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jeudi, 27 octobre 2011

DE PROFUNDIS L'OPERETTE ?

Nous parlons donc de musique et plus précisément d'opérette. Il faut dire qu’en effet, c’est le début (après mai 1968, début des années 1970) de la dictature du nouveau, et de la promotion du « jeune » comme valeur exclusive. Tout ce qui « vient de sortir » est sanctifié avant même d’avoir produit ses effets, encore moins d’avoir été analysé ou évalué. L’horizon se raccourcit, c’est l’obsession de « faire à tout prix », c’est le temps de l’optimisme frénétique et de la pilule émancipatrice. On veut être dans le mouvement, que dis-je, on veut être le mouvement.

 

 

Une scène particulièrement cocasse m’est restée, cependant, dans tout ce désordre effervescent et illusionniste. C’était lors de la première représentation de « l’Opéra Nouveau ». Le directeur avait décidé de banaliser toutes les catégories de sièges, du « poulailler » à l’ « orchestre ». Aucune réservation de fauteuil n’avait été possible : on fait la révolution ou on ne la fait pas, que diable ! Je suis heureux d’avoir été présent pour pouvoir témoigner du résultat croquignolet. Nous étions une bande haute en couleurs, longue de cheveux, débraillée de tenue, joyeuse de propos, libre d’attitude. Ce ne fut pas un mélange, mais une confrontation sans échange de coups.

 

 

En nous répandant sans préjugés ni vergogne dans les rangs du parterre (les meilleures places, vite redevenues les plus chères), nous avons semé un léger trouble dans les rangs des habitués : des messieurs en costume et nœud papillon, et même beaucoup en smoking impeccable, et des dames très comme il faut, en longues robes de soirée, de belle et haute couture, aux reflets irisés, habillées de bijoux et de gants jusqu’au coude. La cocasserie de la scène m’est restée. Avec nos « jeans » et nos poils hirsutes, je ne pense pas exagérer en nous comparant au renard dans le poulailler, si j’en juge par l’air déconcerté et vaguement inquiet de ces bons bourgeois, brutalement mis en face des « barricadistes » de l’année précédente.

 

 

Mais nous devions être un tant soit peu civilisés, quoique d’un autre style, car nous avons assisté sagement à cette représentation du Wozzeck d’ALBAN BERG, un œuvre qui, en elle-même, défrisait (à coups des « Yawohl, Herr Hauptmann ! » du pauvre Wozzeck) les mises en plis des élégantes de la soirée, peu habituées à ce répertoire, lestée qui plus est d’une de ces mises en scène « modernistes », voire scandaleuses, qui sont devenues le passage obligé de l’Opéra à l’heure de la mondialisation. Si je me souviens bien, il y a une scène colorée en bleu qui se chante dans un échafaudage en tubulures du plus bel effet. Mais on a maintenant vu bien pire.

 

 

L’excellent PHILIPPE BEAUSSANT a publié, au sujet de l’inconcevable, de l’extraordinaire arrogance des metteurs en scène d’opéra, La Malscène (Fayard, 2005), qui se veut une charge contre les soi-disant « audaces ». J’attendais de ce livre un règlement de comptes que j’espérais définitif avec la cohorte des écumeurs de Vaisseau fantôme, des pirates de Chevalier à la rose et autres saccageurs de Cosi fan tutte.

 

 

Eh bien autant l’avouer : j’ai été terriblement déçu. PHILIPPE BEAUSSANT est un homme beaucoup trop affable et courtois, beaucoup trop bien élevé, qui refuse d’adresser nominalement ses bastonnades, et le bâton, du coup, se métamorphose en spaghetti trop cuit. A l’arrivée, une déclaration d’intention louable, mais désarmée,  neutralisée, anesthésiée  par son côté frileux, timoré, pusillanime et, pour tout dire, inoffensif.      

 

 

Ce qui est sûr, dans cette maison qui s’appelle un Opéra, c’est qu’on a non seulement effarouché, mais  éradiqué d’un coup toute une partie de la clientèle, une partie simple, fidèle, traditionnelle, culturellement peu « avancée » si l’on veut (l’opérette n’est pas l’opéra), mais toujours prête à l’enthousiasme. Il y a du mépris pour le « populaire » dans ce maniement brutal et cavalier du couperet. Cela sent son « Parisien branché ». Le snob subventionné et son corollaire JACK LANG ne sont pas loin.

 

 

Quoi, l’opérette, c’est comme les pantoufles et le feu dans la cheminée ? Quoi, ça sent la tisane et le vieil encaustique, le petit verre de porto de temps en temps ? Quoi, c’est vieillot et confortable, et ça fait « fête de patronage », « têtes blanches », « ah le petit vin blanc » et autres rengaines ? Moi je dis simplement : « ET ALORS ? ». Et je réplique : « Laissez-les vivre ».

 

 

Que le répertoire soit dépoussiéré, modernisé et même qu’on actualise la mise en scène, je suis pour. Qu’il faille pour cela éliminer une gamme d’œuvres au nom du préjugé « moderniste », en même temps qu’une partie de la population pas plus négligeable qu’une autre, là je ne suis plus d’accord du tout. Car le public d’opérette a fondu définitivement, pour ne plus renaître. Ce ne sont pas les tentatives ponctuelles de ressusciter Pas sur la Bouche (MAURICE YVAIN) ou Phi-Phi (ALBERT WILLEMETZ) qui ressusciteront la culture de l’opérette, cette structure qui fait exister en permanence un ensemble d’œuvres comme répertoire vivant.

 

 

En fait, il est très facile de rompre le fil d’une tradition. Et une fois rompu, la continuité du fil ne saurait être reconstituée. Quand le mal a été fait, la chose sort du champ de vision avant de sortir de la mémoire, et se résout en vague image nostalgique d’un jardin d'Eden qu’aucun effort d’irrigation nouvelle ne saurait faire reverdir.

 

 

Et je parle ici de l’opérette, et pas des sombrement ridicules « fêtes médiévales » qui émaillent la vie estivale de patelins touristiques où les gens, carrément, se déguisent pour faire comme six siècles auparavant. Et si la « batteuse » est de mémoire plus récente, je ne parle pas non plus des « fêtes de la batteuse », où il s’agit de faire comme du temps de nos grand’mères ou de nos propres jeunesses en allées. Tout est dans le « faire comme » : on se ment à soi-même pour voir sa trombine dans le journal local du lendemain.

 

 

Je parle d’un vrai genre musical, dont les précurseurs ont œuvré, si l’on veut à la fin du 18ème siècle, qui a pris forme dans la première moitié du 19ème, et qui a produit des chefs d’œuvre immortels dans la deuxième moitié (et quelques-uns ensuite). Et faire un chef d’œuvre avec du loufoque, reconnaissez la prouesse. « Voici le sabre, le sabre, le sabre de mon père. » « Ce roi barbu qui s’avance, bu qui s’avance. » C’est dérisoire et désopilant.

 

 

Alors c’est vrai que pour rester vivant, un répertoire doit se renouveler. L’opéra est un genre qui inspire toujours des compositeurs, même si les œuvres créées m’incitent à me tapoter le menton. Quand je pense à L’Echarpe rouge, de GEORGES APERGHIS, j’ai tendance à rigoler : un orchestre réduit à deux pianos et trois percussions, vouloir retracer toute l’histoire du communisme, le pari était de toute façon difficile à tenir. Mais Le Fou, de MARCEL LANDOWSKI, a beau mettre en scène le problème de la bombe atomique, ça reste d’un ennui mortel.

 

 

La cause en est que tout ça se prend terriblement au sérieux. On y sent poindre le nez du politiquement correct, de l’histoire édifiante, du moralisme consensuel et dégoulinant

 

 

Peut-être que l’opéra Wikileaks, en train de s’écrire autour des tribulations de monsieur JULIAN ASSANGE et de son site internet sulfureux, connaîtra le succès. Je me permets d'en douter. Toujours est-il que, bons ou mauvais, on écrit encore des opéras. Il n’en est pas de même de l’opérette. Après tout, peut-être son temps est-il passé ? En ce cas, deux petits mots à ajouter, et j’en aurai fini : de profundis.

 

 

Je me demande toutefois, au cas où l’opérette serait vraiment morte, si une certaine façon de s’amuser, qui lui était chevillée au corps, n’a pas également disparu corps et biens, entraînant ipso facto la mort de la forme dans laquelle elle s’exprimait. Je me demande au fond si ce n’est pas toute l’époque qui est devenue terriblement sérieuse, avec son insupportable visage marqué d’une gravité pénétrée de sa propre importance, et consciente de l’importance qu’il y a à ce que son propre masque tienne bon, imperturbable : « Comment pouvez-vous penser à vous amuser, vu les circonstances présentes ? ».

 

 

Cela sent terriblement son pasteur protestant. Et terriblement engoncé dans sa refingote noire au drap épais, comme on l'imagine dans quelque contrée anglo-saxonne. Cela sent très pesamment son indigeste « politiquement correct ».

 

 

Si c’est ça, j’ai une raison de plus pour ne pas apporter mon suffrage à la sinistre comédie qui se joue, dont le corps reptilien se resserre progressivement autour de la capacité respiratoire du vivant qui persiste. « Va petit âne, va de-ci de-là, cahin-caha, le picotin te récompensera ». Voilà ce que je dis, moi.

 

 

   

 

 

mercredi, 26 octobre 2011

ELOGE DE L'OPERETTE

Reprenons. J’en étais à l’opérette. Inoubliables opérettes entendues à l’Opéra. Attention les yeux, là, ça devient grandiose ! L’ouvreuse a la clé spéciale pour ouvrir la « loge du gouverneur ». Je fais l’important, pour un peu, je jouerais les blasés. Juste parce que les parents sont amis de l’adjoint au gouverneur militaire. J’en profite sans vergogne. J’en profiterais bien davantage, si l’extase proprement musicale ne risquait pas d’en souffrir

 

 

Car il y a dans la loge les très belles LAURENCE et ANNE-SYLVIE D. Mais la présence de SYLVIE, l’œil et l’oreille dans les coins, me dissuade. Je n’ai aucune envie de partager avec elle quoi que ce soit, surtout du clandestin. Je suis donc obligé, dans ces occasions, de laisser le puissant réchaud de LAURENCE fuser en veilleuse et en vain, et la jolie tête penchée d’ANNE-SYLVIE sans épaule pour s’appuyer, pour porter mon attention sur ce qui se passe du côté de la scène, dessus et en dessous.

 

 

Je suis donc spectateur, dans des conditions privilégiées, mais assis sur des chaises inconfortables au possible (revers du privilège), aux opérettes classiques, dans des mises en scène classiques, avec un orchestre excellent et des chanteurs de très bonne qualité : les conditions optimales. Pour cette raison, la salle est bourrée à craquer. Et c’est là que se produit le merveilleux : la salle  connaît par coeur « l’escarpolette », « va petit âne », et les autres airs, et le plus fort, c’est qu’elle les reprend avec les chanteurs, et en mesure s'il vous plaît. Pas la peine de vous décrire l’ambiance dans la salle et sur scène. Voilà ce que c’est, une musique populaire.

 

 

Qui a rempli la salle, me direz-vous ? Des vieux ? Bien sûr qu’il y en a. Des gens du « populo » ? Bien sûr qu’il y en a. Mais nous, nous avons quel âge, là ? De quinze à dix-huit, à tout casser. Et pas les seuls de cet âge, loin de là, je vous jure. Et à côté des concierges et des épiciers, je vous jure, il y a des gens « bien », et qui n’ont pas honte ! Et vous verriez tout ce monde, un jour où on donne L’Auberge du cheval blanc, entonner avec un bel air de conviction et de joie : « La bonne auberge du cheval blanc, séjour aimable et troublant, pour toi le bonheur s’apprête, au seuil de la porte il te guette » ! Tous !

 

 

Enfin, mettez tous les verbes à l’imparfait. Aujourd’hui, ce genre d’événement est rigoureusement impossible, inimaginable. C’est vrai qu’on donne encore des opérettes de temps en temps. Mais regardez le public : rien que des vieux ! Ça me fait « flipper ». Idem un car de touristes qui débarque son « troisième âge » allant faire ses emplettes au supermarché installé juste sur le Cap Nord.

 

 

Ben oui, quoi, aujourd’hui, c’est chacun chez soi : prenez votre file et surtout n’en bougez pas. Vous alliez voir THIRD WORLD  ou BURNING SPEAR, et vous vous retrouvez à BRITNEY SPEARS ; vous aviez payé pour MARTIAL SOLAL, et vous tombez sur RADIOHEAD, un tout petit peu dépaysé, et à peine déplacé ; vous attendiez le QUATUOR BORODINE, c’est NOLWENN LEROY qui entre en scène. Avouez que ça la foutrait mal !

 

 

Aujourd’hui, on vous demande dans quel créneau vous vous situez. Oh, c’est bien fait, c’est scientifique, les sondages, enquêtes marketing et autres enquêtes d’opinion. Le statisticien a découpé le « marché » de la musique en autant de tranches qu’il y a de « genres », il vous a préparé votre case comme une concession au cimetière : si vous êtes « punk rock », c’est par là, si vous êtes « électro jazz », c’est par ici, on va vous guider. Faut pas que vous vous perdiez, des fois que vous vous mélangeriez à des « pas comme vous ».

 

 

Vous voulez que je vous dise ce que c’est, un « créneau » musical, aujourd’hui ? Moi j’entends « ghetto » : les jeunes avec les jeunes, les trente-quarante dans un autre bocal, les « new orleans » entre eux, les « rappeurs » sous le péristyle de l’Opéra, les « techno », n’en parlons pas. On ne peut même pas appeler ça « paroisse », parce que, comme il n’y a plus que les vieux qui vont à la messe, elle est devenue un autre ghetto.

 

 

Non, je trouve que le mot « bocal » convient assez bien. Comme un poisson, je vois passer au loin d’autres poissons, mais on ne risque pas d’avaler les mêmes paillettes. Pour définir cette époque où les gens sont de plus en plus conduits à refuser de se mélanger, je propose ce mot d’ordre: « Chacun dans son bocal, et les poissons seront bien gardés ».

 

 

Vous savez pourquoi ? Les sondages des sondeurs ne sont pas faits pour les chiens, ils servent. Un nouveau « goût » pointe son nez ? Vite, on dessine précisément le « profil » de la « cible », et on lui fabrique dans la foulée son « produit » spécifique qui sera dans les bacs dès la semaine prochaine. En marketing, le métier du mec, c’est d’être « au taquet » de minuit à minuit. Les goûts de « niche », ça demande un peu de travail, mais on arrive à vendre assez de « consensuel » pour rentrer dans nos frais et faire un peu de gratte par-dessus le marché.

 

 

Dites-moi la seule fois que vous avez trouvé un  « échantillon représentatif » de toute la société dans une même salle de concert. J'attends. Est-il même possible de trouver quoi que ce soit qui « fasse société », de nos jours ? Je signale que c’est précisément maintenant que tous nos orateurs sociaux et politiques deviennent lyriques pour n’avoir à la bouche que de « redonner du sens », de restaurer le « vivre-ensemble », de favoriser la « fête des voisins » et autres fadaises, fariboles et calembredaines. C’est quand on l’a définitivement perdu qu’on se rend compte de la perte.  

 

 

Il faut dire que bien des efforts ont été faits pour arriver à ce glorieux résultat qu’ils appellent « délitement du lien social », que tout le monde déplore évidemment. Pour ponctuer l’expression, je laisserais volontiers la parole à Zazie, celle de RAYMOND QUENEAU, qui savait placer au bon moment une formule moins consensuelle que le trop connu : « Ils sont fous, ces Romains ! », mais que ma sainte répugnance pour la vulgarité m’interdit de reproduire ici. Il faut sans doute compter au nombre de ces efforts l’irruption sauvage de l’Opéra Nouveau !

 

 

Ah, on allait voir ce qu’on allait voir ! Fini la poussière ! Au diable, la routine ! Dans le placard à balais, les vieilleries ! Et du jour au lendemain, l’opérette est passée à la trappe. L’oukase est tombé : « RINGARD ». Qu’est-ce que ça voulait dire, en réalité, « ringard » ? On peut se poser la question. Tout bien considéré, ça signifiait que le répertoire ne s’ouvrait pas assez au « contemporain », à « l’avant-garde », à « l’art en train de se faire ».

 

 

A suivre …

 

 

mardi, 25 octobre 2011

RECETTE POUR CENSURER UN PUBLIC

Je me souviens de ces beaux après-midi d’été, chez mes grands-parents, où je passais une heure ou deux en compagnie de mon arrière-grand-mère. Mais non, voyons, je ne commence pas à étaler mon intimité. Qu’on se le dise, j’ai ça en toute horreur. Je trouve obscène et honteux que des individus viennent raconter leurs problèmes affectifs, leurs deuils, leurs divorces sur des plateaux de télévision. Si j’avais la télévision, j’aurais honte de me planter devant le poste pour voir ainsi déverser des ordures.

 

 

Qu’un nombre hélas déraisonnable de mes contemporains consente à se vautrer devant ces saloperies me laisse augurer chez eux un état moral, psychologique et intellectuel, sinon désespéré, du moins tout à fait lamentable. Ce qui m’inquiète, c’est qu’ils ont, du moins en général,  le droit de vote. Heureusement, ils sont de moins en moins nombreux à l’exercer (je ne devrais pas dire ça, moi qui suis abstentionniste militant).

 

 

Si vous voulez savoir, je trouve même indécent – et insupportable – que tant de piétons s’entretiennent dans la rue, à voix haute, avec quelqu’un d’invisible, de leur emploi du temps de la semaine, de leur programme pour les vacances, de leur conflit amoureux du jour ou de la liste des courses à faire. Le plus plaisant à observer, c’est, pas plus tard que l’autre jour, un couple d’amoureux, assis à la table du café. Ils étaient visiblement très très amoureux : dans la belle société, on appelle ça « se rouler des pelles ».

 

 

Un des deux « smartphones » posés sur la table retentit : c’est terminé, les voilà bientôt tous deux bien plus absorbés par un quelqu’un et un ailleurs invisibles, voire par la seule luminosité de l’écran, que par les tendresses très précises, très ardentes et très physiques qu’ils se prodiguaient l’instant d’avant. Leur désir a soudain disparu. Ils ont zappé leur libido aussi facilement qu'on poste une carte postale de vacances. Comme disait le grand REISER : « On vit une époque formidable » ! Et comme dit « l’autre » : « On est bien peu de choses » ! Le « smartphone » pour calmer les ardeurs, on n’arrête pas le progrès.

 

 

Si vous attendez des confidences, voire des confessions, soyez assez bons pour passer votre chemin. Mon arrière-grand-mère n’était là que pour planter le décor et les circonstances qui ont entouré l’émergence de  mon goût pour l’opérette. Sa chambre ouvrait par une porte-fenêtre sur la terrasse plantée de quatre érables sycomores, régulièrement élagués, pour leur malheur. Les volets à jalousies étaient fermés à l’espagnolette, à cause de la chaleur. Elle plaçait son fauteuil à côté d’une petite table, sur laquelle était posé un appareil de radio rouge et blanc de dimension modeste.

 

 

Elle aimait écouter l’émission où étaient diffusées les opérettes les plus connues, comme Les Cloches de Corneville, Véronique, Ciboulette, Les Mousquetaires au couvent, L’Auberge du cheval blanc, et autres chefs d’œuvre du genre. C’était l’époque de la troupe et de l’orchestre de Radio-Paris, défunts depuis lurette. Je pouvais avoir quoi ? Entre huit et dix ans, grand maximum. Ces moments sont restés profondément gravés dans mon disque dur, vous pouvez me croire.

 

 

J’ai fait part récemment de mon goût pour la « littérature populaire » (polar, aventures, Arsène Lupin et tutti quanti). Eh bien, l’opérette, c’est pareil. Ça m’est venu « par les voies naturelles », si j’ose dire. J’aimais beaucoup mon arrière-grand-mère. Elle se mettait autour du cou un joli ruban noir. C’est un peu plus tard que j’ai su que ce n’était pas ça, un soutien-gorge. J’étais encore petit. J’aimais bien la chaleur tamisée de l’après-midi estival, passé à écouter des musiques non seulement joyeuses, mais aussi drôles. Il y avait aussi qu’on entendait des airs qui rentraient dans l’oreille comme dans du beurre mou.

 

 

Bon, c’est vrai que je mémorise presque immédiatement, sans le vouloir, les mélodies qui me parviennent, je n’ai aucun mérite, ni n’en tire aucune fierté. Je vous donne un exemple : un jour, en public, mon collègue PHILIPPE P., qui ignorait cette particularité de mon oreille, m’a mis au défi, comme ça, inopinément, c’est-à-dire à brûle-pourpoint, on peut dire au débotté, et donc quasiment à l’improviste, de fredonner le thème principal de L’Offrande musicale, de papy JEAN-SEBASTIEN BACH, une mélodie complexe, on en conviendra (ut mineur, c'est trois bémols à la clé : « do, mi, sol, la, si bécarre, sol, fa dièse, etc…»).

 

 

PHILIPPE P. ignorait aussi ma très longue familiarité avec le vieux BACH (ici, une digression s’offre à moi, une vraie autoroute, mais je vous l’épargne). A sa confusion, je dois le dire, j’ai relevé le défi avec succès. Je n’y peux rien, c’est comme ça.

 

 

Hélas, cette particularité qui m'a valu une certaine popularité auprès de trois personnes, ça marche aussi très bien avec les objets musicaux les plus idiots, les plus bêtes, les plus incongrus qui encombrent mes rayons, et ça irait mieux si je pouvais expulser tous ces intrus, comme le « Gloria » et le « Credo », comme « Belles, belles, belles » de CLAUDE FRANÇOIS, comme « Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu » et autres cantiques à la noix,  ou comme cette vieille publicité : « La Boldoflorine, la Boldoflorine, la bon-ne tisa-ne pour le foie ! ». Ma mémoire musicale est un vaste grenier chamboulé, un fouillis inextricable, un enchevêtrement du plus beau tumulte, vous ne pouvez pas savoir.

 

 

Et je n’ai même pas l’avantage du juke box (sait-on encore ce que c’est ?) ou de l’I-Pod (je me tiens quand même au courant) : cet infâme bric-à-brac est rétif au moindre effort de classement, et regimberait à la première et plus velléitaire tentative de mise en ordre. Un système  hors de portée de l’emprise informatique, parce qu’il n’est strictement pas programmable, encore moins brevetable.

 

 

C’est au point que, dans la minute, je suis incapable de prévoir l’air qui va sortir la minute d’après : « Les Quatre bacheliers » de BRASSENS ou le 2ème de RACHMANINOV, La Boldoflorine ou l’opus 132 de BEETHOVEN, « Les grandes plaines » du Père DUVAL ou les Vingt regards sur l'enfant Jésus d'OLIVIER MESSIAEN. Ma parole, c’est l’anarchie sonore, et j’ignore absolument qui ou quoi est installé aux commandes, mais croyez-moi, c’est une instance tyrannique et imprévisible.

 

 

Moyennant quoi, je puis affirmer que, dans ma tête, en permanence, ça fredonne, ça chantonne (le nommé JACQUES LACAN, quoique dans un contexte légèrement différent, disait : « Ça parle »). Je ne sais comment expliquer : ce n’est pas moi qui chantonne, c’est quelque chose qui chantonne en moi. Et c’est vrai. Tout le monde considère ça comme une manifestation de bonheur, au moins de bien-être.

 

 

Mais je rétorque au moyen du proverbe chinois bien connu : « Il n’est pas toujours heureux, le cœur de l’homme qui chante ». C’est vrai, ça, pourquoi pas « possédé du démon », tant qu’on y est ? C’est là, ça demande à sortir, ça sort en ordre dispersé, c’est mécanique et incontrôlable. Voilà tout. Ce ne sont pas des confidences indiscrètes, je me contente de décrire.

 

 

A suivre …

 

 

lundi, 24 octobre 2011

PEINTURE : ELOGE DE GERARD TITUS-CARMEL

Parlez-moi, si vous voulez, de GERARD TITUS-CARMEL, bien qu’il soit beaucoup moins confidentiel. Sa peinture (parce que, figurez-vous, il fait de la peinture) est celle d’un INDIVIDU. J’ai découvert les dessins de GERARD TITUS-CARMEL dans le volume des Actes d’un colloque qui s’est tenu en 1970 à Cluny (p. 86 et suivantes). Quelques-unes des 25 Variations sur l’Idée de Rupture. Des dessins d’une netteté de scalpel. Des tiges (en métal ?) attaquées par des forces adverses, soit torturantes, soit entaillantes, soit bourgeonnantes, etc. Enfin, tous les genres de déformations qui peuvent s’attaquer au lisse de l’objet sorti de la perfection manufacturière.

 

 

J’ai connu un excellent poète (un peu hermétique, hélas) du nom de  JACQUES DUPIN. Son gagne-pain, s’il est vrai que les poètes aussi doivent manger, consistait à administrer la galerie LELONG, 13, rue de Téhéran à Paris, dans le 8ème arrondissement. Une galerie abritant un certain nombre d’artistes considérables, comme PIERRE ALECHINSKY, le déjanté BARRY FLANAGAN, professeur agrégé de lapins en bronze  qui, je crois, a quitté ce monde, ERNEST PIGNON-ERNEST, PAUL REBEYROLLE ou ANTONI TAPIES, pour citer mes préférés. 

 

 

LELONG avait sous contrat (et peut-être encore) GERARD TITUS-CARMEL. Au fait j’avais oublié de préciser que l’un des vins préférés de JACQUES DUPIN était le Saint Joseph, si j’en crois un repas pris au restaurant, à présent disparu, « A Bon vin point d’enseigne ». J’ai toujours le bouquin absolument formidable de ses (pas DUPIN, mais TITUS-CARMEL) dessins 1971-1979 (Editions Maeght). Je vous jure, sa fascination pour les diverses manières dont la matière pure se dégrade est elle-même fascinante. Ce qui est merveilleux, ici, ce ne sont pas les textes, estimables (entre autres GILBERT LASCAULT, pas le premier venu),  mais les dessins.

 

 

On y voit « 20 variations sur l’idée de détérioration », « 17 exemples d’altération d’une sphère », « 7 démontages » : je pense en les regardant au travail qu’on demande au peintre dans les livres de botanique et de zoologie. Vous savez qu’une photo de fleur ou d’animal, censée représenter fidèlement son objet, n’arrivera jamais à la cheville de ce travail du peintre. La faiblesse de la photo, c’est qu’elle ne saisit qu’un seul moment, une seule lumière, un seul contexte. Dans la réalité, impossible de retrouver quoi que ce soit sur la base d’une photo.

 

 

Le dessin et la peinture qui, faisant figurer TOUTES les informations nécessaires sur l’illustration, synthétisent tout ce qu’il faut savoir de la Centranthe rouge, de la Picride fausse Vipérine ou de la Lysimaque des bois, sont incomparablement, infiniment supérieurs pour vous apprendre à vous y retrouver. La photo, c’est l’instant isolé. Le dessin, la peinture de la chose, c’est la permanence, la quintessence de la chose, un peu de son éternité. Rien à voir.

 

 

Eh bien GERARD TITUS-CARMEL possède cet ordre d’exactitude et de précision scientifiques. Impossible de vous tromper : quand vous tomberez sur une sphère dégradée, ce qui ne peut manquer d’arriver, n’est-ce pas, ce sera forcément un dessin de G. T.-C. Un conseil, gardez-le précieusement. J’ai fait il y a longtemps la bêtise de ne pas m’endetter pour acheter quelques œuvres qui étaient montrées rue Auguste-Comte. Je m’en mords encore les doigts. Remarquez, j’ai fait la même bêtise dans la même rue, s’agissant de linogravures de JEAN-MARC SCANREIGH, mais aussi à la galerie « L’œil écoute », pour un fabuleux tableau de SERGE PLAGNOL, alors … Si ce n'est pas de la récidive, ça... 

 

C’est la même précision et la même exactitude qui commandent aux « Démontages », aux « Déambulatoires », avec toujours le souci de marier en les distinguant à l’extrême les matières (bois, métal, ficelle, chiffon, fourrure), dans des dispositifs agencés selon une logique implacable mais mystérieuse. Les « Déambulatoires » comme des cadres de tableau où le tableau importe peu. Cela pourrait facilement virer à la préciosité. Même genre de travail avec les « Four seans sticks », la « Suite italienne », les « Noren », les « Constructions frêles ».

 

 

Il y a quelque chose de japonais dans le regard de GERARD TITUS-CARMEL sur les choses. Que ce soit dans la cuisine ou l’aménagement de la maison, les Japonais aiment confronter des matières dont les êtres sont opposés, par exemple le rugueux noirâtre et mat de la fonte confronté à un couvercle de porcelaine lisse et colorée, ou le cylindre vénérable d’un pilier de bois non travaillé sur le fond de laque brillante  noire et rouge de cette loge ménagée dans le mur de la pièce principale.

 

  

Je m’enorgueillis de posséder le catalogue intitulé « The Pocket Size Tlingit Coffin » (ou « cercueil tlingit de poche », les Tlingit étant une peuplade d’Alaska), non pas pour l’indigeste et rébarbatif baratin de monsieur JACQUES DERRIDA en personne (mais on a l'habitude), dont les premiers mots sont : « 30 novembre 1977. – et ainsi du reste, sans précédent. ». Voilà, vous savez tout du baratin, pas besoin de lire tout le filandreux qui suit, que DERRIDA  a chié en se tordant les boyaux de la tête (mais on va dire que je suis bêtement anti-intellectuel, ce qui est peut-être vrai).

 

 

Ce cercueil, d’abord, il faut savoir que c’en est un, tellement ça a l’air d’un jouet. Soit une petite boîte en acajou (environ 10 centimètres de long), fermée par une plaque d’altuglass, et comportant différentes petites pièces d’accastillage. Si vous avez aimé les séries de GERARD TITUS-CARMEL, là, vous serez servis : 127 fois exactement. C'est exactement comme ça qu'ANTOINE PARMENTIER a converti LOUIS XVI aux patates. Le même mets, accommodé de 127 manières différentes. Et pas deux pareilles : au crayon, à l’encre, à l’aquarelle, au trait, en à-plat, comme s’il voulait récapituler les trésors des techniques graphiques.

 

 

Cela me fait penser à un bouquin de GEORGES PEREC : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Si c’est un petit « cercueil » (rien n’est moins sûr), GERARD TITUS-CARMEL s’efforce de l’épuiser, de le vider de toute la force qu’il possède. Malheureusement, en même temps qu’il le vide, par le fait même il le renforce. L’objet irréductible devient en soi un défi. En voulant en venir à bout, le peintre l’élève en majesté. « Damnation, encore raté. » D’où cette fuite dans toutes sortes de « séries ». J’ai le même respect pour les « Intérieurs », « Eclats & Caparaçons », « Suite Chancay ». Respect à cause du respect de l’artiste pour les choses.

 

 

Moralité : le réel est inépuisable, tout simplement parce qu’il ne nous paraît mangeable qu’au prix d’un désespoir et d’une illusion. Je me demande si ce n’est pas pour ça que nous nous vengeons de lui en consommant physiquement la planète.

 

 

Ce que je reproche finalement à tous les « fabricateurs » et autres « truqueurs » contemporains qui s’intitulent « artistes », c’est une incroyable arrogance face au monde, auquel ils croient pouvoir impunément substituer le leur. Comme s’ils avaient un monde ! Comme s’ils étaient un monde ! Ils posent leur unique idée sur les trottoirs de la culture comme on voit les merdes de chiens sur les trottoirs des villes, à la façon des mystificateurs JEFF KOONS ou TAKASHI MURAKAMI, des clowns qu’un snob désinvolte et dégénéré, avide de bruit médiatique (JEAN-JACQUES AILLAGON) a laissés récemment souiller le château de Versailles de leurs déjections.

 

 

Au temps de LOUIS XIV, la puanteur était une réalité quotidienne (due à l’absence totale de « toilettes »). Cette fois, c’est l’aristocratie en place  qui fait tomber des trous du cul des « élites » cette bouse nauséabonde. Une telle ARROGANCE est d’origine biblique (« Tu seras possesseur et maître de la nature »), et a quelque chose à voir avec celle de l’Occident, qui a plié le monde à sa discipline. Il faudra que je revienne là-dessus. Rien de tel chez GERARD TITUS-CARMEL. Dieu merci.

 

 

 

Dire que je n'ai même pas parlé de l'oeuvre poétique de GERARD TITUS-CARMEL ! Car il en a publié, le diable d'homme. Très souvent chez Fata Morgana (La Tombée, Le Motif du fleuve, Instance de l'orée, Gris de Payne), mais pas seulement.

 

 

Fin de la série, pour le moment.

 

 

 

 

 

 

 

 

dimanche, 23 octobre 2011

MUSIQUE, PEINTURE ET SALMIGONDIS

Regardez en peinture, comment ça se passe : il y a longtemps, c’était du temps de la Galerie K (quai de Bondy, non loin de la salle Molière) et de Colette Kowalski, veuve du poète lyonnais Roger Kowalski, mort trop tôt, je m’étais permis de faire remarquer à Régis Bernard (qui avait repris l’atelier de Henri Vieilly, place Antonin-Poncet, il me semble) que sa peinture me faisait tout à fait penser à celle de Giorgio Morandi. Dans mon esprit, c’était plutôt flatteur, car Morandi est un tout grand artiste. Il n’avait pas donné l’impression d’être démesurément flatté de ma remarque. Et pourtant, Régis Bernard est un vrai bon peintre.

 

Cela montre peut-être combien est grande, sur l’artiste (poète, musicien, peintre), la pression d’une exigence : apporter du nouveau, en particulier un « style » qui devienne sa « patte » reconnaissable et irréfutable. Qui n’appartienne qu’à lui. Une condition sine qua non. Faire ce que personne avant lui n’a  fait. D’une manière qui ne fut celle de nul autre avant lui. Mathématiquement impossible : vous imaginez sept milliards d’artistes, tous individués de manière nette et sans bavure ?

 

Drôle d’exigence quand même, et dans un drôle de monde. C’est vrai quoi, pendant des millénaires, le nouveau a fait peur, et pour une raison bien simple : ce qui est nouveau est inconnu, et ce qui est inconnu est dangereux, et c’est dangereux, parce que ça risque d’ébranler l’ordre établi, le mode de vie, les points de repère, que sais-je ? De tout foutre en l’air, si ça se trouve.

 

Nous, on est des drôles d’animaux, par exemple. Même pas peur ! Pas peur du nouveau. C’est même le contraire : on guette, on est à l’affût. On est malades d’innovation. Besoin d’inscrire son nom dans la déjà interminable liste des innovateurs. Tiens, c’était quoi, le nom de cet « artiste », et en quelle année c’était, qui avait rempli un camion-benne de balles de ping-pong, qui avait été amené en marche arrière au sommet de la Montée de la Grand’Côte ? Le chauffeur avait actionné la benne. L’ « artiste » avait ouvert le battant arrière, et contemplé en riant et battant des mains les milliers de petites baballes débaroulant jusqu’à la place des Terreaux, tout au moins jusqu'au local de la secte scientologique.

 

Mais au moins, ce geste dérisoire a la gentillesse amusante de l’enfantillage. Et ça n’a pas la prétention hargneuse et hautaine de certains qui se disent « hartistes » (avec « h » violemment aspiré). Je pense à ce niais prétentieux qui avait cru intéressant de suspendre au plafond, en un quadrilatère régulier de 10 sur 10, une centaine de traversins de couleur écrue au bas de chacun desquels il avait inscrit au feutre noir le prénom de la fille supposée y avoir une nuit posé sa tête.

 

C'est quoi, ce monsieur ? Ni la vigueur, ni le savoir-faire pour donner aux dames l'envie de s'attarder plus d'une nuit sur son oreiller ? Eh bien je le dis : je le plains. En plus, cette exposition de l'intimité a quelque chose de prétentieux dans l'indécence, ou d'indécent dans la prétention. Il y a certes plus prétentieux. Cela se passait hélas au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, dirigé par l’excellent Jean-Claude Guillaumon. Lequel m’avait fait l’amitié trop généreuse de m’inviter à y intervenir en 1988, moi qui n’y avais guère de titres. J'avais platement lu mon Manifeste de Babelthérapie. Je n'ai aucun sens de la mise en scène.

 

Je ne partirai pas en guerre contre les moulins à vent de l’art contemporain qui se prennent pour des géants attendant en vain leur Don Quichotte pour en acquérir un petit lustre. Cela ferait trop plaisir à Daniel Buren, fossilisé avant  d’être mort dans les innombrables strates marneuses de ses milliers de bandes alternées de 8,7 centimètres de largeur. On en retrouvera les traces dans quelques milliers d’années, et les paléontologues interloqués se gratteront le crâne devant ces étranges manifestations de rituels religieux : à quoi de même pas intelligent, mais simplement sensé auraient bien pu se référer des éléments aussi secs, malhabiles et rudimentaires, qui avaient tout d’un académisme  bégayant et guindé ?

 

Je ne partirai pas en guerre contre Bertrand Lavier, qui « interroge les rapports de l’art et du quotidien », et qui modifie et hybride, au sein même du musée, « des objets de la vie courante, de façon à ce que leur statut même s’en trouve mis en question » (wikipédia). Je lui laisse ses porte-manteaux et autres accessoires accrochés en biais, en diagonale ou de guingois.

 

Je me garderai de partir en guerre contre les carreaux blancs de Jean-Pierre Raynaud, qui transforme tout en décor de salle de bains, dont  une « stèle pour les droits de l’homme », à Barcelone (ne pas oublier les joints noirs comme constitutifs de l’œuvre d’art). Je ne m’en prendrai pas davantage à la maison qu’il a mis plus de 20 ans à édifier pour des « études spatiales », et qu’il a décidé de détruire et de réduire en morceaux, pour vendre ceux-ci empilés dans de très gros pots de fleurs.

 

Ne me parlez pas non plus de Claude Viallat, immortel inventeur du quadrilatère flasque, forme qu’il a déclinée sur toutes sortes de supports textiles et dans toutes sortes de couleurs (des « toiles non tendues », s’il vous plaît), et dont il a défiguré l’église Notre-Dame des Sablons à Aigues-Mortes en en faisant le motif des vitraux.

 

Remarquez, tout le monde s’extasie devant le champion du monde du noir, Pierre Soulages, mais regardez l’effet visuel que donnent maintenant les vitraux de la fabuleuse église de Conques (avec son tympan du jugement dernier à se relever la nuit du dernier jour). Vu de l’extérieur, un effet d’acier mat, vu de l’intérieur, des diagonales relativement incompréhensibles.

 

Ce qui fait qu'on supporte qu'Erik Dietman fasse partie de la bande des truqueurs, c’est une sorte de jubilation noire et ricanante. Ma foi, pourquoi pas ? Mais le tableau de Christian Zeimert « Le monde riant » est juste fait pour s’esclaffer (hi hi, Piet Mondrian (1872-1944), la bonne blague). Orlan, la masochiste, a transféré très tôt son atelier dans un bloc opératoire, ce dont on voit les effets sur son propre corps. Elle est très fière des « cornes » qu’elle s’est fait greffer par un chirurgien, et ce n’est pas sa farce du « Baiser de l’artiste » qui peut sanctifier le naufrage (le slogan « Ceci est mon corps », était déjà pris).

 

Au fond, ce qui me donne la nausée, dans une bonne partie de l’art contemporain, c’est que ceux qu’on appelle par abus de langage des « artistes » se sont fait un nom sur une seule idée, qui devient leur marque de fabrique, qu’ils rentabilisent à tout va, et qu’ils déclinent ensuite de toutes les façons de formes, de couleurs, de lieux, de conditions temporelles possibles et imaginables : César et ses compressions, Andy Warhol et ses multiples, etc.

 

Cette unique idée, elle devient explication et synthèse du monde, « cymbalum mundi », système philosophique, grille de lecture pour les grands mystères de l'humanité. Elle est érigée en dogme. Les prêtres de leur Eglise le proclament. Les fidèles s'inclinent et s'agenouillent pour communier, et se mettent àat ventre pour leur baiser les orteils.

 

Vraiment, peut-on dire que Keith Haring ou Robert Combas ont développé un « style » ? Non : ils ont créé du « visuel ». C'est de la publicité. C’est de l’image de marque, et rien d’autre. Peut-on dire que Ben Vautier possède un style, avec ses formules à la noix qu’il a vendues contre monnaie sonnante à la marque Clairefontaine, et qui « habillent » à qui mieux-mieux les cartables et agendas des collégiens et lycéens ?

 

J’ai vu il y a fort longtemps une « installation » de Jean Clareboudt à la maison de la Condition des Soies : que voulez-vous, les bras m’en tombent. Même chose pour cette « performance », vue au Centre d’Arts Plastiques de Saint-Fons, je ne sais plus quand, où une femme parcourait un quadrilatère en versant du sable en quatre petits tas, pendant qu’un collègue équipé pour l’escalade parcourait un mur lui-même équipé pour ça, et qu’un troisième larron poussait à intervalles réguliers de petits cris, assis dans une baignoire suspendue au plafond dont il s’échappait par la bonde un liquide jaunasse comme  de l’urine. Y a-t-il quelque chose à ajouter à ce petit descriptif neutre et objectif ?

 

Mon but n’est évidemment pas de faire l’inventaire de toutes les colifichets que des camelots d’art ont cru de leur devoir d’encombrer la réalité existante. Ce serait plutôt de glisser une remarque dans l’oreille des « artistes expérimentaux ». Monsieur Daniel Dezeuze, reconnaissez que vous vous êtes livré à un bon gros foutage de gueule, avec votre « Echelle en bois souple déroulée au sol ». Monsieur Robert Malaval, avouez le mensonge moral que constitue  votre « Germination d’un fauteuil Louis XV » (d’ailleurs vieux comme L’Enigme d’Isidore Ducasse. Empaquetage, de Man Ray (1920), ou le Couvert en fourrure, de Meret Oppenheim (1936)).

 

Tout le monde a en mémoire les spectaculaires empaquetages de Christo. Mais quand il a empaqueté le Pont Neuf et le Reichstag, qui a dit qu’il a purement et simplement piqué l’idée, en l’amplifiant, à Man Ray qui, lui (en 1920, s’il vous plaît !), rendait hommage aux Chants de Maldoror, de Lautréamont (« beau comme la rencontre fortuite d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table à dissection »), ce qui avait tout de même un peu plus de gueule, quoi qu’il faille penser de son paquet ficelé ?

 

Trop de démarches « artistiques » modernes sentent la rentabilisation effrénée d’idées toujours déjà précédentes, la recherche de notoriété et de fric, dont Andy Warhol est la caricature paroxystique. Ou alors tout simplement, ça sent le manque d’inspiration. « Qu’est ce que je pourrais trouver, qui n’ait jamais été fait ? Une idée qui marche ? » Surtout « qui marche ». Et si tous les fabricateurs d'oeuvres et les imposteurs d'art ne souffraient pas, tout bien considéré, de radicale pauvreté, de totale absence d'inspiration ?

 

Mais heureusement, il reste de la vie dans le désert de l’art contemporain.

 

Parlez-moi du travail de Bernard Réquichot, alors là, moi, je marche à fond. C’est tout ce que vous voulez, ces traits qui s’enroulent sur le papier, qui s’entrelacent, se recouvrent, se développent comme des tentacules ou des pseudopodes, qui me font penser aux monstres qui naissent sous la plume de Franquin (oui, le même que celui de Gaston Lagaffe). Quelque chose de complètement allumé, certainement, et de vaguement inquiétant, j’en suis d’accord. Mais tout à fait fascinant. Quoi, c’est confidentiel ! Bien sûr que c'est confidentiel !

 

Mais c’est justement pour ça que c’est intéressant, Bernard Réquichot. Pourquoi ? Parce qu’on sait tout de suite qu’on a à faire à un individu, et non pas à un marchand ou à un clone. C’est un vrai problème : comment se distinguer de la masse, c’est-à-dire comment devenir ou rester un individu, quand il y en a six milliards d’autres aussi légitimes à y prétendre ? Et comment le faire sans user de « trucs » et procédés dont la seule vertu est de frapper à l’estomac ? Le seul moyen, c’est de rester dans son coin à cultiver son lopin, comme Bernard Réquichot.

 

Mais du coup, qui connaît Bernard Réquichot ?

 

A suivre, avec un vrai peintre, cette fois, promis.

samedi, 22 octobre 2011

MUSIQUE, POESIE ET SALMIGONDIS

Chapitre avec quelques interrogations et plusieurs avis tranchés (ou : « Quelques modestes considérations sur la vie des arts dans le deuxième 20ème siècle »). Où je règle des comptes avec certains goûts que j’ai cru avoir et des engouements adventices que j’ai crus principaux, dans la musique contemporaine, dans la poésie contemporaine, dans l’art contemporain (non : là, il faut dire « arts plastiques »).

 

 

J’ai donc dit tout le mal que je pensais de certaines façons de faire de la musique aujourd’hui (et de la musique d’aujourd’hui, en plus). Cela ne m’a pas empêché de garder quelques dilections, voire prédilections, comme les « répétitifs » américains (PHILIP GLASS,  TERRY RILEY, STEVE REICH), quelques compositeurs français d’une génération plus jeune (GERARD GRISEY, OLIVIER GREIF, tous deux de ma génération, tous deux décédés, en 1998 et 2000).

 

 

Ce qui me frappe, c’est que, plus souvent que vers des auteurs, je me tourne vers des œuvres particulières, volontiers atypiques. Par exemple, connaît-on le Requiem de JACQUES REBOTIER, pièce augmentée d’un texte de VALÈRE NOVARINA intitulé « Secrète », et dit par un enfant ? Le tout est formidable. Puisque j’en suis au religieux, je citerai le poignant Requiem for a young poet, de BERND ALOIS ZIMMERMANN, le plus ancien, mais grandiose War requiem, de BENJAMIN BRITTEN, la Messe un jour ordinaire de BERNARD CAVANNA, la Liturgie pour un Dieu mort, de CHARLES RAVIER. Je n’en finirais pas, finalement, je m’en rends compte.

 

 

Donc, ceux qui suivent ce blog ont compris, après une demi-douzaine d’articles consacrés au sujet, que j’ai été un « adepte », un  cinglé de musique contemporaine, jusqu’au déraisonnable et jusqu’à l’absurde. Je ne le suis plus. Ce fanatisme m’a passé (mais avouez qu’il y a des fanatismes plus meurtriers). J’ai indiqué quelques-uns de ces engouements. J’en indiquerai quelques autres à l’occasion.

 

 

Si j’en suis revenu, c’est sûrement pour des raisons. Cette remarque me semble frappée au coin du bon sens, non ? La première qui me vient est la suivante : je me dis que j’aimais la musique contemporaine moins parce qu’elle était belle, que parce qu’elle était contemporaine. J’aimais ce qui se passait dans le présent parce que c’était mon présent. De la même manière, j’étais à l’affût de tout ce qui se présentait comme actuel devant moi, parce que ce qui était de mon temps, c’était un peu moi, j’imagine.

 

 

AU SUJET DE LA POESIE

 

 

Il en fut ainsi pour la poésie. J’exerçais quelque responsabilité dans le  comité de lecture d’une revue, cela m’offrait à lire toutes sortes de poèmes (et de « pauhèmes ! » aussi, il faut bien le dire) que des gens infiniment divers mettaient en forme sur des feuilles de papier blanc. Incroyable ce que ce genre d’activité donne l’impression de vivre dans l’ « actuel » (du nom d’une belle revue qui a marqué les années 1970). Ce qui est plaisant, c’est sans doute la vive impression d’être partie prenante dans un mouvement réel, dans un temps jalonné de vrais événements, et – pourquoi pas ? – dans un moment de l’histoire (une toute petite).

 

 

La revue dont je parle n’était pas tirée à des milliers d’exemplaires. La diffusion et les ambitions restaient modestes. Nous avons tout de même publié des poètes assez « renommés », tels GUILLEVIC, TAHAR BEN JELLOUN (mais lui s’est orienté ensuite vers le récit), MARCEL BEALU (celui de la librairie « Le Pont traversé », en lisière des jardins du Luxembourg), et même LEOPOLD SEDAR SENGHOR.

 

 

Oui, j’ai même mangé à  sa table, c’était chez BOURILLOT, quand il était place des Célestins, où j’ai entendu monsieur ANDRÉ MURE, alors adjoint à la Culture de l’autre COLLOMB (FRANCISQUE), parler de la culture des haricots au Sénégal avec l’ancien président du pays et académicien français. Nous avons publié d’autres poètes un peu plus confidentiels, mais d’une authenticité et d’une qualité le plus souvent irréprochables. Mais nous publiions aussi les copains.

 

 

Il faut quand même dire que certaines « productions » étaient difficiles à publier. De trois choses l’une : soit l’écriture était vraiment trop informe, soit elle était vraiment trop savante, soit ça consistait en élans lyriques mal maîtrisés (sur le plan de la forme). Et l’on rejoint le même problème que dans la musique : soit la tendance au larvaire, au retour aux éléments, à la matière, soit le grand prix de mathématiques en route vers l’inintelligible abstrait. Je schématise évidemment.

 

 

Mais que ce soit pour la musique ou pour la poésie, personne n’a l’air de se demander pourquoi les gens ordinaires ne vont plus spontanément vers les formes contemporaines d’expression. Les programmateurs de salles de concerts, pour avoir du monde, font des sandwiches du genre « une tranche de BERLIOZ, une tranche de GYÖRGY LIGETI, une tranche de BEETHOVEN », comme pour forcer les gens à se fourrer dans l’oreille des choses que, spontanément, ils fuiraient. Je le dis : ça a tout de l’autoritaire, du bourrage de crâne et du conditionnement.

 

 

La poésie expérimentale, c’est pire que la musique expérimentale, parce que l’adresse du laboratoire où elle se fabrique, où les amis se réunissent, est située dans une improbable rue Jules-Chausse, chez le bon PIERRE C., ou à la rigueur au bout d’une irréelle impasse de La Garde, chez le convivial JEAN P., voire dans une mystérieuse venelle de nos modernes centres urbains, et que pour trouver le labo, il faut au moins du volontarisme, voire de l’héroïsme. De toute façon, quand on ne sait pas où on va, ni la direction, ni la destination, c’est là que ça devient difficile.

 

 

Reste cette impression de « bouger », que PHILIPPE MURAY tourne en dérision en se moquant des slogans à la mode (« bouge ton quartier », bouge ta ville »). Ce n’est pas rien. C’est une voix très sonore qui se fait entendre. « Etre d’aujourd’hui », ça peut être un argument (« Mes œufs du jour, sortis ce matin du cul de la poule ! »).

 

 

Et ça peut même devenir une nécessité : après tout, on ne peut pas refaire sans cesse ce qui une fois a été fait. Répéter, redire, imiter, c’est plutôt mal vu de nos jours. Il faut, nous dit-on, « avancer ». Si on n’ « avance » pas, on recule, que dis-je : on régresse. Sifflet du policier : infraction à l’impératif de PROGRÈS, ça va vous coûter bon, mon gaillard. Qu’on se le dise, le monde étant lancé dans la guerre de tous les pays contre tous les pays qu’on appelle indécemment « compétition internationale », nul n’est censé échapper à la course, encore moins y faire obstacle.

 

 

Pour conclure sur la poésie, j’ai un peu honte de le dire, mais quand j’ouvre un des livres pour lesquels je me suis naguère décarcassé, je me demande le plus souvent ce qui m’a pris à l’époque. Et vous savez pourquoi ? J’ai l’impression aujourd’hui que la plupart de ces gens qui se croient obligés d’écrire des vers et de la poésie parce qu’ils se croient poètes, eh bien, ils se regardent écrire de la poésie, ils se regardent être poètes. Même s’ils sont sincères et de bonne foi, ils se regardent dans le miroir de l’idée qu’ils se font de la poésie. Cela donne beaucoup de mousse, de baudruche et de bulle de savon. Il fallait vraiment que j’aie le nez dans le guidon pour ne pas voir la réalité de ce paysage.

 

 

Ce qui est assez curieux (et drôle, si l’on veut bien) c’est d’observer la sécrétion de clichés auto-produits au sein de la (toute petite) communauté des amateurs de poésie. A quels ballets  n’assiste-t-on pas autour du mot « voix », du mot « souffle », et d’un certain nombre d’autres qui me sont sortis à présent de l’esprit ?

 

 

Y a-t-il seulement de ces poètes qui soient poussés par une vraie nécessité intérieure, quels que soient les discours dont ils enrobent leur démarche quand on les interroge ? Dans l’instant, j’en vois deux : l’un, roumain d’origine, est devenu un des plus grands poètes d’expression française. Il s’appelle GHERASIM LUCA. J’aime Paralipomènes, Héros-Limite, La Voici la voix silanxieuse. Et le reste. C’est un savant de langue qui se met à ma portée. Sa poésie est un vortex suave et mélodieux qui vous mène agréablement vers des gouffres insondables.

 

 

L’autre, qui fut d’ailleurs son ami, s’appelle PAUL CELAN, né à Czernovitz (Roumanie), dans une famille de langue allemande. Sa poésie à lui est beaucoup plus rêche, beaucoup plus directement âpre et caillouteuse. Le livre qui me l’a fait découvrir est le formidable La Rose de personne (Die niemandrose). Mais Grille de parole (Sprachgitter), Contrainte de lumière et Pavot et mémoire sont à lire. Sa poésie est un arbre à l’écorce couverte d’épines, une histoire lestée d’une tragédie lourde à porter et pour cela proche de l’indicible.

 

 

Je ne l’ai pas encore dit, mais ces deux amis étaient tous deux des juifs. Je n’y peux rien. Par-dessus le marché, ils ont tous deux décidé de leur propre mort, à vingt-quatre ans de distance. Et pour couronner le tout : ils se sont tous deux jetés dans la Seine. Cela ne veut évidemment pas dire que pour être poète en vérité, il faut se donner la mort. Cela veut au moins dire le terrible de l’enjeu des raisons pour lesquelles ils écrivirent.

 

 

En retenant seulement ces deux, je suis très sévère pour plusieurs autres qui ne méritent pas les foudres de Jupiter. Je pense à SERGE PEY, à FRANCK VENAILLE, etc. Combien de justes faut-il sauver dans Sodome ? Ce n’est pas moi le juge. Je me contente de faire mes petites observations, que je m’autorise du fait d’une certaine expérience dans le domaine.

 

 

Et parmi ces observations, plusieurs me conduisent à préférer une certaine manière de produire de la musique d’aujourd’hui, de la poésie d’aujourd’hui. Cette « manière », je ne vois pour la définir qu’une sorte de choix d’état moral. A quoi distingue-t-on, en musique ou en poésie, le truqueur de celui qui ne truque pas ?

 

 

A suivre, mais on fera de la « peinture », comme ils disent.

 

vendredi, 21 octobre 2011

RECETTE POUR AIMER LIRE ?

Après m’être gavé de livres d’ambition finalement modeste, j’ai attaqué des choses un peu plus sérieuses (= un peu plus corsées, j'étais ado). Je garde pieusement le souvenir de Un Nommé Louis Beretti, de DONALD HENDERSON CLARKE. L’action se passe dans un « quartier » de New York, où les garçons, comme les légumes sauvages, poussent sans tuteur, s’agglomèrent en bandes, et font régner leur ordre quand ils ont acquis la poigne nécessaire.

 

 

L’intérêt, ici, c’est « l’impression de réel » : l’auteur a beaucoup fréquenté des lieux analogues à ceux qu’il décrit, et arrive à mettre le lecteur dans le bain, en racontant l’enfance indéterminée de Louis, qui commence par observer, jusqu’au moment où il accède au rang de « dur ». Il y a évidemment les ingrédients de la « littérature populaire », à commencer par la violence, mais aussi un aspect « roman d’initiation » qui a sans doute été pour quelque chose dans le vif souvenir que j’en ai gardé, notamment les quelques moments qu’il passe, sur un toit d’immeuble, en compagnie d’une fille.

 

 

Je me souviens aussi assez nettement de L’Innocent, de PHILIPPE HERIAT. Mais peut-être parce que c’est encore un « roman d’initiation », sexuelle entre autres : les parents ne se figurent pas combien ce genre de lecture peut faire faire des progrès à leurs adolescents. Mais ici, ça se complique de la relation ambiguë entre Blaise et sa sœur Armelle. Leurs chambres sont contiguës, avec une porte entre les deux, le plus souvent ouverte. Quand il l’aperçoit dans son miroir, nue après s’être déshabillée, ça lui fait une commotion. Mais il lui lance quand même un « je te vois » sur lequel la porte claque.

 

 

Il a une aventure (enfin presque) avec une courtisane sur le retour qui en pince pour ce bel athlète, et qui lui fait le grand jeu du déshabillé grand style : « Et Blaise baisa les beaux seins ». C’est une phrase qu’on n’oublie pas. Mais une fois au lit, le pauvre, c’est le bug, l’inertie, la panne, l’accident quoi, et la belle, vexée et humiliée, se met en colère : « Alors comme ça, la prochaine fois, il te faudra une injection de ciment armé ? ». Autre phrase qu’on n’oublie pas (ça fait une paie qu’on ne parle plus de « ciment armé »).

 

 

Avant ou après cette scène, je ne sais plus, il épouse Luce, à laquelle il prodiguera des cajoleries, je ne sais pas si on peut dire, dans ce contexte, … « linguistiques », et avec laquelle il se livre aux plaisirs normaux, une femme, si je me souviens bien, au caractère falot et effacé. Sa sœur Armelle est d’une autre trempe. Il se rendra compte que son lien avec elle est d’ordre incestueux.

 

 

Les livres que je lisais à ce moment-là paraissaient au Livre de Poche, dont le catalogue n’avait rien à voir avec les listes plantureuses, voire bourratives, actuellement en circulation. Il dut y avoir Koenigsmark, de PIERRE BENOÎT, dont je n’ai gardé strictement aucun souvenir, sauf qu’il portait, me semble-t-il, le n° 1.

 

 

En 1965, il y avait en tout et pour tout une quarantaine de collections de poche. J’ai gardé le catalogue, maigrelet, moins de 300 pages, et sur une seule colonne, pour les auteurs, p. 15 à 142, et les titres, p. 145 à 272 ; à côté, le catalogue actuel est pris d'obésité (plus de 1000 pages, et sur deux colonnes). C’est l’époque où je passais une  partie de l’été en Allemagne, et j’avais été stupéfait de trouver, dans la maison (Probstei) de la comtesse, à Möckmühl, le rayonnage du fils occupé par les trois cents premiers numéros du Livre de Poche. Il les avait lus.

 

 

C’est aussi au Livre de Poche que j’ai lu La Maison dans la dune (n° 913), de MAXENCE VAN DER MEERSCH, qui se passe sur la mer du Nord, avec des douaniers harcelant des contrebandiers qui « passent » du tabac. Je n’oublierai jamais la scène où les douaniers pensent enfin tenir un gros flagrant délit, et où le contrebandier, assiégé dans sa maison pleine de tabac, passe tout son chargement dans la cheminée. Il en réchappe, me semble-t-il. Au même moment, j’ai découvert Raboliot, de MAURICE GENEVOIX, tragédie rurale où le braconnier, pour son malheur, tue le gendarme.

 

 

Je garde un souvenir assez clair du personnage du médecin menacé de perdre son âme, dans La Citadelle, d’ARCHIBALD JOSEPH CRONIN, quand il abandonne la médecine des pauvres pour gagner de l’argent, et qui, après je ne sais plus quel événement, revient à la « vérité » de son métier. Il me semble qu’il est marié, et que sa femme s’éloigne de lui à un moment.

 

 

J’ai eu mon époque GRAHAM GREENE, mais honnêtement, il me reste fort peu de choses de Orient-Express, La Puissance et la gloire (qui m’avait fait grosse impression à l’époque), Le Troisième homme (oui, même celui-là, dont j’ai vu le film dans un pensionnat allemand). J’ai eu mon époque JEAN ANOUILH : L’Alouette, c’était Jeanne d’Arc et sa mythologie, mais avec des personnages secondaires attachants, dont le nommé Xaintrailles, l’homme au grand cœur.

 

 

En fait, il y a une recette, et je vous la livre : pour aimer lire, il faut aimer lire. Ce n’est pas une plaisanterie : il faut y aller de soi-même. Comment faire ? Je n’en sais rien. Je sais que le Dormond du Mont-Dragon de ROBERT MARGERIT laisse simplement posé sur un meuble, à l’attention de la jeune Marthe de Boismênil (pour lui corrompre l’imagination) Félicia ou mes fredaines, livre érotique d’ANDREA DE NERCIAT, qu’elle finira par lire très attentivement. Ça peut être un « truc » : la tentation. Peut-être qu’il faut ajouter un peu de salé, un parfum d’interdit pour corser le plaisir. Quand la pompe est amorcée, il n’y a plus ensuite qu’à laisser couler. Mais ça ne marche pas à tous les coups.

 

 

JEAN ANOUILH, je me souviens d’avoir lu son théâtre publié en « poche », même s’il m’en reste seulement des traces : l’amnésique du Voyageur sans bagages, des méprises diverses dans Le Bal des voleurs, bref, si peu que rien. Mais je ne suis pas sûr qu’il faille se souvenir avec conscience, méthode et précision de tout ce qu’on a lu. Ça reste forcément là. Si la tête a oublié, la personne se souvient.  Simplement, c’est déposé quelque part, on ne sait où. L’idée m’est agréable.

 

 

J'eus ma période SACHA GUITRY. Les Mémoires d'un tricheur, c'est encore un livre très bon pour déniaiser l'imaginaire adolescent. Ce gamin, privé de repas pour je ne sais quelle bêtise, se retrouve seul rescapé de sa famille, qui a ingéré des champignons mortels. Quand les autorités arrivent, le médecin le découvre caché je ne sais où, se penche. Et GUITRY ajoute que le gamin voit dans les yeux du toubib une phrase du genre : « Toi pas bête ». Il fera son service militaire à Angoulême : « Si l'on pouvait mourir d'ennui, je serais mort à Angoulême ».

 

 

Il deviendra le gigolo d'une vieille richissime qui lui fait cadeau d'une chaîne de montre. Et il fait si bien que : « Le lendemain, j'avais la montre ». Je me suis amusé aussi à la lecture de son théâtre, dont il ne me reste qu'une impression légère et futile : La Jalousie, Faisons un rêve, N'Ecoutez pas mesdames ! Je me souviens vaguement d'un petit poème : « Montons sur un palefroi, tu m'emmènes je t'enlève », où l'auteur transforme le palefroi en « poulet froid ». 

 

 

J’ai aussi lu avec intérêt le théâtre (pas tout, faut pas exagérer) de JEAN-PAUL SARTRE (si si !). J’en suis revenu. Huis-clos, bien sûr, et Les Mouches (ça parle de Caligula, si je ne me trompe ?). Les Mains sales (une histoire de terroristes, je crois). Mais la pièce qui m’avait impressionné, c’était Les Séquestrés d’Altona, avec un personnage qui apparaît par intermittences en vociférant : « Des crabes ! Des crabes ! ». Comme souvenirs et éléments d’analyse, on fait mieux. Mais je le jure, dût la fièvre quarte me saisir, excepté les nouvelles du Mur, je n’ai plus jamais ouvert un livre de JEAN-PAUL SARTRE.  

 

 

En revanche, Les Croix de bois, ce fut pendant un temps un grand livre. Ça se comprend : je devais avoir seize ou dix-sept ans. J’ai lu plus tard JÜNGER, REMARQUE, BARBUSSE, d’autres, et la vision s’est peu à peu équilibrée. Bon, c’est vrai, l’hérédité est lourde : RENÉ CHAMBE, le grand oncle, était un « héros » de 1914-1918, ayant abattu le cinquième avion allemand de la guerre, un Albatros, à coups de carabine (c’était en 1915), quand il était sous-lieutenant, ce matin-là, avec PELLETIER-DOISY aux commandes du Morane. C'est le commandant De Rose, à la base de la M. S. 12, qui serait surpris, tout à l'heure, après l'Aviatik abattu hier.  Mais le grand-oncle croyait encore, hors de saison, à la chevalerie guerrière, juste au moment où la guerre  devenait la première entreprise industrielle. C’est sans doute ce qui donne à ses livres un ton épique, disons suranné, pour être gentil.

 

 

Quand ROLAND DORGELÈS raconte l’arrivée des types du front qui viennent d’être horriblement  éprouvés, c’est une scène qui ne s’oublie pas. La population assiste à leur entrée, les femmes éclatent en sanglot et eux, ces cons, tout hâves, épuisés et déguenillés, ils redressent la tête, et vous savez quoi ? Ils commencent à frapper le sol du talon, en cadence. On est dans l’épique. C’est peut-être cette scène qui m’a fait m’intéresser, plus tard, aux monuments aux morts de 1914-1918, dont j’ai d’abord collectionné les photos au fil de mes pérégrinations en France, et auxquels j’ai consacré plusieurs dizaines d’articles (82 exactement)  dans mon blog de 2007 (KONTREPWAZON, catégorie Monuments aux Morts).

 

 

Ce qui me plut, dans Le Salaire de la peur, de GEORGES ARNAUD, ce furent le petit port du début, les canailles désoeuvrées, le bordel où les gars allaient se soulager avec les filles, dans des box derrière des rideaux (rouges ?), la tendresse du héros (Strumer ?) pour une des putes et son vague projet de fuite avec elle, la haine du mec non retenu pour convoyer la nitroglycérine, qui remplace le liquide de frein par de l’eau, la route en tôle ondulée, l’explosion du premier camion, la traversée du bourbier de terre imbibée de pétrole, l’extinction du geyser de flammes, l’hallucination érotique du camionneur dans sa cabine, sa mort. Bref, un classique. Du même auteur, on connaît beaucoup moins Les Oreilles sur le dos, tout à fait estimable.

 

 

Je ne vais pas continuer à énumérer, ça commence à m’ennuyer, peut-être vous aussi. En fait, j’ai dit l’essentiel. Pour aimer lire, il faut aimer lire, c’est tout. Mais pour amorcer la pompe à lire, mystère et boule de gomme. Car il n’est pas dit qu’un gamin qui commence par Harry Potter finira par HEIDEGGER, SHAKESPEARE, RACINE ou TOLSTOÏ. Je ne suis pas spécialiste de l’amour de la lecture, et je ne crois même pas que ça existe.

 

 

S’il y avait une recette, ça se saurait. Peut-être, tout simplement, tout bêtement, mettre des livres à la maison, dans le séjour, pourquoi pas ? Laisser traîner un livre ouvert ? Un livre qu'on a soi-même aimé ? S’il y avait une recette, même les adultes auraient du plaisir à ouvrir des livres, ce qui ne saute pas aux yeux aujourd’hui, c’est le moins qu’on puisse dire.

 

 

Ce qui est sûr, c’est que, si je n’avais pas eu, à dix-sept ans, un goût déjà prononcé pour la chose, mon père n’aurait pas, volume après volume, mois après mois, acheté les œuvres de monsieur HONORÉ DE BALZAC au Cercle du bibliophile. Il devait avoir du flair pour ce genre d’investissement, car j’ai dévoré les vingt-quatre volumes de la « Comédie humaine », y compris le pavé des Illusions perdues. J’ai tordu le nez sur les deux volumes de Contes drolatiques, pénible parodie de maître RABELAIS, les deux volumes de théâtre, et les neuf de romans de jeunesse. Mais j’ai quand même gardé les trente-sept. En disant encore maintenant : « Merci papa ».

 

 

 

 

 

lundi, 17 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (3)

Revenons à la musique. Par exemple à l’électronique (électroacoustique pour les puristes). Produire des sons en passant par des machines, voilà une logique, non de musicien, mais d’ingénieur. La musique électroacoustique est d’abord une musique d’ingénieur. Songez-y bien : le musicien pense « musique » ; l’ingénieur songe « procédés ». IANNIS XENAKIS, musicien unanimement célébré dans le monde, est d’abord un ingénieur, diplômé de l’Ecole Polytechnique d’Athènes. Le 20ème siècle fut fasciné par ses propres pouvoirs, au point d’atteler le bétail du  génie musical à la charrue des compétences de l’ingénieur. C’est un grand risque, je dis, moi.

 

 

C’est vrai que l’instrument de musique traditionnel, c’est idiot, finalement, parce que ça ne peut servir qu’à ce pourquoi ça a été fait : de la musique (soufflée, frottée, frappée, c'est les trois manières). Un violon, ça a un usage exclusif. Tandis que les machines servent ENTRE AUTRES à produire des sons musicaux. On pourrait les faire servir à tout autre chose (et on ne se gêne pas) : le contrôle d’une chaîne d’assemblage de voitures, par exemple. Le fond de l’affaire, c’est que ces machines font de la musique accessoirement, et pas exclusivement. La musique n’est qu’une des multiples fonctions qu’on peut leur faire  remplir. Voilà, dans le principe, ce qui me gêne dans la logique de l’ingénieur appliquée à la musique.

 

 

Car voyez les performances inégalées, et encore moins dépassées, du siècle des ingénieurs : 20.000.000 de morts en quatre ans de guerre mondiale, puis 50.000.000 en six ans de guerre mondiale bis, puis la bombe atomique, comptons pour rien quelques génocides du début à la fin du siècle, et quelques destructions subsidiaires. Bref : de quoi être fier. Il était normal d’imaginer que l’homme pourrait surpasser l’homme par ses inventions techniques et par le pouvoir des ingénieurs, et que les machines pourraient reproduire TOUS les instruments de musique connus, et bien au-delà. On y est arrivé.

 

 

C’est ainsi que des milliers d’ingénieurs se sont rués dans la brèche ouverte par MAURICE MARTENOT (l’onde Martenot) et LEON THEREMINE (LEV TERMEN : le Theremin). A propos de ce dernier, il y a une vidéo marrante qui traîne sur internet.

 

 

Dans le très bas de gamme, cela donne JEAN-MICHEL JARRE, moins musicien qu’homme d’affaires avisé et organisateur de grands spectacles. Pas besoin d’épiloguer.

 

 

Passons à l’échelon au-dessus : les Allemands. Eux, ils donneront aux appareils électroniques une tout autre dimension : j’ai encore quelques disques des groupes de l’époque : TANGERINE DREAM (Stratosfear), KLAUS SCHULZE, le dissident du précédent, KRAFTWERK (« Bahn Bahn Bahn, auf der Autobahn »), AMON DÜÜL II,  ASH RÂ TEMPEL. Mais les Allemands, quand ils entreprennent, c’est tout de suite une autre dimension (voir MANFRED EICHER et son label ECM). Tout ça reste malgré tout de la simple pop music. Je n’ai rien contre, hein !

 

 

En milieu de tableau, comme on dit au football, cela donne XAVIER GARCIA, GUY REIBEL, CHRISTIAN ZANESI, et dans le sillage, divers tripatouilleurs de potentiomètres, bidouilleurs d’amplificateurs et autres machins, trucs et bidules. Je ne déteste pas Granulations-sillages, de GUY REIBEL. XAVIER GARCIA, ce n’est pas mal. Bon, il a posé ses sons sur Amers, œuvre grandiose de SAINT JOHN PERSE. Ce faisant, a-t-il servi la poésie, ou bien s’est-il servi d’elle ? Je penche pour la deuxième réponse.

 

 

Mais c’est vrai aussi de pas mal de musiques posées sur des textes, alors que c’est très difficile d’arriver à les marier intimement. Même Un Coup de dés, musique « normale » de CLAUDE BALLIF sur la grande œuvre hermétique de STEPHANE MALLARMÉ a du mal à convaincre les mallarméens.

 

 

Dans le très haut de gamme, maintenant, cela donne, à tout seigneur tout honneur, PIERRE HENRY, qui, depuis sa célèbre Messe pour le temps présent, popularisée par le ballet de MAURICE BEJART, n’en finit pas de tracer son sillon (c’est chez lui qu’il donne ses concerts), suivi de près par FRANÇOIS BAYLE et BERNARD PARMEGIANI. DENIS DUFOUR, lui, est un homme sympathique, qui vit pieds nus pour ressentir les vibrations du monde qui l’entoure. Il a composé une fort belle pièce en l’honneur du grand texte de STIG DAGERMAN, Notre Besoin de consolation est impossible à rassasier (minuscule opuscule, chez Actes Sud).

 

 

J’ai assisté il y a longtemps à un concert de musique « acousmatique » à l’Auditorium, donné par FRANÇOIS BAYLE, tout seul installé face à la scène, devant une immense table de mixage (donc tournant le dos au public). Sur celle-ci, pas de chaises ni de pupitres, mais une armée de hauts-parleurs de toutes tailles, orientés dans tous les sens. Un concert sans humains pour faire les sons, ça fait a priori austère. En vérité, ce fut un concert formidable : il suffit d’être là et de laisser les ondes acoustiques produire les sensations physiques pour lesquelles elles sont fabriquées. C’est comme un massage : je suis ressorti euphorique et plein de vigueur intérieure. C’est très hygiénique, vous ne trouvez pas ?

 

 

Je dirai pour conclure sur ce point que des musiciens spécialisés exclusivement en électroacoustique (et qui soient vraiment des compositeurs), il n’en existe pas des pléiades, et que c’est peut-être heureux, en ajoutant que c’est une chose d’écouter un disque chez soi, sur son appareil, si sophistiqué soit-il, mais que  l’expérience du concert en est une tout autre, vu l’importance prioritaire de l’espace dans lequel ça se passe, et de la spatialisation des sons. J’ai dit.

 

 

La boutique attenante, maintenant, n’est pas une boutique, mais un  hangar, que dis-je, un bazar, un fatras, un souk. C’est à tous les rayons qu’on en trouve et à toutes les sauces qu’on en mange, de la « bande magnétique » : pour orchestre et bande magnétique, soprano, harpe et bande magnétique, n’importe quoi et bande magnétique. IVO MALEC (né à Zagreb) a même composé Dahovi, pour bande magnétique solitaire, où il s’agit « de varier un son blanc (au sens poétique plutôt qu’acoustique). Un grand jeu de mixages successifs, d’agglomérations et de tensions, alterne, le long de la pièce, avec les passages dessinés de quelques lignes ou quelques ombres seulement » (propos du compositeur). Débrouillez-vous avec ça.

 

 

Moi, je ne veux pas critiquer, vous me connaissez, je n’ai pas le cœur à ça, mais je vois bien le concert, dans ces conditions : vous vous installez dans la salle. Sur la scène, une table avec un magnétophone (raisonnons « à l’ancienne ») posé dessus. La salle se remplit. A la sonnerie, le compositeur (ou le technicien de plateau, ou le concierge, ou un passant qui est là parce qu’il a vu de la lumière), entre en scène, va vers la table, appuie sur le bouton « marche » et s’en va. La bande finit par s’arrêter. Tout le monde applaudit le magnétophone. Et je rigole.

 

 

Bon, maintenant l’informatique a encore simplifié et miniaturisé : tout est programmable, sauf le nombre de spectateurs payants. Au moins, à la fin de son concert, FRANÇOIS BAYLE a-t-il pu se lever, se retourner et saluer. Je ne me vois pas applaudir un ordinateur. Même si l’olibrius qui a en laboratoire charcuté le programme entendu par le public vient saluer à la fin, je me vois mal le congratuler.  

 

 

Autant, à la fin d’une « exécution », compte tenu des aléas, ça se justifie, autant un programme définitif qui s’est déroulé à la bonne vitesse, est-ce que ça s’applaudit ? Dans ce cas, chaque Japonais qui passe devant La Joconde devrait taper frénétiquement dans ses mains. Il n’est même pas sûr qu’aucun ne le fasse. A la rigueur, on pourrait organiser l’occupation de la salle de La Joconde par groupes, pour faire comme au concert. Mais que voulez-vous, ce sont les Japonais.

 

 

J’ai aussi assisté à des concerts comportant un « dispositif ». Alors là, je me suis longuement interrogé sur ce que c’était qu’un « dispositif ». Je vous donne un exemple : sur scène, un tromboniste de jazz connu (j’ai oublié son nom) souffle dans son instrument. Un « dispositif » est là pour transmettre le son à un « programme » relié à un « palpeur » (???), devant lequel une danseuse exécute des mouvements censés être modifiés par je ne sais quoi. On m’a parlé de « dispositif interactif ». Génial, non ? Autre salle, autre exemple, mais cette fois, le « dispositif » était placé à l’intérieur du piano, pour quoi faire ? Mystère.

 

 

Dans les concerts électroacoustiques, ou avec bande magnétique, ou avec « dispositif », ce qui me gêne, c’est d’être interdit de coulisses. Dans un concert avec les instrumentistes en direct, il n’y a plus de coulisses. Il arrive qu’une corde casse : on recommence, ou on continue, mais ça s’est passé. Ici, on a l’impression que l’essentiel se passe hors de la vue des spectateurs, dans un laboratoire inaccessible au commun des mortels. Le reproche que je fais, c’est que cette musique-là reste une affaire de spécialiste, voire d’expert.

 

 

A suivre une autre fois.

 

vendredi, 14 octobre 2011

AIMER LIRE, AVEC ARSENE LUPIN

Il y avait, en haut de l’escalier de la « petite maison », tout un rayonnage de romans policiers. La « petite maison » comprenait au rez-de-chaussée plusieurs pièces « utiles », et à l’étage, une salle de bains et trois chambres. Le soir, je piochais régulièrement dans les polars, avec une petite prédilection pour les OSS 117.

 

 

C’était alors pour moi le fin du fin du héros au service de son pays, qui accomplit des missions impossibles dans des pays hostiles, et qui revient chez lui même pas dépeigné après avoir séduit, palpé et davantage deux ou trois superbes  femmes pas trop farouches, à la poitrine forcément « généreuse » et aux cuisses forcément « fuselées ». Je serais bientôt en âge de repérer clichés et  stéréotypes.

 

 

Je me rappelle (ce n’est peut-être pas JEAN BRUCE) une scène au Japon, dans laquelle une jeune femme absolument ravissante, mais qui avait eu le malheur de trahir la « cause », est maintenue en l’air d’une main par un épouvantable mastodonte qui, de l’autre main, la « pèle » littéralement de tous ses vêtements pour lui faire subir les pires tortures imaginables. Le héros retrouve son pauvre cadavre après avoir un peu gratté la terre, parce que ça sent vraiment mauvais.

 

 

Les auteurs de ces romans cherchent autant qu’ils peuvent ces moments de paroxysme, qui sont l’acmé de l’intensité en action. Affaire d’imagination, et d’exploration des fantasmes sexuels (sadiques ou autres). C’est un aspect, dans la littérature « populaire », qui manque de noblesse, je le reconnais.

 

 

Et puis il y eut Arsène Lupin. Parenthèse sur Arsène Lupin.

 

 

Il ne faut pas dire de mal de MAURICE LEBLANC. Certains chipotent son mérite, font la grimace, doutent que ce soit de la « littérature ». MAURICE LEBLANC n’est certes pas HONORÉ DE BALZAC : chez lui, pas de « vision de la société », pas de « comédie humaine », mais c’est un raconteur d’histoires d’une grande habileté, et à ce titre, très respectable. Ce n’est pas lui qui va modifier votre regard sur le monde et sur l’humanité. Il veut simplement que ses histoires aient du succès.

 

 

Adolescent, j’ai lu TOUTES les aventures d’Arsène Lupin. Le plus génial dans la trouvaille du personnage d’Arsène Lupin, c’est qu’il n’y a pas de héros plus pratique pour son auteur : comme il change d’aspect comme de chemise, comme il change de nom comme il respire, comme il change de maîtresse sans arrêt, nul besoin pour l’écrivain de s’ingénier à faire de lui un portrait physique fouillé, et encore moins un portrait psychologique. Dans la population des héros de roman policier, Arsène Lupin, c’est de la pâte à modeler, c’est un personnage à la plasticité inépuisable.

 

 

Héros militaire de la guerre de 14 dans L’Eclat d’obus ; légionnaire au Maroc sous les traits de Don Luis Perenna ; bandit diplomate de haut vol capable de convoquer dans sa cellule de prison l’empereur d’Allemagne en personne (dans 813) ; détective d’une subtilité sans égale, sous le nom de Jim Barnett ou de Victor de la brigade mondaine, capable de griller sur le fil les meilleurs limiers de la police et de damer le pion à Herlock Sholmes et Isidore Bautrelet (lui, c’est dans L’Aiguille creuse), les meilleurs parmi les meilleurs, et capable de deviner la présence de la « liste des vingt-sept » dans l’œil de verre de Daubrecq. 

 

 

Arsène Lupin en bandit aristocrate qui, à cause du regard de la femme qu’il aime, et qui vient de le surprendre en pleine nuit, dans le château du Malaquis (si si), en plein « déménagement » des meubles, objets et œuvres d’art appartenant au baron Nathan de Cahorn, est capable, par pur panache, de tout faire remettre en place par ses complices (c'est là-dedans, je crois bien, l'énigme sur le nom de THIBERMESNIL) ; amoureux toujours heureux et toujours transi des plus belles femmes, mais le plus souvent des femmes au caractère moins ardent que mélancolique.

 

 

Arsène Lupin en « deux ex machina » qui, une fois coincé dans une grotte en compagnie d’une jeune femme, pendant qu’on leur tire dessus et que l’eau du lac monte inexorablement (La Demoiselle aux yeux verts), une autre fois coincé dans une grotte dans une falaise bretonne en compagnie d’une jeune femme, pendant que le sol même de la grotte se soulève inexorablement pour les faire basculer dans le vide (L’Île aux trente cercueils), redresse la situation et sauve d’un coup de baguette magique la vie de la belle jeune femme, qui lui en sera éperdument reconnaissante, n’en doutons pas.

 

 

Arsène Lupin en enfant redresseur de torts, connu, une fois adulte, sous le nom de « chevalier Floriani », qui dérobe le « collier de la reine » et en vend les diamants pour sauver sa mère malade, et qui, chevaleresque, en dépose vingt ans après le coffret contenant la monture intacte sur la table de la chambre de Madame de Dreux-Soubise (« Le Collier de la reine », dans Arsène Lupin gentleman cambrioleur).

 

 

Arsène Lupin en justicier grand seigneur, qui rend à l’Etat français l’énorme tas d’or qui attendait bêtement sur un quai qu’on lui assignât une destination, à peine dissimulé sous un énorme et innocent tas de sable (Le Triangle d’or) ; et puis Arsène Lupin amoureux, à genoux devant cette jeune femme évanouie, et la ramenant à la conscience en promenant tout en douceur ses lèvres sur ses joues (La Demeure mystérieuse ?).

 

 

Fin de la parenthèse sur Arsène Lupin.

 

 

A suivre bientôt.

jeudi, 13 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (2)

J’ai continué à m’intéresser. Je suis allé aux concerts, j’ai acheté les disques, en me disant que, de tout temps, les gens ont écouté la musique qui se faisait là où ils vivaient, au moment où ils vivaient, et qu’il n’y avait pas de raison pour que ça changeât. Ça tombe sous le sens. La musique a évolué, comme la peinture, comme l’architecture, comme la poésie. Ce n’est pas parce que la modernité a inventé la musique EN CONSERVE qu’il faut arrêter d’écouter ce qui se compose ici et maintenant.

 

 

Je précise que je parle ici de la « musique savante ». Une autre fois et à part, je parlerai du reste, c’est-à-dire de la saucisse sonore au kilomètre, qui sert à provoquer des gestes convulsifs légaux chez ses adeptes pendant des nuits entières et autorisées. J'évoquerai aussi  les ghettos musicaux infinitésimaux farouchement campés sur leurs « identités ». L’évolution des formes, certains appellent ça « l’histoire », d’autres appellent ça « le progrès ». C’était ce que je me disais naguère, avant de me poser des questions « existentielles ».

 

 

 

La musique contemporaine, si on ne s'y est jamais aventuré, c'est compliqué.

 

 

La première tendance à citer est l'amorphisme. Il m’arrive d’écouter de temps en temps, à titre de curiosité, « les lundis de la contemporaine » sur France Musique. J’ai évoqué ici même, le 29 mars, un de ces concerts du lundi. Je parlais, à propos de la musique de BRICE PAUSET de « retour massif de l’organique », de « régression vers l’animalité », et de « retour puissant de l’adulte vers l’oral et l’anal ». Il y a, dans cette branche de la musique contemporaine, de l'inarticulé. Remarquez, Tintin a bien appris à parler l'éléphant (Les Cigares du pharaon).

 

 

On assiste là à la promotion du larvaire et de l’informe. C’est choisir la trace du pas en lieu et place de la personne qui l’a laissée. C’est réduire le repas gastronomique aux bruits intestinaux qu’il provoquera. C’est ramener la forme esthétique élaborée à l’informe de la matière dont elle est constituée. C'est faire du bredouillement primitif de l'enfant le modèle impérieux de l'éloquence humaine. C'est disséquer l'emploi du temps amoureux et le menu des repas d'un grand homme pour percer le secret de son génie. J'arrête.

 

 

Une deuxième grande tendance à fuir dans la musique contemporaine, c’est celle de l’ingénieur en mathématiques et du théoricien des sons, qui concocte « in vitro » des partitions d’une complexité musicale insurpassable (pour bien montrer à ses confrères qu’il sait faire), mais qui laisse l’auditeur (je veux dire le mélomane) raide sur le carreau et froid comme un poisson juste sorti du congélateur.

 

 

Il faut être arrivé premier en mathématiques à X-Mines-Ponts pour entrevoir de loin la beauté de la chose. Je partage volontiers le prix Nobel dans cette catégorie entre PIERRE BOULEZ et KARLHEINZ STOCKHAUSEN (mais celui-ci s’est illustré de bien d’autres façons croquignolettes, alors que l’autre, le  gourou pénétré de son propre sérieux et de sa propre importance, n’a jamais utilisé d’hélicoptères pour accompagner ses quatuors à cordes).

 

 

 

La troisième tendance à évoquer, comme elle a offert à boire, mais aussi à manger, il faut se montrer prudent, nuancé et circonspect. Je veux parler de tous ceux qui ont suivi l'exemple de l'auteur du Traité des objets sonores : PIERRE SCHAEFFER, pionnier de la « musique concrète », et qui sont partis avec leurs magnétophones dans les gares, les ports, les usines et autres lieux où les hommes (ou bien la nature) produisent des sons, qui sont en l'occurrence des BRUITS.

 

 

Ensuite, ils revenaient dans leur laboratoire et, en coupant et collant savamment les bouts de leur collecte (ça s'appelle échantillonnage, et je ne vous dis pas les pas de géant que l'informatique a fait faire à cette façon de procéder), puis en combinant tout ça avec des sons électroacoustiques, mais aussi, ô merveille rare, avec des sons musicaux authentiques (= produits par des instruments de musique, c'est comme ça que ça s’appelle), bâtissaient des morceaux qu'ils appelaient oeuvres. Mais c'est vrai que des oeuvres, il y en a (je pense, par exemple, à City life, de STEVE REICH).

 

 

Une quatrième tendance de la musique contemporaine, c’est ce que j’appellerai le « FOUTAGE DE GUEULE». Je considère les « pianos préparés » de JOHN CAGE comme une aimable farce. Mais moins farcesque que son « morceau » pour piano intitulé 4’33’’, où le pianiste s’assied en croisant les bras ostensiblement devant son instrument pendant quatre minutes et trente-trois secondes, pour bien montrer au public que la musique ne s’arrête jamais, pourvu que l’on compte parmi les sons musicaux les catarrhes tubaires du dit public, les froissements de papiers, les fauteuils de la salle qui grincent, etc..

 

 

JOHN CAGE a aussi composé un morceau pour piano jouet (un vrai jouet faux piano) et diverses autres joyeusetés du même lard. Inutile de dire que toutes les explications tendant à démontrer que de telles « oeuvres » sont de savants commentaires sur la nature de la musique déclenchent chez moi de redoutables spasmes d'hilarité.

 

 

Remarquez, je ne sais pas si le larvaire n’a pas finalement quelque chose à voir avec le « foutage de gueule ». Quoi qu’il en soit, dans le même chapitre, je fais entrer pêle-mêle les coups sur le bois du piano (avec les doigts, le poing, le coude…), les fouettements du manche de violoncelle avec la mèche ou le bois de l’archet, la pichenette du violoniste lancée du bout de l’ongle au verre en cristal à moitié rempli, placé sur le pupitre, et tout un tas de trouvailles délicieuses et si originales, ma très chèèère !

 

 

C’est incroyable le nombre des gens de bonne foi qui prennent encore au pied de la lettre le dernier vers du dernier poème des Fleurs du Mal : « Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau ». Le « nouveau » à tout prix a vite fait de devenir une impasse. Ils oublient un peu vite ce qui précède : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l’ancre ! Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! ». Baudelaire a raison : appareillons. Je veux dire : fuyons !

 

 

Une autre tendance a encore pas mal de succès. Prenez un instrument tout seul, poussez-le dans ses retranchements, faites-le hurler ses suraigus et gronder ses infrasons avec quadruple forte, faites passer l'archet du violon de temps en temps sur les cordes, mais aussi sur le bois, sur le chevalet, en dessous du chevalet. De la flûte, faites entendre le simple souffle qui passe à travers, ou le bruit que font les clés sous le choc des doigts. Sur les touches du piano, le bruit du choc du bout du doigt. Bref, tout comme ça. LUCIANO BERIO est sans doute le maître de l'exercice, sous le nom de Sequenza,  en faisant « chanter » à sa femme KATY BERBERIAN toutes sortes de bruits, y compris ceux qui sortent de la salle de torture, ou de la salle d'accouchement, ou du lit conjugal, on finit par ne plus savoir. 

 

 

Ce qui est marrant, ici, c'est que le compositeur essaie de faire dire à l'instrument tout ce pour quoi IL N'A PAS ETE FAIT, c'est-à-dire de la musique musicale. Il ne faut surtout pas que le compositeur donne l'impression que les instruments de son orchestre ont quoi que ce soit à voir avec le CHANT. J'exagère, je sais, mais il y a de ça. Faire entendre le bois du violon, le vent dans la flûte, et tout et tout : ce que veut le musicien, ici, c'est échapper au carcan, à la prison, à la dictature de la PARTITION. On ne dira jamais assez, dans la musique, les méfaits de la partition. On a observé le même effort dans la peinture : je ne sais qui avait exposé des toiles avec le côté peint face contre le mur.

 

 

Je signale pour finir, à propos de « foutage de gueule », que JOHN CAGE était un excellent copain de  MARCEL DUCHAMP, immortel inventeur de l’urinoir artistique (sous le nom de « fontaine ») et du non moins artistique sèche-bouteilles, objets qu’il dénommait « ready-mades », mot qui veut dire (je traduis en français) : « Ne me faites plus ch ... avec l'œuvre d’art ».

 

 

Je renvoie à la facétie du même, consistant à exposer un « objet-dard »  face à une « feuille de vigne femelle » (pas besoin de décrypter), ou à cette autre (pertinemment intitulée Why not sneeze Rrose Sélavy ?), qui consiste à empiler dans une petite cage à oiseau un tas de petits cubes de marbre (pour faire les morceaux de sucre) augmentés d’un thermomètre et d’un os de seiche. A la vôtre ! Mais le plus marrant dans l'affaire, c'est l'innombrable postérité de ce que j'appellerai le GAG à prétention artistique et les  mètres de rayons de bibliothèques savantes qui se sont écrits pour commenter l’ « œuvre » du maître.

 

 

Rien n’est plus drôle que cette armée de graves savantasses penchés, le front plissé dans un indicible effort de contention, sur les bobards, canulars et autres plaisanteries d’un brave monsieur très intelligent, excellent mystificateur, qui a très tôt compris que son talent était trop mince pour lui permettre de rivaliser avec des PICASSO, MATISSE ou BRAQUE, ses contemporains et qui, plutôt que de se résigner aux seconds rôles, a préféré « se faire un nom » en jouant les EROSTRATE, (excusez-moi : c'est l'incendiaire du temple d’Artémis à Ephèse, en – 356, dont le nom seul est resté, comme c’était son but).

 

 

Cette leçon n’est pas tombée dans l’œil d’un aveugle, puisque ANDY WARHOL a pris le même chemin, dans une variante et une époque « consommation de masse ». ANDY WARHOL, dont le but était avant tout de gagner beaucoup d'argent, fit tout de même un jour cet aveu ahurissant : « Il est trop difficile de peindre ». MARCEL DUCHAMP, ANDY WARHOL et une foule d’autres, après tout, ne sont que des flemmards, des cossards, de vulgaires GROSSES FEIGNASSES d’atelier, des tire-au-flanc de la palette et du chevalet. Bref des PARESSEUX. Dommage qu’ils aient été  intelligents (et rusés), et surtout qu’ils aient fait passer (c’est ça, la ruse) leur intelligence pour le nec plus ultra de la démarche artistique.

 

 

Et que des millions de gourdiflots vaguement niquedouilles, d’ânes carrément bigorneaux et d’andouilles joyeusement moules (j'ai malheureusement fait partie de la cohorte, mais je me suis soigné), guidés par tous les Diafoirus frénétiques et agités du bocal de la « critique », n’y aient vu que du feu et aient accouru au bruit tonitruant de la renommée, au point d’en obscurcir l’horizon et d’en gaver le paysage. Jusqu’à ce qu’un jour peut-être, l’estomac du paysage ne restitue tout ça sous la forme des vomissures que ça n’aurait jamais dû cesser d’être.

 

 

A suivre bientôt, et promis, retour à la musique contemporaine.

 

 

 

 

 

 

mercredi, 12 octobre 2011

SONNETTE POUR VIOLON SALE (1)

(OU CONCERTO POUR CASSEROLE MALPROPRE ET ORCHESTRE)

 

De la musique contemporaine et du plaisir musical.

 

C’était place des Cordeliers, l’ancien et superbe immeuble triangulaire  des Galeries Lafayette. Tout en haut, dans l’angle qui donne direct sur le pont Lafayette et sur le Rhône, il y avait une petite terrasse, pour donner de l’air et du paysage à un petit débit de boisson, enfin, juste quelques tables, d’ailleurs très peu fréquenté. Avec Alain, Guy ou Bernard, j’allais de temps en temps boire une bière en sortant du lycée à quatre heures (ou avant l’heure, mais ne le répétez pas).

 

Nous étions en Terminale. Nous traversions les anciennes Halles façon Baltard : c’était rien que du beau en verre et en métal (peint en vert, si je me souviens bien), comme à Paris, et détruites aussi, comme à Paris. Ici, on fait tout comme à Paris, dès qu’il s’agit de détruire.

 

On s’arrêtait un moment sur le parvis de Saint-Bonaventure à écouter les camelots faire l’article pour un éplucheur miracle ou une merveille de filoche. Bien entendu, le maire Louis Pradel a vite interdit les camelots. Forcément, c’est trop sympathique et convivial. Dans la foulée, il a remplacé les Halles style Baltard par un parallélépipède de béton à plusieurs étages pour mettre les voitures et une banque. Et la petite terrasse pour boire un coup, où personne ne montait, même avec les escalators, on lui a mis un couvercle blanc très laid et très opaque. Ce n’est même plus les Galeries Lafayette.

 

Attention, j’ai en horreur la nostalgie du passé (« Ah mon bon monsieur, c’était mieux avant ! – A qui le dites-vous, ma bonne dame ! »). J’ai assez entendu quelqu’un chanter les louanges de Concarneau, quand les bateaux rentraient le soir au port, avec leurs voiles multicolores. Mais quand un maire travaille d’arrache-pied à magnifier la laideur de sa ville, je dis quand même que c’est une saloperie. C’est aussi Louis Pradel qui a creusé de ses mains le fameux « tunnel de Fourvière ». J’espère qu’il s’est bien niqué les ongles. Ah, on me dit qu’il est mort ? Eh bien, c’est une bonne chose de faite. D’un autre côté, c’est dommage, parce que ça m’ôte le plaisir.

 

Tiens, justement, Gérard Collomb, son lointain successeur, après avoir bradé le quartier Grolée au fonds de pension Cargill pour en faire un pôle du commerce de luxe, mais qui  reste, en l'état, une lugubre friche commerciale, a bradé l’Hôtel-Dieu, oui, ce grandiose monument historique, à des « investisseurs » (euphémisme, évidemment, pour « prédateurs »), dont l’un a l’intention d’installer des boutiques de luxe et, le fin du fin, un hôtel 5 étoiles juste sous le monumental dôme. Ce n’est plus « gauche caviar » qu’il faut dire, mais « gauche Rolls Royce ». Au fait, je ne sais pas si Gérard Collomb s’habille toujours de costumes Hugo Boss.

 

Pauvre mauvais maire, quand même, ça ne doit pas être évident de faire, systématiquement, le choix du LAID pour se faire réélire par des CONS. Dire que nous avons été condisciples de révolution !  Authentique ! Tout le monde a en mémoire l’immortel « groupe de la salle 3 », non ? Mais si ! 1968 ! Non ? Tant pis ! C’est vrai qu’à défaut de tuer des commissaires (Lacroix, sur le pont Lafayette, le 24 mai 1968), nous avions convenablement « tué le temps ». Si vous voyez Gérard, passez-lui mon bonjour de la part d’un « ancien de la salle 3 » ! Il se souvient, je le sais. Remarquez, je ne sais pas comment il le prendra.  

 

Voilà, je me suis de nouveau laissé aller. J’étais donc parti sur la « musique contemporaine ». J’aimais bien les Galeries Lafayette, à cause du rayon disques (mais « Télé-Globe », place de la République, et « Denys disques », passage de l’Argue, ont aussi fermé leurs portes depuis lurette, mais si on va par là, on n’a pas fini). C’est là que j’ai trouvé, entre autres, les V. S. O. P. de Louis Armstrong (label CBS), avec le « hot five », dont sa femme Lil Harding au piano, puis le « hot seven » avec, au piano, Earl Hines, enfin un vrai pianiste. Oui, les huit. Je parle de l’époque des vinyles, hein ! Ceux-là, je les ai donnés à un amateur, un vrai. Comme musique « contemporaine », il y a mieux, il est vrai.

 

Mais voilà, j’y ai aussi trouvé des disques à la pochette entièrement argentée et fluorescente : la collection « Prospective 21ème siècle » de Philips. Plus tard, j’ai découvert que La Révolution surréaliste avait usé d’un procédé luminescent analogue dans les années 1920 (procédé « radiana », si je me souviens bien, mais avec un nom pareil, le radium ne doit pas être loin, alors que les pochettes Philips font juste un effet d’optique) : quoi qu’il en soit, qu’est-ce que ça pouvait me faire, franchement ? J’ai donc acheté deux disques des Percussions de Strasbourg, et un d'Ivo Malec, tous gratifiés d’un « Grand Prix International du disque », Académie Charles Cros. Je ne sais plus si c'était en 1970 ou avant. J’ai toujours ces disques.

 

L’un comportait une pièce de Milan Stibilj, Epervier de ta faiblesse, domine !, sur un poème de Henri Michaux dit, non : proclamé par Claude Petitpierre, qui me reste encore dans les oreilles. Sur un autre étaient enregistrées, avec des Inventions de Miloslav Kabelac, Quatre pièces chorégraphiques de Maurice Ohana, que j’ai préféré oublier, sur le troisième, Ivo Malec proposait quatre pièces, parmi lesquelles Cantate pour elle. Il a décidé de devenir un compositeur important et il y est arrivé.

 

Tout ça pour dire que ça m’intéressait, la musique contemporaine. Et plus le temps a passé, plus ça m’a intéressé. Je ne sais pas bien pourquoi. La curiosité sans doute. L’envie d’échapper à un carcan sonore, en direction d’un « ailleurs » toujours plus lointain. La même envie qui me poussait à l’époque vers ce qu’on écoute quotidiennement  en Inde, en Chine, en Afrique et autres planètes.

 

Mais restons-en au « contemporain ». Il n’y a aucune vanité à en tirer : ce qui me poussait, c’était une aversion pour … disons pour la routine auditive, la rengaine sonore, le ronron musical, le refrain obligé, le cercle vicieux radiodiffusé ou culturellement dominant. C’était moins un goût positif, une attirance authentique envers des sonorités inouïes ou je ne sais quelle décision de « vivre avec mon temps », qu’un vague dégoût pour le réchauffé, un rejet diffus d’un héritage dont la conception et l’élaboration m’échappaient.

 

Finalement, je n’étais pour rien dans ces formes reçues. En me tournant vers le contemporain, j’avais l’impression d’être partie prenante dans l’orientation de mon époque, de participer à la construction de l’édifice à venir, et d’avancer sur une voie qui m’était plus personnelle. C’était donc plutôt une raison négative qu’un tropisme véritable et spécifique. On ne se doute pas combien le désir de ne rien devoir à personne, d’être l’auteur et le créateur de son propre patrimoine, et de constituer la seule origine de son propre héritage peut occuper l’esprit de certains enfants gâtés. J’étais peut-être un enfant gâté. Mais c'est aussi une marque de l'adolescence, je me dis.

 

A suivre ...

mardi, 11 octobre 2011

COMMENT J'AI APPRIS A AIMER LIRE

Eloge de la « littérature populaire » (suite).

 

 

Parenthèse sur Le Journal des voyages.

 

 

L’un des responsables de mon goût spontané pour la littérature populaire, cette littérature de seconde zone, et pour tout dire « vulgaire », je le dénonce ici vigoureusement : c’est Le Journal des voyages. Il était complet (une quinzaine d’énormes volumes rouges à vignette vert sombre plus quatre volumes étroits et moins jolis) sur les rayons de la bibliothèque grand-parentale, et avec quelle volupté mauvaise je me plongeais dans cette revue de la fin du 19ème siècle. Il y avait évidemment les illustrations (deux pages de textes, deux pages illustrées : on n’illustrait qu’une face du papier). Des illustrations extraordinaires à mes yeux.

 

 

Pensez donc : un homme a introduit sa tête entre deux tampons de wagons sous l’œil du contrôleur horrifié et levant les bras au ciel, dans un train parcourant les plaines de l’ouest américain ; dans la cabine d’un bateau, deux hommes se font face, autour d’une table, l’un vient d’enfoncer un long poignard dans la table, en y clouant la main de l’autre ; un « sauvage » est attaché à un poteau, et son congénère lui plante un couteau dans l’œil sans que celui-ci cesse de faire un sourire épouvantable. Si mes parents avaient su … Mais quand nous ouvrions ces énormes bouquins, mes sœurs et moi, nous étions tellement tranquilles qu’il ne leur serait jamais venu à l’idée de nous interrompre. C’est grand et ça ne sait pas, que voulez-vous ? C’était avant la télé.

 

 

Donc il y avait les illustrations, bien faites pour fasciner les gamins, mais aussi pour épouvanter le tranquille bourgeois parisien de l’époque : une montgolfière en train de s’abîmer dans un océan en furie, un navire tout en noir ballotté dans les 40ème rugissants, un bateau à voile pris dans les glaces arctiques avec des hommes en détresse dérapant sur le pont glissant, de curieuses cérémonies devant de curieuses constructions dans je ne sais quelles îles du Pacifique.

 

 

Tenez, je vous lis le sommaire des illustrations d’un volume de 1877 : les compagnons de Stanley ; fumeurs d’opium ; les incendies au Japon ; soldats turcs en prière ; une tombe qui ne s’ouvrira pas. C’est tout à fait engageant. La revue raffolait (en fait, c’étaient les lecteurs, bien sûr) d’ « histoires de pirates, flibustiers et autres écumeurs des mers », de tout ce qui concernait les « gauchos » et la Patagonie, des « barbiers chinois en Californie », d’un « équipage dévoré par des requins ». Le pacifique bourgeois parisien se dit qu’il a bien raison de rester chez lui. Pas comme Fenouillard qui entraîne dans les pires tribulations sa petite famille, de Saint-Rémy-sur Deule (Somme-Inférieure), soit lui-même Agénor, son épouse, ainsi que Cunégonde et Artémise, leurs deux pestes.

 

 

Donc, je disais qu’il y avait les illustrations, mais il y avait les textes, aussi et principalement, qui servaient de prétextes aux graveurs chargés chaque semaine d’impressionner le lecteur. Je me rappelle, par exemple, un récit dont l’action se passe quelque part (dans le Pacifique, peut-être, peut-être en Afrique, en tout cas il fait très chaud). L’un des personnages voit tout d’un coup quelque chose qui bouge SOUS LA PEAU de son compagnon, au niveau du front, quelque chose de long qui se déplace.

 

 

L’un des « indigènes » présents se munit d’un fin bâton bien cylindrique et d’un couteau, et lui fait comprendre qu’il faut intervenir. Il incise la peau, saisit l’une des extrémités de la chose, et commence à tourner son petit bâton et à enrouler la chose autour. Effectivement, ça s’enroule, et ça ressemble à un ver.

 

 

« C’est un ver », dira placidement le médecin de l’expédition, le soir au campement. Plus précisément, cette infâme saloperie est une « filaire de Médine », ou « dragonneau ». Une des joyeusetés que vous rencontrerez s’il vous prend la fantaisie d’aller vous balader dans des coins pour lesquels vous n’êtes pas fait. « Vous ne pourrez pas dire  qu’on ne vous a pas prévenu. – Oui monsieur, bien monsieur. »

 

 

Et monsieur Martin acquiesce, pose le Journal des voyages, rechausse les pantoufles dont il s’était débarrassé pour se chauffer les pieds devant la cheminée, se lève de son fauteuil à l’appel de madame, et va déguster le délicieux ragoût de mouton qui flatte depuis un moment son odorat. Pardon, je reviens à mon sujet. C’était juste pour restituer l’ambiance.

 

 

Alors, les textes, on a compris : ce ne sont que cavalcades impétueuses, expéditions à haut risque aux antipodes, si possible dans quelque peuplade barbare (à l’époque elles n’étaient pas encore toutes exterminées, encore moins habituées à décapsuler une bouteille de coca-cola, ce progrès radical de la civilisation), aventures dans des forêts impénétrables ou dans des contrées désolées voire désertiques. C’était l’âge d’or de la consommation frénétique de récits d’aventures, des aventures  accomplies au péril de sa vie, mais sans jamais la perdre, parce qu’il fallait pouvoir raconter. Pas fou à ce point-là.

 

 

Il y avait aussi la description des mœurs bizarres en vigueur sur la planète, toutes plus bizarres et exotiques les unes que les autres. On passait de je ne sais quel temple hindou aux scarifications de telle tribu d’Afrique, des marchandages sans fin quelque part en Arabie aux cruelles cérémonies d’initiation des garçons dans telle tribu indienne du Canada. Je ne suis pas sûr cependant que le regard était obligatoirement condescendant, voire colonialiste. Il reste que cette feuille (il n’y a pas d’autre mot) vendait du « sauvage » comme s’il en pleuvait.

 

 

Fin de la parenthèse sur Le Journal des voyages.

 

 

A suivre bientôt, en compagnie d'Arsène Lupin.

 

 

lundi, 10 octobre 2011

L'HOMME SANS QUALITES, tome II

De ROBERT MUSIL, on connaît essentiellement L’Homme sans qualités, livre monumental (et inachevé). De ROBERT MUSIL, j’avais lu il y a longtemps Trois femmes, puis Les Désarrois de l’élève Törless, ou l’inverse. De Trois femmes, je ne me rappelle rien, sauf une impression très forte, de trois caractères féminins, de trois individus au sens plein du terme. Grigia, Tonka, la Portugaise. J’avais noté, entre autres : « Un ton pour moi inconnu. Le concret comme une métaphysique ».

 

 

Les Désarrois de l’élève Törless est un roman initiatique. Un adolescent commence à prendre des distances avec des parents qui ne le comprennent pas quand il leur demande conseil. Placé par ses parents  dans un pensionnat, il découvre la communauté des garçons, avec ses ambiguïtés et ses cruautés. Tout perclus de doutes et d’affolement de la boussole, il expérimente les désirs et les plaisirs, non sans culpabilité. Il est à la recherche d’une cohérence intérieure, d’une sincérité absolue.

 

 

Il voudrait voir converger les raisonnements logiques et moraux et l’expérience personnelle. Il finira par renvoyer dos à dos la religion et la science, qui ne cherchent qu’à enfermer le vivant dans des dogmes. C’est le roman d’une aventure intérieure, rythmée par des actions qui tournent toutes autour du sexe et de la violence (Bozena, l’abjection de Basini, le grenier, le lit, B. livré à la classe…).

 

 

L’Homme sans qualités est évidemment LE « grand œuvre » de ROBERT MUSIL, auquel il aura peu ou prou travaillé toute sa vie. Je n’aurai garde d’avoir la prétention de commenter intelligemment ce monument, encore moins de le critiquer, sous peine de passer pour un moins que rien, tout juste de faire partager des impressions de lecture.

 

 

Dans le premier tome, que j’ai essayé d’évoquer ici même les 6 et 7 septembre, l’auteur décrit un monde moralement exténué à la recherche de son propre sens, l’Autriche de juste avant 1914, la Cacanie (K & K, kaiserlich und königlich). Mais l’Autriche peut être vue comme le symbole de l’Europe finissante, avant l’autodestruction  (l’écriture, et peut-être la conception du livre ne vient qu’après 1918).

 

 

FRANÇOIS-JOSEPH est tout près d’achever son règne. Un certain nombre de personnages y évoluent : Ulrich, le personnage central,  Bonadea, la maîtresse, Diotime, la cousine ambitieuse, le comte Leinsdorf, maître d’œuvre de l’Action parallèle, Paul Arnheim, le capitaine d’industrie, Clarisse et Walter, Tuzzi, Fischel, Rachel, Gerda, et d’autres. J’oubliais l’assassin Moosbruger. Le tome 1 comporte deux parties : « Une manière d’introduction » et « Toujours la même histoire ». Le titre de la troisième (voir plus loin) nous fait entrer dans le vif du sujet.

 

 

Voilà un petit rappel, bien nécessaire, parce que, quand on ouvre le tome 2 (1000 pages environ), ce n’est pas du tout le même livre. Apparemment, en effet, il n’a pas grand-chose à voir avec le premier. Le décor change, des personnages nouveaux surgissent, et surtout, le récit change de nature. PHILIPPE JACCOTTET, le poète suisse et remarquable traducteur de cette somme, évoque dans une postface les difficultés insurmontables rencontrées pour établir un texte définitif de la dernière partie du roman, restée inachevée.

 

 

Pour parler franchement, et sans vouloir remettre en question le statut de ROBERT MUSIL, j’ai lu le tome 2 de L’Homme sans qualités, et je reste profondément déconcerté. Quand vous passez au deuxième tome de Guerre et paix de LEON TOLSTOÏ, il n’arrive rien de tel, et l’auteur reste attaché, imperturbable, à sa trajectoire. A la limite, le découpage en deux tomes est simplement dû à la dimension de gros pavé que le livre aurait eue sans cela. Pour L’Homme sans qualités, c’est comme si ROBERT MUSIL avait changé de projet en cours de route (ce que laisse d’ailleurs entendre JACCOTTET dans sa postface).

 

 

Ça expliquerait l’espèce d’incertitude existentielle où il a été quant à l’ordre et à la rédaction des chapitres. En 1932, MUSIL publie bizarrement les trente-huit premiers chapitres, dont le dernier s’achève en pleine action. Il meurt en 1942. Entre les deux, il n’aura de cesse de remanier et de modifier, sans parvenir à un aboutissement définitif.

 

 

PHILIPPE JACCOTTET écrit d’ailleurs : « On peut donc concevoir, en suivant M. Kaiser, que Robert Musil, s’il avait vécu quelques années de plus, loin d’achever son roman, se serait enfoncé de plus en plus dans l’impossibilité de l’achever, (…) ». J’ai assez tendance à le croire. Il me semble que l’auteur abandonne la peinture du tableau somme toute déprimant d’une société sur le point de finir, pour celui des relations intimes extrêmement fortes et exigeantes qui se tissent entre le frère et la sœur, Ulrich et Agathe.

 

 

Agathe, on ne la connaît pas du tout à la fin du tome 1. Elle fait en effet partie des personnages qui apparaissent dans le deuxième. Il y a donc,  au premier chef, Agathe, sœur qu’Ulrich n’a jamais côtoyée, et qu’il découvre soudain, au point que sa vie va en être bouleversée. Ils décident qu’ils seront aux yeux du monde des « jumeaux siamois » (Ulrich est son aîné de sept ans). On découvrira aussi le curieux professeur Lindner (lindern = soulager), moraliste rigoriste qui conseille vivement à Agathe de retourner vivre auprès de son mari Hagauer (au fait oui : elle l’a quitté pour vivre avec son frère) ; Meingast (= mon invité), l’hôte étrange (et au pouvoir étrange) de Clarisse et Walter ; Feuermaul (= gueule de feu), le poète exalté de la fraternité et de la paix. On voit que l’antiphrase fait partie du paysage.

 

 

Ce tome 2 porte le titre « Vers le règne millénaire ou les criminels ». Le père d’Ulrich étant mort, il faut s’occuper des formalités de la succession. Dans la maison paternelle, il tombe sur sa sœur Agathe, qu’il ne connaît pas du tout. Ce sont les douze premiers chapitres. Les notations particulières qui traduisent très visiblement le regard d’Ulrich sur sa sœur laissent assez entendre qu’il est saisi par le charme physique de cette femme qu’il découvre.

 

 

Très vite, il observe Agathe en détail : « (…) mais sa peau avait une sécheresse parfumée, la seule chose qu’il aimât dans son propre corps. La poitrine de la jeune femme ne se perdait pas en rondeurs, elle était mince et vigoureuse, et ses membres semblaient avoir cette forme longue et fuselée qui unit la puissance naturelle à la beauté ». A d’autres moments, il appréciera les reflets du soleil couchant dans les cheveux, la position d’une jambe sur un canapé, … On n’est pas plus sensible.

 

 

Ils vont donc commencer par s’observer, se jauger et tenter de s’apprivoiser réciproquement. Et cela va se faire tout au long de conversations, auxquelles tous deux vont apporter des soins d’orfèvre, doublés d’une extrême attention jointe à une extrême concentration, au point que, plus tard, ils seront capables de se les remémorer dans le moindre détail.

 

 

Là est le parti-pris absolu ou presque de l’auteur dans ce tome 2 : la conversation. Un choix très osé, et finalement très risqué, car les chances sont grandes de rebuter le lecteur. La conversation va bien sûr être le socle de la relation entre Ulrich et Agathe, mais aussi d’Ulrich et Agathe avec tous les autres personnages.

 

 

Par exemple, lorsque le frère et la sœur se mettent à décortiquer la notion de sentiment, ils le font en parlant ensemble, mais également à travers les papiers où Ulrich à noté de longues réflexions sur le sujet, et qu’Agathe lit à son insu, alors même que celui-ci poursuit un échange long et soutenu avec le général Stumm von Bordwehr, qui ne se décide pas à donner l’ordre à son cocher de fouetter les chevaux. 

 

 

Agathe a par ailleurs de longues conversations (là aussi, à l’insu d’Ulrich) avec Lindner (le « propre-à-tout », comme MUSIL le désigne), dont certaines seulement sont « retranscrites » à destination du lecteur. Ce personnage est la véritable et définitive caricature du maniaque. Il faut lire l’extraordinaire chapitre 40. « A vrai dire, Lindner transformait absolument tout ce qu’il touchait en commandement moral. Qu’il fût avec ou sans vêtements, chaque heure de sa journée jusqu’à l’irruption d’un sommeil sans rêves était remplie par une occupation importante à quoi elle était réservée une fois pour toutes. » Agathe va quelque peu bousculer cette belle ordonnance.

 

 

Découle de ce programme impérieux, quoi qu’il en soit, un découpage tout à fait précis des vingt-quatre heures d’une journée en tranches plus ou moins épaisses, mais toujours coulées dans un bronze rigoureusement infrangible. « D’autres laps de temps, enfin, étaient prévus, les uns une fois pour toutes, les autres selon un roulement dans le cadre hebdomadaire, pour l’habillage et le déshabillage, la gymnastique, la correspondance, le ménage, les officialités et les divertissements utiles. » On le voit, c’est quelqu’un de très folichon, hélas pour lui affligé d’un fils, Peter, auquel il s’efforce (un peu en vain) d’inculquer de si nobles principes. ROBERT MUSIL a dû bien s’amuser à écrire ce chapitre.

 

 

La scène viennoise, qui occupe une bonne part du tome 1, passe ici au second plan, et apparaît encore, mais par intermittence. Il faut savoir qu’Ulrich s’est mis en congé de secrétariat de l’Action parallèle, au grand dam du comte Leinsdorf, depuis la mort de son père, mais surtout depuis le débarquement brutal d’Agathe dans sa vie. Diotime a abandonné une part de ses « ambitions politiques », a vu avec une certaine aigreur, le capitaine d’industrie Paul Arnheim prendre quelque distance avec elle depuis leur dilemme amoureux, et se tourne désormais ver l’étude de la sexualité humaine en se plongeant dans toutes sortes d’ouvrages « scientifiques », que ses visiteurs peuvent voir joncher son lit (clin d’œil supplémentaire).

 

 

Agathe (αγαθός = bon) et Ulrich vont se demander très longuement ce que signifie aimer, et essayer de définir, d’expliquer les origines et le modalités de ce qu’on appelle le « sentiment ». Est-il possible d’atteindre à l’idéal ? Quel rapport avec le corps ? Comment concilier les deux ? Ils en discutent, par exemple, dans plusieurs chapitres parfois magnifiques, dans le jardin de la maison d’Ulrich, protégés du monde extérieur par une grille dont il est question, étendus dans l’herbe.

 

 

Je ne cache pas, personnellement, mon impression de lire, peu ou prou,  des dissertations savantes, où la mystique n’est pas absente, en même temps que la réalité du monde (couleurs, végétaux, chaleur, …) est saisie et rendue de façon très charnelle (le chapitre 76 est intitulé « la réalité et l’extase ») ; mon impression, parfois, de me retrouver en cours de philo (« Alors, tu vas me la dire, la différence entre sensation et sentiment ? »). Tout ça a quelque chose d’intimidant, ne serait-ce que par la longueur. Je ne cache pas qu’à certains moments, j’attends que ça finisse. Il reste malgré tout que l’ensemble se situe à haute altitude d’inspiration, et que certains passages sont d’une beauté éblouissante.

 

 

Il faut toujours garder en mémoire que L’Homme sans qualités est un livre qui devait, dans l’esprit de son auteur, amener, dans sa conclusion, à août 1914, c’est-à-dire à cet invraisembable suicide de la civilisation européenne sous la pression de la logique infernale des Etats-nations. Ce qui se passe entre le frère et la sœur, je veux dire l’accomplissement final de l’inceste, est-il lié de quelque manière à cette mécanique historique ? Je me pose la question, car cet accomplissement même entraîne « désespoir et rupture », comme le signale le traducteur. Est-ce un processus analogue à cette rupture d’équilibre qui fait basculer le continent européen ?

 

 

Dernière remarque : la mise au point du tome 2 a effectivement dû poser aux éditeurs un problème insoluble, si j’en crois, d’une part, l’état de certains chapitres, qui existent à peu près à l’état de simples projets, d’autre part, la mise en ordre « définitive » des chapitres. Pour un bon nombre, les enchaînements sont assez évidents, mais où placer quelques-uns, parmi lesquels « le retour de Gerda » et d’autres. On a le cœur serré de voir la chute de Clarisse (« Clarisse en Prométhée effondré »).

 

 

Enfin, on est bien obligé de prendre tels quels ces morceaux, de même qu’on est définitivement frustré, en même temps que bouleversé par la deux cent trente-cinquième mesure de la dernière partie de l’Art de la fugue, du grand JEAN-SEBASTIEN BACH, qui, par son inachèvement même, demeure une ouverture sur le vide et l’infini.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

dimanche, 09 octobre 2011

LA BECASSE A UN OEIL DE LYNX

Bon, alors il paraît que j’étais parti à la chasse à la bécasse ? Tiens, à propos, la rengaine, vous la connaissez, non ? « L’curé d’chez nous s’en allait à la chasse, Avec son chien, son fusil je l’ai vu. En chemin il rencontre une bécasse, La vise au cœur et lui perce le … Curé d’chez nous s’en allait … etc … ». Sinon, je vous dirai la mélodie, ça fera passer le temps, disons au moins 1 minute 17 secondes.

 

 

Donc l’œil, on disait. Si je m’écarte encore de mon sujet, tenez-moi à l’œil et rappelez-moi à l’ordre. Alors, si on veut être précis, qu’est-ce que c’est, un œil ? Sans vouloir trop finasser, je dirais qu’à moi, il me sert à planter ma fourchette ailleurs qu’à côté du morceau de viande dans mon assiette.

 

 

Accessoirement, ça sert à deux ou trois choses essentielles : apercevoir sans en rien perdre la belle jeune femme en face (anecdote livrable avec certificat d’authenticité) juste au moment où, s’étant séchée après la douche, elle est obligée de traverser la pièce, toute fenêtre ouverte, pour attraper son soutien-gorge et sa culotte sur l’étendage, qu’elle avait oubliés de disposer à portée de main (ça n'est plus arrivé, promis) ; voir venir les ennuis de loin ; identifier les problèmes ; envisager les solutions d’un regard lucide et courageux ; chiper au nez et à la barbe des autres le sot-l’y-laisse oublié dans le plat ou deux billets de 10.000 quand on est caissier au Monopoly. Bref, des choses futiles, on en conviendra.

 

 

Dans le fond, l’œil, chez l’homme, n’est pas une nécessité vitale. Chez les oiseaux, c’est le contraire. S’il n’a pas l’œil, le volatile, tout simplement, il est mort. La preuve, c’est que chez les humains, l’aveugle est en général laissé en vie, jusqu’à ce que mort naturelle s’ensuive, évidemment, mais ça, c’est valable pour tout le monde. L’oiseau aveugle, c’est peut-être un bon titre de roman fantastique, mais dans la réalité, macache bono, si je peux me permettre. Réciproquement, il n’y a pas d’oiseau mort qui ne soit pas aveugle (maman m’a dit que la double négation, ça impressionne toujours). Mais il paraît que chez nous c’est pareil, quand on est mort, on ne voit plus rien. Ça me manquera.

 

 

Regardez n’importe quel oiseau, parmi ceux qui picorent au sol : sa tête n’arrête pas de bouger d’avant en arrière, de tourner dans tous les sens, de se baisser et de se relever. Epuisant, je me dis. Comparez avec la dame âgée qui fait la queue chez le charcutier : elle n’arrête pas de faire oui et non avec la tête et avec la main. Je me dis qu’elle doit être fatiguée en fin de journée, après avoir fait tant d’exercice. Quoi, maladie de Parkinson ? Pardon, je ne savais pas. Mais de toute façon, est-ce qu’elle n’est pas fatiguée quand même ?  

 

 

Ce qui est sûr, c’est que chez l’oiseau, ce n’est pas Parkinson, mais une nécessité vitale. Son œil, c’est sa vigie, sa sentinelle, son guetteur : c’est qu’il faut voir venir, dans ce métier. Une seconde d’inattention, et on est cuit. En fait, c’est la victime qui a besoin de voir venir. Parce qu’il faut savoir : chez les oiseaux, on est soit victime, soit bourreau. Le bourreau a en général le bec recourbé et très affûté au bout de son crochet : c’est l’instrument de torture, c’est l’arme radicale.

 

 

Eh bien chez le bourreau, les deux yeux regardent du même côté. Tiens, c’est drôle, chez l’homme, c’est la même chose. C’est que le rapace a besoin des deux yeux à la fois pour situer la proie avec précision (angle et distance). L’homme aussi a besoin de repérer la proie. C’est ce qu’on appelle la vision binoculaire. C’est le cas de la chouette chevêche (21 cm) et du noble circaète Jean-le-Blanc (65 cm). En fait, tous les rapaces, à l’origine, se sont entendus, et ont voté pour ce système. Ils ont été bien inspirés, c’était un bon calcul. Bon, leur angle de vue est un peu réduit (110 degrés chez la chouette), mais après tout on n’a rien sans rien, c’est ce qu’il faut se dire, non ?

 

 

Attention, si vous remarquez que les yeux sont sur les côtés, c’est sûr, vous n’avez pas à faire à un rapace, vous avez à faire à une victime. Mettons un pigeon, parce que tout le monde ou presque est citadin aujourd’hui et qu’en ville, les pigeons pullulent, hélas pour les statues érigées sur les places publiques en l’honneur des inventeurs du métier à tisser mécanique et des généraux de l’Empire. Ce qui compte, ici, ce n’est pas le repérage des proies, c’est la détection des prédateurs. Autrement dit, il faut un angle de vue le plus large possible. Le pigeon ? 340 degrés, qu’est-ce que vous dites de ça ? Difficile de faire mieux, mais c’est possible, vous allez voir.

 

 

Très différents des nôtres, les yeux des volatiles : l’homme peut regarder « en face », la femme peut regarder « en coin », c’est d’ailleurs ce qui fait son charme. Et c’est vrai qu’à cet égard, l’homme est un gros bêta. La femme, en plus, peut à loisir faire semblant de ne pas regarder. Et ça, l’homme n’a toujours pas repéré le « truc », semble-t-il. Il lui reste encore à en apprendre, sur sa congénère.  

 

 

Chez les oiseaux, c’est beaucoup plus républicain, je veux dire égalitaire : tout le monde regarde à peu près « en face ». On n’a pas connaissance, par exemple, d’un oiseau qui loucherait : le strabisme est inconnu chez la gent aviaire. Pour une raison simple, c’est qu’elle est presque dépourvue des muscles oculomoteurs (c’est comme ça qu’on dit) qui permettent à nos chasses (nos calots, nos mirettes, si vous préférez) de pivoter, voire de vriller, comme ceux du loup dans la boîte de nuit où il mate le chaperon rouge, chez TEX AVERY. Rien que pour ça, je n’ai aucune jalousie envers les oiseaux.

 

 

Et pourtant si, je dois l’avouer, je suis jaloux de la chouette, de n’importe quelle chouette : je suis incapable de faire pirouetter ma tête, comme elle, sur 270 degrés. Bon, elle en est fière, eh bien je lui laisse. Je me rattraperai ailleurs. Autre chose dont je suis incapable : comprimer plus ou moins, comme le font couramment tous les oiseaux, mon cristallin pour qu’il accommode précisément, grâce à deux muscles « ad hoc »,  pour qu’il « mette au point » sur la chose regardée. C’est grâce à ça qu’aucun oiseau n’a jamais été obligé de porter lunettes ou lentilles de contact.

 

 

On a appris par les journaux que chouettes et faucons peuvent même agir sur la courbure de leur cornée. Mais globalement, je suis quand même bien content de ne pas être une chouette : je n’ai aucune envie de finir cloué sur une porte de grange. C’est vrai qu’elle non plus, j’imagine.

 

 

Je ne vous embêterai pas avec le « peigne », qui reste assez mystérieux, dont certains pensent qu’il sert, par une irrigation vasculaire accrue, à combattre l’éblouissement, d’autres à identifier des objets éloignés. On en est là. Je mentionnerai en passant la membrane nictitante, cette troisième paupière qui permet aux oiseaux de nuit d’atténuer l’éclat du jour, en même temps qu’elle nettoie l’œil  gratuitement et régulièrement. On ne saurait être mieux servi.

 

 

Venons-en à la bécasse, vous voyez que tout finit par arriver, même ce qui est annoncé. Je ne crains pas de le dire : c’est un oiseau attendrissant, non pas à cause de la scène infâmante dont GUY DE MAUPASSANT inaugure ses Contes de la bécasse, mais à cause de la « croule », ce curieux manège que les mâles font les soirs de mars autour du même « pâté de bois » (ben oui, ils n'ont pas de pâtés de maisons) en gonflant leur plumage, battant lentement des ailes et croassant des « croo », avant de siffler des « touissik ».

 

 

La bécasse possède une autre curiosité : ses oreilles sont placées en dessous de l’œil. Mais la vraie merveille qu’elle offre est la suivante : son champ de vision est SUPERIEUR à la totalité du cercle. C’est incroyable, mais c’est comme je vous le dis, soit dit sans nulle forfanterie de ma part. Environ 380 degrés. Texto. Ce résultat est indispensable à sa sécurité.

 

 

Pensez donc, quand elle enfonce son bec dans un sol humide à la recherche de vers de terre, elle est à la merci de qui passerait par là dans une intention mauvaise pour elle. Et ce qui rend possible ce résultat, c’est précisément l’emplacement des yeux : diamétralement opposés sur les extrémités latérales du crâne. J’explique : que vous regardiez la bécasse de face ou de dos, vous voyez nettement les yeux Vous apercevez exactement les yeux de la même manière, deux demi-sphères noires et brillantes qui protubèrent. Eh bien je vais vous dire : ça fait bizarre.

 

 

Voilà, vous savez tout. Ou presque. Enfin, pas loin.  

 

 

 

 

 

 

 

samedi, 08 octobre 2011

LES YEUX RETROVISEURS DE LA BECASSE

Je préviens tout de suite : on y viendra, à la bécasse, mais s’il vous plaît, laissez-moi le temps d’y arriver.

 

Les merveilles du monde animal, on ne saurait s’en lasser. Pensez aux vingt chapitres qu’ HERMAN MELVILLE consacre à la description du grand cachalot dans Moby Dick. Pensez aux liens mystérieux que PIERRE MOINOT tisse entre l’humanité et les bêtes dans La Chasse royale ou Le Guetteur d’ombre.

 

Pensez à cette nouvelle posthume du magnifique LOUIS PERGAUD, La Rencontre (oui, le même qui a écrit La Guerre des boutons, assassiné en 1915 sur je ne sais quel champ de bataille, lors du grand suicide inaugural de l’Europe dans le petit matin glauque du XX° siècle), où deux jeunes garçons rentrent chez eux un soir de Jura couvert de neige, obstinément suivis, à dix mètres, par un drôle de « chien » qui, aux abords du village, n’a rien de plus pressé que de sauter en un clin d’œil sur Tom, le roquet détesté du détesté père Zéphyr, de l’égorger proprement et de l’emporter brusquement dans la forêt. C’était évidemment un loup. C’était en d’autres temps.

 

Personnellement, je suis aux anges lorsque j’entends, quelque part en l’air, le miaulement caractéristique de la buse variable ; lorsque, dans les hauts de la vallée d’Aspe, j’aperçois pendant quatre secondes le vol d’un percnoptère ; lorsque, du côté de Puy-Saint-Vincent, un circaète Jean-le-Blanc offre la surprise d’un passage à proximité ; lorsque, du fond des gorges du Verdon, j’aperçois le vol d’une quinzaine de vautours largement éployés au sommet de la falaise, posés sur un coussin d’air chaud.

 

J’aime ces surprises animalières : quand toi, perdu dans le massif du Pilat avec une carte que les bûcherons ont si méticuleusement saccagée que tu n’es plus en mesure de savoir où tu te trouves à dix kilomètres près, et que tu tombes nez à nez avec une biche qui te regarde fixement aussi longtemps que tu ne bouges pas un cil, mais « qui preste s’évanouit » (BRASSENS, « Les belles passantes »), dès que tu romps l’enchantement, parce qu’il faut bien bouger. Mais la biche, même un autre jour au-dessus de Crémieu, sur un sentier à peine dessiné, tu vois plus souvent son cul que ses yeux : peut-être ce qu’on appelle la « gentillesse » féminine ?

 

Je peux même te raconter la truite, dans ce qu’on appelle le « ruisseau de Chaumargeais » (à toi de trouver où ça se trouve), quand tu marches pieds nus dans la flotte et que, à chaque pierre qui « fait de l’ombre », tu t’arrêtes tout doux, tu te baisses tout doux, et tu passes tout doux les mains sous la pierre, le gras des doigts vers le haut. Quand le contact est soyeux, tu redoubles de douceur, comme un fétu qui suivrait le courant et qui effleurerait ce que tu as senti.

 

Tu mesures la dimension de la bête : une main tendre à la tête, une main tendre au ventre, tu crispes soudain les doigts, et tu jettes sur l’herbe, assez loin pour que, de son saut puissant, elle n’ait aucune chance de retourner à l’eau. Le soir, si tu t’es pas fait prendre, tu te régales : une poêle, les quelques jolies pièces de l’après-midi, la maille ou pas la maille, roulées dans la farine, un peu de beurre, que demande le peuple ?

 

Seulement un peu de bonheur. Tu peux aussi essayer dans la Cérigoule, ça marche aussi, mais elle est un peu large. Bien entendu, la « pêche à la main » est tout à fait illégale, prohibée, voire interdite, si ce n’est même proscrite. Parce que trop efficace et moins aléatoire, sans doute. Plus sûrement parce que tu n’as pas payé le timbre. Je vais te dire : « Attrape-moi si tu peux ! »

 

Regarde mourir un pic-vert, ça laisse également des souvenirs. Le fusil paternel résonne juste à côté de ton oreille : il a tiré ! Et tu vois l’oiseau tout d’un coup monter en flèche vers le ciel. Le fusil paternel te déclare : « Il a eu un plomb en pleine tête ». C’est sûr. Ça dure un instant seulement : après la flèche, la pierre, qui tombe verticale vers le sol. Au moins, tu n’as pas à chercher dans les broussailles. L’étonnant, une fois l’oiseau vert allongé sur la plaque de marbre : la langue ! Jamais vu une langue aussi longue, un peu dégoûtante au toucher. Bon, je sais bien que c’est très bête, de tuer un pic-vert.

 

La taupe, ce n’est pas mal non plus. Cela se passe dans « les marais ». Le jour est sec, le chemin et le soleil aussi, et les feuilles mortes aussi, qui commencent à crisser toutes seules les unes contre les autres. Bizarre. Tu t’es mis à l’ombre pour siroter ton breuvage. Le vélo est couché sur le bas-côté du chemin de terre. Tu es assis. Tu savoures la chose et le repos. C’est quoi, ces feuilles qui bougent ? Evidemment, tu vas voir, tu soulèves une feuille, puis deux, puis un paquet. C’est quoi, ce cylindre noir qui essaie de s’enfouir ? Mets-y les doigts ! Attention, ça mord et ça griffe. Incroyable, cette méchanceté ! Retournes-y, mais prudence.

 

C’est drôle, quand tu tiens la bête, le ventre en l’air : un museau de musaraigne, mais en moins long et en plus fort. Et des pattes comme des battoirs griffus, avec un dessous entre le rose et le gris. Bon, vous aurez beau insister, je ne dirai rien de ce qui arriva ensuite. Vous risqueriez de m’en vouloir. Sachez seulement que je m’intéressais fort à l’époque aux divers procédés de tannage des peaux. Ce que je peux parfaitement avouer, c’est qu’il n’y a pas plus doux sur terre que la fourrure de taupe, y compris la peau des filles, qui ont certes les griffes, mais même pas de la fourrure partout, et nulle part cette sorte de fourrure, à poils courts et droits, et d’une finesse inégalée.  Passons.

 

Puisqu’on est à la chasse, venons-en au moustique. Je n’ajouterai rien aux sempiternelles lamentations du touriste en vacances. Je pense aussi à une aventure de Lucky Luke : ce salopard de « poor lonesome cowboy and far away from home » introduit par le trou de la serrure un moustique dans la chambre d’hôtel d’Averell Dalton, qu’il doit affronter le lendemain. Au matin, celui-ci a le teint tellement verdâtre qu’il suffit d’une pichenette pour l’assommer. C’est vrai que ça rend la nuit impossible, le moustique. Mais il faudrait interdire cette déloyauté.

 

Moi, j’en avais régulièrement dans ma chambre, des moustiques. Heureusement, j’ai inventé une arme imparable. Quand vous aurez le temps, allumez une bougie. Intercalez-la entre la bombe insecticide et le moustique posé sur le mur en plâtre peint en bleu clair un peu pisseux. Laissez au moins vingt centimètres entre la bougie et la bombe. Appuyez. Pas longtemps. Relevez maintenant l’index, et observez : vous avez du mal à retrouver quelque trace que ce soit de la bestiole. Ben oui, elle a eu un peu trop chaud, quoi. Quoi, c’est dangereux ? Evidemment ! Où serait le plaisir de la chasse au chalumeau, je vous le demande ?

 

Bon, bref. Alors comme ça, mon sujet, c’était les oiseaux. Puisque j’en étais à la chasse, je signale que beaucoup d’espèces d’oiseaux distinguent à merveille le promeneur inoffensif et le chasseur armé d’un fusil. Vous vous baladez les mains dans les poches, vous avez des chances d’observer des vols presque normaux à proximité. Vous portez un grand bâton noir luisant et qui fait du bruit au creux du bras : vous ne voyez plus la queue d'un. Etonnant, mais c’est comme je vous le dis !

 

Il n’y a pas que le bec qui soit intéressant, chez les oiseaux. Voyez leur œil. Et tenez-le à l’œil jusqu’au prochain épisode.

vendredi, 07 octobre 2011

LITTERATURE : ACCEDER AU PLAISIR

Pourquoi j’aime lire ? Comment ça m’est venu ? Puisque tout le monde s'en fiche, je vais vous raconter, tant pis.

 

Je vais vous dire un truc qui peut paraître étonnant à quelqu’un de normal : je crois que j’ai consenti à apprendre à lire parce que je ne comprenais rien au monde qui m'entourait. Rien à ce que disaient les adultes autour de moi. C’était quoi, ce « canon » de la messe où l’on n’entendait aucun coup de canon ? Absurde, évidemment. Et je détestais ces fins de repas familiaux, où ils se mettaient à se parler à l’oreille, à voix basse, « on ne sait jamais », « ils entendent tout ». Salauds d’adultes. 

 

Une seule solution : essayer de comprendre. Prendre une revanche. La première raison du livre, chez moi, quand j’ai été en nage, euh non, en âge (je sais, c’est très bête), c’est ça. J’attends qu’enfin un secret me soit dévoilé, rien qu’à moi. Sans le savoir, j’attends une sorte de dépucelage. Et choisir la littérature, c'est accepter par avance d'être souvent dépucelé : on en redemande. J’ai découvert assez tôt qu’il n’y a pas de secret vital détenu par les adultes, et qu’en général, c’est assez pauvre. Les adultes, ils font exactement comme les gamins, ils essaient de vivre (ou de survivre). Simplement, ils ont appris des phrases pour l’expliquer, que les gamins ne connaissent pas encore. Et les gamins, ça les impressionne. 

 

Je me souviens parfaitement de ma « première fois » : j’étais au Cours moyen, avec M. Noblet ou M. Tanghe, à l’école Michel Servet. Mais attention, je parle de littérature, et de rien d’autre. Bon, Le Capitaine Corcoran, d’Alfred Assolant, ce n’est pas le fin dessus du panier, mais c’est idéal pour découvrir les bienfaits de la lampe de poche, cet auxiliaire indispensable quand on a des parents sourcilleux sur l’extinction des feux. Et un bouquin nimbé de l'aura du clandestin resplendira toujours de mille feux. Là, en plus, il resplendissait, même sans lampe de poche. 

 

Je compte pour rien quelques menus livres « pour enfants », avec une exception pour un « Gulliver à Lilliput ». J’étais fasciné par cet homme gigantesque, maintenu au sol par des milliers de câbles fins comme des fils (y compris par les cheveux, dans les ondulations desquels des Lilliputiens faisaient du toboggan), et autour duquel s’agitent des dizaines de personnages centimétrés. Allez, encore une exception pour un livre à couverture grise et titre rouge, intitulé Frédéric et le fantôme, où Frédéric découvre à la fin un trésor au pied d’un arbre dans le jardin. Disons que c'est un livre « véniel » : il y a plus niais. 

 

Dans l’armoire au fond de la classe, il y avait des livres. J’avais commencé mollo avec Par Vingt mètres de fond, d’un certain Arthur Catherall, où il s’agissait de retrouver le trésor d’un galion envoyé par le fond autour de 1700. J’avais évidemment aimé. Mais le galion disparut corps et biens, et définitivement cette fois, quand j’eus entre les mains les Aventures du capitaine Corcoran. Ça, c’était du costaud. J’imagine que la couverture comportait  le dessin d’un homme en tenue coloniale accompagné d’un tigre qui semblait domestiqué. Il est sûr qu’après trois ou quatre lectures d’affilée, je devais manquer d’un peu de sommeil. Mais voilà : le virus était inoculé. Ça compense. 

 

Je vous jure qu’à dix ans, on n’a pas la tête à analyser : on y est ou on n’y est pas. Aujourd’hui, on dirait : « Ça le fait », ou « Ça le fait pas ». Eh bien en l’occurrence, ça le faisait. Il n’est pas sûr que, relu aujourd’hui, je dirais la même chose. L’action se passe en Inde, au temps de la colonisation anglaise. 

 

Je me rappelle (j'avais dix ans !) en particulier deux scènes à suspense. Un : Corcoran est assiégé dans une pagode, en compagnie de sa merveilleuse tigresse et complice Louison, et se défend comme un diable en tirant au revolver  sur des ennemis nombreux, à travers une embrasure. Deux : Louison est tombée dans une fosse creusée traîtreusement sous ses pattes. C’est affreux. On se demande forcément comment ils vont en sortir. Ils en sortent. 

 

Quand des parents se plaignent au professeur de voir leur enfant fuir les livres et demander conseil pour les lui faire aimer, la première question que le professeur devrait poser est : « Est-ce que votre enfant vous voit qulequefois en train de lire des livres ? ». En général, ça leur cloue le bec. La honte du flagrant délit. Il devrait ensuite, en fonction de l’âge, indiquer des livres capables de le passionner. Je suggère, en collège, Notre Prison est un royaume, de Gilbert Cesbron. 

 

J’ouvre une parenthèse Alexandre Dumas. 

 

J’avais treize ans quand j’ai pris, sur les rayons de mes grands-parents, un énorme pavé (mais le papier était épais). Sur la couverture, quelques hommes à moustache et barbiche, à grand chapeau, croisant leurs épées en souriant virilement. Ben oui, bien sûr, c’était Les Trois mousquetaires, que je n’ai pas lâché : Milady de Winter, les ferrets de la reine, le coffret à l’aiguillon empoisonné, et tout le bataclan. Dans la foulée, j'ai fait un sort à Vingt ans après,  puis au Vicomte de Bragelonne, deux et trois fois plus longs. 

 

Mais autant le premier est limpide et homogène, autant, dans les deux autres, Alexandre Dumas, au fur et à mesure, se lâche, s’étale, se laisse aller, tire à la ligne. Et les intrigues deviennent compliquées, tortueuses. Cela sent l'atelier de scénaristes en ébullition. Aramis et Athos prennent quelque distance. C’est dommage. Je retiens quand même la trouvaille pathétique que constitue la mort de Porthos. Il tient de famille une « faiblesse dans les jambe » qui lui sera fatale. Non je n'en dirai pas plus. 

 

Je ne vais pas me lancer dans Alexandre Dumas, parce qu’on en aurait jusqu’au réveillon, mais je prends le temps de m’incliner quand même devant l’extraordinaire  combat que livre Bussy d’Amboise contre quatorze spadassins lancés contre lui par le Duc d’Anjou, dont il a orné le front d’une superbe ramure de cocu. Ah ! Le bruit des baisers que l’espion surprend en même temps qu’il aperçoit dans l’entrée les gants de buffleterie de Bussy d’Amboise !  

 

A propos d’escrime (parenthèse dans la parenthèse), il faut célébrer la célébrissime « botte de Nevers » (c’est dans Le Bossu, de Paul Féval), dont l’enchaînement, avec frappe de taille atténuée sur la main tenant l’arme, saut, enroulement et pointe qui s’enfonce comme par magie entre les deux yeux. 

 

Et il faut célébrer la moins connue botte de Luis de Ayala-Velate. C’est à la fin du  Maître d’escrime, de Arturo Perez-Reverte, face à la belle et redoutable Adela de Otero, à qui il a étourdiment enseigné sa meilleure botte. Et il n’a qu’un fleuret de courtoisie, au bouton bien garni de son morceau de peau qu’on appelle mouche, face à une épée en bonne et due forme. Rassurez-vous, il lui enfoncera la mouche jusque dans le cerveau. 

 

Revenons à Bussy (au fait, je me fiche de savoir qu’il fut dans la réalité un des grands bouchers de la Saint-Barthélémy), qui a donc étendu pour le compte quatorze bonshommes. Malheureusement, le Duc d’Anjou vient vérifier le travail de ses hommes, et constate amèrement que quatorze lames pour venir à bout de la plus fine du royaume, ce n’était pas encore assez, alors, en homme sans honneur, il lui lâche un coup de pistolet. Heureusement, il ne l’emportera pas en paradis : la dame de Monsoreau (Diane de Méridor, si je me souviens bien) et son complice se vengeront atrocement de lui en répandant du poison volatil dans les fleurs qu’il doit respirer. C’est bien fait ! 

 

Allez, pour finir sur Alexandre Dumas, un petit salut aux valets des Mousquetaires. Un petit mot pour Grimaud, Mousqueton et Bazin, respectivement à Athos, Porthos et Aramis. Un mot spécial pour Planchet, qui fut parfois la planche de salut de D’Artagnan. Un petit mot pour Chicot le prudent qui, dans La Dame de Monsoreau, il me semble, sachant qu’il va au-devant des ennuis, revêt une cotte de maille particulièrement étudiée, et bien lui en prend, car le coup de poignard sera particulièrement traître. 

 

Non, je ne peux pas refermer cette note sans me prosterner devant le personnage d'Edmond Dantès et de ce noble vieillard enfermé depuis lurette au fond du château d'If, qui lui lègue le grand secret : un tunnel qu'il lui suffira d'achever pour retrouver l'air de la liberté, et surtout l'existence de l'île de Monte-Cristo, où il a laissé, bien en sécurité, un fabuleux trésor qui deviendra le moyen de la vengeance d'Edmond. 

 

Je n'oublie pas que c'est dans la prison d'Edmond Dantès que j'ai appris l'expression "solution de continuité" : c'était, après chaque séance de travail de creusement dans son tunnel, la nécessité de faire disparaître toute trace qui aurait pu dévoiler aux gardiens son activité secrète autant que coupable. 

 

J'avoue qu'en dehors de ces scènes, et d'une autre où, assis à table avec des convives, le comte de Monte Cristo sort d'un pilulier de petites boules vertes (du haschich) qui lui tiennent lieu, ou peu s'en faut, de nourriture, j'ai passablement oublié les modalités des actions qui suivent l'évasion et la prise de possession du trésor de l'abbé Faria. 

 

Je ferme la parenthèse Alexandre Dumas 

 

A suivre une autre fois.

jeudi, 06 octobre 2011

MON BON PLAISIR EN LITTERATURE

DU POPULAIRE EN GÉNÉRAL ET DU POLICIER EN PARTICULIER

 

Pourquoi je ne lis pas que des livres de « haute littérature » ? Pourquoi j’aime ça, disons, la « littérature populaire », à commencer par le « roman policier » ? J’ai certes jubilé intensément d’un bout à l’autre de Moby Dick, de HERMAN MELVILLE, peut-être, entre autres, à cause de la traduction parfaite d’ARMEL GUERNE. Mais le traducteur a beau faire des prouesses, l’essentiel, forcément,  appartient au seul auteur. J’avoue cependant que j’ouvre avec plaisir, à l’occasion, un Maigret de GEORGES SIMENON, ou un Arsène Lupin de MAURICE LEBLANC. Pourquoi ce plaisir ? 
 

Dans le premier cas, je me souviens des détails de l’action, j’ai pour ainsi dire vécu en compagnie des marins, sur le pont, dans les haubans ou dans la  baleinière, et j’ai appris à les connaître. J’en ai bavé, j’ai bu la tasse, j’ai été secoué, chaviré. Longtemps après avoir lu, je mastique encore, je rumine, je persiste à digérer, je prolonge l’assimilation. C’est un livre qui dure. 

 

Dans l’autre, dès que, satisfait de ma lecture, j’ai refermé sur la clé de l’énigme, j’ai déjà oublié les circonstances, les personnages, les lieux, sauf – encore que vaguement – cette cour sablonneuse d’une  maison dans la Sarthe, un jour torride de juin, où il s’est passé quelque chose. Quelque chose, mais quoi ? Pourtant SIMENON est un excellent écrivain. D’abord tout le monde le dit, c'est sûrement vrai. D'autant plus vrai que j'en suis convaincu.  

 

En un mot comme en cent, la "grande littérature" me transporte, la "petite littérature" me fait plaisir. Et j'ai grand respect et besoin de la digression, comme l'ont sans doute remarqué les lecteurs de ce blog. 

 

Je dirais, tiens, ça me vient là, que ce sont des livres à « évaporation rapide », en face d’autres livres, que je dirais à « sédimentation durable ». Maigret, ce n’est pas le premier, c’est loin d’être le seul, mais avant tout, c’est un personnage de SÉRIE : « J’aime bien lire "un" Maigret, de temps en temps », peut-on souvent dire ou entendre. Ou "un" James Bond. Ou "un" Arsène Lupin. Je rappelle que le premier héros d’une série policière est le Dupin d’EDGAR ALLAN POE dans trois récits : Double assassinat dans la rue Morgue, Le Mystère de Marie Roget, La Lettre volée (1841, 1842, 1844). Rendons à César… 

 

Alors derrière le "un", posez Nestor Burma, Miss Marple, Hercule Poirot, OSS 117, le commissaire Adamsberg, Pepe Carvalho, le Juge Ti, Erwin le Saxon, bref : QUI VOUS VOUDREZ. Chacun des livres de ces séries n’est pas fait pour rester. Je dirai donc  que l’évaporation est le principe même  de la série. Et que le héros de la série, à son tour, s’évapore : en fait, il ne lui arrive rien Á LUI personnellement. 

 

C’est flagrant avec James Bond, dont j’imagine en toute logique le corps couturé, non : zébré de cicatrices en tous sens, de toutes sortes, de toutes profondeurs. Normalement, sa surface est toute en creux, cratères, et bosses, comme celle de la lune. Quand James entreprend d’emboîter son corps dans celui de la « james bond girl » de service,  dans le roman suivant, la peau de celle-ci devrait croire qu’on la frotte à la paille de fer, ou à la râpe à chambre à air de vélo, suite à crevaison. En tout cas, il m’arriverait le centième de ce qu’il a subi au total, moi, je serais au moins mort, voire pire que ça. 

 

Mais non, « the show must go on », comme chante FREDDY MERCURY quelques mois avant d’avaler son bulletin de naissance. James Bond, lui, deux minutes après être passé sous le char d’assaut, il est prêt à entrer en scène pour son récital, smoking repassé, mise en plis impeccable, lisse comme le crâne de YUL BRYNNER, propre et net comme un napoléon « fleur de coin ». 

 

Ce qui vaut pour James Bond vaut pour tous les autres : voyez, dans Tintin en Amérique, lorsque le héros, capturé par le syndicat de gangsters de Chicago, est balancé au lac ficelé avec aux pieds d’énormes haltères qui doivent l’envoyer par le fond, et qui s’avèrent être en bois ; le drôle, c’est que Tintin lui-même semble fait de bois puisque, les mains attachées dans le dos, il est aussi flottable qu’un tronc d’arbre. 

 

Les séries policières ? Je vais vous dire : c’est comme un coin du feu, un bon fauteuil, des pantoufles, bobonne à côté, avec Socrate le griffon Korthals, affalé sur sa carpette à somnoler goulûment après ses bambanes au grand air. Vous avez tout de suite le décor familier, les personnages familiers, les habitudes de la boutique. San Antonio appelle illico le  tandem Pinuche-Bérurier, mais aussi sa « brave femme de mère », Félicie. Ce sont de solides et rassurants points de repère. 

 

Prenez qui vous voulez, mettons Sherlock Holmes, qu’est-ce qui vous vient, là, tout de suite ? Le violon, la pipe, le chapeau, le mac farlane, le docteur Watson : voilà, c’est automatique, vous ne connaissez pas tout, mais vous reconnaissez, vous êtes en pays de connaissance. Mieux que ça, vous êtes chez vous, à la maison, au chaud. Ça fait du bien. La série policière, au fond, c’est le CONFORT BOURGEOIS pour le lecteur. La série policière est d’abord confortable. 

 

En fait, le héros, dans la série, s’il ne lui arrive rien à lui, c’est qu’il est tout simplement immortel. Il ne peut rien lui arriver de définitif (sinon, pas de série). La preuve, c’est que ARTHUR CONAN DOYLE a même été obligé de ressusciter Sherlock Holmes, sous la pression d’un public qui  tenait à son héros plus qu’à un vieux pull sentimental et nostalgique du temps de sa jeunesse, ce pull qui a suivi la déformation du corps avec l’âge (arrondissement du ventre, fléchissement du dos), et dont le corps s’est, comme qui dirait, imprégné. Le héros de série policière ne peut ni ne doit mourir avant son auteur, à moins qu’il passe de main en main (Nick Carter, assez oublié aujourd’hui), preuve supplémentaire d’immortalité. 

 

Et s’il est immortel, je vais vous dire, c’est que le héros de série n’existe pas. Enfin pas vraiment. Pas complètement. D’ailleurs, l’auteur n’y croit pas trop lui-même. Du moins il fait semblant d’y croire. Ce qui l’intéresse, l’auteur, ce n’est pas le héros, mais la sombre et riche combinaison du coffre-fort. Car son roman, c’est comme un coffre. L’auteur, qui prend le  lecteur par la main ou pour un imbécile, l’amène progressivement et méthodiquement jusqu’au moment de l’ouverture. Le héros, mis en face du coffre au début, est sommé d’avoir « cassé » la combinaison à la fin. La lourde porte s’ouvre devant les yeux haletants (oui oui !). En fait, il n’y a rien dans le coffre (« hin hin hin » , grince l’auteur sardonique, « je vous ai bien eus »). 

 

Le héros de série, finalement, ça a juste l’existence très mince d’un ciseau à bois (ou d'une clé à pipe, ou d'un tiers-point, au choix) que l’auteur remet à sa place au tableau au-dessus de l’établi quand il a accompli sa tâche. On aura beau faire comme MANUEL VASQUEZ MONTALBAN, et donner à Pepe Carvalho, entre autres spécialités, celle d’un PAGANINI des cuisines, du « piano », du chinois et de la lèchefrite, ça ne change rien : la gastronomie intervient dans l’histoire, quoi qu’on fasse, à la manière des parenthèses dans une phrase. 

 

Maintenant, il faut savoir que certains héros de série sévissent dans un seul récit. L’élégance expressive en vigueur aujourd’hui parle de « one shot ». Prenez La Dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil, de SEBASTIEN JAPRISOT. Prenez Fatale ou La Position du tireur couché, de JEAN-PATRICK MANCHETTE. Prenez Le Maître d’escrime, d’ARTURO PEREZ REVERTE. Le confort n’est pas aussi grand, mais presque, grâce parfois au jaune et noir de la couverture : c'est exprès que vous êtes entré dans cette boutique-là, vous savez que vous y trouverez l’article cherché.

 

 

Souvent, le plus marrant, dans le polar, c'est le titre. Parfois, il n'y a même que ça de drôle. Parce qu'il faut dire que les San Antonio, pendant un temps, ont été assez ratés. Mais quand vous tombez nez à nez avec Les Anges se font plumer, vous capitulez, bien sûr. Entre la vie et la morgue est une trouvaille. Ménage tes méninges n'est pas mal non plus. Mais il n'y a pas que San Antonio. Que pensez-vous de Enterrement pour Cythère (ANDRE HELENA ) ? J'aime beaucoup Mes Morts d'outre-tombe (PIERRE NEMOURS).  

 

 

Bref : en peinture, il y a MICHEL-ANGE, et puis il y a mon oncle ; pour la musique, il y a BEETHOVEN, et puis il y a moi sous la douche; enfin il y a MARCEL PROUST et il y a FREDERIC DARD, pour ce qui est d'écrire des histoires. Et moi, j'ai un principe, je ne veux pas faire de jaloux. On a de la morale, ou on n'en a pas.  

lundi, 03 octobre 2011

TROIS HOUELLEBECQ SINON RIEN (2)

Suite et fin.

 

Les Particules élémentaires est un roman qui raconte quelle histoire, en fin de compte ? Janine Ceccaldi, une fille aux capacités intellectuelles hors du commun, épouse Serge Clément, qui entrevoit déjà (on est dans les années 1950) les immenses possibilités de la chirurgie esthétique. Puis elle rencontre Marc Djerzinski, homme talentueux qui œuvre dans le cinéma. Elle divorce pour l’épouser. De ces deux unions naîtront deux demi-frères : Bruno Clément et Michel Djerzinski.

 

 

Il y a donc l’histoire de Janine en pointillé. L’histoire d’Annabelle, qui a failli vivre une « belle histoire d’amour » avec Michel. L’histoire des ratages de Bruno qui, en compagnie de Christiane ou sans elle, hantera divers lieux où il espère connaître quelque aventure sexuelle.

 

 

A travers le personnage un peu pathétique de Janine, la mère, qui se fait appeler Jane, se formule une description somme toute caustique de l’ère baba-cool : délaissant les deux pères de ses enfants (et ses deux enfants par la même occasion), elle suit un genre de gourou, Francesco Di Meola, qui, s’étant fait pas mal d’argent,  abandonne la Californie et Big Sur, où il a rencontré les dieux et les diables de la contre-culture, y compris l’imposteur CARLOS CASTANEDA, celui qui était entiché de son sorcier yaqui, DON JUAN MATUS, dont il vendit les probables bobards à des millions d’exemplaires (mais ça, ce n’est pas dans le livre de HOUELLEBECQ). Di Meola achète une propriété en Provence.

 

 

Janine-Jane (la mère) a baigné dans le jus contre-culturel, mais ce jus a tourné, ou alors il a aigri. Le bilan de son existence est « nettement plus catastrophique ». Et la mère des deux frangins aura une triste fin, dans une maison du village de Saorge, où vivent encore quelques illuminés post-soixante-huitards, dont « Hippie-le-Gris » et « Hippie-le-Noir », que Bruno appelle Ducon.

 

 

La scène est curieuse. Bruno est sous traitement de lithium pour raisons psychiatriques. Soit dit en passant, je ne sais pas si c'est encore le cas, mais il fut un temps où l'organiste titulaire de l'orgue de Saorge n'était autre que RENÉ SAORGIN, sans que les deux noms eussent quelque rapport que ce fût.

 

 

« Michel observa la créature brunâtre, tassée au fond de son lit, qui les suivit du regard alors qu’ils pénétraient dans la pièce. » Quant à Bruno, tout ce qu’il arrive à dire : « Tu n’es qu’une vieille pute… émit-il d’un ton didactique. Tu mérites de crever. ». « T’as voulu être incinérée ? Poursuivit Bruno avec verve. A la bonne heure, tu seras incinérée. Je mettrai ce qui restera de toi dans un pot, et tous les matins, au réveil, je pisserai sur tes cendres. »

 

 

Il y a souvent des problèmes, chez HOUELLEBECQ, avec la transmission et avec la filiation. Un moment vaguement hallucinant, où Bruno se met à entonner à pleine voix "Elle va mourir la mamma", tout en insultant à qui mieux-mieux les hippies qui, d'après le testament maternel, vont hériter de la maison.

 

 

Face à Bruno, qui débloque sévèrement, le littéraire raté et hors du coup, MICHEL HOUELLEBECQ fait de Michel, en dehors d’un errant affectif quasiment indifférent à tout ce qui est humain, un biologiste à la pointe du « progrès », disons-le, une sorte de génie : son « testament » de chercheur s’intitule Prolégomènes à la réplication parfaite. Michel ne veut pas être emmerdé par les tribulations humaines ordinaires. Peut-être est-ce ce qui guide ses recherches.

 

 

 

Car ce testament s'avère porteur de tout l'avenir scientifique de l'humanité. Chacune de ses propositions révolutionnaires en sera plus tard  dûment et scientifiquement prouvée. Autrement dit, le point culminant de son travail ouvre la voie à l’admission du clonage humain comme fondement institutionnel de l’humanité, ce qui débarrasse l'ancienne humanité (la nôtre) de tout le poids sentimental qui l'écrase.

 

 

Le livre évoque, depuis un moment du futur, l’extinction de la vieille race humaine. « On est même surpris de voir avec quelle douceur, quelle résignation, et peut-être quel secret soulagement les humains ont consenti à leur propre disparition. » On perçoit en positif cette post-humanité, qui adresse in fine sa gratitude à l’humanité archaïque : « Cette espèce aussi qui, pour la première fois de l’histoire du monde, sut envisager la possibilité de son propre dépassement ; et qui, quelques années plus tard, sut mettre ce dépassement en pratique ».

 

 

On est alors quelque part, dans ce regard rétrospectif, à la fin du 21ème siècle. Et la post-humanité rend alors hommage à l’humanité (la nôtre), qui fut si défectueuse, mais si touchante aussi. Glaçant, et très fort. Quand on ferme le livre, on se prend à espérer que c’est de la science-fiction. Mais ce n’est pas sûr.

 

 

La Carte et le territoireoffrait une perspective analogue sur la disparition programmée de l’humanité, à travers l’œuvre en mouvement de Jed Martin, présenté comme un grand artiste de son temps. Plateforme nous plonge dans la décadence sexuelle de l’Europe vieillissante. Le personnage principal, qui se nomme là encore Michel, est un obscur fonctionnaire aux Affaires Culturelles, un statut social négligeable. Au début du livre, Michel, qui vient de perdre son père, participe à un voyage organisé en Thaïlande. Il passe bien sûr par des « salons de massage ». Valérie fait partie du groupe, un groupe triste, hétérogène, et bête, avec ça !

 

 

Revenu à Paris, il démarre une relation vraiment amoureuse avec Valérie, qui travaille dans une entreprise de tourisme, sous la direction de Jean-Yves. Lui et Valérie, professionnellement, sont complémentaires. Ils gagnent confortablement leur vie. Une opportunité les propulse à la tête des villages Eldorador.

 

 

C’est dans un village de Cuba que Michel suggère à Jean-Yves, pour rétablir la situation de la société, de faire de ses villages des destinations pour un tourisme, disons … « de charme ». Tout se goupille à merveille, et l’entreprise est florissante, mais ces salauds d’islamistes feront tout capoter, avec à la clé l’insurrection de tout le féminisme français contre l’esclavage dégradant et le tourisme sexuel.   

 

 

C’est sûr, l’humanité de MICHEL HOUELLEBECQ n’est pas belle à voir. Au fond, autant vaut qu’elle disparaisse, n’est-ce pas ? J'ai l'impression que les romans de MICHEL HOUELLEBECQ sont des applications romanesques pratiques de la pensée de GÜNTER ANDERS (L'obsolescence de l'homme), de HANNAH ARENDT et de GUY DEBORD. Et le pire, c'est que ces romans paraissent être à peine de la science-fiction. Ce sont, et c'est PHILIPPE MURAY qui le dit à propos des Particules élémentaires, des ROMANS DE LA FIN.

 

 

 

 

 

dimanche, 02 octobre 2011

TROIS HOUELLEBECQ SINON RIEN

J’ai mis beaucoup de temps avant d’ouvrir un livre de MICHEL HOUELLEBECQ. Ce qui me repoussait, je crois l’avoir dit ici, c’est la controverse : il y a quelque chose de si futilement médiatique dans la présence éphémère du parfum de quelques noms dans l’air du temps, que je tenais celui-ci pour tout à fait artificiel, voire carrément faux et illusoire, comme c’est le cas de la plupart des effervescences télévisuelles et autres. Je suis devenu excessivement méfiant. En l’occurrence, j’avais tort.

 

 

J’ai donc commencé la lecture de MICHEL HOUELLEBECQ quand son dernier roman, La Carte et le territoire, fut placé, un peu par hasard, à proximité immédiate de ma main. J’ai dit grand bien du livre dans ce blog. J’en ai maintenant accroché deux autres à mon tableau de chasse : Les Particules élémentaires et Plateforme. Conclusion, vous allez me demander ? Voilà : je ne sais pas si on a à faire à un « grand » écrivain, je ne sais pas si ce sont des « chefs d’œuvre ». Je peux dire que ce sont des livres qui comptent, et des livres qui sont plutôt du grain que de la balle, si l’image peut encore être comprise.

 

 

Je lui ferai un reproche, cependant : la place quasi-nulle qu’il fait à la musique. Et ce n’est pas le « Et allons-y pour les quintettes de Bartok… » (Particules, p. 157) qui me fera changer d’avis, d’autant plus que, si BELA BARTOK a écrit six quatuors à cordes, je ne sache pas qu’il ait composé autre chose qu’un quintette avec piano.

 

 

Des « grands » écrivains comme s’il en pleuvait, des cataractes de « chefs d’œuvre », c’est le quotidien de la rubrique « culture » des magazines, des revues spécialisées type Le Magazine littéraire, ou du  supplément « livres » d’un « grand quotidien du soir ». C’est une surabondance de productions « indispensables », d’oeuvres « incontournables ».

 

 

Moi je vais vous dire, de deux choses l’une : ou bien il règne une immense complaisance, voire une veulerie démesurée, au sein du milieu sinistré, ce milieu sinistré que l’on n’appelle plus que par complaisance  la « critique littéraire », genre « Le Masque et la plume » ; ou bien ces soi-disant « critiques » sont totalement incompétents, et n’ont plus qu’une idée très approximative de ce qu’est le littéraire. « Critiques littéraires » : quand j’entends cette expression, je pouffe, je me gausse, que dis-je : je m’esclaffe. Voilà : ils sont soit complaisants, soit incompétents, peut-être même les deux, mon général.

 

 

Le Monde des livres n’échappe pas à la règle, qui fait, en général et sauf exception, de ses papiers « critiques » de simples prospectus de promotion publicitaire au service d’un copain, ou de quelqu’un à qui on doit quelque chose, ou à qui on a l’intention de demander quelque chose, dans le jeu bien connu du « renvoi d’ascenseur ». Les lycéens appellent cette catégorie de premier de la classe « lèche-cul » (mais suspect est encore plus sale, si on décompose, essayez). Le bocal « littéraire », spécialement français, a quelque chose d’assez répugnant.

 

 

Donc, je ne sais pas si MICHEL HOUELLEBECQ est le digne successeur de BALZAC et PROUST. J’ignore si ses livres sont des Everest de la littérature. Ce que je sais, c’est qu’il travaille sur le monde qu’il a sous les yeux, qu’il dit quelque chose du monde tel qu’il est, et qu’il développe sur celui-ci un point de vue, une analyse, une proposition d’éclairage précis, une grille de lecture, si l’on veut. Si l’on est malveillant, on dira qu’il regarde de derrière des « lunettes » (vous savez, chez PIERRE BOURDIEU, celles du journaliste, celles qui déforment le monde).

 

 

C’est un romancier qui a pris position face à la « civilisation occidentale », et qui a ceci de bien, c’est que, s’il parle de lui, c’est à distance respectable, hors de portée de tir de son propre nombril et des ravages courants que celui-ci commet dans les rangs des « écrivains » français, pour le plus grand plaisir des jurés du Prix Inter en général et de PATRICIA MARTIN en particulier.

 

 

On peut trouver le point de vue développé par MICHEL HOUELLEBECQ  d’une noirceur exécrable : pour résumer, grâce à la civilisation actuelle, exportée par l’Europe, moulinée avec la sauce techniquante, massifiante et consommante de l’Amérique triomphante, le monde actuel court à sa perte et, d’une certaine façon, est déjà perdu.

 

 

L’auteur met-il pour autant ses pas dans ceux de PHILIPPE MURAY, comme je l’ai suggéré ? Je n’en sais rien. Ce que je sais, c’est que PHILIPPE MURAY a développé dès les années 1980 un regard analogue sur la réalité, d’une acuité de plus en plus grande, et un regard de plus en plus pessimiste.

 

 

Avant lui, plusieurs auteurs se sont inquiétés de l’évolution de notre monde : GÜNTER ANDERS (L’Obsolescence de l’homme), LEWIS MUMFORD (Les Transformations de l’homme), HANNAH ARENDT (La Crise de la culture), CHRISTOPHER LASCH (La Culture du narcissisme), JACQUES ELLUL (Le Système technicien, Le Bluff technologique), GUY DEBORD (La Société du spectacle), et quelques autres.

 

 

Pardon pour l’étalage, mais c’est parce qu’il y a un peu de tous ces regards dans les romans de MICHEL HOUELLEBECQ, tout au moins les trois que j’ai lus (publiés en 1998, 2001 et 2010, ce qui révèle quand même une certaine constance). La « patte » de PHILIPPE MURAY, c’est l’attention portée à un aspect particulier de la crise moderne : l’humanité est devenue peu à peu superflue, submergée par des objets techniques, des gadgets qui sont devenus pour elle si « naturels », mais en même temps si dominateurs, qu’elle est progressivement devenue une vulgaire prothèse de ses propres inventions.  PHILIPPE MURAY le synthétise dans la notion de fête, dans l’abolition de tout ce qui permettait la différenciation (en particulier entre les sexes), dans le nivellement de toutes les « valeurs ».

 

 

A suivre...

 

 

samedi, 01 octobre 2011

UNE DRÔLE DE CHANTEUSE ALLEMANDE

Voilà un roman d’initiation qu’il est bon ! Encore un conte de fesse pour adultes, qu'on se le dise ! Le titre exact est Mémoires d’une chanteuse allemande, livre à scandale paru sans nom d’auteur en 1868 sous le manteau. Sont-ce vraiment des mémoires, ou un simple roman érotique ? La chanteuse narratrice est-elle vraiment la célèbre WILHELMINE SCHRÖDER-DEVRIENT, comme le bruit en a couru avec insistance ? Rien ne le prouve. Et on s’en fiche.

 

 

Pour une initiation, il faut dire que ça va bien au-delà. Normalement, dans l’ordre, vous avez 1) la théorie ; 2) les travaux pratiques ; 3) vogue la galère ! Ici, on peut dire que les travaux pratiques se prolongent au-delà du nécessaire, et même du suffisant, et que, dans ce « laboratoire », chacune des variantes est minutieusement examinée, dans ses tenants et ses aboutissants. Et si ça « tient » beaucoup, ça « aboutit » à chaque fois.

 

 

Cela commence par l’anniversaire du papa. Mademoiselle a quatorze ans, et ne trouve rien de mieux que de se cacher dans l’alcôve à porte vitrée de la chambre parentale pour faire une bonne surprise à ses parents une fois que maman aura fêté papa … en toute innocence, croit-elle. La maman, c’est une sacrée coquine, sous ses dehors de protestante rigoureuse. Elle fait mine d’être souffrante et, avant de s’étendre sous la couverture avec des opinions  suggestives, c’est-à-dire très ouvertes, elle dispose un miroir qui lui permettra de voir son mari de dos sans qu’il s’en doute. Elle a donc tout de la bigote retorse, quoi !

 

 

Et ça ne manque pas : le papa découvre (aux deux sens) sa femme « endormie », se livre à quelques papouilles qui la « mettent en joie », et tous deux font la fête, « comme papa dans maman », sous les yeux de fifille qui n’en perd pas une miette. L’une des grandes qualités du scientifique n’est-elle pas dans l’exactitude des observations ?

 

 

Après les jeux de papa-maman, la coquine surprend la bonne, Marguerite, en train de lire un livre illustré qui lui met le feu aux joues et des éclairs aux yeux. Tout en lisant, elle se fait du bien avec un doigt, puis, ayant fait chauffer du lait sur un petit réchaud, elle en remplit un objet oblong muni de deux boules à la base et, tout en continuant à lire avec une respiration de plus en plus saccadée, elle opère, après introduction de l’objet, un transfert de liquide qui lui réchauffe les intérieurs. La petite scientifique se dit, en notant ses observations : « Intéressant, à retenir ». Elle décide de confesser la bonne.

 

 

On commence évidemment par se glisser dans son lit un soir d’orage, on lui dit qu’on a mal ici, non, un peu plus bas, non un peu plus haut, là ça y est. Comme la bonne n’est pas restée insensible, on accepte de se mouiller la main pour lui rendre la pareille, en essayant de rester dans une attitude de parfaite innocence, pour ne pas paraître trop « avertie ».

 

 

Marguerite raconte alors sa vie. Entrée au service de Madame la Baronne, elle supplée auprès d’elle, faute de mieux, l’absence de tout mâle dans les environs. Dans ce rôle de « suppléante », elle se fait à moitié déniaiser. L’autre moitié ne tarde pas à l’être à son tour, grâce à un stratagème qui lui permet de se mêler comme par accident aux jeux de mains jeux de vilains auxquels se livre la baronne en compagnie d’un comte, « un jeune homme fort beau et élégant ».

 

 

La baronne, et Marguerite à son exemple, accorde la plus haute importance à un objet particulier : « une vessie souple, blanche, bordée d’un cordonnet rouge – cette fameuse invention du célèbre médecin français Condom ».

 

 

A ce propos, voici ce que dit de « Condom » le Nouveau Larousse Illustré (autour de 1900) : « (du nom de l’inventeur) Sac en baudruche ou en caoutchouc, employé comme préservatif dans les rapports sexuels. – ENCYCL. Les condoms primitifs, dont on attribue l’invention à un hygiéniste anglais du 18ème siècle, étaient invariablement faits de baudruche spéciale (caecum de mouton). Aujourd’hui, on les fait aussi en caoutchouc laminé. La fragilité de ces engins les rend souvent inefficaces ».

 

 

Le Grand Robert préfère ne pas se prononcer sur l’origine du mot, aucun médecin du nom de Condom n’ayant pu être identifié sur tout le 18ème siècle. Enfin, il faut bien raconter l’Histoire, n’est-ce pas ?

 

 

Marguerite observe scientifiquement l’usage que les deux amants font de l’objet, dont elle ne cesse de recommander vivement l’usage à la future chanteuse. Machiavélique, elle parvient à se faire accepter, et même à mener le jeu : le duo devient dès lors trio, au léger désappointement de la baronne, qui n’a aucune idée de tout ce que le cerveau de sa bonne a tramé.

 

 

La narratrice se lance alors dans des considérations oiseuses, des observations sociologisantes, des remarques moralisatrices, dont je retiendrai, d’une part, qu’il ne faut jamais se fier aux apparences, que ce soit celles des femmes qui semblent beaucoup promettre et qui tiennent peu, ou celles des femmes au maintien et à la vêture austères ; d’autre part cette maxime : « Il est extraordinairement difficile à la femme d’avouer qu’elle jouit ». Je laisse aux dames le soin de décider s’il est plus vraisemblable que cette phrase sorte d’une bouche féminine.

 

 

Elle entreprend ensuite de faire la conquête d’un jeune puceau, Franzl,  toujours en se débrouillant pour que ce soit lui qui s’imagine avoir l’initiative, mais cela lui donne du travail, car le jeune homme, en plus d’être inexpérimenté, est d’une timidité maladive. Mais enfin, vous savez ce que c’est, on n’ose pas, et puis on s’enhardit, et de fil en anguille… vous m’avez compris. Enfin presque : elle demeure inflexible, s’agissant de l’accès à sa « grotte », comme elle dit. Ils en restent donc à des jeux purement buccaux, quoique réciproques.

 

 

Entre-temps, on lui a découvert un don pour le chant, elle a de grands professeurs, elle se prépare pour la scène, où elle connaît un succès éclatant, ce qui la met matériellement à l’aise et lui procure un peu d’indépendance. Elle entre dans l’intimité d’un banquier qui voudrait bien l’ajouter à son tableau de chasse, mais comme elle se soustrait à ses ardeurs, elle suscite la sympathie de son épouse, Roudolphine.

 

 

Imitant Marguerite échafaudant un plan pour s’offrir le beau comte au nez et à la barbe de la baronne, la narratrice se débrouille pour que le Prince italien la surprenne en compagnie de sa nouvelle amie. Tout ce joli monde s’abandonne avec  enthousiasme aux joies du triolisme, qui les laissent pantelants et épuisés.

 

 

La difficulté de ce genre de livre est d’échapper au reproche de répétition. Mais évidemment, ce genre de loisir ne saurait y échapper, ne serait-ce qu’à cause de la conformation anatomique des individus. DONATIEN ALPHONSE FRANÇOIS DE SADE, lui-même, que ce soit dans La Philosophie dans le boudoir ou dans Les 120 Journées de Sodome, est forcé de répéter, ne serait-ce que certaines exclamations qui surviennent dans les moments d’apogée, et il n’en sort, quant à lui, que par l’escalade. En général, l’escalade finit mal pour certains des participants.

 

 

Il faut sans doute se résoudre à accepter le fait que certaines occupations, même les plus agréables, ne sauraient éviter tout à fait une certaine monotonie. Quoi qu’il en soit, il n’est guère d’ouvrages dits du « second rayon » qui se renouvellent en cours de route. De cette sorte d’ouvrages tirés de l’ « Enfer », Gamiani ou deux nuits d’excès, sans doute (ou peut-être) écrit par ALFRED DE MUSSET, ou Les Onze mille verges, d’APOLLINAIRE, pratiquent à qui mieux-mieux l’escalade. Et dans les plus honnêtes des cas, il est compréhensible qu’on aboutisse à la mort.

 

 

Rien de tout ça, qu’on se rassure, dans Les Mémoires d’une chanteuse allemande. Une cantatrice célèbre ne saurait tomber dans les excès d’exploits génésiques et gymnastiques. Celle-ci se contente, comme on dit niaisement aujourd’hui, de « vivre une sexualité épanouie ».

 

 

Voilà, maintenant, vous en savez assez, si par hasard vous ignoriez l’existence de ce titre. Je vous en ai assez dit. Ce n’est pas un chef d’œuvre, à cause de longueurs et temps morts divers, c’est un livre « distraisant » (« treize ans et demi, après, je prends ma retraite », comme dit BOBY LAPOINTE). J’imagine qu’il est toujours disponible aux éditions Allia, dont il faut saluer les beaux efforts pour remettre en circulation ces « Curiosa » (dits aussi "livres qu'on ne lit que d'une main"), parfois difficiles à dénicher.

 

 

 

 

dimanche, 04 septembre 2011

PHILIPPE MURAY CHEZ MICHEL HOUELLEBECQ

Je reviens à La Carte et le territoire, de Michel Houellebecq, dont j’ai parlé ici même du 17 au 20 août. Ben oui, je suis obligé. Je vous explique : j’ai retrouvé, dans un livre de Philippe Muray, l’emplacement où figure l’expression « la carte et le territoire ». 

 

C’est à la page 389 de Festivus festivus (Fayard, 2005) : « La fameuse distinction de la carte et du territoire était encore rassurante : c’était la distinction du réel et de l’imaginaire ; mais il n’y a plus de territoire, et c’est le peuple de la carte qui s’exprime. Sans drôlerie, comme de juste. Sans imagination. Ou qui ne s’exprime pas du tout, d’ailleurs ». C’est intéressant. Il me semble qu’on doit pouvoir retrouver d’autres références à la même expression. 

 

Lorsque le peintre Jed Martin expose ses photographies de cartes Michelin « départements », les choses se présentent ainsi : « L’entrée de la salle était barrée par un grand panneau, laissant sur le côté des passages de deux mètres, où Jed avait affiché côte à côte une photo satellite prise aux alentours du ballon de Guebwiller et l’agrandissement d’une carte Michelin « Départements » de la même zone. Le contraste était frappant : alors que la photo satellite ne laissait apparaître qu’une soupe de verts plus ou moins uniformes parsemée de vagues taches bleues, la carte développait un fascinant lacis de départementales, de routes pittoresques, de points de vue, de forêts, de lacs et de cols. Au-dessus des deux agrandissements, en capitales noires, figurait le titre de l’exposition : « LA CARTE EST PLUS INTÉRESSANTE QUE LE TERRITOIRE ». ». Fin de citation. Je note qu'il ne parle à aucun moment, dans son énumération, de la moindre localité, ni de la moindre indication écrite. Cela devrait mettre la puce à l'oreille. 

 

J’ignore si Michel Houellebecq part des considérations de Philippe Muray (qui dit à peu près que le peuple est devenu virtuel, c’est-à-dire qu’il n’est plus réel, il est devenu « la transparence », comme il dit ailleurs), mais au cas où…, on ne sait jamais, ça voudrait dire que le personnage de Jed Martin ferait en quelque sorte la preuve de la chose, mais en faisant semblant de trouver cela positif. 

 

Et il faut savoir que Philippe Muray dit le plus grand mal de l’esprit de « positivité », dans une époque qui fait tout pour éliminer la moindre « négativité », c’est-à-dire qui pense pouvoir éradiquer totalement le Mal. (Rappelez-vous la « Croisade contre l’Axe du Mal », lancée par un certain Beorge W. Bush.) Ainsi, l’humanité devient-elle, en ce temps béni, définitivement et au sens propre, sage comme une image. 

 

Autrement dit, la seule fonction de l’art capable de dire vrai aujourd’hui, ce serait d’annoncer la disparition de l’homme. D’où, dans la dernière partie de la carrière de Jed Martin, le « point de vue végétal sur le monde », d’où les photos exposées à l’air libre, d’où les composants électroniques et les figurines aspergés d’acide. 

 

Si j’ai bien compris, Jed Martin est l’artiste qui projette dans ses représentations cette humanité, pour dire exactement, en train de disparaître du paysage. Et si j’ai bien compris, le tableau « Damien Hirst et Jeff Koons (ou l'inverse ?) se partageant le marché de l’art » est une métaphore de la dérision qui a envahi ce qu’on appela, pendant deux millénaires (et le pouce), des valeursS. C’est drôle, aujourd’hui, même un escroc comme Jacques Chirac peut affirmer : « J’ai mes valeurs ». Ce qui choque, ici, c’est l’adjectif possessif « mes ». Comme si l’on pouvait simplement imaginer qu’il y ait des « valeurs » individuelles ! 

 

Philippe Muray parle des Particules élémentaires,  de Michel Houellebecq, dans ses Essais (Editions Les Belles Lettres, 2010), de la page 1166 à la page 1173. L'article, paru en 1999, s'intitule "Et, en tout, apercevoir la fin ...". Si la critique littéraire consiste à s'efforcer de dégager le sens d'un roman, alors c'est de la critique littéraire. Je cite : « Le roman de Houellebecq est né du sentiment de la fin, et tous ses personnages se débrouillent, d'une façon ou d'une autre, avec ce sentiment. C'est lui qui donne à l'oeuvre son éclairage poignant, sa lumière sourde, son climat de catastrophe intarissable, insaisissable, irrattrapable ».  

 

N'oublions pas que la doctrine de l'obsolescence programmée de tous les objets de consommation a été élaborée dans les années 1920. Et ce qui valait au début pour les choses, il est somme toute normal que cela s'étende de plus en plus à tout ce qui est humain et, en bout de course, à l'humain en personne. C'est la logique de la machine. Les deux écrivains sont visiblement cousins en littérature, dans leur façon de voir le monde. Il faut que je lise ce livre car, selon Philippe Muray, « Beaucoup de bavardages sont mis en danger par Les Particules élémentaires ». Si c'est vrai, ça me convient. 

 

Conclusion : il y a chez Michel Houellebecq, non seulement un « regard sur le monde », mais en plus, il y a de la « pensée ». Ça, c’est un roman.

vendredi, 12 août 2011

CIORAN : DU STYLE ET DU N'IMPORTE QUOI

Introduction (avec digressions). 

 

Dans le Dictionnaire des écrivains de langue française (Larousse, 2001), MICHEL P. SCHMITT est l’auteur de la notice sur EMIL MICHEL CIORAN. MICHEL P. SCHMITT (quelle sottise, entre nous, ce P. !), je l’ai connu. Il est le fils de JEANNETTE, décédée au début de 2011, le frère de BERNARD, qui navigue dans le cinéma, et l’oncle de BRIAN, qui était, la dernière fois que je l’ai entendu causer dans le poste, dans une boîte de post-production (ça a rapport avec le cinéma). 

 

JEANNETTE avait une grande amie, ça datait de l’enfance, quand elle habitait derrière le cimetière de la Croix-Rousse. Elle s’appelait RUTH GOLDMAN, et fut la mère de JEAN-JACQUES GOLDMAN, directeur commercial de l’entreprise familiale d’articles de sport, devenu célèbre dans la musique de variétés, lui-même frère de PIERRE GOLDMAN, vous savez, l’auteur de Souvenirs obscurs d’un juif né en France, bandit innocenté du double meurtre des pharmaciennes du boulevard Richard-Lenoir, et assassiné en 1979. 

 

BERNARD SCHMITT a réalisé des clips vidéo pour JEAN-JACQUES GOLDMAN, où JEANNETTE apparaissait surmontée d’un chapeau digne de l’hippodrome de Chantilly le jour du Prix de Diane. Je m’en suis voulu de ne plus lui avoir donné signe de vie après 1986. Je suis pourtant allé à ses obsèques, simplement pour lui dire adieu, pour dire adieu à une époque de ma vie qui a compté, et sur laquelle j’avais refermé la porte. A tort, je sais. Je m’en suis voulu. J'avais des liens somme toute amicaux avec elle. 

 

Ses deux fils sont devenus, l’un un petit cinéaste (Pacific Palisad, que je n’ai pas vu, avec SOPHIE MARCEAU, 1990, est-ce que vous vous souvenez seulement de ce film ?). J'ai entendu dire qu’il a fini par mettre en scène les shows de JOHNNY HALLYDAY.  L’autre, c’est donc MICHEL P., un universitaire moyen qui avait mis ses pas dans ceux d’un de ces apparatchiks qui sont arrivés à abîmer l’école publique à force d’idéologie dogmatique, de concepts abstraits et de pédagogisme fanatique. Il s’appelle ALAIN VIALA, et fut, hélas, directeur des programmes au sein de l’Education Nationale, et doté par ce fait du plus haut pouvoir de nuisance possible. 

 

J’avais fourni un tout petit travail « sur le terrain », dans une classe où figurait son neveu BRIAN. Je ne m’en vante pas. Je n’avais même pas compris grand-chose aux enjeux de l’affaire. Ce qu’il fallait à ces gens, c’était, inspiré des méthodes « à l’américaine » (en passant, le P. de MICHEL P., c'est sans doute pour faire plus américain, moi je me gausse), et pour lutter contre l’intolérable à-peu-près dont se rendent coupables les professeurs et leur insupportable impressionnisme pédagogique, des « points de repère », comme une « écriture orthonormée », un cadre « scientifique », un fonctionnement « par objectifs », avec, s'il vous plaît, des « évaluations » d'étape, des « bilans» et des « récapitulatifs » comme s'il en pleuvait, qui sont aujourd’hui devenus les normes terroristes au sein du système éducatif, avec analyses sociologiques dûment estampillées « de gauche », au nom d’un égalitarisme qui aura finalement fonctionné comme la guillotine de 1793. Le mal que ces gens ont pu faire ! Et quand le mal est fait, c'est fini. Pardon pour la longueur du paragraphe. 

 

Moi, je faisais justement partie des impressionnistes. J’étais un peu trop poète. Je faisais trop confiance à la créativité personnelle. Il eût fallu que je l’assumasse (et toc !), au lieu de m’asservir aux diktats de l’Institut National de la Recherche Pédagogique (INRP). Mais que voulez-vous, j’ai l’esprit plutôt lent. J’aime faire la sieste. Et j’assume. 

 

Bon, il faudrait peut-être que j’en arrive à mon sujet, vous ne croyez pas ?

 

Ce sera pour la prochaine fois.