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jeudi, 19 mai 2022

QUE FERIONS-NOUS SANS ESCLAVES ?

NOS ESCLAVES : LES MACHINES.

Voilà le genre de coïncidence que j'aime. A trente ans de distance, dans deux ouvrages un peu différents mais à peu près sur le même sujet (une B.D. et un ouvrage, disons "sérieux", je veux dire non illustré), je trouve exprimée la même idée : les machines nous servent exactement de la même manière que les esclaves ont servi nos lointains ancêtres. Du coup, j'ai bien envie de poser une drôle de question : pourquoi l'occident, au moment même où triomphe cette civilisation conquérante, dominatrice et colonisatrice, a-t-il consenti à ne plus réduire des humains en esclavage ? Puisqu'on se permettait tout en matière de comportement à l'égard des peuples soumis, pourquoi a-t-on — au moins dans beaucoup de pays — interdit de considérer d'autres humains comme des objets, comme des machines et comme des marchandises ? 

Voici mon idée : la civilisation occidentale a aboli l'esclavage au moment même où, se transformant dans un temps assez bref (grosso modo un siècle) en civilisation industrielle de production de masse et d'innovation technique permanente et forcenée, elle a accordé à quelques "grandes consciences", "esprits éclairés", "bonnes âmes" et autres "bienfaiteurs de l'humanité" le privilège de devenir de hautes figures morales du progrès proprement humain, en leur abandonnant l'esclavage, comme une sorte de concession du vice à la vertu. C'en est au point que je suis à deux doigts de me demander si la véritable raison de cette abolition ne réside pas précisément dans les avancées, les facilités, le confort et finalement les pouvoirs procurés par la technique.

Dans le fond, l'esclavage n'a-t-il pas été aboli quand on s'est rendu compte qu'on n'en avait plus besoin, parce que des machines étaient parfaitement capables de remplacer avantageusement les bonshommes dans l'accomplissement des tâches ingrates et gratuites ? Si l'hypothèse peut moralement choquer, elle mérite qu'on la considère, non ?

Et tant pis pour les militants anti-esclavagistes et autres bonnes âmes qui fulminent encore à longueur de temps contre l'occident colonialiste et contre la traite négrière transatlantique (disparue depuis lurette). Grâce au progrès technique, l'occident a pu se donner la vertu d'en finir avec l'esclavagisme, en rendant enfin la liberté à toutes sortes de populations opprimées.

Dans le même ordre d'idées, j'aime bien celle qui consiste à voir dans le progrès technique le principal facteur de l'égalisation des conditions entre l'homme et la femme : que serait la vie de celle-ci, si nous n'avions depuis longtemps à notre disposition toutes sortes de boutons sur lesquels il suffit d'appuyer pour que le travail pas drôle et musculairement coûteux s'accomplisse (il fallait de sacrés biscotos pour peser sur le volant du 10 T Berliet, et des cuisses en acier pour le double débrayage) ? Il me semble que les conquêtes du féminisme doivent énormément au progrès technique. Rien que cette petite idée m'amuse beaucoup.

La source de cette réflexion, je l'ai trouvée dans l'écho que fait un livre très récent à une comparaison faite voilà trente ans dans un ouvrage qu'on peut qualifier de cousin dans son propos, quoiqu'incompatible dans son mode d'expression. Voici ce qu'on trouve dans La Terre brûle-t-elle ?, de Cédric Philibert, paru aux éditions Calmann-Lévy en 1990 :

« L'énergie disponible par tête, de l'âge de pierre au paysan du XVIIIè, a été multipliée par cinq. Elle a, depuis, centuplé : "Le système énergétique mondial est l'équivalent de cent milliards d'esclaves au service des cinq milliards d'habitants" notent Pierre Radanne Louis Puiseux, qui commentent ainsi cet événement inédit : "Il ne s'agit pas là d'une simple accélération de croissance, c'est l'équivalent d'une véritable mutation génétique, un changement de nature de la vie humaine analogue à l'acquisition des pattes ou des ailes dans un phyllum animal."
L'exploitation des réserves concentrées d'énergie a changé la face du monde ... » (p.123-124).

Et puis voici ce qu'on trouve dans Le Monde sans fin, la B.D. de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain (Dargaud, 2021, c'est l'ingénieur Jancovici qui s'adresse à Blain, le néophyte qui découvre tout ça avec stupéfaction ; je me permets de reproduire le texte parfois mal lisible) : 

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"Par contre, ce que tu peux constater, et qui est fondamental ... c'est que chaque Terrien consomme en moyenne 22.000 kWh par an."

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"Avec l'équivalence dont je t'ai parlé tout à l'heure, c'est comme si chaque Terrien avait, à peu près, 200 esclaves qui bossaient pour lui en permanence."

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"Sans machines sur Terre, il faudrait faire travailler 1.400 milliards de Terriens pour avoir la même production ... Je ne crois pas que la Terre ait les moyens de nourrir ces 1.400 milliards."

***

Cette façon de présenter toute l'ère du machinisme régnant comme l'asservissement de forces mécaniques au service de la prospérité, du bien-être et du bonheur généraux me paraît tout à fait intéressante : plus nous possédons de machins électriques, de bidules à moteur et de gadgets électroniques, plus nous nous rendons dépendants de tout un système énergétique coûteux, dont le but est de nous faire vivre dans un cocon. Comme nous nous trouverons bêtes et démunis, le jour où l'électricité (le charbon, selon Jancovici) et le pétrole viendront à manquer !! 

Au passage, je note l'écart astronomique qui s'est creusé en trente ans entre le chiffre de la population humaine et celui de la puissance développée par les équivalents-machines. Autrefois, 100.000.000.000 d'esclaves pour servir 5.000.000.000 d'humains, cela fait, si je calcule bien 20 esclaves par tête de pipe. Aujourd'hui, 1.400.000.000.000 d'esclaves pour 7.000.000.000 d'humains, cela fait bien, comme dit Jancovici, 200 esclaves par crâne de piaf. Autrement dit, si je crois en la véracité des chiffres, c'est un facteur 10 qui a multiplié la puissance des machines en trente ans. Est-ce la productivité du travail mécanique qui a été multipliée par dix ? Ou alors la production de biens proprement dite ? Ou bien est-ce simplement le nombre des machines ?

Précisons quand même : tous les pays du monde ne sont pas égaux face à l'esclavage mécanique. Il faut être juste et précis, et ne pas se contenter de ce "200 esclaves par personne" qui semble mettre tout le monde sur un pied d'égalité : une moyenne est toujours trompeuse (c'est comme l'indice du pouvoir d'achat de l'INSEE). Selon Jancovici, le citoyen du Bangladesh est à 30, celui de l'Inde à 50. A 100, on trouve l'Equateur, le Pérou, l'Egypte, ...... Au sommet de l'échelle, on trouve Singapour (1250), le Canada et la Norvège (1100). La France se situe à 600, non loin de l'Allemagne (650). J'imagine que, pour arriver à ces chiffres, le calcul de Jancovici se fonde sur la production industrielle ou l'équipement des ménages en appareils électriques, automobiles, etc.

Quoi qu'il en soit, la conclusion logique s'impose : nous sommes, globalement et en moyenne, dix fois plus heureux qu'il y a trente ans. Ah ? Vous ne saviez pas ? Ben non. C.Q.F.D. et content de l'apprendre.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 04 avril 2022

JANCOVICI ET LUCKY LUKE

J'ai sûrement tort, mais je trouve ça drôle. Je viens d'évoquer, sur plusieurs jours, l'ouvrage très intéressant publié en 2021 chez Dargaud par Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, où l'ingénieur dit tout le mal qu'il faut penser du charbon, du pétrole et autres potions imbuvables. Mais prenez la page de titre du Lucky Luke N°18 A l'Ombre des derricks (éditions Dupuis, 1962, "Texte et illustrations de MORRIS", y est-il précisé).

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J'ai juste inversé la photo en mettant la droite à gauche et inversement, pour les besoins de la cause.

On y trouve la photo d'un des derricks que le colonel Drake a probablement édifiés quand il est arrivé à Titusville (Pennsylvanie, USA) en 1857 pour y forer des puits par lesquels il espérait voir jaillir le pétrole. Il est parvenu à ses fins le 27 août 1859 après avoir creusé à 23 mètres de profondeur (on trouve l'info dans ce Lucky Luke, alors c'est sûrement vrai).

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Le dessin de Morris.

Il ne prévoyait pas la folie qui a saisi les hommes comme dans le bon vieux temps de la "ruée vers l'or", où les Américains s'étaient précipités vers la Californie dans le seul et unique but de s'en mettre plein les poches, à tout prix et souvent quelle que fût la méthode pour y parvenir : les westerns regorgent à ce sujet d'histoires plus ou moins sombres et violentes.

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Rebelote donc avec le surgissement de l'huile de roche (étymologie de "pétrole") dans le paysage énergétique des nations en proie à la fureur du progrès technique, à la voracité en ressources naturelles et à la fièvre de la production, de la vitesse et de la quantité. Mon intention aujourd'hui est finalement assez futile : m'amuser de rapprochements qui me sont venus à la lecture de la Bande Dessinée de Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, Le Monde sans fin.

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Le dessin de Christophe Blain.

Car le dessinateur Blain, pour évoquer l'histoire du même colonel Drake, s'inspire soit de la même photo que Morris, soit du dessin que celui-ci en avait tiré. Notez qu'il reprend tel quel le "portrait" de Drake par Morris, mais aussi qu'il  reproduit presque textuellement le dessin de celui-ci pour le derrick, y compris les planches manquantes. Bon, je n'en veux pas à Blain : ce n'est pas un plagiat, c'est entendu ; disons que c'est une citation, voire un hommage à un des grands-pères tutélaires de la bande dessinée d'expression française.

mercredi, 09 février 2022

PLACE AUX ÉNERGIES RENOUVELABLES !!!

UN GROS MENSONGE

Répartition quantitative des différentes sources d'énergies fossiles dans la consommation globale de l'humanité. 

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On voit dans ce tableau quelle place occupent les matières fournies par la Nature pour permettre à l'humanité de se chauffer, de s'éclairer et de produire toutes sortes de biens en alimentant toutes sortes de moteurs. Tout le monde ou presque aujourd'hui s'accorde à dire que cette consommation est suicidaire à plus ou moins long terme, et que l'avenir de l'humanité (la planète, il n'y a pas à s'inquiéter pour elle, elle s'en tirera toujours) repose sur les énergies renouvelables. En théorie, dans l'absolu, dans l'idéal et dans le monde fabuleux de nos rêves, de nos désirs et de notre besoin de merveilleux, c'est absolument vrai. Mais jetez un œil sur le tableau ci-dessous.

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Regardez, tout en haut du graphique, les trois pauvres petites virgules où s'entassent, grossies par le dessin dans leur case exiguë, les parts de l'éolien, du solaire et des "autres renouvelables".

Dans la réalité réelle, vous savez, celle sur laquelle on se cogne et qui fait mal, c'est une autre paire de manches à air, comme le montre cet excellent graphique conçu par Jean-Marc Jancovici (solide ingénieur — Télécom,  Polytechnique et quelques autres casquettes, s'il vous plaît —  spécialiste des énergies) et dessiné par Christophe Blain (merci à Fred, qui me l'a fourni) dans la BD très instructive Le Monde sans fin (Dargaud, 2021). Encore le dessinateur a-t-il pris soin de coller une grosse loupe sur la part des énergies renouvelables dans la consommation générale. Ça relativise sacrément la portée des déclarations exaltées des écologistes et des politiques qui leur courent après. Et ça ressemble sacrément à un gros mensonge de la part de tous ceux qui connaissent la question (ils commencent à être nombreux).

On comprend d'un seul coup d'œil l'Himalaya, que dis-je : l'empilement des Everest d'investissements qu'il faudrait faire pour donner aux renouvelables la part que nous rêvons de leur accorder. On comprend que NON, ce n'est pas ainsi que cela peut se passer. La seule façon de fournir à l'humanité la possibilité d'un peu d'avenir, elle est dans la baisse radicale de la consommation d'énergie. Le rationnement. Et ce n'est pas tout de le dire : il faut envisager les conséquences de cette assertion.

Elles sont simples : il ne suffit pas, comme certains le disent, de préconiser la sobriété, les "entreprises à mission" (je rigole !), la construction de logements à "énergie positive" ou ces fumisteries que constituent le "développement durable" ou la "croissance verte". Il faut que l'humanité, après deux siècles de gabegie, de gaspillage et de dilapidation des richesses sous les coups de la production industrielle effrénée et de la recherche effrénée du profit, cesse dès maintenant de se repaître des entrailles de la planète.

Il faut que tous les gens importants qui causent dans le poste et qui persistent à se payer de mots, cessent de beurrer la tartine aux populations à coups de lendemains meilleurs et d'avenir radieux. Il faut arrêter de faire de la consommation la condition sine qua non de notre bonheur. Il faut que l'humanité se résigne à redevenir pauvre devant la nécessité. Il faut que l'humanité retrouve le sens du tragique de l'existence et de sa précarité. Mais, à notre époque où le désir individuel impose sa tyrannie, où chaque désir ouvre un droit, où chacun érige son propre désir en loi, qui a envie de ça ? Levez la main, les volontaires.

La lutte contre le réchauffement climatique ? Moi je veux bien, et encore : pas sûr. Parce que si, comme je le crois, cela passe par des privations coûteuses et par le renoncement à consommer de l'énergie à tout-va pour préserver ma zone de confort et de facilité, je vais y regarder à deux fois. Et je suis sûr de ressembler en cela à l'immense majorité des gens ordinaires à qui, à longueur d'ondes radio, d'images et de papier, les journalistes et un paquet de bouches "autorisées" (par qui ?) tiennent des propos vertueux ou donnent des leçons de "tri sélectif des déchets". 

Comment croyez-vous que réagiront les masses de population si on leur coupe le courant et l'essence qui alimentent leurs moteurs (thermiques, électriques et autres) plus ou moins gros ? S'ils se voient contraints de remplacer ces carburants par du travail ? On ne se rend pas trop compte de ce que ça signifie, les conséquences qu'entraînera la lutte effective et efficace contre le réchauffement climatique : l'abandon progressif ou brutal de la puissance fournie par l'électricité ou les autres carburants qui nous épargnent des efforts qui apparaissaient nécessaires à nos ancêtres. Qui est prêt à remplacer l'ÉLECTRICITÉ par du TRAVAIL ? Je le dis sans honte : pas moi.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : des nouvelles de cette chatoyante question quand j'aurai achevé la lecture d'un livre qui, selon toute probabilité, n'est guère fait pour remonter le moral.

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