Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 24 mai 2022

L'EUROPE RÉPUGNANTE ...

1 JANCOVICI BLAIN 2021 COUVERTURE.jpg

... LES BELLES HISTOIRES DE TONTON JANCO.

... OU : LA MÉTHODE DU FANATISME ULTRALIBÉRAL.

Petit récit édifiant en images, ou : comment la France a laissé casser en mille morceaux tout son service public par des crânes d'œufs bourrés de théories exaltant l'économie marchande, le libre-échange et tout l'attirail des fétiches de la morale protestante. Anglo-saxonne au surplus. Comment la France a capitulé en rase campagne, abandonnant tout ce qui faisait son originalité.

Avertissement : Je me suis efforcé d'améliorer la lisibilité du texte. Je crois même avoir ajouté quelques bribes exogènes ; mes excuses aux auteurs Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain. 

1

Le monstre EDF qui, dans les plans établis par les traités européens au bas desquels la France a très constamment — et quels qu'aient été les gouvernements — apposé sa signature, doit disparaître, tout comme, en des temps très reculés, les dinosaures, élasmosaures et autres tyrannosaures — vous savez, ceux qui ne devaient pas être sauvés, parce qu'ils étaient trop gros, trop laids, ou trop archaïques pour entrer dans l'arche de Noé. 

001 0.jpg

Barrages, centrales thermiques, centrales nucléaires, lignes haute tension. Jean-Marc Jancovici ajoute le petit commentaire suivant, assez éclairant, je trouve.

001 1.jpg

Dans le même sac, figuraient aussi les PTT, la SNCF, etc. Le Français moyen se moquait gentiment de ces fonctionnaires "à statuts" et de leur "Petit Travail Tranquille", tout en rêvant d'y placer le neveu un peu feignant parce que je connais un mec qui connaît machin qui a la clé des embauches. Mais on appréciait le cœur qu'ils mettaient à l'ouvrage quand il le fallait, la sûreté offerte par le service public et la présence active des personnels et des services de l'Etat jusque dans les communes les plus reculées du territoire, au nom du principe d'Egalité.

Aujourd'hui, s'agissant de la SNCF, on rage quand un train n'arrive pas à l'heure, faute d'un entretien suffisant des infrastructures (on a fait de celles-ci et du matériel roulant deux sociétés distinctes, dont la première, RFF, boit la tasse financièrement, ayant récupéré toutes les dettes). Et on se dit : qu'il était doux, le temps de la tarification au kilomètre, que des crânes d'œufs ont cru bon de remplacer par une jungle tarifaire où même les spécialistes perdent le Nord.

2

Car tout d'un coup, a surgi LE CRÂNE D'ŒUF, créature infernale qui n'approche la réalité humaine, vivante et concrète que par le truchement protecteur de dossiers administratifs, notes de synthèse, bilans comptables, budgets prévisionnels, données chiffrées, abstractions ésotériques, modèles mathématiques, algorithmes secrets et concepts méthodologiques. En gros, tout ce qui hurle sa haine de la France que j'aime, de la France dont je me souviens.

Le crâne d'œuf est bourré de convictions, d'idoles et de certitudes. Ce crâne d'œuf-là est convaincu des mérites de la concurrence (libre et non faussée, précisent tous les traités signés), des vertus du libre-échange et de la valeur de la dérégulation totale des marchés : rien, absolument rien ne doit venir entraver les transactions entre acheteurs et vendeurs, entre producteurs et consommateurs, bref, entre marchands et marchands.

Traduction : rien ne doit faire obstacle au désir de ceux qui, ayant beaucoup d'argent, ont bien envie que celui-ci ait une descendance encore beaucoup plus riche. Tous les biens, tous les capitaux, tous les services et, à la limite, tout ce qui est humain, doivent être considérés comme des marchandises et, comme tels, être privatisés. Rien ne doit s'opposer aux conquêtes de la loi du profit.

Dans ce système, l'optimisation fiscale n'est pas un vice coupable de fraude, mais une preuve d'intelligence économique. Dans ce système, la recherche de la rentabilité maximum (jusqu'à 12 ou 15 % par an !!!) des investissements est une vertu qui encourage le processus de « destruction créatrice » cher à Joseph Schumpeter, David Ricardo, Friedrich Hayek, Milton Friedman, Jean-Baptiste Say et quelques autres, auxquels il convient d'ajouter quelques lauréats du soi-disant prix Nobel d'économie (en réalité prix de la banque de Suède), tous grands bienfaiteurs de l'économie capitaliste.

Dans ce système, la finalité première ou mieux, disons-le, LA SEULE FINALITÉ de toute l'activité économique, c'est l'actionnaire,

073.JPG

pardon : l'investisseur, au premier rang desquels figurent aujourd'hui les tout-puissants fonds de pension (hedge funds, fonds spéculatifs, fonds vautours ...). Dans ce système, il faut savoir que, au nom de la fluidité des affaires, tout est permis à l'investisseur. L'actionnaire a tous les pouvoirs. L'actionnaire a tous les droits.

007.jpg

Sauf que, dans le cas de la France, le monopole était la garantie de ce que les Français ont en commun : le Bien Public. Le Bien Commun si vous voulez, vous savez cette expression-baudruche que, au même titre que Refaire-Société ou le Vivre-Ensemble et quelques autres, tout politicien français normalement conformé se doit d'inscrire à son vocabulaire, et dont il a plein la bouche en période électorale.

Les monopoles d'Etat (EDF, PTT, SNCF, etc.) étaient, certes, un particularisme propre à la France, étonnant et même inacceptable dans le monde ultralibéral qui s'annonçait mais, d'une part, comme dit Jancovici, c'était un héritage du gaullisme et du Conseil National de la Résistance, et d'autre part, cela formait le support puissant de ce que j'appellerai ici l'identité française. Cela a fait que, aussi longtemps que ces monopoles ont été considérés comme des institutions, la France s'est tenue droite.

A partir du moment où leur légitimité a été contestée au sein même de l'Etat (par des hauts fonctionnaires fraîchement émoulus de l'ENA, puis par les personnels dirigeants eux-mêmes), qu'ils ont été considérés comme des entreprises à soumettre au droit commun (européen), et que l'usager s'est métamorphosé en client, la France a courbé l'échine. Ceci pour mesurer l'importance et la gravité des conséquences de l'engagement de la France dans la voie d'une Europe voulue et conçue comme un espace purement et simplement marchand (Schuman, Monnet, Delors, ...). 

3

A partir de là, si je conserve mot pour mot le contenu des bulles, j'ajoute à la vignette une légende en en-tête, censée expliciter (lourdement) l'intention des auteurs. Mes excuses réitérées à eux et à leur travail impeccable.

002 1.jpg

4

010.jpg

 

5

011.jpg

 

6

012.jpg

 

Je trouve très pédagogique ce petit scénario vite fait sur le gaz (au moins en apparence).

7

013.jpg

****

La conclusion que je tire de cette petite histoire, elle est simple. Il semblerait que la France soit la seule, ou presque, après la deuxième guerre mondiale, à avoir développé des services publics sur le même modèle que son E.D.F.

Si cette assertion est exacte, en signant les traités européens successifs, la France est la seule à avoir vu bouleverser de fond en comble les structures fonctionnelles sur lesquelles elle était presque tout entière bâtie. Si c'est vrai, j'en tire la conclusion que, au motif que c'était la construction européenne qui était en jeu, la France est la seule à avoir accepté de laisser détruire ce qui faisait sa force, qui n'était pas négligeable. De se laisser démembrer, dépecer, morceler, charcuter et, au bout du compte, nier dans son être.

La question que je me pose alors est de savoir si toutes les grosses têtes que la France a envoyées à Bruxelles signer les traités successifs avaient conscience des conséquences telles qu'on les a vues se produire et qui se produisent encore jour après jour : le démantèlement méticuleux, la Grande Privatisation de Tout et, en fin de parcours, la disparition de tous ses services publics.

S'ils savaient ce qui devait découler à long terme des modalités inscrites dans les textes qu'ils ont entérinés, Robert Schuman et Jean Monnet, et après eux Jacques Delors (et avec eux toutes les constellations de juristes, fonctionnaires et autres colonies de papillons qui ont gravité autour) doivent être considérés comme de bien grands criminels. ou, à tout le moins, comme de détestables malfaiteurs.

Car la France qu'ils ont façonnée n'a plus grand-chose à voir avec la France qui les a eux-mêmes fabriqués, et dont il reste forcément de moins en moins de traces et de souvenirs, excepté dans la mémoire de quelques-uns, vieillissants et de plus en plus inoffensifs. Une question subsidiaire me taraude : si l'on peut parler de "Grand Remplacement" (voir mon billet du 26 mars), n'en a-t-on pas là un autre exemplaire, et magnifique, et autrement grave ?

Car cela en dit long sur leur façon de regarder la France non comme une nation, non comme une patrie, non comme un Etat souverain, mais comme la victime oblative de la "construction européenne". Si mon raisonnement tient à peu près la route (j'espère), la France doit être considérée comme le pays qui a donné le plus aux autres, et le pays qui a le plus perdu au change.

Schuman, Monnet, Delors, tels que les décrit Le Choix du chômage, la B.D. scénarisée par Benoît Collombat et mise en images par Damien Cuvillier (voir mes billets des 2 mars et jours suivants), quelle Trinité pour un autre Grand Remplacement dont personne ne parle !!! Si je n'ai pas complètement tort, je n'ai pas tort non plus de considérer cette Europe-là comme absolument répugnante.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 08 mai 2019

L'EUROPE ET NOS POLITICIENS

Notes sur l'état européen de la nation française.

Les journalistes français, les politiciens français, les politologues et autres politistes français, tous gens de jugement très sûr, nous ont rebattu les oreilles avec un grand mythe fondateur de l’idée d’Europe : « le couple franco-allemand ». Ah ça, on peut dire que tous ces braves gens, forcément bien intentionnés, n'en doutons pas, nous l'ont fait bouffer, le foin du mythe franco-allemand. Mais aujourd’hui, c’est fini. La grande réconciliation, c’était De Gaulle-Adenauer, ensuite nous avons eu la belle entente Giscard-Schmidt, puis le spectacle de la belle entente Mitterrand-Kohl (ah, Mitterrand capturant par surprise la main de Kohl ! était-ce à Douaumont ?).

Depuis, plus rien, ou plutôt plus personne. Visiblement, il y a quelque chose de pourri dans l’étroite union des piliers qui, à eux deux, formaient le socle granitique sur lequel allait s’élever l’astre resplendissant de l’idée européenne : l’Allemagne et la France. Les deux pays ne sont plus sur la même longueur d’onde, le « moteur de la construction européenne », après avoir toussé et hoqueté, s’est arrêté, l’Europe est en panne.

Je ne vais pas me lancer dans une analyse fouillée des raisons politiques, économiques ou idéologiques qui expliquent cette mise au point mort : je laisse aux « spécialistes », « experts » et tous les Diafoirus de profession le soin de développer ce genre de considérations savantes. Je veux juste, en citoyen ordinaire, exposer quelques observations qui me sont venues au fil du temps, en particulier sur la façon dont l’ensemble de la classe politique française considère l’implication de la France dans le processus de construction européenne. Je précise tout de suite que je ne me suis pas trop embarrassé de nuances. Que le lecteur ne soit pas trop scandalisé s'il me trouve quelque peu injuste.

Ma première remarque est pour observer que la construction européenne, et depuis fort longtemps, n'intéresse pas nos politiciens. On peut dire que, pris dans leur globalité, ils ne brillent pas par leurs motivations européennes. L'Europe, ils n'ont pas grand-chose à en faire. Peut-être, après tout, parce qu'ils ne se préoccupent guère du fait que la France ait ou non un destin. "D'accord pour envoyer à Bruxelles des sous-fifres ou des "seconds couteaux", mais ces raisins sont trop verts pour moi, tout juste bons pour agacer mes dents de grand fauve : je laisse la besogne à plus humble que moi." Qu'on se le dise, le politicien français considère la construction européenne de tout le haut de sa hauteur.

Si les politiciens français avaient pris au sérieux la construction européenne, il y aurait eu depuis fort longtemps un ministre d'Etat aux affaires européennes, et un ministre inamovible quelles que soient les alternances, et non pas de vagues secrétaires d'Etat obscurs et interchangeables. Il y aurait eu des luttes féroces et des rivalités épiques entre les ambitieux "cadors" de la politique française pour occuper cette place prestigieuse. Et les "ténors" de notre classe politique n'auraient pas eu la politesse exquise de laisser la place aux pauvres diables obligés de s'y coller en leur disant : "Après vous s'il en reste".

Accessoirement, les électeurs ne bouderaient peut-être pas autant les urnes s'il y avait eu dès le début des listes internationales de candidats pris dans tous les pays. Le fait que les listes de candidats soient nationales pour l'essentiel n'a pu qu'ajouter de la distance entre les populations et la nouvelle institution.

Il me semble que la raison de ce désintérêt des politiques est assez simple : ils ne trouvent aucun intérêt à s'engager dans un travail qu'ils considèrent avant tout comme fastidieux, et surtout où ils ne voient aucun moyen de faire carrière. Au contraire, en réduisant leur activité à l'hexagone, même sans parler de cursus fulgurant, juste en rendant le plus de services possible à des gens bien placés, après avoir bien usé leurs genoux dans les prosternations devant les puissants réels ou pressentis, ils gardaient l'espoir que ceux-ci auraient l'honnêteté de leur "renvoyer l'ascenseur" en leur procurant une sinécure confortable : Conseil d'Etat, Cour des Comptes, CSA, Conseil Economique et Social, jetons de présence dans des conseils d'administration, une direction à l'Institut du Monde Arabe (cas de Jack Lang : à qui cet ami de tout le monde n'a-t-il pas rendu de "petits services" ?), etc. : il n'y a pas que les parachutes qui soient dorés, il y a aussi beaucoup de pantoufles. Non, l'Europe n'intéresse nos politiciens en aucune manière, sinon à l'approche d'échéances électorales.

Cette façon de voir et de faire, dont je crois que le caractère principal est la médiocrité  insigne, n’est pas pour rien, à mon avis, dans l’éviction progressive de la France des instances de décision dont procède l’orientation que doit prendre la construction collective. Car si la France pèse si peu aujourd’hui dans l’Union européenne, ce n'est pas seulement parce que celle-ci est passée de 6 à 28, c’est aussi parce que, à quelques notables exceptions près (Delors, Barnier, Moscovici, …), l’immense majorité de nos politiciens professionnels considèrent depuis très longtemps d’éventuelles responsabilités à Bruxelles ou Strasbourg au mieux comme des exils provisoires ou des punitions imméritées, au pire comme des oubliettes, en tout cas comme une tache sur leur CV de professionnels de la politique. Et ce n'est pas le choix de têtes de listes comme Loiseau ou Bellamy qui va pouvoir convaincre du contraire.

Le moins qu'on puisse dire, c'est que la réputation globale des députés français au Parlement européen n’est pas bonne, beaucoup d'entre eux n'ayant pour seul souci que de revenir à Paris au bout d'un seul mandat. Au point que leurs collègues des autres pays (en particulier les Allemands) sont tout étonnés d’en revoir certains après l’élection suivante, et c’est seulement alors (et à la longue) que quelques-uns finissent par être pris au sérieux par les autres députés. La plupart, n’ayant aucune considération pour le travail d’édification des règles communes, sont tenus pour des jean-foutre (pour autant que je puisse m'en faire une idée).

Pour une majorité de politiciens français, en effet, être élu aux européennes signifie cinq ans de purgatoire, et cinq ans pour lesquels je serais curieux de consulter la feuille de présence aux assemblées et aux commissions. On se rappelle quelle avait été la rage de Rachida Dati quand Nicolas Sarkozy, pour je ne sais quelle raison profonde, l’avait bombardée tête de liste pour les Européennes de je ne sais plus quelle année (ça doit être facile à retrouver). Je signale en passant que la dame, en course pour la Mairie de Paris, touche toujours son indemnité européenne (j'imagine qu'elle est toujours une élue, bien qu'elle se garde d'en faire état). Je n'ai pas vérifié son taux d'absentéisme aux assemblées et réunions de Bruxelles ou Strasbourg (c'est que le 7ème arrondissement de Paris est si vaste !).

Combien sont-ils, ceux qui ne se représenteront pas le 26 mai après vingt ans de bons et loyaux services (quatre mandats, s'il vous plaît) dans les rangs de l’Assemblée européenne ? C’est le cas, paraît-il, de Pervenche Bérès et Alain Lamassoure, sûrement quelques autres : belle performance. J’ai bien l’impression que ces rares individus somme toute hors du commun font exception, dans un ensemble de personnes qui se jugent sûrement trop importantes sur le territoire national pour aller perdre leur temps et gâcher une belle carrière potentielle en allant s’enterrer à Bruxelles.

L’impression étrange que produit cette situation particulière, c’est d'abord l'incroyable confinement hexagonal de l'esprit qui habite l'ensemble de la classe politique française, mais c'est aussi la remarquable ambivalence qu'elle manifeste à l’égard de l’Europe. Car c’est une double unanimité chez les hauts responsables et autres personnels politiques : d’une main (souverainiste), quand le besoin (électoral) s’en fait sentir, ils dénoncent la bureaucratie tatillonne de Bruxelles, ses réglementations ridicules et ses décisions juridiques qui s’imposent au droit français (la Commission vient de mettre en demeure la France de privatiser tous ses barrages pour les mettre en concurrence) ; de l’autre main, ils ont tous, et à l’unanimité (le plus souvent sans le crier sur les toits), signé et fait ratifier les traités successifs qui engagent la France dans toujours plus de perte de souveraineté. Et la seule fois où ils ont demandé aux Français ce qu’ils en pensaient, ils se sont assis sur l’expression du vote populaire (2005). Je me trompe : il y a eu le "oui" à Maastricht (en 1992 ?). 

L’Europe est mal foutue, c’est sûr. Elle n’est pas démocratique : on élit les députés, mais le Parlement a des pouvoirs limités : c’est la Commission (avec ses 34.000 fonctionnaires – c'est-à-dire non élus – grassement payés) qui a l’initiative des propositions. Elle se réduit à un simple espace de libre-échange économique dominé par une logique ultra-libérale implacable, où prospèrent impunément quantité de lobbies financièrement surpuissants au service de toutes sortes de firmes privées, mais aussi quelques paradis fiscaux qu'aucune discipline collective ne tracasse. De plus, la sacro-sainte règle de la « concurrence libre et non faussée », terrible aberration, outre qu’elle incite chaque pays à entrer en concurrence avec tous les autres, interdit au continent européen de devenir une véritable puissance capable de se doter elle-même de tous les attributs de la puissance.

Mais l’Europe que nous avons, cette Europe qui révolte le bon sens, ne serait peut-être pas ce n’importe quoi vaguement monstrueux, si les hommes politiques français avaient consenti à se donner un peu de mal pour édifier une autre Europe, plus conforme aux aspirations spécifiques et à l'histoire particulière des Français. Mais il aurait fallu pour cela qu'ils soient motivés et qu'ils se battent, il aurait fallu qu’ils travaillent, qu'ils se donnent de la peine, qu'ils déploient des efforts, enfin qu'ils acceptent de faire quelque chose pour leur pays. Qu'ils soient animés par le désir de le servir.

Là n’est peut-être pas la seule raison de la dilution, et même de la dissolution de la France dans le gloubi-boulga informe et ingouvernable que l'Europe est devenue. Mais il y a fort à parier que si les hommes politiques français avaient considéré la construction européenne comme une ouverture sur de belles et prometteuses perspectives et comme le champ de réalisation pour des projets enthousiasmants pour le pays et non comme un lieu de relégation pour politiciens ratés, le pays pèserait (et aurait pesé) davantage dans la définition des objectifs à atteindre et dans les orientations collectives. Et les électeurs français auraient des raisons de se rendre en masse aux urnes (on peut rêver), pour célébrer une Europe qui leur ressemblerait alors un peu plus.

Au lieu de ça, nous avons vu des pléiades de velléitaires sans caractère et sans énergie aller à Bruxelles à reculons et faute de mieux. Il aurait fallu que toutes les élites politiques du pays se mobilisent, se saisissent vigoureusement de la nécessité d’aller à Bruxelles pour conserver à la France la place éminente qu’elle occupait en Europe, de même que De Gaulle, après la guerre, avait conquis de haute lutte (grâce aussi à la mort de Roosevelt) le siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU qu’elle occupe encore (beaucoup se demandent comment ça se fait).  

Dépourvus du minimum de fierté nationale et de combativité, ils ont été incapables de convaincre leurs partenaires que, en dehors du « modèle allemand », du « modèle suédois » et autres rengaines journalistiques complaisantes, il y avait peut-être une place pour le « modèle français ». L’incroyable répugnance préalable, le défaitisme objectif qui a guidé la classe politique française est sans doute pour quelque chose dans la destruction méticuleuse et longuement programmée de tout ce qui ressemblait à un « service public à la française ». Prompte à célébrer l'héroïsme de ses "Résistants" de la Guerre mondiale (1% de la population ?), la France, s'agissant de l'Europe, s'est mise à plat-ventre et a accepté sans combattre de se dissoudre, de renoncer à ce qui la rendait unique dans "le concert des nations", avant même d'avoir eu l'idée de lutter pour défendre son identité (allons, j'ose le mot).

La question qui me vient est de savoir à quel mystérieux facteur les Français doivent l'abyssale médiocrité de leur classe politique. Des administrateurs compétents, des gestionnaires habiles, des comptables scrupuleux, mais pas d'hommes d'Etat : voilà en résumé la composition du personnel qui gouverne le pays. Comme Diogène en d'autres temps, la France cherche en vain un homme qui sache vraiment ce que ça veut dire, la Politique (au sens noble du terme). Un homme qui serait en mesure de "se faire une certaine idée de la France". Et qui ne serait pas obsédé par les opportunités personnelles et par le "calcul de ce qui est possible" (petites ambitions médiocres de sous-chefs de bureau), mais habité par une véritable volonté de faire quelque chose de plus grand que soi (au hasard : la France).

Si les Français n'aiment guère l'Europe, c'est sûrement parce qu'ils ont compris que ce gros machin compliqué, administratif, inaccessible et incompréhensible a été fabriqué en dehors d'eux, loin d'eux, au-dessus de leurs têtes, malgré eux et de façon à bouleverser ou détruire leurs traditions les plus ancrées et leurs manières de voir, mais c'est aussi à cause de l'attitude craintive, équivoque et finalement décourageante d'une classe politique française, à qui l’Europe apparaissait sans doute comme une nécessité souhaitable, mais surtout comme un épouvantail qui ne méritait pas qu'on y investisse un maximum d'énergie et d'intelligence. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 10 novembre 2011

L'EUROPE EST UNE SALOPE (1)

0 – L’EUROPE TELLE QU’ON LA RÊVAIT

 

 

ARTHUR RIMBAUD cite deux fois l’Europe dans un poème que j’ai su par cœur, il fut un temps (oui, les vingt-cinq strophes, parfaitement !) :

 

« Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues

Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,

Fileur éternel des immobilités bleues,

Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! »

(vers 81 à 84)

 

« Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache

Noire et froide où vers le crépuscule embaumé

Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche

Un bateau frêle comme un papillon de mai. »

(vers 93 à 96)

 

Mesdames et Messieurs, avant de poursuivre notre cahotant chemin, nous allons observer une minute de silence et nous incliner avec immense respect et profonde affection devant l’évocation de ce chef d’œuvre.

 

 

La pendule compte jusqu’à soixante.

 

 

A présent, reprenons.

 

 

1 – L’EUROPE, MAIS PAS LES PEUPLES

 

 

Jusqu’où il faut remonter pour y être, à la source des saloperies qu’on nous déverse dessus depuis quelque temps ? A la fin de la guerre ? Au Traité de Rome ? Au couple HELMUT KOHL / FRANÇOIS MITTERRAND ? Est-ce que c’est le bon, le digne, le traître JACQUES DELORS qu’il faut couvrir de nos excréments les plus frais ? Est-ce que c’est toute la bureaucratie bruxelloise qu’il faut brûler ? Ceux qu’on appelle les « eurocrates » ? 

 

 

Pour crier dans les rues : « MITTERRAND salaud ! Le peuple aura ta peau ! », c’est trop tard, toute la peau est déjà partie. Ce n’est pas un mal d’ailleurs, même si je sais que ça me viendra aussi, les vers, et que je ne trouve pas ça désopilant. Pourquoi ai-je voté oui à Maastricht, aussi ? C’est là qu’on aurait pu faire quelque chose, peut-être ? Même ça, ce n’est pas sûr. Mais Maastricht, c’est malgré tout un bon point de repère.

 

 

Déjà et d’une, c’est Maastricht qui nous a fait la monnaie unique. Si j’ai bien compris, hein ! Parce que pour comprendre le sac de nœuds, on a intérêt à se lever avant le jour et à faire provision d’aspirine. Et même là, il faudrait un traducteur.

 

 

Tiens, regardez ça ! Oui, oui, je l’ai gardé mon exemplaire. Je ne l’ai pas jeté dans la cheminée. Bon, c’est vrai, je n’ai pas de cheminée. Mais à la limite, c’est dommage : ça m’aurait peut-être fait plaisir de le voir brûler. Quoi ? Mais le « Traité », voyons : Traité établissant une Constitution de l’Europe, exactement. Pendant un mois avant le vote, je m’étais baladé avec le rectangle en plastique rouge d’ATTAC au revers de ma veste. Pour ce que ça a servi, de voter non.

 

 

Les Irlandais, ils ont été obligés de manger leur chapeau électoral. Il faut les comprendre : vous vous voyez aller au bureau de vote tous les dimanches quand il fait grand soleil et que les poissons vous attendent dans le petit étang sympa de Saint Quentin ? Autant vous en débarrasser une bonne fois. Et les Danois, combien de fois ils avaient voté, avant de… de quoi, au fait ? N’est-ce pas trois fois, qu’on les avait obligés ?

 

 

Vous voyez, on oublie même les fois où on nous a demandé notre avis. Ça veut sans doute dire une chose : mon avis, il a autant de valeur que la queue de ce vairon perdu dans la friture que Jeannot vient de me servir. Vas-y, Jeannot, comme disait GUY BEDOS ! La preuve, c'est que NICOLAS SARKOZY ne s'est pas gêné pour passer par-dessus le NON au référendum et l'avis de la majorité des Français et faire adopter Lisbonne aux béni-oui-oui de la chambre des députés. Je me dis que la démocratie représentative en est une autre, de belle saloperie.

 

 

2 – LE CHAR D’ASSAUT DES TEXTES

 

 

Donc le « Traité constitutionnel », vous vous souvenez ? Cent quatre-vingt-onze pages sur papier bible. Quatre-vingt-sept, rien que pour le Traité proprement dit. Quatre cent quarante-huit articles musclés, en pleine forme, surentraînés, pleins de jus, et prêts à vous expédier au tapis au début du premier round, l’arrêt de l’arbitre faisant foi.

 

 

Et des articles que je peux comprendre au premier coup d’œil, il n’y en a pas beaucoup. Par exemple : « Le présent traité est conclu pour une durée illimitée » (c’est l’article IV – 446). Ça, ça va. Il y en a quelques autres, mais à vue de nez, ça fait 0,5 % du total. Pour les 99,5 % restants, vous avez bien un petit meuble à caler, non ?

 

 

Parce que moi, pour citer l’académicien, le si élégant et mondain JEAN D’ORMESSON : « Ce patagon, j’y entrave que pouic ! ». J’aime bien citer JEAN D’ORMESSON. Ce que j’aime avec lui c’est qu’on est bien servi et qu’on est sûr de la qualité de la viande … euh non, de la langue. Toujours cette maudite langue qui fourche !

 

 

Quoi qu’il en soit, une langue riche en saveurs populaires, si proche des gens, si pure de toute sophistication maniérée, si éloignée de toute afféterie salonnarde, si dénuée de tout gongorisme mignard, si châtiée de tout byzantinisme esthétisant, que c’en est un vach’te plaisir.

 

 

Pour revenir au « Traité », prenez l’article II – 68, qui traite de la « protection des données à caractère personnel ».

 

1. Toute personne a droit à la protection des données à caractère personnel le concernant.

 

2. Ces données doivent être traitées loyalement, à des fins déterminées et sur la base du consentement de la personne concernée ou en vertu d’un autre fondement légitime prévu par la loi. Toute personne a le droit d’accéder aux données collectées le concernant et d’en obtenir la rectification.

 

3. Le respect de ces règles est soumis au contrôle d’une autorité indépendante.

 

 

Eh bien me voilà rassuré, n’est-ce pas ? Mais moi je ne veux pas de « rectification ». Je veux l’effacement pur et simple. Mais bon, on ne va pas chipoter sur des détails. Je me demande seulement ce que ça veut dire, juridiquement, « loyalement ».

 

 

Pareillement, je me demande ce que ça peut bien recouvrir, « autorité indépendante ». Est-ce qu’on demande au C. S. A. d’être indépendant ? Ce qui serait drôle, c’est que la loi qui l’a créé soit respectée ! Et je n’ai pris qu’un article pratiquement pas subdivisé. Est-ce que vous connaissez le III – 282 ? Le III – 404 ? Bref, pas la peine d’insister, je pense.

 

 

En tout cas, l’Europe, c’est bien avant ce « Traité » que tout le monde aurait dû dire STOP. Le premier jour où on a commencé à NE PAS COMPRENDRE ce qui se passait. Le grand tort des six premiers peuples de l’Europe communautaire, c’est qu’ils ont laissé faire. Quelle que soit l’occasion, il faut REFUSER de ne pas comprendre.

 

 

Dès que les peuples, dans les premiers grands cols, ont été lâchés par le peloton de tête (les crânes d’œuf des « concepteurs » de l’Europe), ils auraient dû se mettre en travers de la route, et crier : « STOP ! On veut comprendre. On bougera pas de là avant que vous ayez tout bien expliqué ! ». FRANÇOIS MITTERRAND a bien roulé le « peuple français » dans la farine, avec son Maastricht ! Personne n’y a rien compris, à Maastricht, excepté le quarteron de sournois qui avait son projet bien ficelé dans la tête.

 

 

3 – LE CHAR D’ASSAUT EN ACTION

 

 

Ce que j’en ai compris, je vais essayer de l’expliquer. En gros, ce projet, je le résumerai de la façon suivante : « Aller le plus vite possible, le plus loin possible de la comprenette des peuples, pour aboutir au « machin » le plus compliqué possible, pour qu’il ne soit précisément plus possible, d’une part, de revenir en arrière, et d’autre part, d’y comprendre quoi que ce soit ».

 

 

Suite et fin après-demain à 9 heures.

Parce que demain, c'est le onze novembre, jour férié.

Demain, ça s'appellera "hymne à la politique". A la fin, je donnerai rendez-vous, à tous ceux qui penseront comme moi à l'auto-génocide européen de 1914-1918, devant les monuments aux morts de la Grande Guerre. Avec un aiguillage vers mon blog de 2007 KONTREPWAZON, et clic, dans la colonne de gauche, sur la catégorie "Monuments aux morts". Merci pour eux.