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mardi, 20 juillet 2021

UNE AUTRE CROIX-ROUSSE ? (2)

Le projet présenté aujourd'hui est celui d'Edouard Guillon, ingénieur, assisté de Georges Trévoux, architecte. Quoique plus schématique ou moins abouti que celui du tandem Chalumeau-Garnier, il consiste toujours à raser purement et simplement tout ce qui empêche de joindre selon l'axe le plus direct et le plus large la place de la Comédie (on aperçoit la façade de l'Opéra à droite et un petit morceau de l'Hôtel de Ville à gauche) au presque sommet de la colline de la Croix-Rousse, je veux dire la place Bellevue, à l'extrémité en contrebas du boulevard de la Croix-Rousse côté Rhône.

Comme on le voit sur le détail de droite reproduit en plus grand plus bas, on ne lésine pas : on raie de la carte la montée Saint Sébastien, et vu l'emprise au sol de la "rue de la République prolongée", on démolit l'église Saint-Bernard, et on massacre sans doute l'église Saint-Polycarpe (si chère à mon cœur à cause des quatre-vingt-onze tuyaux en façade de l'orgue ; j'étais assis dans le chœur, je faisais face à l'instrument ; c'est juste après que j'ai quitté l'église, le père Voyant, le père Béal, les scouts et le catholicisme — anecdote authentique évidemment). 

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Et contrairement au projet précédent, Guillon-Trévoux, pour couronner l'œuvre, n'ont pas choisi de célébrer les morts innombrables de la guerre de 1914-1918, mais de glorifier la victoire militaire finale de la France sur l'ennemi prussien. On bombe le torse, et on est prêt pour la suivante. Avec le résultat qu'on sait.

G TREVOUX E GUILLON COMEDIE CROIX ROUSSE.jpg

Ci-dessous un agrandissement du détail de droite : la "rue de la Crèche" (aujourd'hui Boussanges) en biais accrochée par un bout au boulevard de la Croix-Rousse, la place Bellevue et la descente vers la place de la Comédie, l'Opéra et la Mairie centrale. On voit sur ce plan que, si le projet était allé à son terme, la nouvelle portion de la "rue de la République" aurait été nettement plus large que celle que nous connaissons aujourd'hui dans la presqu'île. 

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Dans le fond, il n'y a guère lieu de se plaindre, en définitive, de ce que, des deux projets concurrents, qui bénéficièrent d'une exposition en 1919, aucun n'ait été retenu, que ce soit pour une raison financière ou autre. Je retiens que la "raison" l'a emporté. Nul doute que les percements qui eurent lieu autour de 1860 dans la presqu'île pour élargir les artères (rue Impériale-rue de la République ; rue de l'Impératrice-rue Edouard-Herriot ; etc.) et pour faire comme les Parisiens du baron Haussmann, font partie du paysage lyonnais depuis lurette.

Le Lyon d'avant n'existe pas, contrairement à ce qu'essaie de faire croire un groupe comme "Lyon historique et actuel". Je ne fais pas partie de ces nostalgiques qui ne cessent de gémir et de s'attendrir un peu niaisement à coups de « Mon dieu, que de souvenirs ! », et de remercier les "administrateurs", souverains maîtres, de leur offrir des images d'un passé qu'ils ont peut-être vécu. Non, je ne dis pas : « C'était mieux avant ». J'enrage simplement des dégâts irréparables que la "modernité" fait en toute bonne conscience et pour de basses raisons subir à tous les quartiers un peu anciens de nos villes.

Je me félicite quant à moi de ce que le quartier de la Croix-Rousse ait échappé aux projets de transformations radicales de quelques urbanistes fous. Les Brésiliens eux-mêmes ignorent sans doute quel sort un certain Le Corbusier réservait à leur cité mondialement célèbre : un long ruban autoroutier courant au sommet du long serpent immobilier où l'architecte fou avait prévu de loger l'intégralité de la population carioca. Et il existe des dessins du même qui montrent à quel sort funeste ont échappé les Parisiens .

Qui a dit : « La guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée à des militaires » ? Même chose pour l'aménagement d'une ville : ce que certains appellent l'urbanisme. A la Croix-Rousse, tout bien considéré, les urbanistes n'ont plus leur mot à dire. Ils ont été supplantés par les promoteurs immobiliers, qui se livrent une concurrence acharnée pour savoir qui sera le premier à s'occuper des "dents creuses" que comporte (encore pour combien de temps ?) le plateau de ma Croix-Rousse. Qui est le plus à craindre ? Qui est le plus nuisible ? L'urbaniste ou le promoteur ? Sachant que l'urbaniste a des idées, quand ce n'est pas une doctrine ou une idéologie, et que le promoteur en a une seule, d'idée : valoriser le terrain et rentabiliser l'investissement.

Et ce ne sont pas les allumés du bulbe qui affichent leurs T-shirts floqués "La Croix-Rousse n'est pas à vendre" qui changeront quoi que ce soit au processus. Mais si, Papy-Art, la Croix-Rousse est à vendre au plus offrant, comme tout le reste. Et ce ne sont pas ceux qui, paraît-il, "font de la résistance" qui arrêteront les troupes des envahisseurs : quelles armes ont-ils à opposer aux formes parfaitement légales dont ceux-ci habillent leurs appétits voraces ? 

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 12 octobre 2019

CINQUANTE ANS APRES

1964 PONT PENTE EST CROIX ROUSSE.jpg

J'avais pris "dans les autres fois" (comme on ne dit plus guère à Lyon) cette photo des pentes "est" de la Croix-Rousse (c'est-à-dire côté Rhône), avec l'alors récent (1957) pont De-Lattre-de-Tassigny, grâce auquel les véhicules peuvent s'engouffrer dans le tunnel (dit "de la Croix-Rousse", ouvert en 1952 ; attention aux 50 km/h : le radar à la sortie est très riche) pour rejoindre les rives de Saône de l'autre côté de la colline.

En bas de la photo, on voit, à gauche, l'emprise de l'ouvrage, puis la désagréable place Louis-Chazette (avocat qui fut député, mais une "place" qui ressemble à tout, sauf à une place), avec l'ouverture de la montée Coquillat (Pierre-Jean, ouvrier tisseur qui fonda un théâtre populaire), puis le début du cours d'Herbouville (pair de France, préfet du Rhône ; "quai St-Clair" jusqu'au percement du tunnel de la Croix-Rousse) avec l'échancrure de la montée Bonafous (le donateur du terrain "à condition que son nom soit donné à la voie").

Au-dessus, l'admirable balcon de la rue des Fantasques (origine inconnue, lieu de mauvaise réputation en 1745 : « On nomme ce chemin ainsi parce que c'est un endroit fort écarté, servant de promenoir à des gens d'un caractère particulier, qui veulent éviter la compagnie »), trouée par les escaliers de la rue Grognard (négociant, bienfaiteur du Musée) à gauche et, à droite, par la minuscule rue Philibert-Delorme (l'architecte de François Ier).

Que voit-on encore sur la photo du haut ? Tout en haut à gauche, le haut immeuble (alors tout neuf) "Saint-Bernard" (détail ci-dessous, caché par les arbres sur la photo plus bas), ainsi nommé parce que bâti au-dessus de l'église du même nom, cette ancienne "paroisse des canuts", jamais achevée, et désormais promise à un destin commercial (!!!!).

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Aperçu satellitaire de l'ensemble (église et immeuble) "Saint-Bernard".

Toujours à propos de la photo du haut, à droite, les cinq immeubles de la place Bellevue, qui dominent un ancien édifice militaire, aujourd'hui reconverti (on voit ces deux mêmes édifices dans la trouée ci-dessous). Voilà donc ce qu'on voyait il y a plus ou moins un demi-siècle.

Et, ci-dessous, voilà ce qu'on voit aujourd'hui, quand on se place à peu près au même endroit de prise de vue. Je suis niaisement descendu de ma colline, par la montée du Boulevard et le bas de la montée Bonafous, dans l'intention idiote de prendre la même photo, cinquante ans après. Cruelle désillusion : je suis tombé sur l'insolence de feuillages nourris et l'effervescence de la végétation. Le pire, c'est que je le savais, pour m'être promené par là bien des fois. Pourquoi ai-je fait abstraction de cette réalité ? La faute, sans doute, à la photo du haut. Pour la photo "Avant/Après", c'était donc raté. Mais je me dis après tout qu'en dehors de l'exubérance végétale, rien n'a changé. Ah si, peut-être, la peinture des façades : c'est moins sombre.

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Sur le résultat, je ne me prononce pas : d'un côté, je déplore que l'aperçu sur les pentes soit désormais réservé aux propriétaires des quelques péniches résidentielles amarrées là, et confisqué au promeneur ordinaire ;

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Les péniches du quai de Serbie, entre le pont de Lattre (amont) et le pont Morand (aval).

de l'autre, je me félicite de ce que les édiles successifs de Lyon aient fait de la rive gauche du Rhône cette bande verdoyante où je peux venir marcher, trottiner, glisser, cycler, me secouer les puces ou faire crotter mon chien. J'y ai même vu un tremble qui, quoique forcément jeune, est déjà de dimension imposante. 

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Je ne cache pas qu'il m'en a rappelé un autre, mais combien plus majestueux et surtout tellement plus cher à mon cœur.

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Noter le buis bien taillé, les arbres fruitiers bien taillés, ...

Photo prise en 1960, de la colline, à Corbeyssieu : ça, c'est du tremble !