mardi, 24 mai 2022
L'EUROPE RÉPUGNANTE ...
... LES BELLES HISTOIRES DE TONTON JANCO.
... OU : LA MÉTHODE DU FANATISME ULTRALIBÉRAL.
Petit récit édifiant en images, ou : comment la France a laissé casser en mille morceaux tout son service public par des crânes d'œufs bourrés de théories exaltant l'économie marchande, le libre-échange et tout l'attirail des fétiches de la morale protestante. Anglo-saxonne au surplus. Comment la France a capitulé en rase campagne, abandonnant tout ce qui faisait son originalité.
Avertissement : Je me suis efforcé d'améliorer la lisibilité du texte. Je crois même avoir ajouté quelques bribes exogènes ; mes excuses aux auteurs Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain.
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Le monstre EDF qui, dans les plans établis par les traités européens au bas desquels la France a très constamment — et quels qu'aient été les gouvernements — apposé sa signature, doit disparaître, tout comme, en des temps très reculés, les dinosaures, élasmosaures et autres tyrannosaures — vous savez, ceux qui ne devaient pas être sauvés, parce qu'ils étaient trop gros, trop laids, ou trop archaïques pour entrer dans l'arche de Noé.
Barrages, centrales thermiques, centrales nucléaires, lignes haute tension. Jean-Marc Jancovici ajoute le petit commentaire suivant, assez éclairant, je trouve.
Dans le même sac, figuraient aussi les PTT, la SNCF, etc. Le Français moyen se moquait gentiment de ces fonctionnaires "à statuts" et de leur "Petit Travail Tranquille", tout en rêvant d'y placer le neveu un peu feignant parce que je connais un mec qui connaît machin qui a la clé des embauches. Mais on appréciait le cœur qu'ils mettaient à l'ouvrage quand il le fallait, la sûreté offerte par le service public et la présence active des personnels et des services de l'Etat jusque dans les communes les plus reculées du territoire, au nom du principe d'Egalité.
Aujourd'hui, s'agissant de la SNCF, on rage quand un train n'arrive pas à l'heure, faute d'un entretien suffisant des infrastructures (on a fait de celles-ci et du matériel roulant deux sociétés distinctes, dont la première, RFF, boit la tasse financièrement, ayant récupéré toutes les dettes). Et on se dit : qu'il était doux, le temps de la tarification au kilomètre, que des crânes d'œufs ont cru bon de remplacer par une jungle tarifaire où même les spécialistes perdent le Nord.
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Car tout d'un coup, a surgi LE CRÂNE D'ŒUF, créature infernale qui n'approche la réalité humaine, vivante et concrète que par le truchement protecteur de dossiers administratifs, notes de synthèse, bilans comptables, budgets prévisionnels, données chiffrées, abstractions ésotériques, modèles mathématiques, algorithmes secrets et concepts méthodologiques. En gros, tout ce qui hurle sa haine de la France que j'aime, de la France dont je me souviens.
Le crâne d'œuf est bourré de convictions, d'idoles et de certitudes. Ce crâne d'œuf-là est convaincu des mérites de la concurrence (libre et non faussée, précisent tous les traités signés), des vertus du libre-échange et de la valeur de la dérégulation totale des marchés : rien, absolument rien ne doit venir entraver les transactions entre acheteurs et vendeurs, entre producteurs et consommateurs, bref, entre marchands et marchands.
Traduction : rien ne doit faire obstacle au désir de ceux qui, ayant beaucoup d'argent, ont bien envie que celui-ci ait une descendance encore beaucoup plus riche. Tous les biens, tous les capitaux, tous les services et, à la limite, tout ce qui est humain, doivent être considérés comme des marchandises et, comme tels, être privatisés. Rien ne doit s'opposer aux conquêtes de la loi du profit.
Dans ce système, l'optimisation fiscale n'est pas un vice coupable de fraude, mais une preuve d'intelligence économique. Dans ce système, la recherche de la rentabilité maximum (jusqu'à 12 ou 15 % par an !!!) des investissements est une vertu qui encourage le processus de « destruction créatrice » cher à Joseph Schumpeter, David Ricardo, Friedrich Hayek, Milton Friedman, Jean-Baptiste Say et quelques autres, auxquels il convient d'ajouter quelques lauréats du soi-disant prix Nobel d'économie (en réalité prix de la banque de Suède), tous grands bienfaiteurs de l'économie capitaliste.
Dans ce système, la finalité première ou mieux, disons-le, LA SEULE FINALITÉ de toute l'activité économique, c'est l'actionnaire,
pardon : l'investisseur, au premier rang desquels figurent aujourd'hui les tout-puissants fonds de pension (hedge funds, fonds spéculatifs, fonds vautours ...). Dans ce système, il faut savoir que, au nom de la fluidité des affaires, tout est permis à l'investisseur. L'actionnaire a tous les pouvoirs. L'actionnaire a tous les droits.
Sauf que, dans le cas de la France, le monopole était la garantie de ce que les Français ont en commun : le Bien Public. Le Bien Commun si vous voulez, vous savez cette expression-baudruche que, au même titre que Refaire-Société ou le Vivre-Ensemble et quelques autres, tout politicien français normalement conformé se doit d'inscrire à son vocabulaire, et dont il a plein la bouche en période électorale.
Les monopoles d'Etat (EDF, PTT, SNCF, etc.) étaient, certes, un particularisme propre à la France, étonnant et même inacceptable dans le monde ultralibéral qui s'annonçait mais, d'une part, comme dit Jancovici, c'était un héritage du gaullisme et du Conseil National de la Résistance, et d'autre part, cela formait le support puissant de ce que j'appellerai ici l'identité française. Cela a fait que, aussi longtemps que ces monopoles ont été considérés comme des institutions, la France s'est tenue droite.
A partir du moment où leur légitimité a été contestée au sein même de l'Etat (par des hauts fonctionnaires fraîchement émoulus de l'ENA, puis par les personnels dirigeants eux-mêmes), qu'ils ont été considérés comme des entreprises à soumettre au droit commun (européen), et que l'usager s'est métamorphosé en client, la France a courbé l'échine. Ceci pour mesurer l'importance et la gravité des conséquences de l'engagement de la France dans la voie d'une Europe voulue et conçue comme un espace purement et simplement marchand (Schuman, Monnet, Delors, ...).
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A partir de là, si je conserve mot pour mot le contenu des bulles, j'ajoute à la vignette une légende en en-tête, censée expliciter (lourdement) l'intention des auteurs. Mes excuses réitérées à eux et à leur travail impeccable.
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Je trouve très pédagogique ce petit scénario vite fait sur le gaz (au moins en apparence).
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La conclusion que je tire de cette petite histoire, elle est simple. Il semblerait que la France soit la seule, ou presque, après la deuxième guerre mondiale, à avoir développé des services publics sur le même modèle que son E.D.F.
Si cette assertion est exacte, en signant les traités européens successifs, la France est la seule à avoir vu bouleverser de fond en comble les structures fonctionnelles sur lesquelles elle était presque tout entière bâtie. Si c'est vrai, j'en tire la conclusion que, au motif que c'était la construction européenne qui était en jeu, la France est la seule à avoir accepté de laisser détruire ce qui faisait sa force, qui n'était pas négligeable. De se laisser démembrer, dépecer, morceler, charcuter et, au bout du compte, nier dans son être.
La question que je me pose alors est de savoir si toutes les grosses têtes que la France a envoyées à Bruxelles signer les traités successifs avaient conscience des conséquences telles qu'on les a vues se produire et qui se produisent encore jour après jour : le démantèlement méticuleux, la Grande Privatisation de Tout et, en fin de parcours, la disparition de tous ses services publics.
S'ils savaient ce qui devait découler à long terme des modalités inscrites dans les textes qu'ils ont entérinés, Robert Schuman et Jean Monnet, et après eux Jacques Delors (et avec eux toutes les constellations de juristes, fonctionnaires et autres colonies de papillons qui ont gravité autour) doivent être considérés comme de bien grands criminels. ou, à tout le moins, comme de détestables malfaiteurs.
Car la France qu'ils ont façonnée n'a plus grand-chose à voir avec la France qui les a eux-mêmes fabriqués, et dont il reste forcément de moins en moins de traces et de souvenirs, excepté dans la mémoire de quelques-uns, vieillissants et de plus en plus inoffensifs. Une question subsidiaire me taraude : si l'on peut parler de "Grand Remplacement" (voir mon billet du 26 mars), n'en a-t-on pas là un autre exemplaire, et magnifique, et autrement grave ?
Car cela en dit long sur leur façon de regarder la France non comme une nation, non comme une patrie, non comme un Etat souverain, mais comme la victime oblative de la "construction européenne". Si mon raisonnement tient à peu près la route (j'espère), la France doit être considérée comme le pays qui a donné le plus aux autres, et le pays qui a le plus perdu au change.
Schuman, Monnet, Delors, tels que les décrit Le Choix du chômage, la B.D. scénarisée par Benoît Collombat et mise en images par Damien Cuvillier (voir mes billets des 2 mars et jours suivants), quelle Trinité pour un autre Grand Remplacement dont personne ne parle !!! Si je n'ai pas complètement tort, je n'ai pas tort non plus de considérer cette Europe-là comme absolument répugnante.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DEMORALISATION | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, jean-marc jancovici, christophe blain, construction européenne, robert schuman, jean monnet, jacques delors, france, patriote, commission européenne, bruxelles, service public, edf, sncf, ptt, grand remplacement
samedi, 21 mai 2022
NOUS ET NOTRE EXOSQUELETTE
Dans cette mine d'or à ciel ouvert qu'est l'ouvrage en bande dessinée Le Monde sans fin, de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain (Dargaud, 2021), je me régale des trouvailles de l'ingénieur-pédagogue pour aider le lecteur à se faire une idée concrète des problèmes complexes qu'il expose, servi tant bien que mal par les dessins de son acolyte. Pour l'amener en quelque sorte à visualiser ce qui apparaîtrait foutrement abstrait à force d'aridité.
Par exemple, pour expliquer les pouvoirs extraordinaires dont l'innovation technique incessante a doté le moindre individu mâle ou femelle de l'époque actuelle, il a eu l'idée de les représenter dans la figure genre "Marvel Comics" d'IRON MAN, conçue comme un facteur démultiplicateur de la simple force musculaire individuelle : « Le parc de machines qui travaillent pour nous est une sorte d'exosquelette qui a la même force mécanique que si notre puissance musculaire était multipliée par 200 » (p.43). Il va de soi que, hors de cet exosquelette, nous nous affaisserions comme des bouses, comme des êtres chétifs et pitoyables perdus dans la nature hostile. Iron Man, en quelque sorte, nous permet de vivre dans une redoutable ILLUSION de puissance.
Je n'ai pas modifié le texte de la bulle : je l'ai juste bidouillé pour le rendre moins pénible à déchiffrer (un défaut du livre).
Iron Man — j'ajoute Iron Woman, parce que, pour les femmes, réputées musculairement moins avantagées, la chose est encore plus spectaculaire — peut tout, ou presque. Iron Man, c'est la personnification de l'ensemble des machines qui peuplent aujourd'hui le monde, et qui permettent d'une part de tout explorer, de tout exploiter, de tout fabriquer, de tout consommer, et d'autre part d'éviter aux individus qui en ont les moyens de « travailler à la sueur de leur front », de s'astreindre à des tâches rebutantes, fatigantes et jugées parfois dégradantes. Iron Man, c'est LE SYSTÈME machinique, industriel et, disons-le, capitaliste (tout à la fois abstraction anonyme et puissance concrète hégémonique), et c'est aussi l'innombrable masse des individus qui sont pris dans sa logique impériale et sont bien obligés de courber l'échine sous sa loi.
La contrepartie de cette toute-puissance, et qui a fini par faire sentir ses effets désagréables, puis nocifs, puis carrément délétères, c'est qu'Iron Man est un assoiffé pathologique, et qu'il faut lui injecter sans arrêt plus de pétrole si l'on ne veut pas qu'il cesse de fonctionner. L'ennemi d'Iron Man, c'est la panne sèche. Et la panne c'est notre angoisse, notre hantise et, peut-être bientôt, notre cauchemar : « Pourvu que rien ne vienne interrompre le flux énergétique qui nous alimente ! », nous disons-nous. « Pourvu que personne ne coupe le cordon ombilical par lequel nous arrive notre carburant vital ! »
Vous les voyez, tous les enjeux géopolitiques ? Vous les voyez, les pétroles de schiste du Texas ? Les sables bitumineux de l'Alberta ? L'oléoduc russe Northstream II ? Toutes les menaces qui pèsent déjà sur l'équilibre instable du monde ? Bon, on me dira qu'on sait tout ça. Certes, rétorquerai-je, mais Jancovici et Blain ajoutent à ce savoir déjà enregistré, catalogué, mémorisé, une incomparable force de persuasion par le détour de la narration et de l'illustration. Quant à savoir si ce savoir suscitera une action en retour, va savoir ...
Car Jean-Marc Jancovici se veut avant tout vulgarisateur. Mais attention, pas le petit tâcheron capable de bousiller toute une discipline en prétendant la mettre à la portée du vulgum pecus. Ici, on est dans la grande vulgarisation, la sérieuse, celle qui pèse de tout son poids sur la diffusion des données scientifiques les plus importantes dans les plus larges couches de la population. Ce livre qui fait peur s'est déjà vendu à plus de 250.000 exemplaires (chiffre donné dans M. le Magazine du Monde daté 19 mars 2022).
Je ne cesse d'apprendre ma leçon en revenant souvent à cette source de lucidité : plus ça va, moins je supporte les bonimenteurs, doreurs de pilules, beurreurs de tartines et autres passeurs de pommade et cireurs de grolles.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, réchauffement climatique, bande dessinée, christophe blain, jean-marc jancovici, le monde sans fin, éditions dargaud, marvel, iron man, exosquelette, pétrole de schiste, sables bitumineux, journal le monde, m le magazine du monde
jeudi, 19 mai 2022
QUE FERIONS-NOUS SANS ESCLAVES ?
NOS ESCLAVES : LES MACHINES.
Voilà le genre de coïncidence que j'aime. A trente ans de distance, dans deux ouvrages un peu différents mais à peu près sur le même sujet (une B.D. et un ouvrage, disons "sérieux", je veux dire non illustré), je trouve exprimée la même idée : les machines nous servent exactement de la même manière que les esclaves ont servi nos lointains ancêtres. Du coup, j'ai bien envie de poser une drôle de question : pourquoi l'occident, au moment même où triomphe cette civilisation conquérante, dominatrice et colonisatrice, a-t-il consenti à ne plus réduire des humains en esclavage ? Puisqu'on se permettait tout en matière de comportement à l'égard des peuples soumis, pourquoi a-t-on — au moins dans beaucoup de pays — interdit de considérer d'autres humains comme des objets, comme des machines et comme des marchandises ?
Voici mon idée : la civilisation occidentale a aboli l'esclavage au moment même où, se transformant dans un temps assez bref (grosso modo un siècle) en civilisation industrielle de production de masse et d'innovation technique permanente et forcenée, elle a accordé à quelques "grandes consciences", "esprits éclairés", "bonnes âmes" et autres "bienfaiteurs de l'humanité" le privilège de devenir de hautes figures morales du progrès proprement humain, en leur abandonnant l'esclavage, comme une sorte de concession du vice à la vertu. C'en est au point que je suis à deux doigts de me demander si la véritable raison de cette abolition ne réside pas précisément dans les avancées, les facilités, le confort et finalement les pouvoirs procurés par la technique.
Dans le fond, l'esclavage n'a-t-il pas été aboli quand on s'est rendu compte qu'on n'en avait plus besoin, parce que des machines étaient parfaitement capables de remplacer avantageusement les bonshommes dans l'accomplissement des tâches ingrates et gratuites ? Si l'hypothèse peut moralement choquer, elle mérite qu'on la considère, non ?
Et tant pis pour les militants anti-esclavagistes et autres bonnes âmes qui fulminent encore à longueur de temps contre l'occident colonialiste et contre la traite négrière transatlantique (disparue depuis lurette). Grâce au progrès technique, l'occident a pu se donner la vertu d'en finir avec l'esclavagisme, en rendant enfin la liberté à toutes sortes de populations opprimées.
Dans le même ordre d'idées, j'aime bien celle qui consiste à voir dans le progrès technique le principal facteur de l'égalisation des conditions entre l'homme et la femme : que serait la vie de celle-ci, si nous n'avions depuis longtemps à notre disposition toutes sortes de boutons sur lesquels il suffit d'appuyer pour que le travail pas drôle et musculairement coûteux s'accomplisse (il fallait de sacrés biscotos pour peser sur le volant du 10 T Berliet, et des cuisses en acier pour le double débrayage) ? Il me semble que les conquêtes du féminisme doivent énormément au progrès technique. Rien que cette petite idée m'amuse beaucoup.
La source de cette réflexion, je l'ai trouvée dans l'écho que fait un livre très récent à une comparaison faite voilà trente ans dans un ouvrage qu'on peut qualifier de cousin dans son propos, quoiqu'incompatible dans son mode d'expression. Voici ce qu'on trouve dans La Terre brûle-t-elle ?, de Cédric Philibert, paru aux éditions Calmann-Lévy en 1990 :
« L'énergie disponible par tête, de l'âge de pierre au paysan du XVIIIè, a été multipliée par cinq. Elle a, depuis, centuplé : "Le système énergétique mondial est l'équivalent de cent milliards d'esclaves au service des cinq milliards d'habitants" notent Pierre Radanne Louis Puiseux, qui commentent ainsi cet événement inédit : "Il ne s'agit pas là d'une simple accélération de croissance, c'est l'équivalent d'une véritable mutation génétique, un changement de nature de la vie humaine analogue à l'acquisition des pattes ou des ailes dans un phyllum animal."
L'exploitation des réserves concentrées d'énergie a changé la face du monde ... » (p.123-124).
Et puis voici ce qu'on trouve dans Le Monde sans fin, la B.D. de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain (Dargaud, 2021, c'est l'ingénieur Jancovici qui s'adresse à Blain, le néophyte qui découvre tout ça avec stupéfaction ; je me permets de reproduire le texte parfois mal lisible) :
"Par contre, ce que tu peux constater, et qui est fondamental ... c'est que chaque Terrien consomme en moyenne 22.000 kWh par an."
"Avec l'équivalence dont je t'ai parlé tout à l'heure, c'est comme si chaque Terrien avait, à peu près, 200 esclaves qui bossaient pour lui en permanence."
"Sans machines sur Terre, il faudrait faire travailler 1.400 milliards de Terriens pour avoir la même production ... Je ne crois pas que la Terre ait les moyens de nourrir ces 1.400 milliards."
***
Cette façon de présenter toute l'ère du machinisme régnant comme l'asservissement de forces mécaniques au service de la prospérité, du bien-être et du bonheur généraux me paraît tout à fait intéressante : plus nous possédons de machins électriques, de bidules à moteur et de gadgets électroniques, plus nous nous rendons dépendants de tout un système énergétique coûteux, dont le but est de nous faire vivre dans un cocon. Comme nous nous trouverons bêtes et démunis, le jour où l'électricité (le charbon, selon Jancovici) et le pétrole viendront à manquer !!
Au passage, je note l'écart astronomique qui s'est creusé en trente ans entre le chiffre de la population humaine et celui de la puissance développée par les équivalents-machines. Autrefois, 100.000.000.000 d'esclaves pour servir 5.000.000.000 d'humains, cela fait, si je calcule bien 20 esclaves par tête de pipe. Aujourd'hui, 1.400.000.000.000 d'esclaves pour 7.000.000.000 d'humains, cela fait bien, comme dit Jancovici, 200 esclaves par crâne de piaf. Autrement dit, si je crois en la véracité des chiffres, c'est un facteur 10 qui a multiplié la puissance des machines en trente ans. Est-ce la productivité du travail mécanique qui a été multipliée par dix ? Ou alors la production de biens proprement dite ? Ou bien est-ce simplement le nombre des machines ?
Précisons quand même : tous les pays du monde ne sont pas égaux face à l'esclavage mécanique. Il faut être juste et précis, et ne pas se contenter de ce "200 esclaves par personne" qui semble mettre tout le monde sur un pied d'égalité : une moyenne est toujours trompeuse (c'est comme l'indice du pouvoir d'achat de l'INSEE). Selon Jancovici, le citoyen du Bangladesh est à 30, celui de l'Inde à 50. A 100, on trouve l'Equateur, le Pérou, l'Egypte, ...... Au sommet de l'échelle, on trouve Singapour (1250), le Canada et la Norvège (1100). La France se situe à 600, non loin de l'Allemagne (650). J'imagine que, pour arriver à ces chiffres, le calcul de Jancovici se fonde sur la production industrielle ou l'équipement des ménages en appareils électriques, automobiles, etc.
Quoi qu'il en soit, la conclusion logique s'impose : nous sommes, globalement et en moyenne, dix fois plus heureux qu'il y a trente ans. Ah ? Vous ne saviez pas ? Ben non. C.Q.F.D. et content de l'apprendre.
Voilà ce que je dis, moi.
dimanche, 08 mai 2022
EN AVRIL "LE MONDE" ENFONCE LE CLOU
Quelques titres du journal Le Monde picorés tout au long du mois d'avril, entrelardés de quelques illustrations (un peu bidouillées par mes soins) extraites de Le Monde sans fin, ce livre formidable et un peu agaçant de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. Juste pour laisser entendre — avec ma subtilité légendaire ! — que l'humanité n'est pas sortie de l'auberge. Et on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas que toutes les complaintes autour des espoirs de croissance entretenus par les responsables politiques, par les patronats unis dans la défense des intérêts des actionnaires nous entraînent tous dans une même catastrophe. Espoirs de croissance auxquels s'accrochent aussi les syndicats de travailleurs. Et même les travailleurs, les consommateurs, les contribuables, les automobilistes et les vacanciers (liste non exhaustive).
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Le Monde daté mercredi 6 avril.
Le G.I.E.C. ? "Vox clamans in deserto", si ça rappelle quelque chose à quelqu'un. Ce ne sont pas les scientifiques qui gouvernent. C'est sans doute heureux, parce que si c'était la rationalité pure qui était aux manettes, les classes politiques n'auraient pas le champ libre pour faire avec constance et détermination la preuve de leur médiocrité.
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Le Monde daté mercredi 6 avril.
Soit dit en passant, quand les populations concernées verront en direct ce que les responsables commencent à accepter de nommer "sobriété", c'est là qu'il comprendront leur douleur. Parce que c'est là qu'ils souffriront, et sans intermédiaire. Ceci pour dire que le terme de sobriété est un doux euphémisme. Mais que le fait qu'on le rencontre de plus en plus souvent veut dire que la mise en condition des esprits pour les accoutumer à la future réalité a bel et bien commencé. On mesurera l'avancée à la vitesse d'obsolescence des euphémismes, sous la pression des mots de vérité qui s'appliquent à notre réalité, actuelle ou à venir. Et puis un peu aussi sous la pression de la réalité elle-même, n'ayons pas peur de le dire. Les mots de vérité attendent en général pour surgir que le plus grande nombre ait le nez dans la bouse de la réalité, et qu'il ne soit plus possible alors de prendre de faux-fuyants.
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Le Monde daté samedi 9 avril.
Dennis Meadows est aujourd'hui âgé de 79 ans. Au sein du "réservoir de pensée" (think tank) suisse appelé Club de Rome, du Massachussets Institute of Technology (M.I.T.), il a participé à la rédaction du désormais prophétique rapport intitulé The Limits to Growth (Les limites à la Croissance), publié en 1972. Il y était dit que la planète étant de dimensions finies, les matières qu'elle était en mesure de nous procurer étaient elles-mêmes finies par nature. Et qu'il fallait envisager que la sacro-sainte croissance par laquelle jurent l'écrasante majorité des économistes connaîtrait forcément des ratés, avant de s'arrêter tout simplement. Cela fait donc cinquante ans qu'on a prévu ce qui se produit aujourd'hui. L'histoire montre qu'il ne sert à rien d'avoir raison avant tout le monde. Il n'y a pas, il n'y a jamais eu de prophètes.
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Le Monde daté jeudi 28 avril.
Est-ce que ça vous dirait de faire un petit tour dehors avec un thermomètre frisant les 50°C, comme on le voit en Inde et au Pakistan ? Là, comme l'explique François-Marie Bréon, physicien climatologue, au micro de Guillaume Erner (11 mai), il ne faut plus parler de "canicule", mais de FOUR.
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Le Monde daté vendredi 29 avril.
Ça, c'est ce qu'on doit à l'agriculture industrielle, forcée, du fait de ses méthodes, d'utiliser les moyens offerts par l'industrie chimique ("industrie agro-alimentaire", voilà encore un de ces doux euphémismes dont les empoisonneurs patentés ont le secret), un habit de soirée pour rendre présentable une famille de bandits, une mafia qui a ses entrées auprès des pouvoirs, au prétexte qu'elle seule détient les clés de la sacro-sainte croissance et du salut alimentaire de l'humanité.
Tiens, un truc amusant : l'I.N.R.A.E. vient de pondre un rapport très sérieux qui conclut que, en définitive, les pesticides employés dans l'agriculture sont mauvais pour la biodiversité, voire pour l'homme. J'adore ces gens qui découvrent l'eau tiède et qui font mine d'apprendre que les pesticides sont des poisons pour tout ce qui est vivant. Au surplus, je trouve curieux que des gens apparemment sérieux prennent la peine de faire la preuve scientifique de la nocivité et de la toxicité de substances expressément prévues pour avoir les effets qu'on leur connaît.
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Le Monde daté samedi 30 avril-lundi 2 mai.
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Le Monde daté samedi 30 avril-lundi 2 mai.
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Petit bonus.
Le Monde daté samedi 2 avril (titre à peine remaquetté).
J'ajoute ce titre, parce qu'il montre que, en plus de tous les facteurs de dégradation des conditions de l'existence humaine à la surface de la Terre, la guerre menée par Vladimir Poutine contre l'Ukraine peut avoir un magnifique effet de circonstance aggravante.
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mardi, 05 avril 2022
JANCOVICI ET BLAIN : PÉDAGOGIE PAR L'IMAGE
La grande force du bouquin de l'ingénieur Jean-Marc Jancovici et du dessinateur Christophe Blain (Le Monde sans fin, Dargaud, 2021), c'est qu'il permet de visualiser les questions plutôt abstraites posées par le réchauffement climatique. Je dis "abstraites" à cause de la quasi-invisibilité du processus en cours du fait de l'extrême lenteur qui le rend imperceptible à nos sens.
Un exemple : on nous rebat les oreilles avec les nuisances des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz). En deux images, les auteurs nous mettent sous le nez la raison pour laquelle nous avons le plus grand mal à admettre l'énormité du problème.
Un : le pétrole comme carburant. Pas la peine, je crois, de revenir ou d'insister sur la constante augmentation de la consommation de charbon par une humanité toujours plus gourmande en électricité. Ici, il s'agit des machines de taille plus ou moins imposante, qui décuplent, centuplent, milluplent, cent-milluplent la puissance d'un individu, et qui ne sauraient se passer de pétrole.
Jancovici et Blain nous proposent pour bien visualiser la chose la figure d'IRONMAN, exosquelette mécanique qui permet de creuser les profondeurs du sol, de raser des forêts en un tour de main, de transporter gens et marchandises au bout du monde, et autres facilités offertes à chacun de nous. Nous sommes tous, de gré ou de force, des IRONMEN.
Deux : le pétrole comme matière première. Nous n'y pensons pas en permanence, mais sans le pétrole et ses multiples transformations par les soins de l'industrie chimique, combien de nos objets familiers faudrait-il supprimer ? Jancovici et Blain s'amusent ici à extraire du logement tous les objets dans la fabrication desquels le pétrole entre. La réponse arrive vite : ça ressemblerait à du nettoyage par le vide. Voyez plutôt.
Le pétrole, que ce soit comme carburant ou comme matière première, s'est peu à peu immiscé, au fur et à mesure que la chimie inventait de nouvelles formules et de nouveaux usages, dans les moindres recoins de nos existences, dans les moindres interstices de nos gestes et de nos besoins.
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Alors sérieusement, vous pensez que l'humanité est en mesure de se passer, de se priver de tout ce qui fait aujourd'hui son décor, son confort ? Qu'est-ce que ça peut bien signifier, "prendre conscience de la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique", si cela ne marque pas la volonté, le courage, la décision de jeter tous ces objets à la poubelle ? L'enjeu, il est là et pas ailleurs. Ceci admis, il est aisé de calculer le pourcentage de chances qui s'offre à l'humanité d'atteindre, ou même d'approcher ce noble objectif.
Bien entendu, je ne voudrais démoraliser personne.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : J'apprends ce matin que le G.I.E.C., vous savez, ce collectif de scientifiques qui reste pendu au signal d'alarme depuis des années, vient de publier un nouveau rapport. Il nous donne jusqu'à 2025 pour inverser la tendance. A l'extrême rigueur, on pourrait fixer 2030 comme date butoir. A votre avis, quel pourcentage de chances ?
09:00 Publié dans DEMORALISATION, ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, bande dessinée, jean-marc jancovici, christophe blain, le monde sans fin, réchauffement climatique, giec
lundi, 04 avril 2022
JANCOVICI ET LUCKY LUKE
J'ai sûrement tort, mais je trouve ça drôle. Je viens d'évoquer, sur plusieurs jours, l'ouvrage très intéressant publié en 2021 chez Dargaud par Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, où l'ingénieur dit tout le mal qu'il faut penser du charbon, du pétrole et autres potions imbuvables. Mais prenez la page de titre du Lucky Luke N°18 A l'Ombre des derricks (éditions Dupuis, 1962, "Texte et illustrations de MORRIS", y est-il précisé).
J'ai juste inversé la photo en mettant la droite à gauche et inversement, pour les besoins de la cause.
On y trouve la photo d'un des derricks que le colonel Drake a probablement édifiés quand il est arrivé à Titusville (Pennsylvanie, USA) en 1857 pour y forer des puits par lesquels il espérait voir jaillir le pétrole. Il est parvenu à ses fins le 27 août 1859 après avoir creusé à 23 mètres de profondeur (on trouve l'info dans ce Lucky Luke, alors c'est sûrement vrai).
Le dessin de Morris.
Il ne prévoyait pas la folie qui a saisi les hommes comme dans le bon vieux temps de la "ruée vers l'or", où les Américains s'étaient précipités vers la Californie dans le seul et unique but de s'en mettre plein les poches, à tout prix et souvent quelle que fût la méthode pour y parvenir : les westerns regorgent à ce sujet d'histoires plus ou moins sombres et violentes.
Rebelote donc avec le surgissement de l'huile de roche (étymologie de "pétrole") dans le paysage énergétique des nations en proie à la fureur du progrès technique, à la voracité en ressources naturelles et à la fièvre de la production, de la vitesse et de la quantité. Mon intention aujourd'hui est finalement assez futile : m'amuser de rapprochements qui me sont venus à la lecture de la Bande Dessinée de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, Le Monde sans fin.
Le dessin de Christophe Blain.
Car le dessinateur Blain, pour évoquer l'histoire du même colonel Drake, s'inspire soit de la même photo que Morris, soit du dessin que celui-ci en avait tiré. Notez qu'il reprend tel quel le "portrait" de Drake par Morris, mais aussi qu'il reproduit presque textuellement le dessin de celui-ci pour le derrick, y compris les planches manquantes. Bon, je n'en veux pas à Blain : ce n'est pas un plagiat, c'est entendu ; disons que c'est une citation, voire un hommage à un des grands-pères tutélaires de la bande dessinée d'expression française.
samedi, 02 avril 2022
JANCOVICI : LA FARCE DES RENOUVELABLES
ON A COMMENCÉ PAR VIRER LES ÉNERGIES RENOUVELABLES
On commence par une évidence absolue, une vérité flagrante, bref, un truisme : pourquoi a-t-on laissé tomber les énergies renouvelables ? Parce que l'eau, le vent, les forces musculaires humaines et animales auraient été incapables de fabriquer le monde qui est maintenant le nôtre. C'est seulement quand on a su utiliser la vapeur, puis le charbon, puis l'électricité, puis le pétrole pour faire fonctionner des machines de plus en plus compliquées qu'on a pu larguer les autres énergies, beaucoup trop lentes et beaucoup moins efficaces.
Désolé : j'ai trafiqué l'image pour conserver la lisibilité du texte.
Après quelques illustrations très parlantes de Christophe Blain sur le modèle "avant/après", maître Jancovici conclut : « Ça fait 200 ans que nous passons notre temps à remplacer les énergies renouvelables par des fossiles. Alors, soit nous sommes des idiots ... ça se discute. Soit il y a des raisons physiques profondes. » Un jour, l'humanité a décidé que, décidément, l'eau, le vent ou la force animale, c'était dépassé, c'était archaïque, c'était obsolète, et que les poubelles de l'histoire c'était pas fait pour les chiens. Un jour, ceux qui portaient, disait-on, la Civilisation et le Progrès au milieu d'un monde arriéré, ont regardé avec mépris les énergies renouvelables et attendaient impatiemment le règne des machines, du métal, de la vitesse et de l'opulence générale.
DEUX CENTS ANS POUR CONSTRUIRE UNE CATHÉDRALE GOTHIQUE : UN CHANTIER DE SEPT GÉNÉRATIONS D'OUVRIERS, D'ARCHITECTES, DE DONNEURS D'ORDRE.
UN AN POUR CONSTRUIRE UNE TOUR A LA DÉFENSE : POUR UN SEUL GRUTIER, UN CHANTIER PARMI DES RIBAMBELLES D'AUTRES CHANTIERS. C'EST UNE INVERSION DE LA PROBLÉMATIQUE.
Ben oui, il doit bien y avoir des raisons physiques profondes. De mon côté, l'enseignement que je tire de ce constat ultra-basique n'a sûrement rien de bien original, mais il rappelle une vérité silencieuse que nous avons tendance à occulter, habitués que nous sommes à considérer comme naturel l'environnement intégralement artificiel que nous fabriquons depuis 200 ans grâce au pillage de ressources qui, elles, sont intégralement naturelles (et gratuites à la base, comme le souligne quelque part Jean-Marc Jancovici).
En fait, et je ne prétends pas apporter quelque idée neuve en la matière, tout notre monde repose sur la fabrication et l'utilisation de toutes sortes de machines. Ces machines restent des objets complètement inertes aussi longtemps qu'on ne leur fournit pas un carburant, je veux dire une énergie. On sait ce que c'est qu'une panne sèche, une panne d'électricité ou autre : c'est quand l'énergie n'arrive plus.
Reste cette vérité infrangible : l'intégralité de notre monde a pour socles 1 - les machines et 2 - les énergies fossiles pour les alimenter. Et c'est pour parvenir à ce mode de vie que nous connaissons, que nous avons été obligés de jeter à la poubelle l'eau, le vent, la force musculaire, la force animale, etc. pour accomplir les travaux utiles ou nécessaires.
Dans ces conditions, les camelots de la politique et les bonnisseurs de l'écologie peuvent toujours vendre et débagouler leur baratin aux naïfs, aux gogos et à leurs adeptes, et vanter les hauts mérites des énergies renouvelables, et promettre à ceux qui les élisent une "transition" vers une économie moins gourmande, et assurer que la "croissance verte" c'est possible grâce aux éoliennes et aux panneaux solaires : s'ils s'appelaient Pinocchio, leur nez ferait déjà la distance Terre-Lune aller-retour. Il suffit pour s'en rendre compte de quantifier les apports. C'est ce que fait Jean-Marc Jancovici.
La vérité, c'est que les énergies renouvelables sont juste dans l'incapacité absolue de remplacer les énergies fossiles. D'abord, parce que, en l'état actuel des choses, leur contribution globale à la consommation d'énergie globale a quelque chose de négligeable, voire infinitésimal. Ensuite et surtout (voir mon billet d'hier), parce que la tendance lourde, très lourde, très-très-très lourde des industriels est d'augmenter en priorité le recours aux fossiles beaucoup plus qu'aux renouvelables, et ce, à une échelle quasi-incommensurable. Et pour une raison aisée à comprendre : les fossiles, c'est facile (hé hé !).
Il y a 300 ans, le monde pouvait parfaitement fonctionner à 100% aux énergies renouvelables : il n'y avait rien à l'horizon humain qui aurait permis d'imaginer quoi que ce soit d'autre. Un monde sans autres machines que de très rudimentaires (par comparaison) et ne réclamant que de très faibles apports d'énergie.
Le monde actuel n'est en rien comparable, on le comprend bien. Vous imaginez les forêts compactes de milliards d'éoliennes et les océans de milliards de panneaux solaires qu'il faudrait, tout ça couvrant de si vastes étendues que personne n'en voudrait, et ce uniquement pour faire fonctionner nos dizaines de milliards de machines sophistiquées ? Et des machines pour l'existence desquelles les hommes ont dépensé au cours du temps tant de trésors d'ingéniosité et d'argent ? Soyons sérieux : on ne ressuscitera pas les énergies renouvelables, si nous voulons conserver à peu près la même trajectoire de croissance économique.
Car la croissance économique est la garante principale de l'emploi, et si l'emploi disparaît, comme la tendance s'en dessine déjà depuis quelque temps, tout le monde devine quel sera le problème : comment paiera-t-on le loyer ? Que mangera-t-on ? Et que fera-t-on des gens devenus inutiles ?
Voilà ce que je dis, moi.
Note : j'ajoute que si les renouvelables semblent avoir aujourd'hui le vent en poupe, c'est qu'elles sont devenues un MARCHÉ comme les autres, je veux dire que des "investisseurs" et des industriels ont vu là une masse de pognon à se faire. Comme disait je ne sais plus qui (Paul Jorion ?) : le capitalisme n'acceptera de se lancer dans la lutte contre le réchauffement climatique que si ça rapporte. Ça revient à appeler au secours le pyromane pour éteindre l'incendie qu'il a allumé.
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vendredi, 01 avril 2022
JEAN-MARC JANCOVICI, VULGARISATEUR D'ALERTE
Là où Jean-Marc Jancovici m'épate, c'est qu'il ne beurre la tartine à personne. Il a toutes les apparences d'un homme entièrement libre de sa parole. On se demande d'ailleurs où pourraient se nicher d'éventuels conflits d'intérêts : il énonce des faits, et les faits qu'il énonce sont bruts et brutaux. Et en plus il le fait de façon marrante et imparable. Par exemple, page 55 de L'Histoire sans fin, sa B.D. avec Christophe Blain (Dargaud, 2021), il raconte une jolie blague pour décrire la façon dont l'humanité s'y prend pour corriger ses erreurs en matière de climat.
C'est l'histoire d'un mec qui va voir son toubib. Le toubib : « Vous en êtes à combien ? — Une bouteille de whisky par jour. — Houlà ! » Le mec revient un mois plus tard : « Alors ! Où en sommes-nous ? — Ça va beaucoup mieux. — Racontez-moi ça. — Je bois une bouteilles de whisky et demie [souligné dans le texte] par jour ... [tête du toubib ! ] Oui, mais attention ... Maintenant je bois une orange pressée par semaine en plus ».
De gauche à droite : le charbon, le pétrole, le gaz, l'eau, l'atome, le vent et le soleil. Voix off : « Depuis l'entrée en vigueur de la 1ère convention climat en 1995, ce sont les ENERGIES FOSSILES qui ont le plus augmenté. Et de loin !... Entre 1995 et 2018, le charbon a augmenté 12 fois plus que le solaire et 5 fois plus que l'éolien » [fin de citation]. Sachant que le raisonnement se tient en "tonnes-équivalent-pétrole".
On est d'accord, dans ce format, le texte n'est pas lisible. Quant à l'image, elle représente les AUGMENTATIONS respectives du recours aux diverses sources d'énergie entre la C.O.P. 1 en 1995, et 2018, trois ans après la si fameuse C.O.P. 21 couronnée par les "Accords de Paris", dont François Hollande et Laurent Fabius ont cru pouvoir tirer toute un gloriole franco-française. Ça ne fait pas plaisir, mais en vingt-trois ans, c'est le recours aux ENERGIES FOSSILES qui a le plus augmenté.
On peut détailler : « Entre 1995 et 2018, le charbon a augmenté 12 fois plus que le solaire et 5 fois plus que l'éolien. » (souligné dans le texte). Ouais ! Farpaitement ! dirait Obélix quand il est chez les Helvètes. Charbon-Pétrole-Gaz : la trilogie diabolique a accru son emprise sur l'avenir déjà sombre. Que voyons-nous qui puisse avoir quelque chance d'inverser la tendance ? RIEN ! PERSONNE !
La moralité de l'histoire ? Non, il n'y a pas de moralité. Il y a seulement un constat que l'impitoyable Jean-Marc Jancovici nous invite à partager, avec un tout léger effarement n'en doutons pas : laissons aux conférences internationales l'exclusivité du bla-bla-bla. Les choses réelles, les processus en cours, les pratiques en vigueur ne se laissent pas impressionner par le vent des paroles. Tout ça qui était, ça avance encore, imperturbable, inexorable comme une machine programmée.
Oui, frères humains, les intentions sont bonnes, les intentions sont là, largement partagées, mais il faut finir par regarder la réalité en face : ça ne se passe pas comme ça. La logique qui gouverne est autre. Les gens qui sont vraiment aux manettes sont autres que ceux qui expriment les intentions.
Que se passera-t-il quand la masse des gobeurs de discours lénifiants et consolateurs tenus par des politiques qui n'en peuvent mais seront mis en face de la réalité brutale qui s'annonce avec de moins en moins de dissimulation ?
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jeudi, 31 mars 2022
JEAN-MARC JANCOVICI, VULGARISATEUR D'ALERTE
Jean-Marc Jancovici commence à être célèbre. La preuve, c'est qu'il a fait la couverture de M, le magazine hebdomadaire du journal Le Monde. Un truc tellement bourré de publicité pour des marques de luxe, de photos pour des vêtements ou des accessoires de luxe et de personnages de luxe que j'ai tendance à me réfugier sur l'îlot désert des mots croisés. Je pioche dans ce magazine insupportable, de temps en temps, telle ou telle recette de cuisine pas trop compliquée, mais je laisse royalement à qui s'y intéresse le sudoku. Pour une fois, à cause de ce personnage singulier à la tête a priori bien sympathique, le magazine a bénéficié d'un sursis avant de disparaître dans la poubelle papier.
Jean-Marc Jancovici, on peut aussi dire qu'il est d'ores et déjà célèbre à cause de la Bande Dessinée dont il est l'un des deux auteurs, avec Christophe Blain, qui s'est paraît-il vendue à ce jour à plus de 250.000 exemplaires. Je me dis que ça permet de voir venir l'avenir personnel avec une sérénité certaine, et de conforter certaines thèses défendues depuis longtemps, au début dans le désert, à présent devant un public tant soit peu plus nombreux. Le seul et unique combat de Jancovici ? Le réchauffement climatique. Son truc à lui ? Faire parvenir l'urgence climatique à la comprenette du plus grand nombre.
Un mot pour se faire une idée de qui est Jean-Marc Jancovici ? UNE TRONCHE, et majuscule ! Bien faite et bien pleine ! Et dedans ça fonctionne à vitesse accélérée. Pour m'en rendre compte, je n'ai eu qu'à visionner un ou deux Youtubes : non seulement il parle sans notes, mais en plus il vous balance par camions entiers les informations, les chiffres, les faits, les données, les comparaisons audacieuses et parlantes. Bref, il attaque à toute allure votre propre cerveau de tous les côtés à la fois. Je l'avoue : j'ai eu un peu de mal à suivre. Il me faudrait des vidéos passées au ralenti pour enregistrer, pour prendre le temps d'assimiler, pour bien comprendre.
C'est la raison pour laquelle la B.D. Le Monde sans fin, (Dargaud, 2021) réalisée avec Christophe Blain, me convient à merveille. Ben oui, le livre va à la vitesse que vous voulez, pas besoin de sortir toutes les banalités bien connues à ce sujet. Là, je suis plus à l'aise, plus libre de mes mouvements et de mes choix. Je picore. Par exemple, j'apprends que Jancovici est l'inventeur en 2000 du concept de "Bilan Carbone", devenu depuis, non seulement une évidence, mais la « norme mondiale pour compter les émissions de gaz à effet de serre des entreprises » (p.8). Pour ce qui est de l'imagination créatrice, Jancovici ne craint personne. Son obsession, c'est de quantifier.
Si j'ai un peu de mal à entrevoir toutes les significations et implications de la grande "Loi de Conservation" (« A l'intérieur d'un système qui ne communique pas avec l'extérieur, on ne peut ni créer, ni détruire de l'énergie », p.19), ça va beaucoup mieux lorsque l'ingénieur explique à son interlocuteur qu'il n'y a pas d'énergie propre en soi et que tout dépend de la quantité consommée.
Ça me rappelle la double page "Les Riches et les Pauvres" de Reiser : quand les riches étaient seuls à se droguer, c'était exotique et ça avait de la classe ; quand les pauvres se droguent, ça devient un désastre social. Ben oui, il y a beaucoup plus de pauvres que de riches. De même, tant que le pillage des ressources naturelles était le fait d'une minorité (occidentale) qui avait pris goût à l'abondance, au confort et aux facilités de la vie, le "Système Terre" pouvait supporter ; mais dès que la Chine, l'Inde et autres pays autrefois sous-développés se sont mis dans le crâne l'idée de faire de même, c'est la catastrophe. S'il prend à tous les humains l'envie de vivre comme les Américains, ça revient à programmer la fin du monde humain.
Pour l'heure, je retiens surtout que tout le problème du réchauffement climatique tourne autour de notre voracité énergétique absolument incommensurable à nos seules petites capacités physiques personnelles, une voracité qui nous a rendus dépendants de toutes sortes de machines gourmandes, soit de façon directe (auto, lave-linge, smartphone, etc.), soit de façon indirecte (notre système d'alimentation en eau, gaz, électricité, d'enlèvement des ordures ménagères, etc.).
Je retiens que toute énergie devient SALE dès lors qu'elle est consommée, non plus par trois pelés un tondu, mais par des milliards d'humains semblables à nous.
Je retiens que, grâce aux machines que la technique et ses innovations ont mis à notre disposition, c'est comme si chacun d'entre nous disposait de DEUX CENTS ESCLAVES (200) prêts à nous servir à tout instant. C'est une moyenne mondiale. En ce qui concerne la France, le chiffre se situe plutôt autour de 600.
Je retiens que si l'on détruisait TOUTES les machines présentes sur Terre, il faudrait que l'humanité compte MILLE QUATRE CENTS MILLIARDS (200 x 7 milliards) d'individus pour abattre une besogne équivalente. Ce qui signifie, soit dit en passant, que ce sont en réalité, à l'heure où j'écris, 1.400 milliards d'équivalents-humains qui croquent dans la planète avec leurs grandes dents. Est-ce que c'est assez parlant, à votre avis ?
Voilà le talent de Jean-Marc Jancovici : il quantifie, il mesure. Et il compare les ordres de grandeur. Et il traduit en images parlantes le résultat de ses comparaisons. J'ajoute que Christophe Blain a le dessin modeste et efficace, et qu'il met celui-ci entièrement au service du propos.
Le Monde sans fin : un livre excellent.
Voilà ce que je dis, moi.
mercredi, 09 février 2022
PLACE AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES !!!
UN GROS MENSONGE
Répartition quantitative des différentes sources d'énergies fossiles dans la consommation globale de l'humanité.
On voit dans ce tableau quelle place occupent les matières fournies par la Nature pour permettre à l'humanité de se chauffer, de s'éclairer et de produire toutes sortes de biens en alimentant toutes sortes de moteurs. Tout le monde ou presque aujourd'hui s'accorde à dire que cette consommation est suicidaire à plus ou moins long terme, et que l'avenir de l'humanité (la planète, il n'y a pas à s'inquiéter pour elle, elle s'en tirera toujours) repose sur les énergies renouvelables. En théorie, dans l'absolu, dans l'idéal et dans le monde fabuleux de nos rêves, de nos désirs et de notre besoin de merveilleux, c'est absolument vrai. Mais jetez un œil sur le tableau ci-dessous.
Regardez, tout en haut du graphique, les trois pauvres petites virgules où s'entassent, grossies par le dessin dans leur case exiguë, les parts de l'éolien, du solaire et des "autres renouvelables".
Dans la réalité réelle, vous savez, celle sur laquelle on se cogne et qui fait mal, c'est une autre paire de manches à air, comme le montre cet excellent graphique conçu par Jean-Marc Jancovici (solide ingénieur — Télécom, Polytechnique et quelques autres casquettes, s'il vous plaît — spécialiste des énergies) et dessiné par Christophe Blain (merci à Fred, qui me l'a fourni) dans la BD très instructive Le Monde sans fin (Dargaud, 2021). Encore le dessinateur a-t-il pris soin de coller une grosse loupe sur la part des énergies renouvelables dans la consommation générale. Ça relativise sacrément la portée des déclarations exaltées des écologistes et des politiques qui leur courent après. Et ça ressemble sacrément à un gros mensonge de la part de tous ceux qui connaissent la question (ils commencent à être nombreux).
On comprend d'un seul coup d'œil l'Himalaya, que dis-je : l'empilement des Everest d'investissements qu'il faudrait faire pour donner aux renouvelables la part que nous rêvons de leur accorder. On comprend que NON, ce n'est pas ainsi que cela peut se passer. La seule façon de fournir à l'humanité la possibilité d'un peu d'avenir, elle est dans la baisse radicale de la consommation d'énergie. Le rationnement. Et ce n'est pas tout de le dire : il faut envisager les conséquences de cette assertion.
Elles sont simples : il ne suffit pas, comme certains le disent, de préconiser la sobriété, les "entreprises à mission" (je rigole !), la construction de logements à "énergie positive" ou ces fumisteries que constituent le "développement durable" ou la "croissance verte". Il faut que l'humanité, après deux siècles de gabegie, de gaspillage et de dilapidation des richesses sous les coups de la production industrielle effrénée et de la recherche effrénée du profit, cesse dès maintenant de se repaître des entrailles de la planète.
Il faut que tous les gens importants qui causent dans le poste et qui persistent à se payer de mots, cessent de beurrer la tartine aux populations à coups de lendemains meilleurs et d'avenir radieux. Il faut arrêter de faire de la consommation la condition sine qua non de notre bonheur. Il faut que l'humanité se résigne à redevenir pauvre devant la nécessité. Il faut que l'humanité retrouve le sens du tragique de l'existence et de sa précarité. Mais, à notre époque où le désir individuel impose sa tyrannie, où chaque désir ouvre un droit, où chacun érige son propre désir en loi, qui a envie de ça ? Levez la main, les volontaires.
La lutte contre le réchauffement climatique ? Moi je veux bien, et encore : pas sûr. Parce que si, comme je le crois, cela passe par des privations coûteuses et par le renoncement à consommer de l'énergie à tout-va pour préserver ma zone de confort et de facilité, je vais y regarder à deux fois. Et je suis sûr de ressembler en cela à l'immense majorité des gens ordinaires à qui, à longueur d'ondes radio, d'images et de papier, les journalistes et un paquet de bouches "autorisées" (par qui ?) tiennent des propos vertueux ou donnent des leçons de "tri sélectif des déchets".
Comment croyez-vous que réagiront les masses de population si on leur coupe le courant et l'essence qui alimentent leurs moteurs (thermiques, électriques et autres) plus ou moins gros ? S'ils se voient contraints de remplacer ces carburants par du travail ? On ne se rend pas trop compte de ce que ça signifie, les conséquences qu'entraînera la lutte effective et efficace contre le réchauffement climatique : l'abandon progressif ou brutal de la puissance fournie par l'électricité ou les autres carburants qui nous épargnent des efforts qui apparaissaient nécessaires à nos ancêtres. Qui est prêt à remplacer l'ÉLECTRICITÉ par du TRAVAIL ? Je le dis sans honte : pas moi.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : des nouvelles de cette chatoyante question quand j'aurai achevé la lecture d'un livre qui, selon toute probabilité, n'est guère fait pour remonter le moral.
09:01 Publié dans ECOLOGIE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : écologie, réchauffement climatique, lutte contre le réchauffement climatique, jean-marc jancovici, christophe blain, jancovici le monde sans fin, le monde sans fin éditions dargaud, société de consommation, tri sélectif des déchets, bande dessinée