vendredi, 22 avril 2022
LA GRANDE OCCASION MANQUÉE ?
LES SECRETS DE LA MER NOIRE
(Dupuis, 1994, scénario Jacques de Douhet, dessin Francis Bergèse)
Ahurissante banderole de l'accueil réservé à l'Américain dans le grand salon du porte-avions Kousnetzov, commandé par l'amiral Frondze.
Une intéressante et curieuse bande dessinée, où l'on trouve peut-être l'explication de la façon dont l'histoire a tourné après la dislocation du bloc soviétique. Le scénariste Jacques de Douhet imagine (pas sûr d'ailleurs que ce soit seulement imaginaire) que les deux camps, l'Américain et le communiste, sont eux-mêmes scindés en deux partis qui s'opposent plus ou moins radicalement. Un scénario non sans résonances dans notre actualité, à mon avis.
Côté américain, l'amiral Farell, qui ne croit pas à la sincérité de Gorbatchev (« Je suis persuadé qu'ils trichent ! », déclare-t-il), partisan de la manière forte et qui figure l'ambiance toujours belliqueuse qui règne au Pentagone, face au sénateur Smight, le politicien persuadé que l'URSS est au bout du rouleau et qu'il est temps pour les deux grands pays de tourner la page de la guerre froide. Et que, accessoirement, les Etats-Unis n'ayant plus d'adversaire, ils peuvent impunément poser le pied sur la dépouille du fauve terrassé.
Côté soviétique, les partisans de la détente, du désarmement et de la paix, parmi lesquels on trouve l'aéronavale (la vignette du haut idéalise peut-être cette période – août 1991 – pour les besoins du récit) et en général des éléments du haut commandement militaire, face aux tenants de la "ligne dure" où l'on trouve, pêle-mêle, des nostalgiques de Brejnev et de l'ordre communiste, les patriotes-nationalistes-fascistes, les polices du KGB, GRU, NKVD et autres services secrets, qui prospéraient sans obstacle grâce au climat d'hostilité et procuraient à leurs membres un pouvoir dont ils se faisaient un plaisir d'user et abuser. Et que la "glasnost" et la "perestroïka" chères à Gorbatchev menaçaient de mettre au chômage.
Ce qui est frappant après-coup, c'est que, entre les faucons et les colombes, les Américains et les Russes semblent s'être mis d'accord pour que ce soient les rapaces qui prennent l'avantage sur les oiseaux de paix.
Côté américain, les avertissements de Brzeszinski, puis ceux de John Mearsheimer n'ont servi à rien et ont été mis à la poubelle par le belliciste George W. Bush et son entourage de menteurs (Powell, entre autres).
Côté russe, la hâte manifestée par l'OTAN (en français : les Etats-Unis) pour intégrer à toute vitesse les anciens satellites de l'URSS (les Baltes, Pologne et même Géorgie !) a très vite indisposé les autorités émergentes des ex-soviétiques de Moscou, à la tête desquelles s'est porté un certain Vladimir Poutine, qui voyait déjà d'un œil furieux se former dans son "étranger proche" un glacis d'Etats libérés de son emprise, et même passés à l'ennemi.
Voilà où, selon moi, nous en sommes : dans les deux camps, ce sont les faucons qui ont gagné et qui tiennent les manettes. Dans les deux camps, tout se passe comme si les partisans de la détente avaient été sommés de la fermer sous peine de. Je note en passant que l'Europe n'a pas son mot à dire, et même qu'elle compte pour du beurre. Si la guerre en Ukraine s'étend (j'ai entendu Hervé Juvin, membre éminent du Rassemblement National de Marine Le Pen, exprimer sa crainte d'une prochaine guerre mondiale), l'Europe, en tant que continent, n'y sera certes pour rien, mais elle en sera à coup sûr le théâtre des opérations. Je ne peux quant à moi me défendre contre l'impression qu'il y eut, à divers moments, dans les années 1990, des fenêtres qui se sont entrouvertes et des mains qui se sont tendues, mais qui, pour des raisons qui me dépassent et que j'ignore, se sont refermées.
Ce qui est sûr, c'est que nous avons tout à craindre de militaires qui s'ennuient et qui ne rêvent que d'essayer plein de nouveaux joujoux déposés dans leurs bottes fourrées par le dernier Père Noël.
Merci d'avance à tous ces braves gens.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, géopolitique, guerre froide, francis bergèse, jacques de douhet, les aventures de buck danny, glasnost, perestroïka, urss, états-unis, gorbatchev, brejnev, kgb, gru, nkvd, brzeszinski, john mearsheimer, george w. bush, colin powell, otan, nato, vladimir poutine, pays baltes, pologne, géorgie, faucons colombes, rassemblement national, marine le pen, hervé juvin, europe
mercredi, 24 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE (fin)
Ajouté le 25 avril : ce texte a pris de telles dimensions par rapport à son premier état que je crois préférable, pour que le lecteur puisse se faire dès le départ une idée de l'esprit dans lequel je l'ai écrit, de faire figurer en tête le dernier paragraphe, celui qui sert de conclusion.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, et qu'ils n'ont pas les moyens, non seulement de faire quelque chose de comparable (c'est aveuglant d'évidence), mais d'assurer l'entretien correct de l'édifice. Ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont les Français ne sont plus à la hauteur.
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
Suite et fin du post-scriptum.
Mais je ne suis cependant pas complètement américanisé, et certains brillants emblèmes du rayonnement de la culture américaine n'ont jamais franchi mon seuil : d'abord, aussi incroyable que cela paraisse, je n'ai jamais mis les pieds dans un fast-food ; ensuite, je me refuse à laisser entrer chez moi jusqu'à l'ombre du moindre de ces "nouveaux objets connectés" que l'industrie ne cesse de produire ; enfin, aussi loin que ma mémoire remonte, je n'ai jamais prêté le moindre orteil de mon intérêt à tout ce qui s'appelle "super-héros", "Marvel" et compagnie. Ce sont des exemples.
Autant la potion magique confectionnée par Panoramix pour la tribu de Gaulois préférée des Français me fait sourire (ah, les molaires des Romains en suspension après les uppercuts magistraux d'Astérix !) parce que tout ça ne se prend pas très au sérieux (Astérix n'est pas un super-héros, il n'est une figure ni du Bien ni du Mal), autant les divers super-pouvoirs inventés par les scénaristes américains (attention, ne pas confondre Batman, Spiderman, Superman, Captain América, Silver Surfer et toute la kyrielle : chacun tient à sa spécialité) m'indiffèrent.
Cet imaginaire-là me laisse de marbre, à cause de l'insupportable bloc de sérieux dans lequel tous ces personnages sont pris. Le fait que ce soit le support d'une propagande de bas étage n'y est pas pour rien. L'engouement de beaucoup de Français pour ce genre est révélateur d'une migration des mentalités du pays hors de nos terroirs. Et puis, j'ai vu un certain nombre de mauvais, très mauvais, exécrables films américains, et même de "navets au carré" (je me rappelle avoir payé ma place et être resté atterré au visionnage de Porky's).
En revanche, je connais un peu (je ne suis pas un "connaisseur", mais j'ai beaucoup fréquenté les salles "Art et essai") le cinéma français, et je garde de pas mal de films le souvenir d'images fortes. Les vieux Gabin (Pépé le Moko, Le Jour se lève, Gueule d'amour, La Belle équipe, La Grande illusion, etc.), Les Visiteurs du soir (Alain Cuny enchaîné appelant "Anne", "Dominique et Gilles", Jules Berry en diable furieux à la fin, ...), il y en aurait tant que je préfère renvoyer aux films, par exemple, de Bertrand Tavernier, en particulier à son merveilleux Voyage à travers le cinéma français, véritable déclaration d'amour, et à l'argumentation serrée. Je reconnais donc la qualité, mais je sais aussi où se trouve la "force de frappe". En terme de proportions, la France est bien lilliputienne par rapport au Gulliver américain. La France a quelque chose à dire, mais sa voix ne "porte" pas.
Côté télévision, pourquoi les Français se sont-ils agglutinés pendant des années autour du feuilleton télévisé "JR" ? Comment se fait-il qu'ont fleuri à la télévision française des émissions dont le concept a été inventé par les Américains (toute la télé-réalité vient de là), avec une audience incroyable ? Où est né le concept de "série télévisée" (bon, c'est un avatar du "feuilleton" bien de chez nous, mais) ? Ce n'est pas pour rien qu'a émergé le concept de "soft power". Bon, tout le monde s'y est mis, mais c'est comme dans la boxe : il y a plein de catégories, et on sait qui est l'indéboulonnable champion toutes catégories. Et on est bien obligé de reconnaître que la grande majorité des Français est américano-centrée.
Autant de preuves que les Français ont commencé depuis longtemps à voir le monde avec des yeux américains. Inutile d'évoquer la cascade des innovations technologiques que nous devons à leur industrie et dont nous ne saurions nous passer, moi compris, si j'excepte quelques menues babioles, et qui sont devenues le paysage quotidien hors duquel nous ne saurions pas vivre.
Et si on se tourne vers le champ géopolitique, comment ne pas admettre, là encore, que l'Europe vit depuis plus d'un demi-siècle à l'abri du "parapluie américain" et que la France a fait partie intégrante de l'OTAN, bien à l'abri, comme une sorte de protectorat américain ? De Gaulle a eu la stature pour tenir tête et s'en retirer, mais il a suffi, quelques décennies plus tard, d'un petit bousilleur du nom de Sarkozy, lui-même très américano-centré (trottant dans Central Park vêtu d'un T-shirt NYPD entouré de ses gardes du corps), pour voir la France rentrer au bercail sans contrepartie, "pieds nus, en chemise et la corde au cou". Politiquement, la France et l'Europe sont indissolublement liés à l'Amérique, comme un vassal à son suzerain.
Et pas besoin d'être un géopoliticien professionnel : c'est bien à la stratégie américaine que nous devons certains événements qui se sont produits à l'est de l'Europe depuis une dizaine d'années. En serions-nous là si les USA n'avaient pas poussé à la roue pour que l'OTAN accueille en son sein la Géorgie (pour l'empêcher, Poutine lui a soustrait par la force l'Abkhazie et l'Ossétie du sud) ? S'ils n'avaient pas été pour quelque chose dans la demande de l'Ukraine d'adhérer à l'Union européenne, voire à l'OTAN, provoquant d'une certaine manière la main-mise de la Russie de Poutine sur la Crimée et la poussée "sécessionniste" dans le Donbass ? Et je comprends Poutine : comment tolérer qu'une menace armée puisse venir camper à proximité de sa frontière ? Et l'Europe est restée impuissante : elle a suivi Oncle Sam.
Les Russes auraient-ils réagi par la violence s'ils n'avaient perçu dans la stratégie américaine une volonté d'encerclement plus étroit de leur pays (voir les pays baltes) ? Et sous l'influence de quel allié puissant l'Europe a-t-elle intégré en procédure accélérée des anciens du Pacte de Varsovie dans l'Union Européenne ? Qu'a fait l'Europe, France comprise ? Elle a obtempéré à l'ordre des choses américain. Vivre avec l'idée qu'il faut toujours se méfier de la Russie, faire de Poutine un méchant diable et non pas un partenaire possible, voilà bien un exemple où l'Europe et la France ont adopté sans discuter le point de vue américain (voir l'assentiment des Européens aux sanctions voulues par les Américains, qui n'ont aucune envie de voir sur ce terrain une Europe indépendante, alors même qu'elle a besoin du gaz russe).
Ce n'est donc pas par les seuls produits de consommation et par nos façons de les consommer que nous sommes devenus américains (j'aurais pu évoquer l'apparition des fast-foods – White Tower, autour de 1928, il me semble – et bien d'autres trouvailles qui ont mis à mal les traditions alimentaires françaises, au moins autant que leur dévastation par les pratiques de la grande distribution, concept lui-même importé des USA). L'américanisation de nos divertissements, de nos existences matérielles et de nos orientations géostratégiques ne sont que de tout petits aperçus d'une vassalisation beaucoup plus vaste de l'Europe par la grande "puissance industrielle".
Mais je n'ai pas envie de m'attarder aujourd'hui sur les dégâts commis sur les mentalités françaises et européennes par les multiples inventions intellectuelles et sociétales sorties du ventre de la "nouvelle idéologie américaine" :
— "politiquement correct" au motif que toute minorité a le droit qu'on ne lui "manque pas de respect" et qu'on n'attente pas à sa "dignité" (frontières entre "communautés" de plus en plus jalousement gardées, archipellisation (Jérôme Fourquet) des sociétés) ;
— l'organisation des dites minorités en vue d'influer à leur profit sur l'organisation de la société tout entière grâce à des lois obtenues par "lobbying" ;
— les ravages des "gender studies", fondées par Judith Butler, elles-même inspirées principalement par deux "déconstructeurs" bien français : Michel Foucault et Jacques Derrida ("déconstruire", c'est s'acharner à prouver qu'aucune institution humaine ou convention sociale n'est "naturelle", ce qu'on sait depuis la naissance de la première société, mais ça permet à chaque particularisme, voire chaque individu qui se juge brimé de crier à l'injustice et de déclarer fièrement à la face de l'ordre existant : « De quel droit ? », de se proclamer victime, de demander compensation et de contraindre la collectivité tout entière à satisfaire sa demande de faveur particulière, sous prétexte d' "égalité") ;
— la transposition abusive en France de la question noire telle qu'elle se pose exclusivement dans les Etats d'Amérique du fait de la traite négrière transatlantique, et de façon particulièrement aiguë aux Etats-Unis (bizarrement, l'histoire de l'esclavage des noirs par les noirs – qui persiste – et par les arabes fait beaucoup moins de bruit) ;
— importation de l'individualisme le plus effréné en lieu et place de la "vieille" société française, où le rôle de l'Etat est prépondérant pour assurer la cohésion du corps social, etc. Notre président Emmanuel Macron est lui-même tout imprégné de l'idéologie américaine, avec sa conception purement managériale de l'Etat et de l'administration. Une idée "française" ne peut exister comme objet spécifique que si elle est la base d'un projet collectif largement mobilisateur. On en est loin.
En un mot : l'Amérique s'est insinuée dans tout ce qui conditionne et produit nos façons de voir le monde, et c'est tout notre mode de vie qui a été modifié en profondeur par les importations massives de tout ce qui est américain, marchandise concrète et autres. Au point que je ne suis pas sûr qu'on puisse encore parler de "civilisation européenne". En revanche, si l'on peut parler de "civilisation américaine", je me demande si on ne doit pas l'attribuer à sa seule "puissance de feu" dans tous les domaines (militaire, financier, culturel, idéologique, ...).
Nos yeux, nos oreilles, nos cerveaux, nos pays eux-mêmes, sont, depuis la fin de la guerre, plongés dans un bain d'Amérique. Non, il n'y a pas de "petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur" : nous sommes devenus américains, exactement comme les Gaulois sont devenus romains, la puissance romaine a simplement été remplacée par la puissance américaine. Si la civilisation est inséparable de la puissance (ça se discute), alors nous vivons dans la civilisation américaine. Pourquoi, après tout, serait-il si difficile de reconnaître, à la suite de Régis Debray, que "nous sommes devenus américains" ? On a le droit de s'en accommoder, et hocher la tête avec résignation, mais c'est un fait et une réalité.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont ils ne sont plus à la hauteur. Qui est prêt à travailler pour quelque chose de plus grand que soi ?
Bon, assez causé pour aujourd'hui.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : américanisation de la france, france américanisée, consumérisme, mcdonald, jazz, musique de jazz, la revue nègre, joséphine baker, jim crow, racisme, ségrégation raciale, guerre de sécession, nordistes, sudistes, milton mezz mezzrow, mezzrow la rage de vivre, bix beiderbecke, louis armstrong, frères lumière, lyon, régis debray, debray civilisation, le chanteur de jazz, john ford, le massacre de fort apache, john ford rio grande, lford la charge héroïque, la dernière séance eddy mitchell, 58 minutes pour vivre, jean gabin, pépé le moko, le jour se lève, la belle équipe, les visiteurs du soir, alain cuny, claude chabrol, bertrand tavernier, voyage à travers le cinéma français, sarkozy, nypd, otan, de gaulle, abkhazie, ossétie du sud, géorgie, crimée, vladimir poutine, géopolitique, géostratégie, ukraine
mardi, 23 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE
Ajouté le 25 avril : ce texte a pris de telles dimensions par rapport à son premier état que je crois préférable, pour que le lecteur puisse se faire dès le départ une idée de l'esprit dans lequel je l'ai écrit, de faire figurer en tête le dernier paragraphe, celui qui sert de conclusion.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, et qu'ils n'ont pas les moyens, non seulement de faire quelque chose de comparable, mais d'assurer l'entretien correct de l'édifice. Ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont les Français ne sont plus à la hauteur.
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
Post-Scriptum.
En guise de réponse sur l'américanisation de la France, de ses mœurs et de son esprit.
Un lecteur bien intentionné me fait remarquer qu'à son avis, l'américanisation de la France dont je parle concerne exclusivement, dit-il, "le consumérisme". Je me permets d'être en complet désaccord avec cette estimation, que je trouve à la fois indulgente pour nos "amis" américains et erronée. Je suis parti autant de convictions anciennes que d'une lecture récente. Je pense depuis très longtemps que toute la culture qui s'exprime sur le territoire national est très largement et en profondeur inspirée de ce qui se passe outre-Atlantique, et ce depuis fort longtemps.
C'est la culture américaine sous toutes ses formes qui est devenue un produit d'exportation massif et puissant, au point de s'être universalisée jusqu'à faire pendant un temps du burger McDo une sorte d'étalon monétaire permettant de comparer les pays. Tous les pays du monde sont, chacun à sa manière, affectés par la culture américaine. La seule culture universelle aujourd'hui est la culture américaine. C'est pour notre malheur, mais c'est comme ça.
Pour ne prendre que l'exemple du jazz, cela remonte aux années 1920. Le jazz a débarqué en France avec les Américains en 1917. Les années qui ont suivi la guerre ont vu se déclarer un véritable engouement pour cette musique, par exemple autour de ce qui s'appelait alors la "revue nègre", dont le clou du spectacle s'appelait Joséphine Baker. C'était à la fois le jazz et la culture des noirs américains qui motivait l'intérêt croissant des Français, pour lesquels tout cela était d'une nouveauté radicale.
Mais le jazz à Paris n'avait pas la même place qu'à New York, où il était frappé du stigmate "coloured" : les Français, au contraire des noirs américains, ignoraient ce que voulait dire "Jim Crow", base de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Certains ont beau dire, il n'y a jamais eu de ségrégation raciale de ce genre sur le territoire français. Demandez aux nombreux jazzmen noirs américains pourquoi ils ont adoré venir jouer dans les clubs et les caves parisiens.
C'est sûr, l'histoire des noirs dans les deux pays n'a strictement rien à voir, même si des agités du bocal n'auront jamais fini de dénoncer l'esprit arrogant et colonialiste de la France. Inutile de nier l'histoire du colonialisme à l'européenne, mais il est foncièrement différent de l'esclavagisme aux Etats-Unis et de la ségrégation qui a suivi. Les états du Nord et du Sud se sont même livré une guerre sans merci à cause de ça. Il n'y a jamais eu en France de guerre entre Françaçis à cause de l'esclavage, ni de place réservée aux blancs dans les bus ou de robinet d'eau réservé aux noirs.
Cela dit, le jazz est bien une musique américaine, et il a conquis sans coup férir l'Europe, qui l'a accueilli avec enthousiasme. Et je n'ai pas peur de dire qu'à cet égard, je me sens moi aussi un peu américain : après avoir lu, au milieu des années 1960 (j'étais ado), en version "poche" achetée en gare de Perrache avant de partir pour l'Allemagne, La Rage de vivre, où "Mezz" Mezzrow (aidé du journaliste Bernard Wolfe) raconte son existence souvent bien malmenée, mais passionnante, je me suis littéralement jeté sur les disques signés par les innombrables noms qui apparaissent dans le livre (à commencer par le génial Bix Beiderbecke et sa bande de bras-cassés alcooliques, Bessie Smith, Louis Armstrong, Jimmy Noone, je n'en finirais pas, je les reconnaissais presque tous à l'oreille). Le jazz a fait ma conquête. On peut dire qu'avec le jazz, l'Europe s'est américanisée. Et moi avec.
On pourrait dire la même chose à propos du cinéma. Bon, oui, c'est vrai, il y a un vrai cinéma français. Je dirai que c'est normal : les frères Lumière sont bel et bien de France (et même de Lyon), mais quelle est la place de celle-ci dans le monde ? Vers quels pays vont les principales recettes ? Et surtout, vers quels films vont en priorité une majorité de Français, en dehors des belles surprises (de succès et de finance) ? Pas besoin de répondre, je suppose.
Même sur le plan industriel : voici ce qu'écrit Régis Debray dans l'irréfutable Civilisation (Gallimard, 2017, sous-titre : "Comment nous sommes devenus américains" !) : « 1925, la Metro Goldwyn Mayer rachète les parts du Crédit Commercial de France de la société Gaumont. Confirmation du transfert de l'usine à rêves de Paris vers Hollywood. » (p.86). En 1926, le monopole de fabrication du film vierge est abandonné par Pathé à Kodak. Et en 1927, le producteur américain du Chanteur de jazz, premier film parlant de l'histoire, déclare : « Si cela marche, le monde entier parlera anglais ».
Il ne croyait pas si bien dire, et voyait clairement le cinéma américain comme un instrument au service de la puissance, ce qu'il est devenu. Conclusion : dès les années 1930, la puissance des capacités de production a changé de continent. Le tableau de la France américaine par Régis Debray est absolument imparable. Je ne suis pas un fanatique du monsieur et de ses œuvres, mais franchement, il ne dit pas beaucoup de bêtises. C'est plutôt l'attitude qui m'agace, la posture adoptée par le personnage. Je lui reprocherais volontiers l'espèce de consentement à la faillite, mais aussi la position de surplomb absolu qu'il adopte, en vieux sage venu de Sirius, qui voit les choses de façon tellement globale qu'elle s'en trouve a priori incontestable, comme si son point de vue avait trouvé un moyen de ne jamais être pris en défaut. J'imagine que la base de son attitude est : "On ne va pas contre l'histoire". Son dernier chapitre ne s'intitule-t-il pas "Pourquoi les "décadences" sont-elles aimables et indispensables ?". Passons.
Moi-même, je dois avouer que je revois avec plaisir, de loin en loin, la trilogie de John Ford sur la cavalerie américaine (Le Massacre de Fort-Apache, Rio Grande, La Charge héroïque, c'est un exemple parmi beaucoup d'autres) et je regardais volontiers La Dernière séance, la mémorable émission télé d'Eddie Mitchell consacrée au cinéma américain. A cet égard, que je le veuille ou non, je suis américanisé.
Et cela alors même que je reconnais crûment ce cinéma comme rouleau compresseur de la propagande américaine (je me rappelle, dans 58 minutes pour vivre – eh oui, j'ai vu ça, j'avoue – une réplique du pilote qui vient, après moult péripéties, de poser son Boeing en catastrophe : « C'est un vrai char d'assaut, cet avion américain », je suis à peu près sûr que ce n'est pas la citation exacte, mais c'est l'ambiance). Le problème, c'est que c'est très bien fait, parce que tout est conçu avec maîtrise pour produire un effet précis : c'est un cinéma efficace, un cinéma de professionnels. Alors que même certains films français de bonne qualité ne sont pas toujours exempts de couleurs "franchouillardes".
Demain, suite et fin du "post-scriptum".
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : américanisation de la france, france américanisée, consumérisme, mcdonald, jazz, musique de jazz, la revue nègre, joséphine baker, jim crow, racisme, ségrégation raciale, guerre de sécession, nordistes, sudistes, milton mezz mezzrow, mezzrow la rage de vivre, bix beiderbecke, louis armstrong, frères lumière, lyon, régis debray, debray civilisation, le chanteur de jazz, john ford, le massacre de fort apache, john ford rio grande, lford la charge héroïque, la dernière séance eddy mitchell, 58 minutes pour vivre, jean gabin, pépé le moko, le jour se lève, la belle équipe, les visiteurs du soir, alain cuny, claude chabrol, bertrand tavernier, voyage à travers le cinéma français, sarkozy, nypd, otan, de gaulle, abkhazie, ossétie du sud, géorgie, crimée, vladimir poutine, géopolitique, géostratégie, ukraine
lundi, 30 juillet 2018
UN GÉOGRAPHE HORS-NORME
YVES LACOSTE
AVENTURES D’UN GÉOGRAPHE
Equateurs, 2018
Yves Lacoste est un géographe à la renommée solidement établie. Chaque fois que je l’ai entendu à la radio, j’ai été saisi par l’originalité de son propos. Je veux dire que je n’aurais jamais pensé à mettre en relation des faits appartenant à des domaines différents. Je me souviens par exemple qu’il avait opposé, en comparant l'Asie du sud-est et l'Afrique, deux sortes de tracés de frontières, suivant qu’ils étaient conçus par des officiers de marine ou par des officiers d’infanterie (on parle de l’époque coloniale), avec une prime à l’intelligence et à la pertinence accordée à la marine, alors que les « biffins » avaient tendance à tirer des lignes droites. Je n’ai pas cherché à savoir si l’idée était toujours opérationnelle : je m’étais contenté d’apprécier l’inattendu de la conception.
Je viens de lire Aventures d’un géographe, paru très récemment. Le livre se présente curieusement comme des « Mémoires ». Curieux, en soi, à cause du nombre de pages (330), mais aussi à cause du contenu, d’aspect beaucoup trop schématique (mais ça va avec) à mon goût. J’aurais aimé en particulier que l’auteur entre beaucoup plus dans les détails, s’agissant des problématiques envisagées.
Il concentre son récit autour de deux points qui constituent, pense-t-il avec raison, son principal apport à la discipline. D’abord, avoir arraché la « géopolitique » à l’acception qu’elle avait sous le régime nazi : « Je lui [Julien Gracq] répondis que les géographes allemands avaient proclamé de prétendues lois instituant la propriété des peuples germaniques sur certains territoires » (p.254). Ce que les nazis appelaient, je crois, le "Lebensraum" (espace vital). Ensuite, d’avoir fondé la revue Hérodote, devenue un outil indispensable dans l’exercice de la profession de géographe.
Je n’ai jamais fréquenté la revue, mais j’aurais lu avec beaucoup d’intérêt la narration circonstanciée de l’installation du mot « géopolitique » dans le langage des géographes, avec les aléas, les oppositions rencontrées, bref : les heurs et malheurs d’un concept qui, de mal famé qu’il était, est devenu d’un usage tellement courant que les journalistes l'invoquent souvent à tout bout de champ. Un volume de 600 pages ou davantage ne m’aurait pas fait peur. C’est dire que je reste (un peu, n'exagérons pas) sur ma faim.
Même remarque à propos de l'ouvrage – à léger parfum de scandale – par lequel il s’est fait un nom : La Géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre (Maspero, puis La Découverte) : « Et le petit livre bleu hérissa en effet la confrérie » (p.7). J'ai du mal à comprendre les raisons de cette réaction : ne parlait-on pas depuis longtemps de "cartes d'état-major" ? Or, si la carte est forcément géographique, qu'est-ce qu'un état-major, sinon le haut commandement militaire dirigeant des opérations, c'est-à-dire un acteur de l'histoire ? J’aurais aimé en savoir plus sur les raisons de l’hostilité déclarée des confrères géographes. Yves Lacoste préfère s’étendre sur le peu de considération dont jouissait la géographie dans la hiérarchie intellectuelle et son souci de participer à sa revalorisation : il voulait qu’on puisse le prendre au sérieux, et pour des motifs solides. Il avait bien raison, même si j’aurais été intéressé, par exemple, par un chapitre évoquant plus précisément la réception de l’ouvrage "scandaleux".
Si j’ai bien compris, la géopolitique, c’est précisément la mise en rapport des données de la géographie d’un territoire précis (question d'échelle : cela peut aller de quelques centaines de mètres à plusieurs centaines, voire milliers, de kilomètres) avec les événements qui se produisent sur ce territoire, conditionnés par ces données. La géopolitique traite des rapports de forces qui s'exercent sur un territoire. Dans le fond, la géopolitique, c’est vouloir expliquer la géographie par l’histoire, et envisager d’expliquer un certain nombre de faits de l’histoire par les données de la géographie. Il me semble qu’un certain Bismarck (1815-1898) avait déjà eu de telles idées, mais je ne suis pas spécialiste (est-il l'auteur de cette formule dont je crois me souvenir : « La seule chose qui ne change pas dans l'histoire, c'est la géographie » ?).
Et le duc de Saint-Simon, quand il commente certaines batailles perdues ou occasions manquées par l’un des bâtards de Louis XIV (le duc de Vendôme, je crois bien), ne manque pas de souligner, en plus de la paresse native de ce dernier, le peu d’à-propos avec lequel il choisissait et organisait le terrain de ses « exploits ». Et quand il relate les entreprises militaires (du début du printemps à la fin de l’automne, chaque année ou à peu près), il ne manque jamais de commenter l’intelligence ou la bêtise du général en chef dans la disposition des troupes en fonction du terrain, qu'il s'agisse de franchissement de fleuve, d'occupation d’une position dominante, de passage d’un défilé ou de défense d'une cité fortifiée, à l'exemple de celle, splendide, que le marquis de Boufflers conduit lors du siège de Lille, mené par le prince Eugène). Oui, la géographie est bien une constante des événements historiques.
Ce qui intéresse le spécialiste de géopolitique, ce sont les interactions entre la conformation d’un site et la façon dont se produisent les rapports entre les forces en présence ou l’affrontement des volontés et des intérêts. Cette préoccupation constante de l’auteur l’amène à conduire ses étudiants sur le terrain, dans la vallée de Chevreuse ou sur la Montagne de Reims : « En effet, il est interdit de planter de la vigne sur la totalité des versants de la Montagne de Reims. Il s’agit d’une décision du Comité interprofessionnel du vin de Champagne qui engendre d’énormes écarts de prix entre deux parcelles voisines, l’une plantée de vigne, l’autre où c’est interdit » (p.224). Voilà un exemple de passage où, n’étant pas géographe, j’ai du mal à comprendre les tenants et aboutissants du problème. Cette histoire de pente, de sable, de lignite et de prix du champagne me semble nébuleuse, faute de précision.
Dans un autre chapitre, en revanche, Yves Lacoste raconte comment il a été amené à intervenir au Vietnam, pendant la guerre et les bombardements américains : chapitre absolument passionnant. Je passe sur les aspects anecdotiques (croustillants : comment voyager en avion sans visa avec un billet offert en douce). Les Américains avaient imaginé de bombarder les digues qui contenaient les eaux du fleuve Rouge : « … j’écrivis un petit article très pédagogique expliquant que le fleuve coule au-dessus de la plaine du delta surpeuplée, et je l’avais envoyé au journal "Le Monde" » (p.180). Le journal publie l’article.
La suite est étonnante : les Nord-Vietnamiens ont immédiatement compris le parti qu’ils pouvaient tirer des compétences et du regard particulier du géographe, et le lui font savoir. Sautant allègrement par-dessus les formalités avec l'aide obligeante des soviétiques, il atterrit à Hanoï, il réclame et finit par obtenir les cartes, malgré le secret militaire, où figurent « les points qui ont été atteints » (p.182). On apprend que « la rupture d’une digue est plus probable si elle a été attaquée dans la partie concave du méandre, parce que c’est là que s’exerce surtout la pression du courant » (p.183). « Le réseau des digues du fleuve Rouge est l’un des plus complexe au monde et il faisait l’admiration de Pierre Gourou. Ces digues ont été construites en terre compactée par la mobilisation du peuple vietnamien au cours des siècles, de l’amont vers l’aval » (p.185). Pierre Gourou est l’auteur d’une thèse sur le fleuve Rouge.
Le plus fort de l’affaire montre que la géopolitique peut à l’occasion devenir un acteur dans un conflit, car la conclusion fut la suivante : « De retour à Paris, je me suis rendu au siège du "Monde" qui publia l’après-midi même la carte du delta du fleuve Rouge représentant les digues et les points bombardés, ainsi que mon commentaire. Des journaux du monde entier l’ont repris, même au Japon et aux Etats-Unis. Quelques jours plus tard, les bombardements américains sur les digues cessèrent » (p.186). On imagine sans peine la catastrophe humaine que le géographe a permis d’éviter. Yves Lacoste peut être fier : il a arrêté l’aviation américaine ! D'un autre côté, on pourrait souligner qu'il a mis clairement la géopolitique au service de l'un des belligérants, faisant fi de la sacro-sainte neutralité scientifique, mais bon.
Un autre chapitre tout à fait intéressant raconte la rencontre de l’auteur avec Julien Gracq, lui-même professeur d’histoire et géographie. L’idée lui en est venue à la lecture du Rivage des Syrtes, ce roman somptueux qui a obtenu le prix Goncourt (refusé par Gracq), et dont la trame illustre bien la phrase de Voltaire : « L’homme est fait pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude ou dans la léthargie de l’ennui ». Un jeune aristocrate, rouage du destin, provoque la fin catastrophique de son pays, la principauté vieillissante d’Orsenna, parce qu’il finit par ne plus supporter la vie étale, immobile et sans relief qu’il mène dans le poste où il a été affecté à sa demande.
Yves Lacoste écrit à Gracq pour lui dire qu’il lui semble qu’il a écrit un « roman géopolitique ». La rencontre a lieu chez le romancier. Il lui explique que le terme sert à « désigner toute rivalité de pouvoirs sur un territoire et confronter les arguments des uns et des autres » (p.254). « Dans ce roman, lui dis-je, vous vous attachez aux signes avant-coureurs du nouvel affrontement à venir entre le Farghestan mystérieux, voire mystique, et les grandes familles vieillissantes d’Orsenna » (ibid.).
Il va jusqu’à faire dessiner par un spécialiste la carte « en perspective cavalière » de la façon dont il se représente la disposition des lieux tels que Julien Gracq les a imaginés. « Désorienté » par une précision demandée par Lacoste, le romancier lui répond, « presque en s’excusant » : « Vous savez, j’ai seulement voulu faire un "tremblé géographique" » (p.255). Pour un lecteur assidu de Julien Gracq, voilà un chapitre qui ne manque pas d’intérêt, en ce qu’il lui procure une grille de lecture inédite.
Il faudrait encore faire un sort aux multiples centres d’intérêt sur lesquels Yves Lacoste a été amené à travailler : Ibn Khaldoun, la Haute-Volta, Cuba, voire mentionner les recherches de son épouse sur les Kabyles. Ce dernier point donne à l’auteur quelques occasions délectables de s’en prendre aux thèses de Pierre Bourdieu : mon dieu, une tache sur la statue ! Au total, un livre foisonnant d’aperçus d’une grande variété. Si j’avais une réserve à faire, ce serait donc à propos du nombre de pages, à mon avis insuffisant pour combler la curiosité du lecteur, frustré par l’évocation trop rapide de certains aspects du travail de ce géographe hors-norme.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : yves lacoste, géographe, géographie, aventures d'un géographe, éditions des équateurs, géopolitique, revue hérodote, la géographie ça sert d'abord à faire la guerre, éditions maspéro, éditions la découverte, duc de saint-simon, mémoires de saint-simon, guerre du vietnam, fleuve rouge, pierre gourou, julien gracq, littérature, prix goncourt, le rivage des syrtes, ibn khaldoun, kabyles, pierre bourdieu
lundi, 05 octobre 2015
TROISIÈME GUERRE MONDIALE
Des responsables de grandes nations, grandes voix autorisées s’il en est, disent craindre une troisième guerre mondiale et affirment tout faire pour que cela n’arrive pas. Visiblement, ils tiennent à éviter de semer la panique dans les populations. Parce que cette guerre mondiale, les apparences montrent qu'elle a déjà commencé. C'est parti mon kiki. Le constat crève les yeux : entre l’Irak et la Syrie, on ne dénombre pas moins de quatre-vingts nationalités en présence. Quatre-vingts nationalités ! Ce n'est pas mondial, ça ?
Il y a cent quatre-vingt-treize "Etats" représentés à l'ONU, mais est-on obligé de compter comme Etats les Kiribati (80.000 habitants), Palau (19.000), Nauru (11.500) ou Tuvalu (10.000), pour ne regarder que du côté des "Etats" (des croupions, en vérité) du continent océanien ? A l'ONU, pour dire la vérité, combien de ces "Etats" n'ont été "reconnus" que pour apporter des voix aux Etats-Unis lors des assemblées générales ?
La règle "un Etat = une voix" se moque allègrement du monde. Et je ne m'attarderai pas sur le pouvoir exorbitant que l' "Europe" actuelle accorde aux petits Etats (baltes et autres) qu'elle a intégrés en son sein en appliquant le même absurde principe. Les Révolutionnaires de 1789 avaient fait un petit pas en admettant le "doublement du Tiers" ! A quand, en Europe, le vote par tête ? Tout ça pour dire qu'avec quatre-vingts nationalités représentées dans les combattants du champ de bataille irako-syrien, je ne vois pas pourquoi on ne qualifierait pas le conflit de "mondial". Passons (pardon pour la digression).
Je ne devrais d’ailleurs pas mettre l’Irak et la Syrie dans le même sac, même si les situations ont fini par se confondre en un magnifique écheveau de fils désormais totalement indémêlables. Si l’on a d’un côté un dictateur en guerre contre « son peuple » (sic !) qui, au départ, réclamait un peu de reconnaissance et de démocratie (les « printemps arabes »), on a de l’autre le résultat américain d’une véritable folie furieuse, voire criminelle.
C’est sur l’ordre du trio infernal George W. Bush-Dick Cheney-Donald Rumsfeld qu’un certain proconsul en Irak nommé Paul Bremer a signé dès 2003 l’ordre de dissolution de tous les militaires baasistes de Saddam Hussein et de toutes les polices qu’il avait mises en place, au motif que leur affectation précédente les avait rendus infréquentables et inemployables. Rendus de force à la vie civile sans indemnité, que croyez-vous qu’il arriva ? Ils sont tous devenus, du jour au lendemain, des ennemis jurés des "envahisseurs". C'est quoi, Daech ? Pour une large part, l'ancienne armée de Saddam Hussein. Encore bravo !
On dira ce qu’on veut de l’armée irakienne du temps du dictateur : tout le haut commandement était composé d’officiers avisés et d’excellents stratèges. Il ne faut pas chercher ailleurs ce qui forme le gros des chefs de Daech (que le grotesque Hollande prononce « Dache » (cf. « c'est à dache »), comme Mitterrand prononçait « Mastrik »). Ces gens savent ce que sont une manœuvre militaire, un repli tactique, un but de guerre. Comme professionnels de la guerre, ils se posent un peu là. Et dire qu’on se demande comment il se fait qu’ils ne sont pas encore anéantis !
Bon, c’est vrai, si les deux situations n’ont rien à voir au départ, ces deux chaudrons du diable n’en forment aujourd’hui plus qu’un, et personne n’est en mesure de prédire quel goût aura la mixture qu’un nombre chaque jour grandissant d’acteurs, officiels ou masqués s'ingénient à touiller tout en jetant de l'huile sur le feu : Iran, Qatar, Arabie saoudite, Russie, USA, Al Qaïda, … on ne sait plus qui roule pour qui, les seuls à ne pas avoir d'alliés pour leur fournir armes et assistance sont les démocrates qui manifestaient pacifiquement en 2011 !
Ce qui est sûr, c’est que chaque fois, au 20ème siècle, qu’un conflit a opposé de nombreuses nations, on a appelé ça des « Guerres mondiales ». Alors c'est vrai, le champ de bataille, pour une fois, n’est pas situé en Europe (encore que … : Charlie Hebdo, Hyper Casher, attentats divers, Ukraine). Mais ce n’est pas une raison pour ne pas appeler les choses par leur nom.
Vous voulez que je vous dise ? La Troisième Guerre mondiale est commencée.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : irak, iraq, syrie, saddam hussein, parti baas, baasisme, bachard el assad, hafez el assad, guerre mondiale, daech, george w. bush, dick cheney, donald rumsfeld, paul bremer, françois hollande, charlie hebdo, hyper casher, frères kouachi, troisième guerre mondiale, informations, journaux, presse, géopolitique, géostratégie