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dimanche, 28 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

2021 TARDI ELISE.jpg

... par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

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Je viens de lire le dernier livre de Jacques Tardi. Ce prodigieux dessinateur, d'Adèle Blanc-Sec (rien que le choix de ce nom !!!) à Brindavoine (ce nom !!!) et de la Commune de Paris (selon Vautrin) à la Guerre des Tranchées en passant par quelques adaptations de polars de Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, a trouvé un style, un trait capables, quand il lui prend l'idée de transposer des polars en B.D., de faire vivre intensément personnages, situations et actions de la façon la plus expressive tout en restant fidèle comme c'est pas permis aux contours et à la ligne définis par les auteurs (vous pouvez vérifier avec La Position du tireur couché par exemple).

Pour ma part, je lui sais particulièrement gré de la façon dont il fait apparaître, dans les nombreux volumes qu'il consacre à cette immense boucherie de la civilisation, la vie réelle des "poilus" de 14-18, du paysan devenu bidasse promis à l'abattoir jusqu'au général cynique (Berthier, je crois), qu'il fait déclarer sur toute une vignette que c'est tout à fait volontairement qu'il a fait tirer par l'artillerie française sur une tranchée française où les soldats rechignaient à partir à l'attaque. 

De mon côté, si j'ai commencé à collectionner les photos de monuments aux morts de la Grande Guerre, je ne le dois pas à Jacques Tardi : l'horreur s'est imposée d'elle-même quand je me suis mis à lire les noms gravés dans les villes et villages que je traversais. C'était une prise de conscience, cela se passait en 1976 dans la région des Causses : La Cavalerie, Creissels, Roquefort etc., dans des circonstances qui ont pris avec le temps une petite couleur "historique". C'est quand j'ai vu que certaines familles avaient perdu quatre, cinq (ou davantage) membres et que les poils de mes bras se sont hérissés que j'ai eu une idée presque physique de l'horreur de ce qui s'était passé entre 1914 et 1918.

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Jacques Tardi en 1988, photographié par Jean-Marie Huron lors de sa venue à Lyon pour une signature de 120, Rue de la gare, chez Adrienne Krikorian, fondatrice de la librairie Expérience, rue du Petit-David.

Cette guerre m'est apparue comme l'événement fondateur, comme l'éblouissant révélateur : le triomphe imbécile de la technique et de l'industrie capitaliste, avec pour conséquence l'écrasement de tout ce qu'il y a d'humain en l'homme, corps et âme, comme l'a montré toute la suite du XXème siècle (Auschwitz, Hiroshima, etc.). Toute ma vision du monde en a été affectée, et de façon définitive. Quelques lectures (avec Günther Anders pour chef-pilote) ont achevé de me faire tomber du côté de ceux qui refusent cette réalité où rayonnent les fausses promesses d'un progrès réduit à l'univers matériel et à l'émerveillement prosterné, infantile et fatal devant des "prouesses" techniques qui surpassent tout ce que peut réaliser le pauvre humain, et dont il devient de fait le serviteur quand ce n'est pas la victime.

La force des livres de Tardi sur la première guerre mondiale réside dans sa volonté de décaper le vernis qui tend à faire de simples ouvriers et paysans envoyés au front de magnifiques héros, et des anciens combattants en béret rouge, poitrails couverts de médailles et autres porte-drapeaux à cheveux blancs d'authentiques patriotes.  Selon moi, l'une des lignes de conduite qui sous-tend tout le travail de Jacques Tardi est de ne pas se payer de mots. Ça tombe bien : moi non plus. D'où peut-être sa parenté (fraternité ?) spontanée avec des auteurs de polars ou "noirs" comme Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, qui n'y vont pas avec le dos de la cuillère avec l'humanité grouillante. D'où, accessoirement, l'évidence de son beau geste quand il a refusé la Légion d'Honneur offerte par je ne sais plus qui.

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Le docteur Grange et sa fille. Tardi a-t-il travaillé d'après photo ?

Alors venons-en à ce bouquin, Elise et les nouveaux partisans (Claire Etcherelli a publié en 1967 une Elise ou la vraie vie qui eut son heure de gloire : y a-t-il un rapport ?).  Disons-le d'entrée : Elise, le personnage principal, n'est pas exactement la compagne de Tardi, mais sa trajectoire suit de très près celle de Dominique Grange, qui est, elle, son épouse (depuis 1983, encyclopédie en ligne). Elle est fille d'un grand médecin qui avait son sombre cabinet d'oculiste (on ne disait pas ophtalmo) Boulevard des Belges. C'est chez ce docteur charmant et compétent que mes parents m'envoyaient me faire examiner les yeux : c'était le confrère et ami de l'excellent docteur Paliard. J'avais donc quelques raisons.

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Ceci pour dire que Dominique Grange vient d'un milieu bourgeois, c'est-à-dire confortable. Mais qu'elle a très tôt pris les chemins de traverse, elle qui s'est trouvée en résonance profonde et décisive avec les propos alors subversifs de sa prof de philo (non nommée, mais on apprend par ailleurs qu'il s'agit de Jeannette Colombel, dont il m'est arrivé de croiser la route, en particulier à la fin de sa vie, à la terrasse de la Brasserie des Ecoles) au lycée Edgar Quinet : le temps de la guerre d'Algérie et des porteurs de valises du F.L.N., de La Question d'Henri Alleg, etc.

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Elle a même commencé à apprendre l'arabe, à Quinet, avec un prof originaire de Sétif, à quoi son père a mis fin parce que ce n'était « pas au programme du bac ». Le prof d'arabe non plus n'est pas nommé, mais je connais quelqu'un qui doit pouvoir combler cette lacune.

Le bouquin de Tardi est bâti sur le scénario écrit par Dominique Grange qui, en gros et dans les grandes lignes, raconte sa vie, qui fut mouvementée, inséparable de l'extrême-gauche agissante, et par là même violente, sans aller toutefois jusqu'à la lutte armée. Le livre s'ouvre d'ailleurs sur la violence que le préfet Maurice Papon fait s'abattre, le 17 mars 1961, sur les foules basanées qui envahissent le pavé parisien aux cris de « Algérie algérienne, F.L.N. vaincra, etc. ».

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Comme d'habitude, Tardi n'épargne rien au lecteur de la réalité physique de la violence et de ses effets sur les corps, non plus que celle qui, le 8 février 1962, sous les ordres du préfet Roger Frey cette fois, se déchaîne contre la manifestation convoquée par les syndicats et le P.C.F. et qui causa, au "métro Charonne", 9 morts et 250 blessés.

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Avait-il besoin de rappeler le sombre rôle du même Papon pendant l'Occupation ? Avait-il besoin d'appeler « flicards » les policiers lancés par lui sur une population finalement pacifique, dont le tort était de braver le couvre-feu en ces temps de guerre d'Algérie ? Ce qui est indéniable, c'est que le scénario de Dominique Grange se veut une action militante : qu'on n'attende pas d'elle la neutralité de l'historien. Le recul des années n'a rien refroidi des convictions brûlantes de l'ancienne guerrière de la Gauche Prolétarienne.

A SUIVRE

mercredi, 17 novembre 2021

ENTENDU SUR LES ONDES

Les merveilles de la radio :

« "HISTORIQUE", LE MOT N'EST PAS TROP FAIBLE ! »

Jolie formule entendue (je ne dis pas sur quelle chaîne) le 24 octobre 2021 à 19 h. 14, et applicable en réalité à bien des situations ayant suscité le surgissement de cet adjectif qualificatif dont les journalistes (souvent sportifs, je reconnais) usent et abusent pour se donner de l'importance. En l'occurrence, il s'agissait de la victoire motocycliste du jeune Quartararo.

jeudi, 11 novembre 2021

11 NOVEMBRE : UN MONUMENT AUX CHEVAUX MORTS

HOMMAGE DE 600 SOLDATS AMÉRICAINS AUX 8 MILLIONS DE CHEVAUX TUÉS PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

SOLDATS AMERICAINS AUX 8MILLIONS CHEVAUX 14-18.jpg

J'arrive à déchiffrer : « 600 Officers and enlisted Men of (illisible) & (illisible) Remain [?] Depot N°326 (illisible) NM ». Avis aux égyptologues.

SOLDATS AMERICAINS AUX 8MILLIONS CHEVAUX.jpg

Je trouve assez beau le monument éphémère que ces soldats américains ont élevé à ceux qui étaient pour les armées en présence au début de la guerre beaucoup plus que des outils de travail. Photo trouvée par hasard sur FB.

***

On ne peut pas affirmer que, parmi les 36.000 monuments aux morts édifiés en France dans les années 1920, les animaux aient été entièrement oubliés. Mais il faut bien avouer que la figure animale est à peu près absente.

On compte bien quelques chevaux magnifiquement sculptés : celui de Bischoffsheim (Bas-Rhin) fait très "Jeanne d'Arc" ; celui de Chipilly (Somme) est très touchant, avec ce "Tommie" de la "London Division" qui entoure de ses bras le cheval blessé, comme un camarade qu'il voudrait sauver ;

Chipilly 80.JPG

celui de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) opte pour une célébration héroïque de ceux qui ont combattu, et quand on voit l'interminable liste des noms des morts, on l'admet aisément ; je mentionne encore Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Saumur (Maine-et-Loire) évidemment, Senlis (Oise) et Tourcoing (Nord). J'en oublie fort peu, je crois.

Reconnaissez que ça ne fait pas lourd dans la balance, vu la charge de travail qui a incombé à nos équidés préférés, au moins dans la première partie de la guerre, avant la grande mécanisation de la tuerie collective, quand la cavalerie et l'artillerie en faisaient grand usage. Bon, c'est vrai qu'il faut prendre en compte le coût qu'a représenté pour des communes pauvres l'érection d'un monument, raison pour laquelle on trouve le plus souvent de simples obélisques de pierre pour porter modestement et fièrement les noms des morts. 

Je précise qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de pierre laissée nue autour des noms gravés. On trouve toujours tel ou tel motif "honorifique", palme, croix de guerre, coq, casque, urne, etc., en ronde-bosse ou en haut- ou bas-relief.

On ne comprend guère l'irruption du lion sur quelques monuments : Haybes, mais aussi Rocroi (Ardennes), Witry-les-Reims (Marne), Mondeville-La-Ferté-Alais (Essonne), Norroy-le-Veneur (Moselle) et sans doute quelques autres communes plus soucieuses d'exaltation métaphorique que de réalisme historique. Je n'en montre pas.

En revanche, je trouve carrément injuste l'effacement quasi-total du chien. D'autant que ce n'est pas pour fait de guerre que certains sont présents, comme on le voit à Saint-Etienne-sur-Argence (Aveyron), où le brave chien lève vers son maître un museau interrogateur, pendant que vole au vent la cape du berger venu s'incliner sur le souvenir d'un père, d'un frère, d'un ami.

STE GENEVIEVE S ARGENCE 12.JPG

De très rares communes sauvent l'honneur en rendant au poilu de pierre ou de bronze un compagnon fidèle : celui de Sainte-Menehould (Marne) veille au côté de la sentinelle frigorifiée ;

STE MENEHOULD 51.JPG

celui de Pagny-sur-Moselle (Meurthe-et-Moselle) n'a pas peur des balles qui sifflent, dressé stoïque au côté du combattant à demi camouflé dans un repli de terrain.

MONUCHIENMORT.jpg

Voilà, sans prétendre à l'exhaustivité, c'est à peu près tout ce que j'ai trouvé. 

Je ferai encore un petit tour par Bruxelles, où l'on trouve un monument "Au Pigeon Soldat" : normal dans une région qui fut et demeure de colombophilie furieuse (je connais l'un de ces furieux : c'est son grand-père qui lui a collé la maladie) ;

AU PIGEON SOLDAT BRUXELLES.jpg

et par la Grande-Bretagne, seul pays à ma connaissance à avoir élevé aux animaux des Première et Deuxième Guerres Mondiales un monument digne de ce nom : Animals in War : They Had No Choice (Ils n'eurent pas le choix). Je trouve que ça a de la gueule.

ANIMALS IN WAR.JPG

Pour finir, il semblerait que certains se soient un peu agités en 2018 autour d'un projet de monument exclusivement dédié à la grande boucherie animale que fut la Grande Guerre. Je ne sais pas si l'affaire a évolué, en tout cas un doute me vient quant aux motivations profondes des initiateurs du projet : sont-ils de ces défenseurs des animaux qui veillent farouchement sur les conditions que la modernité industrielle réserve à nos "frères inférieurs" ?

Si ceux qui manifestent pour que Paris ait enfin un monument célébrant l'action des animaux pendant la guerre de 14-18 appartiennent à la famille biscornue et bigarrée où se retrouvent des végans, des anti-chasse, des anti-corrida, L-214 et autres allumés du bulbe, j'espère que le monument ne verra jamais le jour. Pourquoi ? Tout simplement parce que, comme dans d'autres situations (suivez mon regard), ça reposerait sur la culpabilité et la demande de pardon. Cette seule idée m'est insupportable.

Voilà ce que je dis, moi.

***

Note : s'agissant de la présence des animaux sur les champs de bataille de la guerre de 14-18, je ne peux passer sous silence l'extraordinaire aventure vécue par le chien Stubby, arrivé clandestinement des Etats-Unis dans les bagages du soldat John Robert Conroy.

CHIEN DECORATIONS.jpeg

Stubby a passé dix-huit mois de guerre sur le front, dix-sept batailles, quatre offensives, dans les rangs de la 26ème division d'infanterie (102ème régiment), excepté le temps de guérir une blessure par éclat de grenade, où il rendait le moral aux autres blessés. Des femmes de Château-Thierry lui ont confectionné un manteau de chamois où s'accrochent les nombreuses médailles décernées par les autorités militaires. C'est pour avoir démasqué un espion allemand qu'il a été nommé sergent par le commandant. Il est mort en 1926. Sa dépouille est conservée naturalisée dans un musée. Source : encyclopédie en ligne. Chapeau, sergent Stubby !!!

mardi, 09 novembre 2021

COP-26 - GRETA THUNBERG : MÊME BLA-BLA

DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE : LE "BLA-BLA" UNIVERSEL.

Ils sont tous bien gentils, ces gouvernements, ces dignitaires, ces chefs d'Etat qui se rassemblent pour engager solennellement la responsabilité de leur pays dans la lutte contre le vilain CO², contre le très vilain CH4, et signer quelques papiers avant de retourner chez eux. Mais c'est vrai aussi qu'ils sont tous bien sympathiques, ces manifestants qui n'en dorment plus de la nuit de se faire du souci pour le climat et en veulent beaucoup aux précédents parce tout ça leur file des insomnies et des brûlures d'estomac. C'est vrai qu'il faut leur secouer les puces, aux puissants de ce monde qui ne font rien ou si peu pour que la température globale moyenne du globe ne grimpe que de 1,5° Celsius.

C'est vrai — tout le monde le sait — que si on laisse filer le thermomètre, il ira se promener 2,7° C (certains disent 4° ou 5° et pourquoi pas plus ?) au-dessus d'aujourd'hui. Et alors le processus deviendra irréversible, avec son cortège de phénomènes météo extrêmes de plus en plus dévastateurs, et de migrations climatiques de masse.

C'est du moins ce que prédisent les spécialistes du climat réunis au sein du GIEC, vous savez, la très sérieuse société presque anonyme de scientifiques dont plus personne n'ignore aujourd'hui l'existence, l'expertise, l'expérience et l'autorité en matière de prévisions climatiques.

Je ne doute absolument pas de l'exactitude des données, de la pertinence de leur interprétation et de la certitude des conclusions que ces milliers de spécialistes en tirent. Ils ont raison de tirer le signal d'alarme (à défaut des oreilles des puissants). Donc, lors de la COP-26 à Glasgow, ce sont les gouvernants qui sont mis en accusation du fait de leur inaction criminelle par les manifestants emmenés par la sémillante Greta Thunberg.

Jusqu'à ce que je l'entende sortir de cette bouche juvénile, je croyais que "bla-bla-bla" était une onomatopée typiquement française. Je suis bien d'accord avec elle : tous ces chefs de quelque chose causent, causent, c'est tout ce qu'ils savent faire.

Remarquez qu'on en entend parfois de drôles, émanées de cette grosse assemblée. J'ai clairement mémorisé cette phrase prononcée fièrement par je ne sais quel responsable : « Il est temps de tenir les promesses et de mettre tout ça sur le papier ! ». De telles affirmations redonneraient le moral aux plus maussades, n'est-ce pas ? 

Donc parlons du "bla-bla-bla" que dénonce avec raison la petite Greta, cette petite sirène à la suédoise que tous les médias du monde s'arrachent. Ouais, parlons-en. Mais qu'est-ce qu'elle fait d'autre que du "bla-bla", la prêtresse Greta ? Elle engueule, elle vaticine, elle fait la morale, elle s'en prend à ceux dont on croit qu'ils tiennent les manettes, mais à la fin des fins, qu'est-ce qu'elle fait, si ce n'est pas causer, causer, causer, tout en désignant ceux qui, selon elle, sont les coupables ? Mais coupables de quoi ? De ne rien faire ? Ah, c'était donc ça ? Mais c'est là que ça devient couillon de les accuser ! Car il y a une solution à la catastrophe annoncée du dérèglement climatique, une seule : la diminution drastique du pillage des ressources et de la consommation d'énergie. 

Moi je dis que ça ne sert à rien d'interpeller, voire de faire condamner des gouvernements, des puissants ou des autorités : c'est la civilisation qui est coupable. Reprenons le raisonnement : à qui ou à quoi est-il dû, le réchauffement climatique ? C'est très simple : il est dû à toi, il est dû à moi, il est dû à nous tous qui achetons des trucs et des machins pour satisfaire nos besoins plus ou moins primaires, plus ou moins secondaires, etc. Il est dû à eux tous qui se démènent pour satisfaire nos besoins primaires, secondaires, etc. quand ils n'accourent pas au-devant à coups d'arguments publicitaires.

Il est dû à ma voiture, à mon frigo, à ma chaudière, à mon lave-vaisselle, etc. Il est dû à ce qui s'est imposé aux Occidentaux comme le mode de vie désirable parce qu'il leur apportait du confort, de la facilité au quotidien, bref : parce que ce mode de vie a progressivement mais massivement transféré la pénibilité du travail de l'homme vers la machine par l'utilisation généralisée du moteur et de diverses sources d'énergie jusqu'au fond de la forêt de nos milliers de gestes ordinaires. Vous imaginez s'il fallait maintenant faire l'opération inverse ? Transférer les tâches des machines vers le travail humain ? Vous vous voyez, la vaisselle et la lessive à la main ?

Tant qu'on n'aura pas vaincu dans l'esprit de l'humanité cet avantage de facilité qu'offre l'usage permanent de machines, d'automatismes et d'énergies que nous ne percevons même plus dans le moindre de nos gestes de la vie concrète tant c'est devenu "naturel", c'est toute l'humanité qui décidera par ses actes que la température du globe doit continuer à grimper de façon déraisonnable. Tant qu'on n'aura pas convaincu l'humanité que la seule issue de secours est de revenir au travail sans les machines, celle-ci votera par ses actes pour le réchauffement, c'est-à-dire contre le refroidissement. Je souhaite bien du plaisir à qui entreprendra pour de bon de convaincre l'humanité de RENONCER à ce que l'humanité a inventé pour améliorer son bien-être et ses conditions de vie.

Tiens, il se trouve que je n'ai personnellement aucune envie de revenir au temps d'avant les machines, les moteurs, tous ces outils magiques où il suffit d'un bouton à actionner pour que la tâche ingrate se réalise de ma part. Et non seulement je ne suis pas le seul à raisonner ainsi, mais à part quelques radicaux illuminés qui refusent que leur maison soit reliée à quelque réseau électrique (il y en a une petite tribu quelque part en Ariège), je crois que c'est l'humanité entière qui demande à toutes les sources d'énergie et à toutes les machines possibles de la décharger du fardeau des travaux pénibles, et même de lui procurer des satisfactions jusque dans des domaines considérés jusque-là comme superflus. Qui est prêt à lâcher ces merveilleuses trouvailles ? Il est là et pas ailleurs, le nœud de l'intrigue.

Elle est là, la quadrature du cercle dans lequel évoluent gouvernants et défenseurs du climat : d'une part les politiques savent qu'ils sont assis sur des sièges éjectables (au moins dans nos "démocraties"), et que s'ils prennent des mesures qui défrisent trop ceux qui les ont mis là par leur vote, c'en est fini pour eux, de la vie dans les palais de la République : les électeurs qui veulent se priver de la voiture, du lave-linge, du lave-vaisselle et de quelques autres commodités offertes (façon de parler, bien sûr) par la société de consommation existent sûrement, mais à l'état d'écrasante MINORITÉ.

Car d'autre part, les populations ordinaires et laborieuses n'ont aucune envie de modifier quoi que ce soit à leur façon de vivre et de consommer. Au contraire : elles attendent de l'avenir qu'il leur facilite de plus en plus l'existence. Vous n'avez qu'à voir comment elles ont accueilli certaines décisions "surprenantes" prises par le maire écolo de Lyon nouvellement élu. Non seulement je les comprends, mais je les approuve : j'en fais partie. Tous ces objets indispensables, et même tous ces objets pas très utiles voire superflus mais agréables qui meublent nos intérieurs, s'il fallait les remplacer par du TRAVAIL, vous vous rendez compte de la révolution à l'envers ? Ne plus faire jaillir la lumière en appuyant sur un bouton ? Couler l'eau potable en actionnant le robinet ? 

Le voilà, le paradoxe. La voilà, la grande contradiction. Le piège ignoble dans lequel toute la civilisation de technique, de production et de consommation a fourré l'humanité : ce sont toutes les activités qui permettent à chacun de vivre plus ou moins agréablement et confortablement (selon ses moyens) qui font grimper la production de CO² et la température de l'atmosphère. La conclusion n'est pas difficile à tirer.

Ceux qui tiennent les manettes, même les plus conscients des enjeux, même les mieux intentionnés, sont piégés : soit ils font la course de lenteur pour les prises de décisions, soit ils dégagent. Quant aux militants, dont des armées tous les jours plus nombreuses se lèvent pour les engueuler, les admonester et les accuser de "bla-bla-bla", de deux choses l'une : soit ils sont aveugles et ne se représentent pas toutes les conséquences de ce qu'ils réclament de leurs dirigeants, à savoir une baisse radicale de la consommation d'énergie, donc de la production de biens matériels, et l'instauration d'un monde de sobriété radicale ou d'ascétisme contraint (rayer la mention inutile) ; soit ils mentent.

Les ingénieurs et autres illuminés font d'incroyables efforts d'imagination pour biaiser avec l'issue fatale. Ils travaillent joyeusement à "augmenter" l'humanité, soit en inventant des oxymores du genre "développement durable", soit en développant les sources d'énergie renouvelables (vent, soleil, géothermie, ...), soit en mettant en place des stratégies encore plus folles de maîtrise des paramètres du climat (géo-ingénierie).

Leur seul objectif : maintenir constante et infinie la courbe ASCENDANTE des activités humaines, c'est-à-dire maintenir la courbe ascendante de la croissance, c'est-à-dire du système actuel de production-consommation-finance, c'est-à-dire du pillage des ressources et de l'incessante recherche de sources d'énergie. Vous les voyez, les pouvoirs en place, trembler rien qu'à l'idée de ce dont seraient capables les peuples qu'ils gouvernent s'ils venaient à leur promettre toutes sortes de rationnements, de restrictions et de privations pour se faire réélire ? Tout porte à penser que les populations ne supporteraient pas cette Vérité sur le climat et se précipiteraient dans les palais du pouvoir pour leur donner une fessée.

La Vérité, c'est qu'un jour viendra où il leur faudra SE RESTREINDRE, y compris les plus ardentes aujourd'hui à réclamer des gouvernants de vraies actions contre le réchauffement climatique. Et tout laisse à penser que le jour où elles se rendront compte qu'elles ne peuvent pas faire autrement que de se passer de tout un tas de trucs et de machins dont elles ne peuvent pas se passer aujourd'hui, elles risquent de le prendre très mal. Et ça risque de faire de gros dégâts. Je ne suis ni Madame Soleil, ni Nostradamus, ni Madame Irma, mais il me vient de cet avenir-là des odeurs de violence.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 05 novembre 2021

JULES SYLVESTRE, PHOTOGRAPHE ET LYONNAIS

En farfouillant dans le riche "Fonds Sylvestre" de la Bibliothèque Municipale de Lyon, j'ai fini par me faire des réflexions, évidemment, sur la façon  des faire des photos, sur la manière de choisir un sujet, un angle, une lumière, une distance, etc. Mais j'ai aussi et surtout découvert une collection de photos difficilement surpassable pour qui veut se faire une idée des transformations que la ville a connues — et bien souvent subies à son corps défendant — au cours de la seconde moitié du XIX° siècle et de la première du XX°.

J'ai vite appris que faire le distinguo entre les photos dont Sylvestre était l'auteur et celles qu'il avait rachetées pour faire partie de son fonds n'est pas toujours facile. Car les fiches de la BML sont parfois surprenantes, qui présentent Sylvestre comme l'auteur de photos prises circa [= ca] 1860, alors qu'il est né en 1859. Le photographe au berceau, quoi !!!

CIRCA 1860 AUTEUR JS.jpg

Un exemple de notice de la BML, livré sans autre modification que la police de caractère. 

titre[L'Eglise Saint-Georges vue depuis la rive gauche de la Saône]
date de prise de vue[ca 1860]
lieu d'éditionLyon (Rhône)
période1848-1870
genre iconographiquevue d'architecture
sujets (lieux)
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0546 SA 03-31
technique1 photographie positive : tirage noir et blanc, d'après calotype ; 19,5 x 25,5 cm
descriptionPrise de vue depuis le quai Fulchiron.
note à l'exemplaireCliché Sylvestre, tirage de Guy Borgé.
***

Soit il y a erreur sur l'attribution, soit (pourquoi pas ?) Sylvestre a pris, plus tard, un cliché du verre positif (c'est comme ça, à tort ou à raison, que je comprends "d'après calotype"). Il faut savoir que Jules Sylvestre, quand il a été solidement établi, a collectionné un grand nombre de photographies de ses contemporains et prédécesseurs, et que la BML ne fait pas toujours la distinction entre les clichés pris par Sylvestre en personne et ceux qu'il a achetés au cours de son existence. Le tout est fondu dans le « Fonds Sylvestre ». Bon, mieux vaut le prendre à la rigolade, le problème est modérément regrettable et il ne faut pas trop chinoiser. Je suis quand même heureux, par exemple, que les photos de Louis Froissart (j'en ai déniché une cinquantaine dignes d'intérêt) apparaissent sous le nom de celui-ci, quoiqu'appartenant au "Fonds Sylvestre".

Le photographe a installé son magasin, son laboratoire, peut-être son domicile et semble-t-il une salle de projection non loin de la préfecture, à l'angle de la rue de Bonnel et du quai Augagneur. L'édifice ne manque pas d'originalité, comme on peut le voir ici. La photo est de 1962, nous disent les Archives Municipales de Lyon. On peut voir dans le fond un bout du toit de la préfecture.

RUE BONNEL 1962 AUGAGNEUR SYLVESTRE.jpg

En 1962, venant du quai Lassagne, je passais dans le coin une fois par semaine pour faire un peu de sport rue de l'Epée après avoir fait une halte indispensable au 39 cours de la Liberté, et je dois avouer que je n'ai jamais fait attention au curieux décor ... qui n'allait pas tarder à disparaître. Car l'îlot défini par les rues Pravaz et Bonnel (N/S) et par le quai et le cours de la Liberté (E/O) devait laisser place à un jardin auquel on donna le nom du brillant et fameux Résistant Charles Delestraint, mort en déportation.

Au cours de mes déambulations photographiques dans le fonds Sylvestre, je n'ai quasiment pas trouvé de photo signée de sa main en direct sur le verre. Une exception remarquable : les funérailles de Sadi Carnot, assassiné à Lyon en 1894. Cela fait un peu photo officielle, car le cliché était sans doute destiné à une large diffusion, quand on observe la calligraphie soignée : « Les funérailles de Carnot — Sylvestre ».

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C'est d'ailleurs l'occasion de redire tout le mal que je pense des tirages de Guy Borgé, qui dans tout son travail donne la priorité absolue à l'impression de fondu sur la précision du trait. Regardez plutôt.

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Je pourrais souligner mon point de vue en comparant quelques détails après grossissement, mais je préfère conclure avec deux beaux tirages. Le premier, qui est de 1887, montre ce qui était alors l'Ecole de Médecine. Ce n'était plus la Médecine, mais les Lettres qu'on y enseignait quand j'ai commencé à fréquenter ce bel établissement quelque quatre-vingts ans plus tard (faites le calcul et tirez-en les conclusions que vous voulez). Je trouve géniale l'idée de placer l'appareil très bas pour saisir toute la largeur pavée du quai Claude Bernard, et j'apprécie en particulier le piqué précis de l'image.

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Le second représente ce qui deviendra plus tard la place Benoît-Crépu, après démolition de quelques bâtisses. Auparavant, l'endroit s'appelait Port-Sablé, ne me demandez pas pourquoi. L'image me paraît belle par l'équilibre des lumières et des ombres. Et puis je dois dire que les étais visibles et la façade couverte d'affiches ne sont pas pour rien dans l'affection que je porte à cette photographie présentée comme l'œuvre de Jules Sylvestre.

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mardi, 02 novembre 2021

CHEZ LES OPTIMISTES

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Splendide ! Allons, tout n'est peut-être pas perdu. Merci les enfants !

lundi, 01 novembre 2021

A MORT L'HÔPITAL PUBLIC !

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Faut-il que la situation apparaisse enfin catastrophique à un responsable du journal pour que Le Progrès lui-même s'y mette et en fasse un (tout petit) titre de "Une", mais deux pleines pages en pp. 2 et 3 (ci-dessus le titre de p.2) !!! Attention, Le Progrès n'est pas un "journal de référence" et n'y a aucune prétention. Le Progrès tient à rester un bon petit soldat de la P.Q.R. (Presse Quotidienne Régionale), qui rapporte fidèlement les petits événements de la vie des gens, piétons renversés par des chauffards, voyous voleurs d'Iphones, cambriolages de restaurants où le bandit a été retrouvé ivre-mort le matin, rodéos sur la place des Terreaux sous le nez du maire écologiste, bref : rien que des choses importantes. 

Parlons sérieusement : l'hôpital est au bord de l'effondrement. Le Progrès n'a rien inventé. Cela fait longtemps que les plus fins connaisseurs de la question lancent dans le désert des cris d'alarme : « Au secours ! La citadelle hospitalière se lézarde ! » Et ça ne date pas de la pandémie : on ne compte plus les manifs d'infirmières, d'aides-soignantes, de sages-femmes, etc. qui ont parcouru les rues. Plus fort : il n'y a pas si longtemps, on a vu des centaines et des centaines de "mandarins", médecins des hôpitaux, professeurs connus et reconnus démissionner de toutes leurs tâches administratives.

A l'initiative de quelques-uns, un "Collectif Inter-hôpitaux" a été créé, qui envoie régulièrement en mission devant les micros et les caméras que la presse consent à consacrer au problème, pour décrire la progression du mal qui gangrène l'hôpital. Tout dernièrement, j'ai entendu Mme Agnès Hartemann, qui ne fait, la malheureuse, que redire, rabâcher, ressasser les mêmes horreurs (cf. sa conférence de presse de janvier 2020, mais aussi d'autres interventions).

Guillaume Erner, qui anime les Matins de France Culture, a aussi invité François Salachas, neurologue à La Pitié-Salpêtrière. Lui aussi ne mâche pas ses mots, il y va même carrément : l'hôpital est en train de crever. Il y a des signes qui ne trompent pas, à commencer par la désertion de tout un tas de personnels qui, dégoûtés, saturés, surmenés, ne supportant plus d'être ainsi malmenés par l'institution elle-même, filent dans le privé ou le libéral, voire changent de métier. Au point que dans certains services (pédopsychiatrie et autres), 20% des lits restent inoccupés par force, faute de compétences disponibles. Comme quoi la fermeture de lits par les hautes autorités n'est pas le seul problème.

Et ce n'est pas seulement une question de rémunération. Ce qui pourrit la vie professionnelle de tous les gens qui travaillent dans le secteur du soin à l'hôpital public, c'est l'inflation de la bureaucratie hospitalière, qui exerce son pouvoir au détriment du SOIN, la seule et finale raison d'être de tout établissement médical. Pensez : il y a à l'hôpital autant de gens dont la mission est de soigner que de gens dédiés à l'administration. Les témoignages abondent pour dire que le COVID a été providentiel en même temps qu'il a mis en lumière la mainmise des administratifs et comptables : au plus fort de la crise, l'administration s'est d'un seul coup mise au service des personnels soignants, qui n'en revenaient pas. On a même vu des taxis amener et ramener chez elles des aides-soignantes, aux frais de la princesse.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, une telle situation idyllique ne pouvait pas durer, comme l'a signalé l'excellente Agnès Hartemann quand elle a vu revenir en force tous les réflexes de la bureaucratie hospitalière, qui a recommencé à dicter sa loi, au mépris de toute logique de soin. Comme si la pandémie ne devait être considérée que comme un incident de parcours, en attendant que les affaires puissent reprendre leur cours normal. Disons-le : c'est maintenant chose faite.

Le retour de la situation mortifère dans laquelle se trouvait déjà l'hôpital public avant la pandémie me fait dire, à tort ou à raison, que tout cela résulte d'un plan à long terme. Concocté par qui, je n'en sais fichtre rien. Mais il est toujours permis d'émettre quelques hypothèses. La mienne tient en un sigle : H.P.S.T. C'est celui auquel se résume une loi voulue, votée et promulguée sous la présidence de Sarkozy, Mme Roselyne Bachelot étant l'exécutrice des hautes œuvres (je ne vois pas de meilleure expression) en tant que ministre de la Santé. HPST, ça veut dire Hôpital-Population-Santé-Territoire. Cela sent à plein nez le concept produit par un crâne d'œuf, une engeance toujours fertile quand il s'agit de produire des machins sur papier qui ravissent les politiques et qui martyrisent les gens qui connaissent le terrain parce qu'ils y vivent et travaillent. 

Pour s'en tenir aux données cruciales en évitant de se lancer dans des circonvolutions philosophiques, cette loi veut faire de l'hôpital une entreprise comme les autres, et pour atteindre ce noble objectif instaure le "paiement à l'acte". Voilà, c'est aussi brutal, direct et simple que ça. Sans connaître dans le détail le texte de cette loi (qui ne comporte pas, selon certains, que des aspects néfastes, ce que je veux bien croire), je me dis que nous voici, onze ans après le début de son application, devant l'effarant résultat, littéralement catastrophique, qu'a entraîné cette loi scélérate. Je me dis aussi que Bachelot-Sarkozy devraient au moins être accusés, à l'encontre de l'hôpital public, de "coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Et encore, sur l'"intention", ne suis-je pas entièrement convaincu. Vous ne vous dites pas ça, vous ?

Quoi qu'il en soit, si Emmanuel Macron veut vraiment sauver l'hôpital public, comme il l'a plusieurs fois laissé pressentir dans ses discours, il a une première tâche qui lui tend les bras : en finir avec la loi H.P.S.T, en finir avec le "paiement à l'acte".

***

Note : j'en ai assez de citer la promesse faite à Mulhouse par Macron à l'hôpital public en 2020. Cet homme est un homme de grands mots, d'intentions vertueuses et d'envolées lyriques. Il ne mérite plus qu'on prête attention à l'air qu'il brasse. Laissons donc toutes ses paroles s'envoler au vent et disparaître à l'horizon. 

jeudi, 28 octobre 2021

AU VIOL !!!

« Le mâle ! Le mâle dont le baiser est une blessure, dont l'étreinte est une torture, dont l'attente est une angoisse ! Le mâle qui viole comme l'assassin tue, le mâle qu'elle a déjà subi et qu'il faut fuir, fuir comme la mort. »

...

« Il est là. Il approche. Elle sent le vent de son corps lancé à sa poursuite. Il est derrière elle; il va l'atteindre ! Oh ! lui tenir tête et résister. Elle arrive à la galerie et se retourne vivement pour opposer à l'ennemi la herse de ses pattes armées. Un choc violent. Un pilier de terre s'écroule, et Nyctalette, qui l'a heurté en se retournant, roule aussi parmi l'avalanche des mottelettes.

En un bond il est sur elle ; il la tient ; il lui serre entre ses petites dents la peau du cou moite de sueur, et tandis qu'elle jette aux sombres échos des souterrains des appels désespérés, un sexe barbelé, comme une épée de feu, lui perfore les flancs pour le viol, le viol éternel et sombre que toutes les Nyctalettes subissent quand les sèves montantes ont enfiévré dans leurs veines le sang ardent des mâles féroces aux sexes cruels, par qui se perpétue l'œuvre auguste des maternités douloureuses. »

***

On s'y croirait, n'est-ce pas ? On l'aura sans doute compris : l'action se passe dans un tunnel, souterrain étroit où se déplace, vit et se nourrit le monde des taupes. Un petit monde, certes, mais impitoyable, comme on le voit. Le sexe du mâle de la taupe est-il "barbelé", comme l'écrit l'auteur ?  

On trouve cette prose dans la nouvelle Le Viol souterrain, extraite de De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910. Son auteur, Louis Pergaud, est mort en avril 1915, au cours d'une attaque dans le secteur des Eparges (cote 233). Son corps n'a pas été retrouvé. A-t-il, comme certains le supposent, reçu des balles alors qu'il était coincé dans des barbelés, puis été écrasé dans le bombardement de l'hôpital où des Allemands l'avaient emmené ?

On ne lit plus guère, je pense, ses formidables nouvelles campagnardes (J'aime aussi énormément La Revanche du Corbeau). C'est tout à fait regrettable. Lit-on davantage La Guerre des Boutons, son livre le plus connu du fait des multiples (cinq selon l'encyclopédie en ligne) transpositions au cinéma ? Pas sûr.

J'ai trouvé intéressant de citer ce passage en des temps où il ne fait pas bon être un homme ou un père. Des temps où vous pouvez entendre aux informations sur France Culture de superbes calembredaines du genre : « Un enfant en dessous de six ans ne ment pas, c'est prouvé ! » ou « Toutes les mères protègent leur enfant ! ». Ces "fake news" — comme le montre la pas si ancienne "affaire d'Outreau" —, c'était aujourd'hui [27-10] sur France Culture, chaîne publique nationale réputée sérieuse : on ne peut plus se fier à personne. Aucun vrai journaliste n'était là pour démentir.

mercredi, 27 octobre 2021

MON PASSAGE MERMET

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Pendant qu'Emmanuel Macron n'en finit pas de manquer à sa parole, s'agissant du sort qu'il réserve à l'hôpital public (voir le journal Le Monde daté 26 octobre et l'article sur le massacre de l'hôpital Pitié-Salpêtrière), jetons un œil sur un petit coin de Croix-Rousse.

***

Parmi les rampes que je préférais quand j'étais minot : valait mieux pas se planter, c'est raide.

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1 - Photo de Didier Nicole, 1999.

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2 - Dessin de Berlion pour un épisode de Sales Mioches, une chouette BD sur scénario de Corbeyran, qui parcourt la Croix-Rousse dans tous les sens.

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3 - Photo de F.C. prise au cours d'une bambane en 2018 : comme un gouffre noir.

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4 - Dessin de Kraehn pour un épisode de Gil Saint-André, où le passage Mermet s'éclaircit soudain, peut-être pour mettre en évidence la mini-jupe de la dame qui monte qui monte.. 

***

Le passage Mermet n'a pas la renommée de son voisin, le passage Thiaffait, situé de l'autre côté de l'église Saint-Polycarpe. D'abord, il est nettement plus étroit et sombre, se terminant sous une voûte basse à son arrivée rue René-Leynaud.

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Et puis son escalier a quelque chose de monolithique : quelques volées de marches coupées en ligne droite par une rampe métallique étroite, vernissée à force de glissades des pantalons des garnements du quartier. Alors que pour accéder à la grande cour de Thiaffait, la rue Burdeau offre des solutions variées comportant des diverticules fermés ou non par des grilles, donnant parfois accès à des habitations. Il y en a même une, obstinément close, qui semble conduire dans je ne sais quels tréfonds secrets de l'église. Quelle église ? Mais Saint-Polycarpe, bien sûr !

mardi, 26 octobre 2021

UNE PHOTO A MON GOÛT

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Des lieux peu ragoûtants, c'est sûr, mais une photo digne d'intérêt, selon moi. Pourquoi ? Je ne sais pas. Sans doute un cadrage plus savant qu'il n'en a l'air. Peut-être l'étrangeté de l'ambiance générale. Peut-être aussi la symphonie des gris offerte par le cadre et l'effet esthétique qui s'en dégage : j'ai toujours été sensible aux surfaces impures, aux murs décrépis, aux affiches déchirées, superposées, confuses. Comme quoi, dans le monde des images, le sujet est une chose, la façon dont il est traité en est une autre. Ici, dans le fond, peu importe la localisation exacte.

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Photo prise par l'excellente Marcelle Vallet, née en 1907, décédée en 2000. Ci-dessous, son portrait en 1991 par Claude Essertel.

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lundi, 25 octobre 2021

J'ETAIS DANS LA SALLE

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C'était lors d'un concert donné par l'ami Khaled Ben Yahia, virtuose du oud. Je suis caché dans la foule. Ohé ami, sauras-tu me reconnaître ?

dimanche, 24 octobre 2021

UNE PHOTO PARFAITE

Photo trouvée sur le site de la Bibliothèque Municipale de Lyon, sous le titre :

« Escalier menant au bas-port du Rhône ».

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Une plaque de verre de format 13 x 18 cm. appartenant au fonds "Jules Sylvestre" de la BML. Pas d'autre information.

Rien sur l'auteur de l'image. Rien sur l'époque ou la date du cliché, à part un pauvre  [19..?]. Rien sur l'emplacement exact de ce chef d'œuvre architectural digne des jardins d'un château de la Loire. Un chef d'œuvre photographique aussi, non seulement par le cadrage, mais aussi par le choix du moment, avec sa luminosité savamment diffuse.

Une question. Où est-on ? Spontanément, je dirais volontiers : en dessous de la place Tolozan. Rien de sûr, évidemment. Autre question : quel urbaniste criminel a établi les plans d'un projet qui incluait la destruction d'une telle merveille ?

Contrairement à ce que prétend une publicité imbécile entendue sur les ondes hertziennes, le BEAU n'a pas toujours raison.

***

Note : après quelques vérifications, il semble impossible de situer cette architecture au niveau de la place Tolozan. Le mystère reste entier.

mercredi, 20 octobre 2021

LA FESSE CACHÉE DU "GRAND LYON"

Les "Communautés Urbaines", "Communautés d'Agglomération", "Communautés de Communes" et autres regroupements d'exécutifs municipaux ont fleuri sur le territoire national depuis une quarantaine d'années (évaluation au pifomètre, au doigt mouillé ou à tout autre critère de mesure scientifique). S'agissant de la première de ces appellations administrative, les crânes de poule qui ont pondu cet œuf-là n'avaient pas tenu compte d'un détail : l'acronyme résultant de la création de la Communauté Urbaine de Lyon. Car dans le cas de notre cité bien aimée, cela donnait un sigle (à lire verticalement ci-dessous) qui pouvait prêter à rire dans les rangs des gens mal intentionnés, comme le montre le petit bidouillage auquel je me suis livré sur une photo prise par Pierre Clavel.

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Bien entendu, les édiles sont tous tombés d'accord pour que la Capitale des Gaules ne devienne jamais la risée de qui que ce soit, et ont astucieusement tourné la difficulté, la deuxième lettre de chacun des mots rendant toute confusion impossible (Co.Ur.Ly.), tout en rendant hommage à un volatile qu'on peut observer en Dombes, j'ai nommé le courlis.

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Mais les mêmes édiles, constatant la persistance des esprits caustiques à se gausser de la transparence du masque ainsi posé sur l'académie (« Voir votre académie, Madame, et puis mourir ! » chante Tonton Georges), ont voulu aller plus loin et ont tout bonnement proposé l'expression "Grand Lyon", au risque de défriser toutes sortes de susceptibilités dans les localités périphériques. Pour mettre tout le monde d'accord et en finir avec les querelles clochemerlesques, il a fallu attendre la création des "Métropoles" au plan national. Avouez qu'en prononçant "Métropole de Lyon" avec l'intonation et la conviction adéquates, on en a tout de suite plein la bouche et la formule donne à celui qui l'articule des potentialités d'emblée plus majestueuses.

Je garde cependant une grande affection à l'énoncé d'origine (C.U.L.), ne serait-ce que parce qu'il rappelle avec force un sport spécifiquement lyonnais, je veux parler des boules. Attention, pas n'importe lesquelles. Il s'agit ici de "La Lyonnaise", autrement appelée "La Longue". Car ce jeu traditionnel comporte une clause à mes yeux réjouissante : quand une équipe ne marque aucun point dans une partie, elle se fait un devoir d'aller "baiser le cul de la Fanny".

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Sculpture de Geneviève Böhmer pour les défunts terrains de boules du Clos-Jouve. Photo de Claude Essertel.

Le pudique Nizier du Puitspelu ignore la Fanny, et ne retient ("parlant par respect") que l'expression « baise le ... fond de la vieille ». Il prend un malin plaisir ensuite à justifier longuement le non-emploi du mot auquel tout le monde pense, et se demande avec un sourire en coin si la "bonne religieuse" euphémisait : « Je raccommode la fonlotte de M. le Fonré ». Cent vingt et quelques années après son irremplaçable Littré de la Grand-Côte, et en pleine tempête touchant l'Eglise catholique, cette phrase innocente passerait sans doute pour suspecte. Heureusement, il n'y a plus beaucoup de "M. le Fonré".

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 19 octobre 2021

SAVANTS AU POTEAU DE TORTURE

On a pu voir, au cours de la pandémie, que l'opinion publique, aidée en cela par quelques scientifiques dévoyés ou vaguement complotistes, était toute prête à clouer au pilori les représentants de la science authentique, pour leur faire subir tous les outrages. Cette situation, disons-le, a été anticipée par quelques visionnaires.

Morris.

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Hergé.

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Ce qui s'appelle avoir les pieds sur terre, et montre avec quelle intrépidité les représentants de la science authentique sont prêts à affronter les pires épreuves.

lundi, 18 octobre 2021

UNE DAME TRÈS DISTINGUÉE

Qu'est-ce que c'est, les "Bonnes Manières" ?

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Le pédagogue, auquel Lucky Luke évite de justesse le goudron et les plumes.

AVANT

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APRÈS

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Moralité : Calamity Jane est un excellent professeur de maintien et de bonnes manières.

dimanche, 17 octobre 2021

RENÉ LANAUD, PHOTOGRAPHE

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Cette photo a été prise rue Saint-Jean le 10 novembre 1991. Quand je suis tombé dessus sur le site de la B.M.L., j'ai eu la surprise de reconnaître l'une des personnes présentes à l'image. Car on est au 29, rue Saint-Jean (maison Le Viste), là où un nommé Avon a fondé la librairie Diogène en 1974. C'est justement lui qu'on voit, dix-sept ans plus tard, installé dans son fauteuil dans son attitude favorite, devant le magasin à profiter du soleil de novembre. Je doute (je peux me tromper) que René Lanaud ait su exactement quelle figure de la librairie lyonnaise d'ancien il immortalisait ainsi : il faut avoir connu Avon.

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Avon avait une conception tranquillement épicurienne de l'existence. En affaires, il était direct et redoutable : « Je suis ardéchois », avouait-il en guise d'explication. Sa barbe dense et proliférante devait être pour quelque chose dans l'"explication". Cela ne m'a pas empêché [j'ai eu cette chance], juste à l'ouverture de son échoppe (ce n'est que plus tard que c'est devenu une "entreprise"), de lui acheter pour une somme outrageusement modique les Œuvres Complètes d'Alfred Jarry.

C'était l'édition 1948 de René Massat (Fasquelle et Kaeser), et en tirage de tête s'il vous plaît (N°F22 sur "grand vélin filigrané Renage"). Une belle édition toujours méprisée par le cercle des Vestales du Collège de 'Pataphysique, qui veillent hargneusement sur les mânes du père du Père Ubu, et qui persistent à coller des guillemets à "complètes" au prétexte l'inventaire des œuvres et l'établissement des textes manquent de sérieux. Même si ces cerbères n'ont pas entièrement tort, et qu'il faut leur reconnaître une grande rigueur, leur susceptibilité au sujet de tout ce qui concerne Alfred Jarry montre tous les symptômes de la maladie sectaire. 

En 1974, M. Avon débutait à peine, il n'était sans doute pas au courant des prix du marché et il essayait de mettre un peu d'ordre dans la masse de livres qu'il avait achetés pour inaugurer son commerce. A sa décharge, il faut ajouter que quatre des huit volumes avaient subi une très vilaine reliure d'amateur, dotée de quatre "faux nerfs", viles boursouflures comme des cicatrices mal soignées, du plus mauvais effet. M. Moura, le relieur de la rue Sala à qui j'avais confié la tâche de réparer les dégâts, avait fait une mine apitoyée.

La maison s'est bien rattrapée ensuite : il m'est arrivé d'assister à une vente aux enchères où le successeur d'Avon, un barbu plus falot mais aux puissants moyens, devenu une sorte de terreur sur la place de Lyon, a gardé d'un bout à l'autre de la vente la main levée, au point de rafler l'intégralité des lots (ou presque : le commissaire priseur a dû lui en vouloir, car plus personne n'osait enchérir contre lui).

Rue Saint-Jean, en face de "Diogène", sévissait J.P.C., un moustachu caractériel qui vendait d'occasion, aux clients dont la tête lui revenait, des disques de jazz (c'était l'époque des vinyles), en particulier des exemplaires du service de presse, reconnaissables à l'encoche que l'éditeur y découpait dans un des angles supérieurs. Je n'ai jamais su sur quels indices il s'appuyait pour refuser mordicus de vous délivrer quelque petit trésor dissimulé sur les rayons du bas.

Aux dernières nouvelles, je me suis laissé dire que la librairie Diogène a des soucis avec le propriétaire des murs : il semblerait que le loyer exigé soit soumis à la même scandaleuse logique spéculative que celle qui, après avoir failli détruire le Café de la Cloche (rue de la Charité), a jeté dehors la pizzeria Carlino (rue de l'Arbre-Sec), au grand dam de Carlino lui-même, de ses amis et de la foule des amateurs qui fréquentaient le lieu. J'aime à penser que, si Avon était encore aux manettes, on aurait droit à un beau spectacle bien "musclé" entre le propriétaire et son locataire.

Je me dis qu'il est loin, à Lyon, le temps où un père de famille nombreuse au revenu somme toute modeste avait malgré tout les moyens de loger sa smala entière dans les 300m² d'un superbe appartement du quai Lassagne où il pouvait se donner des airs de grand bourgeois, sur le parquet "Versailles" et sous un plafond à 4,2 mètres, où le thermomètre en hiver avait du mal à dépasser le seuil des 14°C à hauteur d'homme.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 16 octobre 2021

RENÉ LANAUD, PHOTOGRAPHE

René Lanaud, 1921-2007.

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Ektachrome fait des merveilles, mais le regard du bonhomme n'est pas mauvais non plus, ainsi que les circonstances. Vu le dessin assez particulier de l'arête montagneuse, je pense qu'il n'y a pas besoin de préciser le lieu de prise de vue.

mercredi, 06 octobre 2021

PARLONS PHOTOGRAPHIE

Fouiner dans le patrimoine photographique déposé à la Bibliothèque Municipale de Lyon, c'est diablement intéressant. Principalement parce qu'on ne cesse d'apprendre toutes sortes de choses sur la ville de Lyon (et parfois lieux circumvoisins). Mais aussi parce qu'on découvre dans ces archives la façon dont toutes sortes de gens armés d'un appareil photographique portent leur regard sur leur cité. Et puis il arrive, dans un détour du défilement des images, que certaines anomalies apparaissent, à peine dissimulées dans un recoin inaperçu. Ainsi, en parcourant les richesses du "Fonds Sylvestre" (Jules Sylvestre, 1859-1936), je suis tombé sur un cliché qui a piqué ma curiosité : une automobile Hotchkiss conduite par un chauffeur coiffé d'un béret, sur fond de bâtiments en construction, circa 1930.

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Là, on me dira ce qu'on voudra, mais c'est trop sombre.

La première curiosité se trouve dans la légende accompagnant la photo. Aucun doute sur la marque de l'auto et les bâtiments en construction : il s'agit bel et bien d'une Hotchkiss et de l'Hôpital de Grange-Blanche autour de l'année 1930. Toutes les occurrences sont d'accord. Là où un certain flou introduit une certaine incertitude, c'est que dans un cas on nous dit que c'est le véhicule officiel de la mairie de Lyon, que l'opérateur a immortalisé lors d'une visite d'Edouard Herriot sur le chantier, accompagné de l'architecte du projet, Tony Garnier ; et que dans un autre, on (j'ignore qui) fait de l'automobile la propriété de Tony Garnier.

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Ici, un léger mieux : il y a une éclaircie.

La deuxième curiosité se situe dans le travail de laboratoire, d'où est sortie l'épreuve papier que le spectateur a aujourd'hui sous les yeux. Il se trouve qu'un certain Guy Borgé (1925-2013) est l'auteur d'une foule des tirages aujourd'hui en possession de la B.M.L. Je laisse au visiteur le soin d'apprécier ou non les choix effectués par le nommé Guy Borgé, aviateur et photographe, quelqu'un qui est censé avoir de bons yeux. Je me permets seulement de regretter que l'institution lyonnaise détienne trop peu d'originaux sortis directement du laboratoire de Jules Sylvestre en personne, tant la façon dont le tireur a conduit sa tâche me donne l'impression d'un ratage (j'ose le mot). Certes, on peut être esthétiquement séduit par le choix du sépia et l'effet ainsi produit par la diffusion de la lumière.

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Alors là je dirai juste : y a pas photo !

Je regrette quant à moi que cet apparent avantage s'obtienne au détriment de la netteté et du "piqué". C'en est au point que lorsque je tombe sur une photo sépia, j'ai maintenant la tentation spontanée de l'attribuer à Guy Borgé, ce que confirme bien souvent la rubrique B.M.L. "Note à l'exemplaire". Ce n'est pas que les photos tirées par Borgé soient laides, bien entendu, mais j'ai fini par me demander si ce dernier ne souffrait pas de myopie, pour que dans leur immense majorité, ses tirages soient flous, jusqu'à rendre inidentifiables les traits des personnes photographiées. Haro sur Guy Borgé !

Et je me souviens de mes travaux photos confiés à M. Mortier, photographe unijambiste qui exerçait dans son magasin du centre de Sainte-Foy-lès-Lyon, surtout vers la fin de son activité, et que le sujet des photos qu'il  me rendait avait tendance à s'estomper dans une sorte de "sfumato" qui n'avait rien de pictural.

lundi, 04 octobre 2021

POUR BERNARD TAPIE

Face au déluge d'éloges et d'hommages qui se sont abattus sur le cadavre de Bernard Tapie aussitôt connue sa disparition, je tiens à apporter ma modeste pierre à l'érection du monument posthume qu'une touchante unanimité a immédiatement décidé d'élever au dernier aventurier de haut vol que la France ait produit.

Au flibustier magnifique qui a su fasciner la France au gré de ses hauts faits et méfaits dans les domaines de la chansonnette, du sport, de l'industrie, de la presse, de la politique et des tribunaux correctionnels.

Au pirate des affaires qui avait réussi à mettre dans sa poche, en plus des sommes que l'on sait et des sommes que l'on ignore, toutes sortes d'hommes politiques sérieux à coups de bluffs aussi énormes que son culot et sa roublardise.

Au champion toutes catégories du mélange des genres et des intérêts qui caractérisait les "chevaliers d'industrie" au XVIII° siècle, comme ça devrait s'appeler si l'on voulait s'approcher de la vérité.

Je propose donc, en signe de reconnaissance des immenses services que Bernard Tapie a rendus à tous les candidats esc[autocensuré]cs, d'élever une statue qui ressemblerait à peu près à ceci.

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Dessin de Peyo.

Que tout le monde, du premier ministre Jean Castex à Jean-Louis Borloo et de l'extrême gauche anti-Le Pen à l'extrême-droite — Jean-Marie Le Pen en personne s'est fendu d'une déclaration vibrante d'admiration —, vienne s'agenouiller devant la dépouille de ce forban qui doit par voie de justice 450 millions d'euros aux contribuables français, en dit long sur l'état moral et intellectuel de la France aujourd'hui, dirigeants, population et supporters de l'équipe de football de Marseille confondus.

jeudi, 30 septembre 2021

TRIBULATIONS D'UN PORTAIL CROIX-ROUSSIEN

1 - Propriété d'une sans doute noble famille (Mazuyer).

1 BD CROIX ROUSSE N°80 ANCIEN PORTAIL LA TOURETTE.jpg

2 - Ecole Normale d'Institutrices (c'est fièrement inscrit sur le fronton).

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3 - Collège moderne (photo ©Largo43) : c'est aujourd'hui.

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4 - L'usage change, le portail reste, avec le blason d'origine (blason impossible à lire faute d'indications gravées des émaux et métaux revêtant le champ et les meubles de l'écu).

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On trouve ça au N°80 du boulevard de la Croix-Rousse.

Une petite recherche m'apprend la véritable figure du blason Mazuyer, que "SanglierT" (je n'y peux rien : c'est l'auteur) décrit ainsi : « D'azur au chevron d'or accompagné de deux étoiles d'argent en chef et d'un croissant de même en pointe ». C'est peut-être vrai, je n'en sais rien.

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Quoi qu'il en soit, si je voulais chipoter, je reformulerais ainsi : « D'azur au chevron d'or accompagné en chef de deux étoiles à cinq rais d'argent et en pointe d'un croissant ["montant" est facultatif] du même ». Le casque juché sur le chef de l'écu est peut-être d'un baron. Avec de bons yeux, on distinguera un pélican qui s'ouvre le flanc pour nourrir ses petits. Avec une loupe à fort grossissement, on lira la devise : « NON MIHI SUM NATUS » ("Je ne suis pas né pour moi-même"). On admettra que ça change tout, n'est-ce pas.

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Un peu d'histoire pour les amateurs (merci à Mme Catherine Guillot, Conservatrice du Patrimoine, auteur du texte qui suit).

Le Portail de la Tourette à Lyon : un témoignage des demeures champêtres de la Croix-Rousse. Intégré en 1888 à l’école normale d’institutrices, devenue successivement institut de formation des maîtres puis collège, le portail de la Tourette demeure un des ultimes témoignages des clos champêtres situés à la Croix-Rousse.

Ses origines

Les possesseurs successifs du tènement de la Tourette ont été identifiés par Irénée Morel de Voleine, dont la documentation a été enrichie par René Mazuyer dans les années 1930 et donnée aux archives départementales du Rhône en 1947. L’origine de la propriété, située sur le territoire de Maljulin, remonte au XIVe siècle ; celle du portail au 2e quart du XVIIe siècle à la suite de la vente en 1627 par Marguerite Dallier, veuve de Jacques Teste, de la propriété à Jehan Mazuyer. Outre la présence d’une demeure, le terrain est alors essentiellement couvert de vignes.

Arborant les armes des Mazuyer, le portail a dû être édifié peu de temps après son acquisition par cette famille. En effet, en 1628, Jehan Mazuyer a obligation de clore sa propriété de la Tourette, située près des remparts, et c’est sans doute à cette occasion que le portail est érigé. Contrairement à sa situation actuelle, l’édicule était placé entre deux corps de bâtiments. Le terrain demeure propriété de la famille (sous le nom de Parfait, puis de Favier) jusqu’en 1793 au moins, avant sa division en plusieurs lots. 

Un motif pour les artistes de la fin du XIXe siècle

En 1878, le portail attire l’attention d’un artiste soucieux du patrimoine lyonnais ancien, Charles Tournier, qui en réalise un dessin, puis une eau-forte en avril 1878, éditée par Mademoiselle Giraud à Lyon. Une annotation portée sur le dessin localise le portail au 1 rue de la Tourette. En 1883, cette gravure vient illustrer un article consacré au portail dans Lyon Revue du 30 septembre, signé J.J. Grisard. En 1885, Claude-Louis-Bon Morel de Voleine réalise des photographies du portail. Huit ans plus tard, Tournier reprend l’eau-forte dans la première livraison du Recueil d’archéologie lyonnaise, dessiné d’après nature, publié par série de cinq gravures à partir de 1891 ; l’imprimeur Wulliam édite également l’estampe séparément.

Le dessinateur diffuse ainsi une vision du portail antérieure à la construction de l’école normale d’institutrices (1884-1888) et en varie les éléments pittoresques : jeune femme et enfant, couple assis sur un banc sur le dessin, vide de tout personnage, ou, substitut du spectateur, couple de dos au seuil des lieux, sur les différents états de l’eau-forte. Dans ses représentations, il supprime la grille qui fermait le portail et invite à découvrir la propriété, sentiment frustrant pour le spectateur d’aujourd’hui puisqu’il n’existe pas de représentation précise figurée des jardins et de la demeure.

La photographie s’empare également du motif du portail avant son démantèlement : le fonds Sylvestre de la bibliothèque municipale et les fonds de photographies des archives municipales et départementales en témoignent. La végétation qui se multiplie sur les parties hautes confère une note romantique : le portail commence à disparaître sous la glycine.

D’une disparition probable à une recréation

En 1852, la Croix-Rousse est rattachée à Lyon et les fortifications démantelées en 1865. A leur emplacement est aménagé le boulevard de la Croix-Rousse ; des édifices publics sont projetés afin de lui assurer un aspect monumental. En 1879, la formation des futures institutrices est assurée dans les locaux du clos de la Tourette. Dès 1880 est lancé le concours de l’école normale d’institutrices, concours remporté par l’architecte Philibert, dit Philippe, Geneste (1846-1938). L’école doit prendre place sur le même site, entraînant la démolition des bâtiments antérieurs.

Malgré la diffusion de l’image du portail, sa préservation, ainsi que celle d’autres vestiges de la demeure, ne semblent pas être prioritaires. Cependant, grâce à l’intervention de Morel de Voleine et de Félix Desvernay, le portail fait néanmoins l’objet de l’attention du Conseil général, qui décide finalement de le sauvegarder.

D’après Desvernay, le portail est en effet replacé en 1888 par Geneste comme portail de la nouvelle école, en y incluant au revers des vestiges provenant de la propriété, retrouvés en avril 1888 dans le jardin, sans doute à la suite des démolitions, par Desvernay lui-même. Des éléments, dont les plus anciens remonteraient au XVe siècle, sont ainsi intégrés au monument, créant une œuvre en partie nouvelle. La comparaison entre les photographies réalisées avant la démolition et après la reconstruction atteste de la fidélité de cette reconstitution quant à l’élévation antérieure du portail.

Après la « réinstallation » du portail boulevard de la Croix-Rousse, ses représentations continuent à se diffuser, que ce soit par la photographie ou la presse : en particulier, Le Progrès illustré du dimanche 7 avril 1901 montre, dans sa rubrique « Les rues de Lyon », trois images du portail (en élévation, les armoiries et l’assemblage du revers) par le dessinateur H. Girrane.

La reconnaissance patrimoniale du portail trouve son aboutissement en 1910, date à laquelle il est classé au titre des monuments historiques (arrêté du 22 janvier 1910). Sa représentation se répand alors sous la forme d’édition de cartes postales, notamment par la société S. Farges (S.F.) en 1913, et dans l’entre-deux-guerres.Le remontage du portail et la composition élaborée au revers par Devernay et Geneste en font une des rares reconstitutions-créations au sein du patrimoine lyonnais, dans l’esprit des antiquaires de la Renaissance et de l’Age baroque. Désormais implanté le long du boulevard de la Croix-Rousse, le portail demeure l’une des ultimes traces des clos champêtres de la Croix-Rousse non religieux et évoque les anciennes familles lyonnaises par les armoiries qu’il porte ; il est également révélateur d’une vision pittoresque du patrimoine, de l’action de sauvegarde des érudits lyonnais de la seconde moitié du XIXe siècle et d’un esprit de recréation, associant des éléments disparates provenant de l’ancienne demeure, tout en s’intégrant à la composition réalisée par Geneste pour l’école normale d’institutrices.

Le chantier de reconversion de l’institut de formation des maîtres en collège en cours depuis 2010 va permettre la restauration du portail, grâce aux échanges entre le Conseil général du Rhône et le service territorial de l’architecture et du patrimoine (STAP). 

Catherine Guillot – conservatrice du patrimoine à l’Inventaire général du patrimoine culturel, Région Rhône-Alpes.

lundi, 27 septembre 2021

UNE BD ANTISEMITE ???

J'ignore si les aventures dessinées de Barbe-Rouge le pirate, de son fils Eric, de Baba le noir et de Triple-Patte l'unijambiste sont encore lues et appréciées par les jeunes générations. J'imagine que les "mangas" leur dévorent davantage d'argent de poche que ces vieilleries juste bonnes pour quelques collectionneurs fétichistes, nostalgiques et maniaques.

Cela dit, elles ne se doutent peut-être pas que c'est Barbe-Rouge et ses acolytes qui ont servi de modèles aux infortunés pirates qui se font régulièrement casser la figure et le navire dans les aventures d'Astérix. Goscinny se moque gentiment de ses amis en mettant dans la bouche de Triple-Patte, après chaque naufrage, des formules latines qui exaspèrent le pirate et en faisant prononcer à l'africaine les "r" par Baba le noir (comme dans la BD Barbe Rouge). On peut compter sur le crayon d'Uderzo pour donner le maximum d'effet à ces coups de pattes amicaux.

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J'adore le "B'''''''''''''! Elle est f'oide" p'ononcé pa' Baba. Triple-Patte, lui, en profite pour citer Virgile (Georgiques) : « Ô trop heureux les paysans, s'ils connaissaient leur bonheur ! ».

Quoi qu'il en soit, me replongeant dans quelques volumes des aventures du héros conçu et scénarisé par Jean-Michel Charlier au début des années 1960, et dessiné par Victor Hubinon, j'ai retrouvé sans trop de plaisir les scénarios tarabiscotés de Charlier, que j'ai trouvés bourrés de tics, de tocs et de trucs narratifs, confortablement ancrés sur la grande lutte éternelle du Bien et du Mal, selon un schéma très nettement manichéen. 

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Les méchants barbaresques raffolent des femmes blanches, qu'ils se procurent lors d'inqualifiables actes de piraterie pour en faire un pitoyable gibier de harem ou en tirer rançon. Inqualifiable ! Que fait Sarkozy ?

C'est sur le même schéma, au moins dans les débuts, que Charlier conçoit les aventures de Tanguy et Laverdure (dessin Victor Hubinon) [erratum : c'est Uderzo qui s'y colle, voir le commentaire de Guy], celles de Buck Danny (dessin Victor Hubinon) ou celles, tout aussi connues, du lieutenant Blueberry (dessin Giraud, alias Gir, alias Moebius). Le western, l'aviation, la mer : la trinité des préférences de Jean-Michel Charlier, l'unicité de ses schémas narratifs. Toute une époque.

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Le traître en train de vendre son baratin au jeune héros sans peur et sans reproche.

Comme si le scénariste prolifique voulait faire entrer dans le crâne de ses jeunes lecteurs (il écrivait pour la revue Pilote) cette idée que le monde se divise en deux : les forces du Bien opposées à celles du Mal. Etant entendu que le héros incarne les premières et qu'il déjoue toujours les plans forcément machiavéliques tramés par les méchants. Mais après combien de contorsions et sinuosités scénaristiques. 

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Regardez avec quel courage le héros blond se lance à l'assaut du navire des infidèles !

On se souvient que le président des Etats-Unis George W. Bush, lui-même imprégné de cette grande Vérité de Bande Dessinée ("Axe du Bien contre Axe du Mal"), a mis en pratique ce principe ô combien rudimentaire et enfantin dans la réalité terriblement complexe du Moyen Orient : on voit encore le merdier que ça a donné. Mais enfin, restons dans l'innocent passe-temps destiné à la jeunesse : la BD.

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Même si la gamme des couleurs ne laisse aucun doute sur le camp dans lequel se rangent les deux personnages, ne pas confondre le traître et le méchant. "Méchant" est la catégorie englobante. En règle générale, le méchant (Ruggieri, en noir) est plus "politique", donc plus calculateur, il lui arrive même d'avoir de la classe. Alors que le traître (Guglielmo) est essentiellement un fourbe, qui n'a que des préoccupations basses, immédiates, expéditives et sordides. Notez qu'on ne trouve nulle part dans la BD une allusion au fait que Guglielmo est juif, mais le dessin se charge de nous le faire comprendre.

On reconnaît la signature de Jean-Michel Charlier à ceci : la présence systématique d'un traître dans le camp du Bien (selon la maxime rebattue « Il n'y a pas de guerre sans traître »), compensée assez souvent par l'imprévisible adjuvant d'un sauveur qui, œuvrant dans l'ombre du camp du Mal, permettra au prix de sa vie au héros d'échapper "par miracle" au piège dans lequel son courage intrépide l'a jeté. Soyons juste : les traîtres de Charlier arrivent rarement à l'âge d'une tranquille retraite, surveillés de près et toujours rattrapés par les agents de la justice immanente.

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Le dessin d'Hubinon charge la barque de l'agent double, vous ne trouvez pas ? Ça vaudrait presque l'usurier Gobseck de Balzac : le port de tête, le regard en dessous, le nez, le sourire sardonique, le sourcil charbonneux, la dentition : tout y est.

Je n'énumérerai pas les nombreux méchants qui vont se trouver sur la route d'Eric, le fils du pirate, dans la série de quatre albums tournant autour de la libération de Caroline de Muratore des griffes des barbaresques, d'Alger à la Sublime Porte (Khaïr le More, La Captive des Mores, Le Vaisseau de l'Enfer, Raid sur la Corne d'Or).

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D'abord le profil, ensuite le collier de barbe : Hubinon met les points sur les "i".

Je précise que Caroline est la petite-fille du duc de Mantoue, et l'unique héritière de son énorme fortune. Je me contenterai d'isoler le personnage de Guglielmo Mossi, citoyen peut-être vénitien, peut-être maltais, détestable faux-jeton, agent double et dangereux espion au service des barbaresques, doublé d'un être cupide et moralement veule, qui mange à tous les râteliers.

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La Justice Immanente est en marche : Baba, Eric et Triple-Patte ont retrouvé Guglielmo, qui ne s'y attendait pas, et s'apprêtent à lui faire payer au prix fort sa traîtrise. Notez qu'il ne reste pas grand-chose du collier de barbe, mais que le profil n'a rien perdu de ses protubérances.

Hubinon, en dessinant la tête de Guglielmo n'avait sans doute pas de mauvaises pensées, mais je m'étonne qu'elle n'ait pas mis en alerte les ligues de lutte contre l'antisémitisme. Le dessinateur Jijé, quand il reprend les personnages dans La Corne d'Or, rend presque présentable la figure du traître, qui n'en garde pas moins la tête dans les épaules et le regard par en dessous.

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Note : il y aurait beaucoup à dire de l'image donnée de l'islam et des musulmans (ici "quinze renégats") dans les scénarios de Charlier. Ce sera pour une autre fois.

jeudi, 23 septembre 2021

QUE C'EST BEAU, LA STRUCTURE !

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mercredi, 22 septembre 2021

TONTON GEORGES, C'EST AUJOURD'HUI


Ne me demandez pas pourquoi, je n'en sais rien. Pour le comment, c'est plus facile : dans le placard de la grande chambre qui faisait l'angle au premier étage, celle juste contre le marronnier, traversée par le gros tuyau métallique qui allait se ficher dans le conduit de la cheminée, il y avait trois ou quatre disques 33 tours 25 cm (on ne disait pas encore vinyle). Yves Montand (Battling Joe, Les Grands boulevards, ...), peut-être Jacques Brel (?), et puis Georges Brassens. Vous savez, Les Amoureux des bancs publics.

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Celui-ci, il a passé et repassé sur l'électrophone de la Guilde du Disque, un machin tout gris, avec un "saphir", et puis un bras blanchâtre qui pesait une tonne. Je pouvais avoir sept ou huit ans. A force de passer et repasser, les oreilles ont fini par demander grâce : les sillons (le sillon en réalité) sont devenus de plus en plus aléatoires et criards. Mais le mal était fait : Brassens, je connaissais par cœur.

Et Houellebecq peut bien dire quelque part que Brassens l'emmerde, je n'y peux rien, j'ai grandi avec, et quand on me parle de tonton Georges, je perds tout esprit critique. Et cela n'a pas changé. Bon, c'est vrai, je vois les faiblesses, et même les défauts, mais je connais toujours par cœur beaucoup de chansons. Tenez, l'autre jour, devant la mairie de la Croix-Rousse, jour de "Grande Braderie", il y avait un homme armé d'une guitare qui chantait "Une Jolie Fleur dans une peau de vache", eh bien les paroles me sont venues comme si ça coulait de source, et j'ai chanté avec lui le reste de la chanson. Il a eu l'air content, il s'est senti sans doute moins seul.

C'était peut-être l'un des deux qui avaient déjà donné un récital Brassens à La Crèche, un soir du monde d'avant. "Le 22 septembre", ce n'est peut-être pas ma préférée, mais ça tombe aujourd'hui, alors je profite de l'occasion. Je ferai une réserve sur une des strophes, qui dit : « Que le brave Prévert et ses escargots veuillent / Bien se passer de moi pour enterrer les feuilles... », parce que A l'enterrement d'une feuille morte est un poème qui me semble vraiment trop niais, comme beaucoup de poèmes de monsieur Prévert, celui que Michel Houellebecq (encore lui) traite carrément de "con" dans une de ses Interventions (Flammarion). En quoi j'ai tendance à être assez d'accord.

Reste cette chanson automnale. Et puis toutes les autres : "Tonton Nestor", "Celui qui a mal tourné", "Mourir pour des idées", "Le Bistrot", au hasard de celles qui me viennent à l'instant. Et je me dis qu'en 2021, ça fait pile quarante ans que Georges Brassens a rendu son bulletin de naissance. Et c'est bientôt le temps des feuilles mortes.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 20 septembre 2021

LES RAVAGES DU FÉMINISME

Une enquête apparemment sérieuse fait apparaître que 80% des filles arrivant en classe de Terminale, au moment de choisir une orientation, souhaite aller vers des filières en rapport avec la littérature ou le soin, et que seule une infime minorité opte pour des formations en rapport avec le numérique, l'informatique, les mathématiques. Voilà les faits. Je n'en sais guère plus sur les conditions dans lesquelles l'enquête a été réalisée : prenons-la telle qu'elle nous est présentée par un journaliste lambda sur une chaîne de radio nationale.

Ce qui m'intéresse ici, c'est le cadre, disons "notionnel" dans lequel le journaliste insère l'information, qui en dit long sur la nouvelle terreur intellectuelle que font régner les cercles les plus staliniens, voire KGBistes de la "mouvance" féministe, elle-même assez complexe aujourd'hui pour qu'une femme normale et de bonne volonté — je veux dire pas trop fanatique ou doctrinaire — ait envie de jeter toutes ses boussoles à la poubelle. 

Car vous savez à quoi il ressemble, le "cadre notionnel" qui sert de baignoire, de bain de vapeur et de bouilloire au cerveau du journaliste ? Voici en gros et en substance ce qu'il dit au sujet de la statistique énoncée plus haut : « On reste stupéfait devant le poids des stéréotypes de genre qui amène une très forte majorité de filles à préférer se lancer dans des carrières qu'une tradition héritée du patriarcat a toujours destinées aux femmes. On est frappé par le fait qu'elles ne sont qu'une petite minorité à envisager pour elles-mêmes une profession technique ou scientifique, autrefois réservée exclusivement aux hommes. »

Le journaliste en question, dont je n'ai pas retenu le nom, est tellement imprégné de l'idéologie qui sert de grille de lecture et de lunettes à l'immense majorité des individus invités, par profession ou non, à causer dans le poste, qu'il ne se dit à aucun moment qu'autour de 17-18 ans, une fille est assez grande pour savoir ce qui lui plaît davantage et ce qui lui plaît moins.

La preuve qu'elle est assez grande, c'est qu'elle a bientôt le droit de voter et qu'elle a eu le temps de se former quelques idées sur le monde qui l'entoure et sur la société. C'en est au point qu'on lui demande de former des vœux pour dire officiellement comment elle envisage son propre avenir, avec personne (en principe) pour lui tenir la main ou l'obliger à se plier à d'éventuelles comminations parentales.

Allez lui dire, ensuite, qu'elle a tout faux et qu'elle se laisse influencer par les persistants "stéréotypes de genre". Allez lui dire qu'avec ses préférences, elle se met dans son tort. Allez lui dire que malgré son droit de vote, sa majorité pénale et sa liberté sexuelle, elle n'a pas encore la maturité intellectuelle suffisante pour se rendre compte qu'elle est victime du lourd passé d'une civilisation qui lui assignait en tant que femme un rôle social prédéterminé.

Allez surtout lui dire qu'en faisant un choix qui la range ipso facto parmi les victimes d'un système honni, elle perpétue le statut de victimes de toutes les femmes de l'histoire. Allez enfin lui dire qu'en décidant de s'engager dans une voie cataloguée "typiquement féminine", elle fait fi de sa Liberté individuelle ! Qu'elle devrait se mettre davantage "à l'écoute de ses désirs" !

« Pas libre, moi !?!? Ça va pas la tête ??? », qu'elle réplique, la jeune fille.

Je me souviens d'une petite fille qui devait avoir entre deux et trois ans. C'était un 25 décembre, et ça se passait sous le sapin de Noël. Toute la famille réunie, le chahut, les cadeaux bariolés, l'excitation. Je veux juste dire que je regrette de n'avoir pas immortalisé en image l'instant exact, éclatant et magnifique, où Nina, ayant déchiré le papier, a vu apparaître, sous le rhodoïd transparent, la poupée.

Oui, je regrette de n'avoir pas fixé l'extraordinaire expression de joie soudaine et explosive que tout son être a alors manifestée. Tous ses désirs étaient soudain comblés. Qu'on me pardonne, mais la seule pensée qui m'a traversé l'esprit a été : « Toi, tu es vraiment une fille ! ». Fulgurant ! Je ne me rappelle pas avoir jamais vu, dans des circonstances identiques, une adéquation aussi flagrante entre les attentes d'un enfant et l'objet qu'il recevait en cadeau.

Quant au journaliste et à tous ses coreligionnaires, tous ces gens qui sont incapables de voir dans un "stéréotype" autre chose qu'une manifestation du Mal, je ne vois qu'un seul mot pour qualifier leur attitude :

la BÊTISE.

Une bêtise crasse, et une bêtise méchante par-dessus le marché, qui les rend aveugles sur la part de vérité profonde que peut receler un authentique stéréotype. On ne m'ôtera pas de l'idée, en effet, que le "stéréotype" dont il est question ici est une pure et simple fabrication sortie des ateliers conceptuels mis en place par les cercles les plus fermés et sectaires du féminisme, qui reçoivent pour l'occasion le renfort des sections d'assaut regroupant les militants les plus vindicatifs d'autres minorités (les femmes n'en sont pas une, mais les féministes, toutes tendances confondues).

Qualifier de stéréotypes les simples réalités "homme" et "femme", je veux dire le sexe masculin et le sexe féminin, pour remplacer ces constats bêtement naturels par des fictions culturelles pimpantes, toutes neuves, toutes fraîches écloses des dernières avancées de la psycho-sociologie, c'est juste un énorme coup de bluff. Un coup de force si vous voulez.

On ne naît pas stéréotype, on le devient (presque une citation). Et on le devient après une lente et laborieuse maturation dans le ventre de l'Histoire. Ce qu'on appelle aujourd'hui, pour les condamner, "stéréotypes de genre", ce sont uniquement de telles observations de faits naturels. Il y a usurpation de vocabulaire. 

Car de tels "stéréotypes", durablement et solidement établis, n'ôtent pas un milligramme ni un millimètre à la sacro-sainte Liberté individuelle : ce n'est ni d'hier ni d'avant-hier que l'humain a fait ce qu'il a voulu du corps dans lequel la nature l'avait fait naître, et s'est livré à toutes les fantaisies qui lui passaient par le désir. 

C'est pour ça qu'il me semble singulièrement bête de présenter comme une aberration ou un archaïsme le choix libre et conscient de filières professionnelles par la génération actuelle des filles.

Allez les filles ! Ne vous laissez pas impressionner ! Ne vous laissez pas dicter vos choix ! 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 18 septembre 2021

MANGER A L'HÔPITAL

De la cuisine au centre de restauration.

Cela s'appelait une cuisine. Jusque-là rien à dire. A la rigueur, on disait "les cuisines", quand la taille des lieux, des fourneaux, des gamelles et le nombre du personnel le réclamait. Mais pas toujours. Ci-dessous la cuisine de l'Hôpital de la Croix-Rousse il y a au moins un siècle et probablement davantage : l'éclairage au gaz, l'uniforme des cuisinières, aussi hygiénique voire prophylactique que l'entretien des lieux, la taille des casseroles, tout y est. Cette popote certainement concoctée avec amour (personne n'ose en douter : quand on est nonne, on ne laisse pas tomber son mégot ou son glaviot dans la marmite), on s'en lèche les babines.

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Je ne sais pas si vous avez été hospitalisé, mais je peux vous dire par expérience que je n'ai jamais aussi mal mangé que dans les quelques occasions où cela m'est arrivé. Côté hygiène et sécurité alimentaire, il n'y a rien à dire : le contrôle est impitoyable. Côté chiffres nutritifs, le cahier des charges est impeccablement rempli : diététiciens et nutritionnistes sont intraitables. Côté prix de revient, le service comptabilité de l'hôpital est absolument ravi : comprimer par tous les moyens le prix de journée, c'est peut-être là que le bât blesse. Côté gustatif, côté palais, côté plaisir, c'est zéro plus zéro égale zéro : là, on est dans le révoltant. Sodexho ou Elior, c'est kif-kif bourricot. Au point que je préférais laisser le plateau en l'état ou pas loin. En confidence, je peux même avouer qu'il m'est arrivé de perdre six kilos en dix jours. 

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Rationnellement irréprochable, mais humainement dévitalisé. Une image du monde que certains voudraient bien nous fabriquer. Mais est-ce que les personnes hospitalisées n'iraient pas mieux si elles mangeaient mieux ?