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dimanche, 02 janvier 2022

LES CERISES DE MONSIEUR CHABOUD

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Je viens de lire Les Cerises de Monsieur Chaboud, du général Chambe (Plon, 1983). C'est le dernier livre écrit par le cavalier-aviateur-écrivain René Chambe, paru l'année de sa mort, survenue au bel âge de quatre-vingt-quatorze ans. Je revois ce vieil homme, debout, très digne comme il fut toujours, à la mort de son frère Joseph, venu saluer la dépouille devant le cercueil encore ouvert. C'était en juin 1981. Après une première carrière — militaire — magnifique débutée comme homme du rang dans la cavalerie, terminée muni du grade de général d'aviation, qui dit mieux ?

Mais aussi après une deuxième carrière digne d'estime, littéraire celle-ci, puisqu'il a laissé une œuvre copieuse, couronnée par une monumentale Histoire de l'aviation qui connut six éditions et fit longtemps autorité. Au total une petite trentaine d'ouvrages d'inspiration variée : des romans, des récits d'aviation, des récits de chasse, des souvenirs d'enfance, des biographies, des ouvrages d'analyse historique, complétés par toutes sortes d'articles pour des revues (Revue des Deux Mondes et autres). 

Après une troisième carrière de chasseur impénitent, sans doute inspirée par les récits d'Alpinus et du marquis de Foudras. J'ai moi-même participé à de mémorables « passes des grives », le soir venu, sur la "route du haut", avec le général, son neveu, quelques hommes du pays et les chiens, quand les délectables volatiles revenaient nicher pour la nuit dans les bosquets touffus de "La Garenne" après s'être largement rassasiés et désaltérés tout le jour dans "Les Marais". Je n’avais pas l’âge de porter le fusil, mais quand l’oiseau tout rôti arrivait dans mon assiette, je n’aurais pour rien au monde laissé ma part aux chiens, et je ne me formalisais pas trop du petit plomb qu'il m'arrivait d'y croquer.

Mais ses terrains de chasse favoris se trouvaient en altitude, du côté de Champagny-en-Vanoise et Champagny-le-Haut, où il a pu cavaler jusqu'à un âge très avancé à la poursuite du grand tétras, avec ses chiens (pour moi, ce sont principalement Braque le brave et affectueux griffon Khortals et Zoom le setter irlandais, fier, presque ombrageux), au mépris des dénivelés, et me rapportant à l'occasion les quatre plumes en crosse du "petit coq". 

Les Cerises de Monsieur Chaboud est donc le dernier livre de René Chambe. Ce n'est peut-être pas le plus significatif de l'ensemble de son œuvre d'écrivain : il a déjà longuement évoqué son enfance, entre autres, dans le riche Souvenirs de chasse pour Christian (Flammarion, 1963). Je dirai que Les Cerises ..., qui en reprend de nombreux éléments, est le livre souvent touchant et réjouissant d'un très vieil homme qui, à l’approche de la fin de son parcours, se retourne une dernière fois sur l'enfance de rêve qu'il a passée dans un lieu de rêve et dans une ambiance de rêve : le château de Monbaly, sur la commune de Vaulx-Milieu, entre La Verpillière et Bourgoin, dont il s'efforce de revivre et de faire partager en raccourci les enchantements, mais sans se départir d'une certaine mélancolie (« Tout cela était d'une infinie tristesse » écrit l'auteur p.181 en constatant l'état d'abandon de la "ferme Dutruc").

Il faut savoir que si Monbaly tient à ce point lieu de paradis perdu dans la mémoire de l'écrivain et de son frère, c'est que Joseph et René en furent, en quelque sorte, chassés par un coup du sort : nés en 1887 et 1889, ils ont respectivement quinze et treize ans lorsque leur père Emile meurt, le 25 mai 1902. Il a quarante-trois ans. Il faudra quatre années ô combien difficiles pour que Berthe, la fidèle épouse, finisse par renoncer à supporter l'énorme charge et consente à quitter le paradis terrestre. On ne se remet pas d’une telle perte. Il me semble avoir entendu dire (je peux me tromper) que Joseph lui-même, quand il a acheté une jolie maison de l'autre côté de la vallée de la Bourbre (sur le dernier contrefort de ce qui s'est appelé en d'autres temps "L'Île Crémieu"), a fait abattre quelques arbres pour dégager la vue qu'on y avait sur le château.

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« La triple épaisseur du vantail était barrée par une si pesante poutre de chêne qui coulissait de gauche à droite, à l'intérieur du mur, que mes mains d'enfant ne pouvaient même pas la déplacer » (p.18).

Il va de soi qu’on ne résume pas un livre qui se présente, en cent quatre-vingts pages, sous la forme de vingt-huit mini- voire micro-chapitres, à l’exception des trois ou quatre qui évoquent – événement crucial – des manœuvres militaires qui eurent pour théâtre d’opérations le château de Monbaly lui-même et la campagne environnante, c’est-à-dire la vallée de la Bourbre et l’épaulement où se découpe le clocher de L’Île d’Aboz [sic], avec au bout la chapelle Saint-Germain. Il s'agissait de repousser par tous les moyens l'envahisseur venu des couloirs alpins.

Je me demande si le développement particulier de l’épisode sur plus de quarante pages n’a pas quelque chose à voir avec le futur éveil de la vocation militaire dans l’esprit de René. De même que « Le lièvre de Saint-Germain » et « La canne-fusil de M. Rajon » ont à voir avec sa vocation de chasseur. Il faut dire que tous les hommes de Vaulx-Milieu en général et de son entourage en particulier savaient manier le fusil. Quant à la vocation d’écrivain, il lui suffit d’avoir vu son père Emile s’isoler de longues heures dans son bureau pour écrire des romans dans le goût de Jules Verne (Droit au Pôle Sud, Au Faîte de la Terre) ou du théâtre (Christian Goël).

Le livre doit son titre à la "Maison Chaboud" : « une maison d'aspect bourgeois » située « tout au fond de du hameau de Belmont », où Joseph et René allaient en compagnie de leur mère, « les premiers jours de juillet », faire provision de cerises à l'aimable invitation de M. Chaboud en personne, père d'un futur ingénieur météorologue (René Chaboud) connu à une époque pour intervenir très régulièrement sur une antenne nationale. Il faut préciser que, revenu bien des années plus tard sur les lieux, René n'a retrouvé aucune trace de la "maison Chaboud" : « Nous sommes repartis tristement. Tout a une fin, même les cerises de M. Chaboud » (p.29). Malgré l'humour et la gaieté qui se dégagent de certains épisodes, on est vraiment dans une tonalité générale de la nostalgie.

Pourtant on trouve dans ce livre quelques passages où René fait comprendre comment il voit la vie, les choses et les hommes. Par exemple, dans les chapitres où sont racontées les manœuvres militaires. René a la tête pleine des lectures faites chaque soir par son père de passages de L'Invasion (Erckmann-Chatrian), il souffre en regardant ces cartes de France où l'Alsace-Lorraine apparaît comme une « plaie violette ». Et quand les hommes présents, son père compris, montent pour lui un scénario impliquant un engagement, des actions nocturnes audacieuses, de la bravoure, il marche à fond, l'imaginaire en surchauffe. 

Le commandant Lebrun, si jovial à table, c'est un traître ! Et puis on va aller – en pleine nuit ! – "enclouer" les canons de la batterie installée à Saint-Germain et qui nous pilonne ! « Cette fois, je suis en pleine euphorie, en plein rêve, j'ai perdu tout contact avec la réalité. Je vis une page de L'Invasion. Je crois vraiment que c'est arrivé.
Toute ma vie, je serai de ceux qui croient que c'est arrivé. Je ne pourrai supporter autour de moi ceux qui ne le croiront pas les sceptiques, les blasés. Je les aurai en horreur ! Au long de ma carrière, je m'arrangerai pour n'avoir jamais sous mes ordres que des officiers et des gradés allants, ardents, optimistes, même au plus fort des revers, des officiers et des gradés enthousiastes, gonflés, fanas, qui croiront toujours que c'est arrivé et que rien n'est jamais perdu. Ce ne sera pas difficile dans la cavalerie et l'aviation. Les autres, je n'en voudrai à aucun prix, je les éloignerai, je les écarterai, je m'en débarrasserai, ce sont les agents dissolvants du moral d'une armée, ou d'une nation » (p.158). Voilà un portrait moral : la passion, l'intransigeance, l'exaltation, parfois jusqu'au fanatisme, la volonté indomptable d'atteindre le but qu'on s'est fixé.

Au total, si Les Cerises de Monsieur Chaboud n’est pas un des « grands livres » de René Chambe, il donne à voir et à entendre ce que fut la vie d’un enfant, certes issu d’une famille grand-bourgeoise, mais en même temps dévoré de rêves plus grands que lui (à commencer par la grandeur de la France), doté de talents variés (son coup de crayon était étonnant de précision et de vivacité), et mû par un courage et une volonté de fer qui lui ont fait, en diverses circonstances, franchir sans encombre et sans trop de casse des obstacles qui en auraient fait reculer plus d’un. C'était longtemps avant la grande américanisation de la France, des esprits et des mœurs.

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Dans une lettre à son frère Joseph, du 1 mars 1917, envoyée de Roumanie, où René Chambe était en mission et où il fut blessé en combat aérien.

Note : Le site https://generalrenechambe.com/  fournira toutes les informations possibles aux personnes désireuses d'en savoir plus sur cet homme dont l'existence sort de l'ordinaire.

samedi, 01 janvier 2022

2022 SERA TINTIN OU NE SERA PAS

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10:31 Publié dans HUMOUR | Lien permanent | Commentaires (0)

2022 SERA HADDOCK OU NE SERA PAS

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2022 SERA CASTAFIORE OU NE SERA PAS

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2022 SERA TOURNESOL OU NE SERA PAS

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mercredi, 29 décembre 2021

DESMOND TUTU, L'HUMORISTE

Petite histoire racontée par Desmond Tutu, l'archevêque sud-africain, incroyable héros de la lutte non-violente contre l'apartheid mort le 26 décembre, un jour où, monté sur scène, il s'adressait à un public nombreux : « On est le 24 décembre au soir. C'est Saint Joseph qui s'adresse à l'aubergiste : "Aidez-moi, ma femme est en train d'accoucher". L'aubergiste répond : "Mais je n'y suis pour rien !" [rires dans la salle] Et Saint Joseph réplique : "Mais moi non plus, je n'y suis pour rien !" [large éclat de rire dans la salle] ».

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Entendu le 27 décembre au matin sur l'antenne de France Culture.

vendredi, 24 décembre 2021

AMIN MAALOUF : LE NAUFRAGE DES CIVILISATIONS

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Je viens de lire Le Naufrage des civilisations, livre écrit par Amin Maalouf (Grasset, 2019). Le seul titre en dit déjà long sur la filiation dans laquelle s'inscrit l'auteur. Je citerai pêle-mêle Comment tout peut s'effondrer (Seuil, 2015) de Pablo Servigne et Raphaël Stevens ; L'Humanité en péril (Flammarion, 2019) de Fred Vargas ; L'Âge de la régression (Premier parallèle, 2017), ouvrage collectif ; Au Temps des catastrophes (La Découverte, 2009) d'Isabelle Stengers ; Le Basculement du monde (La Découverte, 1997) de Michel Beaud. Il y en a pas mal d'autres, évidemment, et de plus marquants. Au premier rang, je citerai Günther Anders, le plus radical, avec L'Obsolescence de l'homme (L'Encyclopédie des nuisances et Ivréa, 2002). C'est dans cet ouvrage que l'on trouve une idée qui bouscule très fort.

La plupart des gens dits sérieux ne cessent de penser et de dire que la technique et la science ne sont pas mauvaises en soi, mais seulement à cause des usages qui en sont faits. Il est ainsi de bon ton, entre gens de bonne compagnie, de distinguer entre les applications médicales des radiations nucléaires et la mise au point de la bombe atomique. Anders pense et dit, au contraire, que l'homme, en ne cessant de découvrir les lois les plus secrètes de la Nature (structure de l'atome, fonctionnement du cerveau ou de la cellule humaine, etc.) et d'inventer les machines que cette connaissance rend possibles, fabrique des objets et des processus incommensurables aux limites humaines.

Des objets et des processus tellement plus grands et plus puissants que lui qu'ils échappent à son contrôle, qu'il n'a plus aucune prise sur eux, et qu'il se retrouve en état de servitude par rapport à ses propres inventions. C'est à ce propos qu'il invente la belle expression de « honte prométhéenne », que tous les prosélytes exaltés de l'innovation à tout prix devraient méditer. Anders affirme que l'homme ne s'interdira jamais de mettre en œuvre une innovation, même si elle comporte des risques catastrophiques. 

J'avoue ma surprise quand j'ai lu, à la page 300 du Naufrage des civilisations d'Amin Maalouf une phrase qui va dans le même sens : « C'est presque une loi de la nature humaine : tout ce que la science nous donne la capacité de faire, nous le ferons, un jour ou l'autre, sous quelque prétexte ». Malheureusement, l'auteur poursuit : « Du moins tant que les avantages nous sembleront supérieurs aux inconvénients ». Et c'est là que le bât blesse : il a clairement l'intuition que l'humanité court à la catastrophe, mais il redoute plus que tout les affirmations tranchées, voire péremptoires. C'en est au point qu'il n'hésite pas, dès qu'il le peut, à arrondir les angles trop marqués, à atténuer les formules propres à heurter, comme s'il n'osait pas. Ici, tout est dans le "presque" et le "du moins".

Cette obsession de la nuance qui court tout au long du livre en affadit selon moi le propos et en diminue la portée. J'en viens à me demander pourquoi il a accepté de garder un titre aussi violent ("Naufrage") pour couronner son travail d'écriture, que vient contredire son constant effort pour estomper les contrastes. Je comprends bien qu'Amin Maalouf ne tient pas à encourir le reproche souvent fait à l'époque présente de préférer l'anathème au débat démocratique et l'injure à l'argumentation rationnelle. Mais à mettre aussi fortement la demi-teinte à l'honneur, je me dis que c'est toute l'intention de l'ouvrage qui en pâtit. C'est l'impression qui a été la mienne quand je l'ai refermé.

Cela dit, il ne faut quand même pas s'y tromper : l'horizon du Naufrage des civilisations, c'est bien le fait que l'humanité est très mal embarquée. Ses chances de survie deviennent de plus en plus minces. La chose étonnante, et qui me laisse un peu sceptique, est qu'il voit l'origine première de cette course à l'abîme dans l'échec des nations arabes et musulmanes à s'ouvrir avec confiance au Progrès. A commencer par son pays d'origine, le Liban, mais aussi l'Egypte, qui sont passés pas loin de la chance que l'Histoire leur offrait de devenir des petits paradis. 

L'évolution de ces deux pays (deux "paradis perdus" aux yeux de l'auteur) inspire à Amin Maalouf une immense tristesse : « A vrai dire, et je l'écris au soir de ma vie avec une infinie tristesse, au lieu de garder l'enfant et de jeter l'eau sale, on a fait l'inverse. On a jeté l'enfant pour ne garder que l'eau sale. Tout ce qui était prometteur s'est rabougri. Tout ce qui était inquiétant et malsain, et qu'on espérait provisoire, s'est installé plus solidement que jamais » (p.82).

L'auteur cite un certain nombre d'événements qui sont à l'origine de cet "état d'âme" destructeur, à commencer par la défaite arabe de 1967, soudaine, imparable, et qui n'a jamais été compensée ultérieurement par des succès : « Le drame que les Arabes d'aujourd'hui nomment simplement "Soixante-sept" fut donc une tournant décisif sur le chemin de la détresse et de la perdition » (p.167). A quelle sorte de « revanche » – militaire ou autre – jamais advenue pense-t-il (p.116) ? Il cite l'année 1973 et la "crise pétrolière" qui, en faisant pleuvoir dans les caisses des pays de la péninsule arabe et de quelques autres un Niagara de dollars faciles, a donné à des puissances rétrogrades tous les moyens de conforter leur pouvoir et le système politico-religieux sur lequel celui-ci est fondé, tout en ouvrant un boulevard aux "révolutions conservatrices" à venir.

L'auteur évoque aussi le cas de l'Iran que les Américains, en chassant le docteur Mossadegh du pouvoir à la demande, affirme-t-il, de Churchill, n'ont pas laissé le pays prendre le virage de la modernité heureuse. Ce faisant, ils ont sans le savoir préparé le chemin à l'ayatollah Khomeiny et à la plus spectaculaire entreprise de régression historique qui soit. Comme si la "nation arabe" souffrait de "haine de soi" : « Bien que risible, et irritante, cette absence de confiance en soi paraît néanmoins bénigne quand on la compare à ce qui émane du monde arabe depuis quelques années, à savoir cette profonde détestation de soi-même et des autres, accompagnée d'une glorification de la mort et des comportements suicidaires » (p.90).

Peut-on réellement voir dans l'incapacité de l'islam à consentir à l'évolution, à la critique, à la modernité l'origine de la décomposition du monde (titre de la dernière partie : "Un monde en décomposition") ? « C'est à partir de ma terre natale que les ténèbres ont commencé à se répandre sur le monde » (p.328). Tout bien pesé, l'hypothèse me paraît exagérée, bien que l'auteur y consacre la moitié du livre (ainsi qu'une part de la troisième partie) : d'accord pour voir les civilisations humaines confrontées comme jamais auparavant à des forces particulièrement dissolvantes, mais pas d’accord pour voir l'origine de cette dissolution généralisée dans l'évolution du seul monde arabe, ça me semble bien réducteur. Comme dit l'auteur lui-même à plusieurs reprises : « Les choses ne sont pas aussi simples ». Plus intéressante et convaincante m'apparaît l'idée de fixer à 1979 l’année où le monde a vraiment basculé. Même si ça déborde un peu sur les années précédente et suivante, ça fait un joli tir groupé, le fil des événements. Jugez plutôt.

En 1979, l'ayatollah Khomeiny chasse le shah Mohamed Réza Palavi et prend le pouvoir à Téhéran, porté par un peuple en folie : le journaliste Amin Maalouf, qui est alors sur place, n'a jamais vu une foule aussi dense dans les rues, une telle exaltation fanatique des masses populaires. En 1979, Margaret Thatcher l'intransigeante devient Premier Ministre de Grande Bretagne, bientôt suivie par Ronald Reagan, élu à la présidence des Etats-Unis. Le point commun ? L'auteur appelle ça la "Révolution Conservatrice". Pour faire bonne mesure, il ajoute l'arrivée au pouvoir à Pékin (pardon : Beijing) d'un certain Deng Xiao Ping, puis l'arrivée de Karol Wojtila sur le trône de Rome, avec son fameux "Non abbiate paura". Et puis il ajoute la fin annoncée de l'U.R.S.S. et les suites ultimes de la crise pétrolière. Ça commence à faire beaucoup. Oui, là, on se rend compte que quelque chose de fondamental s'est produit.

Amin Maalouf consent à examiner pour finir d'autres aspects de la décomposition du monde. Cela commence par la "tribalisation" généralisée : rétraction des groupes humains sur les frontières de leurs communautés respectives, revendication parfois fanatique de toutes sortes d’identités particulières en opposition avec les autres, la promotion médiatique insolente des fortunes échevelées en même temps que le creusement des inégalités, le surgissement du pouvoir de nuisance des « minorités » sur le sentiment de l’appartenance et de l’intérêt général, la difficulté apparemment de plus en plus grande de communautés à cohabiter ou même coexister avec d’autres.

Parmi les facteurs qui ont favorisé l’émergence du sentiment d’hostilité tous azimuts qui s’est répandu sur le monde, Amin Maalouf souligne avec une parfaite justesse l’erreur historique commise par les Etats-Unis lors de l’effondrement de l’U.R.S.S. Il regrette que ceux-ci n’aient pas pris exemple sur Nelson Mandela qui, quand il eut été mis fin au système d’apartheid, rendit visite à l’un des principaux acteurs de celui-ci pour lui affirmer qu’il n’y aurait pas de « vengeance » de la part des noirs.

Au contraire de Mandela, lorsque l’empire communiste éclata en 1991, avec les tentatives de réformes entamées par Gorbatchev (« glasnost » et « perestroïka »), et que des forces s’agitèrent en tout sens, faisant peser des menaces combien plus graves de désagrégation de l’autre puissance nucléaire, avec tout ce que l’on peut imaginer rétrospectivement, l’Amérique, à ce moment-là, a gâché les chances d’établir des relations enfin durablement pacifiées avec le géant russe.

Et même, au contraire, elle a profité de l’apparent K.O. de l’adversaire pour placer des pions dans sa proximité immédiate (Géorgie, pays baltes, Pologne, etc.). Et ce, malgré les avertissements de George F. Kennan, qui avait assez combattu le système communiste pour être pris au sérieux quand celui-ci s’est retrouvé à terre : « Il eut beau répéter qu’en humiliant les Russes, on allait favoriser la montée des courants nationalistes et militaristes, et retarder la marche du pays vers la démocratie, on n’a pas voulu l’écouter » (p.277).

Soit dit entre parenthèses, au lieu de s’alarmer de l’agressivité de Vladimir Poutine, qui est en train de masser des troupes à la frontière de l’Ukraine, on pourrait commencer par demander aux Américains de cesser d’approvisionner l’Ukraine en armes et en « conseillers » militaires, en passant par-dessus la tête des Européens, réduits à n’être que les spectateurs d’une confrontation, s’ils n’en sont pas un jour les victimes. Les U.S.A. n'en sont pas à une erreur historique près.

Pour conclure cette lecture de Le Naufrage des civilisations, d’Amin Maalouf, je dirai que j’en retiens avant tout le ton général : une « infinie tristesse ». Ce qui prime en effet, c’est le sentiment que le monde arabe a raté le « train de l’Histoire », et que non seulement la perte est irrémédiable, mais que tout est là pour que cette situation ne cesse de s’aggraver, sous les coups des groupes djihadistes, du conflit entre sunnites et chiites, des dissensions entre communautés et quelques autres raisons. Certes, quand l’auteur parle des « Arabes » en général, on serait en droit de lui demander ce qui lui permet de les mettre tous dans le même sac, mais il faut lui laisser ce sentiment d’appartenance à cette généralité.

J’ai cependant du mal à le suivre dans son analyse et à voir un lien de cause à effet entre ce qui se passe dans le monde arabe et ce qui se produit depuis quarante ans dans le monde globalisé. Et j’ai assez parlé de l’usage quasi-maniaque d’atténuatifs de toutes sortes, des affirmations les plus prudentes et modérées pour ne pas insister.

Il me restera de ce livre un témoignage fort : celui d’un homme en éveil resté toute sa vie très à l’écoute de tout ce qui l’entoure ; celui d’un humaniste qui nourrissait les plus grands espoirs d’épanouissement et d’émancipation pour l’espèce humaine ; mais pour finir celui d’un septuagénaire désenchanté, effaré et effrayé d’assister impuissant à la montée implacable des « ténèbres » qui menacent de nous engloutir.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 21 décembre 2021

REISER VÉNÉRAIT NOËL

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lundi, 20 décembre 2021

TOUT VA DE MIEUX EN MIEUX !!!

Pendant que Christiane Taubira vient semer son caca dans une gauche qui s'avançait déjà, bravement hétéroclite et désunie, vers la plus retentissante défaite de sa carrière ;

Pendant que Sandrine Rousseau, la petite écolo trop heureuse de donner une coup de poignard amical dans le dos de son ami l'écolo Yannick Jadot, applaudit à grand fracas l'entrée en scène de la Guyanaise haineuse (les médias sont friands de ces scissions sanglantes) ;

Pendant qu'Emmanuel Macron, qui a décidé de n'être absent d'aucun bulletin d'information, se confesse en public pour attendrir — croit-il — son futur électorat victorieux et s'enorgueillit par anticipation de tout ce qu'il n'a pas encore fait ;

Pendant que les municipalités passées sous la férule de Khmers verts plus ou moins djihadistes (dernière trouvaille : foie gras interdit dans les buffets offerts par la mairie de Lyon) font pressentir la terreur à venir sur le mode de vie des gens ordinaires ;

Pendant que tous ces petits hommes s'agitent en tout sens en maniant fiévreusement la touillette dans la tasse qui leur sert de bocal, de monde et d'horizon ;

La vraie actualité parvient de temps en temps à se frayer un chemin vers les journaux (les sérieux et les autres), parfois même à se hisser jusqu'à la une. Quelques exemples.

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L'HÔPITAL.

A tout seigneur tout honneur.

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Le Un Hebdo, 1er décembre 2021.

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Le Progrès, 7 décembre 2021.

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LE CLIMAT.

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Le Monde, 14 décembre 2021.

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Le Monde, 18 décembre 2021.

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LA JUSTICE EN FRANCE.

L'Union Syndicale des Magistrats (le syndicat "conservateur") a appelé dernièrement à manifester dans les rues pour protester contre l'étranglement de l'institution judiciaire.

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L'ENSEIGNEMENT PUBLIC.

Sans boussole de l'école à l'université, la devise est désormais : « FLUCTUAT ET MERGITUR ». Plus personne n'est en mesure de donner le cap, qu'il s'agisse de ce qu'il faut enseigner, de la façon de motiver des gens de qualité à venir affronter une jeunesse de plus en plus rétive à se laisser instruire, ou de la nécessité même d'orienter chaque élève selon ses talents propres et non selon la doctrine qui consiste à vouloir coûte que coûte attribuer à chacun – et ce, quel que soit son mérite – un papyrus dépourvu de toute valeur (Baccalauréat).

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Le tableau d'ensemble est sinistre.

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ET MAINTENANT JOYEUX NOËL !!!

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Dessin de Reiser.

jeudi, 16 décembre 2021

THE NEW FOOL ON THE HILL EN 2021

Voici The Fool on the Hill (titre d'une chanson des Beatles) vu par Gotlib en 1972 ("Ils étaient quatre", Rubrique-à-Brac Intégrale, p.266-267). Notez l'insecte (voir l'image suivante).

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Et voici The New Fool on the Hill, en 1979, vu par Reiser :

UNE PHILOSOPHIE !!!

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Il voyait loin, Reiser.

mercredi, 15 décembre 2021

MACRON : DÉCLARATION EXCLUSIVE

ENFIN LA VÉRITÉ !!!

Après quelques apéros pris au bar de l'Elysée, le président à livré en exclusivité cette confidence à notre revue :

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Croquis de Reiser en 1979.

mardi, 14 décembre 2021

LE DERNIER MODIANO

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Je viens de lire Chevreuse, de Patrick Modiano. Quand on dit "le dernier Modiano", on se demande d'abord comment il faut comprendre la formule : dernier paru ou alors der des ders ? Cette question, il y a fort longtemps, avait donné lieu à un quiproquo à la fin d'une belle rencontre avec le poète Jean Mambrino, qui m'avait clairement fait entendre que son prochain livre serait le dernier, ce qu'il avait tout aussi clairement démenti ensuite lorsque j'avais publié le propos. A qui se fier, je vous le demande ? Surtout de la part de Mambrino, jésuite, poète inspiré et membre alors éminent de la revue Etudes.

Bref, je viens de lire Chevreuse, le "dernier" Modiano. Avec Modiano, vous savez ce que c'est, on commence la lecture, et puis on continue ... ou pas, ça dépend de l'humeur du moment. Oui, certes, les noms des personnages ne sont pas les mêmes que dans les livres précédents. Oui, certes, le personnage principal (je n'arrive pas à dire "le héros") visite des lieux différents et porte un autre nom que dans les autres livres. Oui, certes, l'agencement des situations et des événements (si on peut appeler ça ainsi) ne ressemble pas exactement à ce que l'auteur a déjà écrit auparavant.

Mais grosso modo, ça ressemble quand même diablement. Par exemple, on a encore envie, comme avant, de voir dans ce personnage un double de l'auteur en même temps qu'un être de fiction. Car on retrouve la même indécision, le même embarras, la même perplexité dans les relations que celui-ci entretient avec les autres et avec les lieux. La même indécision, le même embarras qui affecte l'élocution de Patrick Modiano quand il lui vient l'idée d'accepter de répondre à des questions de journalistes, et qui l'empêche de finir de façon intelligible une phrase qu'il vient de commencer. J'ai même l'impression que ça s'aggrave avec le temps.

Plein de "peut-être", de brouillard et d'interrogations, Jean Bosmans (c'est ainsi qu'il se nomme) avance toujours en somnambule dans une vie mal ancrée dans la réalité concrète. Il n'est pas jusqu'aux époques de sa vie qui n'entretiennent le flou, de l'enfance au temps présent en passant par la séquence où se produit la majeure partie du récit, et qui ne s'enjambent, superposent et confondent. Et puis à quel moment de l'existence de Jean Bosmans se passe le présent du récit rapporté dans le livre ? 

Toutes sortes de choses ne cessent de se bousculer dans sa tête : des paroles, des visages, des vers, des endroits, d'autres temps présents ... Au point que Jean Bosmans apparaît à plusieurs reprises comme le petit garçon des contes, perdu dans la forêt des signes et des souvenirs. Inutile d'insister, je pense, sur l'extraordinaire maestria d'un écrivain capable de provoquer chez le lecteur un tel effet de trouble et d'égarement. J'ai beau être habitué, à force, Modiano parvient encore à écarquiller mes neurones : chapeau l'artiste. Mais on ne sort guère de cette façon, propre à Modiano, de faire des livres, qui finit par paraître érigée en système.

Bon, jouons le jeu. On apprendra ici que Jean Bosmans est écrivain (tiens donc !). Que sa principale "amie" du moment se nomme Camille Lucas, dite "Tête de mort". Celle-ci le met on ne sait comment en relation avec Martine Hayward, qui se fait conduire à une maison dans le village après Buc, dans la banlieue parisienne, où elle désire louer une maison dans la rue du Docteur-Kurzenne. Comme par hasard, Jean Bosmans a été enfant dans cette maison, qui appartenait à la même Rose-Marie Krawell qu'à ce moment. Comment cela se fait-il ? Abîme de perplexité.

Il y a aussi un appartement à Auteuil où il se passe de drôles de choses la nuit : quand Bosmans appelle au AUTEUIL 15.28, numéro d'une ligne désaffectée, il entend de drôles de dialogues entre un nombre indéterminé d'interlocuteurs qui se donnent de drôles de rendez-vous dans cet appartement, pour s'y livrer en toute confidentialité à diverses pratiques sur des canapés très larges et très bas.

Le jour, quand il se présente à l'appartement, tout semble très normal : Bosmans se voit tenir compagnie et faire la conversation à une baby-sitter nommée Kim, qui n'est là que pour garder un petit garçon qu'on ne verra guère. Déjà, dans Souvenirs dormants, il y avait une femme qui avait vécu dans un immeuble cossu en compagnie d'un petit garçon. Le petit garçon est-il Jean Bosmans ? Est-il Patrick Modiano ? Et de jour le numéro de téléphone réellement en service n'a rien à voir — quoique, après tout, les derniers chiffres ...... allez savoir. On nage dans l'incertitude.

Il y a aussi un René-Marco Heriford, un Philippe Hayward, un Michel de Gama ou Degamat, trois larrons en foire, dont le premier a sans doute détourné pas mal d'argent de Mme Krawell au titre d'héritier présomptif. Et puis il y a un certain Guy Vincent, qui a inscrit un jour ancien, en toutes lettres, le nom de Jean Bosmans dans son agenda : Jean devait avoir neuf ans et le nommé Guy Vincent lui avait offert une boussole qu'il avait gardée précieusement jusqu'au jour où il ne l'a plus retrouvée, ce dont il reste encore fort marri après tant d'années. Je trouve que le truc de la boussole, pour un personnage (et un auteur ?) qui ne cesse d'errer dans le monde réel sans savoir où se trouve le Nord, c'est assez bien trouvé.

Mais Guy Vincent ne valait peut-être pas mieux que les trois autres. Est-ce lui qui a fait de la prison ? On raconte aussi (et Jean Bosmans a des souvenirs un peu précis de la chose) qu'un jour ils sont venus au deuxième étage de la maison de la rue du Docteur-Kurzenne, qu'ils ont détruit une cloison, qu'ils ont dissimulé plusieurs drôles de colis dans la cache, et qu'ils ont soigneusement reconstitué la cloison jusqu'à effacer toute solution de continuité.  Qu'ont-ils caché avec tant de soin ? On le saura (peut-être ou peut-être non) dans la dernière page, qui ne peut s'empêcher d'apparaître comme une libération, mais en demi-teinte, en demi-ton et en échappatoire. En tout cas, Jean Bosmans est bien décidé à ne rien dire aux quelques personnes qui se sont mis en tête de mettre la main sur le "trésor".

Dans l'aviation de chasse d'aujourd'hui, pour le peu que je peux en connaître, on use de "techniques évasives" pour échapper aux missiles de l'ennemi. Parmi les techniques à disposition, il est possible d'envoyer des leurres thermiques pour faire exploser les missiles à bonne distance de leur cible. J'ai déjà évoqué dans le passé la littérature évasive (18 décembre 2020) qui sort de la plume de notre Prix Nobel. Après avoir lu Chevreuse de Patrick Modiano, quoique sans avoir explosé loin de ma cible, je reste sur l'impression d'avoir été une fois de plus leurré par l'auteur, et dans les grandes largeurs. On peut aussi appeler ça l'art de brouiller les pistes : je n'apprends rien à personne.

Insaisissable et irritant, intéressant et frustrant. Modiano ou le séducteur paradoxal.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Je ne saurais passer sous silence un détail qui m'a interpellé plus que de raison : la mention par Jean Bosmans, à quelques reprises, d'un « ascenseur à l'ancienne ». Il y a bien des chances que cette formule ne dise strictement rien à des gens qui n'ont pas mon âge. Pourtant elle éveille chez moi l'image tout à fait précise de l'ascenseur du 5, rue Valentin-Haüy (prononcer "ui"), que nous empruntions pour regagner l'appartement du sixième étage, dans les années 1950.

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Modiano note l'incroyable lenteur du véhicule monté sur son énorme vérin hydraulique. J'ignore si le sien se voyait traversé par un câble métallique orné à chaque étage d'une pièce métallique qui faisait entendre un étrange bruit de tuyauterie quasi digestive lors de son passage dans la tubulure.

lundi, 13 décembre 2021

MESSI, C'EST TOI LE MEILLEUR !!!

Ce matin, j'ouvre innocemment le numéro du Monde Diplomatique d'Octobre 2021 pour y lire l'article de Guillaume Pitron : « Quand le numérique détruit la planète ». Intéressant et instructif, l'article. Un peu catastrophiste par son titre, mais il soulève malgré tout une question que je me pose depuis l'avènement fracassant de Greta Thunberg et des manifestations de jeunes pour le climat : c'est très beau de manifester dans un but louable, mais cela n'entre-t-il pas en minuscule contradiction avec la prédilection de la même jeunesse pour les outils numériques, au premier rang desquels trône le "smartphone" avec, pour entrer dans sa fabrication, l'impressionnante collection de corps chimiques divers, dont les désormais fameuses "terres rares" (lanthanides et actinides dans le tableau de Medeleïev) ? Je pose juste la question. L'article occupe les pages 17 et 18 de la revue, en plus de l'appel de une.

Ce qui m'intéresse ici, c'est plutôt l'article qui occupe la page 21, signé Marc Billaud : « Le footballeur et le chercheur ». Où l'on apprend que le budget annuel du G.I.E.C. est de six millions d'euros. Dans un premier temps, je me dis que c'est une belle somme, ces millions alloués au "Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat", cet organisme réunissant des milliers de chercheurs dans 195 pays. Et puis j'apprends dans la foulée que la rémunération moyenne des patrons du C.A.C. (Compagnie des Agents de Change) 40 passera de 3,8 millions d'euros en 2020 à 5,3 millions d'euros en 2021. Voilà une idée qu'elle est bonne pour bien faire entrer dans le crâne des scientifiques qu'ils ne sont que des pouilleux et que leurs avis sur la catastrophe prochaine, ils peuvent se les coller quelque part.

Mais le meilleur de l'article restait à venir, où l'on apprend cette fois que certaines rémunérations sont capables de s'élever jusqu'à la stratosphère et de se perdre dans l'espace intersidéral. Lionel Messi, le prodige barcelonais du ballon rond récemment transféré dans l'équipe arabo-pétrolière (Qatar) du Paris-Saint-Germain, a en effet déjà commencé à gagner, au sein de sa nouvelle "team" et quelles que soient ses performances, le modique argent de poche de 110.000 euros par jour. Je répète : 110.000 euros par jour. Autrement dit : quarante millions d'euros par an (je répète : 40.000.000 € par an). Pour un seul bonhomme. Le plus curieux dans cette affaire, c'est que cette information ne suscite pas le moindre débat, la moindre polémique, la moindre récrimination dans la population. Personne pour marcher dans la rue en criant « Halte au scandale des rémunérations délirantes !!! ». Je suis même prêt à parier que les amateurs de spectacles sportifs justifient cette somme totalement déraisonnable par le talent de son bénéficiaire. 

Enfin, tout ça pour dire que voilà où l'on en est, dans le monde d'après : pire que dans le monde d'avant. Quant à l'écologie et à la lutte contre le réchauffement climatique, l'humanité peut se brosser. Tout juste peut-on noter quelques initiatives du côté des communes converties à la couleur verte depuis les dernières municipales : elles ne connaissent qu'un refrain : l'écologie punitive.

On se demandera peut-être pourquoi j'ai classé ce billet dans la catégorie "L'état du monde". J'espère que la réponse ne fait pas de doute. 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 11 décembre 2021

TOUT VA MIEUX !!!

Ni pessimiste, ni optimiste : objectif !!!

LA POLITIQUE EN FRANCE.

Je ne suis pas sûr qu'on puisse trouver dans les époques précédentes une telle médiocrité, voire une telle insignifiance dans le personnel politique qui aspire à prendre en 2022 la direction de la France.

Macron est-il un "Homme d'État" ? Qu'est-ce qu'un "Homme d'État" ? Au premier abord, on pense à quelqu'un qui se fait "une certaine idée de la France" (suivez mon regard) ? En tout cas, quelqu'un qui met sa petite personne au service entier de la nation dont il prend le destin en main. Je veux dire qui subordonne cette petite personne à l'ambition qu'il assigne au pays avec l'assentiment des gens qui l'ont élu. C'est aussi quelqu'un qui se montre capable d'entraîner derrière son étendard assez de forces pour que ce soit le pays entier qui se mette en mouvement.

A entendre les nombreux, abondants et ronflants discours qu'Emmanuel Macron n'a cessé, et ne cesse de prononcer avec plus ou moins d'emphase, on a presque envie de le créditer de la noble appellation d'"Homme d'État". Malheureusement, ce qui me dissuade de le faire, c'est l'impressionnante déconnexion qu'il donne à observer entre ses paroles et les effets de ses paroles dans la réalité basse et concrète.

Le dernier exemple en date de cet écart ("gap" pour faire branché) est le programme qu'il a annoncé pour l'exercice français de la présidence du Conseil de l'Union Européenne : grandiose ! On va faire avancer l'Union, on va refonder Schengen, on va ..., on va ..., on va ... Le tout proclamé à sons de trompe, à la cantonade et à tous vents, genre : « Vous allez voir ce que vous allez voir ! », pour être sûr de bien indisposer les partenaires européens par la posture prophétique.

Les Allemands, eux, quand ils entreprennent de former un gouvernement après leurs dernières élections législatives, ils font ça sérieusement, "à l'allemande" : on met deux cent cinquante négociateurs (n'oublions pas les négociatrices en ces temps de féminisme policier) bien décidés à prendre le temps qu'il faudra pour constituer une plate-forme commune (définition précise et contraignante des articles du programme, répartition des postes, etc.) qui permette l'exercice commun du pouvoir. Pas de grande proclamation : environ deux mois plus tard, on publie le résultat de ces négociations, qu'on peut imaginer âpres et méticuleuses.

Tout le monde a compris à quel carburant tourne le moteur d'Emmanuel Macron : le vent, la soufflette, la gonflette, la boursouflette. Il ferait très bien en éolienne : du vent, c'est ce qu'il lui faut pour avoir l'impression d'agir. Sauf qu'il n'est pas encore branché sur le réseau : entre lui et la réalité, le courant ne passe pas. Moi qui le traitais de "baudruche" dans un billet de février 2017, avant la présidentielle, je ne croyais pas si bien dire.

En même temps (cette formule !!!), il ne faut pas oublier que pendant qu'il cause, le capitalisme sauvage, dont Macron reste un militant fanatique, quoique discret, continue à étendre ses ravages dans l'économie française, comme le montre le dernier exemple en date : la fonderie S.A.M. dans le bassin de Decazeville dans l'Aveyron. Et je n'évoque que pour mémoire le naufrage de la médecine hospitalière ou de l'institution judiciaire.

Il y a des probabilités pour que le prochain président de la France se nomme de nouveau Emmanuel Macron. En face de lui, qui ? QUI ? Passons très vite sur ce qu'il reste de la gauche : de Mélenchon le va-de-la-gueule à Jadot qui fait semblant de croire en son étoile, et du coco presque anonyme qui se prépare à recueillir 1,78 % des voix à la pauvre Anne Hidalgo, victime expiatoire de tous les méfaits commis par le Parti Socialiste à l'encontre des travailleurs, il n'y a plus personne.

En revanche, à droite, on a le vent en poupe, et les parts de marché semblent assez copieuses pour nourrir les appétits. Marine Le Pen ? On connaît son incompétence en matière économique. On a une idée de ce qu'a des chances de donner dans les urnes sa politique de "dédiabolisation". Eric Zemmour ? Désolé : impossible pour moi de prendre ce guignol au sérieux. Je me dis que cette candidature farcesque, qui peut croquer quelques mollets au Rassemblement National, c'est tout bénef pour Macron. Reste Valérie Pécresse, à propos des chances de laquelle je me garderai de tout pronostic, tant j'ignore tout de la cuisine propre aux "Républicains" en général et à la gestion de la Région Île-de-France en particulier. 

Moralité et conclusion : qu'il s'agisse de l'actuel Président et bientôt candidat ou des concurrents plus ou moins sérieux et crédibles, déclarés ou à venir, je reste effaré par la petitesse, la bassesse, l'insignifiance de tout le personnel qui se présente aux suffrages des Français. Je me pose la question : le peuple français a-t-il les élites qu'il mérite ? Si tel est le cas, ce serait le signe d'une effrayante déliquescence de l'âme collective. Et j'ai malheureusement l'impression que tel est le cas. Il est aussi possible que ce soit le système de sélection des élites en lui-même qui aboutisse à l'élimination des gens dotés des capacités, de la volonté, de l'intelligence et du charisme qui font "l'Homme d'État". 

Tout ce qu'on peut constater, c'est qu'il n'y a pas d'Homme d'État parmi les personnalités les plus en vue dans les médias, dans les Assemblées ou dans les Ministères. Ceux qui pourraient prétendre à ce titre sont soigneusement écartés par les gens en place. Partout ce ne sont que premiers de la classe qui se rêvent en apprentis épiciers, petits chefs de bureau, comptables plus ou moins experts, mais bénéficiant de la voiture de fonction et autres signes du pouvoir (la cave de l'Hôtel de Lassay suscite paraît-il de terribles convoitises). 

La France, elle, peut aller se rhabiller.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 29 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

… par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

2

C'est après le rappel de ces deux épisodes ultra-violents que commence l'histoire d' « Elise » proprement dite. "Dix ans plus tard, dans le nord de Paris", on est au début des années 1970. Une chouette bande de chics copains met la dernière main à la confection d'honnêtes cocktails Molotov au dernier étage d'une tour. Hélas, le mélange est instable et explose à la gueule d'Elise. La bande s'échappe de justesse, Elise est gravement brûlée. C'est à peu près le même jour qu'un certain Pierre Overney, militant d'extrême-gauche, est tué d'une balle en plein cœur par un vigile des usines Renault, Jean-Antoine Tramoni, qui sera tué à son tour quatre ans plus tard. Tout ça dépeint assez bien une certaine figure d'une époque.

LES COCKTAILS.jpg 

Sur son lit de souffrance et couverte de pansements, Elise, tout en pensant à ses camarades, à Simon, son compagnon, fait alors défiler les images de sa vie : la fin de sa scolarité au lycée Edgar Quinet, sous la houlette d'une prof de philo (Jeannette Colombel, nous dit l'encyclopédie en ligne) dont l'enseignement est loin d'être neutre, d'un prof d'arabe (dont je pense que quelqu'un pourra me dire le nom) et plus globalement d'une prise de conscience du fait que le monde est injuste et mal fait, et qu'il attend qu'on agisse pour le faire un peu meilleur. 

GRANDE BRÛLEE.jpg

Toute à son combat contre un ordre public qu'elle juge injuste et violent, Elise a cependant une autre passion : la chanson et accessoirement le théâtre. Elle croise la route d'un certain nombre de futurs acteurs célèbres (je reconnais Jean Rochefort, Michaël Lonsdale, Philippe Noiret, etc...) et de chanteurs.

LES ACTEURS.jpg

Elle publie aussi quelques disques 45 tours de chansons qui, écrites par d'autres, lui déplaisent. Elle rencontre ensuite celui que je crois être Guy Béart (non nommé), avec qui elle travaille, jusqu'à sortir un disque de chansons personnelles produit par lui.

AVEC GUY BEART.jpg

Elise va trouver un moyen de marier la chanson et le combat social : la chanson engagée. Le fait que je ne supporte pas le genre n'a aucune importance : désolé, mais « La Goutte d'Or c'est son nom, C'est pas un beau quartier, Vu que ceux qui y habitent, C'est pas des PDG », ce n'est vraiment pas mon truc, même si je garde toujours quelque part "Larzac 73", un beau vinyle, comme quelques CD de Marc Ogeret ou Colette Magny, que je n'écoute jamais. Elle chante dans les usines, pour les ouvriers en grève : « Il était temps que j'écrive des chansons plus combatives ». N'en déplaise à la chronologie, on a droit au récit des manifs et des violences au Quartier Latin. Et puis arrivent l'été 1968, les vacances, le reflux des luttes, enfin pas pour tout le monde : « J'ai appelé mon producteur pour lui dire que j'arrête le métier. Je veux chanter pour ceux qui luttent, pas pour devenir une star du showbiz ». 

Je passe sur les aventures, mésaventures, coups et contusions. Je passe sur les chansons engagées (« Nous sommes les nouveaux partisans Francs-Tireurs de la guerre de classe, Le camp du peuple est notre camp, Nous sommes les nouveaux partisans », chante-t-elle le poing bravement levé) qui ne montrent à mon avis que les illusions que l'on peut nourrir quand on croit pouvoir changer l'ordre des choses par la magie des "luttes". Je passe sur la "clandestinité" dans laquelle il a fallu vivre pendant un temps. Je passe sur les six semaines de tôle qu'Elise passe à la Petite Roquette pour « violences, voies de fait et outrages envers des agents de la force publique ». Il faut conclure.

On aura compris que si je partage les analyses que propose Elise et les nouveaux partisans sur la façon dont la société est organisée, je trouve vaine, pour ne pas dire dérisoire, la croyance d'un noyau d'exaltés plus ou moins sectaires dans la possibilité de "transformer le monde". Le dérisoire me saute aux yeux quand j'apprends (c'était il y a quelques années) que des groupuscules d' « identitaires » se fournissent dans les mêmes boutiques de sapes que les groupuscules d' « antifa ».

Il y aurait également beaucoup à dire de l'usage du mot "PARTISAN" dans le titre et dans le texte : franchement, c'est quoi l'histoire qui trotte dans la tête de ceux qui se qualifient de "nouveaux partisans" ? Est-ce bien sérieux ? Pourquoi pas "Franc-Tireur", pendant qu'on y est ? Il suffit, pour redescendre du petit nuage romantique-révolutionnaire, de voir comment se sont achevées les aventures des adeptes de la lutte armée en Europe occidentale : Rote Armee Fraction (R.F.A.), Cellules Communistes Combattantes (Belgique), Action Directe (France), etc. Eux étaient certes de vrais illuminés, mais aussi de vrais partisans. Seulement, comme aurait dit ma grand-mère, ils avaient les yeux plus grands que le ventre et prenaient leur vessie pour une lanterne. Partisan, vraiment ? Des mots, des mots, des mots.

On aura compris aussi que presque toute la "chanson engagée" m'horripile au plus haut point. Je suis d'un effroyable — et sans doute coupable — pessimisme : oui, ce sont les hommes qui font l'histoire, mais ils ne savent rien de l'histoire qu'ils font. On me rétorquera, et on aura raison : seul compte le désir qui fait de la résistance.

Reste précisément le parcours heurté d'une résistante sans concession, d'une chanteuse engagée à ses risques et périls : un parcours passionnant au bout du compte. Reste aussi et surtout un ouvrage irremplaçable pour qui veut se faire une idée du morceau d'histoire que la France a traversé entre, mettons, l'arrivée de De Gaulle au pouvoir et la fin des "années Giscard". Il est intéressant en particulier de se rendre compte que l'usage de la police par le pouvoir contre toutes sortes d'opposants (manifestants contre les lois "retraite", gilets jaunes, etc.) n'a guère changé, à part la pèlerine, à laquelle les pandores préfèrent aujourd'hui la cuirasse de Robocop.

Reste enfin un ouvrage dont la puissance du dessin donne une dimension inattendue, presque extraordinaire, au bouillonnement d'idées, de débats et de combats dans lequel a baigné une génération entière. Jacques Tardi, qu'il le veuille ou non, magnifie l'époque et les personnes. Je ne dirai pas qu'il les héroïse, mais c'est tout juste : la vision du monde que propose le livre serait manichéenne que ça ne m'étonnerait pas. Heureusement, le récit ne tombe jamais dans le lyrisme. 

Je ne saurais achever ce petit compte rendu sans évoquer l'aventure vécue par "Elise" dans les toutes dernières pages du livre : son débarquement surprise en 1977 dans l'équipe joyeusement anarchiste qui se préparait à lancer B.D. L'hebdo de la BD.

BD OURS 2.jpg

L' "ours" du n°2 de B.D. L'hebdo de la BD.

L'équipe de Charlie Hebdo, quoi ! Encore une idée du professeur Choron, aussi éphémère que bien d'autres des idées germées dans ce cerveau exalté, surchauffé, surtout après les copieuses libations dont il était coutumier.

ELISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS.jpg

Je ne les reconnais pas tous : Gébé hilare, Elise-Dominique, le crâne de Choron, la barbe de Tardi, la moustache de Cavanna, au fond Wolinski et sans doute Reiser au premier plan. Je cherche Cabu sans vraiment le trouver (le grand benêt debout à gauche ?). Il n'y en a plus des masses de vivants. Merci Tardi pour la photo.

C'est dans cette équipe que la dite "Elise" va faire peut-être la plus belle rencontre de sa vie : un auteur de BD qui livre à la nouvelle revue les planches d'une adaptation de Griffu, un roman de Jean-Patrick Manchette, un bijou de roman noir dessiné. C'est évidemment Jacques Tardi, avec qui Elise-Dominique Grange va finir, sans rien abandonner de sa force de conviction révolutionnaire, par donner une stabilité à la fureur mouvementée de ce qui a précédé. On n'en saura pas plus, comme dans les contes de fées. Il ne s’agit pas d’un conte de fées. Un livre fort.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 28 novembre 2021

ÉLISE ET LES NOUVEAUX PARTISANS ...

2021 TARDI ELISE.jpg

... par JACQUES TARDI ET DOMINIQUE GRANGE.

1

Je viens de lire le dernier livre de Jacques Tardi. Ce prodigieux dessinateur, d'Adèle Blanc-Sec (rien que le choix de ce nom !!!) à Brindavoine (ce nom !!!) et de la Commune de Paris (selon Vautrin) à la Guerre des Tranchées en passant par quelques adaptations de polars de Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, a trouvé un style, un trait capables, quand il lui prend l'idée de transposer des polars en B.D., de faire vivre intensément personnages, situations et actions de la façon la plus expressive tout en restant fidèle comme c'est pas permis aux contours et à la ligne définis par les auteurs (vous pouvez vérifier avec La Position du tireur couché par exemple).

Pour ma part, je lui sais particulièrement gré de la façon dont il fait apparaître, dans les nombreux volumes qu'il consacre à cette immense boucherie de la civilisation, la vie réelle des "poilus" de 14-18, du paysan devenu bidasse promis à l'abattoir jusqu'au général cynique (Berthier, je crois), qu'il fait déclarer sur toute une vignette que c'est tout à fait volontairement qu'il a fait tirer par l'artillerie française sur une tranchée française où les soldats rechignaient à partir à l'attaque. 

De mon côté, si j'ai commencé à collectionner les photos de monuments aux morts de la Grande Guerre, je ne le dois pas à Jacques Tardi : l'horreur s'est imposée d'elle-même quand je me suis mis à lire les noms gravés dans les villes et villages que je traversais. C'était une prise de conscience, cela se passait en 1976 dans la région des Causses : La Cavalerie, Creissels, Roquefort etc., dans des circonstances qui ont pris avec le temps une petite couleur "historique". C'est quand j'ai vu que certaines familles avaient perdu quatre, cinq (ou davantage) membres et que les poils de mes bras se sont hérissés que j'ai eu une idée presque physique de l'horreur de ce qui s'était passé entre 1914 et 1918.

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Jacques Tardi en 1988, photographié par Jean-Marie Huron lors de sa venue à Lyon pour une signature de 120, Rue de la gare, chez Adrienne Krikorian, fondatrice de la librairie Expérience, rue du Petit-David.

Cette guerre m'est apparue comme l'événement fondateur, comme l'éblouissant révélateur : le triomphe imbécile de la technique et de l'industrie capitaliste, avec pour conséquence l'écrasement de tout ce qu'il y a d'humain en l'homme, corps et âme, comme l'a montré toute la suite du XXème siècle (Auschwitz, Hiroshima, etc.). Toute ma vision du monde en a été affectée, et de façon définitive. Quelques lectures (avec Günther Anders pour chef-pilote) ont achevé de me faire tomber du côté de ceux qui refusent cette réalité où rayonnent les fausses promesses d'un progrès réduit à l'univers matériel et à l'émerveillement prosterné, infantile et fatal devant des "prouesses" techniques qui surpassent tout ce que peut réaliser le pauvre humain, et dont il devient de fait le serviteur quand ce n'est pas la victime.

La force des livres de Tardi sur la première guerre mondiale réside dans sa volonté de décaper le vernis qui tend à faire de simples ouvriers et paysans envoyés au front de magnifiques héros, et des anciens combattants en béret rouge, poitrails couverts de médailles et autres porte-drapeaux à cheveux blancs d'authentiques patriotes.  Selon moi, l'une des lignes de conduite qui sous-tend tout le travail de Jacques Tardi est de ne pas se payer de mots. Ça tombe bien : moi non plus. D'où peut-être sa parenté (fraternité ?) spontanée avec des auteurs de polars ou "noirs" comme Léo Malet ou Jean-Patrick Manchette, qui n'y vont pas avec le dos de la cuillère avec l'humanité grouillante. D'où, accessoirement, l'évidence de son beau geste quand il a refusé la Légion d'Honneur offerte par je ne sais plus qui.

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Le docteur Grange et sa fille. Tardi a-t-il travaillé d'après photo ?

Alors venons-en à ce bouquin, Elise et les nouveaux partisans (Claire Etcherelli a publié en 1967 une Elise ou la vraie vie qui eut son heure de gloire : y a-t-il un rapport ?).  Disons-le d'entrée : Elise, le personnage principal, n'est pas exactement la compagne de Tardi, mais sa trajectoire suit de très près celle de Dominique Grange, qui est, elle, son épouse (depuis 1983, encyclopédie en ligne). Elle est fille d'un grand médecin qui avait son sombre cabinet d'oculiste (on ne disait pas ophtalmo) Boulevard des Belges. C'est chez ce docteur charmant et compétent que mes parents m'envoyaient me faire examiner les yeux : c'était le confrère et ami de l'excellent docteur Paliard. J'avais donc quelques raisons.

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Ceci pour dire que Dominique Grange vient d'un milieu bourgeois, c'est-à-dire confortable. Mais qu'elle a très tôt pris les chemins de traverse, elle qui s'est trouvée en résonance profonde et décisive avec les propos alors subversifs de sa prof de philo (non nommée, mais on apprend par ailleurs qu'il s'agit de Jeannette Colombel, dont il m'est arrivé de croiser la route, en particulier à la fin de sa vie, à la terrasse de la Brasserie des Ecoles) au lycée Edgar Quinet : le temps de la guerre d'Algérie et des porteurs de valises du F.L.N., de La Question d'Henri Alleg, etc.

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Elle a même commencé à apprendre l'arabe, à Quinet, avec un prof originaire de Sétif, à quoi son père a mis fin parce que ce n'était « pas au programme du bac ». Le prof d'arabe non plus n'est pas nommé, mais je connais quelqu'un qui doit pouvoir combler cette lacune.

Le bouquin de Tardi est bâti sur le scénario écrit par Dominique Grange qui, en gros et dans les grandes lignes, raconte sa vie, qui fut mouvementée, inséparable de l'extrême-gauche agissante, et par là même violente, sans aller toutefois jusqu'à la lutte armée. Le livre s'ouvre d'ailleurs sur la violence que le préfet Maurice Papon fait s'abattre, le 17 mars 1961, sur les foules basanées qui envahissent le pavé parisien aux cris de « Algérie algérienne, F.L.N. vaincra, etc. ».

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Comme d'habitude, Tardi n'épargne rien au lecteur de la réalité physique de la violence et de ses effets sur les corps, non plus que celle qui, le 8 février 1962, sous les ordres du préfet Roger Frey cette fois, se déchaîne contre la manifestation convoquée par les syndicats et le P.C.F. et qui causa, au "métro Charonne", 9 morts et 250 blessés.

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Avait-il besoin de rappeler le sombre rôle du même Papon pendant l'Occupation ? Avait-il besoin d'appeler « flicards » les policiers lancés par lui sur une population finalement pacifique, dont le tort était de braver le couvre-feu en ces temps de guerre d'Algérie ? Ce qui est indéniable, c'est que le scénario de Dominique Grange se veut une action militante : qu'on n'attende pas d'elle la neutralité de l'historien. Le recul des années n'a rien refroidi des convictions brûlantes de l'ancienne guerrière de la Gauche Prolétarienne.

A SUIVRE

mercredi, 17 novembre 2021

ENTENDU SUR LES ONDES

Les merveilles de la radio :

« "HISTORIQUE", LE MOT N'EST PAS TROP FAIBLE ! »

Jolie formule entendue (je ne dis pas sur quelle chaîne) le 24 octobre 2021 à 19 h. 14, et applicable en réalité à bien des situations ayant suscité le surgissement de cet adjectif qualificatif dont les journalistes (souvent sportifs, je reconnais) usent et abusent pour se donner de l'importance. En l'occurrence, il s'agissait de la victoire motocycliste du jeune Quartararo.

jeudi, 11 novembre 2021

11 NOVEMBRE : UN MONUMENT AUX CHEVAUX MORTS

HOMMAGE DE 600 SOLDATS AMÉRICAINS AUX 8 MILLIONS DE CHEVAUX TUÉS PENDANT LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE.

SOLDATS AMERICAINS AUX 8MILLIONS CHEVAUX 14-18.jpg

J'arrive à déchiffrer : « 600 Officers and enlisted Men of (illisible) & (illisible) Remain [?] Depot N°326 (illisible) NM ». Avis aux égyptologues.

SOLDATS AMERICAINS AUX 8MILLIONS CHEVAUX.jpg

Je trouve assez beau le monument éphémère que ces soldats américains ont élevé à ceux qui étaient pour les armées en présence au début de la guerre beaucoup plus que des outils de travail. Photo trouvée par hasard sur FB.

***

On ne peut pas affirmer que, parmi les 36.000 monuments aux morts édifiés en France dans les années 1920, les animaux aient été entièrement oubliés. Mais il faut bien avouer que la figure animale est à peu près absente.

On compte bien quelques chevaux magnifiquement sculptés : celui de Bischoffsheim (Bas-Rhin) fait très "Jeanne d'Arc" ; celui de Chipilly (Somme) est très touchant, avec ce "Tommie" de la "London Division" qui entoure de ses bras le cheval blessé, comme un camarade qu'il voudrait sauver ;

Chipilly 80.JPG

celui de Choisy-le-Roi (Val-de-Marne) opte pour une célébration héroïque de ceux qui ont combattu, et quand on voit l'interminable liste des noms des morts, on l'admet aisément ; je mentionne encore Lunéville (Meurthe-et-Moselle), Saumur (Maine-et-Loire) évidemment, Senlis (Oise) et Tourcoing (Nord). J'en oublie fort peu, je crois.

Reconnaissez que ça ne fait pas lourd dans la balance, vu la charge de travail qui a incombé à nos équidés préférés, au moins dans la première partie de la guerre, avant la grande mécanisation de la tuerie collective, quand la cavalerie et l'artillerie en faisaient grand usage. Bon, c'est vrai qu'il faut prendre en compte le coût qu'a représenté pour des communes pauvres l'érection d'un monument, raison pour laquelle on trouve le plus souvent de simples obélisques de pierre pour porter modestement et fièrement les noms des morts. 

Je précise qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de pierre laissée nue autour des noms gravés. On trouve toujours tel ou tel motif "honorifique", palme, croix de guerre, coq, casque, urne, etc., en ronde-bosse ou en haut- ou bas-relief.

On ne comprend guère l'irruption du lion sur quelques monuments : Haybes, mais aussi Rocroi (Ardennes), Witry-les-Reims (Marne), Mondeville-La-Ferté-Alais (Essonne), Norroy-le-Veneur (Moselle) et sans doute quelques autres communes plus soucieuses d'exaltation métaphorique que de réalisme historique. Je n'en montre pas.

En revanche, je trouve carrément injuste l'effacement quasi-total du chien. D'autant que ce n'est pas pour fait de guerre que certains sont présents, comme on le voit à Saint-Etienne-sur-Argence (Aveyron), où le brave chien lève vers son maître un museau interrogateur, pendant que vole au vent la cape du berger venu s'incliner sur le souvenir d'un père, d'un frère, d'un ami.

STE GENEVIEVE S ARGENCE 12.JPG

De très rares communes sauvent l'honneur en rendant au poilu de pierre ou de bronze un compagnon fidèle : celui de Sainte-Menehould (Marne) veille au côté de la sentinelle frigorifiée ;

STE MENEHOULD 51.JPG

celui de Pagny-sur-Moselle (Meurthe-et-Moselle) n'a pas peur des balles qui sifflent, dressé stoïque au côté du combattant à demi camouflé dans un repli de terrain.

MONUCHIENMORT.jpg

Voilà, sans prétendre à l'exhaustivité, c'est à peu près tout ce que j'ai trouvé. 

Je ferai encore un petit tour par Bruxelles, où l'on trouve un monument "Au Pigeon Soldat" : normal dans une région qui fut et demeure de colombophilie furieuse (je connais l'un de ces furieux : c'est son grand-père qui lui a collé la maladie) ;

AU PIGEON SOLDAT BRUXELLES.jpg

et par la Grande-Bretagne, seul pays à ma connaissance à avoir élevé aux animaux des Première et Deuxième Guerres Mondiales un monument digne de ce nom : Animals in War : They Had No Choice (Ils n'eurent pas le choix). Je trouve que ça a de la gueule.

ANIMALS IN WAR.JPG

Pour finir, il semblerait que certains se soient un peu agités en 2018 autour d'un projet de monument exclusivement dédié à la grande boucherie animale que fut la Grande Guerre. Je ne sais pas si l'affaire a évolué, en tout cas un doute me vient quant aux motivations profondes des initiateurs du projet : sont-ils de ces défenseurs des animaux qui veillent farouchement sur les conditions que la modernité industrielle réserve à nos "frères inférieurs" ?

Si ceux qui manifestent pour que Paris ait enfin un monument célébrant l'action des animaux pendant la guerre de 14-18 appartiennent à la famille biscornue et bigarrée où se retrouvent des végans, des anti-chasse, des anti-corrida, L-214 et autres allumés du bulbe, j'espère que le monument ne verra jamais le jour. Pourquoi ? Tout simplement parce que, comme dans d'autres situations (suivez mon regard), ça reposerait sur la culpabilité et la demande de pardon. Cette seule idée m'est insupportable.

Voilà ce que je dis, moi.

***

Note : s'agissant de la présence des animaux sur les champs de bataille de la guerre de 14-18, je ne peux passer sous silence l'extraordinaire aventure vécue par le chien Stubby, arrivé clandestinement des Etats-Unis dans les bagages du soldat John Robert Conroy.

CHIEN DECORATIONS.jpeg

Stubby a passé dix-huit mois de guerre sur le front, dix-sept batailles, quatre offensives, dans les rangs de la 26ème division d'infanterie (102ème régiment), excepté le temps de guérir une blessure par éclat de grenade, où il rendait le moral aux autres blessés. Des femmes de Château-Thierry lui ont confectionné un manteau de chamois où s'accrochent les nombreuses médailles décernées par les autorités militaires. C'est pour avoir démasqué un espion allemand qu'il a été nommé sergent par le commandant. Il est mort en 1926. Sa dépouille est conservée naturalisée dans un musée. Source : encyclopédie en ligne. Chapeau, sergent Stubby !!!

mardi, 09 novembre 2021

COP-26 - GRETA THUNBERG : MÊME BLA-BLA

DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE : LE "BLA-BLA" UNIVERSEL.

Ils sont tous bien gentils, ces gouvernements, ces dignitaires, ces chefs d'Etat qui se rassemblent pour engager solennellement la responsabilité de leur pays dans la lutte contre le vilain CO², contre le très vilain CH4, et signer quelques papiers avant de retourner chez eux. Mais c'est vrai aussi qu'ils sont tous bien sympathiques, ces manifestants qui n'en dorment plus de la nuit de se faire du souci pour le climat et en veulent beaucoup aux précédents parce tout ça leur file des insomnies et des brûlures d'estomac. C'est vrai qu'il faut leur secouer les puces, aux puissants de ce monde qui ne font rien ou si peu pour que la température globale moyenne du globe ne grimpe que de 1,5° Celsius.

C'est vrai — tout le monde le sait — que si on laisse filer le thermomètre, il ira se promener 2,7° C (certains disent 4° ou 5° et pourquoi pas plus ?) au-dessus d'aujourd'hui. Et alors le processus deviendra irréversible, avec son cortège de phénomènes météo extrêmes de plus en plus dévastateurs, et de migrations climatiques de masse.

C'est du moins ce que prédisent les spécialistes du climat réunis au sein du GIEC, vous savez, la très sérieuse société presque anonyme de scientifiques dont plus personne n'ignore aujourd'hui l'existence, l'expertise, l'expérience et l'autorité en matière de prévisions climatiques.

Je ne doute absolument pas de l'exactitude des données, de la pertinence de leur interprétation et de la certitude des conclusions que ces milliers de spécialistes en tirent. Ils ont raison de tirer le signal d'alarme (à défaut des oreilles des puissants). Donc, lors de la COP-26 à Glasgow, ce sont les gouvernants qui sont mis en accusation du fait de leur inaction criminelle par les manifestants emmenés par la sémillante Greta Thunberg.

Jusqu'à ce que je l'entende sortir de cette bouche juvénile, je croyais que "bla-bla-bla" était une onomatopée typiquement française. Je suis bien d'accord avec elle : tous ces chefs de quelque chose causent, causent, c'est tout ce qu'ils savent faire.

Remarquez qu'on en entend parfois de drôles, émanées de cette grosse assemblée. J'ai clairement mémorisé cette phrase prononcée fièrement par je ne sais quel responsable : « Il est temps de tenir les promesses et de mettre tout ça sur le papier ! ». De telles affirmations redonneraient le moral aux plus maussades, n'est-ce pas ? 

Donc parlons du "bla-bla-bla" que dénonce avec raison la petite Greta, cette petite sirène à la suédoise que tous les médias du monde s'arrachent. Ouais, parlons-en. Mais qu'est-ce qu'elle fait d'autre que du "bla-bla", la prêtresse Greta ? Elle engueule, elle vaticine, elle fait la morale, elle s'en prend à ceux dont on croit qu'ils tiennent les manettes, mais à la fin des fins, qu'est-ce qu'elle fait, si ce n'est pas causer, causer, causer, tout en désignant ceux qui, selon elle, sont les coupables ? Mais coupables de quoi ? De ne rien faire ? Ah, c'était donc ça ? Mais c'est là que ça devient couillon de les accuser ! Car il y a une solution à la catastrophe annoncée du dérèglement climatique, une seule : la diminution drastique du pillage des ressources et de la consommation d'énergie. 

Moi je dis que ça ne sert à rien d'interpeller, voire de faire condamner des gouvernements, des puissants ou des autorités : c'est la civilisation qui est coupable. Reprenons le raisonnement : à qui ou à quoi est-il dû, le réchauffement climatique ? C'est très simple : il est dû à toi, il est dû à moi, il est dû à nous tous qui achetons des trucs et des machins pour satisfaire nos besoins plus ou moins primaires, plus ou moins secondaires, etc. Il est dû à eux tous qui se démènent pour satisfaire nos besoins primaires, secondaires, etc. quand ils n'accourent pas au-devant à coups d'arguments publicitaires.

Il est dû à ma voiture, à mon frigo, à ma chaudière, à mon lave-vaisselle, etc. Il est dû à ce qui s'est imposé aux Occidentaux comme le mode de vie désirable parce qu'il leur apportait du confort, de la facilité au quotidien, bref : parce que ce mode de vie a progressivement mais massivement transféré la pénibilité du travail de l'homme vers la machine par l'utilisation généralisée du moteur et de diverses sources d'énergie jusqu'au fond de la forêt de nos milliers de gestes ordinaires. Vous imaginez s'il fallait maintenant faire l'opération inverse ? Transférer les tâches des machines vers le travail humain ? Vous vous voyez, la vaisselle et la lessive à la main ?

Tant qu'on n'aura pas vaincu dans l'esprit de l'humanité cet avantage de facilité qu'offre l'usage permanent de machines, d'automatismes et d'énergies que nous ne percevons même plus dans le moindre de nos gestes de la vie concrète tant c'est devenu "naturel", c'est toute l'humanité qui décidera par ses actes que la température du globe doit continuer à grimper de façon déraisonnable. Tant qu'on n'aura pas convaincu l'humanité que la seule issue de secours est de revenir au travail sans les machines, celle-ci votera par ses actes pour le réchauffement, c'est-à-dire contre le refroidissement. Je souhaite bien du plaisir à qui entreprendra pour de bon de convaincre l'humanité de RENONCER à ce que l'humanité a inventé pour améliorer son bien-être et ses conditions de vie.

Tiens, il se trouve que je n'ai personnellement aucune envie de revenir au temps d'avant les machines, les moteurs, tous ces outils magiques où il suffit d'un bouton à actionner pour que la tâche ingrate se réalise de ma part. Et non seulement je ne suis pas le seul à raisonner ainsi, mais à part quelques radicaux illuminés qui refusent que leur maison soit reliée à quelque réseau électrique (il y en a une petite tribu quelque part en Ariège), je crois que c'est l'humanité entière qui demande à toutes les sources d'énergie et à toutes les machines possibles de la décharger du fardeau des travaux pénibles, et même de lui procurer des satisfactions jusque dans des domaines considérés jusque-là comme superflus. Qui est prêt à lâcher ces merveilleuses trouvailles ? Il est là et pas ailleurs, le nœud de l'intrigue.

Elle est là, la quadrature du cercle dans lequel évoluent gouvernants et défenseurs du climat : d'une part les politiques savent qu'ils sont assis sur des sièges éjectables (au moins dans nos "démocraties"), et que s'ils prennent des mesures qui défrisent trop ceux qui les ont mis là par leur vote, c'en est fini pour eux, de la vie dans les palais de la République : les électeurs qui veulent se priver de la voiture, du lave-linge, du lave-vaisselle et de quelques autres commodités offertes (façon de parler, bien sûr) par la société de consommation existent sûrement, mais à l'état d'écrasante MINORITÉ.

Car d'autre part, les populations ordinaires et laborieuses n'ont aucune envie de modifier quoi que ce soit à leur façon de vivre et de consommer. Au contraire : elles attendent de l'avenir qu'il leur facilite de plus en plus l'existence. Vous n'avez qu'à voir comment elles ont accueilli certaines décisions "surprenantes" prises par le maire écolo de Lyon nouvellement élu. Non seulement je les comprends, mais je les approuve : j'en fais partie. Tous ces objets indispensables, et même tous ces objets pas très utiles voire superflus mais agréables qui meublent nos intérieurs, s'il fallait les remplacer par du TRAVAIL, vous vous rendez compte de la révolution à l'envers ? Ne plus faire jaillir la lumière en appuyant sur un bouton ? Couler l'eau potable en actionnant le robinet ? 

Le voilà, le paradoxe. La voilà, la grande contradiction. Le piège ignoble dans lequel toute la civilisation de technique, de production et de consommation a fourré l'humanité : ce sont toutes les activités qui permettent à chacun de vivre plus ou moins agréablement et confortablement (selon ses moyens) qui font grimper la production de CO² et la température de l'atmosphère. La conclusion n'est pas difficile à tirer.

Ceux qui tiennent les manettes, même les plus conscients des enjeux, même les mieux intentionnés, sont piégés : soit ils font la course de lenteur pour les prises de décisions, soit ils dégagent. Quant aux militants, dont des armées tous les jours plus nombreuses se lèvent pour les engueuler, les admonester et les accuser de "bla-bla-bla", de deux choses l'une : soit ils sont aveugles et ne se représentent pas toutes les conséquences de ce qu'ils réclament de leurs dirigeants, à savoir une baisse radicale de la consommation d'énergie, donc de la production de biens matériels, et l'instauration d'un monde de sobriété radicale ou d'ascétisme contraint (rayer la mention inutile) ; soit ils mentent.

Les ingénieurs et autres illuminés font d'incroyables efforts d'imagination pour biaiser avec l'issue fatale. Ils travaillent joyeusement à "augmenter" l'humanité, soit en inventant des oxymores du genre "développement durable", soit en développant les sources d'énergie renouvelables (vent, soleil, géothermie, ...), soit en mettant en place des stratégies encore plus folles de maîtrise des paramètres du climat (géo-ingénierie).

Leur seul objectif : maintenir constante et infinie la courbe ASCENDANTE des activités humaines, c'est-à-dire maintenir la courbe ascendante de la croissance, c'est-à-dire du système actuel de production-consommation-finance, c'est-à-dire du pillage des ressources et de l'incessante recherche de sources d'énergie. Vous les voyez, les pouvoirs en place, trembler rien qu'à l'idée de ce dont seraient capables les peuples qu'ils gouvernent s'ils venaient à leur promettre toutes sortes de rationnements, de restrictions et de privations pour se faire réélire ? Tout porte à penser que les populations ne supporteraient pas cette Vérité sur le climat et se précipiteraient dans les palais du pouvoir pour leur donner une fessée.

La Vérité, c'est qu'un jour viendra où il leur faudra SE RESTREINDRE, y compris les plus ardentes aujourd'hui à réclamer des gouvernants de vraies actions contre le réchauffement climatique. Et tout laisse à penser que le jour où elles se rendront compte qu'elles ne peuvent pas faire autrement que de se passer de tout un tas de trucs et de machins dont elles ne peuvent pas se passer aujourd'hui, elles risquent de le prendre très mal. Et ça risque de faire de gros dégâts. Je ne suis ni Madame Soleil, ni Nostradamus, ni Madame Irma, mais il me vient de cet avenir-là des odeurs de violence.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 05 novembre 2021

JULES SYLVESTRE, PHOTOGRAPHE ET LYONNAIS

En farfouillant dans le riche "Fonds Sylvestre" de la Bibliothèque Municipale de Lyon, j'ai fini par me faire des réflexions, évidemment, sur la façon  des faire des photos, sur la manière de choisir un sujet, un angle, une lumière, une distance, etc. Mais j'ai aussi et surtout découvert une collection de photos difficilement surpassable pour qui veut se faire une idée des transformations que la ville a connues — et bien souvent subies à son corps défendant — au cours de la seconde moitié du XIX° siècle et de la première du XX°.

J'ai vite appris que faire le distinguo entre les photos dont Sylvestre était l'auteur et celles qu'il avait rachetées pour faire partie de son fonds n'est pas toujours facile. Car les fiches de la BML sont parfois surprenantes, qui présentent Sylvestre comme l'auteur de photos prises circa [= ca] 1860, alors qu'il est né en 1859. Le photographe au berceau, quoi !!!

CIRCA 1860 AUTEUR JS.jpg

Un exemple de notice de la BML, livré sans autre modification que la police de caractère. 

titre[L'Eglise Saint-Georges vue depuis la rive gauche de la Saône]
date de prise de vue[ca 1860]
lieu d'éditionLyon (Rhône)
période1848-1870
genre iconographiquevue d'architecture
sujets (lieux)
droitsCreative Commons - Paternité. Pas d'utilisation commerciale. Pas de modification.
localisationBibliothèque municipale de Lyon / P0546 SA 03-31
technique1 photographie positive : tirage noir et blanc, d'après calotype ; 19,5 x 25,5 cm
descriptionPrise de vue depuis le quai Fulchiron.
note à l'exemplaireCliché Sylvestre, tirage de Guy Borgé.
***

Soit il y a erreur sur l'attribution, soit (pourquoi pas ?) Sylvestre a pris, plus tard, un cliché du verre positif (c'est comme ça, à tort ou à raison, que je comprends "d'après calotype"). Il faut savoir que Jules Sylvestre, quand il a été solidement établi, a collectionné un grand nombre de photographies de ses contemporains et prédécesseurs, et que la BML ne fait pas toujours la distinction entre les clichés pris par Sylvestre en personne et ceux qu'il a achetés au cours de son existence. Le tout est fondu dans le « Fonds Sylvestre ». Bon, mieux vaut le prendre à la rigolade, le problème est modérément regrettable et il ne faut pas trop chinoiser. Je suis quand même heureux, par exemple, que les photos de Louis Froissart (j'en ai déniché une cinquantaine dignes d'intérêt) apparaissent sous le nom de celui-ci, quoiqu'appartenant au "Fonds Sylvestre".

Le photographe a installé son magasin, son laboratoire, peut-être son domicile et semble-t-il une salle de projection non loin de la préfecture, à l'angle de la rue de Bonnel et du quai Augagneur. L'édifice ne manque pas d'originalité, comme on peut le voir ici. La photo est de 1962, nous disent les Archives Municipales de Lyon. On peut voir dans le fond un bout du toit de la préfecture.

RUE BONNEL 1962 AUGAGNEUR SYLVESTRE.jpg

En 1962, venant du quai Lassagne, je passais dans le coin une fois par semaine pour faire un peu de sport rue de l'Epée après avoir fait une halte indispensable au 39 cours de la Liberté, et je dois avouer que je n'ai jamais fait attention au curieux décor ... qui n'allait pas tarder à disparaître. Car l'îlot défini par les rues Pravaz et Bonnel (N/S) et par le quai et le cours de la Liberté (E/O) devait laisser place à un jardin auquel on donna le nom du brillant et fameux Résistant Charles Delestraint, mort en déportation.

Au cours de mes déambulations photographiques dans le fonds Sylvestre, je n'ai quasiment pas trouvé de photo signée de sa main en direct sur le verre. Une exception remarquable : les funérailles de Sadi Carnot, assassiné à Lyon en 1894. Cela fait un peu photo officielle, car le cliché était sans doute destiné à une large diffusion, quand on observe la calligraphie soignée : « Les funérailles de Carnot — Sylvestre ».

1894 06 FUNERAILLES CARNOT JSYLV.jpg

C'est d'ailleurs l'occasion de redire tout le mal que je pense des tirages de Guy Borgé, qui dans tout son travail donne la priorité absolue à l'impression de fondu sur la précision du trait. Regardez plutôt.

1894 06 FUNERAILLES SADI CARNOT.jpg

Je pourrais souligner mon point de vue en comparant quelques détails après grossissement, mais je préfère conclure avec deux beaux tirages. Le premier, qui est de 1887, montre ce qui était alors l'Ecole de Médecine. Ce n'était plus la Médecine, mais les Lettres qu'on y enseignait quand j'ai commencé à fréquenter ce bel établissement quelque quatre-vingts ans plus tard (faites le calcul et tirez-en les conclusions que vous voulez). Je trouve géniale l'idée de placer l'appareil très bas pour saisir toute la largeur pavée du quai Claude Bernard, et j'apprécie en particulier le piqué précis de l'image.

1887 FAC DE LETTRES CLAUDE BERNARD FJSYLV.jpg

Le second représente ce qui deviendra plus tard la place Benoît-Crépu, après démolition de quelques bâtisses. Auparavant, l'endroit s'appelait Port-Sablé, ne me demandez pas pourquoi. L'image me paraît belle par l'équilibre des lumières et des ombres. Et puis je dois dire que les étais visibles et la façade couverte d'affiches ne sont pas pour rien dans l'affection que je porte à cette photographie présentée comme l'œuvre de Jules Sylvestre.

1901 PORT SABLé BENOÎT CREPU.jpg

mardi, 02 novembre 2021

CHEZ LES OPTIMISTES

2021 10 31 LUCE.jpg

Splendide ! Allons, tout n'est peut-être pas perdu. Merci les enfants !

lundi, 01 novembre 2021

A MORT L'HÔPITAL PUBLIC !

2021 10 29 3.jpg

Faut-il que la situation apparaisse enfin catastrophique à un responsable du journal pour que Le Progrès lui-même s'y mette et en fasse un (tout petit) titre de "Une", mais deux pleines pages en pp. 2 et 3 (ci-dessus le titre de p.2) !!! Attention, Le Progrès n'est pas un "journal de référence" et n'y a aucune prétention. Le Progrès tient à rester un bon petit soldat de la P.Q.R. (Presse Quotidienne Régionale), qui rapporte fidèlement les petits événements de la vie des gens, piétons renversés par des chauffards, voyous voleurs d'Iphones, cambriolages de restaurants où le bandit a été retrouvé ivre-mort le matin, rodéos sur la place des Terreaux sous le nez du maire écologiste, bref : rien que des choses importantes. 

Parlons sérieusement : l'hôpital est au bord de l'effondrement. Le Progrès n'a rien inventé. Cela fait longtemps que les plus fins connaisseurs de la question lancent dans le désert des cris d'alarme : « Au secours ! La citadelle hospitalière se lézarde ! » Et ça ne date pas de la pandémie : on ne compte plus les manifs d'infirmières, d'aides-soignantes, de sages-femmes, etc. qui ont parcouru les rues. Plus fort : il n'y a pas si longtemps, on a vu des centaines et des centaines de "mandarins", médecins des hôpitaux, professeurs connus et reconnus démissionner de toutes leurs tâches administratives.

A l'initiative de quelques-uns, un "Collectif Inter-hôpitaux" a été créé, qui envoie régulièrement en mission devant les micros et les caméras que la presse consent à consacrer au problème, pour décrire la progression du mal qui gangrène l'hôpital. Tout dernièrement, j'ai entendu Mme Agnès Hartemann, qui ne fait, la malheureuse, que redire, rabâcher, ressasser les mêmes horreurs (cf. sa conférence de presse de janvier 2020, mais aussi d'autres interventions).

Guillaume Erner, qui anime les Matins de France Culture, a aussi invité François Salachas, neurologue à La Pitié-Salpêtrière. Lui aussi ne mâche pas ses mots, il y va même carrément : l'hôpital est en train de crever. Il y a des signes qui ne trompent pas, à commencer par la désertion de tout un tas de personnels qui, dégoûtés, saturés, surmenés, ne supportant plus d'être ainsi malmenés par l'institution elle-même, filent dans le privé ou le libéral, voire changent de métier. Au point que dans certains services (pédopsychiatrie et autres), 20% des lits restent inoccupés par force, faute de compétences disponibles. Comme quoi la fermeture de lits par les hautes autorités n'est pas le seul problème.

Et ce n'est pas seulement une question de rémunération. Ce qui pourrit la vie professionnelle de tous les gens qui travaillent dans le secteur du soin à l'hôpital public, c'est l'inflation de la bureaucratie hospitalière, qui exerce son pouvoir au détriment du SOIN, la seule et finale raison d'être de tout établissement médical. Pensez : il y a à l'hôpital autant de gens dont la mission est de soigner que de gens dédiés à l'administration. Les témoignages abondent pour dire que le COVID a été providentiel en même temps qu'il a mis en lumière la mainmise des administratifs et comptables : au plus fort de la crise, l'administration s'est d'un seul coup mise au service des personnels soignants, qui n'en revenaient pas. On a même vu des taxis amener et ramener chez elles des aides-soignantes, aux frais de la princesse.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, une telle situation idyllique ne pouvait pas durer, comme l'a signalé l'excellente Agnès Hartemann quand elle a vu revenir en force tous les réflexes de la bureaucratie hospitalière, qui a recommencé à dicter sa loi, au mépris de toute logique de soin. Comme si la pandémie ne devait être considérée que comme un incident de parcours, en attendant que les affaires puissent reprendre leur cours normal. Disons-le : c'est maintenant chose faite.

Le retour de la situation mortifère dans laquelle se trouvait déjà l'hôpital public avant la pandémie me fait dire, à tort ou à raison, que tout cela résulte d'un plan à long terme. Concocté par qui, je n'en sais fichtre rien. Mais il est toujours permis d'émettre quelques hypothèses. La mienne tient en un sigle : H.P.S.T. C'est celui auquel se résume une loi voulue, votée et promulguée sous la présidence de Sarkozy, Mme Roselyne Bachelot étant l'exécutrice des hautes œuvres (je ne vois pas de meilleure expression) en tant que ministre de la Santé. HPST, ça veut dire Hôpital-Population-Santé-Territoire. Cela sent à plein nez le concept produit par un crâne d'œuf, une engeance toujours fertile quand il s'agit de produire des machins sur papier qui ravissent les politiques et qui martyrisent les gens qui connaissent le terrain parce qu'ils y vivent et travaillent. 

Pour s'en tenir aux données cruciales en évitant de se lancer dans des circonvolutions philosophiques, cette loi veut faire de l'hôpital une entreprise comme les autres, et pour atteindre ce noble objectif instaure le "paiement à l'acte". Voilà, c'est aussi brutal, direct et simple que ça. Sans connaître dans le détail le texte de cette loi (qui ne comporte pas, selon certains, que des aspects néfastes, ce que je veux bien croire), je me dis que nous voici, onze ans après le début de son application, devant l'effarant résultat, littéralement catastrophique, qu'a entraîné cette loi scélérate. Je me dis aussi que Bachelot-Sarkozy devraient au moins être accusés, à l'encontre de l'hôpital public, de "coups ayant entraîné la mort sans intention de la donner". Et encore, sur l'"intention", ne suis-je pas entièrement convaincu. Vous ne vous dites pas ça, vous ?

Quoi qu'il en soit, si Emmanuel Macron veut vraiment sauver l'hôpital public, comme il l'a plusieurs fois laissé pressentir dans ses discours, il a une première tâche qui lui tend les bras : en finir avec la loi H.P.S.T, en finir avec le "paiement à l'acte".

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Note : j'en ai assez de citer la promesse faite à Mulhouse par Macron à l'hôpital public en 2020. Cet homme est un homme de grands mots, d'intentions vertueuses et d'envolées lyriques. Il ne mérite plus qu'on prête attention à l'air qu'il brasse. Laissons donc toutes ses paroles s'envoler au vent et disparaître à l'horizon. 

jeudi, 28 octobre 2021

AU VIOL !!!

« Le mâle ! Le mâle dont le baiser est une blessure, dont l'étreinte est une torture, dont l'attente est une angoisse ! Le mâle qui viole comme l'assassin tue, le mâle qu'elle a déjà subi et qu'il faut fuir, fuir comme la mort. »

...

« Il est là. Il approche. Elle sent le vent de son corps lancé à sa poursuite. Il est derrière elle; il va l'atteindre ! Oh ! lui tenir tête et résister. Elle arrive à la galerie et se retourne vivement pour opposer à l'ennemi la herse de ses pattes armées. Un choc violent. Un pilier de terre s'écroule, et Nyctalette, qui l'a heurté en se retournant, roule aussi parmi l'avalanche des mottelettes.

En un bond il est sur elle ; il la tient ; il lui serre entre ses petites dents la peau du cou moite de sueur, et tandis qu'elle jette aux sombres échos des souterrains des appels désespérés, un sexe barbelé, comme une épée de feu, lui perfore les flancs pour le viol, le viol éternel et sombre que toutes les Nyctalettes subissent quand les sèves montantes ont enfiévré dans leurs veines le sang ardent des mâles féroces aux sexes cruels, par qui se perpétue l'œuvre auguste des maternités douloureuses. »

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On s'y croirait, n'est-ce pas ? On l'aura sans doute compris : l'action se passe dans un tunnel, souterrain étroit où se déplace, vit et se nourrit le monde des taupes. Un petit monde, certes, mais impitoyable, comme on le voit. Le sexe du mâle de la taupe est-il "barbelé", comme l'écrit l'auteur ?  

On trouve cette prose dans la nouvelle Le Viol souterrain, extraite de De Goupil à Margot, prix Goncourt 1910. Son auteur, Louis Pergaud, est mort en avril 1915, au cours d'une attaque dans le secteur des Eparges (cote 233). Son corps n'a pas été retrouvé. A-t-il, comme certains le supposent, reçu des balles alors qu'il était coincé dans des barbelés, puis été écrasé dans le bombardement de l'hôpital où des Allemands l'avaient emmené ?

On ne lit plus guère, je pense, ses formidables nouvelles campagnardes (J'aime aussi énormément La Revanche du Corbeau). C'est tout à fait regrettable. Lit-on davantage La Guerre des Boutons, son livre le plus connu du fait des multiples (cinq selon l'encyclopédie en ligne) transpositions au cinéma ? Pas sûr.

J'ai trouvé intéressant de citer ce passage en des temps où il ne fait pas bon être un homme ou un père. Des temps où vous pouvez entendre aux informations sur France Culture de superbes calembredaines du genre : « Un enfant en dessous de six ans ne ment pas, c'est prouvé ! » ou « Toutes les mères protègent leur enfant ! ». Ces "fake news" — comme le montre la pas si ancienne "affaire d'Outreau" —, c'était aujourd'hui [27-10] sur France Culture, chaîne publique nationale réputée sérieuse : on ne peut plus se fier à personne. Aucun vrai journaliste n'était là pour démentir.

mercredi, 27 octobre 2021

MON PASSAGE MERMET

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Pendant qu'Emmanuel Macron n'en finit pas de manquer à sa parole, s'agissant du sort qu'il réserve à l'hôpital public (voir le journal Le Monde daté 26 octobre et l'article sur le massacre de l'hôpital Pitié-Salpêtrière), jetons un œil sur un petit coin de Croix-Rousse.

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Parmi les rampes que je préférais quand j'étais minot : valait mieux pas se planter, c'est raide.

MERMET 1999 DIDIER NICOLE.jpg

1 - Photo de Didier Nicole, 1999.

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2 - Dessin de Berlion pour un épisode de Sales Mioches, une chouette BD sur scénario de Corbeyran, qui parcourt la Croix-Rousse dans tous les sens.

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3 - Photo de F.C. prise au cours d'une bambane en 2018 : comme un gouffre noir.

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4 - Dessin de Kraehn pour un épisode de Gil Saint-André, où le passage Mermet s'éclaircit soudain, peut-être pour mettre en évidence la mini-jupe de la dame qui monte qui monte.. 

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Le passage Mermet n'a pas la renommée de son voisin, le passage Thiaffait, situé de l'autre côté de l'église Saint-Polycarpe. D'abord, il est nettement plus étroit et sombre, se terminant sous une voûte basse à son arrivée rue René-Leynaud.

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Et puis son escalier a quelque chose de monolithique : quelques volées de marches coupées en ligne droite par une rampe métallique étroite, vernissée à force de glissades des pantalons des garnements du quartier. Alors que pour accéder à la grande cour de Thiaffait, la rue Burdeau offre des solutions variées comportant des diverticules fermés ou non par des grilles, donnant parfois accès à des habitations. Il y en a même une, obstinément close, qui semble conduire dans je ne sais quels tréfonds secrets de l'église. Quelle église ? Mais Saint-Polycarpe, bien sûr !

mardi, 26 octobre 2021

UNE PHOTO A MON GOÛT

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Des lieux peu ragoûtants, c'est sûr, mais une photo digne d'intérêt, selon moi. Pourquoi ? Je ne sais pas. Sans doute un cadrage plus savant qu'il n'en a l'air. Peut-être l'étrangeté de l'ambiance générale. Peut-être aussi la symphonie des gris offerte par le cadre et l'effet esthétique qui s'en dégage : j'ai toujours été sensible aux surfaces impures, aux murs décrépis, aux affiches déchirées, superposées, confuses. Comme quoi, dans le monde des images, le sujet est une chose, la façon dont il est traité en est une autre. Ici, dans le fond, peu importe la localisation exacte.

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Photo prise par l'excellente Marcelle Vallet, née en 1907, décédée en 2000. Ci-dessous, son portrait en 1991 par Claude Essertel.

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