’abstraction.
Quant aux femelles « yaouh » du pays des Houyhnhnms (celles qui ressemblent le plus aux femmes que nous connaissons, à quelques détails près), elles auraient volontiers fait de Gulliver leur quatre-heures, mais elles, pourtant réglementairement munies des deux bosses devant, deux derrière, et du trou au milieu, lui inspiraient une telle horreur, entre autres olfactive, qu’il les fuyait de toutes ses forces. Il avoue cependant vers la fin qu’il a eu un « commerce » avec l’une de ces femelles. Telles sont donc les quatre « contrées lointaines » : Lilliput, Brobdingnag, Laputa et pays des Houyhnhnms.
Mais revenons à Lilliput. Il faut savoir qu’une haine inexpiable s’est élevée entre ce pays et son rival de Blefuscu, qui se croient les deux seuls empires de tout l’univers. Conflits pour des raisons anciennes et obscures, mais aussi pour deux plus récentes : deux conflits irréconciliables se sont fait jour à Lilliput. Laissons de côté celui opposant les partisans des talons-hauts à ceux des talons-bas, qui perdure de nos jours, si le reporter du Monde n’a pas tout puisé dans son imagination ou dans ses bouteilles de breuvages fermentés. Il paraît même que certains présidents de républiques bananières optent délibérément pour des talons-très-hauts, sans doute pour éviter que leur nez ne donne directement dans l'entrecuisse de leur épouse..
Intéressons-nous donc à la guerre sans merci que se sont livrée, en des temps pas si anciens, les gros-boutiens et les petit-boutiens. C’est très important. Car la tradition, et donc les autorités politiques, imposent, quand on mange un œuf, de l’attaquer par le petit bout. Tout le monde sait ça, voyons. Tout le monde doit se plier. Car c’est non seulement une tradition, et en tant que telle rétive à toute tentative de « modernisme », mais encore une loi pénale. Toute autre manière est donc décrétée hérétique et entraîne ipso facto la mort du coupable. Il y a donc eu un gros massacre de gros-boutiens.
Leur exil sur Blefuscu, ajouté aux visées expansionnistes de l’empereur, constitue une menace pour Lilliput. Bon, je ne vais pas résumer, je sens que ça va m’ennuyer. Je préfère déambuler au gré du vent. Au fait, je ne vous ai pas dit pourquoi Gulliver est condamné à mort. C’est très simple : un soir où le château impérial de Lilliput est en train de brûler, Gulliver intervient, défait sa braguette, sort son instrument pissatoire et pisse si abondamment sur les flammes « qu’en trois minutes, le feu fut tout à fait éteint ».
Malheureusement, pisser dans l’enceinte du château est un crime de lèse-majesté. Il est probable que l’impératrice a, au surplus et à l’occasion, aperçu la gigantesque pompe à incendie qui pend au bas-ventre de Quinbus Flestrin (nom de Gulliver en langue lilliputienne), et qu’il a mise en œuvre en sa présence : on comprend qu’elle ne se soit pas remise de sitôt de la violente commotion. Ajoutons à cela, avec d’autres griefs mineurs, que le dit Quinbus Flestrin n’a pas obtempéré à l’ordre de l’empereur de réduire Blefuscu à l’état de simple province de Lilliput, après avoir, à lui seul, privé l’ennemi de toute sa flotte de combat.
Moralité du voyage à Lilliput : voilà un simple univers humain en réduction, muni des mêmes tares (rapacité, cupidité, haine, volonté de puissance, etc.). Inutile de dire que Gulliver retrouve sa patrie, ses deux enfants et sa chère femme, enfin, pas si chère que ça, puisque deux mois à peine après son retour, il repart, l’ayant lestée de celui qu’il embrassera sans faute à son prochain retour. Il a auparavant gagné pas mal d’argent en exhibant des bestiaux miniatures sortis de ses poches à son retour de Blefuscu. Mais il y a décidément l’irrésistible appel du large. « Je montai courageusement à bord de L’Aventure. »
A Brobdingnag, pour bien faire le pendant du premier chapitre, les enfants mesurent à peu près douze mètres de haut. La preuve se trouve sur l’affiche du spectacle du « nain des nains », offert à la curiosité du public, qui stipule expressément que « les enfants mesurant au-dessus de 35 pieds paieront place entière » (ça, c'est l'illustration de Granville). Mais comme à Lilliput, Gulliver, grâce à ses multiples talents, s’attire la bienveillance du souverain et de son entourage : il est, à la cour, aussi confortable que chez lui. Plus courtisan que Gulliver, tu meurs !
JONATHAN SWIFT, qui a une réputation de pamphlétaire, s’entoure bizarrement de précautions oratoires parfois interminables pour faire entendre au lecteur qu’il ne faut surtout pas croire que, au cours de ses longs entretiens avec ses protecteurs étrangers qui s’informent du pays d’où il vient, il porte un jugement sur l’Angleterre, ou que c’est lui qui prend parti. Prudence élémentaire à l’époque, sans doute. J’avoue cependant que c’est une lourdeur du livre. Mais certaines flèches sont bien envoyées quand même, sur les juges, sur les femmes, sur le peuple ou la politique.
Car l’intérêt des séjours de Gulliver réside essentiellement, pour JONATHAN SWIFT, dans les descriptions comparées des mœurs et coutumes et des institutions politiques en vigueur en Angleterre et dans le pays visité. C’est évidemment le procédé du repoussoir exotique, qui montre en creux tous les aspects de son propre pays que l’auteur veut soumettre à la critique (voir Les Lettres persanes, L’Ingénu, etc.). Cette manière de faire est visiblement dans l’air du temps (Gulliver et Lettres en 1721, L’ingénu en 1767).
A suivre …
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dimanche, 30 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (3)
EPISODE 3 : le « Monde » de l’ « Enfance »
Deuxième petite parenthèse (coruscante).
La grande HANNAH ARENDT dit, dans La Crise de la culture (chapitre V), que « l’enfance n’est qu’une phase transitoire ». Or, constate-t-elle, « ce qui précisément devrait préparer l’enfant au monde des adultes, l’habitude acquise peu à peu de travailler au lieu de jouer est supprimée au profit de l’autonomie du monde de l’enfance » (p. 236).
« L’autonomie du monde de l’enfance », ça veut dire qu’on fait de l’enfance un monde à part, qui a son existence propre, en dehors de la vie ordinaire, un peu comme une icône. En quelque sorte, on fait comme si l’enfant existait, non comme une future personne en construction, un être inachevé, comme une maison qui attend l’intervention du maçon et du plâtrier-peintre pour devenir habitable, mais comme un « en-soi » déjà abouti, immuable, distinct, définitif. HANNAH ARENDT dit même qu’on « tend à faire du monde de l’enfance un absolu ». Etant entendu qu’il s’agit de l’absolu du jeu.
Mais bande de malheureux, il n’y a pas de « monde de l’enfance » ! C’est l’invention d’adultes mal mûris, nostalgiques d’un temps qui ne leur paraît désirable que parce qu’ils l’ont oublié, comme ils ont oublié tout ce qu’ils vécurent alors au quotidien. La frustration ou l’excès d’ « amour ». L’angoisse qui en découle. Le sentiment d’injustice, d’incompréhension. Le désir d’être « grand » tout de suite, pour avoir l’air aussi sûr de soi qu’ont l’air de l’être les « grands ».
Ou au contraire de ne pas grandir et de retourner là d’où on vient, quand on jouissait de l’évidence du bonheur sans savoir que c’était ça, le bonheur. Mais que même ça, et surtout ça, c’est une illusion et un mensonge, puisque après, ce n’est plus vrai, et que c’est fini à jamais.
« Vivre son enfance », pour l’enfant, c’est le dernier de ses soucis. Il ne se préoccupe de rien d’autre que de vivre, de faire face, de jour en jour, comme tout le monde, aux épreuves à son échelle qui l’attendent. L’enfant, il ne saurait pas qu’il est un enfant, si on ne le lui serinait pas. Il ne se vit pas comme tel, mais comme simple être vivant. « Enfant », pour lui, c’est un mot abstrait. Quasiment vide de sens.
C’est pour ça qu’il serait bon de gifler ou, au moins, de torturer à mort tous ceux qui, face à un bébé, à un enfant, se mettent à faire les niais, à bêtifier et faire des grimaces. Dans leur esprit, c’est ainsi qu’on « se met à la portée » : en devenant le singe et la caricature. Je pense à ces deux pages de GOTLIB, dans les Dingodossiers, où le tonton fait l’imbécile en train de fondre devant le berceau du poupon et dit : « Qu’il est mignon ! ». Le poupon en question se redresse, hilare, en pointant le pouce : « Qu’il est bête ! ».
Fin de la parenthèse coruscante.
Cela donne lieu à des manifestations comiques. Je pense en particulier aux pages locales de la P. Q. R. (Presse Quotidienne Régionale), toujours très attentive à ce que les « grands » font pour les « petits ». Vous avez vu, ça se bouscule, c’est tous les jours, dans les pages locales. On les sensibilise à TOUT. AUCUNE des graves préoccupations de l’âge adulte ne doit échapper à l’entreprise de sensibilisation. Parce qu’il se dit, l’adulte, dans sa candeur, que l’enfant ne le deviendra jamais assez tôt, adulte. Pourquoi, alors, lui épargnerait-on les questions graves ?
Alors, pour « sensibiliser », comme ils disent, voilà de quoi on leur cause, aux petits : pollution, tri des déchets (« sélectif » pour réviser la définition du pléonasme), souffrance animale, justice, tabagisme (et autres problèmes de santé publique), comment bien se nourrir (juste avant la faim dans le monde), gestion des affaires publiques (c’est le « conseil municipal des enfants », et il y eut même une opération « Sénat des enfants »), et j’en passe. Ici, on les fait courir en solidarité avec les enfants du Burkina Faso. Là, on leur fait « vendre-de-charité » des babioles contre le paludisme. Ça n’arrête pas.
Vous trouvez que c'est des questions pour les enfants, vous ?
Le fin du fin ? « Monsieur le Maire, quelles actions envisagez-vous en direction des enfants pour les sensibiliser aux risques encourus au contact de pervers pédophiles ? » Ce n’était pas exactement formulé comme ça, mais il s’agissait quand même, dans cette information, d’inciter les enfants (de primaire, il me semble) à la prudence face aux adultes dans le domaine sexuel. Je ne sais pas si vous « mordez le topo, les aminches » (San Antonio).
On leur expliquait ce qu’ils risquaient si un adulte se montrait un peu trop « attentionné » envers eux. Vous avez vu la bombe que dissimule le joli mot de « pédophile ». C’est le mot à la mode. C’est parce qu’il est à la mode qu’il en impose, qu’il intimide, qu’il cloue le bec. En réalité, « pédophile », ça veut dire « qui aime les enfants ». Φιλία (philia), ça veut dire « affection », par exemple entre deux vieux époux. Quand il y a du sexe, on parle d’ερως (érôs), qui a donné « érotisme ». Que serait un instituteur qui ne serait pas « pédophile » ?
Pourquoi n’a-t-on pas gardé « pédéraste », mot qui s’applique exactement à l’adulte qui aime particulièrement les enfants pour ce qui est de ses jeux sexuels ? Ah, on me dit que son apocope (désolé, c’est comme ça qu’on dit), « pédé », est désormais une injure ? Mais à ce moment-là, il suffit que le code pénal criminalise non la « pédophilie » mais la « pédérastie ».
Ah, monsieur Grand Robert me dit dans mon oreillette que le mot désigne, « par ext. toute pratique homosexuelle masculine » ? Et celle-ci n’est plus punissable ? Dans ce cas, la seule question qui se pose est de savoir comment désigner un adulte qui aime vraiment les enfants. « Pédagogue » est déjà pris, mais surtout, il désigne celui qui « fait avancer » l’enfant. Non, vraiment, je ne vois décidément que « pédophile » pour qualifier le métier d’instituteur : « Qui fait preuve d’affection envers les enfants ».
Qu’est-ce que c’est, un adulte trop « attentionné », dans la réalité ? Et surtout qu’est-ce que ce sera dans la tête de l’enfant, après une telle « sensibilisation » ? Le parent qui embrasse son gamin sur la bouche, comme l’habitude semble s’en être maintenant généralisée ? L’adulte qui le prend familièrement sur les genoux ? Et qu’est-ce qu’elle fait, exactement et précisément, la mère, devant la table à langer, quand le lardon sort du bain tout propre et tout parfumé, qu’il lui prend l’envie de le croquer ? Franchement, va-t-il falloir mettre un flic derrière tous les parents pour guetter le moindre geste un peu trop « attentionné » ?
Honnêtement, je me demande quelle image peut se former dans la tête de ces gamins après une séance de « sensibilisation », et sous quel jour leur apparaîtra leur éducateur préféré. Si l’on voulait lui enseigner la peur de l’adulte (aux activités assimilées à une sorte de pourriture infecte), la méfiance généralisée et, en fin de compte, le refus pur et simple d’apprendre quoi que ce soit ; si on voulait le dégoûter de manifester la moindre ébauche d’envie d'apprendre, par peur de risquer gros dans ses parties les plus vulnérables et les plus intimes, on ne s’y prendrait pas autrement.
J’arrêterai là sur les « actions publiques en direction des enfants ». Ce que ne disent jamais leurs promoteurs, c’est que les dites actions leur servent exclusivement à se donner un peu de lustre, accessoirement à fabriquer des souvenirs pour les albums de famille, et à donner un peu de travail aux photographes de la presse régionale. Car si quelqu’un attend de ces actions une quelconque valeur éducative et formative, c’est que quelqu’un se fout du monde. Appelez ça « opérations de propagande », « événements publicitaires », « animations récréatives », tout ce que vous voudrez.
A la rigueur, cela pourrait avoir une valeur éducative s’il y avait ne serait-ce qu’un atome de continuité et de structure dans ces actions. Autrement dit, s’il s’agissait d’une matière d’enseignement. Là je veux bien. Mais un tel saupoudrage ! Autant en emporte le vent. De toute façon, rien ne rentre dans le crâne si ce n’est pas rabâché, c’est bien connu.
Finalement, les propos de HANNAH ARENDT cités au début apparaissent complètement paradoxaux : d’un côté, on fétichise l’enfance, on la met sur un piédestal, on la célèbre, on lui écrit une « Déclaration des droits de l’... » (texte ultra-juridique de l’ONU affiché dans toutes les salles de classe et aussi compréhensible que la défunte « Constitution Européenne »). Bref, on idéalise l’enfance en tissant un cocon protecteur autour de son « espace enchanté ».
Et en même temps, on jure dur comme fer qu’on veut la préparer à devenir adulte et, ce faisant, on lui fait entrevoir l’âge adulte comme un monde difficile, voire impossible, angoissant, etc. Et je ne parle pas de ce que les enfants peuvent voir à la télévision ou sur internet. De toute évidence, la paroi censée isoler l’enfance est de plus en plus poreuse.
Et c’est le temps où, chez les adultes, on assiste à des séances de promotion de ceux qui ont « su garder une âme d’enfant », qui « laissent vivre en eux la part d’enfance » qui ne les a jamais quittés. Cette tendance est rendue visible, là encore, par des modes qu’il est difficile de critiquer sans passer pour un vieux con. J’assume bien entendu le risque, en me plaçant sous l’autorité et le haut patronage de saint ROLAND TOPOR, qui écrivit naguère Les Mémoires d’un vieux con.
Je ne peux m’empêcher de m’amuser au spectacle de toutes les roulettes sur lesquelles se juchent les vivants d’aujourd’hui pour se déplacer dans les villes, si possible sur les trottoirs, pour bien faire sentir au piéton que c’est lui, l’anomalie. Mais je pense aussi aux jeunes parents qui, ne pouvant se résoudre à délaisser le temps heureux et insouciant où ils étaient étudiants, traînent leur bébé et / ou leur mouflet au café, ce lieu éminemment éducatif, comme chacun sait. Encore plus net, je pense à l’empire exercé par le JEU sur la vie d’un nombre de plus en plus effrayant d’individus supposés « sortis de l’enfance ».
A suivre ...
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vendredi, 28 octobre 2011
L'ENFANT ÜBER ALLES (1)
EPISODE 1 : la caisse du supermarché
Cette chronique n’abordant que les sujets les plus graves et les plus vastes, nous parlerons aujourd’hui de l’enfant (cette phrase se veut un petit hommage au grand ALEXANDRE VIALATTE). Et s’agissant de l’enfant, chacun conviendra qu’il n’y a rien de mieux que la caisse de supermarché pour l’observer « en action », dans la mission que lui a confiée le commerce industriel : vaincre la résistance de la ménagère, en général sa propre mère, ce qui en fait d'emblée un traître en puissance.
Car si l’espace du supermarché, en soi, dévoile l’intention stratégique de son organisation (« coco, tu te débrouilles comme tu veux, mais à l’arrivée à la caisse, je veux que la longueur de la liste rédigée chez elle, sur un bout de papier et un coin de table, ait au moins triplé ! »), la caisse en est le couronnement. Cette cerise est bien vissée sur ce gâteau.
Vous savez sûrement que tout « bon musulman » doit impérativement accomplir au moins une fois dans sa vie le « hadj » (pèlerinage à La Mecque, dont le coût actuel, dans le bas de la fourchette haute, se monte à environ 5.000 euros par personne, je le sais de première main, c'est KHALED qui me l'a dit).
Le « hadj » du consommateur, c’est moins cher, mais c’est toutes les semaines, si possible le même jour de la semaine, pour garder les points de fidélité, de repère et de comparaison, et si possible le samedi matin, pour bien se souvenir que les autres ont une existence concrète, principalement au moment de faire la queue à la caisse. Ce voyage dans la Mecque de la consommation permet de révéler, à travers une petite scène du quotidien, le plus élaboré de tous les protocoles du commerce industriel, le plus prévisible, mais aux péripéties concrètes indéfiniment renouvelées : l’arrivée de la petite famille à la caisse.
Car la caisse est le piège, le cul-de-sac, la nasse, l’impasse, comme sont tous les péages. Arrêt obligatoire et patience vivement conseillée. Il faut l’avoir vue se dérouler, la scène : la maman (en général, c’est elle, mais on voit parfois un papa) pousse le chariot, qu’elle vide sur le tapis de caisse, après l’avoir rempli et avant de le remplir à nouveau pour le vider dans le coffre de la voiture (on ne s’en lasse pas, que ça devrait être considéré comme un loisir), et ce n’est pas fini. On ne le dit pas assez : le consommateur-en-supermarché est un manutentionnaire qui, non seulement travaille pour les beaux yeux de la princesse, mais en plus qui achète le droit de travailler.
Maintenant, mettez un gamin dans le siège du chariot (tout est prévu). Le gamin, son métier, c’est de regarder autour de lui. Et qu’est-ce qu’il voit, posé devant ses yeux, à portée de sa charmante et innocente menotte potelée quand le chariot arrive à la caisse ? Evidemment bien sûr : LE TEST. Grandeur nature. Juste à la bonne hauteur. Bien en évidence dans des présentoirs avenants.
Donc des boîtes d’épinards ou de fayots, ça ne risque pas. Rien que des saloperies délicieuses, ou bien des cochonneries sucrées, ou alors des pacotilles suaves, et même des camelotes exquises, bref, des merdailles au goût délectable. Rien que des trucs défendus par le coran (euh non, aux dernières nouvelles, je me trompe ; sûrement un oubli du prophète, ce qui prouve d’ailleurs l'amateurisme de ceux qui se fient à lui). Rien que des trucs défendus par le docteur – mais celui-là je l’aime pas parce qu’il fait les piqûres.
Rien que des trucs défendus par papa et maman quand on les a pas encore trop épuisés, mais on va les avoir à l’usure, on n’est qu’au début de l’échauffement, ils vont voir à qui ils ont à faire. « Rien que des trucs défendus », on a compris que ça veut dire : « Rien que des trucs éminemment désirables ». Dans « désirables », comprenez : « A saisir coûte que coûte ».
Poussant son chariot, la femme sait. Depuis l’entrée du magasin, elle tremble, car elle sait ce qui l’attend. Elle sait que le magasin « l’attend à la sortie », comme on dit. Autant dire qu’elle s’approche à regret de ce moment inéluctable de la corvée, de cette épreuve terrible et décisive pour les nerfs et l’autorité. Elle se prépare à résister : aujourd’hui je ne céderai pas, je ne céderai pas, je ne céderai pas.
Elle doit donc s’armer de fermeté pour résister à la coalition conclue entre son angelot et le magasin. Mais certains loupiots, même tout seuls, ils ont un pouvoir terrifiant. Il y en a qui ont un coffre, on ne se douterait pas à les voir. Le chérubin, quand il vient au supermarché, il vient armé. Et son arme, presque imparable, quand la mère affiche fermement sa décision de fermeté, c’est le DECIBEL.
Ça n’a l’air de rien, un décibel, comme ça, quand il est tout seul. « Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup que ça ne va plus. » Je cite monsieur BRICE HORTEFEUX, un homme très bien, malgré qu’il ait le teint rouge. Le décibel isolé, il a tellement peu de poids, autant dire qu’il n’existe pas. Mais attention, quand il vole en escadrille, c’est l’arme fatale. Et certains mioches ont un pont d’envol particulièrement large, et ils arrivent à faire décoller cent ou cent dix décibels en même temps. Pas le seuil de douleur, mais pas loin.
J’en ai vu un, une fois, on l’aurait mesuré, je suis sûr qu’il était à cent douze ou cent seize. Virgule cinq. Essayez, pour voir : insoutenable. Le truc imparable du bourreau qui a derrière lui deux siècles d’expérience. Le blondinet qui découvre la puissance dévastatrice de son missile sonore embarqué, cette arme de destruction massive, il peut tout demander, ou presque. Il met la machine en route et, après un galop d’échauffement, envoie le projectile. Si le parent tient bon, c’est soit qu’il est héroïque, soit qu’il est un robot, soit qu’il est sourd. Disons-le, la plupart du temps, c’est la victoire en rase campagne, avant même qu’il ait envoyé ses mégatonnes.
Mais il faut le comprendre, le lardon. Il sait que le magasin est de son côté. Il le lui a assez répété à la télévision : « Je suis ton ami, mon petit. Je fais tout pour te rendre heureux. Pas comme ces égoïstes de parents qui n’ont qu’une idée en tête : te restreindre, t’imposer des limites. Regarde toutes ces bonnes choses. Vas-y à fond, tu verras, c’est nous, toi et moi, qui sommes les plus forts ». Le merdeux, il n’aime pas ça, les limites. Pourquoi ça, des limites ? Ce qu’il déteste dans ses parents, ce sont les limites qu'ils lui imposent.
Alors, se dit le mouflet, toutes ces petites boîtes colorées, ces petits sachets amicaux, « toutes ces délicieuses petites choses en vente dans cette salle » (c’est ce qu’on entendait à l’entracte au cinéma, à l’époque des « bonbons, glaçons, chocolats » vendus par les accortes ouvreuses), toutes ces promesses de délices, tout ça, c’est exclusivement pour lui que c’est fabriqué.
On a compris que la bataille qui se présente est foncièrement inégale. La mère part battue d’avance. C’est vrai que le moutard n’a pas toujours le dessus, pour finir. Mais en général, c’est le chiard qui gagne, que dis-je, qui triomphe, et il n’a jamais le triomphe modeste. La preuve, c’est que les présentoirs sont toujours là.
Maintenant que j’ai vu la scène (dans les manuels de polémologie, on appelle ça une « guerre-éclair »), je peux ranger le carnet, replier l’observatoire, remballer les cannes à pêche, placer la sangle de ma musette sur l’épaule avec les poissons dedans. Je me lève pesamment, je m’ébroue et m’achemine vers la sortie. Je suis content. Je suis venu. J’ai vu. J’ai vu qui a vaincu. Pas César, mais presque.
Moralité de l’histoire : pour venir à bout de la ménagère aventurée sur le terrain hostile de la grande consommation, il n’y a pas d’arme plus efficace que le sale gosse envoyé en mission. Un suspense comme dans Les Infiltrés.
A suivre ...
22:00 Publié dans BOURRAGE DE CRÂNE, LITTERATURE, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alexandre vialatte, chronique, société, littérature, moeurs, enfant, parents, papa, maman, éducation, grande consommation, supermarché, hypermarché, consommateur, brice hortefaux
dimanche, 16 octobre 2011
"GENRE" ET BOURRE ET RATATOUILLE (2)
Je voudrais par ailleurs qu’on m’explique ce que le « genre » apporte de nouveau, et que l’humanité ignorait scandaleusement depuis toujours. Selon moi, il n’apporte RIEN qu’on ne sût déjà, d’un savoir dûment répertorié. Alors comme ça, tous ces gens empressés autour du « genre » découvrent stupéfaits qu’il faut vingt ans de socialisation pour rendre un humain assez autonome pour se prendre en charge.
Ils découvrent ahuris que le petit d’homme débarque dans une culture toute faite, dans une langue toute faite, et qu’il va passer 7300 jours (= 20 ans, sans compter les 29 février, réservés à La Bougie du Sapeur) à emmagasiner, à acquérir, à APPRENDRE. Quand je suis né, je n’avais pas demandé à apprendre le français. Et pourquoi pas l'ourdou, le tchouvache ou le khabardino-balkare ? Eh bien tenez-vous bien, j’ai été obligé ! Parfaitement ! C’est intolérable ! C’est fasciste ! Après tout, la langue aussi, c’est une « construction culturelle » ! La langue ? Une réserve inépuisable d’arbitraire. Pourquoi dit-on « table » pour exprimer une table, après tout ?
Je n’ai pas demandé non plus à marcher. Eh bien c’est pareil, on m’a forcé. Pourtant marcher, c’est encore une « construction culturelle » ! Après tout, on pourrait ramper, retourner à quatre pattes, non ? Il s’est passé la même saloperie pour « travailler », « écrire », « s’habiller », « manger » et un tas d’autres trucs : rien que des « constructions culturelles » ! Tout ça qu’on inculque (les « valeurs », les « manières » et tout ça), sans même demander l’avis du petit, franchement, vous voulez que je vous dise : c’est abuser. Ma parole, mais c’est le règne de l’arbitraire !
Alors tous ces gens, puisque ça les amuse de « déconstruire » les faits culturels, mais qu’ils y aillent carrément ! Pourquoi se limiter au sexuel ? J’ai parlé de la langue, mais tout est susceptible « d’y passer », à la casserole « déconstructionniste ». Oui, au fait, je ne l’ai pas dit : cela s’appelle « déconstruire ». D’ailleurs un des rares trucs que la France ait exportés aux Etats-Unis, en dehors de son « patrimoine immatériel de l’humanité », qui est la gastronomie, c’est le « déconstructionnisme » inventé par JACQUES DERRIDA et MICHEL FOUCAULT. Avouez que ce n’est pas de veine.
En gros, « déconstruire », ça consiste à couper les cheveux culturels en quatre, et si possible davantage. Il n’y a pas de limite au « déconstructionnisme ». Pour faire simple, on analyse les faits, les valeurs dont nous sommes faits, l’histoire dont nous sommes le résultat, et l’on s’efforce de démontrer « scientifiquement » que tout ce qui nous constitue est le résultat d’un conditionnement arbitraire, donc scandaleux. Dans le fond, nous aurions pu être tout à fait autres que ce que nous sommes si les choses avaient tourné autrement pour nous. C Q. F. D. (on ne peut qu’abonder à tant d’évidence). Si vous ne saviez pas ce qu’est un « truisme », en voilà un beau.
Car des « constructions culturelles », on en prend plein la figure et on en rend autant tous les jours comme s’il en pleuvait. On est encerclé, on baigne dedans, on en fabrique à tout moment de la journée. Et je me dis que s’il faut « déconstruire » tout ça, on n’a pas fini. Autant s’y mettre dès la naissance. Ah ! On me dit que ce n’est pas possible, qu’il faut attendre que quelque chose soit construit. Pas de chance !
Bon, je sais bien que les sectateurs sectaires du « genre » focalisent leur attention sur le sexuel. On ne sait jamais, l’obsession n’est pas loin. D’une manière générale, ils regardent, pour les « déconstruire », les codes sociaux. Pourquoi pas ? Mais ça ne change rien à la question de base : pourquoi vivons-nous comme nous vivons, et pas autrement ? Ni aux questions suivantes : pourquoi la société impose-t-elle ses conditionnements de façon autoritaire et stéréotypée ? Et pourquoi les jouets des filles sont-ils des poupées ? Et pourquoi les hommes ne s’habillent-ils pas en robe ?
Bon, un « code social », qu’est-ce que c’est ? Pour faire simple, c’est renoncer à flanquer ta main dans la figure du type dont la gueule ne te revient pas. Au final, c’est ce qui permet aux gens de ne pas s’entretuer. Et même, soyons fou, de rendre possible, voire agréable, la cohabitation avec des gens qu’on n’aime pas, ou du moins des gens qu’on n’a pas choisis. Au total, ça fait une somme astronomique. Mais ce n’est pas vraiment à ça que s’en prennent les furieux du « genre ».
Car ce qu’ils ont dans le collimateur, c’est situé plus profond. Ils dénoncent la façon même dont madame Lasociété (c'est la mère maquerelle du bordel ambiant) façonne les gens à l’intérieur, leur impose une identité qui n’est pas la leur, les empêche d’ « être eux-mêmes ». « Deviens ce que tu es », c’était une publicité Lacoste. Pour tout dire, on conditionne les individus à se conformer, non à ce qu’ils sont en vérité, mais à un rôle tout fait, un modèle sur lequel ils doivent prendre exemple, dont ils doivent adopter les attitudes. Mais qu'est-ce qu'ils « sont en vérité » ?
Un schéma sexuel organise l’éducation du garçon, et lui impose de devenir quelque chose de masculin. Même chose en féminin pour les filles. Il y a du stéréotype dans la façon dont la société s’y prend pour fabriquer du masculin et du féminin. Moi, je dis : « Et alors, coco, qu’est-ce qui te chiffonne là-dedans ? ». « Deviens ce que tu es », finalement, c’est un drôle de mensonge. D’abord, à partir de quel moment peut-on dire de quelqu’un ce qu’il est ?
NICOLAS SARKOZY a bien essayé de lancer l’histoire de dépister les futurs délinquants avant trois ans, mais heureusement, cette offensive a fait long feu (enfin, pas tout à fait, aux denières nouvelles, puisqu'on en reparle pour l'école maternelle). En gros, si l’individu est en naissant ce qu’il sera, à quoi sert l’éducation ? C’est bien de l’argent et de la peine jetés par les fenêtres. Et si l’individu est façonné (y compris sexuellement) par son environnement, à quoi bon se faire du souci, puisque, si l’on voulait faire l’inventaire exhaustif du dit « environnement », il faudrait collecter, classer et interpréter quelques milliards de données. Bonne chance au « scientifique » !
Dans le dossier du Monde cité plus haut, la journaliste ANNE CHEMIN dresse un honnête historique de la théorie du « genre », donnant la parole aux thuriféraires et aux pourfendeurs de la notion, dans ce classique « essuie-glace » de la technique journalistique (un coup à droite, un coup à gauche, et moi journaliste au milieu).
Le drôle de son article est dans les deux dernières phrases : « Le genre masculin n’est pas neutre. On ne naît pas homme, on le devient ». Ces paroles d’une force à défoncer la porte ouverte sont dites par la sociologue MARGARET MARUANI. Finalement, c’est ce qui me semble le plus drôle dans la controverse : la stupéfiante naïveté feinte de ces gens qui découvrent que le rond n’est pas carré, et inversement.
Quant à la papesse de ce mouvement, JUDITH BUTLER, son propos s’adorne de considérations plus fleuries les unes que les autres. Elle répond à la question de FREDERIC JOIGNOT : « Voulez-vous dire que la France est en retard dans les études sur le genre ? – Oui, notamment à l’université. » J’ai publié ici une note le 27 mai pour dire tout le mal que je pense de cette sorte de « retard » : en « retard » sur qui ? Le Malawi, les îles Kiribati ? Indirectement, c’est une idée raciste à l’égard de ces sociétés « arriérées », où règne un obsolète « ordre patriarcal ».
« Ce qui gêne, c’est de dire que l’homosexualité n’est pas une anomalie, (…) », sauf que, ne serait-ce que statistiquement, ça reste une anomalie. « La question est donc de savoir si nous sommes plus attachés à classer et à définir les normes qu’à comprendre la complexité de la sexualité humaine », à ceci près que la norme, c’est comme la langue : elle transcende, elle n’appartient à aucun individu ou groupe de pression en particulier, elle s’impose d’au-dessus.
Ce qu’elle confirme plus loin : « De l’autre, nous sommes ligotés par des normes et des obligations que nous n’avons pas choisies ». Bien sûr, que nous ne les avons pas choisies : une norme qui serait l’objet d’un choix est une magnifique contradiction dans les termes. Imaginons cela : chaque individu, en toute indépendance, se donne à lui-même les normes auxquelles il se conformera. Ce serait drôle, d'ailleurs, un supermarché dont les rayons seraient remplis de milliards de normes : on viendrait avec son caddie, on choisirait ses normes, avec leur qualité, leur prix, leur couleur, leur goût. Ce serait le bonheur, comme dans la chanson de CLAUDE FRANÇOIS. J’y vois déjà se profiler la silhouette d’un monde merveilleux, bienheureux.
Allons, calme-toi, et bienvenue dans le CHAOS.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX, UNE EPOQUE FORMIDABLE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : genre, sexe, homosexualité, judith butler, michel foucault, éducation, consitionnement, société, jacques derrida, nicolas sarkozy, le monde, anne chemin