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mardi, 26 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (9)

JOË BOUSQUET 

MON FRÈRE L’OMBRE

Avec ses souliers de pierre

Qu’il tenait à chaque main

Le portier du cimetière

A fait danser le chemin

 

Avec ses sabots de cendre

Sur les lèvres d’un amant

Le sonneur est venu prendre

Ce qu’il disait en dormant

 

L’absence aux souliers de feuilles

Donne son cœur pour toujours

Au seul galant qui la veuille

Le vent qui change les jours

 

La vieille aux souliers de paille

Hisse un fagot sur ses reins

Et dans une ombre à sa taille

Porte la lune à la main

 

La nuit tous les pas se mêlent

Ce qui nous mène est perdu

L’air est bleu de tourterelles

Le ciel le vent se sont tus

 

Et pareil à la colombe

Qui meurt sans toucher le sol

Entre l’absence et la tombe

L’oubli referme son vol

 

Mais il survit du murmure

Où tout se berce en mourant

L’amour des choses qui dure

Au cœur d’un mort qui m’attend

JOË BOUSQUET

La Connaissance du soir.

lundi, 25 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (8)

ARMAND ROBIN 

*

LA NUIT 

J’ai rejeté le Temps bien loin de mes épaules,

Vos songes, mes humains, sont mon plus vrai manteau ;

Mes genoux, faits d’espace et de collines molles,

Semblables au destin cheminent sans un mot.

 

Je passe, brune et lente, en la brume des fleuves,

Je n’y laisse flotter que mon indifférence

Mais les eaux, malgré moi, le dos courbé, s’abreuvent

Comme des bœufs, tous noirs, à ma fraîcheur immense.

 

Les talus, quand j’y dors, semblent guéris des ronces ;

Les arbres que je prends, je ne sens rien pour eux,

En eux je n’ai jamais tenu que mon silence

Et voilà qu’on m’apprend que je les rends heureux !

 

Hélas ! ne pas savoir pourquoi je suis si douce !

Me direz-vous comment je puis tant vous aimer ?

Mes propres pas me sont plus muets que la mousse !

Par moi sauvés de tout, vous m’avez tous blessée.

ARMAND ROBIN 

Ma Vie sans moi.

dimanche, 24 janvier 2021

LA VÉRITÉ SUR L'HYDROXYCHLOROQUINE

Où l'on voit le professeur Didier Raoult s'apprêter à injecter avec sa grosse seringue une dose massive d'hydroxychloroquine à un malade du Covid-19 en phase terminale.

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Attention, c'est une seringue à barillet : on voit les doses !

Note : merci, pour l'illustration, à l'inoubliable Jean Giraud.

samedi, 23 janvier 2021

"LE MONDE" SE DÉBALLONNE

Je serais à la place de Jérôme Fenoglio, je rentrerais sous terre pour me cacher. Le journal Le Monde, qu'il dirige, à présenté ses excuses à tous ceux qui pourraient se sentir blessés par le dessin de Xavier Gorce paru auparavant. Des excuses ! J'aurais tellement honte que je refuserais l'invitation de France Inter à venir expliquer l'attitude de mon journal. Mais non ! Le pire, dans l'affaire de Xavier Gorce — ce remarquable dessinateur de presse qui y plaçait ses "Indégivrables", des sortes de pingouins se contentant de quelques traits pour délivrer des points de vue très souvent marrants sur le monde tel qu'il cloche —, c'est que Jérôme Fenoglio assume.

Droit dans ses bottes, il explique aux micros que les collègues s'empressent de lui tendre (pensez : le directeur du Monde en personne ! Les micros sont déférents avec les gens de pouvoir) : "Un journal est en droit de refuser de publier des propos ou un dessin qui ne sont pas conformes à son orientation" (je cite en substance et dans les grandes lignes). 

Le pire, c'est que Le Monde l'a publié, le dessin qui fait polémique ! Et ce dessin, je ne suis pas le seul à le trouver excellent : le tiédasse Plantu lui-même, qui s'apprête à prendre sa retraite de la "une" du Monde, l'a déclaré sur France Culture. 

XAVIER GORCE.png

Et vous savez pourquoi je le trouve excellent, ce dessin ? D'abord parce qu'il jette une lumière inattendue, donc marrante – que certains jugeront incongrue – sur une question qui agite toute la médiasphère jusqu'au tohu-bohu (c'est à Freud qu'on doit l'expression "tohu-bohu de l'inceste", ce n'est peut-être pas dans son célèbre livre Totem et tohu-bohu) ; ensuite parce j'ai immédiatement pensé à un autre dessin formidable, mais qui traitait simplement, il y a fort longtemps, d'un paradoxe temporel tout à fait science-fictionesque : un type remonte le temps, rencontre une femme qui se trouve être sa mère-mais-il-ne-le-sait-pas, l'épouse, et je vous passe les déductions embrouillées et jubilatoires que Gotlib en tirait (à moins que ce ne soit Goscinny : je ne me rappelle plus si c'était dans les Dingodossiers ou la Rubrique-à-brac).

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Honte à vous, monsieur Fenoglio ! Honte au journal Le Monde ! Quelle infamie ! Quelle déchéance pour le soi-disant "journal-de-référence" ! Bon, les optimistes se diront que Le Monde n'a pas emboîté le pas au New York Times, qui est allé jusqu'à bannir de toutes ses pages toute intervention dessinée quelle qu'elle soit. Mais là on est dans les folles dérives de la pudibonde, puritaine, hypocrite Amérique.

J'en conclus que l'Amérique n'a pas fini d'exporter – et jusque dans des pays si fiers d'habitude pour prendre la défense de la liberté d'expression, et quelques journalistes d'exception l'ont payé de leur vie !!! – son exécrable "politiquement correct", où ce sont toutes les minorités qui dictent leur loi à la majorité et qui, au moindre chatouillis ressenti à la surface de leur "sensibilité", se débrouillent pour faire taire ceux qu'ils considèrent comme des agresseurs ! Dans le cas du dessin de Xavier Gorce, on peut voir qu'un journal comme Le Monde a une pétoche épouvantable. Tout ce qui risquerait de sonner à la porte du journal en se présentant sous les traits d'une victime d'inceste ou d'un individu "transgenre" est comme le diable en personne. 

C'était donc ça, le "monde d'après" qu'on nous promettait ? Monsieur Fenoglio, je n'ai qu'une grosse chose à vous dire : "Merde" !!!

vendredi, 22 janvier 2021

CHARLIE HEBDO EN 1545

C'était le bon temps des guerres de religions.

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Regardez bien, cette tiare sacrée est un vulgaire pot de chambre aux yeux des luthériens. L'un est en pleine action d'excrétion des immondices du corps, l'autre se déculotte, attendant son tour. A propos de la tiare, qu'on a reconnue, j'espère : est-ce Paul VI qui en a abandonné le port dans les grandes occasions ? Jean XXIII ? Benoît XVI ? (C'est curieux, j'ai comme une vague impression d'en oublier en route.)

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Les parfumeurs du pape : voyez les nuages odorants qui leur sortent par en bas.

Où l'on constate que la caricature luthérienne, c'était quand même beaucoup "Pipi-Caca".

« Le Seigneur m’a frappé de graves douleurs en mon derrière ; mes excréments sont si durs que je pousse pour les expulser avec tant de force que j’en transpire ; et plus j’attends pour ce faire, plus ils durcissent. […] Mon cul est devenu mauvais ».

Ces mots sont de Martin Luther en personne, dans une lettre citée malicieusement par John Eliot Gardiner dans son livre magistral : Musique au château du ciel.

***

Et ça faisait aussi des morts.

***

Note : j'observe que Charlie Hebdo s'en est particulièrement pris, parmi ses tumultes anti-religieux, à la figure du pape mais, aussi loin que je me souvienne (l'époque géniale de l'équipe Cavanna-Choron-Cabu-Reiser-Gébé-Wolinski-etc.), il ne s'en est que rarement pris — sauf erreur — nommément aux sectes protestantes. Le pape ? Alors là pardon, qu'est-ce qu'il lui ont mis ! Et ne parlons pas de Jésus ! Bon, c'est sûr que les protestants n'ont pas de pape, eux. Il n'empêche que leur emprise ne cesse de s'étendre, alors que le rapace catholique a pris un air tout à fait flapi, depuis un certain nombre d'années.

L'Eglise catholique est sur la défensive, alors qu'au Brésil, en Afrique, en Asie, les petites fourmis des sectes évangélistes, pentecôtistes ou autres travaillent infatigablement. Leur prosélytisme (c'est-à-dire leur fanatisme, fût-il non-violent) est stupéfiant. L'Eglise catholique de France elle-même, prise en étau entre les accusation de pédophilie, la grande offensive musulmane et le militantisme opiniâtre des sectes protestantes, est dans une situation piteuse. Que fait Charlie Hebdo ?

jeudi, 21 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (7)

YVES MARTIN

 

Comment je vis ? Question trottinante

Comme un léger reproche.

Depuis mon opération, il ne m’était pas apparu.

Les roses, les œillets secs se sont enfuis

Sous la petite table de rotin.

Le pantalond de velours voyage peu.

 

Il fait froid.

Les merles s’approchent de ma fenêtre,

- tirer les marrons du feu –

Le vent ne compte plus ses larmes.

 

Sur la glace envie d’écrire

« Assassin » pour entendre derrière moi

Grommeler l’incorrigible inconnu.

Demain le désordre sera encore moins chaleureux.

Je tape ma porte. La haine de ma voisine

M’est indispensable. Dans l’escalier, comme chaque matin

Un cartable. Je l’ouvre. Je caresse un cahier, une plume,

Un marron. Puis je le transporte jusqu’à l’entrée de l’immeuble

Où dans quelques minutes viendra le reprendre

Une jeune fille que je ne connais pas

Dont je devine seulement que les cheveux

Sont aussi longs, dorés

Que le vermouth des océans.

 

YVES MARTIN

De la Rue elle crie.

mercredi, 20 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (6)

CHRISTIAN DOTREMONT

 

A PAUL ÉLUARD

 

à Paul Éluard

le jeune homme qui est un vieil enfant

au visage incendié de timidité

a dans son cœur incendié dans sa tête incendiée de tempêtes

de quoi attacher toutes les frontières

de quoi jouer au bête puzzle du monde

le jeune homme incendié au cœur

de livres de cœur et de mois d’Octobre

a de quoi « acheter de mourir de faim »

de quoi ne pas avoir les papiers nécessaires

le vieil enfant muet a seulement un ticket de désobéissance

aux lois d’infamille aux lois de désobéissance à tous ses désirs

son chemin a la largeur du monde et manger lui est aventure

il supporte toute souffrance pourvu qu’elle soit imprévue

il n’a pas besoin qu’on lui montre…

il a dit les mêmes paroles celui dont les mains sont ouvertes comme les livres

comme ses livres chez un jeune homme à la seule voix d’encre

qui jamais ne traversera la vie aux passages cloutés

vendredi, 15 janvier 2021

APRÈS L'ÈRE CHRÉTIENNE .........

........... L'ÈRE COVIDIENNE.

Vous avez aimé l'ère chrétienne ? Raffolé de l'ère pataphysique (rappelons que l'année pataphysique commence le 8 septembre, jour de la naissance d'Alfred Jarry et de la Vierge Marie — pas la même année — et que nous sommes en train d'en parcourir l'année 148) ? Apprêtons-nous, le 13 mars à minuit, à couronner dignement le réveillon de Nouvel An qui nous fera sauter dans la deuxième année de l'ère que le Sars-Cov-2 nous a fait inaugurer.

A nous le foie gras, le caviar, les huîtres !!! Que le champagne coule à flot !!! Que de gaies farandoles s'ébranlent autour des tables de nos festins, armées de langues de grand-mère, de confettis, de pétards et de feux d'artifice !!! Que les rescapés du virus arborent fièrement l'étoile de Covid dont leur poitrine aura été décorée par les autorités compétentes pour reconnaître leurs mérites !!! Que les mânes de Fabre d'Eglantine sortent de leur tombeau pour élaborer le nouveau calendrier !!! 

Qu'on se le dise : le monde ancien vient de finir !!! En route vers le nouveau monde, un horizon étincelant fait de gel hydroalcoolique, de masques, de distanciation physique (certains préfèrent "distanciation sociale"), de couvre-feu, de confinement et de lits d'hôpital. Un avenir radieux est promis à l'humanité. Le bonheur est enfin à portée de main. 

Pas trop tôt !!! Et youpie !!!

jeudi, 14 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (5)

PAUL CELAN

***

RETOUR

 

Chute de neige, de plus en plus dense,

Couleur colombe, comme hier,

Chute de neige, comme si tu dormais toujours.

 

Du blanc à perte de vue :

Dessus, à l’infini,

La trace de traîneau du perdu.

 

Dessous, à l’abri,

Se hausse

Ce qui fait si mal aux yeux,

De colline en colline,

Invisible.

 

Sur chacune,

Rapatrié dans son aujourd’hui,

Un Je échappé dans le mutisme :

De bois, un pieu.

 

Là-bas : un sentiment

Qu’entraîne ici le vent de glace.

Il arrime l’étoffe couleur

Colombe, neige, son drapeau.

 

PAUL CELAN

Grille de parole

(traduction Martine Broda)

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mercredi, 13 janvier 2021

UNE IMAGE DE LA FEMME ...

... PARMI D'AUTRES.

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Isabel Marant (créatrice de mode) photographiée pour Le Monde (12 janvier) par Martin Colombet.

J'ose imaginer que certain aspect de la photo n'a pas été voulu, recherché, prémédité (affiché ? revendiqué ?). 

mardi, 12 janvier 2021

PAR RAPPORT A LA NORMALE

Entendu hier sur une chaîne de radio publique dans un bulletin d'information (c'était une journaliste) : 

« Pendant le dernier confinement, le nombre des plaintes pour violences conjugales enregistrées par les services compétents ont connu un boum par rapport à la normale ».

Un moment, j'ai cru que c'était un bulletin météo.

Note : ce n'est pas la citation exacte, mais l'expression soulignée ci-dessus est garantie textuelle.

dimanche, 10 janvier 2021

CABU ET DIEU

Parce que y a pas que Mahomet dans la vie.

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Cabu, ou l'art de montrer sans montrer tout en montrant.

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Pas mal, il y a de ça, je veux dire : pour ce qui est d'être drôle (image trouvée récemment sur fesse-bouc).

mercredi, 06 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (4)

EUGÈNE SAVITZKAYA

***

La montagne a bougé, la montagne est en morceaux. La maison, cassée. Sous terre sont les merisiers et leurs brindilles, le mélèze, le feuillage dispersé, le mouton, le mammouth musclé, la bonne mouture de froment, les ordures, les os, les machines sans roues, les quartiers de meule, les faisceaux de paille mouillée, les rayons de miel, le minerai si vif et le manganèse, il n'y a plus de musc, plus de chair molle, rien que de la matière morcelée et du morfil en quantité.

EUGÈNE SAVITZKAYA

Quatorze cataclysmes.

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mardi, 05 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (3)

GHÉRASIM LUCA

***

Son corps léger

est-il la fin du monde ?

c’est une erreur

c’est un délice glissant

entre mes lèvres

près de la glace

mais l’autre pensait :

ce n’est qu’une colombe qui respire

quoi qu’il en soit

là où je suis

il se passe quelque chose

dans une position délimitée par l’orage 

***

Près de la glace c’est une erreur

là où je suis ce n’est qu’une colombe

mais l’autre pensait :

il se passe quelque chose

dans une position délimitée

glissant entre mes lèvres

est-ce la fin du monde ?

c’est un délice quoi qu’il en soit

son corps léger respire par l’orage 

*** 

Dans une position délimitée

près de la glace qui respire

son corps léger glissant entre mes lèvres

est-ce la fin du monde ?

mais l’autre pensait : c’est un délice

il se passe quelque chose quoi qu’il en soit

par l’orage ce n’est qu’une colombe

là où je suis c’est une erreur 

***

Est-ce la fin du monde qui respire ?

son corps léger ? mais l’autre pensait :

là où je suis près de la glace

c’est un délice dans une position délimitée

quoi qu’il en soit c’est une erreur

il se passe quelque chose par l’orage

ce n’est qu’une colombe

glissant entre mes lèvres 

***

Ce n’est qu’une colombe

dans une position délimitée

là où je suis par l’orage

mais l’autre pensait :

qui respire près de la glace

est-ce la fin du monde ?

quoi qu’il en soit c’est un délice

il se passe quelque chose

c’est une erreur

glissant entre mes lèvres

son corps léger

 

GHÉRASIM LUCA

Paralipomènes, "Son corps léger".

dimanche, 03 janvier 2021

DEVISE POUR 2021

IN GOOD WE TRUST !

LES PLAISIRS.jpg

L'odorat. - L'ouye. - Le goust. - La veue. - L'attouchement.

samedi, 02 janvier 2021

LES POÈTES DE MA VIE (2)

PHILIPPE JACCOTTET

***

La nuit est une grande cité endormie

où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu'à

l'asile de ce lit. C'est la minuit de juin.

Tu dors, on m'a mené sur ces bords infinis,

Le vent secoue le noisetier. Vient cet appel

qui se rapproche et se retire, on jurerait

une lueur fuyant à travers bois, ou bien

les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.

(Cet appel dans la nuit d'été, combien de choses

j'en pourrais dire, et de tes yeux...) Mais ce n'est que

l'oiseau nommé l'effraie, qui nous appelle au fond

de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur

est celle de la pourriture au petit jour,

déjà sous notre peau si chaude perce l'os,

tandis que sombrent les étoiles au coin des rues.

 

PHILIPPE JACCOTTET

L'Effraie.

vendredi, 01 janvier 2021

VIVE LE COUVRE-VŒUX !!!

OUI, VIVE LE COUVRE-VŒUX !!!

ET MERCI !!!

Oui, merci d'avance à tous ceux qui ne me souhaiteront pas mille bonheurs, dix mille joies et cent mille félicités à l'occasion de la nouvelle année ! Merci de ne pas m'ensevelir sous les montagnes d'espérances en des jours toujours meilleurs qui ne viennent jamais !

Rappelez-vous les tombereaux de bonnes intentions, bons sentiments et bonnes résolutions formulées tous azimuts au tout début de 2020 ! Rappelez-vous : « ... et la santé, surtout ! ».

On a vu ce qu'il en était : confinement, déconfinement, reconfinement, redéconfinement, et bientôt re-re-confinement, re-re-déconfinement, jusqu’à ce que des dents viennent aux poules. Les sentiments, les intentions, les résolutions, on voit depuis lurette à quel point c’est efficace pour combattre le Mal.

Merci d'avance à tous les sociologues, anthropologues, philosophes, historiens, économistes et autres spécialistes des sciences humaines qui fermeront enfin leur gueule après nous avoir tout au long de l'année laissé entrevoir combien mirifique pouvait être l'avenir futur si ........ et à condition que ………

Merci à eux de rayer de leur vocabulaire l'incantatoire et imbécile « IL FAUT », dont ils ont rebattu les oreilles des populations spectatrices, dont ils se sont gargarisés en prenant des airs avantageux de monsieur-qui-sait-tout, dont ils ont projeté sur l'écran encore vierge de l'horizon humain les images chimériques.

Merci à tous d'être enfin lucides et sincères : 2021 sera comme 2020. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas pire. Ce ne sera déjà pas mal.

Comme disent (presque) les militaires après une bonne séance de tir :

HALTE AUX VŒUX !!!

mardi, 29 décembre 2020

LES POÈTES DE MA VIE (1)

YVES BONNEFOY

***

LIEU DU COMBAT

I

Voici défait le chevalier de deuil.

Comme il gardait une source, voici

Que je m'éveille et c'est par la grâce des arbres

Et dans le bruit des eaux, songe qui se poursuit.

 

Il se tait. Son visage est celui que je cherche

Sur toutes sources et falaises, frère mort.

Visage d'une nuit vaincue, et qui se penche

Sur l'aube de l'épaule déchirée.

 

Il se tait. Que peut dire au terme du combat

Celui qui fut vaincu par probante parole ?

Il tourne vers le sol sa face démunie,

Mourir est son seul cri, de vrai apaisement.

 

II

Mais pleure-t-il sur une source plus

Profonde et fleurit-il, dahlia des morts

Sur le parvis des eaux terreuses de novembre

Qui poussent jusqu'à nous le bruit du monde mort ?

 

Il me semble, penché sur l'aube difficile

De ce jour qui m'est dû et que j'ai reconquis,

Que j'entends sangloter l'éternelle présence

De mon démon secret jamais enseveli.

 

O tu reparaîtras, rivage de ma force !

Mais que ce soit malgré ce jour qui me conduit.

Ombres, vous n'êtes plus. Si l'ombre doit renaître

Ce sera dans la nuit et par la nuit.

 

YVES BONNEFOY

Du Mouvement et de l'immobilité de Douve.

 

dimanche, 27 décembre 2020

L'ISLAM DU QUOTIDIEN

Les bonnes âmes voudraient bien convaincre le bon peuple qu'il ne faut pas confondre musulman et islamiste radical. Je propose à la réflexion cette "brève" parue dans Le Progrès daté Dimanche 27 décembre.

2020 12 27 musulman à Noël.jpg

Les agresseurs ne sont pas des djihadistes : ce sont des musulmans ordinaires, oh, juste un peu sourcilleux quant à l'observance des règles de la religion. Voilà aussi ce que c'est, l'islam ordinaire. Je repense à ce jour où j'ai vu, rue Victor Fort, une fille de treize ou quatorze ans se faire raccompagner à la maison à grands coups de baffes par son frère de deux ou trois ans plus âgé, parce qu'elle préférait rester avec ses copines au lieu de rentrer pour célébrer ramadan. Et je repense à la jeune Mila, qui continue à prendre des tombereaux d'insultes et de menaces parce qu'elle a osé affirmer (et confirmer) tout le mal qu'elle pensait de la religion musulmane. Et je pense à tous ces musulmans que je ne connais pas, qui aimeraient bien (peut-être) se libérer de ce carcan, et qu'on a convaincus de très longue date qu'on ne saurait quitter cette religion sans commettre un péché mortel qui mérite un lourd châtiment.

Ceci est un message adressé aux "bonnes âmes" qui pensent que l'islam est une religion comme les autres. Non, l'islam, surtout celui d'aujourd'hui, n'est pas une religion comme les autres. Et qu'on ne me dise pas qu'il ne s'agit que d'un cas particulier (voir mon billet du 8 décembre) : l'affirmation musulmane en France procède d'une "ambiance" qui a tendance à se répandre et à dominer.

vendredi, 18 décembre 2020

MODIANO, L'ETERNEL RETOUR

Manifeste de la Littérature Évasive.

littérature,littérature française,patrick modiano,souvenirs dormants,encre sympathique,éditions gallimardAujourd'hui 16 décembre 2020, je viens de lire Souvenirs dormants, de Patrick Modiano (Gallimard, 2017). Bon, vous allez penser que je ne suis pas pressé, et vous aurez raison. D'autant plus que ça fait exactement un an jour pour jour (16 décembre 2019) que j'ai acheté le bouquin (2€) au rayon "livres" de la "grande surface" des Sans Abri du quartier de Vaise (on trouve ça rue Berjon). C'est donc à l'occasion de son premier anniversaire sur mes rayons que j'ai lu ce Modiano-là. 

Je ne vais pas trop m'appesantir sur l'analyse, voire le résumé de Souvenirs dormants. D'abord, peut-on résumer semblable récit, fait de morceaux, de fragments et de pièces de puzzle ? Quoi qu'il en soit, mon commentaire est d'ores et déjà plus copieux que celui par lequel j'avais littéralement "expédié" Encre sympathique lors de sa parution. J'avoue avoir été un peu brutal. Mon avis n'a cependant pas radicalement changé : entre le "je-ne-sais-quoi" et le "presque-rien" que l'auteur apporte sur la table de son lecteur, mon cœur a cessé de balancer, je reste sur ma faim.

Ce roman (mais est-ce un roman ?) ressemble à ce qu’on a appelé « Nouvelle Cuisine » dans les années 1980 : trois haricots liés en botte, quatre dés de viande, deux crottes de purées de légumes, quelques traînées de vinaigre balsamique et de faux safran. On sortait de table avec l’envie de se taper un bon « jambon-beurre » à la première boulangerie du coin.

J'ai cessé de recourir au plan de Paris pour y retracer les errances du narrateur au gré des hôtels, des mansardes et des restaurants. Souvenirs dormants, dans ses tout juste 100 pages écrites, nous livre le nom des artères par charrettes entières, tout en se permettant quelques excursions en Haute-Savoie, au sujet d'un collège où l'on ne le verra jamais, et en particulier sur le plateau d'Assy, à cause d'une certaine Irène qu'on ne rencontrera jamais. La mémoire défaillante, le réel qui n'y subsiste que par bribes, si cela peut faire système, constituent le domaine où ne cesse de se mouvoir Modiano, avec la maladresse de l'albatros atterri par erreur sur le pont d'un navire inhospitalier.

D'ailleurs les verra-t-on vraiment, les autres personnages ? A peine quelques silhouettes entrevues au fond de l'ombre du soir dans une brume épaisse. Ces quelques pages sont jalonnées de plusieurs noms de femmes : par ordre d'apparition et sans compter Irène, déjà nommée, Mireille Ourousov, Geneviève Dalame, Madeleine Péraud et Madame Hubersen qui a peur de rentrer chez elle le soir à cause de sa collection de masques d'Afrique et d'Océanie, et qui préfère entraîner le narrateur, un peu contre son gré mais, jusqu'à Versailles où il n'a rien à faire.

On ose à peine dire que Geneviève Dalame sert de fil conducteur, tant ses évocations sont offertes en pointillé, et au total on saura fort peu de choses de la dame, que le narrateur retrouve donc de temps en temps, après des intervalles de plusieurs années (de six à vingt). On apprendra quand même en cours de route qu'elle a vécu un temps dans un immeuble cossu avec son petit garçon. A peine rencontre-t-on le frère de Geneviève : venu des Vosges, cet homme louche a fait un peu de prison et porte un blouson fatigué doublé de faux léopard. 

Tout le récit (rien n'indique que ce soit un "roman") semble répugner à l'action : à peine un coup de poing dans le visage d'un ami du frère déjà évoqué pour échapper à on ne sait quel traquenard. Le reste baigne comme à l'accoutumée dans la ouate de déplacements plus ou moins erratiques, cotonneux et sans but. Ah si, une autre "action" : une fille appelle au secours le narrateur, parce qu’elle a tué un certain Ludo F., de trois coups de revolver partis tout seuls. On ne saura rien des données du problème : le revolver et son étui en daim finiront au fond d'une poubelle, et la police, en dehors du mort, n'identifiera aucun acteur de l'affaire.

« Il m’a demandé "ce que je faisais dans la vie" et je lui ai répondu de manière évasive » (p.24). « Mais à cette époque, j’avais la certitude qu’elle ne me répondrait pas ou bien que ses réponses seraient évasives » (p.54). Je me demande si Patrick Modiano n’a pas inventé la « littérature évasive ». C’est sûrement un choix, et mûrement réfléchi. Mais cette culture acharnée du fuyant finit par ressembler à un tic (ou à un T.O.C. : Trouble Obsessionnel Compulsif). Sérieusement, je me demande si le rétrécissement de l'inspiration de l'écrivain autour de ses quelques "fondamentaux" n'en réduit pas par là-même la portée.

Le problème posé par ce genre de littérature, c’est qu’elle risque de ne pas laisser plus de traces dans la mémoire du lecteur que le nuage n’en laisse dans le ciel.

Voilà ce que je dis, moi.

Note ajoutée le 19 décembre : 

Je suis impardonnable : je n'ai pas mentionné un détail en apparence dérisoire, mais qui a son importance néanmoins. On trouve dans Souvenirs dormants ce passage : « Mais, en sortant de l'immeuble, je ne voyais plus vraiment la raison d'être triste. Pour quelques mois encore ou, qui sait ?, quelques années, malgré la fuite du temps et les disparitions successives des gens et des choses, il y avait un point fixe : Geneviève Dalame. Pierre. Rue de Quatrefages. Au numéro 5. » (p.56-57). J'ai souligné "rue de Quatrefages", parce que l'expression m'a sauté au visage. D'abord parce que c'est la rue où emménagent Jérôme et Sylvie dans le roman très connu Les Choses de Georges Perec, qui leur attribue le n°7, sans doute par pur goût du "clinamen" : « Ils trouvèrent à louer, au numéro 7 de la rue de Quatrefages, en face de la Mosquée, tout près du Jardin des Plantes, un petit appartement de deux pièces qui donnait sur un joli jardin » (Julliard, 1965). Ensuite parce que Georges Perec, en compagnie de Paulette, la femme qui partageait alors sa vie, acheta en 1960 un petit appartement dans la même rue : « Le numéro 5 de la rue de Quatrefages était une adresse idéale » (David Bellos, Georges Perec, une vie dans les mots, Seuil, 1994, p.251 : admirable biographie de l'auteur). Je doute fort que le hasard soit pour quelque chose dans ce détail du livre de Modiano.

Dernier point, mais c'est vraiment pour chinoiser : on lit page 94 de Souvenirs dormants : « Un jour, j'ai eu l'intuition que cette cause datait d'avant ma naissance et que le remords s'était propagé le long d'un cordon Bickford ». Ou je dis une bêtise, ou le "cordon Bickford" appartient à la catégorie non des "mèches", mais des "cordons détonants" : la mèche ne se consume pas progressivement, mais provoque illico l'explosion à la distance de cordon déroulée.

jeudi, 17 décembre 2020

TOUS CONDAMNÉS

Tous condamnés, oui. Des comparses plus ou moins proches des massacreurs, des complices plus ou moins impliqués dans les préparatifs. Il paraît qu'il faut croire en la justice. Il paraît qu'il faut se réjouir des verdicts équilibrés rendus par la Cour d'Assises spéciale de Paris. Mais personne ne nous rendra Cabu, Wolinski, Bernard Maris et les autres victimes du 7 janvier 2015 (les frères Kouachi détruisent l'équipe de Charlie Hebdo), du 8 janvier 2015 (Coulibaly tue Clarissa Jean-Philippe, policière municipale), du 9 janvier 2015 (Amédy Coulibaly tue 4 de ses otages à l'hyper casher de la porte de Vincennes). Cabu était lucide : il disait, suite à l'affaire du cocktail Molotov, qu'il existait quelque part des gens capables de venir les tuer. Il avait raison. Et ce n'est pas ce procès, si juste soit-il, qui peut refermer la plaie. Tous ces crimes sont à jamais irréparables.

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Je pense bien sûr aux autres victimes, à cette policière que le "hasard" a placée sur la route de Coulibaly, à ces clients de l'hyper casher, mais quand je pense à ces trois-là, je revis, le cœur à vif, le 7 janvier, quand on a appris, au fil heurté des bulletins d'information, qu'il s'était passé quelque chose au siège de Charlie Hebdo, et puis un peu après qu'il y avait peut-être des morts. Et puis les coups de massue ont frappé, cogné, retenti. D'abord quelques noms ont été prononcés. Et puis tout d'un coup Cabu !!!!!!! Cabu !!!!!!! Non, pas lui ! Et puis Wolinski !! Et puis Bernard Maris !! Un monde s'écroulait. 

Depuis ce jour, j'ai l'impression que le monde ne cesse de s'écrouler.

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 08 décembre 2020

DE MILA À SAMUEL PATY

« Va bien te faire fourré sombre pute je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde. Je m’en chargerais moi-même. Je me ferais un réel plaisir de l’acéré ton corps avec mon plus beau couteau et d’aller laisser pourrir ton corps dans un bois ». Voilà le texte d’un aimable mail – parmi une foule d’autres du même acabit – reçu par une adolescente en France en 2020, tel que le journal Le Monde le reproduit – textuellement, fantaisies linguistiques comprises – dans son numéro daté du 28 novembre.

L’adolescente s’appelle Mila, et personne ne lui a encore coupé la tête. Il faut dire qu’elle n’est pas tendre avec tout ce qui est musulman, islamique, islamiste, mahométan ou coranique : « Votre religion c’est de la merde, votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci. Au revoir. » Si un adepte particulièrement susceptible lui fait « une Samuel Paty », comme le lui promettent des internautes, elle saura pourquoi, et il se trouvera certainement quelques citoyens bien français (vous savez, ces gens de gauche prompts à dénoncer l' "islamophobie") pour dire qu’elle « l’aura bien cherché », et qu’elle s’est livrée à des provocations inutiles et choquantes (mais rien d'illicite selon le procureur).

Samuel Paty, lui, ne s’est pas livré à une provocation. C’est presque pire : il a entrepris, contre toute raison raisonnable, d’expliquer à des gens inaccessibles à cette idée, pour quelles raisons il était permis en France de se moquer des religions, en prenant pour exemple l’objet de fixation des passions du moment : les caricatures de Mahomet. C’est permis, il y a même des lois pour cela. Mais dans la réalité, combien de musulmans sont assez "évolués" pour déclarer comme Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux (Le Monde, 2 décembre) : « Islam de France : aux laïcs la gestion administrative, aux religieux la religion » (c'est le titre de sa tribune) ? Le brave homme se trompe ou se prend à rêver : il n'y a pas de laïcs en islam, ou si peu que rien, pas de laïcité, et le vrai musulman ne comprend rien à la notion et à ce qu'elle implique. 

Combien de musulmans vivant en France sont assez évolués pour simplement admettre le principe de la laïcité, qui fait de la croyance religieuse une chose purement privée ? Pas lourd. Car dans l’islam, la vie religieuse est rigoureusement inséparable de la vie civile, de la vie sociale et de la vie politique. Ne pas oublier que "musulman" signifie "soumis à Dieu" : le bon musulman ne perd jamais de vue l’ombre d’Allah, qui le suit, l’observe et l’entend à tout moment de son existence. Pour un musulman, le religieux imprègne la totalité de la vie.

Alors que pour les « vieux Français » (on disait "vieux chrétien" en Espagne il y a quelques siècles), la loi de 1905 est une chose du passé, entendue, admise, classée, au point que plus personne n’en parlait jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’un intrus s’était immiscé dans ce tableau tranquille, si l’on excepte quelques abcès, furoncles ou apostèmes (catholiques en 1984 et juifs par épisodes) crevés plus ou moins vite et plus ou moins complètement. Pour ce qui est des religions, la France pouvait être considérée comme un pays en paix, jusqu’à ce que certains trublions, au nom du père Mahomet, mettent très ostensiblement les pieds, la barbe, le hidjab et maintenant le poignard dans le plat.

Là-dessus, depuis les crimes de Mohamed Merah (2012), les hauts responsables politiques ou autres se sont échinés à répandre l’idée qu’il faut surtout se garder de confondre « islamique » et « islamiste radical ». Je voudrais bien que ce soit possible et réaliste, mais je me suis assez vite demandé si la distinction n’était pas de pure forme, académique et vaine. Et ce n’est pas la mort atroce de Samuel Paty, décapité en pleine rue, qui m’a amené à me reposer la question : son meurtrier est incontestablement un islamiste radical, qui s’est convaincu, entraîné, qui a soigneusement traqué la cible que quelqu’un lui a désignée et mis son projet à exécution.

Il en va tout autrement du cas de Mila, victime toujours vivante des tombereaux de haine déversés contre elle depuis qu’elle a eu l’audace de refuser de « sortir » avec un garçon qui se présentait comme musulman (si je me souviens bien). Depuis qu’elle l’a repoussé en lui disant ce qu’elle pensait de sa religion, toute une islamosphère a pris feu et menace d’y jeter l’adolescente, qui en a inconsidérément rajouté quelques couches. 

On me dira que ce sont les « réseaux sociaux », qu’après tout ce ne sont que des mots, et qu’ils sont, les uns et les autres, loin d’être l’expression de tout ce que la France compte de musulman. J’en suis d’accord. Je fais simplement remarquer que la haine à l’encontre de la jeune Mila constitue le point où se réunissent un grand nombre (combien ?) de gens, et que s’il faut qualifier tous ces gens d’ « islamistes radicaux », les Français peuvent commencer à avoir peur, parce que ça signifie que nous avons sur notre sol la tête de pont d’une armée ennemie. Or je crois justement que ce ne sont pas des islamistes radicaux qui s'en prennent à Mila, mais des musulmans plus ou moins ordinaires. Je dirais plutôt que nous assistons à une crispation forte de ces couches de la population sur la partie religieuse de leur identité.

On peut considérer que cette haine pour l’adolescente, largement partagée, exprime le sentiment, non d’un groupuscule d’extrémistes prêts à l'action violente, mais d’une partie non négligeable des musulmans de France, probablement des jeunes générations, dont le poil se hérisse dès qu’un outrage à leur dieu, à leur prophète ou à leur religion montre le bout de l’oreille.

J’en veux pour preuve les sept cent quatre-vingt-treize « signalements » parvenus sur le bureau du ministre de l’Education, suite à l’hommage rendu à Samuel Paty dans les collèges et lycées, et dont 17% ont été rangés dans la colonne « apologie du terrorisme » et 5% dans la colonne « menaces de mort ». Là encore, on me dira que ce sont des jeunes, qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent.

Mais je répondrai par une question : pour 793 cas « signalés », combien d’autres ont été purement et simplement passés sous silence par des personnels enseignants excédés de la pression qui pèse sur eux en cette matière, et qui ne tiennent pas à charger la barque ? Et pour un imam  (celui de Villiers-le-Bel) condamné à dix-huit mois de prison pour apologie du terrorisme (Le Monde, 28 novembre), combien restent en liberté pour prêcher la haine tous les vendredis à la prière ? Et combien de musulmans ordinaires répondent aux sondeurs qu'ils placent la charia au-dessus des lois françaises ?

On l’aura compris : mon hypothèse est que la haine pour tous ceux qui critiquent l’islam si peu que ce soit n’est pas le fait d’un petit nombre d’endoctrinés fanatiques, mais qu'elle est largement partagée, constituant le socle où viennent se reconnaître d’innombrables musulmans de France. C’est une tache d’huile qui se répand dans la "communauté musulmane". Il est donc vain, et même dangereux d’ergoter à l’infini sur la nécessité de bien distinguer « islamique » et « islamiste radical », dans l’intention vertueuse de ne pas « faire d’amalgame » et pour ne pas « stigmatiser » les pauvres musulmans honnêtes qui n’ont rien à voir avec tout ça.

La raison en est que la notion de « laïcité » est vécue comme un corps étranger incompréhensible par le corps tout entier de ce qui se dit musulman en France. Pour une majorité d’entre eux, je suis d'accord : c’est une loi française, on leur dit de la respecter, ils la respectent quoique sans la comprendre et surtout sans l’intérioriser. Sans trop de risque de se tromper, on peut dire que pour un musulman, la laïcité c’est de l’hébreu.

C'est d'ailleurs dans cette mesure que certains (Houellebecq, Redeker, etc.) peuvent soutenir que l'islam est la religion la plus ... disons "mentalement attardée" : dans le vaste mouvement de l'évolution, l'islam a décidé de s'arrêter à un point "p", même s'il y a d'innombrables exceptions locales ou individuelles. L'islam dominant d'aujourd'hui (je veux dire celui qui fait le plus de bruit) propose une civilisation qui s'est arrêtée il y a quelques siècles. 

Et les psychologues, les sociologues, les anthropologues auront beau me prêcher qu’il ne faut pas ci, qu’il ne faut pas ça parce que gna gna gna, je resterai convaincu de l’incompatibilité totale entre notre laïcité et cette « culture » coranique profondément ancrée dans l'esprit des croyants depuis bientôt mille quatre cents ans : il faut se convaincre, nous autres "vieux Français", que pour qu'un musulman de bonne foi comprenne l'idée de laïcité, il doit faire un effort immense.

Il n’y a plus de problème de laïcité en France, pays déchristianisé où les messes chevrotantes du dimanche ressemblent à des voyages du troisième âge : il n'y a que le problème de l’islam, résolument hermétique à la séparation du civil (social, politique, ...) et du religieux. La laïcité est en soi une négation de l'islam, et réciproquement. De Mila à Samuel Paty, c’est le même fil de haine.

Pour une mosquée fermée, pour quelques associations dissoutes, combien d’infatigables activistes en liberté travaillent au corps la communauté musulmane pour enrôler de nouvelles énergies ? Qu’ils soient wahabites ou salafistes importe peu : leur message est infiniment plus simple et efficace que la complexité odieuse d’une loi sur la laïcité que les Français eux-mêmes ne sont pas nombreux à comprendre. Les ignorants ont besoin de messages simples, rudimentaires, schématiques, et pour tout dire binaires.

Ce qui est sûr, c’est que pour un musulman, la laïcité, c’est de l’hébreu.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : Juste pour mémoire, un billet écrit en juin 2019.

Note ajoutée le 10 décembre : Mila a été exclue de l'institution militaire qui avait accepté de l'héberger, au motif qu'elle ne peut se passer de s'exprimer sur les réseaux sociaux et que, cela étant, elle met en danger l'institution elle-même. Mila n'a pas tout compris, hélas.

vendredi, 04 décembre 2020

MARCELLINE GASTON

Je ne sais pas où habitait exactement Marcelline Gaston, je veux dire dans quelle piaule à bon marché elle avait trouvé un abri. Quand je l'ai vue, à ma grande surprise, dans l'église Saint-Polycarpe, assister aux obsèques du cher docteur Maurice Denis, j'ai commencé à me demander si quelque âme généreuse ne lui avait pas trouvé une chambre dans le très sélect immeuble "Saint-Bernard", boulevard de la Croix-Rousse. Maurice et Annie Denis, catholiques fervents, possédaient là un bel appartement. J'avais d'ailleurs vu un jour Marcelline sortir de l'immeuble. Aurait-elle eu, sans cela, de quoi se loger ?

Le territoire de Marcelline n'était pas très étendu : la place de la Croix-Rousse en tout premier, avec des apparitions chez le boulanger Caclin (maintenant "Les Co'pains d'abord"), à l'angle de la rue d'Austerlitz et de la rue Belfort. On pouvait parfois apercevoir sa silhouette rue Aimé Boussange ou rue Victor Fort. En dehors des producteurs du marché du boulevard, dont certains la connaissaient fort bien, pour lui abandonner à vil prix quelques denrées, du moins à ce que j'ai cru comprendre, je ne l'ai jamais vue s'aventurer beaucoup plus loin.

Sa silhouette ? Indescriptible. Imaginez un arbre cassé en deux, le tronçon supérieur faisant un angle droit avec la partie verticale. Ajoutez qu'elle marchait d'un pas saccadé, tenant une béquille orthopédique dont elle dirigeait vers l'avant la partie réservée au coude, et tenait la poignée comme si ç'avait été une arme. Elle n'aimait pas qu'un marcheur audacieux ose la dépasser d'un pas plus rapide, et elle le faisait savoir. 

Tous les gens passant par ce coin de Croix-Rousse ont un jour croisé la route de Marcelline Gaston. Certains s'en souviennent peut-être pour avoir subi ses imprécations au moment de la côtoyer, que ce soit sur le trottoir ou faisant la queue dans un magasin, émettant à jet quasiment continu ses récriminations contre le monde ou contre ses semblables.

Je l'ai entendue enjoindre à une femme qui en est restée tout ébaubie de retourner chez elle pour quitter son pyjama et passer enfin une tenue correcte. Elle ne dédaignait pas l'insulte, et je ne doute pas qu'elle a froissé les oreilles ou l'amour-propre des passants qui ne fréquentaient le plateau qu'à l'occasion de son marché ou pour se procurer quelques macarons chez Bouillet. 

Cela dit, moi je sais que Marcelline Gaston n'était pas méchante. Ceux qui avaient compris et admis sa présence, à commencer par les commerçants chez qui elle se procurait le peu qu'elle mangeait, devinaient (plus qu'ils ne savaient) que son existence passée n'avait pas été de tout repos et qu'elle avait eu son gros lot d'épreuves. 

Chaque fois que je l'ai croisée, après un temps de surprise vaguement déconcertée, j'ai pris le parti de la saluer d'un : « Bonjour Madame » sonore. Du coup, elle m'avait "à la bonne". La preuve, c'est qu'elle n'hésitait pas, quand nous nous trouvions dans la même file d'attente, à me taxer d'une pièce ou deux. Comment refuser ? Je n'oublierai pas le regard presque sauvage qu'elle levait vers les personnes en qui elle reconnaissait non des méchants, mais au moins des vivants tolérables. 

Un jour que j'étais assis à la terrasse de La Crèche en train de lire mon journal en sirotant (avec modération) quelque boisson forte, elle me reconnut, s'approcha et me demanda : « Vous me payez un verre ? ». Là encore, comment refuser ? Elle s'assit, pendant que j'allais demander à Jean-Pierre un pastis pour la dame. Jean-Pierre ne dit rien.

Elle me raconta alors une partie de ses malheurs, en particulier ses séjours à l'hôpital, où les chirurgiens lui certifiaient que son problème de colonne vertébrale était absolument inopérable. « Sinon j'y passais », avait-elle ajouté. 

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Marcelline Gaston vient de mourir. J'en ai lu l'annonce dans Le Progrès. Elle avait trouvé pour finir refuge chez les Petites Sœurs des Pauvres. J'espère qu'elle est morte en paix avec le monde et avec elle-même. Qui peut bien se cacher derrière le "nous" qui a assuré les frais de cet avis de décès paru dans Le Progrès daté du 26 novembre 2020 ? J'aimerais bien le savoir.

mercredi, 02 décembre 2020

ANNE SYLVESTRE ET VIOLENCES POLICIÈRES

Anne Sylvestre (Beugras de son vrai nom, ça ne s'invente pas, et ça explique le pseudo : dans la Bible, il me semble qu'on sait ce qui arrive au bœuf gras au retour du fils prodigue, non ? – Oui, je sais, ce n'est pas « léger comme du duvet ») est morte, paraît-il. Ben oui, et alors ? Pourquoi en faire une affaire ? Je vais vous dire : j'ai rarement entendu une voix (je parle exclusivement du timbre et de mon oreille à moi) respirant à ce point-là la bêtise. Dans mon entourage immédiat, pas toujours très charitable, j'ai entendu souvent "niaise", "gnan-gnan" et toute cette sorte de choses. C'est subjectif et assumé comme tel.  Je ne parle pas du reste.

Je préfère écouter les propos éminemment sensés et pondérés que quelques connaisseurs ont échangés à propos de la police française : Anthony Caillé, syndicaliste CGT ; Valentin Gendrot, journaliste infiltré dans un commissariat du 19ème arrondissement de Paris, auteur de Flic (éditions Goutte d'or). Cela se passait mardi 1er décembre dans l'émission Les Matins (cliquer) de Guillaume Erner sur France Culture (39 minutes).

Le troisième invité serait plutôt un intrus : Alain Bauer est criminologue à ce qu'on dit, mais il était (est toujours ?) copain comme cochon de Stéphane Fouks (pub et com') et Manuel Valls, tous anciens poulains préférés de Michel Rocard. Bauer, par-dessus le marché, fut un temps Grand Maître du Grand Orient de France et, à l'époque de Sarkozy, était arrivé à se voir offrir sur un plateau, taillée sur mesure, une chaire universitaire de professeur de criminologie, au grand scandale de quelques-uns, plus légitimes. Oui, tout ça est vrai, mais il se trouve que ce matin-là il a dit des choses plutôt de bon sens.

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Bauer, Rocard, Valls, Fouks.

Au total, j'ai trouvé en Caillé, Gendrot, et même Bauer, non des militants défendant mordicus une cause à coups de langue de bois d'un côté, de propagande de l'autre et d'omerta d'un troisième, mais des gens plutôt raisonnables, et surtout très informés.  Et ça, ça fait du bien, parce que ça vous redresse la comprenette. Oui, il y a des cinglés de la matraque, de la baffe et du coup de poing dans les rangs de la police. Oui, la hiérarchie tend à couvrir les abus, ou à la rigueur ferme les yeux (une anecdote dans le livre de Gendrot : une commissaire ouvre la porte d'une pièce où un gardé à vue est en train d'en prendre plein la figure : « Holà, je repasserai »). Oui, le temps de formation est très insuffisant. Non, les policiers de base n'ont pas "peur" des images.

Une bonne émission.

Bien mieux qu'une petite chanteuse qu'on essaie aujourd'hui de faire passer pour une grande.

lundi, 30 novembre 2020

ARTICLE 24 ? ...

... OU TOUTE LA LOI SÉCURITÉ GLOBALE ?

Ajouté le 29 novembre (voir ici au 27/11), après les manifestations de Paris et d'ailleurs contre la "Loi Sécurité Globale", qui ont "dégénéré" selon les télés et les radios : qu'ils s'appellent "black blocks", "antifas" ou autre, c'est un ramassis de connards ou de bandits qui ne font que fusiller l'esprit de la manifestation. Ce faisant, ils se permettent d'amnistier, pour la plus grande satisfaction de la haute hiérarchie policière et du gouvernement, les quatre flics qui ont tabassé Michel Zecler et obscurcissent la question des violences policières.

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Là où les manifestants peuvent espérer, c'est que la tempête soulevée par le cassage de gueule en règle de Michel Zecler visionné sur internet par des millions de gens a donné un coup à l'estomac de tout le gouvernement. Macron, Darmanin et leurs équipes sont en train de phosphorer pour voir de quelle manière ils pourraient reculer sans reculer vraiment, je veux dire donner l'impression de faire une concession, mais sans sacrifier l'essentiel de leurs mauvaises intentions.

Ce qui me réjouit cependant, c'est d'imaginer la tête de Darmanin quand il a appris la bavure policière, en train de fulminer, de pester, de pousser de vrais gros jurons et de se promettre qu'il aura la peau des trois ou quatre imbéciles qui scient au pire moment la branche sur laquelle lui et sa loi sont assis.

Faut-il donc supprimer l'article 24 ? Ou bien est-ce toute la loi qui doit passer à la trappe ? Gageons que le ministre est en train d'essayer de sauver tout ce qui peut être sauvé. Il y aura toujours des gens pour être soulagés par une demi-mesure : « Ouf, c'est moins pire qu'on pouvait le craindre ». Si Darmanin parvient à sauver son texte, la police, gangrenée par un état d'esprit tout droit venu de l'extrême-droite (avec tout ce que ça comporte comme sous-entendus racistes et violents), se sentira la bride sur le cou.

Je dis "gangrenée" sur la foi de la vidéo prise d'un balcon et qui a saisi l'action des renforts arrivés devant le studio de Michel Zecler. Je n'ai pas vu un seul agent tenter de modérer l'ardeur de ses collègues, bien au contraire, et ce, jusqu'à ce qu'on entende l'appel "caméra ! caméra ! ", qui a soudainement calmé tous ces hommes vêtus d'un uniforme pris en flagrant délit de violence gratuite. On a dans ces images la preuve que l'état d'esprit dont je parle est largement partagé.

L'opinion publique prendra peut-être conscience que le problème le plus grave n'est pas une manifestation légitime, que vient bousiller une bande de casseurs irresponsables, puis réprimée dans les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les grenades de désencerclement. Il est dans les critères de recrutement des policiers, mais aussi et surtout dans la durée et le contenu de la formation qui leur est inculquée.

Comment en finir avec la culture de la violence quotidienne au sein des corps policiers ? Il faudrait aussi en finir avec le réflexe corporatiste qui pousse la hiérarchie policière à couvrir certains abus de leurs subordonnés et des flics de base, au mépris de toute justification légale. C'est à ces questions que vous devez maintenant répondre, monsieur Darmanin.

***

Ajouté 1 décembre : Note 1 : ça y est, le troupeau des moutons macronistes (je parle des députés de la majorité) s'apprête à se déjuger magistralement : à l'aimable "invitation" de leur intraitable berger, ils vont réécrire l'article 24. Avec pour consigne subsidiaire de rendre celui-ci absolument irréprochable et de sauver une fois pour toutes le reste du texte. Ouf, l'honneur est sauf. Quant aux députés, ils se consoleront en répétant le vieux dicton : « Faire et défaire, c'est toujours travailler ».

Note 2 : Darmanin parle de "révoquer" les trois "brebis galeuses" qui se sont rendues coupables de "violences illégitimes". Valentin Gendrot, auteur de Flic (éd. La Goutte d'or), le dit ce matin sur France Culture : « Dans le commissariat du 19ème, sur trente-six policiers, il y en a cinq ou six qui sont résolument racistes. Et ce sont eux qui font régner l'omerta » (cité en substance). Je me dis que si le gouvernement révoque toutes les "brebis galeuses" (± 18%), ça va faire de sacrés trous dans les effectifs.