vendredi, 29 mai 2020
PHILIPPE MANIÈRE ET LA MALADIE
LA MALADIE A-T-ELLE UN SENS ?
« Moi je suis très très dubitatif sur le concept même de "monde d’après". Je trouve que tout ça n’a strictement aucun sens. Ce qui nous est arrivé, c’est un fait exogène. Il y a eu une épidémie venue de Chine, il y a eu une transmission à l’homme d’un virus animal. C’est accidentel, ça ne signifie rien. C’est une parenthèse extrêmement fâcheuse, désagréable et spectaculaire. [Exemples de ravages épidémiques à Marseille puis Venise.] Tout ça n’a pas de sens, une maladie n’a pas de sens. Et quand quelque chose comme ça arrive à l’humanité, eh bien après on reconstruit, mais on ne cherche pas à se demander ce qu’on a pu faire, quel péché on a pu commettre, autrefois contre Dieu, aujourd’hui la Nature. »
Voilà ce qu’a déclaré (mot pour mot, je m'en porte garant – et on peut vérifier en cliquant ci-dessous) monsieur Philippe Manière au début de sa réponse à une question de la meneuse de jeu, Emilie Aubry, sur ce que pourrait être "le monde d'après". Ce qui s'appelle "positiver". Cela se passait dimanche 24 mai 2020, dans l’émission L’Esprit public sur France Culture. On trouve ce morceau en réécoute sur le site de la chaîne et à la page de l’émission à partir de 21’10".
J'ai déjà dit (le 30 janvier 2019) combien je regrette le temps où l'émission, produite par Philippe Meyer, rayonnait comme une réjouissante réunion d'intelligences. Ce temps n'est plus : Emilie Aubry est une brave tâcheronne, mais s'il faut attendre des lumières de Madâââme Christine Ockrent, il va falloir se montrer très très patient. Gérard Courtois est un bon journaliste, mais. Quant à Philippe Manière, c'est de ses propos qu'il est question ici.
J’ignore ce que Philippe Manière pense de Michel Houellebecq en général, mais en l’occurrence il se montre entièrement d’accord avec lui quand celui-ci déclare sur France Inter : « Nous ne nous réveillerons pas dans un monde nouveau » (voir ici au 6 mai dernier). Je soutiens moi-même cette idée depuis le début du confinement, je l’ai assez dit ici : j’ai tellement lu et entendu s’exprimer toutes sortes de rêveurs impénitents qui ont saisi l’occasion du confinement pour donner libre cours à leur espoir en un monde enfin corrigé, à leur inventivité conceptuelle et à leur verve onirique, voire fantasmatique, que j’ai fini par les écouter en riant comme un bossu, et parfois à gorge déployée.
Sur ce point précis donc, j’approuve Philippe Manière. Certes, je n’aime guère que la raison sociale de son entreprise (il est entrepreneur) contienne l’expression « Vae solis », qui fait référence au célèbre « Vae victis » (Malheur aux vaincus) que Brennus l'impitoyable avait lancé aux Romains lors du paiement de la rançon (vers – 390). « Malheur aux gens seuls », proclame fièrement monsieur Manière, de façon assez peu sympathique. Il y a un peu d'arrogance dans cette raison sociale, comme chez son initiateur d'ailleurs.
Je pense que monsieur Manière, dans l’ensemble, se moque de paraître ou d’être sympathique : c’est un marchand d’idées, il vend du conseil, de la finance, du business. Il a du bagou et des convictions fortes. Il vend de la communication. Le monde auquel il se réfère est définitivement acquis et validé : c’est la trajectoire fluide et ascensionnelle de l’humanité vers davantage de bonheur et de prospérité grâce aux bienfaits de la société capitaliste. C’est notre moderne Pangloss : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Monsieur Manière appartient à l'espèce triomphante des vainqueurs de la mondialisation.
Mais si j’avais à comparer monsieur Manière, il me viendrait, je crois, l’image d’une pomme. Pas n’importe quelle pomme : celle qui ne s’est pas aperçue qu’un ver a commencé à lui bouffer la chair au-dedans. Philippe Manière, dans ses convictions fortes, n’est pas effleuré par le doute ou les questions existentielles. Il est un adepte, un militant : son credo, c’est le libre-échange. Il souhaite la « libération des forces vives de la nation ». Il attend la dérégulation comme on attend le messie. Hélas la chair de ses certitudes ne résiste pas au ver qui le grignote avec lenteur, logique et méthode.
Le ver ? Il en nie jusqu’à l’existence : « C’est accidentel, ça ne signifie rien. », « Une maladie n’a pas de sens ». Il a même lourdement insisté en se disant passablement « énervé » par ceux qui soutiennent le contraire.
J’aime à penser que de telles phrases auraient interdit à Philippe Manière (au cas improbable où l’éventualité se serait présentée) de s'asseoir à la table animée par Philippe Meyer quand ce haut représentant de la culture et de la citoyenneté tenait le gouvernail de L'Esprit public, belle émission de France Culture, avant d'être jeté dehors par on ne sait quelle éminence grise. Car c’est le genre de propos qui révèle la cécité de certaines élites "néo-", "ultra-" "libérales" sur les effets mortifères de certaines politiques économiques fondées sur la recherche exclusive de la croissance, du profit et de la prospérité apparente. Avec Philippe Meyer, on n'était pas si obtus.
« Ce qui nous est arrivé, c’est un fait exogène. » Ah bon ? Exogène, vraiment ? Alors une maladie n’a pas de sens, vraiment ? Un accident ne signifie rien, vraiment ? De prime abord, je dirais volontiers que la joue de pareilles affirmations appelle la gifle : je pense d’emblée au pharmacien Homais de Madame Bovary : « … le type du demi-savant qui, croyant tout connaître, s’imagine capable de tout expliquer, et dont la suffisance ne peut cacher la sottise qu’aux naïfs » (René Dumesnil). A y regarder de plus près, j’ajouterai que c’est tout simplement faux.
Car une maladie, comme n’importe quel accident, a indéniablement quelque chose à nous dire sur l’époque où nous vivons. Une maladie n'est jamais "exogène" (je comprends ça comme "parachuté de la planète Mars"). L’épidémie d’obésité dans certains pays ne dit-elle rien sur les inégalités entre riches et pauvres ? L’épidémie du sida n’a-t-elle rien à nous dire sur le rapport que notre "modernité" entretient avec le sexe ? L'épidémie des maladies chroniques (cancer, etc.) n'est-elle pas le signe que le moteur même de notre civilisation produit de graves nuisances dans son industrie chimique et ses gaz de combustion (voir les études de Réseau Environnement Santé) ?
Sans faire de la maladie une « métaphore » (Susan Sontag, La Maladie comme métaphore, 1978) éminemment signifiante dans la prévalence de certaines maladies dans certaines époques ou certaines régions, le coronavirus n’a-t-il rien à nous dire sur l’absurdité des obsessions économiques du monde actuel, et en particulier l’extension illimitée des échanges commerciaux et des transports qui en découlent ? Quand l'industrie laitière aura-t-elle quelques égards pour le yaourt qui fait parfois 10.000 km avant d'atterrir sur notre table (mon fournisseur est déjà infiniment plus raisonnable, ce qui veut dire que c'est possible) ?
L’humanité n’a certes pas péché contre Dieu, mais n’a-t-elle pas "péché" (ce mot !) contre la nature ? C’est là un cas typique de dénégation du réel. Dénégation des effets de l’action humaine sur la biodiversité, sur le climat, sur les forêts, sur les océans, sur l’innocuité perdue de notre environnement alimentaire ou respiratoire, etc. Bref : ce que nous faisons n’a pas de conséquences et l’humanité est innocente des dégâts qu’elle inflige à la nature. C'est Philippe Manière qui l'affirme. Alléluia !
Je caricature sûrement la pensée de monsieur Philippe Manière qui, vu ses honorables états de service, possède des talents qui le rendent a priori accessible à la pensée complexe et nuancée, moi-même n’étant guère familier de la nuance. Je réagis simplement à de vrais propos qui ont été vraiment tenus sur France Culture un dimanche matin, juste après la messe catholique.
En proférant cette énormité : « ... une maladie n'a pas de sens », Philippe Manière m'a fait sortir de mes gonds : comment peut-on prêter un micro de France Culture à un marchand capable de proférer de telles inepties ? Comment Emilie Aubry peut-elle considérer ce monsieur comme un penseur digne de l'antenne ?
Je crois que Philippe Meyer a fondé une association intitulée "Le Nouvel Esprit public" : il est scandaleux qu'une telle manifestation de la courtoisie de notre esprit démocratique ne soit pas portée par la principale des radios culturelles françaises. Sandrine Treiner, directrice de France Culture, faites-vous le grand honneur de rendre la production de L'Esprit public à son inventeur : Philippe Meyer.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france culture, l'esprit public, philippe meyer, philippe manière, coronavirus, covid-19, sras-cov-2, épidémie, pandémie, émilie aubry, michel houellebecq, vae solis, malheur aux vaincus, monsieur homais, pharmacien homais, madame bovary, susan sontag, sida, hiv, la maladie comme métaphore, environnement, biodiversité, réseau environnement santé, sandrine treiner, brennus vae victis, journalistes, presse, écologie
jeudi, 28 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
Cloche Yoruba figurant une tête de cheval, 9cm.
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art africain, art primitif, arts premeirs, yoruba, photographie
mercredi, 27 mai 2020
CE QUE ME DIT LE CORONAVIRUS
1
A QUOI PASSIONS-NOUS NOTRE TEMPS ?
Pour ajouter ma goutte d’eau à l’océan des commentaires dans lequel se sont baignés les amateurs d’information pendant toute la durée du confinement, je voudrais livrer ici quelques observations simples sur ce que nous apprend le séisme qui a ébranlé le monde et continue de lui envoyer ses « répliques » dans les côtes à coups de masques, de gel hydroalcoolique, de gestes-barrières et de distance physique. Je préviens tout de suite que je ne parlerai pas de tout ce qui tourne autour du système de santé français, le sujet méritant à lui tout seul d'être traité en longueur et à part.
Je noterai d’abord que le confinement a plongé la population des braves gens dans la stupeur, l’hébétude et la sidération. La vie s’est réduite à l’accomplissement des quelques gestes premiers qui consistent seulement à la faire perdurer dans son être. Soudain s’est imposé à tous l’abandon brutal de la « vie normale » et des « petites habitudes » dont les fioritures bigarrées font, sans même qu’on ait à y penser, le charme ou le poids des jours qui passent.
Chacun a dû se replier sur ses besoins primordiaux : dormir, manger, boire, déféquer. Ni plus ni moins que des nouveau-nés. Et chacun a pu se demander, face au long déroulement des heures, comment il s’y prenait, d’habitude, pour ne pas s’apercevoir que le temps passe lentement quand on ne fait rien, que c’est d’abord de la durée, et que la durée semble interminable quand elle n’est pas interrompue par des actions, même anodines ou futiles en apparence.
Chacun a ainsi été mis en face de la grave question de savoir à quoi servent vraiment toutes ces actions dont il remplissait la durée dont il disposait avant de se voir enfermé chez lui et réduit à l'inaction.
Et là … c'est la bouteille à l'encre.
2
PRENDRE CONSCIENCE DES INTERDÉPENDANCES.
J’exagère à peine si je dis maintenant que tout le monde a entonné avec enthousiasme et reconnaissance le cantique de la solidarité. Les initiatives se sont multipliées pour fournir aux soignants, aux pompiers, aux éboueurs, que sais-je, des pizzas, des kebabs, des gâteaux, des croissants, des masques, des visières … et autres utilités, nutritives ou protectrices. A part que les SDF ont été un peu oubliés, ce n’était qu’un mot d’ordre dans tous les cœurs altruistes : SO-LI-DA-RI-TÉ. Ce fut le grand refrain médiatique de ces deux mois. Si l'on excepte un peu de délation à l'encontre de quelques citoyens trop peu disciplinés, c’est en soi admirable.
Cela dit, je me permets de rappeler que si la "solidarité" manifestée envers les autres est une éminente qualité morale, que le PLI définit ainsi : « Sentiment qui pousse les hommes à s’accorder une aide mutuelle », cette définition n’arrive qu’en deuxième position. Car la première définition contient un terme crucial : « Dépendance mutuelle entre les hommes ». « Dépendance », voilà le grand mot lâché.
Ce qu’a fait éclater en pleine lumière la crise du coronavirus et l’arrêt de « toute activité non essentielle » (en français : la vie économique), c’est précisément l’omniprésente « interdépendance » qui gouverne, si l’on regarde les choses froidement, TOUTES les relations que nous entretenons avec les hommes et avec les choses, et que les choses entretiennent entre elles ("choses" étant pris au sens le plus large d' "existant").
Les écologistes scientifiques appellent cela un "écosystème" : l'équilibre qui s'établit entre la vie animale, la vie végétale et la vie minérale, sur la base d'un réseau d'interdépendances (allo Gilles Boeuf ?). Dans un écosystème, il est faux de parler de "solidarité" : le prédateur serait donc solidaire de sa proie ? Il est bien plus juste de parler de réseau de dépendances mutuelles. Un écosystème est seulement un réseau d'interdépendances (proie/prédateur, aliment/déchet, etc.).
Oui, ah que nous sommes fiers d’être autonomes, libres et indépendants ! Ce faisant, chacun d'entre nous oublie volontiers qu'il est pris dans un inextricable dédale d'interdépendances plus ou moins croisées. Plutôt que de vanter la « solidarité » à longueur des refrains de bonne volonté altruiste et des bonnes intentions optimistes, j'aimerais qu'on ouvre les yeux sur la simple réalité de fait de toutes nos « interdépendances ».
Ah que nous sommes arrogants avec nos désirs ! Ah que nous sommes prêts à défendre bec et ongle la possibilité que la démocratie nous laisse de les réaliser à notre guise. « A mon seul désir », cet étendard énigmatique visible sur la tapisserie de La Dame à la licorne, est devenu le sempiternel refrain de l’individu, « De quel droit ? » étant le cri proféré spontanément à la moindre évocation d’éventuelles limites à poser à ce désir. N'a-t-on pas entendu hurler tout ce que la France compte de « LGBT » quand l'examen de la loi PMA pour toutes les femmes promise par Emmanuel Macron a été "reporté" à une date ultérieure ?
« Faire société », c’est précisément tisser un réseau de dépendances mutuelles qui prouvent à chaque instant que non, chacun de nous ne se suffit pas à lui-même, et que l'accomplissement de nos désirs dépend de quelqu'un qui ne dépend pas de nous. Nous avons besoin du boulanger, nous avons besoin du paysan, nous avons besoin de l’ouvrier de l’atelier d’emboutissage des tôles de notre voiture, nous avons besoin du technicien qui nous donne la lumière quand nous appuyons sur le bouton, etc., etc., etc.
Tous les objets qui nous entourent, et dont nous usons sans nous poser aucune question tant leur usage nous est devenu naturel, ont été fabriqués par quelqu’un qui sait faire ça que nous ne savons pas faire. Ne parlons pas de la machine à laver, du four à micro-ondes, de la télévision, de la dernière PlayStation ou du SmartPhone, que le pékin moyen est totalement infoutu de remettre en état quand ça tombe en panne. Et ne me demandez pas la liste des fournisseurs qui sont intervenus quand votre voiture flambant neuve vient de sortir de la chaîne d'assemblage.
Quant à l’immense chaîne de travail qui aboutit à la construction d’un Airbus, d’un porte-conteneurs ou d’un immeuble d’habitation, pas besoin d’être un spécialiste pour concevoir la cascade des dépendances étroites dont aucun maillon ne doit faire défaut sous peine de panne générale. Et l’on peut étendre l’image à la société dans son ensemble, dont personne au monde n’est en mesure de comprendre l’indémêlable écheveau des interdépendances qui permettent à l’énorme machine d’avancer.
Ce que le coronavirus nous a obligés à voir en direct pendant les deux mois de confinement, c’est que notre société est tellement « développée » qu’elle est devenue effroyablement complexe. Or plus c'est complexe, plus c'est fragile. Car qu’est-ce que c’est, la complexité ? J’appellerai ça, précisément, un enchevêtrement de relations de dépendance. Autrement dit, rien d’autre qu’un SYSTÈME. Nul individu, aussi doué soit-il, ne tient les leviers de commande d'une telle machine. Nul individu n'est en mesure de peser sur la trajectoire : le système qui organise notre monde est globalement aveugle. Et ce qui est sûr, c'est qu'il avance, quelque fort que retentissent les cris d'alarme des scientifiques du GIEC.
Dans un système, TOUS les éléments sont solidaires les uns des autres, c’est-à-dire que chaque élément dépend de tous les autres, et que le bon fonctionnement de l’ensemble dépend du bon fonctionnement de chacun, quoique l’ensemble tolère un certain taux d’exclusion et de dysfonctionnement. Plus un système est complexe, plus il est vulnérable à la moindre panne. Vous imaginez la cascade des catastrophes qui se produiraient si l'électricité venait à manquer ? Quand on parle de "biodiversité", on ne parle de rien d'autre que de complexité des interdépendances.
Ce que les Français (pas seulement) ont touché du doigt pendant le confinement, c’est que la grosse machine-société dans laquelle ils sont embarqués est d’une grande fragilité, d’une extrême vulnérabilité du fait même de sa complexité invraisemblable. Que, comme l'affirme le titre du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, « tout peut s'effondrer ». Que toute la vie d’une telle collectivité ait pu être mise en panne aussi brutalement sur une durée appréciable, on comprend que la population ait été traumatisée : elle a touché du doigt la possibilité que nos constructions humaines sont peut-être passées pas très loin de la destruction. C’est peut-être la raison pour laquelle ils n’ont eu rien de plus pressé que de reprendre le cours de leur vie d’avant. En croisant les doigts et en se disant in petto « pourvu que ça dure ».
Même en l'absence de "réseaux sociaux", nous sommes tous étroitement interconnectés. Nous sommes tous étroitement interdépendants, même si nous ne voulons pas le savoir. Même si nous ne nous sentons pas solidaires. Ce qui est sûr, c'est que « nous autres, sociétés "modernes", savons désormais que nous sommes destructibles ».
Vous étiez arrogant ? J'en suis fort aise. Eh bien tremblez, maintenant.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : coronavirus, covid-19, sars-cov-2, confinement, déconfinement, gel hydroalcoolique, masque chirurgical, geste barrière, solidarité, interdépendance, petit larousse, écologie, écosystème, emmanuel macron, lgbt
mardi, 26 mai 2020
RETROUVAILLES
L'action se passe dimanche 24, un peu au-dessus du col des Echarmeaux (69, altitude 712 m.), au lieu-dit "Le Mont-Joly".
Le réjouissant présent des arbres.
Le beau passé des arbres.
La maison ? Oh non, elle n'a pas trop changé depuis son glorieux passé. Mais il ne faut pas aller voir la vaste baie vitrée qu'on a ouverte dans le mur est, celui de la salle à manger. On a suspendu au plafond de celle-ci un lustre en sarments de vigne du plus délicieux goût de chiotte. Je n'ai pas pu m'aventurer beaucoup plus loin, du fait de la vigilance du molosse chargé de garder les lieux à l'abri des importuns.
Mais j'ai vu qu'il y avait toujours la vasque de réception de l'eau qu'il fallait faire venir à l'aide d'une pompe (façon Dupondt du Trésor de Rackham le Rouge). La guérite qui abritait la pompe a disparu et la vasque m'a paru singulièrement petite. Un portique étrange a remplacé le portique en bois très massif où nous sommes devenus agiles et forts à force de pratiquer la balançoire, le trapèze et les anneaux. Le garage au bout du terrain est toujours debout, mais la "forêt" de framboisiers qui le séparait du chemin au-dessus a été remplacée par une morne pelouse.
Et la Madone du Mont-Joly ? Elle est toujours là, avec un peu plus de mousse sur la tête. Elle écrase toujours le serpent de son pied immunisé, mais quelqu'un de sûrement bien intentionné a fixé dans la pierre au dos du socle un "cartel" mentionnant (à juste titre) le nom de l'artiste au ciseau duquel on doit l'œuvre : le « sabotier-sculpteur » Jean Molette, enfant du pays également auteur du Napoléon qui trône aujourd'hui au centre du rond-point qui occupe le col.
O ! toi puissant héros que l’Univers admire
O ! toi qui nous donnas la gloire avec l’Empire
Supporte que ma main en ses loisirs retrace
Et tes nombreux exploits et ton auguste face
Selon le cartel, l'artiste ("sabottier" dans l'inscription ci-dessus) est né en 1819 et mort en 1999 [rigoureusement sic à la date du 24 mai 2020 ! Et il y a de la "verdure" sur la plaque].
***
Bémol.
Le col sert hélas, aujourd'hui, de carrefour stratégique à toutes sortes de nuisances, et subit tout au long du jour (c'était un dimanche) le fléau des motos, des quads et autres véhicules pétaradants. J'ai même assisté à un défilé de vieux tacots, ainsi qu'à une procession de Renault d'un autre temps, parmi lesquelles une R8 Gordini et deux Alpine. Il paraît que ça déconfine à toute allure.
***
Salut, Martine : en souvenir.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, déconfinement, covid-19, col des écharmeaux, vallée d'azergues, jean molette sabotier
lundi, 25 mai 2020
VOUS DITES ? "SÉGUR" DE LA SANTÉ ?
C'EST QUOI, ÇA ?
Le peuple les a applaudis, soir après soir, pendant toute la durée où le tocsin a sonné le "branle-bas ! Tout le monde sur le pont !" dans tous les hôpitaux de France. Aux yeux de certains, ils étaient des "héros". Sans compter, ils ont donné l'énergie, les soins, le sommeil, le temps. Beaucoup ont fini sur les genoux – parfois pire, je pense au Dr Boeglé, première victime d'une longue série – ce parcours du combattant.
La plupart d'entre nous n'ont aucune idée de la réalité de ce qui s'est passé dans la tête de ces soignants aux pires moments de la pandémie, ni de l'ambiance terrible qui a régné dans certains établissements atteints de surchauffe, où l'on voyait l'état de certains patients se dégrader à vue d’œil sans avoir les moyens de les maintenir en vie. Quel effet ça vous a fait de voir ainsi "votre" malade vous échapper ? Qui pourra mesurer ça ?
Tout le monde est d'accord : ce que l'hôpital public de France a fait dans ces circonstances hors du commun, aucune bête au monde ne l'aurait fait. On frise le surhumain. C'est dire le formidable potentiel des forces capables de se déployer en cas de nécessité. Tout le monde est d'accord : la France ne saurait se passer d'un hôpital public à la hauteur de toute menace sanitaire. Tout le monde est d'accord pour le dire avec des mots.
Et maintenant ?
Le moment est crucial, Monsieur Macron. Vous le savez aussi depuis que des pontes de La Pitié-Salpêtrière vous ont copieusement engueulé : l'attente est extraordinaire. Vous savez ce qu'il vous reste à faire. Alors soyez à la hauteur.
Ordonnez à Olivier Véran votre commis à la santé, qui ouvre aujourd'hui cet énorme chantier dans son ministère de l'avenue de Ségur, de rendre aux personnels soignants les leviers de commande de l'hôpital public. Ordonnez aux bureaucrates qui y ont été placés pour le transformer en entreprise rentable de se mettre au service des médecins, des infirmières et des aides-soignantes. Ordonnez au service administratif de se placer sous l'autorité des personnels voués au soin. Ordonnez à vos godillots du Parlement d'abolir la règle du paiement à l'acte et d'en finir avec la loi HPST (Bachelot-Sarkozy).
Donnez à l'hôpital les moyens de son plein exercice : des lits, du matériel, des gens de l'art. Et donnez des motivations concrètes à ceux qui voient dans l'hôpital public un beau moyen de mettre en œuvre leurs aspirations.
***
Ajouté le 26 mai.
Interviewée par Léa Salamé le 25 mai, voici ce que le professeur Agnès Hartemann (voir ici mon billet du 9 mai) déclare (citation textuelle) :
« Pendant la période Covid, on a goûté à ce que pourrait être l’hôpital public, et on ne veut pas revenir en arrière. Ou la colère serait terrible. »
Et quand on voit Agnès Hartemann s'exprimer avec cette douceur et cette détermination, on sait qu'elle ne plaisante pas.
Vous êtes prévenu, monsieur Macron.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ségur de la santé, ministère de la santé, olivier véran, emmanuel macron, hôpital public, france, société, hôpital pitié-salpêtrière, loi hpst, christine bachelot, nicolas sarkozy, covid-19, sars-cov-2, coronavirus, confinement, déconfinement, agnès hartemann, léa salamé
dimanche, 24 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
La forme et la force.
Bamana.
Est-ce vraiment un "autel", comme l'affirme une source ?
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, art africain, art primitif, arts premiers, bamana, bambara
samedi, 23 mai 2020
EXPÉRIENCE ...
... PHOTOGRAPHIQUE.
Photo non recadrée.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
vendredi, 22 mai 2020
QUAND MACRON CAUSE ...
... L'AUDITEUR SE MARRE.
En l'absence de France Culture pour cause de confinement, j'ai écouté France Inter, faute de mieux, comme je l'ai dit ici (20 avril). C'est une radio qui se fait un point d'honneur de rester constamment à l'écoute de ses auditeurs, et pour cela de se mettre à leur hauteur et de donner toute priorité à la satisfaction de la "demande". C'en est devenu un fléau, une nuisance, une calamité. Même la conception que la chaîne se fait de l'information se soumet à la dictature de l'audience, et hume l'actualité à hauteur de pâquerette.
Non seulement on a droit à un "micro-trottoir" au moindre bulletin d'information (tu parles d'une information !), mais la chaîne consacre des temps d'antenne appréciables à "donner la parole" aux auditeurs ("le téléphone sonne"). J'imagine que les gens ont besoin de s'exprimer, comme les "réseaux sociaux" en donnent à tout instant une preuve écrabouillante et consternante. Ils ne se rendent pas compte que les mots qu'ils déversent dans leur téléphone coulent dans une canalisation qui débouche dans le tonneau des Danaïdes.
Bon, c'est vrai, les mots que j'imprime sur cet écran suivent sans doute le même chemin, mais moi, je ne me fais pas d'illusion : hormis dans quelques cas de prises de contact, j'ignore si quelqu'un est au bout du fil pour me donner l'impression qu'on m'écoute : au diable l'avarice. Je suis résolument infoutu d'installer un "compteur", genre Google Analytics ou Xiti. Ah oui, Tonton Georges a bien raison de dire qu' « aujourd'hui la manie de l'acte gratuit se développe » (c'est dans Concurrence déloyale).
Heureusement, France Inter pose régulièrement ses micros devant la bouche de gens importants, ceux qui ont vraiment quelque chose à nous prêcher. En l'occurrence, le 9 mai dernier autour de 12 heures 18' (c'est un "duel" entre un "progressiste" (Gilles Finkelstein) et une "réac" (Natacha Polony), arbitré par Ali Baddou), elle les a posés devant Emmanuel Macron en personne, et l'on a pu entendre, sortant de l'auguste organe oraculaire de Jupiter, les propos suivants :
« Les vrais idéalistes sont des grands pragmatiques. Quand Robinson part, il part pas avec de grandes idées de poésie ou de récit, il va dans la cale chercher ce qui va lui permettre de survivre : du fromage, du jambon, des choses très concrètes. Robinson, quand le naufrage est là, il se prend pas les mains dans la tête en essayant de faire une grande théorie du naufrage » (citation absolument textuelle ; je précise que l'expression a laissé de marbre Baddou, Finkelstein et Polony ).
"Il se prend pas les mains dans la tête".
Merci, monsieur Macron, de m'avoir offert sur un plateau cet instant de bonne humeur sur la morne plaine où se fabrique notre quotidien : j'ai essayé de faire le geste, mais en vain. En fait, c'est une rediffusion d'une séquence déjà enregistrée, selon le principe de l' « illustration », mais ça ne change rien au fait que Macron a vraiment dit ça. Je passe sur le fait qu'une fois de plus, ce premier de la classe à qui tout a réussi se permet de faire la leçon aux Français.
Photo de Sébastien Husson, vue sur Facebook.
Cela ne veut pas dire, hélas, que les Français sont assez grands pour savoir ce qu'ils doivent faire : on a trouvé, sur les plages récemment entrouvertes, des ribambelles de masques (chirurgicaux, en tissu, etc.), et on apprend que les gens s'agglutinent par grappes compactes dans les rues de Giverny, dans la rue du Mont-Saint-Michel (au fait, que devient la Mère Poulard ?), au bord du canal Saint-Martin et sur diverses étendues de sable. Il y a même eu, paraît-il, un embouteillage en forêt de Fontainebleau.
Allons, tout va bien : C'EST REPARTI.
Voilà ce que je dis, moi.
***
Le 5 mai, Mathilde Munos, à l'antenne du même France Inter entre 5 et 7h, avait sorti, peut-être au cours d'une interview, cette jolie perle : « Au déconfinement, les gens n'auront pas le droit d'aller à plus de 100 km/h de chez eux ».
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france culture, france inter, micro-trottoir, information, le téléphone sonne france inter, réseaux sociaux, twitter, facebook, tonneau des danaïdes, georges brassens, tonton georges, concurrence déloyale brassens, ali baddou, gilles finkelstein, natacha polony, emmanuel macron, robinson crusoé, france, français, masques, mont saint-michel, mère poulard, journalistes
jeudi, 21 mai 2020
LES AFFAIRES ONT REPRIS
L'action se passe rue Boussange (69004).
Là, c'était avant, quand les lieux ne servaient à presque rien de franchement utile et à presque personne de vraiment important.
Là, à 6000€ le m², ça va sûrement servir à quelques importants (état du chantier au 4 mai 2020).
Là, on voit que le promoteur ne plaisante pas. Je passe sur l'édification des immeubles projetés. Presque toute la couleur verte de la photo Google est promise à disparition, mais ils vont peut-être garder le cèdre (la couleur ne trompe pas les connaisseurs).
J'attire juste votre attention, ci-dessus, sur la bande de terre qui sépare le chantier des immeubles anciens, dont le côté "cour" est limité par un haut mur (visible au sud de la petite verrière). Une bande de terre qui, elle non plus, ne sert à rien ni à personne (je plaisante). En fait, c'est un creux, peut-être le fossé des anciens remparts qui protégeaient Lyon des ennemis venus du nord en général et de Caluire-et-Cuire en particulier (commune limitrophe). C'est là-dessus que je braque mon objectif.
Ci-dessous le mur qui sépare la bande de terre de la rue Boussange, mur caché - à droite - sur les photos Google. L'indispensable Café de la Crèche est voisin immédiat.
La brosse métallique a déjà clarifié le terrain, et la disqueuse a déjà tracé les contours de ce qu'il faudra enlever.
Voilà ce que ça donne, l'ancienne bande de terre qui ne servait à rien, quand la future porte des garages est ouverte. Il faut tenir le mur qui tient le mur de séparation. L'immeuble du fond arrive à son quatrième étage. Je pense aux habitants des immeubles anciens (à droite), qui voyaient quelque chose d'agréable de leurs fenêtres.
Une couverture pour garder au chaud (pour boucher, aussi) : on ferme.
Plus qu'à attendre que ça tienne. On est dans le dur de la réalité.
La Croix-Rousse ? En route vers la modernité moderne, on vous dit !
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mercredi, 20 mai 2020
EXPÉRIENCES ...
... PHOTOGRAPHIQUES.
Ou :
Du fémur approximatif radiographié en couleur à l'IRM d'un gros intestin préoccupé de son microbiote, en passant par l'ADN d'une asperge officinale en état de marche au supplice.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
mardi, 19 mai 2020
QUE C’ÉTAIT CHOUETTE, ...
... LE CONFINEMENT, ....
... POUR LES PIGEONS.
Celui-ci paradait au beau milieu d'une rue passante, le 3 mai, entre 15h14' et 15h15'. C'était le bon temps. Que c'est beau, une société, quand elle s'arrête. Quelle éclatante démonstration de la prescience du grand écrivain Alexandre Vialatte, qui écrivait :
« On n'arrête pas le progrès : il s'arrête tout seul ».
Oui, mais voilà, ... on commence à entrevoir, une semaine après le déconfinement, que c'est Houellebecq qui avait raison : si la société s'arrête un peu trop, rien ne va plus, on sait que ce qui va arriver sera plus pire, beaucoup plus pire, très très pire, de plus en plus pire. Si ça reprend comme avant au bout d'un temps raisonnable, ce sera simplement la même chose,
« en un peu pire ».
Houellebecq a nécessairement raison. C'est ça, être réaliste. Contrairement à ceci :
Quand Gébé avait inventé son utopie de L'An 01, avec son slogan
« ON ARRÊTE TOUT. ON RÉFLÉCHIT. ET C'EST PAS TRISTE. »,
il n'avait pas prévu que ce jour arriverait effectivement. Il n'avait pas prévu non plus que ce serait dû à l'extrême malignité d'un virus. Il avait déjà moins prévu que les foules seraient loin d'adhérer à l'idée de renoncer à leurs objets et à leur train-train habituel. Ni qu'ils n'auraient rien de plus pressé, pour des raisons compréhensibles, que de reconstituer leur paysage familier d'avant le confinement.
Il aurait encore moins pu prévoir que tous les penseurs, tous les intellectuels, tous les spécialistes de sciences humaines appliqueraient avec enthousiasme la deuxième partie du slogan pendant toute la durée du confinement, au point de saturer l'air ambiant de toutes sortes de vapeurs imaginaires, d'ectoplasmes "prémonitoires" et de fragrances tout droit venues de l'île d'Utopia, l'incroyable Non-Lieu - sens précis - inventé par Thomas More. Ah ça, on peut dire que ça a phosphoré dans les boîtes crâniennes "autorisées". Avec un "succès" que l'on commence à mesurer.
09:02 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coronavirus, covid-19, sars-cov-2, condinement, déconfinement, michel houellebecq, gébé, l'an 01, on arrête tout on réfléchit et c'est pas triste, alexandre vialatte, thomas more l'utopie, photographie, zoologie, pigeons
lundi, 18 mai 2020
PHOTOGRAPHIE
Vue sur la salle du restaurant, avec rétro-éclairage de la rue Dumenge, à 18h25', le 17 mai 2020 (je vous dis tout, sauf le nom du restaurant, dont la carte est un peu tarabiscotée à mon goût).
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, lyon, croix-rousse
dimanche, 17 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
Dogon.
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, afrique, art primitif, arts premiers, art africain, dogon, masque africain, bandiagara
samedi, 16 mai 2020
ALORS ON CHANGE QUOI ?
Je reviens sur cette "une" que le journal Le Un a publiée fin avril. Elle posait une question que des centaines d'interventions dans les journaux écrits et radio- ou télé-diffusés ont développées. On a pendant un temps cru que ça y était. Que la vertu avait pris le pouvoir. Que la raison se préparait à gouverner le monde. Que l'humanité, devenue enfin raisonnable, était prête à renoncer à ses appétits sans limite et aux folies qui la mènent à sa perte à force de dévorer son milieu naturel.
A écouter les médias (réduits de par le confinement), on avait parfois l'impression qu'un vrai cerveau en bon état de marche était en train d'ouvrir les yeux sur notre monde malade et d'entrevoir les diverses manières capables de le guérir. A entendre, jour après jour, les pensées se précipiter en flot ininterrompu du cerveau touché par la grâce d'une prise de conscience aiguë, on s'est dit pendant un temps que, allons, rien n'était perdu et que, soyons fou, tout allait changer. Je m’étais dit quelque chose de semblable pendant la crise des "subprimes" en 2008 et à l’élection de Macron en 2017.
Sarkozy avait fait le matamore, le chevalier blanc, le redresseur de torts, les économistes distingués s'étaient disputé les plateaux, les caméras et les micros pour annoncer que rien ne serait plus comme avant dans le monde de la finance : on allait montrer aux banques, aux fonds de pension ce qu'il en coûte de placer un tonneau de poudre sous le derrière de l'économie honnête.
Avec le Covid-19, tout ce que la France compte de sociologues, écologistes, politologues et autres sciences exactes ou inexactes (= sciences humaines), se sont précipités dans les médias pour nous annoncer la bonne nouvelle des "Temps Nouveaux". A les entendre seriner leurs refrains, portée par cette vague d’optimisme, l'humanité allait de nouveau s'abreuver à la bonne source : libéré des pesanteurs égoïstes et bassement matérielles, on a cru voir à l'œuvre un cerveau où se seraient enfin donné libre cours l'imagination la plus débridée, la pensée la plus audacieuse, les intuitions les plus géniales, les raisonnements les plus pointus et les visions d'avenir les plus édéniques. Un cerveau gonflé aux espoirs d'un futur enfin radieux.
Tout le monde s'y est mis. C'en est au point que le flot est devenu Niagara et que le cerveau s’est boursouflé sous la pression interne. Les propos savants sur les issues à cette crise inédite se sont multipliés, bousculés, marché sur les arpions au point de former la bouillie d'un cerveau de plus en plus informe et proliférant, un cerveau qui s'est soudain cru tout permis, a rompu les chaînes qui l'amarraient à la Terre et s'est échappé de toute contrainte pour se mettre à prendre ses rêves et ses délires pour la réalité. J'ai entendu des gens apparemment pondérés tenir à coups de « il faut » des propos hautement lyriques sur les lendemains espérés. En français moderne : tout le monde a cru que « c’était arrivé ».
Maintenant que l'on a recouvré une certaine liberté et, disons-le, une lucidité relative, on constate que se dessine sous nos yeux le tableau d'un avenir beaucoup moins mirifique que les rêveurs l'escomptaient. Il semblerait qu'il faille en rabattre de l'enthousiasme manifesté. Il semblerait en particulier que le "cerveau" rêvé ci-dessus se révèle un simple ballon de baudruche, plus gonflé aux anabolisants affectifs, intellectuels ou romantiques qu'au sage exercice de la pensée fondée sur l'observation du réel, et que s'il n'a pas encore éclaté comme ça arrive souvent, il ait perdu beaucoup de son étanchéité concrète et de sa substance virtuelle. Disons-le : il est tout raplapla, le cerveau anabolisé.
On se rend compte que les milliards de mots et les millions de phrases dont les médias se sont enivrés pour garder captive l'attention du public (il ne faut rien perdre) ne sont pas des choses. Car dans le monde réel, ce ne sont pas les mots, mais les choses et les actes qui modifient et fabriquent aux populations un cadre concret, des moyens matériels d'existence et des conditions de vie inventées par personne. Mais pour que la réalité change, il faudrait que l'intendance suive. Sans les pontonniers du général Eblé, l'armée de Napoléon ne repasse pas la Bérésina et se fait exterminer (voir Adieu, ce minuscule chef d'œuvre de Balzac). Sans une intendance concrète en parfait état de marche, une armée n'est qu'un jeu vidéo.
Si l'on fait un jour le compte de ce qui restera des innombrables élucubrations qui ont poussé, comme champignons après une pluie d'été, au cours de cette période invraisemblable, je crains hélas que les populations concernées ne fassent alors grise mine, devant leur assiette redevenue bien creuse, devant les pitoyables miettes de tant d'espoirs formulés et de tant de requêtes touchant l'état du corps social, mais aussi l'état de la nature qui nous héberge.
Où qu'on regarde, tout se passe comme si, hormis quelques apparences (masque et gel hydroalcoolique à tous les carrefours, distance "sociale", gestes "barrière", etc.), tout le monde n'avait rien de plus pressé que de reprendre le train-train de ses petites habitudes, à commencer par la programmation des prochaines vacances d'été. Et je ne parle pas de toutes les forces qui ont intérêt à ce que toute la machine redémarre comme avant.
Les causes du cataclysme du coronavirus sur les pays favorisés (pour les pays défavorisés, on ne saura sans doute jamais) n'ont pas fini de prospérer et de se payer notre fiole.
Sérieusement : maintenant, on change quoi ?
La réponse commence à s’évanouir au coin de la rue. Tout le monde a commencé à oublier.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coronavirus, covid-19, sars-cov-2, pandémie, épidémie, grippe espagnole, grippe asiatique, sras, confinement, déconfinement, crise, presse, le un, journal le un, éric fottorino, emmanuel macron, édouard philippe
vendredi, 15 mai 2020
LA PATTE DU DESIGNER
Où le designer de ce couvercle d'une cafetière de marque Delonghi est-il allé chercher cette forme ? M'est avis qu'il s'est intéressé à la façon dont les Baoulés de Côte d'Ivoire inventaient les formes de certains de leurs masques. Ou plutôt, disons que ce n'est pas complètement impossible. Enfin moi, ce que j'en dis ..., ça ou "zéro plus zéro égale la tête à Toto"....
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art, cafetière delonghi, art primitif, arts premiers, art africain, baoulé
jeudi, 14 mai 2020
MON MUSÉE PRIMITIF
L'ESTHÉTIQUE SUPÉRIEURE DES RAVAGES DU TEMPS.
Maya.
De toute beauté.
On appelle ça un "bois raviné par le temps et les intempéries" (voir 26 avril et 7 mai).
Je n'ai rien à dire. Je contemple.
Je suis touché de la même manière quand j'écoute Billie Holiday, dont la "voix ravinée par les intempéries" m'enchante (Songs for distingué lovers). J'y entends une vie qui n'a pas été un long fleuve tranquille.
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : art primitif, arts premeirs, art précolombien, maya, billie holiday, photographie
mardi, 12 mai 2020
L’ŒUF DANS SA NUDITÉ
9 mai 2020 à 13 heures 54.
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lundi, 11 mai 2020
DÉCONFINEMENT
Après les confins ?
*
Mon troupeau d’oublis
S’était endormi au pied de mes échos.
Le corps luisant de mes étoiles filantes
Leur avait tracé des haies de cœurs écorchés.
J’entends bientôt monter
La sonate universelle,
La symphonie des solitudes,
Le concert, l'improviste et les ciselures.
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dimanche, 10 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
Couple Tellem, falaise de Bandiagara (Mali), sans doute bien avant les Dogon : voir l'article de Bernard de Grunne "La sculpture classique Tellem", dans la revue Arts d'Afrique noire, n°88, hiver 1993. "Tellem", en langue Dogon, veut dire : "Nous les avons trouvés". J'ai choisi, pour garder un minimum de netteté sur l'essentiel (la "croûte"), de ne montrer que les "visages". L'objet entier est haut de 42 centimètres. Ci-dessous la double statuette.
Etonnant, non ?
Moi, ce qui me renverse, ici, en dehors des proportions fantasmatiques de cette représentation d'un couple humain, c'est l'incroyable "croûte" accumulée au cours du temps sur le bois. On y trouve, dit la notice, de la fiente de chauve-souris, de la cire d'abeille et du sang sacrificiel. Sans parler de ce qu'on ne sait pas.
Bernard de Grunne, dans son article, évoque quant à lui l'étrange croûte caractéristique des statues Tellem, qu'on ne retrouve pas exactement sur la statuaire Dogon : « ... couche uniforme de patine sèche, croûteuse, crevassée de couleur généralement brun clair et recouvrant entièrement la statue ». L'auteur de l'article émet l'hypothèse que cette patine unique dans la statuaire africaine est obtenue par immersion totale de l'objet votif dans le liquide sacrificiel. Ci-dessous un village Dogon à l'abri de la falaise de Bandiagara.
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samedi, 09 mai 2020
L'HÔPITAL DEMAIN ?
J'ai déjà cité le nom du docteur Agnès Hartmann, chef du service "Diabétologie" à l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière. C'était il n'y a pas longtemps, trois jours : le 6 mai, pour clore un billet où je laissais la parole à Michel Houellebecq. Je me cite :
« Je viens d'entendre une diabétologue (Agnès Hartmann, hôpital de La Pitié Salpêtrière) dire qu'après avoir vu pendant huit semaines s'ouvrir les portes d'une prison (ce sont ses termes : « Tout le monde a retrouvé du sens au travail ») et arriver des cargaisons de moyens qui faisaient jusque-là défaut, elle vient de recevoir une note (« douche froide », « vieux réflexes de la direction gestionnaire ») du service comptabilité-gestion de l'hôpital l'avertissant que son service était à présent "en négatif", maintenant que les "lits Covid" qui y avaient été ouverts sont de nouveau disponibles. »
C'est sur France Inter (mardi ?) que j'ai entendu Agnès Hartmann.
***
Agnès Hartmann est un chef de service réputé, reconnu, établi : un "mandarin", comme on disait naguère pour dénoncer la chose. Agnès Hartmann n'est donc pas n'importe qui. Ci-dessous deux versions d'une conférence de presse tenue en janvier 2020, à l'époque des grandes grèves des personnels hospitaliers, quand beaucoup de centaines de "mandarins" ont démissionné de leurs fonctions administratives pour protester contre la démolition de l'hôpital public par la tyrannie managériale que font peser sur son avenir tous les services "Comptabilité-Gestion" et "Finance". Je n'excepte pas de ma vindicte la loi scélérate, dite HPST, des mortifères Sarkozy et Bachelot.
6'04"
« Quand notre activité baisse, on nous supprime des moyens. On nous supprime ce qui "coûte" à l'hôpital ».
5'34"
ÇA, C'ÉTAIT BIEN AVANT LE COVID-19 (janvier 2020).
« Je me suis rendu compte que dans les réunions hebdomadaires où on parle avec tout le personnel de ces patients, je devenais une espèce de robot. Dire "quand est-ce qu'il sort, quand est-ce qu'il sort, quand est-ce qu'il sort ?" Parce que dans ma tête je me disais : "ça fait quinze jours qu'il est là, qu'il occupe la chambre, je vais pas pouvoir faire du séjour." Et c'est les jeunes, les infirmières qui me regardent. Et maintenant je sais que quand on commence à me regarder comme ça, c'est que je suis plus éthique. Je me ressaisis et d'ailleurs je leur dis : "N'oubliez jamais pourquoi les patients sont là" ! ».
Citation textuelle. On est dans la vérité brutale. La vérité de la réalité des gens quand ils ne vont pas bien.
***
J'aurais aimé maintenant faire écho à ce qu'elle dit aujourd'hui sur une vidéo "facebook" du réseau "cerveaux non disponibles", dont on n'est pas obligé d'apprécier et de visionner toutes les publications. Celle-ci est percutante, mais laisse augurer un avenir bien sombre. La vidéo est très justement intitulée "Le retour des démolisseurs". Mais j'avoue que je ne sais pas comment faire l'opération. Et je n'ai rien trouvé sur youtube (hormis les deux vidéos ci-dessus).
https://www.facebook.com/cerveauxnondisponibles/videos/560047947822289/
On peut toujours copier ce lien sur un moteur de recherche.
Il faut se contenter d'une page de France Info (interview par Aurélie Kieffer, pour l'écouter faire défiler l'article).
Je crois que c'est sur le site "Ouest France" que j'ai piqué cette citation :
"Agnès Hartmann, une [sic] autre médecin de la Pitié-Salpêtrière : « C’était presque inquiétant qu’on nous donne autant de moyens. Depuis une semaine, c’est la douche froide. On voit réapparaître de vieux réflexes de la direction gestionnaire. »"
C'est ça qu'il disait, Houellebecq : « La même chose, en un peu pire ».
***
Moi je n'ose pas imaginer comment se manifesteront la colère et le désespoir des personnels de santé travaillant dans l'hôpital public s'il arrive, après cette crise hors du commun, que les pouvoirs publics, imperturbables, persistent à imposer à l'exercice proprement médical de la profession le carcan administratif, comptable et financier d'une gestion inspirée du management à l'américaine, c'est-à-dire, sous prétexte d'efficacité, de la rentabilité et de la privatisation à tout prix.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : agnès hartmann, michel houellebecq, hôpital la pitié salpêtrière, covid-19, coronavirus, sars-cov-2, grippe asiatique, épidémie, pandémie, diabétologue, comptabilité gestion, hôpital public, loi hpst, sarkozy bachelot, cerveaux non disponibles, retour des démolisseurs, facebook, youtube, emmanuel macron
vendredi, 08 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
Encore un incroyable contraste entre les surfaces, les aspects et les lignes. Je ne sais pas pourquoi ça me fait penser au Japon de Tanizaki Junichiro (quelques pages d'Éloge de l'ombre, peut-être ?).
Bamileke.
***************
J'apprends que 92 % des décès dus au Covid-19 concernent des personnes de plus de 65 ans. J'en ai 72. Est-ce grave, docteur ?
Question : quel pourcentage de personnes de plus de 65 ans sont mortes du Covid-19 ? Si je compte bien, 92 % de 25987 (chiffre officiel à la date du 7 mai), ça fait à peu près 23000 individus. Par rapport à ça, combien de millions de Français de plus de 65 ans ? Alors là, j'avoue que je suis un peu rassuré.
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jeudi, 07 mai 2020
POÈME
Et maintenant ?
*
Un seul demain suffira pour commencer.
On fera comme si on savait.
Les tâches, le poids et les mesures
Contiendront le temps, les pas et les saisons.
Une seule saison pour prolonger
L’été de la durée des songes.
Un seul été pour capturer
Les sons déshabillés de l’inconnu,
Qui ne se régénère que de souffrir.
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MON MUSÉE PRIMITIF
La période laisse beaucoup de temps à la contemplation. Comme je ne peux pas regarder pousser l'herbe ou éclater les bourgeons, je contemple d'autres belles choses.
Epi de faîtage, Kanak, 151cm.
Encore un bois raviné comme je les aime (voir 26 avril). Mais je l'aurais préféré illuminé sur fond noir.
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mercredi, 06 mai 2020
HOUELLEBECQ ET CORONAVIRUS
Information :
En Lombardie, la ville de Bergame vient de connaître une surmortalité de
+ 568 %
par rapport à la même période de l'année précédente !
Et au 27 avril, on comptait en Italie
151
médecins morts du Covid-19.
******************
J'ai entendu sur France Inter Augustin Trapenard lire une "lettre" de Michel Houellebecq.
Ce que j'aime bien, avec Houellebecq, c'est qu'on est sûr qu'il ne nous dore pas la pilule, et que ce qu'il va dire est absolument débarrassé de tout ce qui ressemble à ces confitures de langue en bois d'arbre qui s'appellent la "bienveillance", les "bons sentiments" (le "cordicolisme" - ou "culte des bons sentiments", trad. personnelle - de Philippe Muray), cette dégoulinade émotionnelle et sentimentale qui généralise l'aveuglement sur la réalité, nous fait prendre des vessies pour des lanternes et interdit de penser.
En ces temps étranges, voilà qui est salutaire et bienvenu.
6'57".
***
Et pour ceux qui préfèrent le texte écrit à la voix d'Augustin Trapenard.
EN UN PEU PIRE
réponses à quelques amis
Il faut bien l’avouer : la plupart des mails échangés ces dernières semaines avaient pour premier objectif de vérifier que l’interlocuteur n’était pas mort, ni en passe de l’être. Mais, cette vérification faite, on essayait quand même de dire des choses intéressantes, ce qui n’était pas facile, parce que cette épidémie réussissait la prouesse d’être à la fois angoissante et ennuyeuse. Un virus banal, apparenté de manière peu prestigieuse à d’obscurs virus grippaux, aux conditions de survie mal connues, aux caractéristiques floues, tantôt bénin tantôt mortel, même pas sexuellement transmissible : en somme, un virus sans qualités. Cette épidémie avait beau faire quelques milliers de morts tous les jours dans le monde, elle n’en produisait pas moins la curieuse impression d’être un non-événement. D’ailleurs, mes estimables confrères (certains, quand même, sont estimables) n’en parlaient pas tellement, ils préféraient aborder la question du confinement ; et j’aimerais ici ajouter ma contribution à certaines de leurs observations.
Frédéric Beigbeder (de Guéthary, Pyrénées-Atlantiques). Un écrivain de toute façon ça ne voit pas grand monde, ça vit en ermite avec ses livres, le confinement ne change pas grand-chose. Tout à fait d’accord, Frédéric, question vie sociale ça ne change à peu près rien. Seulement, il y a un point que tu oublies de considérer (sans doute parce que, vivant à la campagne, tu es moins victime de l’interdit) : un écrivain, ça a besoin de marcher.
Ce confinement me paraît l’occasion idéale de trancher une vieille querelle Flaubert-Nietzsche. Quelque part (j’ai oublié où), Flaubert affirme qu’on ne pense et n’écrit bien qu’assis. Protestations et moqueries de Nietzsche (j’ai également oublié où), qui va jusqu’à le traiter de nihiliste (ça se passe donc à l’époque où il avait déjà commencé à employer le mot à tort et à travers) : lui-même a conçu tous ses ouvrages en marchant, tout ce qui n’est pas conçu dans la marche est nul, d’ailleurs il a toujours été un danseur dionysiaque, etc. Peu suspect de sympathie exagérée pour Nietzsche, je dois cependant reconnaître qu’en l’occurrence, c’est plutôt lui qui a raison. Essayer d’écrire si l’on n’a pas la possibilité, dans la journée, de se livrer à plusieurs heures de marche à un rythme soutenu, est fortement à déconseiller : la tension nerveuse accumulée ne parvient pas à se dissoudre, les pensées et les images continuent de tourner douloureusement dans la pauvre tête de l’auteur, qui devient rapidement irritable, voire fou.
La seule chose qui compte vraiment est le rythme mécanique, machinal de la marche, qui n’a pas pour première raison d’être de faire apparaître des idées neuves (encore que cela puisse, dans un second temps, se produire), mais de calmer les conflits induits par le choc des idées nées à la table de travail (et c’est là que Flaubert n’a pas absolument tort) ; quand il nous parle de ses conceptions élaborées sur les pentes rocheuses de l’arrière-pays niçois, dans les prairies de l’Engadine etc., Nietzsche divague un peu : sauf lorsqu’on écrit un guide touristique, les paysages traversés ont moins d’importance que le paysage intérieur.
Catherine Millet (normalement plutôt parisienne, mais se trouvant par chance à Estagel, Pyrénées-Orientales, au moment où l’ordre d’immobilisation est tombé). La situation présente lui fait fâcheusement penser à la partie « anticipation » d’un de mes livres, La possibilité d’une île.
Alors là je me suis dit que c’était bien, quand même, d’avoir des lecteurs. Parce que je n’avais pas pensé à faire le rapprochement, alors que c’est tout à fait limpide. D’ailleurs, si j’y repense, c’est exactement ce que j’avais en tête à l’époque, concernant l’extinction de l’humanité. Rien d’un film à grand spectacle. Quelque chose d’assez morne. Des individus vivant isolés dans leurs cellules, sans contact physique avec leurs semblables, juste quelques échanges par ordinateur, allant décroissant.
Emmanuel Carrère (Paris-Royan ; il semble avoir trouvé un motif valable pour se déplacer). Des livres intéressants naîtront-ils, inspirés par cette période ? Il se le demande.
Je me le demande aussi. Je me suis vraiment posé la question, mais au fond je ne crois pas. Sur la peste on a eu beaucoup de choses, au fil des siècles, la peste a beaucoup intéressé les écrivains. Là, j’ai des doutes. Déjà, je ne crois pas une demi-seconde aux déclarations du genre « rien ne sera plus jamais comme avant ». Au contraire, tout restera exactement pareil. Le déroulement de cette épidémie est même remarquablement normal. L’Occident n’est pas pour l’éternité, de droit divin, la zone la plus riche et la plus développée du monde ; c’est fini, tout ça, depuis quelque temps déjà, ça n’a rien d’un scoop. Si on examine, même, dans le détail, la France s’en sort un peu mieux que l’Espagne et que l’Italie, mais moins bien que l’Allemagne ; là non plus, ça n’a rien d’une grosse surprise.
Le coronavirus, au contraire, devrait avoir pour principal résultat d’accélérer certaines mutations en cours. Depuis pas mal d’années, l’ensemble des évolutions technologiques, qu’elles soient mineures (la vidéo à la demande, le paiement sans contact) ou majeures (le télétravail, les achats par Internet, les réseaux sociaux) ont eu pour principale conséquence (pour principal objectif ?) de diminuer les contacts matériels, et surtout humains. L’épidémie de coronavirus offre une magnifique raison d’être à cette tendance lourde : une certaine obsolescence qui semble frapper les relations humaines. Ce qui me fait penser à une comparaison lumineuse que j’ai relevée dans un texte anti-PMA rédigé par un groupe d’activistes appelés « Les chimpanzés du futur » (j’ai découvert ces gens sur Internet ; je n’ai jamais dit qu’Internet n’avait que des inconvénients). Donc, je les cite : « D’ici peu, faire des enfants soi-même, gratuitement et au hasard, semblera aussi incongru que de faire de l’auto-stop sans plateforme web. » Le covoiturage, la colocation, on a les utopies qu’on mérite, enfin passons.
Il serait tout aussi faux d’affirmer que nous avons redécouvert le tragique, la mort, la finitude, etc. La tendance depuis plus d’un demi-siècle maintenant, bien décrite par Philippe Ariès, aura été de dissimuler la mort, autant que possible ; eh bien, jamais la mort n’aura été aussi discrète qu’en ces dernières semaines. Les gens meurent seuls dans leurs chambres d’hôpital ou d’EHPAD, on les enterre aussitôt (ou on les incinère ? l’incinération est davantage dans l’esprit du temps), sans convier personne, en secret. Morts sans qu’on en ait le moindre témoignage, les victimes se résument à une unité dans la statistique des morts quotidiennes, et l’angoisse qui se répand dans la population à mesure que le total augmente a quelque chose d’étrangement abstrait.
Un autre chiffre aura pris beaucoup d’importance en ces semaines, celui de l’âge des malades. Jusqu’à quand convient-il de les réanimer et de les soigner ? 70, 75, 80 ans ? Cela dépend, apparemment, de la région du monde où l’on vit ; mais jamais en tout cas on n’avait exprimé avec une aussi tranquille impudeur le fait que la vie de tous n’a pas la même valeur ; qu’à partir d’un certain âge (70, 75, 80 ans ?), c’est un peu comme si l’on était déjà mort.
Toutes ces tendances, je l’ai dit, existaient déjà avant le coronavirus ; elles n’ont fait que se manifester avec une évidence nouvelle. Nous ne nous réveillerons pas, après le confinement, dans un nouveau monde ; ce sera le même, en un peu pire.
Michel HOUELLEBECQ
***
AVIS AUX OPTIMISTES.
"En un peu pire" ?
Je viens d'entendre une diabétologue (Agnès Hartmann, hôpital de La Pitié Salpêtrière) dire qu'après avoir vu pendant huit semaines s'ouvrir les portes d'une prison (ce sont ses termes : « Tout le monde a retrouvé du sens au travail ») et arriver des cargaisons de moyens qui faisaient jusque-là défaut, elle vient de recevoir une note (« douche froide », « l'administration avant la médecine », « vieux réflexes de la direction gestionnaire ») du service comptabilité-gestion de l'hôpital l'avertissant que son service était à présent "en négatif", maintenant que les "lits Covid" qui y avaient été ouverts sont de nouveau disponibles.
Formidable : rien vu ! Rien entendu ! Rien appris ! Rien compris !
Qui a encore envie de chanter la chanson : « Non, rien de rien, rien ne sera plus comme avant. » ?
A cette question, j'ai une idée de ce qu'il conviendra bientôt de répondre.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : michel houellebecq, coronavirus, covid-19, sars-cov-2, confinement, littérature, société, france, france inter, augustin trapenard, frédéric beigbeder, catherine millet, emmanuel carrère, surmortalité, bergame lombardie, philippe muray, agnès hartmann, hôpital pitié salpêtrière
mardi, 05 mai 2020
MON MUSÉE AFRICAIN
COMMENT J'AI PLONGÉ DANS L'ART AFRICAIN IL Y A UN DEMI-SIÈCLE.
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Allez, aujourd'hui j'avoue, et je dénonce : voici la coupable.
Quand j'avais à peu près 18 ans, j'ai acheté, tout à fait par hasard, Les Arts de l'Afrique noire, un livre (un grand classique) de Jean Laude. La photo ci-dessus, reproduite ici telle que je l'ai découverte, m'a littéralement sauté à la figure.
On trouvait beaucoup d'autres objets reproduits dans les pages du bouquin, dont beaucoup d'intéressants et quelques-uns tout à fait remarquables, mais ce masque-ci, avec le contraste entre la pureté des lignes du visage et le cisèlement raffiné du décor où il s'insère, j'en suis tombé raide amoureux. Et ça ne m'a pas lâché. C'est de l'ivoire et ça mesure 24,5cm. C'est un "masque de ceinture". C'est dans les collections du British Museum, qui a fourni la photo à l'auteur du livre, selon la légende du cliché imprimé.
J'ai retrouvé cet objet fascinant dans les pages de l'énorme L'Art africain de Jacques Kerchache-Jean-Louis Paudrat [un élève de Jean Laude]-Lucien Stephan (éditions Citadelles, 1988), avec cette fois une photo techniquement parfaite et superbement imprimée.
Oui, mais on voit très vite, au dessin et à l'état du collier, à la conformation des yeux, malgré les "scarifications" quasi-identiques et à divers détails (on pourrait lancer un jeu des sept erreurs), que ce n'est justement pas le même objet. Celui-ci se trouve en fait au Metropolitan Museum de New York.
Et revoici le masque du haut, tel qu'on en trouve aujourd'hui la photo sur le site du British Museum. A chacun de contempler à sa guise ces joyaux de la sculpture mondiale qui ont vu le jour au royaume de Bénin (Nigéria) entre le 15ème et le 16ème siècles. Il est très vraisemblable que ces deux renversantes œuvres d'art ont été façonnées par la main d'un seul et unique artiste, qui n'a rien à envier à un certain Michel-Ange qui vivait, en gros et à peu près, à la même époque.
J'ai ensuite élargi tant soit peu le cercle de mes centres d'intérêt en matière d'art primitif, peuplant mon musée imaginaire de nombre d’œuvres admirables ou simplement curieuses ou intéressantes. Mais je garde bien en vue, au sommet de ma hiérarchie esthétique, le souvenir de ce chef d'œuvre indépassable, dont on trouve encore une photo brutalement éclairée dans un "hors-série" de Télérama paru en 2000 "Les arts premiers entrent au Louvre".
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« Elle est la dernière que l'on oubliera,
La première fille qu'on a tenue dans ses bras ».
Tonton Georges.
09:00 Publié dans ART | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, arts premiers, art primitif, art africain, bénin, british museum, metropolitan museum new york, jean laude, les arts de l'afrique noire, éditions citadelles, georges brassens, l'art africain éditions citadelles, jacques kerchache, jean-louis paudrat, lucien stephan