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vendredi, 27 octobre 2023

TOUT UNE MORALE

TANGO P.10.jpg

J'ai, je l'avoue, les mêmes antipathies que Corto Maltese. Cette aversion pour les "rédempteurs" (j'entends chevaliers blancs, redresseurs de torts, justiciers et autres policiers sans uniforme), je l'éprouve et je la fais mienne.

J'ai en horreur tous ceux qui s'intronisent inquisiteurs des opinions des autres et des paroles qu'ils prononcent et qui, bien qu'ayant le culot de se réclamer de la gauche soi-disant « progressiste », ont réussi, à coups de réseaux d'influence et de propagande claironnante°, à faire inscrire dans le Code Pénal toutes sortes de néo-phobies naguère inconnues des autorités médicales, pour museler toutes les cervelles égarées qui pensent et disent en dehors des clous qu'ils ont eux-mêmes plantés.

° Exemple d'une telle propagande : ce matin même, autour de 5h20, j'ai entendu la rediff. d'une chronique de l'émission "zoom-zoom-zen" d'hier, consacrée à l'enseignement de l'éducation sexuelle en milieu scolaire. Pour critiquer la façon dont la matière était dispensée, le petit chroniqueur de mes douilles a distinctement prononcé l'expression :

« tristement hétérosexuelle ».

Et allez donc !!! Faut-il vous l'envelopper ? On n'a aucune raison de se gêner !!! Je dis à cet ignare et témoigne ici qu'une sexualité normale apporte toutes les satisfactions qu'une personne normale peut désirer. Gens normaux, joignez-vous à moi et affirmons ensemble notre fierté, puisque c'est seulement comme ça qu'on peut exister dans cette époque abracadabrantesque, tout au moins si l'on écoute  certains glapissements.

***

Les amateurs de l'œuvre d'HUGO PRATT peuvent retrouver cette vignette dans Tango (Casterman, p.10 dans mon édition de 2012), une fable fascinante et déconcertante.

jeudi, 18 mai 2023

ELISABETH BORNE VEUT RENOUER ...

... AVEC LES SYNDICATS.

CE COQUIN DE COCKER P. 41 BORNE BERGER.jpg

MAIS LA PREMIÈRE MINISTRE EST-ELLE BIEN SINCÈRE ?

BORNE ET BERGER.jpg

IL EST PERMIS D'EN DOUTER, COMME LE MONTRE LA PHOTO CI-DESSOUS, PRISE HIER A L'HÔTEL MATIGNON !!!

019.jpg

IL SEMBLERAIT QUE LES SYNDICATS NE SE FONT PLUS GUÈRE D'ILLUSIONS SUR LA CONCEPTION QUE MACRON ET LE GOUVERNEMENT SE FONT DE « LA VOLONTÉ D'ÉCOUTE » ET AUTRES DÉSIRS DE « CONCERTATION » OU DE « DIALOGUE SOCIAL ».

***

Note : Les vignettes B.D. sont empruntées à "Ce Coquin de cocker", un album Boule et Bill de Roba, et un peu « retravaillées » par mes soins. Le dessin de Lefred-Thouron est paru dans Le Canard enchaîné du 17 mai 2023.

mardi, 17 mai 2022

TOUCHE PAS A MON GASTON !!!

TOUCHE PAS A MON GASTON.jpg

J'entends sur les ondes qu'il se passe une bataille judiciaire, au motif que des margoulins ont, une fois de plus, flairé la bonne affaire. Après le nouvel Astérix (avec l'aval d'Uderzo), après le nouveau Lucky Luke, après les nouveaux Blake et Mortimer, après les nouveaux Spirou et Fantasio (Fournier et tous les suivants, mais le personnage du groom appartient dè l'origine à la revue Spirou) et quelques autres coups de vice, voilà qu'on nous prépare un nouvel attentat, et cette fois contre un impérissable, contre un indestructible, contre un immarcescible héros de nos jours et de de nos nuits, j'ai nommé GASTON LAGAFFE. Et moi je dis : touche pas à mon Gaston.

L'éditeur (Dupuis) a convaincu l'ayant-droit (François Moyersoen) de passer à l'attaque et de demander à Delaf (Marc Delafontaine), citoyen québécois doté d'un assez joli trait de plume, de prendre en main le destin de notre inclassable favori, qui n'était présenté à ses débuts que comme une sorte de Bartleby en BD (bien que Gaston n'ait jamais prononcé le fatidique : « I would prefer not to »), et que le génie de Franquin a métamorphosé en figure absolument centrale de la littérature dessinée à destination de la jeunesse. Et une figure dont je constate l'increvable durée de vie dans les principaux centres d'intérêt de la dernière génération de mon entourage immédiat (je traduis en français : mes petits-enfants en raffolent).

Voulant en avoir le cœur net avant le jugement judiciaire "sur le fond" — puisque l'éditeur a repoussé la parution de l'album controversé à 2023, après le dit jugement "sur le fond" —, j'ai demandé au principal intéressé ce qu'il pensait de cette opération commerciale qui s'opère en fin de compte à ses dépens. Voici sa réponse, en exclusivité, saisie au moment même où il apprend la nouvelle.

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Prunelle, tout miel, fait le maximum pour rassurer le futur dessinateur de la série. Il ne se doute pas de la menace qui pèse sur le projet. On n'a jamais vu Gaston dans cet état.

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Et vlan ! C'est dans le numéro 850 des aventures de Gaston qu'on trouve ces deux images ahurissantes. Franquin a dessiné entre 900 et 1000 pages "Gaston Lagaffe". On est donc dans les derniers temps : Franquin lâche la bride à son héros.

Sérieusement, si c'est possible, pour trouver une page où l'on trouve un Gaston Lagaffe vraiment en colère, il a fallu que je révise l'intégralité de ma collection des albums. Car si Gaston manifeste quelques mouvements d'humeur au cours de ses aventures (ci-dessous), il faut noter que c'est aux gens qui l'entourent (Fantasio, Prunelle, Lebrac, l'agent Longtarin, M. de Mesmaeker, et même l'austère et placide M. Boulier et quelques autres) que la moutarde monte au nez. J'ai déjà évoqué ces moments d'explosion provoqués par les étourderies, les dégâts ou les idées malencontreuses de notre héros. Gaston, lui, ne se met jamais dans une véritable colère : il est par essence de bonne composition. 

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Notez que l'onomatopée est la même qu'au 606ème gag suivant (850-244).

Car Gaston est le prototype même de l'être équanime, doux, pacifique et heureux de vivre, pourvu qu'on ne l'empêche pas de dormir, ou d'inventer le gaffophone, ou encore de préparer un délectable plat de morue aux fraises. Les deux vignettes montrant Gaston rouge de colère figurent dans le n°13. Il faut que ce gros balourd de M. de Mesmaeker, débarque dans l'île et dans le rêve pour y faire régner la terreur au moment même où Gaston est en train de vivre un idylle parfait, sensuel et exotique avec 'Moiselle Jeanne (ci-dessous), pour qu'il perde tout contrôle et montre enfin sa façon de penser à l'intrus.

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Où et avec qui était Gaston dans son rêve : c'est-y pas gentil ? On comprend le coup de sang contre M. de Mesmaeker, non ? 

De toute façon et quoi qu'il en soit, voici, en exclusivité, le traitement que fait subir le fantôme d'André Franquin à l'album de M. Delaf, quand je lui spirito-télépathe que l' "ami" auquel il a vendu les droits de son personnage, peut-être dans un moment de gêne ou de dépression, s'est décidé à en confier la continuation à ce jeune-dessinateur-plein-de-talent.

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SANS AMBIGUÏTÉ : C'EST NON !!!

lundi, 29 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

… par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

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C'est après le rappel de ces deux épisodes ultra-violents que commence l'histoire d' « Elise » proprement dite. "Dix ans plus tard, dans le nord de Paris", on est au début des années 1970. Une chouette bande de chics copains met la dernière main à la confection d'honnêtes cocktails Molotov au dernier étage d'une tour. Hélas, le mélange est instable et explose à la gueule d'Elise. La bande s'échappe de justesse, Elise est gravement brûlée. C'est à peu près le même jour qu'un certain Pierre Overney, militant d'extrême-gauche, est tué d'une balle en plein cœur par un vigile des usines Renault, Jean-Antoine Tramoni, qui sera tué à son tour quatre ans plus tard. Tout ça dépeint assez bien une certaine figure d'une époque.

LES COCKTAILS.jpg 

Sur son lit de souffrance et couverte de pansements, Elise, tout en pensant à ses camarades, à Simon, son compagnon, fait alors défiler les images de sa vie : la fin de sa scolarité au lycée Edgar Quinet, sous la houlette d'une prof de philo (Jeannette Colombel, nous dit l'encyclopédie en ligne) dont l'enseignement est loin d'être neutre, d'un prof d'arabe (dont je pense que quelqu'un pourra me dire le nom) et plus globalement d'une prise de conscience du fait que le monde est injuste et mal fait, et qu'il attend qu'on agisse pour le faire un peu meilleur. 

GRANDE BRÛLEE.jpg

Toute à son combat contre un ordre public qu'elle juge injuste et violent, Elise a cependant une autre passion : la chanson et accessoirement le théâtre. Elle croise la route d'un certain nombre de futurs acteurs célèbres (je reconnais Jean Rochefort, Michaël Lonsdale, Philippe Noiret, etc...) et de chanteurs.

LES ACTEURS.jpg

Elle publie aussi quelques disques 45 tours de chansons qui, écrites par d'autres, lui déplaisent. Elle rencontre ensuite celui que je crois être Guy Béart (non nommé), avec qui elle travaille, jusqu'à sortir un disque de chansons personnelles produit par lui.

AVEC GUY BEART.jpg

Elise va trouver un moyen de marier la chanson et le combat social : la chanson engagée. Le fait que je ne supporte pas le genre n'a aucune importance : désolé, mais « La Goutte d'Or c'est son nom, C'est pas un beau quartier, Vu que ceux qui y habitent, C'est pas des PDG », ce n'est vraiment pas mon truc, même si je garde toujours quelque part "Larzac 73", un beau vinyle, comme quelques CD de Marc Ogeret ou Colette Magny, que je n'écoute jamais. Elle chante dans les usines, pour les ouvriers en grève : « Il était temps que j'écrive des chansons plus combatives ». N'en déplaise à la chronologie, on a droit au récit des manifs et des violences au Quartier Latin. Et puis arrivent l'été 1968, les vacances, le reflux des luttes, enfin pas pour tout le monde : « J'ai appelé mon producteur pour lui dire que j'arrête le métier. Je veux chanter pour ceux qui luttent, pas pour devenir une star du showbiz ». 

Je passe sur les aventures, mésaventures, coups et contusions. Je passe sur les chansons engagées (« Nous sommes les nouveaux partisans Francs-Tireurs de la guerre de classe, Le camp du peuple est notre camp, Nous sommes les nouveaux partisans », chante-t-elle le poing bravement levé) qui ne montrent à mon avis que les illusions que l'on peut nourrir quand on croit pouvoir changer l'ordre des choses par la magie des "luttes". Je passe sur la "clandestinité" dans laquelle il a fallu vivre pendant un temps. Je passe sur les six semaines de tôle qu'Elise passe à la Petite Roquette pour « violences, voies de fait et outrages envers des agents de la force publique ». Il faut conclure.

On aura compris que si je partage les analyses que propose Elise et les nouveaux partisans sur la façon dont la société est organisée, je trouve vaine, pour ne pas dire dérisoire, la croyance d'un noyau d'exaltés plus ou moins sectaires dans la possibilité de "transformer le monde". Le dérisoire me saute aux yeux quand j'apprends (c'était il y a quelques années) que des groupuscules d' « identitaires » se fournissent dans les mêmes boutiques de sapes que les groupuscules d' « antifa ».

Il y aurait également beaucoup à dire de l'usage du mot "PARTISAN" dans le titre et dans le texte : franchement, c'est quoi l'histoire qui trotte dans la tête de ceux qui se qualifient de "nouveaux partisans" ? Est-ce bien sérieux ? Pourquoi pas "Franc-Tireur", pendant qu'on y est ? Il suffit, pour redescendre du petit nuage romantique-révolutionnaire, de voir comment se sont achevées les aventures des adeptes de la lutte armée en Europe occidentale : Rote Armee Fraction (R.F.A.), Cellules Communistes Combattantes (Belgique), Action Directe (France), etc. Eux étaient certes de vrais illuminés, mais aussi de vrais partisans. Seulement, comme aurait dit ma grand-mère, ils avaient les yeux plus grands que le ventre et prenaient leur vessie pour une lanterne. Partisan, vraiment ? Des mots, des mots, des mots.

On aura compris aussi que presque toute la "chanson engagée" m'horripile au plus haut point. Je suis d'un effroyable — et sans doute coupable — pessimisme : oui, ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ne savent rien de l'histoire qu'ils font. On me rétorquera, et on aura raison : seul compte le désir qui fait de la résistance.

Reste précisément le parcours heurté d'une résistante sans concession, d'une chanteuse engagée à ses risques et périls : un parcours passionnant au bout du compte. Reste aussi et surtout un ouvrage irremplaçable pour qui veut se faire une idée du morceau d'histoire que la France a traversé entre, mettons, l'arrivée de De Gaulle au pouvoir et la fin des "années Giscard". Il est intéressant en particulier de se rendre compte que l'usage de la police par le pouvoir contre toutes sortes d'opposants (manifestants contre les lois "retraite", gilets jaunes, etc.) n'a guère changé, à part la pèlerine, à laquelle les pandores préfèrent aujourd'hui la cuirasse de Robocop.

Reste enfin un ouvrage dont la puissance du dessin donne une dimension inattendue, presque extraordinaire, au bouillonnement d'idées, de débats et de combats dans lequel a baigné une génération entière. Jacques Tardi, qu'il le veuille ou non, magnifie l'époque et les personnes. Je ne dirai pas qu'il les héroïse, mais c'est tout juste : la vision du monde que propose le livre serait manichéenne que ça ne m'étonnerait pas. Heureusement, le récit ne tombe jamais dans le lyrisme. 

Je ne saurais achever ce petit compte rendu sans évoquer l'aventure vécue par "Elise" dans les toutes dernières pages du livre : son débarquement surprise en 1977 dans l'équipe joyeusement anarchiste qui se préparait à lancer B.D. L'hebdo de la BD.

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L' "ours" du n°2 de B.D. L'hebdo de la BD.

L'équipe de Charlie Hebdo, quoi ! Encore une idée du professeur Choron, aussi éphémère que bien d'autres des idées germées dans ce cerveau exalté, surchauffé, surtout après les copieuses libations dont il était coutumier.

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Je ne les reconnais pas tous : Gébé hilare, Elise-Dominique, le crâne de Choron, la barbe de Tardi, la moustache de Cavanna, au fond Wolinski et sans doute Reiser au premier plan. Je cherche Cabu sans vraiment le trouver (le grand benêt debout à gauche ?). Il n'y en a plus des masses de vivants. Merci Tardi pour la photo.

C'est dans cette équipe que la dite "Elise" va faire peut-être la plus belle rencontre de sa vie : un auteur de BD qui livre à la nouvelle revue les planches d'une adaptation de Griffu, un roman de Jean-Patrick Manchette, un bijou de roman noir dessiné. C'est évidemment Jacques Tardi, avec qui Elise-Dominique Grange va finir, sans rien abandonner de sa force de conviction révolutionnaire, par donner une stabilité à la fureur mouvementée de ce qui a précédé. On n'en saura pas plus, comme dans les contes de fées. Il ne s’agit pas d’un conte de fées. Un livre fort.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 28 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

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... par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

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Je viens de lire le dernier livre de Jacques Tardi. Ce prodigieux dessinateur, d'Adèle Blanc-Sec (rien que le choix de ce nom !!!) à Brindavoine (ce nom !!!) et de la Commune de Paris (selon Vautrin) à la Guerre des Tranchées en passant par quelques adaptations de polars de Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, a trouvé un style, un trait capables, quand il lui prend l'idée de transposer des polars en B.D., de faire vivre intensément personnages, situations et actions de la façon la plus expressive tout en restant fidèle comme c'est pas permis aux contours et à la ligne définis par les auteurs (vous pouvez vérifier avec La Position du tireur couché par exemple).

Pour ma part, je lui sais particulièrement gré de la façon dont il fait apparaître, dans les nombreux volumes qu'il consacre à cette immense boucherie de la civilisation, la vie réelle des "poilus" de 14-18, du paysan devenu bidasse promis à l'abattoir jusqu'au général cynique (Berthier, je crois), qu'il fait déclarer sur toute une vignette que c'est tout à fait volontairement qu'il a fait tirer par l'artillerie française sur une tranchée française où les soldats rechignaient à partir à l'attaque. 

De mon côté, si j'ai commencé à collectionner les photos de monuments aux morts de la Grande Guerre, je ne le dois pas à Jacques Tardi : l'horreur s'est imposée d'elle-même quand je me suis mis à lire les noms gravés dans les villes et villages que je traversais. C'était une prise de conscience, cela se passait en 1976 dans la région des Causses : La Cavalerie, Creissels, Roquefort etc., dans des circonstances qui ont pris avec le temps une petite couleur "historique". C'est quand j'ai vu que certaines familles avaient perdu quatre, cinq (ou davantage) membres et que les poils de mes bras se sont hérissés que j'ai eu une idée presque physique de l'horreur de ce qui s'était passé entre 1914 et 1918.

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Jacques Tardi en 1988, photographié par Jean-Marie Huron lors de sa venue à Lyon pour une signature de 120, Rue de la gare, chez Adrienne Krikorian, fondatrice de la librairie Expérience, rue du Petit-David.

Cette guerre m'est apparue comme l'événement fondateur, comme l'éblouissant révélateur : le triomphe imbécile de la technique et de l'industrie capitaliste, avec pour conséquence l'écrasement de tout ce qu'il y a d'humain en l'homme, corps et âme, comme l'a montré toute la suite du XXème siècle (Auschwitz, Hiroshima, etc.). Toute ma vision du monde en a été affectée, et de façon définitive. Quelques lectures (avec Günther Anders pour chef-pilote) ont achevé de me faire tomber du côté de ceux qui refusent cette réalité où rayonnent les fausses promesses d'un progrès réduit à l'univers matériel et à l'émerveillement prosterné, infantile et fatal devant des "prouesses" techniques qui surpassent tout ce que peut réaliser le pauvre humain, et dont il devient de fait le serviteur quand ce n'est pas la victime.

La force des livres de Tardi sur la première guerre mondiale réside dans sa volonté de décaper le vernis qui tend à faire de simples ouvriers et paysans envoyés au front de magnifiques héros, et des anciens combattants en béret rouge, poitrails couverts de médailles et autres porte-drapeaux à cheveux blancs d'authentiques patriotes.  Selon moi, l'une des lignes de conduite qui sous-tend tout le travail de Jacques Tardi est de ne pas se payer de mots. Ça tombe bien : moi non plus. D'où peut-être sa parenté (fraternité ?) spontanée avec des auteurs de polars ou "noirs" comme Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, qui n'y vont pas avec le dos de la cuillère avec l'humanité grouillante. D'où, accessoirement, l'évidence de son beau geste quand il a refusé la Légion d'Honneur offerte par je ne sais plus qui.

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Le docteur Grange et sa fille. Tardi a-t-il travaillé d'après photo ?

Alors venons-en à ce bouquin, Elise et les nouveaux partisans (Claire Etcherelli a publié en 1967 une Elise ou la vraie vie qui eut son heure de gloire : y a-t-il un rapport ?).  Disons-le d'entrée : Elise, le personnage principal, n'est pas exactement la compagne de Tardi, mais sa trajectoire suit de très près celle de Dominique Grange, qui est, elle, son épouse (depuis 1983, encyclopédie en ligne). Elle est fille d'un grand médecin qui avait son sombre cabinet d'oculiste (on ne disait pas ophtalmo) Boulevard des Belges. C'est chez ce docteur charmant et compétent que mes parents m'envoyaient me faire examiner les yeux : c'était le confrère et ami de l'excellent docteur Paliard. J'avais donc quelques raisons.

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Ceci pour dire que Dominique Grange vient d'un milieu bourgeois, c'est-à-dire confortable. Mais qu'elle a très tôt pris les chemins de traverse, elle qui s'est trouvée en résonance profonde et décisive avec les propos alors subversifs de sa prof de philo (non nommée, mais on apprend par ailleurs qu'il s'agit de Jeannette Colombel, dont il m'est arrivé de croiser la route, en particulier à la fin de sa vie, à la terrasse de la Brasserie des Ecoles) au lycée Edgar Quinet : le temps de la guerre d'Algérie et des porteurs de valises du F.L.N., de La Question d'Henri Alleg, etc.

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Elle a même commencé à apprendre l'arabe, à Quinet, avec un prof originaire de Sétif, à quoi son père a mis fin parce que ce n'était « pas au programme du bac ». Le prof d'arabe non plus n'est pas nommé, mais je connais quelqu'un qui doit pouvoir combler cette lacune.

Le bouquin de Tardi est bâti sur le scénario écrit par Dominique Grange qui, en gros et dans les grandes lignes, raconte sa vie, qui fut mouvementée, inséparable de l'extrême-gauche agissante, et par là même violente, sans aller toutefois jusqu'à la lutte armée. Le livre s'ouvre d'ailleurs sur la violence que le préfet Maurice Papon fait s'abattre, le 17 mars 1961, sur les foules basanées qui envahissent le pavé parisien aux cris de « Algérie algérienne, F.L.N. vaincra, etc. ».

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Comme d'habitude, Tardi n'épargne rien au lecteur de la réalité physique de la violence et de ses effets sur les corps, non plus que celle qui, le 8 février 1962, sous les ordres du préfet Roger Frey cette fois, se déchaîne contre la manifestation convoquée par les syndicats et le P.C.F. et qui causa, au "métro Charonne", 9 morts et 250 blessés.

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Avait-il besoin de rappeler le sombre rôle du même Papon pendant l'Occupation ? Avait-il besoin d'appeler « flicards » les policiers lancés par lui sur une population finalement pacifique, dont le tort était de braver le couvre-feu en ces temps de guerre d'Algérie ? Ce qui est indéniable, c'est que le scénario de Dominique Grange se veut une action militante : qu'on n'attende pas d'elle la neutralité de l'historien. Le recul des années n'a rien refroidi des convictions brûlantes de l'ancienne guerrière de la Gauche Prolétarienne.

A SUIVRE