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dimanche, 14 avril 2019

LES NUISANCES DE L'INTELLIGENCE

A raccrocher latéralement à la série "Je hais les sciences humaines".

J'ai encore entendu hier matin les belles fadaises qui se colportent complaisamment dans les milieux intellos (je n'ai pas dit "intellectuels"). La plus comique en est sans doute une que l'on ne cesse d'entendre dans toutes les bouches autorisées (autorisées par qui ?), qu'il s'agisse de politiciens multirécidivistes, d'hommes de théâtre multilingues (Emmanuel de Marcy-Mota, invité hier sur France Culture), de journalistes multimédias, de politologues multidisciplinaires (Stéphane Rozès), de sociologues multicartes, d'historiens multicolores et autres psychosociologues multiculturels.  

La fadaise (faribole + calembredaine = marrade bien carrée) en question est la suivante : il faut reconstruire un Grand Récit (aux Français pour leur raconter l'unité de la France, aux Européens pour leur raconter l'unité de l'Europe, à l'humanité pour lui raconter l'unité de l'espèce humaine, ...). Il faut restaurer un Grand Mythe. Il faut réécrire une Grande Fiction. Dans quel but indubitablement noble ? Pour susciter une Grande Adhésion Collective des populations, pour "refaire société" et restaurer le "vivre-ensemble". Il faut ressusciter des attitudes mentales favorisant la vie dans des collectivités harmonieuses. Il faut rétablir l'harmonie perdue.

Mais mon pote, espèce de tête de pomme, tu n'as pas vu qu'il y a contradiction dans les termes ? Tu crois vraiment qu'on peut ainsi marier objet de savoir et objet de croyance jusqu'à ce qu'ils ne fassent "qu'un seul corps" ? Le simple fait que tu l'appelles toi-même "Grand Récit" prouve que c'est impossible : du haut de quelle chaire de commentateur-observateur extérieur ordonnes-tu aux responsables ce qu'ils ont à faire (et en passant : quel mépris pour le bon peuple, ce tas de gogos que tu vois juste bons à gober des boniments) ?

Tu ne sais donc pas qu'un mythe qui se sait mythe n'est qu'une poudre de perlin-pimpin ? Qu'un récit de fiction qui se présente en costume de fiction ressemble comme deux gouttes d'eau à un conte pour enfants qui fait passer un bon moment mais que personne de sérieux ne prend au sérieux ? Qu'un rite dont la raison profonde est dévoilée au grand jour est voué à l'échec ? Ce n'est pas du "Grand Récit", même "crédible", qu'il faut : c'est de la Vérité. 

Va réviser ton René Girard et sa théorie du bouc émissaire, pour qui la crucifixion de Jésus-Christ est le premier exemple de rituel primitif qui échoue pour cause de connaissance : « Nous avons tué un innocent ! », s'exclame la foule. Il n'y a plus de bouc émissaire si tout le monde sait la vérité sur le rôle qu'il joue. Le rite n'accomplit son rôle de pacification et d'unification du groupe que si ceux qui l'accomplissent ne savent pas pourquoi ils font ça comme ça et pas autrement. Pour avoir des rites efficaces, il faut être ignorant.

Nous sommes trop intelligents pour croire encore en quoi que ce soit : nous avons fait du savoir une idole. Le Savoir est devenu l'objet de notre croyance. Magnifique paradoxe qui rend l'équation insoluble. Il n'y a plus de "Vérité" à quoi attacher quelque chose qui ressemble à des certitudes. Il est même probable que l'effort infatigable et méticuleux des sciences humaines pour accéder aux racines authentiques qui fondent les sociétés soit pour quelque chose dans l'impossibilité d'établir quelque certitude que ce soit, puisqu'il n'y a de vérités que de croyances. Même les sciences dures, les sciences exactes, je veux dire les "vraies sciences", en dehors de "l'eau bout à 100°Celsius à 0 mètre", hésitent à proclamer : « Ceci est la Vérité ».

Plus la société se connaît, moins elle comprend ce qu'elle fait là. Plus elle explore ses fondements, plus elle sape ses fondements. Car tout, dans ce qui fait société, est arbitraire, convention, artifice. Tout ce qui fait société découle de l'art de la fabrication. C'est exactement la raison pour laquelle je n'éprouve que de l'aversion pour l'œuvre de gens comme Pierre Bourdieu ou Simone de Beauvoir : on peut dire, à propos de tout ce qu'a fait l'humanité depuis ses origines : « On ne naît pas humain, on le devient ». On peut d'ailleurs affirmer que, pour cela, il faut légalement 18 ans, du moins en France.

Aucune société n'est naturellement légitime, parce qu'aucune ne détient ni n'est fondée sur la Vérité. Chercher, comme ce fut la démarche de Michel Foucault, à dévoiler la Vérité pour fonder la légitimité d'une organisation sociale (gestion de la folie, de la délinquance, de l'anormalité, ...), c'est vouloir débarrasser le squelette qui fait la vraie vie de la société de toute la chair qui lui permet d'être, de vivre, de se mouvoir et d'aimer. En réalité, je me demande si le Graal de Michel Foucault ne fut pas d'apporter la preuve que toutes les institutions humaines sont arbitraires. Je pense qu'il ne faut pas être trop intelligent pour en convenir : les institutions humaines, société par société, culture par culture, civilisation par civilisation, sont évidemment le résultat complexe de conventions, de tradition, d'histoire, de localisation dans l'espace, de contexte environnemental, etc. Aucune société n'a des fondements naturels, toute organisation sociale découle des conditions artificielles qui l'ont constituée. Toutes les sociétés sont de ce fait arbitraires.

Je reviens à mon sujet. Il est vital pour le mythe qu'il soit objet de croyance aveugle et même de foi pour avoir des chances de remplir sa fonction qui est d'assurer l'unité du corps social. Il est mortel pour lui de se savoir croyance. Le fait pour un mythe, pour un rite social, pour n'importe quelle fiction de devenir un objet de savoir est le plus sûr moyen de le rendre totalement inopérant dans sa fonction concrète qui est de pacifier et d'unifier le corps social. Nous sommes devenus trop intelligents (et trop bêtes) pour "faire société". Savoir tout ça nous a ôté l'envie de "faire corps".

Toute la démarche intellectuelle des sciences humaines vise à opérer le grand dévoilement de toutes les sortes de mécanismes qui ont servi de base à l'édification des sociétés. Cette seule ambition, qui fait du seul savoir l'ambition suprême, rend précisément obsolète tout ce qui ressemble à une croyance. L'intelligence rationnelle telle qu'on la voit à l'œuvre dans les sciences humaines agit comme un dissolvant miracle, comme un décapant surpuissant de tout ce qui était susceptible, dans les sociétés, de susciter l'adhésion de tous à un projet commun.

L'intelligence science-humaniste a détruit les conditions de l'avènement de toute collectivité homogène. Pour qu'il y ait un mythe efficace, un Grand Récit qui soit opératoire, il faut une autorité surplombante (religion, idéologie ou autre). Or il n'y a plus d'autorité surplombante. Car pour qu'il y ait une autorité surplombante à même de fédérer des peuples entiers, il n'y a que deux moyens : l'ignorance (sociétés primitives) ou l'assujettissement (la Chine populaire). Nous ne voulons aujourd'hui ni de l'une ni de l'autre.

Alors on me dira qu'il n'y a pas que ça pour expliquer le morcellement, la fragmentation des sociétés modernes en communautés fermées et jalouses de leurs "droits", et qu'il ne faudrait pas oublier la mise en compétition de tous contre tous sous la férule de l'économie triomphante et de la marchandisation de tout, la montée de l'individualisme, la réalisation de soi comme idéal ultime, et patati et patata.

Je suis bien d'accord, mais voilà ce que je dis, moi.

mardi, 09 avril 2019

GRAND DÉBAT ...

... OU GRANDE IMPOSTURE ?

Très fort, Macron ! Bravo l'artiste ! Les gilets jaunes, on peut dire qu'il les a eus à l'usure. C'est vrai qu'il y a mis de l'énergie, mais il en est venu à bout. Pour l'énergie, il faut le reconnaître, il en a à revendre. Tenir le crachoir pendant six ou huit heures face à des centaines de maires d'un peu partout en France et répondre aux questions, il faut le faire. Emmanuel Macron a donc amplement payé de sa personne pour ... pour quoi, au fait ? Ben, en fait, on n'en sait rien, finalement. Tout ça pour ça ? Après le bouillonnement des idées, la bouillie indigeste de leur « restitution » par le premier ministre : on peut compter sur lui (et sur le président) pour tordre les idées dans le sens qui l'arrange. Soyons sûrs que la montagne du Grand Débat accouchera de quelques petites crottes très présentables.

Qu'est-ce qu'ils voulaient, au départ, les gilets jaunes ? Finir le mois sans trop de casse, et sans trop de rouge sur le compte en banque. Cela veut dire, pour des politiques un peu responsables : agir sur la situation économique des gens qui ont un travail qui nourrit de plus en plus mal les individus et les familles. Ils ne demandaient pas le pactole, ils ne le demandent toujours pas, d'ailleurs. Vouloir finir le mois avec le feu vert de la banque n'est pas une revendication. Vouloir finir dans le vert n'est pas un sujet de débat, grand ou petit.

Je veux révéler ici le secret du raisonnement d'Emmanuel Macron au moment où la « crise des gilets jaunes » a éclaté : c'est comme si j'étais là, dans sa tête. Notre jeune et fringant président s'est dit :

« POUR LES FAIRE TAIRE, DONNONS-LEUR LA PAROLE ! ».

Je l'ai entendu de mes oreilles mentales, je vous jure ! Sauf que, dans la formule ci-dessus, le pronom "les" ne renvoie pas aux mêmes personnes que le pronom "leur". "Les" (COD : complément d'objet direct), c'est les Français gilets jaunes, "leur" (COS : complément d'objet second), c'est les Français pas gilets jaunes. En français ordinaire : pour étouffer la voix de ceux qui contestent, donnons la parole à ceux qui croient encore à la pureté du régime démocratique à la Macron (sous-entendu : qui ont encore assez de moyens pour y croire, comme le montre la sociologie des participants). En encore plus clair : faisons semblant de donner la parole à toute la nation, ça fera toujours assez de chahut pour que les cris des gilets jaunes se perdent. Reformulé, ça donne : 

« POUR FAIRE TAIRE LES GILETS JAUNES, DONNONS LA PAROLE AUX CITOYENS "POSITIFS". » 

Qu'est-ce que c'est, en définitive, le "Grand Débat National" ? Une belle entreprise de noyade : vexé d'être remis en question par quelques pouilleux et sans grade (150.000 au plus fort ?), Emmanuel Macron veut à tout prix "sortir du problème par le haut". Il met douze millions d'euros dans l'entreprise pour appeler à la rescousse toutes les bonnes volontés qui ont quelque chose à dire tout en estimant qu'elles ne sont pas écoutées. Résultat : toutes participations étant comptées, on arrive à un total de 1.500.000 personnes qui ont apporté leur contribution à ce Grand Débat National. Enfoncés, les Gilets Jaunes.

Cela ne fait pas lourd par rapport aux 44.000.000 de Français dont le nom figure sur les listes électorales, mais c'est déjà un nombre respectable. C'est vrai, c'est bien vrai, c'est tout à fait vrai, sauf que le Macron a réussi, avec son Grand Débat, à créer un événement que personne n'attendait ni ne demandait. Le Grand Débat correspond assez bien à la définition de l'amour selon le psychanalyste Jacques Lacan : « Aimer, c'est donner quelque chose qu'on n'a pas à quelqu'un qui n'en veut pas ». 

Car le Grand Débat n'a pas concerné les Gilets Jaunes. Parce qu'il n'était pas fait pour satisfaire les Gilets Jaunes, mais pour noyer les Gilets Jaunes. L'entourloupe est magistrale.

Là où il est très fort, c'est que l'initiative du Grand Débat, dont l'auteur de l'idée est inconnu à ce jour, a mis en branle une énorme machine administrative (des institutions et des commissions "ad hoc") dont les médias dans leur ensemble se sont vus contraints de rendre compte de la marche jour après jour. En clair et en français : Macron a fait du grand spectacle. Le Barnum du Grand Débat. La noyade, c'est ça.

POPAÏNE 14.jpg

C'est dans Popaïne et vieux tableaux, cette bande dessinée remarquable du grand Maurice Tillieux (les plus beaux accidents de voiture de toute la bande dessinée, hormis celui de sa IBN MAH ZOUD2.jpgSplendeur Ibn-Mah-Zoud, roi du pétrole daltonien aux 52 épouses, au volant de la turbotraction dessinée par Franquin dans Vacances sans histoires), que le détective Gil Jourdan déclare cette vérité définitive : « Où cache-t-on mieux un livre que parmi d'autres livres ? », en parlant du registre où Stéphane Palankine, le gros trafiquant de drogue, tient une comptabilité précise de ses affaires. Macron tient le même raisonnement : où cache-t-on mieux des idées gênantes que parmi un déluge d'idées (excellentes, bonnes, mauvaises, anodines ou fantaisistes) ? Noyons donc. Et ce déluge-là a duré bien plus de quarante jours et quarante nuits. Mais ça a à peu près marché. Bon, c'est vrai, quelques idées-forces persistent à émerger, mais l'essentiel, ce qui a servi de base au départ, est maintenant oublié.

L'essentiel ? La situation concrète de la masse des gens qui ont un travail et qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Et ça, ça n'a pas changé, et ce n'est pas près de changer. Là, c'est la double page de Gotlib sur le Biaffrogalistan qu'il faut convoquer (ci-dessous première et dernière bande, c'est dans la Rubrique-à-brac tome 4, page 366 de l'intégrale), pour dire l'efficacité des paroles sur la réalité. Le Grand Débat National aura eu surtout des vertus incantatoires.

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A noter : la taille du message dans la troisième vignette et dans l'avant-dernière. Le ressassement médiatique fait disparaître le message de la conscience.

La réalité du désastre, quant à elle, est intacte.

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Tout ça veut dire une seule et unique chose : Macron, tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire (voir mon papier du 1 octobre 2017).

Macron, c'est la parole verbale. La réalité concrète des gilets jaunes a miraculeusement disparu. Enfin, c'est ce qu'il aimerait bien.

Voilà ce que je dis, moi.

samedi, 30 mars 2019

JE HAIS LES SCIENCES HUMAINES

ÉPISODE 3 

Pour rappel : épisode 1 et épisode 2

Le lecteur qui tombe sur le titre provocateur que j’ai donné à cette série de petits billets s’est peut-être tapé la tempe du bout de l’index en se disant que le gars capable de formuler une telle énormité n’est pas bien dans sa tête. J’avoue que les apparences au moins sont contre moi : comment peut-on oser douter de la légitimité de l’énorme somme des savoirs accumulés en psychologie, en histoire, en économie, en sociologie, bref dans toutes les disciplines que la modernité à regroupées sous le noble nom générique de « Sciences Humaines » ?

Certains esprits facétieux pourraient prétendre que c’est justement du fait de l’accumulation de ces savoirs multiples que la question se pose de savoir à quoi tout ça peut bien servir, ou a bien pu servir ? Et c’est peut-être bien là, en effet, que le bât blesse les pauvres flancs du baudet lourdement lesté de tant de connaissances, et qui n’en peut mais.

En observant de loin l’histoire humaine, on peut se dire que les populations des sociétés modernes continuent à agir, manger, dormir, penser, rêver, désirer, consommer, aller au cinéma ou à l’hôpital, souffrir, mourir, bref, elles font comme toutes les autres populations précédentes depuis la nuit des temps : elles vivent leur vie.

Oui certes, on peut dire qu’elles continuent, mais avec une différence finalement énorme : elles vivent toute leur pauvre existence sous l’œil de caméras vigilantes qui scrutent et enregistrent à tout moment le moindre de leurs gestes, de leurs mots, de leurs amours, de leurs pets de travers. Jamais aucune population humaine n’avait comme celle d’aujourd’hui été auscultée et palpée dans ses recoins les plus secrets.

Sciences humaines : la grande angoisse.

Tout se passe comme si la société, angoissée à l’idée de ne plus rien comprendre à ce qu’elle est devenue et à ce qui se passe dans ses profondeurs, se livrait en permanence à une énorme auto-analyse. Comme si elle se passait elle-même, à tout moment, à la moulinette. Jamais la question « Qui suis-je ? » ne semble avoir été aussi cruciale. Jamais aucune société n’avait été aussi peu assurée de la validité des principes qui la fondent, des règles qui l’organisent, des questions et des croyances qui la traversent. Plus la société s’est complexifiée, plus elle a vu des abîmes de perplexité s’ouvrir sous ses pas.

Il est d’ailleurs probable que le développement extraordinaire de l’ensemble des disciplines universitaires regroupées sous l’appellation de « sciences humaines » soit l’indicateur de la montée de cette angoisse de tout un système social qui a perdu toute certitude au sujet de sa légitimité : sous les coups des sciences humaines, tous ses fondements ont été remis en question, au point que tout ce qui servait de solide point de repère autrefois est devenu intolérable figure de l’arbitraire. Le pouvoir de dissolution des sciences humaines sur les critères de jugement s’est révélé redoutablement efficace.

Les sciences humaines ont contribué à scier la branche sur laquelle notre civilisation était assise. Une civilisation si rationnelle qu'elle a mis toutes ses croyances à la torture jusqu'à ce qu'elles avouent que oui, elles ne sont pas des Vérités absolues et intangibles, mais de simples croyances, presque des superstitions, et forcément des illusions. Or considérer toute croyance comme pure illusion est déjà une opération intellectuelle abusive : à ce compte-là, quelle connaissance, en dehors d'un intégrisme religieux des faits bruts, pourrait échapper à l'accusation ? 

Et les sciences humaines se sont révélées impuissantes à substituer des savoirs "scientifiques" (je mets des guillemets parce que justement) aux croyances ainsi disqualifiées, sans se rendre compte que vouloir en finir avec toutes les croyances revient à vouloir liquider le désir et la volonté de vivre ensemble. C'est ce que les intellos d'aujourd'hui présentent comme la nécessité d'un « Grand Récit » : revendication bizarre de fusionner savoir et croyance, c'est-à-dire dans l'espoir de fabriquer un jour un être qui soit à la fois un croyant fervent et un "sachant" déterminé, autrement dit un intellectuel adepte d'une croyance : la quadrature du cercle. Comment pourrais-je, par exemple, défendre l'idée patriotique d'un « roman national » capable de fédérer tout un peuple, tout en me prétendant un "sachant", puisque je sais que ce type de « Grand Récit » est une pure fiction à visée politique ? Comment se forme, à la base, un quelconque "sentiment national" ? Ce qui est sûr, c'est que ce ne sont pas les "sciences humaines" qui sont en mesure de répondre à la question.

Cela prouve au passage qu'aucune société au monde ne saurait être constituée sur des bases purement rationnelles et scientifiques, et que toutes ont un besoin vital de croire en quelque chose. Il faut un mythe fondateur, et qui fonctionne vraiment comme mythe, c'est-à-dire qui repose exclusivement sur la croyance, et non sur sa désignation comme telle, qui en tue la force agissante. Ce que rendent impossible l'intellectualisation de tout et la conceptualisation universitaire des données de l'existence humaine. En disqualifiant par principe toute croyance en tant que croyance, la civilisation à prétention scientifique s'est privée de la source d'énergie inépuisable que représente l'envie de vivre. Bon, je sais, l'envie de vivre, ça ne fait pas très rationnel.

La psychologie au service des marchands.

Tout ce qui forme et constitue, jour après jour, la vie ordinaire des gens est ainsi minutieusement interrogé, méthodiquement enregistré, méticuleusement comptabilisé, puis érigé au rang de « fait social » digne d’être étudié. Rien n’échappe à cette moulinette : rien ce qui se passe à l’intérieur des individus, et rien non plus de leurs attitudes et les comportements qui leur sont propres quand ils sont « en société ». Tout est soigneusement disséqué, puis interprété, avant de devenir moyen d’action après une suite plus ou moins sophistiquée d’opérations de transformation.

 Car ce qui est sûr, c’est que, contrairement à ce qu’un vain peuple pense, les sciences humaines servent. J’en veux pour preuve l’usage vorace qui est fait des découvertes de la psychologie et de la psychanalyse par l’industrie publicitaire depuis les années 1920 pour vendre aux gens l’effigie de leurs propres désirs sous forme de biens consommables, c’est-à-dire depuis les premiers travaux de Walter Lippmann (auteur de la jolie formule « comment fabriquer du consentement ») et Edward Bernays, doublement neveu de Sigmund Freud, par sa mère (Anna Freud, épouse Bernays) et par la sœur de son père (Martha Bernays, épouse Freud).

Ce dernier, on ne le sait pas assez, a participé à la campagne de propagande qui a ouvert la voie à l’entrée en guerre des Etats-Unis de Wilson en 1917 aux côtés des Britanniques et des Français. Son premier grand fait d’armes fut la campagne publicitaire menée, je crois, en 1928, pour le cigarettier Lucky Strike, dont il a doublé la clientèle potentielle en envoyant une cohorte de femmes fumer dans la rue sous l’œil des caméras, en présentant la chose comme une liberté conquise et comme l’exercice d’un droit.

Quand on voit la place centrale occupée par la publicité dans l’économie capitaliste aujourd’hui, on est mis en face d’une vérité massive : elle a permis le développement monstrueux de moyens et de techniques d’investigation de l’âme humaine, qui n’a désormais plus rien à cacher au marchand qui s’est mis en tête de convaincre les gens qu’ils ne sauraient être heureux sans avoir acheté le produit qu’il a à vendre. Débusquer les sources des motivations, des envies ou des opinions est un métier reconnu, aux contours et aux caractéristiques bien délimités.

Aucun marché ne saurait s’ouvrir à présent sans une méticuleuse préparation. Que cela s’appelle « enquête marketing » ou « sondage d’opinion », la finalité est la même : anticiper et provoquer la réaction favorable du public à la « mise sur le marché » d’un nouveau bien ou d’une idée innovante. On en est même arrivé au point que les populations sont désormais dans l’attente de ce que le marché va prochainement offrir de nouveau : c’est du marché que viendra le salut.

Grâce aux acquis de la psychologie et de la psychanalyse, la manipulation mentale est ainsi devenue un moyen de gouvernement des masses, et un moyen d’une efficacité sans pareille. C’est bien grâce à la psychologie et aux immersions profondes qu’elle a permises dans les tréfonds de l’âme humaine, que la publicité à retourné les spécificités des humains contre les humains eux-mêmes. Ce n’est pas pour rien qu’Edward Bernays parlait, dans son ouvrage Propaganda, de « gouvernement invisible ».

On l’a compris : la psychologie a fourni à un pouvoir les moyens de s’introduire dans la conscience des gens pour en extraire les moyens d’agir sur leurs comportements. La psychologie s’est transformée, entre les mains des gens de pouvoir, en instrument de gouvernement des hommes, et pas seulement dans le domaine de la marchandise dont il est question ci-dessus. Il suffit de se souvenir de l’usage frénétique fait du sondage d’opinion sous la présidence Sarkozy pour s’en convaincre : obsession narcissique en même temps qu’enquête marketing, le sondage lui permettait autant à conforter son image dans le miroir qu’à produire et offrir aux Français des idées conformes à leurs demandes telles qu’elles y apparaissaient, dans l'espoir de capter leur adhésion.

Car la psychologie, ou plutôt son instrumentalisation par le système marchand,  n’est qu’un exemple parmi d’autres de l’utilisation que la société « moderne » fait des sciences humaines. Il y a aussi, entre autres, la sociologie.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 15 mars 2019

UN PORTRAIT DE MACRON ...

...PAR UN "AMI QUI LUI VEUT DU BIEN"

J’ai découvert les coulisses du métier de journaliste dans le livre de François Ruffin, Les Petits soldats du journalisme (Les Arènes, 2003). Ce n’est certes pas un livre neutre : il rue dans les brancards, il est impitoyable avec les règles, les méthodes et, disons-le, l’idéologie inculquées par le CFJ (Centre de Formation des Journalistes, Paris) aux étudiants qui se voient un avenir dans la presse écrite ou audiovisuelle. J’avais embrayé sur Journalistes au quotidien d’Alain Accardo, qui décrivait la précarité grandissante des journalistes, et souvent la futilité des missions confiées par leur N+1, je me souviens en particulier du passage concernant les JRI (Journalistes Reporters Image, qui travaillent pour la télé, la grande dévoreuse de spectaculaire, et qui sont parachutés sur le terrain dès qu'il y a une inondation, un glissement de terrain, un tremblement de terre, etc.).

J’avais trouvé désagréable en plusieurs occasions le ton du livre de Ruffin, à commencer par une agressivité déplacée : il a beau soutenir je ne sais plus où que ce qui le guide c’est d’abord l’enquête, il ne peut s’empêcher de mordre, et c’est parfois pénible. Ce qui atténue le désagrément, c’est qu’il se considère comme plus ou moins minable et raté, mais selon lui, c’est ce qui le rapproche de « La France d’en bas », à laquelle n’a jamais appartenu Emmanuel Macron, son ancien condisciple à La Providence à Amiens, qu’il présente comme imbu de lui-même et jamais effleuré par le doute sur ses espoirs, ses aptitudes et ses possibilités.

RUFFIN FRANCOIS CE PAYS QUE.jpgFrançois Ruffin a écrit Ce Pays que tu ne connais pas (Les Arènes, 2019) pour dresser un portrait en pied de celui qui est devenu président de la République, un livre qu’il présente quelque part comme un « uppercut au foie », oxymore amusant pour qui s’intéresse un peu au « noble art » de la boxe (sauf erreur, « upper » veut dire « vers le haut »), mais bon. Les « bonnes feuilles » publiées dans Fakir (n°88, janvier-avril 2019) sont intéressantes à plus d’un titre.

En premier lieu, Macron y est dépeint comme un garçon qui a été dorloté dans un cocon de langage par sa grand-mère Manette. Macron se meut en effet dans l’univers des mots plus aisément qu’un poisson dans l’eau, comme si, pour lui, prononcer un mot donnait l’existence à un objet ou à un être qu’il tient dans sa main.

Ce rapport aisé au langage explique sans doute pourquoi le président s’est révélé un orateur doué dès sa campagne électorale, et qu’en matière de discours, il laisse sur place sans effort ses deux prédécesseurs, qui n’étaient pas des tribuns, tant le premier était sommaire et le second pitoyable. A part ça, il faudrait quand même que quelqu’un dise à Ruffin qu’Oulipo (de Queneau, Le Lionnais et quelques épigones, Perec, la recrue majeure, ne venant qu’ensuite) ne veut pas dire « Ouvroir de littérature poétique ». Passons.

Le revers de la médaille est évidemment le rapport que le bonhomme Macron entretient avec le granit de la réalité, auquel son front ne s’est jamais heurté. Car en deuxième lieu, l’élève brillant, qui a été admiré par beaucoup de camarades et même par des professeurs (l’un d'eux humilie sa propre fille en parlant à la table de famille de « ce garçon exceptionnel ») accomplit un parcours semé de pétales de rose, un peu comme sur un petit nuage, comme s’il avait toujours été entouré de louanges, de caresses et de courtisans. C'est peut-être comme ça que le pouvoir s'apprend, mais cela induit un rapport pour le moins "feutré" et distant avec la réalité commune et partagée avec le plus grand nombre. Son front porte le signe de l'élite. 

C'est à cause de ce parcours lisse et préservé des intempéries, Macron ne s’étant jamais colleté avec les duretés de la vie, qu'on ne voit pas comment il pourrait trouver des solutions à celles du monde : « Toute votre adolescence se déroule, dirait-on, sous les hourras et les vivats ! Sous un concert d’applaudissements permanents ! ». Ce n’est certes pas le cas de François Ruffin : « … j’ai connu ça, des années durant, la médiocrité, la nullité, le sentiment de n’être rien et de ne rien valoir … ». Mais il en fait un argument : « J’en tire une force, de toutes ces faiblesses : l’empathie. Dans les blessures des autres, j’entends mes blessures ». 

J’ai tendance à lui faire crédit de cette affirmation : les voix fêlées de Bessie Smith et Billie Holiday, deux fracassées de la vie, m’émeuvent davantage que les virtuoses et rayonnantes de plénitude Ella Fitzgerald ou Sarah Vaughan. L’empathie est l’enfant de la souffrance. L’empathie ne s’apprend pas dans les livres : elle découle de la vie. Les premiers de la classe, ceux qui n’ont jamais été mis en difficulté, ne peuvent pas savoir ça, tout simplement parce qu’ils ne l'ont jamais ressenti. La dure réalité du monde a la consistance d'une abstraction dans l'esprit de Macron, pour qui elle n'est qu'un ensemble de données chiffrées et d' "objets de dossiers à traiter". 

En troisième lieu, François Ruffin met le doigt sur ce qui fait la plus grande faiblesse d’Emmanuel Macron à son avis (et au mien). Bénéficiant de toutes les facilités, dont celle de la parole, il séduit et fascine, mais il n’y a pas grand-chose derrière. Et les gogos gobent. Ainsi témoigne Jean-Baptiste de Froment, ancien "collègue" au lycée Henri IV: « Au départ, on était impressionnés car il était très à l’aise, il était assez bon en name dropping culturel. Puis les premières notes sont tombées et là on s’est dit "c’est du pipeau". Il parlait très bien, singeant le langage universitaire à la perfection, mais c’était au fond assez creux ».

Comment fait-il, ayant raté l’entrée à Normal Sup’, pour être qualifié d’ancien « normalien » dans les magazines, voire « normalien d’honneur » par le journaliste Alain-Gérard Slama ? Mystère. Toujours est-il que cette « erreur » ouvre bien des perspectives sur un aspect crucial de la personnalité du président : le bluff, cette poudre magique faite pour les gogos intrinsèques. La même « erreur » est commise par plusieurs organes de presse qui font de Macron un titulaire de doctorat, alors que son supposé maître de thèse, le fameux Etienne Balibar, « n’en conserve "strictement aucun souvenir" », ulcéré par le culot de l’homme qui invoque indûment son nom.

Quant au patronage philosophique de "saint Paul Ricœur" sous lequel s’est placé publiquement Macron, il est, selon Ruffin, complaisamment amplifié : « Qu’avez-vous fait pour ce philosophe ? De l’archivage, un peu de documentation, les notes de bas de page, la bibliographie mise en forme ».

La philosophe Myriam Revault-d’Allonnes (membre du fonds Ricœur, s'il vous plaît) remet impitoyablement les choses en place : « Il en tire un bénéfice totalement exagéré. Ricœur était sensible à la notion de solidarité. Or, chez Macron, le conservatisme est assimilé à l’archaïsme supposé des acquis sociaux et le progressisme à la flexibilité et la dérégulation économique. Ce n’est ni un intellectuel, ni un homme d’Etat, mais un technocrate, certes intelligent et cultivé, mais représentant une pensée de droite libérale assez classique ». Emmanuel Macron ? Pas un homme d’Etat, mais un technocrate de droite. Du bluff, on vous dit.

Son culot lui fait introduire son livre Révolution par cette phrase incroyable : « Affronter la réalité du monde nous fera retrouver l’espérance ». Il faut oser, quand on est resté constamment bien à l’abri des réalités du monde et de ses vicissitudes.

Je fais volontairement abstraction du flot de commentaires de François Ruffin, qui disent davantage sur lui-même que sur la tête qui lui sert de punching-ball : expression souvent agressive ou caricaturale, jugements dont le lecteur se fout comme de l'an quarante et qui transforment le combat politique en jeu de fléchettes ou en tir aux pipes forain. Toutes ses rancœurs et diatribes sont carrément inutiles et n'apprennent rien à personne. Je n'ai strictement rien à faire de ses états d'âme, quand il laisse le désir d'épanchement de son moi envahir son métier de journaliste. Il vaut mieux décrire à la façon d'un scientifique ou d'un journaliste, il ne sert à rien de lancer des piques, qui disqualifient finalement le discours qu'on voulait critique.

En revanche, tout ce qui relate des faits ou des témoignages de première main est impeccable. Quand Ruffin se contente de faire son métier, le propos est imparable, car les faits se suffisent à eux-mêmes. Je passe sous silence les deux dernières parties de ces « bonnes feuilles » : « Au contact, le candidat – 2017 » et « Monsieur Thiers startupper, le président – 2019 », tout cela étant largement connu, du fait de la médiatisation servile qui fait d’Emmanuel Macron un point fixe national (un point de fixation ?) depuis son élection. A la réflexion, je ne lirai sans doute pas le livre de Ruffin.

Il reste que la France, en 2017, s’est mise entre les pattes d’un homme dangereux, dont le projet, raconté par un autre journaliste (je ne sais plus si c'est Jean-Dominique Merchet ou Marc Endeweld, le 5 décembre 2018 sur France Culture) avant l’accession de Macron à la présidence, est d’en finir une bonne fois pour toutes avec le système de protection sociale français, sans parler des intentions présidentielles de cravacher le pays jusqu'au sang, jusqu’à ce que tout le monde, de gré ou de force, soit enfin entré dans la féroce compétition économique qui ravage la planète et l'humanité. Et tant pis pour les attardés, les paresseux, les Gaulois, les impotents ! Ils sont attendus de pied ferme dans les "ténèbres extérieures".

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 13 mars 2019

POURQUOI DES GILETS JAUNES ?

C'est Marie (de Montpellier) qui parle : 

« Je n'allais pas sur les points de blocage, mais après l'intervention de Macron, j'ai pleuré.

– Pourquoi ?

– J'ai pensé à mes enfants. C'est bientôt Noël, et je vais leur offrir quoi ? Ils ne me réclament pas des Game Boy, des téléphones à 600€, des choses impossibles, même des livres, même un bon petit dîner, je n'ai pas de quoi. Je fais des boulots qui sont toujours précaires, et ça se termine au Secours Populaire à la fin du mois. J'ai écouté Macron, et j'ai bien compris : rien ne va changer. Rien ne va changer...

– Si, cent euros de plus pour les smicards.

– Mais je ne la touche pas, la prime d'activité ! Le Smic, je ne connais pas. Le dernier métier que j'ai fait, c'est auxiliaire de vie sociale, parce que j'ai un diplôme d'animatrice pour personnes âgées. Tu commences à 8 heures du matin chez madame Machin, tu termines à 8 heures du soir chez madame Truc, tu manges un casse-croûte dans ta voiture, et tu reçois ton chèque. 800€. Tu as une certaine responsabilité, tu t'occupes de personnes, tu évites les accidents, que les vieux s'étouffent, qu'ils chutent... 800€. On m'avait parlé d'un CDI, on m'avait dit : "Ça emploie, ça embauche", mais au bout de deux mois, c'était un autre son de cloche : "Les gens sont contents de vous, y a pas de problème, mais par contre les collègues vont revenir de maladie. On peut vous garder un peu quand même. Trois heures par semaine". Donc tu refuses, ça me ferait combien ? 130€ par mois. Et tu te retrouves sans RSA, il faut refaire ta demande, plus de Caf non plus, tu cumules les dettes. Sur mon bureau, il n'y a que des factures. Priorité, le loyer, les prélèvements de gaz, d'électricité. Pour la cantine ou les impôts, tant pis, je me dis : qu'est-ce que tu veux qu'ils me fassent ? 

– Et pour la bouffe, les habits, tu te débrouilles comment ?

– Les fringues, c'est très cher, heureusement y a la Croix-Rouge à côté. Mais ma gamine de seize ans, elle ne le voit pas comme ça. Elle a envie de bling-bling. Même si, avec l'histoire des Gilets jaunes, elle change, elle réfléchit.

– Elle a envie de mettre un gilet jaune, elle aussi ?

– Pas trop. Ou alors, il faudrait un logo Nike dessus, un gilet customisé, très cintré...

– Mais pourquoi tu as pleuré, lundi ?

– Je suis blessée par son arrogance. Au moins, les autres, ils avaient un peu un côté humain. Là j'ai l'impression d'avoir une espèce de robot, préprogrammé. Je ne comprends pas son but. Pourquoi on va toujours vers l'intérêt financier, vers l'argent ? ».

Voilà pourquoi des gilets jaunes.

Voilà ce qu'elle dit, Marie, de Montpellier, à Emmanuel Macron : « J'y arrive plus. Faites quelque chose pour que je puisse m'en sortir, vous qui avez le pouvoir, à ce qu'on dit ».

Et vous savez ce qu'il lui répond, Emmanuel Macron ? « Vous n'y arrivez plus ? Je vous invite à mon "Grand Débat National". Vous pourrez y exposer vos revendications et avoir au moins une attitude constructive, plutôt que de passer votre temps à vous plaindre. Soyez une "force de proposition" ».

Parce qu'elle a des revendications, Marie de Montpellier, en dehors de celle d'avoir le droit de vivre décemment de son travail ? Elle a envie d'être "constructive", dans la situation où elle est ? Elle s'occupe de "politique", Marie ? Elle a des idées, Marie, sur le fonctionnement de la démocratie directe ? Sur le "référendum d'initiative citoyenne" ? Des propositions à faire sur l'organisation de la société ? Et surtout, elle ne se plaint pas, Marie : elle constate que c'est dur et elle trouve Macron arrogant.

Mais de qui te moques-tu, Manu ? Tu vois pas qu'elle n'en peut plus, Marie, tout simplement ? Que le bout du rouleau n'est pas loin ? Mais à qui crois-tu t'adresser, quand tu parles ?

Je précise que j'ai évacué du propos initial toute la narration qui accompagne cette interview. Sousgilets jaunes,françois ruffin,journal fakir,emmanuel macron,france,société,politique,lycée la providence,ce pays que tu ne connais pas,la france insoumise,jean-luc mélenchon,élection présidentielle,la france d'en bas,la france d'en haut le titre "Monsieur le Président", ce témoignage, poignant mais finalement banal tant il peut être partagé par une foule de gens, figure dans le dernier numéro paru de la revue Fakir (n°88, janvier-avril 2019), dont le rédacteur en chef est François Ruffin, journaliste et député La France insoumise, auteur par ailleurs du film Merci patron ! Un personnage atypique et décalé si l'on veut, insupportable par certains côtés, mais pour l'instant fidèle à quelques idées basiques, c'est-à-dire fondamentales, sur la justice sociale.

gilets jaunes,françois ruffin,journal fakir,emmanuel macron,france,société,politique,lycée la providence,ce pays que tu ne connais pas,la france insoumise,jean-luc mélenchon,élection présidentielle,la france d'en bas,la france d'en hautLes mots de Marie introduisent la publication de "bonnes feuilles" du livre de Ruffin Ce Pays que tu ne connais pas (Les Arènes, 2019), dans lequel il s'adresse à Emmanuel Macron, son ancien condisciple au lycée jésuite "La Providence" d'Amiens, pour lui rappeler les raisons qui en font un homme complètement déconnecté des réalités de la "France d'en bas". Je lirai peut-être le bouquin, qui m'a l'air bien instructif : ce que j'en ai lu dans ce numéro de Fakir livre un aperçu sommaire du premier de la classe, le jeune séducteur, condescendant, péremptoire et parfois bluffeur, que la France a élu en 2017, mais sous un jour qui fait descendre la statue de son piédestal.

Quand on lit le témoignage de Marie, on comprend pourquoi les gilets jaunes ne tiennent pas à devenir un parti politique, pourquoi les vrais gilets jaunes d'origine n'ont pas l'intention de se présenter aux élections européennes, pourquoi ils ne forment pas un "mouvement" (malgré les tentatives de récupération les plus crapuleuses, dont Le Pen et compagnie), pourquoi, dans l'ensemble, on entend dans leurs rangs les revendications les plus hétéroclites et les plus fantaisistes qui sont venues se greffer sur celles qui les ont poussés sur les ronds-points.

Marie de Montpellier nous dit précisément la vérité de la France d'en bas, celle que l'arrogance de la France d'en haut ignore superbement, celle de masses de gens qui se débattent dans les tribulations bien réelles du quotidien et des fins de mois difficiles. Voilà ce qu'elle nous dit, Marie de Montpellier : la dictature actuelle de l'économie écrase et appauvrit le plus grand nombre. C'est pas compliqué.

La seule et unique revendication des gilets jaunes de la première heure ? Un appel aux "responsables", non pas pour qu'ils causent au sujet des "desiderata des gilets jaunes", mais pour qu'ils agissent sur la situation qui rend leur vie intenable. Non, c'est pas compliqué : « Donnez du vrai travail ! Donnez du vrai salaire ! Rendez la vraie vie possible ! Faites quelque chose pour améliorer la vraie situation ! ».

Dans la même situation que Marie de Montpellier, ils sont aujourd'hui neuf millions. Voilà la vérité que les casseurs s'efforcent de bousiller, semaine après semaine.

Neuf millions de gilets jaunes potentiels. Neuf millions de Marie de Montpellier !

Merci Fakir ! Merci François Ruffin ! Vive le gilet jaune ! Vive Marie de Montpellier ! Tiens bon, Marie !

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 08 février 2019

CAPITALISME ET FÉMINISME ...

... OU : LE FÉMINISME AU SERVICE DU CAPITALISME.

En inventant la "domination masculine", Pierre Bourdieu a bien mérité du capitalisme pour l'immense service qu'il lui a rendu : il a détourné le regard de l'opinion publique et des chercheurs de l'Université (sociologues, historiens, psychologues, ...) des rapports sociaux (entre classes) vers les rapports sociétaux (entre catégories identitaires de population : les "communautés").

Le principe de la chose, ovationné par les riches et les puissants, n'est autre que le très ancien et efficace "DIVISER POUR RÉGNER" : quand il y a des bisbilles dans le ménage, le propriétaire peut dormir tranquille, augmenter les loyers, reporter à plus tard les travaux dans l'immeuble. Certes, le mouvement féministe était tombé dans le panneau bien avant que Bourdieu voie le jour et ne l'avaient pas attendu pour déclarer : « L'homme, voilà l'ennemi ! », mais Bourdieu, avec ses attaques contre la "citadelle masculine", est bien un excellent valet du capitalisme et une des malédictions du corps social.

Les féministes les plus intransigeantes, les plus militantes, les plus acharnées – je veux dire : les plus aveugles et les plus bornées –, vous brossent complaisamment le tableau de la marche irrésistible des femmes vers l'égalité avec les hommes. Elles se félicitent bruyamment de ce que les femmes se soient ouvert, à la force du poignet, les portes du monde du travail et puissent "faire carrière", sur l'air de "on va leur montrer de quoi on est capables !". Comme le dit excellemment Alexandre Vialatte dans Le Spectacle du monde : « De conquête en conquête, elle en est arrivée à avoir le droit de travailler Quatre-vingt-dix heures par semaine ».

Au point qu'on entend dans les médias les mieux intentionnés et quelle que soit la rubrique (cinéma, bande dessinée, postes à responsabilité, etc.) ce refrain sempiternel et comminatoire : « Où sont les femmes ? ». Ce qui me troue le fondement de la comprenette, c'est que ces fanatiques considèrent la maternité comme une injustice, voire une malédiction (sans doute ce que Camille Froidevaux-Metterie appelle "les diktats de la nature").

Elles étaient "la moitié du ciel" de Mao Tsé Toung ? Elles veulent la moitié des places. Simple question d'arithmétique : on veut des quotas partout ! Des "panels" ! Des "échantillons représentatifs" ! La méthode des sondages appliquée à toute la vie sociale ! Quelle niaiserie !

Obsédées par la "visibilité" médiatique et le rang social, elles ont fait triompher l'évidence de ce que tout le monde considère depuis longtemps comme un droit : travailler. Drôle de "droit", mais enfin. Quelle avancée, en effet ! Bon, il est vrai qu'elles dénoncent vaillamment, année après année, la scandaleuse disparité qu'on observe entre les salaires masculins et les salaires féminins. Encore un bastion à prendre ! Le combat féministe ne doit s'arrêter sous aucun prétexte.

Elles n'ont pas pensé à une chose. Certes, "à travail égal salaire égal". Cette revendication parfaitement légitime devrait d'ailleurs être devenue la règle depuis lurette. J'observe seulement la mine réjouie de monsieur Capitalisme, vous savez, le bonhomme bien nourri à cigare et haut-de-forme. Quelle aubaine, se dit-il, cet afflux de main d'œuvre sur le marché du travail. Quelle aubaine, je vais pouvoir serrer la vis aux salaires. Et si je vous annonce les salaires que je paierai aux Bangladais, vous allez prendre peur à cause du remboursement de votre pavillon de banlieue. La pression salariale ? D'abord sur les hommes, puis sur les femmes, aujourd'hui sur les Bangladais : l'alignement sur le plus bas, on appelle ça "enchères inversées". Réjouissons-nous : la femme européenne vaut plus qu'un Bangladais. Nous avons la cote.

Ben oui quoi, la loi de l'offre et de la demande. Plus un bien est commun et en grand nombre, plus son prix est bas, c'est mécanique. Pour les personnes, c'est la même chose : plus il y a foule, plus le prix de chacun tend vers zéro. Plus il y a de demandeurs d'emploi, plus les personnes ne valent rien, et plus je suis à mon aise pour "modérer" leurs exigences (en français : pour casser les salaires). C'est mécanique.

L'arrivée en masse des femmes sur le "marché" du travail (aujourd'hui des Bangladais et autres pauvres du monde), à cet égard, est ce que les patrons pouvaient rêver de mieux : la compétition des mains d'œuvre entre elles. Et avec la mondialisation, la guerre fait rage, et touche tout le monde, y compris les hommes. Mécaniquement, le prix du travail baisse drastiquement, mais pas parce que ce sont des femmes : c'est le nombre qui compte. C'est la guerre de tous contre tous. Et ce n'est pas un hasard si les professions socialement moins valorisées (enseignement, médecine, couture, etc.) sont celles où l'on observe une féminisation galopante : ça permet à l'employeur de dépenser moins. 

Dans un tout autre domaine, c'est le même mécanisme (conquérir des travailleurs – à payer moins –, ou des consommateurs – à rançonner davantage) qui a permis au cigarettier Lucky Strike, à la fin des années 1920, de doubler en peu de temps sa clientèle potentielle, en envoyant des femmes fumer ostensiblement des cigarettes sous l’œil des caméras pendant une parade nationale. L'idée était d'Edward Bernays (lire son Propaganda). Le capitalisme est aussi enchanté de ce que les femmes "travaillent" (en entreprise) que de ce qu'elles achètent (en magasin). L'arrivée des femmes qui consomment sur le marché est aussi profitable à monsieur Capitalisme que l'arrivée des travailleuses dans les entreprises. 

J'ai connu en d'autres temps (années 1960) la situation d'une famille nombreuse (7 enfants) qui ne roulait pas sur l'or par la profession du père, mais qui a pu occuper un magnifique appartement de 300 m² à Lyon, simplement parce que les allocations familiales étaient suffisantes pour joindre les deux bouts et inciter la femme à "rester à la maison". Mais pour les "alloc", c'étaient les années de vaches grasses. Et c'est sûr, les loyers n'étaient pas encore devenus, pour les propriétaires, la superbe rente de situation qu'ils sont devenus aujourd'hui. Tiens vous, classe moyenne d'aujourd'hui, essayez donc de faire vivre votre famille avec un seul salaire, pour voir. 

L'autre outil de monsieur Capitalisme (cigare et haut-de-forme) pour contrer la revendication sociale (la seule révolutionnaire) fut l'innovation technique, présentée comme dotée d'un potentiel infini de développement. Quand il fallait manœuvrer un aiguillage d'ancienne génération, une musculature "appropriée" était exigée. Aujourd'hui, la technique a fait du basculement du lourd levier métallique un simple bouton à presser. Même chose dans le domaine des poids lourds, où il fallait autrefois des biscotos d'athlète pour tourner le volant du 10 tonnes Berliet : la direction assistée a fait ce miracle. 

L'accès des femmes au monde du travail salarié est donc le résultat d'une double volonté capitaliste : faire baisser le salaire individuel et rendre les tâches physiquement accessibles à des personnes théoriquement plus faibles, donc jugées moins "productives" et moins "exigeantes". Ce qu'on n'appelle plus aujourd'hui les "Arts ménagers" est emblématique du slogan qui appelait à "libérer la femme" de son « immémoriale assignation domestique » (splendide ineptie de Camille Froidevaux-Metterie) : plus le monde domestique est gouverné par des boutons (c'est tellement simple, mais il faut quand même charger, et décharger la machine, et on n'a pas forcément fini), plus la femme est "libérée". Alors, Madame, qu'est-ce qu'on dit à Monsieur Capitalisme ?

Une conséquence sûrement vénielle de cette participation massive des femmes aux tâches productives du pays est qu'il est tombé deux salaires au lieu d'un dans la famille à la fin du mois. En apparence, c'est tout bénéfice. Et en effet, dans les classes moyennes, on a pu améliorer nettement le confort de la maison et la qualité du mode de vie. Mais qu'est-ce qu'on observe, au bout de quelques décennies de ce régime ? C'est que, tendanciellement, le pouvoir d'achat du couple a régressé ou, au mieux, stagné, comme le montrent de multiples témoignages de gilets jaunes. Je l'ai dit : combien de familles peuvent vivre aujourd'hui avec une seul salaire ? Soit dit en passant, c'est à l'aspect hétéroclite du phénomène des gilets jaunes que l'on mesure l'état de délabrement et d'obsolescence des "structures intermédiaires" (syndicats, ex-partis traditionnels et autres).

Monsieur Capitalisme s'est dit que, puisque monsieur, madame et les enfants vivaient bien, il était inutile de pousser la locomotive des salaires. Oh, soyons-en sûr, ça s'est fait très progressivement, de façon imperceptible. Mais un beau jour il suffit d'une "modeste" taxe supplémentaire sur un carburant pour que la situation réelle d'une masse de gens éclate au grand jour, fasse sauter le couvercle de la cocotte, et lance la couleur jaune en masse sur la voie publique, là où personne n'attendait un tel refus, puissant et massif, même si le corps social qui le porte est hétéroclite. Aux échelons inférieurs de la société, il y a bien une homogénéité des conditions de vie, en direction d'une précarité de plus en plus partagée.

Comme quoi les conquêtes obtenues par les luttes pour "l'émancipation féminine" ne sont pas sans quelques effets pervers, quand on observe la situation sous un certain angle. Comme quoi les militantes féministes, surtout les plus exaltées (voir mon billet du 3 février), servent, sûrement sans l'avoir voulu, les projets de monsieur Capitalisme, en occupant le devant de la scène, en faisant, en quelque sorte, diversion. Car elles éloignent ainsi de lui le danger combien plus menaçant que fait peser lui le combat d'une masse de gens pour une société plus juste, une société qui redistribue les richesses de façon plus équitable, et qui empêche les vampires de confisquer à leur seul profit le surplus des richesses produites. 

Ce qui me réjouit le plus dans le phénomène "gilets jaunes", c'est précisément que la justice sociale et la répartition des richesses jouent de nouveau les premiers rôles. Je ne suis pas hostile à un certain féminisme, à condition de ne pas mettre la charrue devant les bœufs et de ne pas inverser l'ordre des priorités : la meilleure méthode est celle qui va du général au particulier, ce que la visibilité tout à fait excessive et disproportionnée de quelques "minorités" (suivez mon regard) a tendance à faire oublier.

Les minorités ne se battent que pour elles-mêmes. Les minorités se plaignent du sort qui leur est fait à elles. Les minorités s'étalent en victimes aux yeux de tous. Les minorités sont par nature égoïstes, fermées sur elles-mêmes. Les minorités n'ont aucune idée de ce qu'est l'intérêt général. Les minorités se foutent éperdument de la République. Les minorités ainsi conçues (à l'américaine) sont de simples nuisances.

Quand la justice pour tous aura été instaurée, il sera temps alors de s'occuper des finitions.

Voilà ce que je dis, moi. 

Note : mon analyse n'a certes pas la rigueur d'un travail universitaire évalué par les pairs, mais à mon avis, l'intuition qui lui sert de fil rouge n'est pas si éloignée que ça de la réalité qu'elle est censée décrire.

mercredi, 30 janvier 2019

OÙ EST PASSÉ "L'ESPRIT PUBLIC" ?

"L'esprit public" était une belle émission de France Culture, du temps qu'elle était cornaquée par le talentueux Philippe Meyer. Bon, on pouvait trouver ceci ou cela à redire aux propos pleins de componction de François Bujon de Lestang, l'ancien ambassadeur, sorte de M. de Norpois d'aujourd'hui, ou à ceux, éminemment centristes, de Jean-Louis Bourlanges, politicien "modéré". C'étaient des gens de bonne compagnie, qu'on imagine bien à la table d'un bon restaurant, en train d'apprécier plats et vins en regardant le monde. J'ai regretté l'éjection de cette émission, dont je ne connais pas la raison. Pour tout dire, j'ai regretté qu'on cloue le bec à ce commentaire de l'actualité par – qu'on le veuille ou non – de fins observateurs qui savaient en définitive de quoi ils parlaient, quels que fussent leurs engagements par ailleurs.

L'émission qui a détrôné cette intelligence propose, je dois dire, quelque chose de beaucoup plus rudimentaire. Emilie Aubry, que Philippe Meyer a probablement autorisée à garder le titre, n'a certainement pas la même "envergure" intellectuelle : elle se dépatouille comme elle peut en face de gens invités sur des critères flous, et qui ne sont plus là "pour affinités personnelles" (c'était indéniable, et diablement intéressant chez Meyer), mais pour répondre aux questions de l'animatrice, qui s'efforce de construire à sa petite façon un "ordre du débat", en interrompant tel ou tel à l'occasion, ce que Meyer se faisait un honneur de s'interdire. Le paysage n'est pas le même. Je dis tout de suite que je n'ai rien contre Emilie Aubry : elle fait ce qu'elle peut, elle a des excuses, sans doute n'a-t-elle pas le même bagage. Je suppose qu'elle n'est que journaliste et, au surplus, qu'elle n'a pas lu Alexandre Vialatte. Constatons les dégâts de l'éviction sauvage de Philippe Meyer (après celle de Bourlanges) : "L'esprit public" a disparu corps et biens, seule l'étiquette est restée à la surface.

Dimanche 27 janvier 2019, l'animatrice réunissait Gérard Courtois, du Monde, Aurélie Filipetti, qui dirige aujourd'hui une ONG (Oxfam France), Philippe Manière, présenté sans plus de précision comme "essayiste", ce qui veut tout – donc rien – dire (économiste, si j'ai bien compris), et Christine Ockrent, journaliste (et compagne de Bernard Kouchner, ancien médecin, ancien politicien, ancien ministre soi-disant de gauche débauché par Sarkozy, et ancien porteur de sac de riz sur une plage de Somalie). Un panel très "télégénique", comme on voit. Un beau "plateau", quoique globalement de "seconde zone" en termes de notoriété. Je ne vais pas résumer ce qui s'est dit. Je veux juste apporter mon grain de sel, et dire comment je perçois les propos de ces gens qui s'autorisent à parler dans le poste pour commenter ce qui se passe en France et dans le monde.

J'ai apprécié, parmi les interventions de Philippe Manière, globalement libéral, celle qu'il a consacrée au pur scandale que constitue la désindustrialisation de la France depuis quarante et quelques années. A mes yeux, ce scandale s'appelle un crime : pour aller vite, les dirigeants d'entreprises, pour obéir à la logique de rentabilité imposée par les actionnaires et pour mettre à profit l'aubaine qu'a constituée la libre circulation des capitaux (Reagan-Thatcher), ont "délocalisé", c'est-à-dire ont vidé la France de son tissu industriel. Les responsables politiques, convaincus qu'il fallait faire de la France un pays sans usines (sur fond de doctrine de "division internationale du travail"), n'ont rien fait pour s'opposer à cette véritable saignée : la puissance industrielle du pays a été vendue à la Chine (pas que, mais passons). Philippe Manière a parfaitement raison de dénoncer ce qui restera comme une sorte de suicide économique.

La seule intervention que j'ai retenue du mesuré Gérard Courtois se situe au début, quand il signale la véritable fracture qui existe entre la "France d'en haut" et la "France d'en bas", et souligne le grand écart auquel se livre Emmanuel Macron, en réunissant d'une part le "gotha" des patrons à Versailles, pour d'autre part, aux antipodes, accomplir ses performances sportives devant des centaines de maires ruraux de Normandie puis du sud-ouest. Courtois voit là une contradiction, pour mon compte, j'y vois plutôt une stratégie de communication tous azimuts : celui qui se voit en locomotive affiche l'ambition d'accrocher tous les wagons, du "up" au "bottom". De toute façon, Macron n'a pas vraiment compris ce qui se passe tout en bas de chez lui : même quand il "va au contact", quand il regarde le peuple, c'est au télescope.

Ce qui est intéressant à noter, c'est la réaction de Christine Ockrent (qu'est-ce qu'elle fait là ? j'ai du mal à la voir à la table de Philippe Meyer) au "grand écart" perçu par Courtois : d'abord, elle ne supporte pas les "lamentations" montées du peuple en direction des responsables. Je ne sais plus lequel des invités a lancé la formule, effectivement paradoxale, "foutez-nous la paix et prenez-nous en charge" (affirmation de liberté et demande de maternage). Mais le plus beau vient ensuite, quand elle nie le "grand écart" et qu'elle fait l'éloge des "entrepreneurs", au motif que ceux qui créent des emplois ce sont les patrons des grandes entreprises, souvent des multinationales, et que « c'est cette économie-là qui crée des emplois » (texto). Effarant. Mais sur quelle planète tu vis, Christine ? Tu n'as pas remarqué, au contraire, que c'est précisément cette économie qui ne crée pas de travail, mais des profits indécents (pas l'emploi, mais le CAC 40) et qui ne fait rien pour réduire le chômage de masse ? Et tu as le culot de commenter les gilets jaunes ? Décidément, le dessus du panier journalistique, c'est bien le dessus du panier tout court, qui promène son arrogance et sa suffisance sous les projecteurs, mais surtout hors de portée du "populo".

Et quand Aurélie Filippetti, très justement, place la racine du mal dans l'économie "ultralibérale", Ockrent tente de l'interrompre (je cite mot pour mot) : « Ah dès qu'on brandit cet adjectif on a tout réglé ! ». Je comprends tout de suite à quel genre de râtelier vous trouvez votre pitance, madame : nous n'avons pas les même gamelles, si je peux parodier une publicité célèbre. Christine Ockrent est clairement une journaliste "de classe". Tous ses propos transpirent le mépris pour le peuple et son souci exclusif de vivre parmi les "gens importants" que sa "qualité" mérite, diantre, fi donc, palsambleu, manants passez au large ! Heureusement, elle n'arrivera pas à empêcher Filippetti de développer son point de vue, beaucoup plus lucide et conforme à la réalité économique et sociale du monde actuel.

Je dois reconnaître cependant qu'elle (je parle de C.O.) n'a pas tort en soulignant, dans la population, « la surévaluation de ce que peut faire le politique » (elle a sans doute constaté et mesuré l'"efficacité" de Kouchner quand il était ministre, en pensant à l'incroyable complexité actuelle du processus qui mène à la décision et, pire encore, à son exécution effective). Mais j'ajouterai, madame Ockrent, que c'est précisément ce qu'on leur reproche, aux politiques, et que le délire général qui a saisi le monde tient précisément au fait qu'ils ont capitulé devant la logique économique, en la laissant s'engouffrer dans le "gouvernement des hommes".

Le politique est relégué au rang de serviteur docile du véritable pouvoir qui l'a supplanté, ce qui fait de l'action politique un sous-produit de la logique comptable et gestionnaire (la "gouvernance par les nombres", chère à Alain Supiot, celle qui fait des populations de vagues abstractions statistiques). Les politiques brassent beaucoup d'air et de mots sur le devant de la scène, pendant que, bien à l'abri de ces rideaux de fumée, d'autres acteurs, jour après jour, fabriquent méthodiquement la réalité réelle.

Emilie Aubry a certainement de la "bonne volonté", mais "L'Esprit public" d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec "L'esprit public" d'hier. N'est pas Philippe Meyer qui veut.

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 18 janvier 2019

HOUELLEBECQ

Aujourd'hui, c'est un billet écrit en janvier 2015 que je sers une deuxième fois. Plusieurs scandales en un seul : les assassinats à Charlie Hebdo (Cabu, Wolinski, Maris, ...) le jour de la "une" avec Houellebecq au moment de la parution de Soumission, où l'auteur racontait l'arrivée tranquille, fluide, pacifique et finalement logique d'un musulman au pouvoir suprême en France. Et puis le cirque médiatique, l'étripage national autour de la présence de plus en plus pesante de l'islam en France, la honte supposée infligée à la France par un auteur qui cultive la provocation, l'intolérance, qui nuit au "vivre ensemble", qui refuse de "faire société", bref : tout le fumier sur lequel prospère la "gôche sociétale", qui n'est rien d'autre que la gauche ultralibérale.

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J’ai interrompu ma relecture de Moby Dick pour cause de Houellebecq. C'est qu'il y avait urgence. Soumission venait de paraître. Il fallait s’en occuper toutes affaires cessantes. Je l’ai acheté le mardi 6 janvier en fin d’après-midi. Vingt et un euros. 

 

Que dire ? D’abord l’impression générale qu’il me laisse. Une impression d’harmonie, aussi bizarre que ça puisse paraître. L’auteur serait peut-être surpris de l’assertion, à cause des désordres physiques, parfois peu ragoûtants, qui affectent François, protagoniste et narrateur. Mais aussi de la singulière disharmonie dont il souffre dans le domaine affectif. Disons amoureux. Précisons : sexuel (mais pas que).

 

En fait, ce que je trouve littérairement admirable, c’est que tout le récit semble couler de source. Si des événements se produisent, et même des ruptures (mort de la mère, mort du père, arrivée d’un musulman à l’Elysée), c’est sans heurt. Quand le personnage, voulant fuir loin de la capitale, arrive dans une station service de l’autoroute, le carnage a déjà eu lieu. Le point d'origine de la conception en assure la parfaite cohérence. Comme si, dans son regard, rien n’échappait au sentiment de l’évidence : ah, oui, c’est comme ça, donc ce n’est pas autrement. Ah bon, il y a une flaque de sang. Pour qu'un roman produise cet effet, il faut être passé maître dans l'art d'écrire. Il faut avoir tout prévu en amont. Houellebecq est un grand romancier. Soumission est une vraie prouesse littéraire.

 

Ainsi avance la narration, pas pressée, mais jamais s’attardant en route, dans le flux régulier d’un propos qui ne cesse d’avancer à son rythme tranquille. C’est un livre dont les rouages baignent dans l’huile. Le grand art de ce romancier, non, de cet auteur (de « auctor », celui qui augmente le monde, traduction libre), c’est de peindre l’accomplissement de l’islamisation de la France comme un avènement logique. Fluide comme le cours naturel des choses.

 

Si je peux me permettre ce rapprochement incongru, Houellebecq s'exprime sur le même ton qu'Albert Camus dans L'Etranger : le ton d'hébétude de quelqu'un qui regarde sa vie comme s'il n'y participait pas. Et puis comparez les deux chutes : Houellebecq, à mon avis, avec sa fin en forme de conversion à l'Islam parce que François y trouve son intérêt dans la promesse de chair fraîche, fait un anti-L'Etranger bien plus pertinent et fort que le bouquin de Kamel Daoud (Meursault, contre-enquête, Actes Sud, 2014), que je n'ai pas lu, mais que j'ai entendu causer dans le poste (France Culture pour être précis).

 

Le « sociologue » Eric Fassin peut bien tartiner ses fadaises idéologiques et ses analyses de coupeur de cheveux en vingt-trois (en appelant ça "appliquer la grille sociologique à la littérature"), venues du multiculturalisme, obligatoire pour tenir le crachoir dans l’émission de Tewfik Hakem « Un autre jour est possible », à 6h tous les matins sur France Culture. Il peut bien dénoncer l’idéologie régressive de Michel Houellebecq.

 

Les bactéries projetées par ses postillons haineux (eux-mêmes bourrés d'idéologie) sur les bonnettes des micros de la chaîne nationale ne pollueront pas mes oreilles au point de les empêcher de renvoyer cet histrion minable vers les ténèbres de la bêtise et de l’ignorance, les plus terribles, celles qui se donnent le masque de l’intelligence, des lumières, de la culture et de l’autorité.

 

Eric Fassin et ses semblables ne supportent pas que cet écrivain, le seul à ma connaissance à proposer un regard aussi aiguisé sur le monde actuel, le fasse avec un tel talent. Ni que ses livres, par le succès qu'ils connaissent, entrent à ce point en résonance avec les préoccupations des « vrais gens », celles dont Eric Fassin ne veut à aucun prix entendre parler, je veux parler des nouvelles figures du Mal. Contrairement à ce dont Eric Fassin rêve et à ce qu'il prétend, ce n'est pas Eric Fassin qui révèle le sens des choses. Pour une raison simple : soit il n'a rien compris à ce qui se passe, soit il ment. Peut-être les deux.

 

Car il faudrait que ça se sache : livre après livre, Michel Houellebecq apporte le témoignage, la certitude et la preuve que le monde actuel, dans ses composantes les plus terrifiantes à terme, porteur de destruction, part en morceaux, pulvérisant l'humanité en toute tranquillité, en toute bonne conscience. Son œil impitoyable est le seul réaliste. Il n’est pas pessimiste. Il regarde le monde comme il va. Comme il est en train de finir. Désenchanté serait plus exact. Désespéré peut-être. Nostalgique aussi d’une époque où le sens de la vie découlait de son mode d’être, et où celle-ci allait en quelque sorte de soi. A une époque maintenant révolue.

 

Dans la « vraie vie » selon Houellebecq, le relativisme et la neutralisation des valeurs reste une hérésie. C’est cela, je crois, que tous les penseurs de l’altruisme mondialisé, tous les batteurs d’estrades médiatiques et de coulpes-quand-ce-n'est-pas-la-leur, tous les descendants repentants, tous les porteurs de grands sentiments humanistes ne lui pardonneront jamais.

 

J’appelle la « science humaine » d’Eric Fassin une bouse de vache, quoique la bouse de vache offre une matière nettement plus utile (engrais, combustible, matériau de construction) que l'œuvre du faussaire Eric Fassin, cet idéologue charognard qui tente de s'engraisser sur ce qu'il regrette de n'être pas encore le cadavre de Michel Houellebecq. Et qui travaille d'arrache-pied pour que les foules restent soigneusement aveugles sur l'état catastrophique du monde et des sociétés qu' "on" est en train de nous fabriquer. 

 

Pauvre Christine Angot, vraiment, qui rejoint Le Clézio dans le camp des glapisseurs moralistes du consensus. Dans ce consensus-là, je vois une forme de déni de réalité, presque de négationnisme. Comme si tout ce petit monde bloquait à tout prix la soupape du couvercle de la cocotte-minute sur laquelle ils sont assis. Personne ne semble supporter que la littérature de Houellebec soit une littérature du dissensus, qui met le doigt là où la France a le plus mal.

 

Mais pauvres pommes, ai-je envie de rétorquer, avez-vous compris la fripouillerie ou l'inconscience de ceux qui prêchent le consensus et se cramponnent à ce qui reste des « valeurs » de la civilisation, en croisant les doigts dans l'espoir absurde que leurs objurgations et leurs supplications arrêteront le processus qui l'a mise en lambeaux ?

 

Et même si ça peut sembler outrancier, j’appelle Soumission de Michel Houellebecq un formidable roman de la grande littérature française. Balzacien pour la hauteur et la profondeur de vue, et la précision et la justesse de la peinture. La guerre qui se livre par ailleurs, ce n'est pas lui qui l'a voulue.

 

Oui : balzacien. A cet égard, dans le paysage français, Houellebecq est sans rival. Il est trop loin devant pour se faire rattraper.

 

Voilà ce que je dis, moi. 

jeudi, 20 décembre 2018

PRISE DE CONSCIENCE ?

EN FAIT, L'ÉCOLOGIE EST UNE POTICHE.

Vraiment ? Vous y croyez, vous, à ce qu'on raconte ? Selon Le Monde (daté 18 décembre, suite à la "COP 24" de Katovice), il faudrait croire que les populations sont convaincues qu'il est indispensable de procéder à la désormais fameuse "transition écologique" et que, si ça coince, c'est la faute aux "politiques", aux gouvernements, aux Etats : « Le philosophe Dominique Bourg souligne la distorsion entre la prise de conscience des populations et l'inertie politique » (ce n'est pas Le Monde qui parle, c'est juste annoncé en une, mais c'est renforcé par l'éditorial, qui dénonce la pusillanimité des Etats). Ma foi, je suis comme les Normands de Goscinny et Uderzo.

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Pour ce qui est des gouvernants, je crois que c'est incontestable : sans même parler de la Pologne, de la Chine ou de l'Inde encharbonnées, de Donald Trump ou de Bolsonaro, pour dire en quelle considération notre président tient la cause de l'écologie, il a suffi d'un problème de politique intérieure (non négligeable, c'est certain) pour qu'Emmanuel Macron, sacré champion de la cause écologique (mais c'était avant la démission de monsieur Hulot), envoie à Katovice un sous-fifre avec mission de représenter la France, et encore, pas pendant toute la durée de la conférence. Avec la "déception" générale à l'arrivée (n'en déplaise à madame Sylvie Goulard).

Mais je me dis que si les gouvernants se permettent cette grande désinvolture à l'égard du climat, c'est certes parce que leurs pays sont engagés dans la grande compétition économique mondiale (les producteurs de pétrole ne tiennent pas à voir se tarir la manne procurée par l'or noir), mais c'est sans doute aussi parce que, politiquement, ils auraient du mal à "vendre" l'argument écologique à leurs populations, plus soucieuses – et on les comprend ! – de préserver ou d'améliorer leurs conditions matérielles d'existence que de sauvegarder la nature.

Prenons les gilets jaunes : qu'est-ce qui a mis le feu à la sainte-barbe du navire France ?

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C'est la taxe dite "écologique" sur les carburants. C'est vrai qu'il faut faire payer les émissions de CO2 par ceux qui les fabriquent, mais il fallait être totalement ignorant, inconscient et irresponsable pour déguiser en argument écologique une vulgaire taxe envoyée dans les gencives de populations déjà mises en difficulté par ce que les nécessités quotidiennes et les dépenses contraintes leur coûtent chaque mois. Macron aurait voulu griller la cause écologique dans l'esprit des populations qu'il ne s'y serait pas pris autrement. Pas la peine de rappeler le sort finalement fait à l' "écotaxe" de notre Ségolène nationale. Politiquement, l'écologie est bien une "potiche" avec une plante verte pour faire joli dans le décor, mais tellement recollée, raccommodée et rafistolée que plus personne n'est prêt à parier un kopeck sur son avenir. De profundis, l'écologie "politique". L'écologie n'a aucune chance si elle se fait parti politique, elle en garde quelques-unes si elle se fait SOCIÉTÉ.

Car la vérité de l'urgence écologique est là. Jean Jouzel, ancien président du GIEC, cet organe qui rassemble les résultats des recherches de je ne sais plus combien de climatologues, laissait percer son inquiétude, à la clôture de la "COP 24". Il faut impérativement, selon lui, faire en sorte que le climat ne se réchauffe pas de plus d'1,5° dans les années à venir, sous peine d'irréversibilité catastrophique du processus. Pour cela, il faut réduire la production de gaz à effet de serre. Pour cela, la plupart des gens pensent qu'il faudrait se tourner vers les énergies renouvelables. 

Voilà qui est bien parlé, disent certains, mais d'abord, avez-vous pensé à l'empreinte carbone laissée par la fabrication d'un panneau photovoltaïque ? Par l'usinage des énormes pièces métalliques des éoliennes ? Ensuite, est-ce qu'il n'y a pas mieux à faire qu'à s'obstiner à produire (et consommer) toujours plus d'énergie ? Les responsables continuent à seriner que, pour faire disparaître le chômage, il faut toujours plus de croissance : lâcher tous les freins au "dynamisme de l'économie". 

C'est précisément là que rien ne va plus. Les optimistes ont beau faire des sourires à la "croissance verte", cette idée a priori pas si folle apparaîtra tôt ou tard pour ce qu'elle est : une fumisterie. Car la croissance, ça signifie toujours plus d'énergie pour produire toujours davantage de biens. Or, qui dit "énergie" et "production" dit prédation des ressources en énergies et en matières premières : le serpent se mord la queue. Le mécanisme reste à l'œuvre.

Il ne faut pas se faire d'illusion : l'humanité actuelle est revenue à l'époque préhistorique lointaine où chaque clan de néandertaliens ou de sapiens survivait de pêche, de chasse et de cueillette. Voilà ce qu'on appelle "économie de prédation". Aujourd'hui, notre système  (économie de production-consommation) a rejoint la préhistorique économie de prédation , en mille fois pire. Car ce qui était viable quand un tout petit nombre d'humains prenait à la nature – et tout à la main, s'il vous plaît, ce qui limite les prouesses de tous les Stakhanov, qu'ils soient de simples hommes ou des machines géantes – ce qu'il lui fallait pour assurer sa pérennité (et pas plus, faute de savoir le conserver et le stocker) est devenu un fléau, quand sept (bientôt neuf) milliards d'humains pratiquent la prédation à grande échelle et à grands coups de mécanocratie aveugle, en dépassant outrageusement les limites du nécessaire, un fléau qui est une vraie menace pour la survie de l'espèce.

On lit ici ou là, on entend aussi de plus en plus souvent des slogans du genre : "Faites quelque chose pour la planète !". Mais elle s'en tamponne, la planète : ce n'est pas elle qui est menacée, c'est l'ensemble des mammifères bipèdes qui s'agitent dessus. "Gaia" (Isabelle Stengers et quelques autres) est totalement indifférente à ce qui peut leur arriver. Elle en a vu bien d'autres, et, quand l'humanité aura disparu de sa surface, elle continuera son existence, ni plus ni moins que comme avant, jusqu'à son absorption dans la "géante rouge" que sera devenu le soleil, dans quelques milliards d'années. S'il y a une solution à trouver, ce n'est pas pour elle : c'est pour nous. Ce qui nous paraît nécessaire et suffisant, à nous autres pays riches, est décidément trop : nous sommes non seulement en train de vider notre garde-manger, mais aussi de le détruire, le garde-manger.

Et la solution, elle n'est certainement pas dans l'innovation : elle est dans le renoncement. Ce que tout le monde appelle "transition écologique" (je mets les guillemets), ça va dans le sens de l'innovation. Ce qui veut dire que ceux qui soutiennent cette perspective ne contestent rien du modèle économique en vigueur, qui est précisément cet insatiable prédateur et accapareur qui est la cause de tout le mal, sous l'apparence séduisante et menteuse du confort, de l'abondance et de la facilité. Et ça veut dire qu'ils n'ont rien compris au phénomène actuel. Pour eux, c'est un modèle incontestable et toujours valide. Cela veut dire qu'ils en sont restés au bon vieux schéma qui consiste à "aller de l'avant" (c'est l'industrie triomphante, c'est Renault-Billancourt, ou c'est le poilu en pantalon rouge qui part à l'assaut sous les balles).

« Ciel ! ce sont les machines,

Les machines divines,

Qui nous crient "en avant"

En langue de savant. »

Guy Béart, Le Grand chambardement (1968).

Alors le renoncement, maintenant. Pour donner une chance à l'humanité de survivre encore quelques centaines d'années (?), elle est là, la solution : renoncer aux facilités. Je veux de la lumière : j'appuie sur un bouton, et la lumière est. Je veux laver ma chemise : j'appuie sur un bouton, et ma chemise est propre. Je veux laver mon assiette : j'appuie sur un bouton, et mon assiette m'est rendue nickel. J'ai un peu froid chez moi : j'appuie sur un bouton, et l'atmosphère se fait agréable et tempérée. J'ai un peu trop chaud en été : j'appuie sur un bouton, et une fraîcheur de bon aloi s'installe. Je dois impérativement aller de Lyon à Molinet ou Strasbourg en voiture : j'actionne le démarreur (une variante du bouton), et j'arrive bientôt à destination. 

Voilà exactement la raison pour laquelle nous autres humains (« Frères humains qui après nous vivez, N'ayez le cœur contre nous endurci »), nous épuisons les ressources qui nous permettent aujourd'hui de vivre agréablement, mais plus pour longtemps. Voilà en réalité à quoi il faut convaincre les populations qu'elles devront renoncer si elles tiennent vraiment à ce que la vie humaine reste envisageable sur terre et à ce que leurs lointains descendants puissent continuer à ne pas avoir très envie de mourir, vu les conditions de vie. Il faut leur dire qu'elles n'ont pas fini d'en baver ! On comprend devant quel mur politique sont placés les responsables : convaincre je ne sais combien de milliards de citoyens de renoncer aux avantages matériels dont ils bénéficient déjà (pays "avancés"), ou dont ils rêvent et se sont fait un programme d'existence (les autres pays, encore plus de milliards de personnes).

Mais qui est prêt à renoncer aux commodités que l'épanouissement économique (et géopolitique) de l'Occident lui a finalement procurées, le plus souvent après d'âpres luttes sociales ? Moi-même, je n'ai guère de sympathie pour cette perspective, bien que (parce que) je sois loin d'être le plus gros prédateur. On fait briller de mille feux l'euphémisme de la "transition écologique" pour ne pas effaroucher les populations.

Comment celles-ci prendront-elles des discours de vérité quand on leur annoncera qu'il faut se serrer la ceinture ? Quand on leur expliquera qu'en réalité, la seule vraie "transition écologique" consiste en un appauvrissement généralisé ? Quand on leur dira que, pour que les générations à venir aient une chance de survivre, il va falloir qu'elles vivent avec moins de confort ? On vient d'en avoir un petit échantillon sur les ronds-points du territoire français à cause d'une petite taxe sur les carburants. Parce qu'on ne sortira pas de cette autre vérité : chaque mois, il faut arriver à la fin du mois.

Alors on pourrait se tourner vers les plus authentiques, les plus gros, les plus gras prédateurs, non ? Bêtement, on a envie de se dire qu'elle est là, la solution. J'imagine le scénario. Là non plus, ce ne sera pas facile, et d'autant plus difficile, compliqué, voire insurmontable que là, il s'agit de s'attaquer au siège du vrai pouvoir. S'attaquer aux populations, ça pose déjà problème. Alors s'attaquer aux puissants, on comprend très vite quelle sera l'issue de la bataille.

A part ça, tout va bien : la COP 24 se termine en pet de lapin ; la production de gaz à effet de serre a battu son propre record l'an dernier ; et sur 577 députés, 491 étaient absents le 30 mai 2018, jour où a été rejetée l'interdiction du glyphosate (il n'y a pas que le climat, il y a aussi la chimie) par l'Assemblée Nationale. Et l'on n'a jamais autant parlé d'environnement, d'écologie, de "gestes pour la planète". 

Si j'étais linguiste, je m'inspirerais du célèbre titre de John Langshaw Austin, Quand Dire c'est faire. Il mettait en évidence les caractéristiques des "énoncés performatifs", ces mots qui déclenchent une action. J'appellerais l'antithèse radicale entre discours écologique et réalité de la lutte pour l'environnement un énoncé contre-performatif : l'environnement, c'est comme l'amour, plus on en parle, moins on le fait. Allez, ne parlons plus de l'environnement, du changement climatique, de l'urgence écologique : laissons advenir ce qui doit advenir.

Non, ce n'est pas une bonne nouvelle.

Voilà ce que je dis, moi. 

lundi, 17 décembre 2018

GILET JAUNE ET POLITIQUE

Les intellos de tout poils, sociologues, historiens, philosophes, politologues et tutti quanti, continuent à "décrypter" le mouvement des gilets. Mine de rien, ça les fait jubiler, car voilà-t-il pas que ça leur donne une visibilité inhabituelle. Ils ont enfin l'impression d'exister. Je veux dire : d'exister parce que les médias éprouvent un urgent besoin d'enregistrer leur parole. Ils sont tout fiérots d'être ainsi courtisés et d'avoir ainsi l'occasion d'expérimenter leur "charisme" et de mesurer "in vivo" leur influence.

Le point commun de ces gens est que le système auquel ils appartiennent est d'accord pour admettre qu'ils produisent du "SAVOIR". De quelque côté qu'on se tourne, il y a de la connaissance comme s'il en pleuvait. Et en même temps, j'ai la très nette impression qu'il n'y a jamais eu autant d'ignorance de la société sur son propre fonctionnement.

J'entends M. Machin pérorer sur la notion de "représentation". J'entends M. Truc s'étendre longuement sur le concept d'"organisation". J'entends M. Bidule exposer ses doutes sur la crédibilité d'un mouvement qui n'a toujours pas élu ou désigné de "comité de grève", qui n'a encore rédigé aucun tract synthétisant les revendications, et qui dénie aux personnalités "émergentes" le droit de les représenter. J'entends M. Tartempion plaquer sur le dit mouvement le modèle qu'il a laborieusement élaboré en étudiant l'histoire des mouvements sociaux, des insurrections populaires et des révolutions depuis l'âge de pierre. 

Pour moi, tous ces gens très savants adorent sodomiser les diptères et capillotracter la réalité pour mieux la couper en une infinité de tout petits tronçons d'images de la réalité qu'ils s'efforcent ensuite de recoller en se débrouillant pour que ces images finissent par former un tableau et par ressembler à l'idée (cohérente, forcément) qu'ils s'en sont faite. Les politiciens se joignent à eux pour faire entrer cette réalité dans le moule que les grandes écoles ont collé dans leurs grosses têtes, et pour faire dire enfin au mouvement des choses qu'ils connaissent et sur lesquelles ils aient enfin l'impression d'avoir prise. Rien ne déplaît davantage à un politicien que de ne pas pouvoir se choisir un "interlocuteur crédible" digne de lui (c'est-à-dire à qui il ne puisse pas bourrer le mou).

Je ne suis pas si savant et je ne vais pas si loin. Je crois que le mouvement des gilets jaunes reste, pour tous les observateurs et commentateurs, une surprise et, en tant que tel, qu'il leur paraît inadmissible, incompréhensible. Qu'est-ce qu'il y a de si incompréhensible dans l'espèce d'émeute à laquelle on assiste depuis un mois ? 

Je n'affirme rien, pensez donc, je pose seulement une question. Et si le mouvement des gilets jaunes n'avait strictement aucun rapport avec une ACTION, quelle qu'elle soit ? Et si le mouvement des gilets jaunes (si c'est un mouvement) avait des chances de n'être qu'une RÉACTION à une AGRESSION ? 

Je me demande en effet si les gilets jaunes ont une sorte d'ébauche d'intention ou de volonté de se muer en mouvement politique. Les revendications sont si diverses, hétéroclites, hétérogènes et disparates, qu'y voir une forme d'expression politique relève à mon avis de l'exploit intellectuel, c'est-à-dire de l'acrobatie de cirque.

Et je me demande donc si ces manifestations n'expriment pas, tout simplement, la colère provoquée seulement par la situation économique et sociale qui est faite à la population des gens ordinaires par un système ultralibéral totalement sourd, aveugle et indifférent aux souffrances qu'il engendre. Est-ce que ce n'est pas le sursaut des fins de mois difficiles, trop difficiles et de plus en plus difficiles ? 

Le système, qu'est-ce que c'est ? C'est la privatisation de tout, c'est l'Etat qui sous-traite ("externalise") de plus en plus de ses missions, c'est le rétrécissement et l'affaiblissement des services publics, c'est un modèle de société de moins en moins redistributif, c'est le creusement d'inégalités de plus en plus profondes entre une petite frange de gens ultra-riches et le marécage où pataugent plus ou moins la majorité des citoyens, et j'arrête ici ma liste, parce que.

La majorité silencieuse n'a pas l'habitude de s'exprimer en public, n'a pas l'habitude de manifester dans les rues ou aux ronds-points et péages et a peut-être aussi perdu l'habitude d'aller mettre son bulletin dans l'urne aux échéances. Les gilets jaunes, si mes interrogations ne sont pas trop aberrantes, disent simplement à Emmanuel Macron : « On n'en peut plus, monsieur le président ». C'est l'ensemble du système économique qui s'est mis en place depuis quarante ans – auquel Macron veut adapter la France à marche forcée – qui produit la situation qui produit les gilets jaunes. Et c'est le même système, qui se moque éperdument des injustices de plus en plus graves qu'il autorise, qui produit les Orban, Trump, Bolsonaro et leurs semblables.

Non, la plupart des gilets jaunes ne font pas de politique. Ils constatent seulement qu'ils vont vers le pire, du fait d'un système économique qui leur laisse de moins en moins de place. Et ils le disent très fort. Trop c'est trop, monsieur Macron ! Serez-vous, monsieur Macron, le premier électeur d'une Le Pen en France ? Voulez-vous à ce point le malheur du pays ?

Voilà ce que je dis, moi.

Note ajoutée le 18/12 : voilà, la Commission du "débat public" est maintenant impliquée dans l'organisation d'une Grande Concertation Nationale qui doit durer trois mois. C'est parti pour une grande partie de pêche. Le but de la manœuvre ? Noyer le poisson.

Toujours le 18/12 : suite au commentaire positif de "RN" sur ce billet, j'ajoute la précision suivante : c'est M. Gilles Legendre, Président du groupe LREM (Sénat ou Assemblée, peu importe), qui a déclaré exactement sur la chaîne "Public-Sénat" : « Je pense que nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons, et puis il y a une deuxième erreur qui a été faite, mais dont nous portons tous la responsabilité, moi y compris, je ne me pose pas en censeur, c'est le fait d'avoir été trop intelligents, trop subtils, trop techniques dans les mesures de pouvoir d'achat. » Merci, M. Legendre, pour cette expression parfaite et immaculée de la cause principale de la haine qui vient de se faire entendre sur les ronds-points pour les gens de votre espèce qui tous, je n'en doute pas, pensent strictement la même chose que révèle votre aveu : l'arrogance de ceux qui savent, de ceux qui ont, de ceux qui peuvent. Vous êtes une illustration archétypale de ce que je ne sais plus qui nommait : LA BÊTISE DE L'INTELLIGENCE.

dimanche, 14 octobre 2018

CLIMAT : LA RECETTE MIRACLE !

Dans la série "Des nouvelles de l'état du monde" (N°63).

Je ne l'ai encore dit à personne, mais j'ai inventé la recette miracle pour combattre le réchauffement climatique. Bon, pour être franc, je ne suis pas le seul à l'avoir trouvée. On ne peut même pas dire que c'est moi qui l'ai inventée. Mais comme je n'en entends jamais parler nulle part ailleurs que dans des journaux confidentiels ou dans des émissions écoutées par trois pelés et un tondu, j'ai décidé de la donner ici, gratuitement, dans ce blog à l'audience interplanétaire.

Parce que c'est vrai, à force d'entendre les cloches, tocsins ou glas sonnés par un nombre désormais appréciable de scientifiques et entendus par un nombre non négligeable de convaincus, et comme la chose s'est désormais insinuée dans "l'opinion publique" (entendez : le corps électoral), les responsables politiques (pas tous, et même très loin de là) ont commencé à considérer qu'ils devaient ajouter à leur arc la corde climatique, s'ils avaient l'intention d'entrer en résonance (entendez : récupérer des parts de marché) avec les gens dont ils attendent le bulletin à la prochaine échéance.

Mais attention, tous ces braves ambitieux qui se targuent et promettent d'en finir avec les maux qui accablent le dit corps électoral, n'ont pas la seule corde climatique à leur arc politique. Il y a aussi la corde "chômage-emploi-travail", la corde "impôts-taxes-pouvoir d'achat", la corde "terrorisme-sécurité-victimes", la corde "Europe-souveraineté nationale" (et quelques autres), qui représentent des parts de marché électoral à préserver farouchement contre les avanies de la concurrence. Car ça, ce sont des thèmes porteurs, de vrais incontournables.

(Soit dit entre parenthèses, le corps électoral, en général, veut du concret et de l'immédiat. Disons-le : le corps électoral, dans sa grande majorité, ne voit pas beaucoup plus loin que le bout de ses envies ou de ses obsessions du moment. Il est donc facile à berner.)

Je veux dire que la préoccupation climatique des candidats est une corde mineure. Un accessoire. C'est même la toute petite dernière des roues du carrosse, comme l'ont montré les couleuvres que Macron a fait avaler à Nicolas Hulot jusqu'à ce que celui-ci jette l'éponge. Je veux dire qu'en termes de part de marché, le climat ne saurait être considéré comme un thème prioritaire, ni même comme un thème porteur. Au mieux, dans les calculs, il est considéré comme un simple "plus", une variable d'ajustement tout juste capable de rameuter le ventre mou de la vaguelette de sensibilité écologique qui agite la surface de la population, au gré des bombardements médiatiques sur ce thème.

Mais même quand ils abordent le sujet dans leurs discours de campagne, tous les braves candidats-présidents-députés-sénateurs-maires se gardent bien de dire un seul mot de ce qu'implique concrètement dans la vie future des gens la lutte contre le réchauffement climatique. Car c'est là qu'ils prendraient des risques. Les risques qu'on prend quand on dit la vérité.

La vérité, c'est quoi ? C'est tout simple : l'humanité qui vit (ou qui s'en est fixé l'objectif) à la mode américaine, ou même seulement européenne, vit très au-dessus des moyens de la planète Terre. Autrement dit, l'humanité dépense plus que ce que la planète Terre lui fournit. Quand un ménage, une entreprise ou un Etat fait ça, ça porte rapidement un nom : le surendettement et la cessation de paiement. Elle se profile à plus ou moins longue échéance, cette faillite, mais c'est une certitude arithmétique. Et c'est l'humanité telle qu'elle fonctionne aujourd'hui qui aura mis la planète en faillite.

Le fonctionnement actuel, c'est quoi ? C'est tout simple : l'humanité qui vit à l'américaine est absolument insatiable. Elle pratique l'extraction folle : elle tape dans le capital et dépense sans compter. Elle vide la caisse à toute allure. Il y a l'extraction folle de toutes sortes de minerais qui servent à fabriquer tous les objets dont nous nous servons tous les jours comme s'ils faisaient partie de notre vie de toute éternité. Et puis il y a aussi (et peut-être surtout) l'extraction énergétique folle des substances destinées à faire tourner les moteurs de nos machines.

La vraie malédiction qui condamne notre époque, elle est dans cette logique qui meuble nos vies de masses d'objets, motorisés pour la plupart (ou branchés sur une source d'énergie, ce qui revient au même, puisque seul le carburant diffère), sans lesquels la plupart des gens qui les possèdent ne sauraient plus vivre, tant ils se sont rendus indispensables du fait de leurs effets directement palpables (les inventions techniques sont en général adoptées avec enthousiasme et sans réfléchir à cause de leur "utilité" et de leur usage "pratique" : quel progrès de ne plus avoir, dans les rues si étroites de la Croix-Rousse, à rabattre soi-même le rétroviseur !). L'existence quotidienne est devenue plus facile et plus confortable grâce à toutes ces inventions.

Et c'est vrai que le moteur est une invention prodigieuse. Mais il incarne en même temps la malédiction qui fait de notre mode vie un fléau pour la survie de l'humanité. Un modèle d'énergivoracité déraisonnable. Comme la fameuse anecdote qui court à propos d’Ésope et de la langue, le moteur est à la fois la meilleure et la pire des choses : instrument de confort et de liberté, il a été mis au service de la démence productiviste. 

Et la RECETTE, elle est précisément là : il ne faut pas se contenter d'agir pour limiter le réchauffement du climat, ce qu'il faut, c'est carrément le stopper, le réchauffement. Et pour cela, il suffirait d'arrêter les moteurs. Tous les moteurs. Et le MIRACLE dont parle le titre de ce billet, il est aussi exactement là : c'est qu'il n'y en aura pas. On le sait, il n'y a de miracle que pour ceux qui y croient. Le grand dessinateur Gébé avait autrefois conçu une gentille utopie. Il avait appelé ça "L'An 01". L'idée à l'époque avait suscité un engouement certain. Sur le ton de la fiction agréable, Gébé ne proposait rien de moins qu'une révolution.

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La couv' un peu amochée de mon EO : un vestige.

D'abord BD (1971 ou 19722, dans la revue Politique Hebdo, si je ne me trompe pas, puis en volume aux éditions du Square - Hara Kiri), c'était devenu un gentil film de Jacques Doillon en 1973. Le slogan était le suivant : « On arrête tout, on réfléchit et c'est pas triste ». Il y avait du doux rêveur chez le féroce Gébé, qui lui-même faisait semblant d'y croire. Il y avait, selon moi aujourd'hui, un irrémédiable désespoir dans la fiction rigolote de "L'An 01", qui tient pour acquise la disparition instantanée, sur un coup de baguette magique, de la totalité du système capitaliste. Une fiction qui, en fin de compte, aura fait bien du mal en répandant de façon totalement déraisonnable le sympathique mensonge que "c'est possible" et "qu'on peut y arriver (entendu sur une chaîne de grande écoute aujourd'hui même): « Avant de commencer, considérons le problème comme résolu ». Cela s'appelle aussi "prendre ses désirs pour la réalité". Alors quelle désillusion, quand la fiction se casse le nez sur le mur de la réalité !

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Une image de l'espoir, avant la désillusion (4ème de couv' de L'An 01). Le mec de gauche, qui appartient sans nul doute au système, a hélas raison. Je pense aux utopies de Notre-Dame-des-Landes, où les volontés de changement se heurtent, maintenant que l'aéroport est abandonné, aux réalités du cadastre : quel écologiste est en mesure d'agir sur le cadastre ? C'est qu'il faut l'administrer, le territoire, si l'on veut éviter les conflit entre les personnes. C'est à ça qu'il sert, le cadastre. 

Car on voit comment ça a tourné presque un demi-siècle après : l'urgence est assez rapidement devenue l'extrême urgence. Aujourd'hui, on peut dire qu'on en est arrivé à l'ultime ultimatum. Il y a quelque chose qui cloche dans le principe "optimisme". L'optimisme, moi, j'appelle ça l'espoir. Et l'espoir, je l'appelle croyance. Et la croyance, je l'appelle illusion. Les mots ne comptent pas. Seuls comptent les faits et les actes. Et cela seul devrait suffire à ouvrir les yeux.

Suitetfin demain.

lundi, 02 juillet 2018

80 KM/H : CATASTROPHE NATIONALE

Etripage national sur la limitation à 80 km/h sur les routes à double sens sans séparateur central : voilà un beau débat national qui montre, d'une part, le niveau des vraies préoccupations des Français et, d'autre part, la suprême habileté d'un Emmanuel Macron dans le maniement du chiffon rouge, du rideau de fumée et de la diversion réunis. Que signifie, en réalité, au sujet de l'état moral et intellectuel de la France, cette guerre sur la limitation de la vitesse des véhicules automobiles ?

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Une du Monde daté 1 juillet 2018.

Premièrement, que la France éternelle, la France des droits de l'homme, bref, la France, est tombée bien bas quand il s'agit des questions essentielles, telles que la survie de l'humanité en milieu de plus en plus hostile. Deuxièmement, que monsieur Macron, dignitaire en chef de la nation, a compris à merveille comment, dans une période épineuse, on dirige l'attention fiévreuse du peuple dans diverses directions secondaires, des voies de garage où la vox populi s'enlise dans les sables mouvants de la controverse futile.

Emmanuel Macron n'a pas oublié la grande leçon de Mitterrand, qui avait, en je ne sais plus quelle année, dégainé Mazarine, sa fille secrète, au moment où ça chauffait pour lui parce que des fouineurs avaient déterré l'amitié indéfectible qui le liait à un certain René Bousquet, collabo notoire. Et je me pose la question, monsieur Macron : qu'avez-vous à cacher ? A faire oublier à tout prix ?

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Accessoirement, je note que les médias, bien disciplinés, le doigt sur la couture du pantalon, se révèlent caisses de résonance idéales aux bruits que fait le pouvoir pour détourner l'attention des gens du cœur du problème : la constante aggravation des conditions qui lui sont faites par le dit pouvoir depuis lurette (effondrement programmé de l'hôpital public, mélange public/privé présenté comme solution miracle à tout, dégradation constante des conditions d'enseignement, baisse constante des effectifs de fonctionnaires de l'Etat, privatisation de tout, etc...).

Pensez-vous que ce tableau noir soit la préoccupation prioritaire des Français ? NON. Les Français s'étripent au sujet de la limitation de vitesse sur les routes à double sens sans séparateur central. Allons, tout ne va pas aussi mal que certains mauvais esprits se complaisent à le dire ! On est fier d'appartenir à un pays capable de se chamailler au sujet des limitations de vitesse. Belle opération de diversion. Bravo, monsieur Macron : vous êtes un excellent prestidigitateur !

Elle est pas belle, la France ?

jeudi, 21 juin 2018

DIVERSIONS

Des nouvelles de l'état du monde (N°56).

« NOTRE MAISON BRÛLE, ET NOUS REGARDONS AILLEURS. »

Jacques Chirac, en 2002, à Johannesburg.

Qu'est-ce que c'est, faire de la politique, dans une démocratie de masse ? C'est d'une part agir sur le réel (ou plutôt donner l'impression qu'on est en mesure de modeler le réel pour le bien des masses), et d'autre part faire participer les dites masses à ces actions (ou plutôt donner l'impression aux masses qu'elles participent aux décisions qui les concernent). Macron, à la tête du pays, montre qu'en la matière, il est un grand virtuose. Et d'une manière qui m'incite à reformuler la formule creuse de Chirac.

« Pendant que nous mettons le feu à la maison, faisons en sorte que les masses regardent ailleurs. »

J'explique : l'habileté ahurissante de Macron consiste, pendant qu'il s'efforce de parachever l'entreprise de destruction de la maison commune, à agiter des chiffons rouges pour hypnotiser les foules. Il est passé maître dans cet art qui tient de la prestidigitation. D'un côté, il met le feu à tout ce qui ressemble encore à du "bien commun" (bientôt une insulte, vous allez voir), et de l'autre, il amuse la galerie .

La maison qui brûle ? La planète, bien sûr, mais pas que. Pas besoin de reprendre l'énumération, il suffit de se tenir au courant des événements pour se trouver noyé dans l'information. Tiens, cette baleine venue agoniser sur une plage de Thaïlande, le ventre plein de sacs plastique qui l'empêchaient de se nourrir. 

La maison qui brûle ? Pêle-mêle (ça veut dire dans le plus grand désordre et dans toutes les directions, mais un tir méchamment groupé dans le temps), quelques titres dans le journal (avec les dates précises) :

Effondrement des colonies d'abeilles en France (les apiculteurs [happy-culteurs ?], en détresse, demandent au gouvernement un plan de soutien exceptionnel aux sinistrés) (8 juin) ;

Confronté à l'érosion des sols, le Rwanda reforeste massivement, (sous-titre : l'épuisement des terres menace la sécurité alimentaire du pays) (17 juin) ;

Touffeur et pollution extrêmes à New Dehli (sous-titre : une tempête de poussière piège la ville indienne) (17 juin) ;

En Chine, des citoyens sous surveillance (sous-titre : la ville de Suqian, un agglomération de cinq millions d'habitants, teste un système de notation des personnes et des entreprises censé instaurer une société plus fiable) (16 juin) ;

L'homme pousse les animaux à une vie nocturne (sous-titre : l'expansion humaine bouleverse les modes de vie des mammifères sur toute la planète) (16 juin) ;

Les Antilles face au désastre des sargasses (sous-titre : malgré un plan d'urgence annoncé par l'Etat pour lutter contre ces algues, la population se sent abandonnée) (15 juin) ;

Chute de l'intelligence (sous-titre : le QI, après avoir augmenté au cours du XX° siècle, régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude sur des conscrits norvégiens permet d'attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux et non à des causes génétiques) (13 juin) ;

Alerte, l'océan coule ! (sous-titre : Vice-première ministre de Suède, Isabella Lövin invite les autres nations à protéger l'océan pour éviter une catastrophe humanitaire mondiale) (13 juin) ;

Le métier d'enseignant ne fait plus rêver (sous-titre : les concours de recrutement de professeurs attirent moins de candidats) (13 juin) ;

Inégalités scolaires : la France montrée du doigt (sous-titre : les zones d'éducation prioritaire manquent de professeurs diplômés, selon l'OCDE) (13 juin) ;

Dans l'Utah, la bataille pour protéger Bears Ears (sous-titre : Donald Trump a ouvert à l'exploitation minière et pétrolière une région indienne classée par Barack Obama) (13 juin) ; 

La France exposée aux migrations africaines (article qui souligne que les femmes africaines sont très prolifiques : entre trois et sept enfants chacune, à comparer avec les taux européens) (12 juin) ;

"La pire crise humanitaire depuis la seconde guerre" (sous-titre : La faim augmente de nouveau dans le monde, alerte le directeur du Programme alimentaire mondial) (12 juin) ;

Chlordécone : une honte d'Etat (intertitre : et cet empoisonnement a été décidé en connaissance de cause ; autre intertitre : plus de 90% des Antillais présentent des traces de ce perturbateur endocrinien) (10 juin) (commentaire : entre les algues et le chlordécone, les Antillais sont gâtés) ;

Climat : vers 4° à 5°C de plus à la fin du siècle à Paris (sous-titre : Météo France publie ses projections pour la capitale en fonction des scénarios d'émissions mondiales de CO2) (9 juin) ;

CAC 40 : la priorité aux actionnaires contestée (sous-titre : dans un rapport, l'ONG Oxfam dénonce un partage des profits devenu très défavorable aux salariés) (15 mai) ; 

"La montée des inégalités s'impose comme une préoccupation" (15 mai) ; 

Michel Aglietta, penseur des limites du capitalisme (sous-titre : alors qu'un colloque vient de lui être consacré à la banque de France, trois chercheurs estiment qu'il est temps de suivre les voies tracées par l'économiste pour échapper aux pathologies du système) (31 mai) ;

En Tanzanie, le tourisme chasse les Masai (sous-titre : les zones interdites au peuple semi-nomade se multiplient) (12 mai) ;

Comment les humains déclenchent des tremblements de terre (sous-titre : une étude montre les mécanismes par lesquels la fracturation hydraulique, la géothermie et l'extraction de gaz provoquent des séismes (12 mai) ; 

Le fléau des batraciens venait de Corée (sous-titre : la pandémie, qui décime les amphibiens, s'est répandue à la faveur du commerce mondial) (16 mai) ; 

Une hausse de plus de 1,5°C dévasterait la biodiversité (une étude montre que limiter le réchauffement est un enjeu vital pour les animaux et les plantes) (19 mai) ; 

La France autorise une raffinerie qui va accentuer la déforestation (le préfet des Bouches-du-Rhône donne son feu vert à la bioraffinerie de La Mède, qui va exploiter 300.000 tonnes d'huile de palme par an) (19 mai) (commentaire : les deux pieds les deux mains dans La Mède) ;

La faune sauvage victime de la cybercriminalité (sous-titre : l'ONG IFAW révèle l'ampleur du commerce en ligne qui met en péril des espèces menacées d'extinction) (24 mai) ;

Bientôt des bébés à la carte ? (sous-titre : profitant des progrès des techniques de séquençage de l'ADN, des start-up américaines proposent aux particuliers, à grand renfort de marketing, une gamme de tests évaluant le risque pour eux d'avoir un enfant malade) ( 24 mai) ; 

Nicolas Hulot "sonne le tocsin" (sous-titre : le ministre de la transition écologique présentera en juillet un plan d'action contre l'érosion du vivant, après une consultation du public) (20 mai) (commentaire : monsieur Alibi et monsieur Faux-Cul ne quitteront pas le navire : la place est trop bonne) ;

Les conflits environnementaux se multiplient en Inde (sous-titre : treize manifestants ont été tués par la police dans le sud du pays) (27 mai) ;

Quarante ans de financiarisation de l'économie (dans un dossier "Les actionnaires, profiteurs ou investisseurs ?" (27 mai) (commentaire : "chérie, devine qui vient piquer ton dîner ?") ;

La pollution industrielle imprègne les habitants de Fos-sur-Mer (sous-titre : une étude relève une surimprégnation, notamment en plomb, une surexposition aux particules ultrafines, et souligne un "effet cocktail") (30 mai) ;

L'interdiction du glyphosate rejetée par les députés (assez éloquent : pas besoin du sous-titre) (30 mai) ;

La loi alimentation enterre plusieurs promesses de Macron (sous-titre : malgré les avancées, le texte est jugé comme "un rendez-vous manqué" par de nombreux députés, y compris dans la majorité) (31 mai) (commentaire : en politique, tout dans le clairon) ;

Climat : les Américains ont enrayé la dynamique (pas besoin du sous-titre) (1 juin) ;

Donald Trump, portrait d'un tricheur (commentaire : cet homme est vraiment, et collectivement, dangereux : où il entraînera les USA, là il entraînera l'Occident) (1 juin) ; 

Le modèle français du logement social en danger (sous-titre : les ponctions financières imposées au monde HLM, qui le fragilisent, ne seront qu'à moitié compensées) (5 juin) ;

Richesse : les écarts se creusent entre propriétaires et locataires (entre 1998 et 2015, l'envolée des prix de la pierre a gonflé de 133% le patrimoine des détenteurs d'un bien immobilier) (7 juin) ;

Chaque année, la contrefaçon fait perdre 60 milliards d'euros à l'Europe (7 juin).

Dernier arrivage : 

Le vignoble français est menacé par le dépérissement (sous-titre : les maladies des ceps touchent un pied sur dix) (20 juin)

La grande distribution fait son beurre sur le dos des agriculteurs (sous-titre : les prix agricoles ont progressé de 3% en 2017, selon l'Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires) (20 juin) (commentaire : c'est beau, un "Observatoire") (détail : le kilo de jambon, en 2017, a rapporté 3,74€ à l'agriculteur et 4,17€ au distributeur, combien pour l'actionnaire ?) 

Tous ces titres et sous-titres sont tirés, mot à mot, du journal Le Monde.

Bon courage à tout le monde !

 

Emmanuel Macron n'oublie pas de faire sa part : il continue à détruire ce qu'il reste de commun dans ce qu'on appelle les biens. Il continue à désengager l'Etat de toute responsabilité, et il continue sur la lancée de tous ses prédécesseurs : comme Jospin, comme Chirac-Villepin, comme Sarkozy, il vend les bijoux de famille (Aéroports de Paris, Engie, Française des jeux, sans compter tout ce qui est en train de pointer le bout de l'oreille : Orange, PSA, Renault, quoi encore ?), il achève de privatiser le bien public pour que ce qui nourrissait le budget de l'Etat rapporte enfin quelque chose aux propriétaires privés (je caricature, mais c'est la tendance : on se souvient de la privatisation des autoroutes).

Pendant qu'il fait son Néron au petit pied face à Rome incendiée, Macron, en artiste ("qualis artifex pereo", soupirait Néron au moment de mourir), pince les cordes des "débats de société" pour amuser la galerie : il est à fond pour qu'on réprime sévèrement le "harcèlement de rue". Il est à fond (enfin, ça dépend des sondages du jour) pour la libéralisation de la PMA pour les lesbiennes et de la GPA pour je ne sais plus qui. Il est à fond pour l'entente entre les religions de France (même s'il le pense, il a peur d'affirmer que l'islam ne saurait être une "religion de France"). Il est à fond contre le racisme et l'antisémitisme. Il est à fond contre les discriminations. J'oubliais la "limitation de vitesse à 80 km/h sur les routes à doubles sens de circulation" !

J'ajoute aujourd'hui [28 juin] la réécriture de la Constitution avec disparition du mot "race", et en "écriture inclusive", s'il vous plaît.

Qu'on me pardonne, mais je ne vois dans ces bisbilles "culturelles" et concertées que des chiffons rouges, des rideaux de fumée destinés à empêcher les foules de porter leur attention sur ce qui, demain, rendra leur vie personnelle concrète plus difficile. Sur ce qui aggrave tous les jours l'état de la planète et de l'humanité. Pendant qu'on s'arrange pour que les mentalités individuelles et les subjectivités épidermiques se fassent la guerre, on ne touche pas aux processus de production, on ne touche pas à la structure de la machine : on laisse le rouleau compresseur avancer à son rythme imperturbable. 

On ne m'excusera peut-être pas, mais tant pis : pendant que la réalité des conditions de vie se dégrade un peu plus tous les jours, Macron lance de très beaux, très vifs "Débats de Société". Résultat, les gens s'écharpent au sujet des comportements des uns, de l'identité des autres, de l'aspect des choses : affaire Weinstein, avec les traîtresses qui affirment leur "droit" à être "importunées" ; compétition entre les dénonciateurs de l'antisémitisme et les ennemis de l'islamophobie ; mise au ban de la société de tout ce qui est soupçonné de véhiculer l'homophobie.

Moralité : aussi longtemps que régnera la zizanie au sein de la population sur des sujets sociétaux, les auteurs des dégâts réels infligés à l'environnement, aux ressources alimentaires, à tout ce qui fait la vie humaine agréable et désirable, pourront dormir tranquilles et se sentiront encouragés à poursuivre leurs efforts de destruction. 

Conclusion : l'art de la politique consiste à désigner la lune à la foule des badauds, pour que ceux-ci oublient de regarder le doigt qui appuie sur la détente.

Un bon politicien est un bon prestidigitateur : en donnant son spectacle, il abolit la réalité.

La prestidigitation ? Faire apparaître les choix individuels de vie comme plus importants que les conditions matérielles collectives de l'existence. Qui sont parfaitement mesurables et objectivables, elles. Ce qui n'est pas le cas des subjectivités.

vendredi, 11 mai 2018

COLÈRE DES PEUPLES

21 novembre 2016

Lettre grande ouverte aux « ÉLITES » qui ont les yeux et les oreilles grands fermés.

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Où trouve-t-on le paragraphe qui suit ? Quel révolutionnaire a pu écrire un tel brûlot ? « C’est un ouragan qui emporte tout. Les calculs des sondeurs et les prévisions des experts. Le confort des élites intellectuelles et les certitudes des milieux d’affaires. La suffisance des hommes politiques et l’arrogance des médias. Une lame de fond dont la brutalité coupe le souffle. Un raz de marée sidérant dont l’onde de choc n’épargne pas nos rivages. Dans tout l’Occident, les peuples sont en colère. Nous avions choisi de ne pas le voir. Depuis la victoire de Donald Trump, nous ne pouvons plus faire semblant. » On a vraiment l'impression que l'auteur de ces lignes en a pris plein la figure, et qu'il lâche la bride à son humeur et à sa rage. Alors qui ? Où ?

Je vous le donne Émile : dans Le Figaro (jeudi 10 novembre 2016 - eh oui, on est le 10 mai 2018, ça fait déjà 18 mois - premier jour où le bouclage du journal permettait de rendre compte de l’élection de Donald Trump), sous la plume d’Alexis Brézet, éditorialiste. L'élection de Trump, le Brexit et, n'y allons pas de main morte, le "non" au référendum de 2005, sont dus à "la colère des peuples".

En une et page 21 s’il vous plaît. J’aurais pu écrire la même chose dans les mêmes termes, moi qui ne suis pourtant pas du tout du même bord (enfin, moi qui suis de gauche-droite, car ça dépend des sujets, je ne devrais pas être aussi catégorique). Attention, Alexis Brézet n’est pas n’importe qui : l’ « ours » nous indique qu’il est « directeur des rédactions » (je note le pluriel), pas moins. Autrement dit, Alexis Brézet appartient à ce milieu particulier des « élites intellectuelles » dont il dit pis que pendre. Il appartient à ce milieu des « médias » dont il dénonce « l’arrogance ». Comme s'il reniait la famille dont il est issu. Très provisoirement, soyons-en sûrs. 

L’éditorial du Figaro du 10 novembre constitue donc une illustration magistrale de l’exercice de contrition paradoxale. Le 10 novembre, le directeur des rédactions du Figaro revêt une grande chemise, se met une corde au cou, pour (comme on ne dit plus, parce qu'on ne sait plus ce que ça veut dire) « aller à Canossa ». Mais rassurons-nous : dès le 11 novembre, Alexis Brézet est revenu de Canossa (il a pris le TGV) pour retrouver ses habits civils et son fauteuil directorial (équipé d'un dispositif du dernier cri de reconnaissance fessiale, acheté aux Chinois, des fois que des malappris auraient le mauvais goût d'essayer le fauteuil en son absence). Mais l'autocritique ne va pas, pour le "directeur des rédactions" du Figaro, jusqu'à démissionner de son poste : lucide, certes, mais pas sacrificiel. Sous-entendu : "Je prends la résolution de continuer à blablater en "une" de mon journal". Traduit en français : n'importe quoi, pourvu que ça mousse.

Si l’élection de Trump lui a flanqué un coup sur la tête, il s’en est bien remis à présent, n’en doutons pas. L’autocritique, on veut bien, mais pas question d'en faire davantage. Un moment d’égarement, rien de plus. Ce n’est pas parce que tous les gens en place se sont trompés qu'on va scier la branche sur laquelle on est assis, qu'on va renoncer à la ... disons : situation acquise, et qu’on va foutre par terre la machine économique folle telle qu'elle fonctionne, et surtout, telle qu'elle a produit, mécaniquement, Donald Trump, « ce clown, cet histrion » (dixit Alexis Brézet), désormais président démocratiquement élu des Etats-Unis d'Amérique.

Le monde doit (selon ma petite boussole personnelle) l'aberration apparente de l'élection de Trump

1 - à l'aberration du système économico-financier qui met la planète et les populations en coupe réglée pour le plus grand profit d'une toute petite caste d'ultra-riches (fonds spéculatifs, entreprises géantes et autres bandits de grand chemin), système tout entier soutenu par toutes les « élites » qui lui adressent mollement quelques critiques dessinant en creux des améliorations cosmétiques ;

2 - au dégoût grandissant de foules de plus en plus compactes pour des responsables politiques perçus comme des menteurs, des impuissants, ou des corrompus auxquels elles finissent par dire « cause toujours » (ou « merde »).  ; mais aussi

3 - à l'occultation d'une réalité de plus en plus hostile et invivable sous le couvercle épais d'un discours moralisateur déconnecté du quotidien vécu, discours fait de « fraternité », de « lutte antiraciste », de « vivre ensemble », de « nos valeurs », de « tolérance », de « combattre les stéréotypes et faire reculer les préjugés » et d'une foule de propos lénifiants en contradiction criante avec ce qui se passe dans le concret des sociétés (combien de millions de pauvres, en Amérique, en France ?).

Tranquillisons-nous : ce n’est pas une raison suffisante pour que Le Figaro modifie un iota de sa ligne éditoriale ou sa grille de lecture du monde des affaires et de la politique. Jusqu’à ce qu’un de ces jours prochains, n’en doutons pas, Trump ait fait tellement de petits (Orban, Kaczynski, Poutine, Erdogan, Al Sissi, ...) qu’une majorité des Etats occidentaux, ces démocraties si fières de leur supériorité politique, soit gouvernée par des Trump. Vous voyez le tableau ? Plein de clowns et d’histrions plus ou moins autoritaires pour nous gouverner ? Et plein de journaux Le Figaro pour leur cirer les godasses ?

Tiens, soit dit en passant et par parenthèse, on apprend que Nicolas Sarkozy, blackboulé à la primaire de la droite, vient de se faire virer de la vie politique (je dis : pas trop tôt ; mais je me méfie, il a déjà dit ça en 2012) [en 2018, il me semble qu'on peut être assez tranquilles là-dessus.] : il y a aussi des nouvelles qui font plaisir, après tout. La mauvaise nouvelle, c'est, si Fillon se fait élire en 2017, que les Français peuvent s'attendre au pire : Fillon est un cadre dirigeant au sein de la mafia ultralibérale qui exerce la dictature en matière économique, et c'est un homme qui a des nerfs d'acier (pilote automobile confirmé, il avait flanqué une frousse bleue à Sarkozy en lui faisant faire un tour de circuit). Un vrai animal à sang froid. [9 mai 2018 : inutile de revenir sur la pantalonnade Fillon.] L'autre bonne nouvelle : une déconfiture de plus des instituts de sondage. Qui vont sans doute nous servir un tas de raisons savantes et brumeuses pour nous expliquer que les prochaines enquêtes seront, elles, d'une fiabilité à toute épreuve. Revenons à nos élites.

Je vais vous dire : le jour où « les élites » décideront de laisser les manettes à d'autres, reconnaissant qu'elles ont eu tout faux après l’énième « cinglant démenti » apporté par la réalité à leurs certitudes et à leur conviction d’être dans le vrai, eh bien ce jour n’est pas près d’arriver. Autant se faire hara kiri. Vous ne voudriez tout de même pas leur ôter de la bouche la brioche, le gâteau (vulgairement parlant :  le "fromage"), n'est-ce pas.

Tout ça pour dire que l’éditorial du Figaro m’a bien fait rire : toutes les flagellations, tous les « mea maxima culpa », tous les repentirs qui ont saisi les éditorialistes du monde entier à l’élection américaine, il ne faut bien entendu pas en croire un mot. Alexis Brézet cite le « non » au référendum de 2005 et le « oui » des Anglais au Brexit, l’un comme « un regrettable coup du sort », l’autre comme « un malheureux accident », qui prouvent l’aveuglement des « élites intellectuelles ». Visiblement, il n'a strictement rien compris ! Cet aveu d'aveuglement est évidemment à considérer comme du simple "bullshit". Le Canard enchaîné dirait : "des paroles verbales". Car il fait semblant de démolir des élites dans lesquelles il se garde bien de s'inclure. Type même de l'homme de système qui se découvre anti-système. Tout par un coup, comme on disait à Lyon. En français : pour du beurre.

Parions qu’à la prochaine manifestation de la « colère des peuples », à la prochaine alerte « populiste » (Le Pen en France ?), on verra tous les Alexis Brézet des instituts de sondage, des médias et de la politique se frapper durement la poitrine en proclamant : « Nous ne l’avions pas vu venir », aller faire une petite virée à Canossa pour boire un coup avec les copains, avant de retourner à leur fauteuil confortable et aux dîners en ville. Ces élites-là aiment le changement à la condition expresse que ce soient les autres qui commencent. Le plus tard possible.

Car le diagnostic posé par Alexis Brézet est irréfutable : « Les usines qui ferment, les inégalités qui explosent, les traditions qui disparaissent (…) ont porté un coup fatal » à la « mondialisation heureuse ». Un propos que ne renierait pas L'Humanité, journal "communiste" (sauf que "traditions" ne fait pas partie de son catéchisme). Comme dirait Arsène Lupin à son vieil ennemi l’inspecteur Ganimard : « Tu l’as dit, bouffi ! » quand il se fait reconnaître de lui sous les trait du misérable « Baudru, Désiré » (je crois bien que c'est dans L'Evasion d'Arsène Lupin). Je n’ai rien contre le constat, qui me paraît tout à fait ajusté à la situation. C’est seulement la plume sous laquelle on le trouve formulé qui me paraît une grossière « erreur de casting ». Un peu comme si, dans le conte d'Andersen, c'était le roi lui même qui criait : « Le roi est nu ! ».

Quand, plus loin dans son article, l’auteur parle de « défaite du politiquement correct », derrière cette vérité apparente, il me fait encore franchement rigoler : l’hôpital qui se fout de la charité, aurait-on dit autrefois, avant la démolition méthodique de l’hôpital public (encore en cours). Comme expert en langue de bois, en politiquement correct et en pensée unique, Le Figaro se pose un peu là (mais Libération et Le Monde ne sont pas mal non plus dans leur bocal). En revanche, quand il évoque la « défaite du multiculturalisme », une variante du terrorisme politiquement correct, je le trouve beaucoup plus percutant.

En effet, selon l’auteur, le multiculturalisme, cette « nouvelle religion politique » (formule de M. Bock-Côté), « inverse le devoir d’intégration (puisque c’est celui qui accueille qui doit s’accommoder aux diversités) ». Alexis Brézet met ici le doigt sur une des raisons de la victoire de Trump : parmi les bourrages de crâne qui heurtent l’opinion de monsieur tout-le-monde (je veux dire : les gens normaux) en matière d'accueil des étrangers, c’est que c’est le pays d’accueil qui a tous les devoirs (et guère de droits). L’épée du sentiment de culpabilité est brandie par les tenants de l’humanisme humanitaire contre ceux qui contestent le dogme. Ceux qui en ont assez qu'on les prenne pour des billes : Trump s'est précisément fait élire par les gens qu'il prend pour des billes ! Admirez le paradoxe et calculez les suites.

L’injonction faite aux Français de s’adapter séance tenante aux bouleversements du monde, qui plus est selon les termes dans lesquels ceux-ci leur sont présentés par les « bonnes âmes » altruistes, est tout simplement inhumaine. Sommés de changer de vision du monde, les Français renâclent ? Mais quoi de plus naturel, contrairement aux refrains dont les prêcheurs nous gavent à longueur de médias ? La rage qui entoure le débat autour de l’ « identité » est bien la preuve du fait qu’ici se joue une partie essentielle aux yeux du peuple (pardon pour le terme), qui touche au fondement de quelque chose (quoi ? bien malin qui peut répondre). La dénégation par les « élites intellectuelles » de cette conviction intime éprouvée par une masse de gens prépare l’élection démocratique de tout un tas de « clowns » et d’ « histrions » à la Donald Trump.

Ne comptons pas sur Alexis Brézet (et ses semblables) pour tirer, en ce qui le concerne personnellement, toutes les conséquences de son raisonnement.

Il verra bien le jour où il subira les effets de "la colère des peuples", quand celle-ci s'en prendra (sans ménagement) à son petit poste de propagandiste stipendié. 

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 10 mai 2018

LE TRAVAIL NE REVIENDRA PAS

Dans la série : "Des nouvelles de l'état du monde".

6 juin 2016

TRAVAIL, CHÔMAGE, ESPOIR.

En se souvenant de : "Il ne faut pas désespérer Billancourt" (la "forteresse ouvrière").

Le chômage est la première préoccupation, paraît-il, de la population. Tous les sondages, paraît-il, le font apparaître. Et tous les hommes politiques qui, on le sait, tirent leur doctrine authentique et leurs convictions profondes de la lecture quotidiennement renouvelée des dernières enquêtes d’opinion sorties dans la presse, embouchent leur trompette pour le claironner bien fort aux oreilles du bon peuple : la question qui occupe leur esprit jour et nuit, qui creuse leurs fronts responsables des profonds sillons de la préoccupation la plus haute et la plus tourmentée, c’est la question du chômage. En particulier le chômage des jeunes. Et en particulier des jeunes vivant dans les bien connues « banlieues défavorisées ». [Ajouté en mai 2018 : s'il y a beaucoup de jeunes chômeurs dans les banlieues, ce sont bien souvent des jeunes qui ne chôment pas à longueur de journée, et qui savent très bien ce que "job rémunérateur" veut dire.]

Je les vois bien, tous, là, Fillon, Sarkozy, Montebourg, Mélanchon, rentrer le soir à la maison, enfiler leur pyjama et, avant de le faire à madame, lui avouer pleins de sentiments de honte : « Chérie, je n’en dors plus : 40% de jeunes chômeurs à Argenteuil, 39% à Gagny, 41% à Aubervilliers, c’est intolérable. – Viens là, mon biquet, viens oublier en moi tes horribles soucis ». Tout le monde en est convaincu : voilà la première urgence que ces braves gens qui nous gouvernent, ou aspirent à le faire, ont constamment à l’esprit de traiter, à laquelle ils veulent remédier « toutes affaires cessantes » (selon une de leurs expressions favorites). 

On les connaît, tous ces hommes d’une sincérité jamais prise en défaut. Malheureusement, c'est une sincérité d'un genre particulier : la sincérité de l'instant présent, qui oublie l'instant d'après ce que la bouche a dit l'instant d'avant. Non : tout le monde sait que si leur sincérité était sincère, ils diraient en public quelque chose de ce genre : « Il ne faut pas se leurrer : le travail ne reviendra pas. Et s’il revient, il ne sera pas fait par des hommes, mais par des robots. Les travailleurs, dans les pays autrefois industrialisés, ne servent plus à rien ». Oui, si leur sincérité était sincère, ils pratiqueraient tous ce suicide politique. On peut toujours compter sur eux pour avoir un tel courage. 

[Ajouté en mai 2018 : le mensonge ultime, le concentré de mensonge se trouve aujourd'hui dans la bouche d'un irresponsable politique qui a nom Emmanuel Macron, qui rêve de convaincre tous les individus (un par un et collectivement) qu'ils sont les seuls authentiques entrepreneurs de leur propre vie. Les mouchoirs kleenex employés par Uber ou Deliveroo en savent déjà quelque chose. Les juristes des "plates-formes" sont déjà en train de plancher sur de futures conciliations possibles avec ce qui s'appelait autrefois le "droit du travail". Ami lecteur, sauras-tu, dans le tableau, repérer le dindon de la farce ?]

Car la vérité, elle est là : le travail ne reviendra pas. Le travail est parti quand les patrons des pays riches ont commencé à vendre les tâches de production à la Chine, puis à d’autres. Qu’on appelle ça « délocalisation » ou autrement, il n’y a pas à tortiller du croupion : ils ont cherché à accroître les marges à redistribuer en dividendes aux actionnaires (pas en salaires aux travailleurs, qu’allez-vous imaginer ?). Logiquement, il fallait diminuer la part salariale dans le chiffre d’affaires. Logiquement, il a fallu trouver de la main d’œuvre moins chère.

C’est ainsi que l’économie des pays industrialisés, avec les savoir-faire et les machines qui vont avec (je connais un Bernard M. qui a consacré une bonne partie de sa carrière à ce massif « transfert de technologie », cette pure merveille lexicale), a été vendue à la Chine et à tous les pays autrefois qualifiés de « sous-développés ». Trente ans après, on en voit les effets. J'observe au passage que le langage des économistes, en général occidentaux (car ils ont un peu d'avance conceptuelle, puisque bénéficiant d'une confortable avance concrète dans l'observation et la théorisation des faits économiques), sait miraculeusement s'adapter aux "nouvelles réalités" sans renoncer pour autant au socle infrangible de son idéologie, en adoptant des expressions furieusement modernes, comme « en développement » ou « pays émergents ». Leur imagination lexicale est sans borne, quand il s'agit de tout faire pour que ne soit pas remis en question le dogme du progrès technique et de la prospérité économique pour tous.

Le travail est parti de chez nous quand patrons et actionnaires l’ont considéré non comme un investissement, mais comme un coût. Quand le travailleur est devenu une charge pour le philanthrope qui avait la bonté de lui fournir du travail dans son entreprise. Trente ou quarante ans après, on le sait, grâce aux merveilleuses innovations techniques qui ont bouleversé le paysage, grâce en particulier à tous les miracles dus à la numérisation, grâce bientôt aux promesses que nous font les adeptes de la robotisation, on pourra penser à « relocaliser » les entreprises. 

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Le pont reliant l'île Seguin au continent, à l'heure de la fermeture à Renault-Billancourt. C'était à l'époque du plein-emploi. L'âge d'or, quoi.

La seule petite différence, c’est qu’à la place de l’énorme fourmilière qui voyait défiler des milliers de bonshommes en chair et en os, on va voir fleurir des néo-usines où quinze personnes suffiront pour surveiller les cadrans informant sur la marche des robots. Tous les autres bonshommes seront entre-temps devenus superflus. A l'Etat et aux braves gens de remplir leur sébile pour qu'ils ne crèvent pas de faim. 

Le travail ne reviendra pas. Oh si, on va vous dire que l’économie va créer de « nouveaux emplois » (notez le changement de vocabulaire : on ne parle plus de « travail », on n’ose plus, quant au noble mot de « métier », n'en disons rien, tant il est devenu obsolète). On appelle déjà ça « service à la personne » ou « économie sociale et solidaire ». On en voit, dans nos rues, de ces vieilles personnes qui tiennent à peine debout, qui se font aider, pour faire leurs courses, par des « AVS ». Aides à la Vie Sociale. Pas un métier, non : un "emploi". Un emploi que certains n'hésitent déjà pas à appeler des « bullshit jobs ». Il existe bien, dans la bouche d'un "bullshit president" qui parle américain des "bullshit countries".

On va vous inventer de nouveaux sigles pour fournir aux jeunes ce qu’on appelle des « emplois aidés » : on récompense les patrons qui acceptent de ne pas laisser un jeune traîner dans les rues, et sur le dos du contribuable, bien sûr. Voilà de la belle redistribution des richesses. On va même (ça vient d'être refusé par les Suisses lors d'une "votation") jusqu'à imaginer de distribuer à chaque individu vivant un "Revenu Universel", par principe et quoi qu'il arrive. Comme le chantait le grand Félix Leclerc, « le meilleur moyen de tuer un homme, c'est de le payer à ne rien faire ».

On va enfin ouvrir de nouveaux créneaux prometteurs sur le front de l’ « ESS », vous savez, la fameuse « économie sociale et solidaire ». Croisons les doigts, crachons en l’air ou pissons dans un violon. Ou encore, puisque nous avons perdu le travail et que quelqu’un nous l’a pris, brûlons un cierge à Saint Antoine : « Saint Antoine de Padoue, vieux filou, vieux grigou, rendez ce qui n’est pas à vous ». Ouais ! On peut toujours essayer. 

Quand il y avait 300.000 chômeurs en France, dans les années 1970, les syndicats étaient dans la rue (ah, qu'il était beau, le slogan : « Qui-sème-la-misère Récolte-la- colère ! »). En 1991, quand il y en a eu 750.000, tout le monde pensait que la marmite allait exploser. Aujourd’hui, les petits messieurs qui font semblant de nous gouverner, avec le minuscule en chef qui fait semblant de présider aux destinées de la France, attendent désespérément que « la croissance revienne » en espérant pouvoir enfin se targuer d’avoir « inversé la courbe du chômage ». Les esprits chagrins objecteront que plus il y a de la croissance, plus la planète a du mouron à se faire, et que donc, il ne faut surtout pas que la croissance revienne. Passons.

Combien de chômeurs aujourd’hui en France ? 4.000.000 ? Un peu plus ? Un peu moins ? On ne va pas se battre là-dessus : de 300.000 à 4.000.000, je compare juste les chiffres à quarante-cinq ans de distance. Et sur la longue durée, il n’y a pas à s’y tromper : le travail a foutu le camp. On nous dit que nos voisins, Allemagne, Grande-Bretagne, Espagne, Italie font bien mieux que nous, parce qu’ils ont « eu le courage de faire des réformes impopulaires mais indispensables », et que la France fait figure de canard boiteux, toujours « en retard » et « incapable de se réformer ». 

Satané Code du Travail, le pelé, le galeux d'où venait tout le mal !!!! Tout le monde crie : Haro sur le baudet !!!! C'est tout la faute au Code du Travail !!!! 

Voyons ça de plus près. Au Royaume-Uni, qui a inventé le « contrat 0 heure », on compte, selon le Guardian, 40% de « working poors ». Combien de ces « travailleurs pauvres » en Espagne, où le taux de chômeurs comptabilisés vient de repasser au-dessous des 4.000.000 ? Combien de « travailleurs pauvres » dans l’Allemagne qu’on nous présente comme un modèle ? En Italie ? Ailleurs ? Et en France, au fait, combien de pauvres ? Les compteurs de pauvres ne sont pas d'accord entre eux. Ce qu'on peut se dire, c'est que la pauvreté a de beaux jours devant elle. Bientôt, c'est ceux qui ne seront pas complètement dans le besoin qu'on appellera les "nantis". [8 mai 2018 : il y a environ 9.000.000 de pauvres en France aujourd'hui.]

Le travail ne reviendra pas. Que se passera-t-il, le jour où un homme politique complètement inconscient, bourré ou shooté, sur le plateau du 20h de TF1 avouera cette vérité ? Que fera la population, quand ces rats dont le métier est d’entretenir dans la population, à tout prix et à coups de mensonges, l’espoir de lendemains meilleurs, pour continuer à croquer impunément dans leur fromage, proclameront enfin cette vérité : le travail ne reviendra pas ? Qu'adviendra-t-il quand le bon peuple aura été mis, définitivement, en face de cette vérité brutale, violente et désespérante ?

En redoutant que ce jour improbable arrive, ils serrent les fesses. A mon avis, ils ont intérêt à se muscler le sphincter anal, parce qu'ils n'ont pas fini d'avoir peur.

Pourquoi croyez-vous que les mesures de sécurité se multiplient, s'aggravent et resserrent le nœud coulant autour du cou de la population ? C'est juste parce que Hollande et ses pareils ont une trouille bleue. C'est juste parce que les "zhommes politiques" (Coluche) n'ont pas envie que des circonstances perturbantes les empêchent d'honorer madame, le soir.

Moralité : puisque la vérité est désespérante, il faut désespérer les Français ! Là, ils se réveilleront peut-être.

Voilà ce que je dis, moi.

[8 mai 2018 : le malheur, c'est que les Français refusent, et refuseront obstinément de se laisser aller au désespoir. Ils ne veulent pas voir les choses en face. Ils ont encore trop de satisfactions personnelles pour se dire qu'on est à la veille d'une gigantesque, et sans doute brutale, redistribution des cartes.]

dimanche, 06 mai 2018

A PROPOS DU JOURNAL "LE MONDE"

J'adresse mes excuses au lecteur éventuel : une bonne partie du billet ci-dessous a pu être lue hier, en préambule du billet de 2015 remis en ligne. Il se fait qu'après-coup j'ai ajouté à ce préambule (destiné à montrer que sur le front de l'écologie, la situation progresse du même pas décidé qu'une plaque tectonique qui aurait l'éternité devant elle) une note sur le journal Le Monde qui a connu un tel développement qu'il a fallu trancher, pour en faire un "billet neuf", frais sorti de la machine, qui a fait bifurquer le centre de gravité du propos. Ben oui, pourquoi un centre de gravité n'aurait-il pas le droit de bifurquer ? Certain ancien président avait bien le droit d'annoncer l' "inversion de la courbe du chômage" ! Ceux (pardon : celle-zéceux) qui auraient déjà lu le "préambule" hier peuvent se reporter directement à la note, en bas.

Le résultat concret de la saisissante prise de conscience planétaire de la gravité de la situation est immédiatement perceptible. Il suffit de lire le journal Le Monde, ce journal autrefois estimable, et qui ne sert à présent, hélas, plus à grand-chose d'autre que de jouer les "lanceurs d'alerte" à propos de l'état de la planète, dans sa rubrique "Planète", la bien nommée, cornaquée par Stéphane Foucart. Pour beaucoup d'autres rubriques (exceptons la page "Sports", par charité, où il n'arrive cependant pas à égaler la coruscance des comptes rendus de matches de foutbal de L'Equipe), Le Monde ne sait apparemment plus ce que veut dire le verbe "informer" (j'exagère, évidemment¹). Mais alors pardon, comme lanceur d'alerte en écologie, Le Monde nous donne très récemment deux preuves qu'il est encore capable de transmettre ce qu'on appelait de l'information. A l'époque de l'information.

[pour le reste du préambule, voir hier] 

NOTE ¹ : je dis souvent du mal du journal Le Monde, mais je reconnais que ce n'est pas entièrement de sa faute, et que les journalistes, dans leur grande majorité, font leur boulot. Je veux dire par là qu'ils font ce que leur "N+1" leur demande, et que c'est la façon dont l'exercice de la profession est enseigné et pratiqué qui pose l'un des problèmes principaux. Et que ce ne sont pas les journalistes de base qui ont décidé de consacrer des pages et des "suppléments" du "journal de référence" aux défilés de mode, à l'argent, au luxe, aux montres à la mode (chères si possible), aux sports et à tout un tas de futilités qui obscurcissent le paysage et noient à l'occasion ce qu'il reste d'information. Même le supplément quotidien "éco&entreprise" envisage le monde de l'économie, en général, du point de vue de ceux qui sont du côté du manche. 

Je recommande toujours la lecture de Les Petits soldats du journalisme, de François Ruffin, sur la façon dont le métier est enseigné à Paris, au CFJ, Centre de Formation des Journalistes ; le regard indéniablement orienté et tout à fait partial d'un militant (il fait parler de lui ces jours-ci), mais un regard convaincant sur la façon dont les responsables en fonction dans les médias, et qui jouent les professeurs au CFJ (élite de la profession et futurs employeurs), conçoivent le métier aujourd'hui : vendre de la soupe (et précariser à outrance la profession dans ses bas échelons). Il est impardonnable de concevoir l'information à partir de la (supposée) demande du lecteur pour "construire" une "offre" capable d'y répondre, au lieu de relater des faits dûment vérifiés et recoupés et d'en proposer des analyses, fût-ce au détriment de la sacro-sainte "ligne éditoriale". C'est cette dérive qui me fait dire du bien de la rubrique "Planète" du journal Le Monde. 

Je ne parle pas des interférences que peut produire sur la transmission de l'information le fait que le média (écrit, audio ou visuel) soit entre les mains d'un milliardaire et que la liberté des journalistes peut s'en trouver altérée. On ne sait jamais : Lagardère, Bolloré, Niel, Pigasse, Dassault et autres grands oiseaux de proie ont le bec dur et la griffe acérée.

Je ne parle pas non plus des pages politiques du Monde : la vie politique, en France et ailleurs, en est à un tel point de déréliction que les hommes et les femmes qui s'affirment capable d'agir sur le réel en sont réduits à produire du discours et du discours pour faire croire qu'ils agissent, et que la rubrique "Politique" se réduit à répercuter des discours et des discours, qui ne seront jamais des actions, ni des faits. Si action il y a, les conflits (SNCF, Air France, tous ceux passés et à venir) s'inscrivent dans un processus beaucoup plus général, qui consiste à réduire à néant, partout dans le monde, les droits des travailleurs, y compris dans la presse d'information : de vrais journalistes ne devraient pas avoir de mal à désintoxiquer les lecteurs submergés de cette propagande ("libérer les énergies", "start-up nation", tous entrepreneurs de notre existence, et autres fadaises ultralibérales). Est-ce que ce serait contrevenir à la sacro-sainte impartialité ? Et surtout : est-ce qu'ils resteraient longtemps en place ? 

Un coin de ciel bleu troue cependant parfois ce couvercle : le CIIJ, ce "Consortium International des Journalistes d'Investigation", où des centaines de professionnels de plusieurs dizaines de journaux du monde entier s'unissent pour aller chercher (on appelle ça "investigation") l'information là où ça gratte le plus les puissants du système. On leur doit les "Panama papers", "Paradise papers" et d'autres publications à haut pouvoir détonant. Il faut hélas s'armer de patience pour observer les effets de ces démarches courageuses. 

Et ce que je ne comprends pas, c'est qu'il y ait une telle foule de journalistes à faire le siège des hommes politiques en vue, ou à faire la cour à plat ventre devant ceux qui sont les plus proches du "pouvoir", pour mendier en "on" ou en "off" un "tuyau" en "exclu" ("-sivité"). La vie politique en France est plate comme une bourse vide : il ne s'y passe rien ou presque. La politique a déserté le pays : un ambitieux y a pris le pouvoir par effraction et en profite aujourd'hui pour transformer le pays en entreprise capable de rivaliser avec les autres sur la scène mondiale. Le pouvoir, messieurs les journalistes, ne se trouve plus au cœur des instances politiques, mais des instances économiques. C'est de ce côté qu'il faut aller chercher les vraies informations sur les projets que nourrissent pour le monde et les populations les vrais détenteurs du pouvoir. Et ce n'est pas dans les discours de ces gens-là que les vrais journalistes trouveront les vraies informations.

Ce n'est pas pour rien que quelques cercles essaient de faire passer en ce moment même une loi "sur le secret des affaires", bien pratique pour les grands vautours d'entreprise, et bien à même de dissuader les organes de presse trop curieux de s'intéresser de trop près à leurs "affaires". Les journalistes les plus courageux auront bien du mérite à vouloir diriger leurs investigations dans cette direction, de plus en plus périlleuse pour qui veut tirer au clair les nouveaux mécanismes du vrai pouvoir : des armées d'avocats et de financiers sont déjà prêts à partir à l'assaut des plus fortes têtes, pour les réduire au silence avec la bénédiction de leurs moyens de mettre à leur service les moyens de la LOI (l'Europe n'est plus à cet égard à l'abri du pire : Ian Kuciak, le Slovaque, et Daphne Caruana Galizia, la Maltaise, deux Européens, ont payé de leur vie leur curiosité "mal placée").

Et, pour finir, je ne parle pas non plus du fait que les Français, à bien y réfléchir, se moquent de l'information. Veulent-ils seulement savoir comment va le monde ? D'abord, ils ne lisent pas la presse dite précisément d'information. Allez-y, directeurs de publication du Monde, du Figaro et de Libé, courage, osez, avouez, publiez les vrais chiffres de vente et l'étendue réelle de vos "lectorats" respectifs.

Non, les Français se fichent d'être véritablement informés. Ils veulent du spectacle, de l'émotion, des larmes, du solidaire. Inlassables, ils font des "marches blanches" à la suite d'un drame en clamant "Plus jamais ça", mais des informations, c'est-à-dire des éléments consistants et des faits qui, avec un peu de réflexion, leur permettraient  de comprendre le monde dans lequel ils vivent et d'agir en fonction, ça, ils n'en veulent pas. Ils sont avides d'internet, de réseaux sociaux, de "fake news", de théories du complot et autres histoires. Ils veulent qu'on les protège, qu'on les console, qu'on les réconforte, qu'on les indemnise et qu'on les prenne en charge : ils ne veulent plus être libres.

Les Français sont aujourd'hui des clients, des enfants, des consommateurs, des patients, des téléspectateurs, des électeurs, etc. Plus rarement des manifestants, encore plus rarement des casseurs, spectaculaires – et très opportuns pour couvrir de vacarme le bruit des râleurs (tiens donc, comme ça tombe bien !). En gros, ils sont des consommateurs de la démocratie. Ils ne veulent pas que leurs "données personnelles" soient vendues à tous les vents, mais ils soignent et nourrissent leur "page Facebook", qui est précisément faite pour leur en soutirer un maximum. Ils ne veulent plus faire face, ils ont baissé les bras, ils subissent, ils se plaignent, ils souffrent, et ils n'aiment pas ça. Les Français exigent aujourd'hui d'être gouvernés par les émotions. Ça, un peuple ? Oui, mûr pour la servitude.

Au fait, vous connaissez, « Liberté, Liberté chérie, sous ton drapeau, que la victoire accoure à tes mâles accents » ? Une telle phrase a-t-elle encore un sens aujourd'hui en France ? Moi, la seule réaction que m'inspire cette déchéance, c'est celle qu'Henri Béraud a mise sous le nez des Allemands, en pleine occupation, qui osait crânement écrire dans un journal parisien de l'époque :

« Français, tiens-toi droit ! ».

Cette injonction vaut aussi pour les journalistes.

samedi, 05 mai 2018

CLIMAT : L'ARBRE ET LA FORÊT

Je remets en ligne aujourd'hui un billet publié ici en 2015. Nous sommes en mai 2018.

Le résultat concret de la saisissante prise de conscience planétaire de la gravité de la situation est immédiatement perceptible. Il suffit de lire le journal Le Monde, ce journal autrefois estimable, et qui ne sert à présent, hélas, plus à grand-chose d'autre que de jouer les "lanceurs d'alerte" à propos de l'état de la planète, dans sa rubrique "Planète", la bien nommée, cornaquée par Stéphane Foucart. Pour beaucoup d'autres rubriques (exceptons la page "Sports", par charité, où il n'arrive cependant pas à égaler la coruscance des comptes rendus de matches de foutbal de L'Equipe), Le Monde ne sait apparemment plus ce que veut dire le verbe "informer" (j'exagère, évidemment¹). Mais alors pardon, comme lanceur d'alerte en écologie, Le Monde nous donne très récemment deux preuves qu'il est encore capable de transmettre ce qu'on appelait de l'information. A l'époque de l'information.

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Sur la "une" du Monde daté jeudi 3 mai 2018. Comme quoi, il n'y a pas que le réchauffement climatique, dans la vie. L'article parle de la pollution de l'air, c'est-à-dire des dizaines de milliers de produits chimiques qui se baladent de l'atmosphère jusque dans nos poumons. Mais dans le hors-champ de cet article, il faut se représenter les autres dizaines de milliers de molécules inventées par l'homme, et qui se baladent non seulement dans l'air, mais aussi dans l'eau et dans la terre, jusqu'à imprégner l'intégralité de nos organismes depuis nos estomacs jusqu'à la moelle de notre mort.

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Page 5 du Monde daté 4 mai 2018 (si, si, c'est hier). Sous-entendu, selon moi, de la phrase explicative : les riches se demandent comment faire croire aux pauvres (je parle des pauvres des pays pauvres, parce que là-bas, il y a aussi des gens très riches qui savent très bien à quoi s'en tenir, et qui font ce qu'il faut pour que ça continue) que le développement est encore possible sans que les dits pays aient à se doter d'une industrie digne de ce nom, seule authentiquement productrice de richesses, c'est-à-dire sans se doter de sources inépuisables de pollutions diverses. Remarquez, à défaut, les pays riches peuvent toujours considérer les pays pauvres comme des poubelles, et s'imaginer qu'ils n'y tomberont jamais, dans la poubelle. Quand ils y seront tombés, comme cela ne peut manquer d'arriver, ils chanteront des hymnes à la gloire de la COP 21, de la COP 22, de la COP 23, de la COP 24, de la COP 167, ....

Commentaire qui n'a rien à voir (quoique ...) : tout le monde parle du Brexit, mais j'ai l'impression que plus on en parle, moins on le voit venir. C'est bizarre : je ne peux pas m'empêcher de faire le rapprochement (et l'antithèse) : plus on parle du réchauffement climatique, plus on le voit venir, je veux dire : plus on le voit accourir à grandes enjambées, et moins on voit la volonté d'y faire face. Et qui parle des molécules chimiques ? De l'épidémie en cours des maladies chroniques ?

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21 octobre 2015

L’arbre du climat cache la forêt de l’état de la planète.

Bien sûr, les gaz à effet de serre. Bien sûr, la production d’énergie par l’exploitation des fossiles arrachés au sous-sol. Bien sûr, le CO² (mais on oublie souvent le méthane CH4, le dioxyde d’azote N2O et encore plus souvent le trifluorure d’azote NF3, aux effets 17.200 fois supérieurs à ceux du CO² – heureusement, la production n’a rien à voir). 

C’est très bien de lutter contre le réchauffement climatique et la libération dans l’atmosphère de toutes sortes de gaz à effet de serre. Indispensable. Surtout que les yeux des responsables politiques de la planète ont eu bien du mal et mis bien du temps à s’ouvrir, du fait de l’action puissante d’une troupe de marchands de sable réunis en lobbies redoutablement efficaces pour prolonger le sommeil des décideurs. 

Je ne dis donc pas qu'il ne faut pas lutter. La vérité oblige cependant à dire que s’il n’y avait que ce problème du réchauffement, il y aurait de quoi entretenir un relatif optimisme. Ce n’est hélas pas le cas. Est-ce que l’espèce humaine marche vers sa propre extinction ? Certains ne sont pas loin de le croire. Paul Jorion en parle explicitement, mais il n’est pas le seul. 

Je citerai seulement le bouquin de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peu s’effondrer (Seuil, 2015, voir mes billets du 22 au 24 juin), où ils énumèrent dans la première partie les caractéristiques du véhicule dans lequel l’humanité est embarquée. Voici ce que cela donne dans les têtes de chapitres : « 1 – L’accélération du véhicule [avec en sous-titre : "Un monde d’exponentielles"] ; 2 – L’extinction du moteur (les limites infranchissables) ; 3 – La sortie de route (les frontières franchissables) ; 4 – La direction est-elle bloquée ? ; 5 – Coincés dans un véhicule de plus en plus fragile ». La métaphore est certes exploitée bien lourdement, mais elle donne quand même à réfléchir. 

Laissons de côté toutes les guerres chaudes qui se mènent en maints endroits, ainsi que tous les problèmes politiques, géopolitiques, géostratégiques divers, qui introduisent pourtant une redoutable instabilité dans les relations internationales.

Pour ne parler que de l’état de la planète, on peut commencer par citer ce qu’on n’appelle plus (peut-être à tort) l’ « explosion démographique », principalement en Inde (qui s’apprête à doubler la Chine), et en Afrique (les projections pour 2100 tablent sur un total de 4,2 milliards). Combien d’humains en 2100, Madame Irma ? Et combien d’humains entassés dans de gigantesques mégapoles échappant à tout contrôle ? 

Et cette population, il faudra bien l’abreuver, mais aussi arroser les champs qui permettront de la nourrir. Y aura-t-il de l’eau pour tout le monde ? Qui tiendra les robinets ? Les propriétaires accepteront-ils de partager ? Les constructeurs de barrage feront-il barrage aux gens situés en aval ? Pourquoi croyez-vous qu’Israël s’accroche au plateau du Golan comme un morpion à son poil ? Parmi les raisons stratégiques, la première est sans doute le besoin qu’il a de maîtriser la source d’approvisionnement du territoire en eau. 

Et puis il y a les océans. Quid de l’acidification, qui induira la disparition du plancton ? Quid de ces continents virtuels faits de bouts de plastique qui flottent entre deux eaux, et qu’on retrouve dans le ventre des albatros morts ? Quid de la disparition des barrières corallières ? Des mangroves côtières, indispensables zones intermédiaires entre la terre et les humeurs océaniques, parfois dévastatrices ? Quid de l’appauvrissement des mers, aux populations halieutiques surexploitées par d’énormes bateaux-usines ? 

Et puis il y a la voracité des bétonneurs qui font main basse sur le sable des côtes pour construire toujours plus d’orgueilleux gratte-ciel, redessinant jusqu’au massacre les dites côtes sans se soucier de la vulnérabilité du littoral que leur goinfrerie provoquera.

Et puis il y a les forêts, ces « puits à carbone », paraît-il. Combien de pays se hâtent d’en faire disparaître de copieuses portions pour les remplacer par des plantations d’hévéas ou de palmiers à huile, parce que ça rapporte davantage en devises ? Mais Ségolène Royal a obtenu de Nutella l’assurance indignée que l’huile de palme que nécessite sa pâte à tartiner est issue de cultures écologiquement responsables et commercialement équitables. 

Et puis il y a l’agriculture industrielle qui extirpe toute vie des sols qu’elle colonise, à coups de pesticides et autres intrants agro-chimiques, les rendant de plus en plus stériles et rétifs à nourrir l’humanité. Et puis il y a les OGM certifiés et dûment brevetés (on appelle ça la « propriété intellectuelle ») de Monsanto, Bayer CropScience et Syngenta, et disséminés dans le monde entier par ces apprentis-sorciers qui n’en ont rien à faire de la santé humaine. Et puis il y a l’industrialisation galopante des élevages bovins, la gestion informatique des troupeaux d’ovins, les batteries de veaux, cochons, couvées soignées préventivement à grands coups d’antibiotiques. 

Et puis il y a les populations humaines, en bout de chaîne alimentaire, qui mangent les produits de cette agriculture, et qui cumulent les saloperies qui y ont été mises. Qui avalent toutes sortes de trucs et de machins terriblement savants, en toute confiance ou parce qu’ils n’en peuvent mais. 

Je m’arrêterai là dans l’énumération non exhaustive. 

Non, il n’y a pas que le réchauffement climatique. Il y a aussi du souci à se faire. 

Ce qui est pratique, dans le réchauffement climatique, et qui fait oublier tout le reste, c'est que la responsabilité est partagée par plusieurs milliards de personnes, c'est-à-dire tout le monde, autrement dit : personne. Si tout le monde est coupable, nul ne l'est. Comment faire, quand le coupable est anonyme et abstrait ? Et ça évite de regarder le problème en face.

Le problème ? Le mode de vie à l'occidentale, dévoreur d'énergie. Réservé à une petite partie de l'humanité (l'occident capitaliste, matérialiste, colonialiste), ce mode de vie est une verrue sur la joue de la planète : c'est laid, mais pas mortel. Multiplié par sept (l'humanité entière), c'est un fléau. Nous faisons semblant de ne pas voir que c'est la façon dont nous vivons qui, étendue à la planète, condamne celle-ci à l'asphyxie. 

Il n'y a pas de croissance propre. Si la COP21 ne se préoccupe que de rendre la croissance accessible aux pays pauvres et émergents, elle est déjà programmée pour un échec.

Qui, sur Terre, serait aujourd'hui prêt à se priver de tous les avantages, à toutes les facilités, à tout le confort que procure la technique ? Moi non plus, je n'ai aucune envie de vivre dans la frugalité.

Le cœur du chaudron où mijote le problème est là, et pas ailleurs.

Voilà ce que je dis, moi.

lundi, 30 avril 2018

EN ATTENDANT L'EFFONDREMENT 1

22 juin 2015

Le pape François a raison !

1/3 

SERVIGNE & STEVENS.jpgLe monde est en mauvais état, ça commence à se voir et même à se savoir. Le pape François en personne s’en est aperçu, c'est dire (cf. son "encyclique" Laudato si). Mais l’Eglise catholique est dans un tel délabrement que je n’ai plus envie d’appuyer sur la détente. On nous fait un ramdam pas possible au sujet du ramadan. On s’est bien gardé, le 25 mars, de signaler aux chrétiens le jour de l’Annonciation, que je sache. Plus la France se musulmanise dans les médias et dans la rue (sur le refrain : « Il faut être tolérant, voyons ! »), plus j’ai envie de revendiquer les racines chrétiennes de ma culture, même sans avoir la foi. Mes racines les plus profondes sont là, et nulle part ailleurs. Puisque d'autres revendiquent avec force (et même parfois avec violence) leur identité, je ne vois pas pourquoi je n'affirmerais pas la mienne. Ce serait bien mon tour. Passons.

Le pape a donc raison avec son encyclique dédiée à l’état de notre environnement naturel. Qu’on examine la santé de la planète, qu’on mesure les ressources en eau ou en alimentation (leur qualité, les substances diverses qu'on nous fait avaler), actuelles et futures, que l’on comptabilise les kilomètres carrés de forêts qui disparaissent, qu’on assiste, effaré et impuissant, à la cancérisation du Moyen Orient et de quelques régions d’Afrique par des mafias impitoyables armées de leur islam guerrier, chassant sur les routes de l’exil des troupeaux de réfugiés, qu’on écoute la litanie interminable des déboires économiques qui attendent encore la France, – quoi qu’on fasse, on ne peut que constater les dégâts. 

Quand on aborde les problèmes un par un, on pourrait presque se prendre à espérer en des solutions, et se dire que le pire n’est pas toujours sûr. C’est quand on les met bout à bout que le tableau d’ensemble commence à apparaître et à devenir effrayant. C'est la somme des maux qui touchent la planète et l'humanité, c'est aussi la diversité de leurs causes et de leur origine qui finissent par paraître menaçantes et monstrueuses. Les lieux du monde où sévit le Mal sous toutes ses formes tendent à se multiplier, et les multiples façons dont le Mal s’exprime tendent à envahir le paysage. Même pas besoin d’être pessimiste : il suffit de se tenir informé et de garder ouverts les yeux et les oreilles. 

C'est la raison pour laquelle on a bien du mal à comprendre l’optimisme, fanatique autant que ravageur, qui habite certains commentateurs et observateurs soi-disant « avertis », genre Laurent Mouchard-alias-Joffrin, de Libération (pas le seul, hélas), qui persistent dans une stupéfiante confiance dans le « Progrès » indéfini de l’humanité et dans les solutions techniques aux problèmes que la technique a engendrés (l'innovation au secours des dégâts des innovations précédentes : le pompier venant éteindre à coups de pétrole l'incendie qu'il a allumé).

Je n’ose croire qu’ils se vautrent sciemment dans le mensonge, sauf à imaginer qu’ils en tirent un bénéfice personnel, à la façon de ces « think tanks » à l’américaine qui, largement subventionnés par les intérêts de ceux qui y ont intérêt, vous déversent à la demande du climato-scepticisme comme s’il en pleuvait ou de la croyance absolue dans les bienfaits des OGM ou des néo-nicotinoïdes dans l’agriculture. 

Je viens d’apprendre l’existence d’un livre (Osons rester humains. Les impasses de la toute-puissance) de Geneviève Azam au sujet de la si fragile toute-puissance de l'humanité actuelle. Je le lirai peut-être [ce n'est toujours pas fait trois ans après : effet de saturation ?]. La dame, à la radio, parle en tout cas de façon pertinente et mesurée. Et le vieux poids lourd Edgar Morin lui apporte son soutien en écrivant "Lu et approuvé" dans Libération du samedi 20 juin (même jour que le Terre à terre de Ruth Stégassy, qui avait invité Geneviève Azam dans son excellente émission, sur France Culture).

MORIN EDGAR.jpg

Mais aujourd’hui, je veux évoquer le petit volume de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer (Seuil, collection « Anthropocène », avril 2015). Car l’ambition de ce bouquin est précisément de mettre bout à bout les problèmes qui menacent l’humanité. Le sous-titre est éclairant : « Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes ». Je le classerai parmi les « mauvais bons livres ». Je dirai pourquoi. 

« Collapsologie », donc. Pourquoi pas ? Le terme existe sans doute déjà, dans cette Amérique qui a tendance à nous envoyer, avec quelque retard, toutes ses trouvailles, jusqu’aux plus débiles, saugrenues et malfaisantes. Mais « générations présentes » est aussi à relever : pour les auteurs, les menaces qui pèsent sur la planète ne doivent pas être pensées dans un lointain futur, mais sont à prendre en compte dès aujourd’hui. 

Va donc pour cette nouvelle discipline scientifique : la science des effondrements. Drôle d’idée quand même de faire de l’effondrement un objet d’étude scientifique. D’ériger l’effondrement en concept, en objet d’observation en soi. Je ne comprends pas bien cette tournure d’esprit, qui pose un objet largement conceptuel sur la paillasse pour voir s’il obéit à des lois qui lui sont propres.

Ça me fait un peu penser à une des définitions qu’Alfred Jarry donne de la « ’Pataphysique » : « … la ’pataphysique sera surtout la science du particulier, quoiqu’on dise qu’il n’y a de science que du général. Elle étudiera les lois qui régissent les exceptions … » (c'est dans les Gestes et opinions du docteur Faustroll, pataphysicien). J'adore quant à moi les lois qui régissent les exceptions. Sans exception.

De là à voir dans « l’effondrement » un objet pataphysique, il y a un pas que je me garderai de franchir, tout en esquissant le geste. Je veux dire que j’ai un peu de mal à envisager un concept qui s’appellerait « effondrement » : il faudrait disposer d’une belle série historique d’effondrements passés pour difficilement en tirer des enseignements de quelque validité. L’Empire romain, les Mayas (qui sont cités), je veux bien, mais scientifiquement, ça paraît bien léger. Y a-t-il des "lois" qui président aux effondrements ? Ou, plus probablement, chacun est-il un exception ? Un cas unique ?

On n'est finalement pas très loin de la 'Pataphysique, il me semble. Que les auteurs n'aient aucun souci, ils ne risquent rien : « La 'Pataphysique est la science ... » (dernière phrase du Faustroll).

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 24 avril 2018

ISLAM DE FRANCE ET ANTISEMITISME

Il y a beaucoup de gens que je n'aime pas du tout, dans la liste hétéroclite et copieuse (un vrai "inventaire à la Prévert", y compris le raton-laveur) des signataires du "Manifeste des 300" sur le "Nouvel antisémitisme". Mais sur le fond, le salopard auteur du texte (je me refuse à citer son nom) et tous ceux qui y ont apposé leur signature ont raison, je suis contraint de le reconnaître : la France est redevenue une terre d'antisémitisme depuis que le nouvel islam conquérant a fait reconnaître ses droits "religieux" par ce qui n'est plus une "République laïque". Je plains terriblement les pauvres Tarek Oubrou (imam de la mosquée de Bordeaux), Dalil Boubakeur (mosquée de Paris) et autres dignitaires sûrement respectables et bien intentionnés (je dis ça, mais je n'ai pas la preuve) de se sentir obligés de monter au créneau, parce qu'ils ne veulent pas d'une "stigmatisation" de l'ensemble de la communauté musulmane. 

Je comprends leur visée diplomatique : ils ne veulent se mettre personne à dos. Mais leurs dénégations pleines de craintes diverses pour l'avenir (qui pourraient, à la limite, être interprétées comme des menaces, voire un chantage) ne doivent pas occulter la réalité actuelle de l'islam de France : si l'on peut parler aujourd'hui du retour d'un antisémitisme de masse, nous le devons exclusivement à l'incroyable espace que s'est ouvert l'islam sur le territoire français. Nous le devons à l'empiétement progressif et méthodique d'un islam rigoriste et rétrograde sur l'ensemble des libertés dont nous jouissons encore aujourd'hui en France, et dont la moindre n'est pas celle de ne croire en aucun dieu (l'islam interdit au croyant de ne plus croire – crime d'apostasie – et le droit de ne croire en rien est, pour les musulmans, un acte d'impiété, un blasphème, un outrage à dieu, un sacrilège digne des pires supplices). 

S'il reste des antisémites de France en France, c'est à l'état groupusculaire et résiduel qu'ils survivent tant bien que mal, quelque part dans les extrêmes-droites (avec des allumés d'extrême-gauche rouge-brun ou islamo-gauchistes qu'on se demande comment ils ont atterri là). Il n'y a pas de nouvel antisémitisme chez les Français d'extraction européenne. Il n'y a pas de problème de laïcité en France. Il n'y a que trois problèmes : l'islam, l'islam et l'islam.

Parce que, derrière tous les musulmans bien intentionnés qui ne demandent qu'à s'intégrer, il n'est pas difficile, pour qui sait écouter et regarder, de discerner, dans le brouillard artificiel qu'ils s'efforcent de répandre autour de leurs agissements, le militantisme et l'activisme de tout un tas de gens aussi discrets qu'ils se veulent efficaces (et qui se tirent la bourre, entre salafistes, wahabites, frères musulmans, adeptes du tabligh, sectes diverses, etc., etc.) auprès des populations venues du Maghreb, d'ailleurs et même de France.

Ces gens travaillent. Et leur grande force (j'allais dire leur supériorité), c'est qu'ils ont l'éternité devant eux. Pensez, par comparaison, à l'inimaginable volontarisme actif (et sacrificiel) des premiers évangélistes chrétiens qui ont répandu le catholicisme en Europe du deuxième siècle de notre ère à Charlemagne (pour aller vite), pour faire de notre continent la patrie d'une civilisation qu'on est bien obligé de reconnaître supérieure à tout ce qui s'est fait auparavant et partout ailleurs en matière de civilisation (puisqu'elle a fini par englober toutes les autres : appelons-la la civilisation du rayonnement intellectuel, de la technique régnante et de la marchandise).

Marcel Gauchet le redit dans Le Désenchantement du monde : « Le christianisme est la religion de la sortie de la religion ». C'est peut-être en cela que la civilisation européenne a fini par dominer le monde (abâtardie, hélas, par la prise de pouvoir de l'Amérique sur l'ensemble du monde, y compris sur la "vieille Europe", engluée dans les "valeurs" et la "morale"). Je crois en la supériorité de la civilisation européenne sur toutes les autres formes de civilisation.

Entre autres signes de la supériorité de la civilisation occidentale (je n'ai pas dit "américaine", je devrais peut-être dire "européenne"), j'en vois une preuve dans le fait que le rôle de la basse dans la Neuvième de Beethoven est tenu par un certain Kwangchul Youn, dans le concert retransmis sur France Musique le jeudi 26 avril 2018. J'en avais vu une autre dans le fait qu'un Japonais avait consacré dix ans de sa vie à copier méticuleusement la Crucifixion de Grünewald au musée Unterlinden de Colmar. Si ça ne s'appelle pas du rayonnement universel, j'aimerais qu'on me dise ce que c'est.

Les responsables politiques français sont trop lâches : à les entendre, notre civilisation est sur la défensive et n'a plus rien à apporter au monde, sinon une immense repentance et une éternelle culpabilité pour le mal qu'elle a fait au monde en même temps que tout le bien qu'elle lui a apporté. Bien et mal sont rigoureusement inséparables dès le moment qu'une culture devient dominante pour imposer son style et tout son bagage à toutes les autres. Je ne reconnais presque plus rien de la civilisation européenne dans ce que l'américanisation frénétique de nos objets et de nos esprits en a fait.

Au sujet de l'islam, les responsables politiques français sont trop lâches pour dire la vérité à ce sujet et affronter de face la réalité du problème de l'offensive en cours – car c'est d'une offensive qu'il s'agit –, qui prend, tour à tour et selon les circonstances, le visage aimable du musulman bien intégré (par exemple CFCM, pourquoi pas ?) et le masque hideux du fanatique prêt au djihad et au sacrifice de sa vie (pourvu que ce soit aux dépens de celle des autres). Les deux ne sont peut-être pas interchangeables, mais ils sont issus du même tronc de la même plante. S'ils étaient dotés d'un minimum de courage et de lucidité, les responsables politiques français se rendraient compte de la réalité de la menace que fait peser cet islam conquérant sur l'avenir de la France.

Ils feraient ce constat qu'une majorité de musulmans, en France, déteste les juifs, et cela pour une raison bien connue : la domination colonialiste de l'Etat d'Israël sur l'ensemble de la Palestine, qui ne laisse aux Palestiniens que des lambeaux de plus en plus réduits de territoire. Et la situation ne cesse de s'aggraver (essor incessant de la colonisation de la Cisjordanie, essor inexorable des partis fondamentalistes,  ultra-religieux et d'ultra-droite en Israël). Et plus la situation s'aggravera là-bas, plus les musulmans présents sur le territoire français prendront fait et cause pour leurs "frères". Les juifs de France n'ont pas fini d'avoir des soucis. Et l'on peut bien s'en douter : après les juifs, on trouvera un jour dans la ligne de mire les Français de la France chrétienne ou athée.

On entend déjà bien, ici ou là, de temps en temps, résonner des « sales Français », dans la bouche de gens qui savent pourtant très bien, le moment venu, sortir la même carte d'identité que les "sales Français". Tout dépend du contexte et des circonstances, "musulman" étant une identité éminemment plastique puisque, du guerrier assoiffé de sang au père tranquille attaché à ses "cinq piliers", en passant par le voyou, le buveur d'alcool et le mangeur de porc, il y a, par définition, TOUT dans la collection d'islams qu'on nous présente quand il y a débat. Et pour moi, qui ai lu tout le Coran (dans la traduction si prudente et modérée de Jacques Berque), ce n'est pas tel ou tel verset qu'il faut jeter à la poubelle, c'est l'ensemble de ce mélange d'invraisemblable salmigondis et de bouillie indigeste. Un mélange dont suintent, à presque toutes les pages, la haine des chrétiens et des juifs. Presque tout le Coran (si l'on excepte de timides appels à la tolérance) est antisémite et antichrétien. S'il y a antisémitisme en France aujourd'hui, on le doit au Coran littéral, à l'islam, aux musulmans installés en France. 

Ce n'est sans doute pas pour rien que Tarek Oubrou, invité chez Alain Finkielkraut, avait porté plainte contre son interlocuteur juif, Georges Bensoussan, qui avait osé proférer cette vérité active dans bien des familles : « Les petits musulmans tètent l'antisémitisme avec le lait de leur mère ». Il semble bien, en l'occurrence, que ce soit ce dernier qui ait raison. Il n'y a pas d'islam de France, il n'y a qu'une religion en phase conquérante, qui apporte avec elle l'antisémitisme omniprésent au Proche-Orient et qui pousse ses avantages en s'appuyant sur les faiblesses mêmes que lui offre le ventre mou de la démocratie. La terre française rejette, historiquement et viscéralement, la foi musulmane, aussi fort qu'elle rejette aujourd'hui, malgré les délires de BHL (le très oubliable auteur de L'Idéologie française, 1981), l'antisémitisme.

mardi, 10 avril 2018

VOUS AVEZ DIT ECOLOGIE ?

Préambule ajouté le 9 avril 2018.

 

Il n'y a pas que la santé mentale, morale, psychologique et sociale des gens, qui pose problème aujourd'hui (voir hier).

 

A partir d'aujourd'hui, et toujours pour des raisons indépendantes de ma volonté (on ne fait pas toujours ce qu'on veut), je remets en ligne, en retouchant plus ou moins les textes, une série de billets depuis le début de la tenue de ce blog, en 2011. Leur sujet tourne toujours, et de façon insistante, autour de tout ce qui menace la vie humaine sur la terre, et la folie de destruction qui a saisi l'humanité dans l'espoir illusoire de vivre de plus en plus épargnée par les incertitudes du lendemain, et de se protéger à tout prix du manque, de l'imprévu, et même de l'imprévisible, voire de la catastrophe.

 

Catastrophe ou pas, la question me semble assez cruciale pour y aller voir, y revenir et y retourner, inlassablement. On notera que je n'ai pas dit que la question était "urgente", tant nous sommes assaillis d'urgences de toutes sortes : toute la société semble s'être muée en "société de l'urgence". Alors si tout est "urgent", à quoi bon actionner les signaux d'alarme ?

 

Bercés par le ronronnement confortable et tellement performant de nos objets techniques, nous nous sommes efforcés de rejeter hors de nos consciences l'essence invariablement tragique de notre existence. Nous avons oublié que, pour fabriquer les éléments de notre satisfaction immédiate, nous étions amenés dans le même mouvement à détruire les conditions naturelles mêmes qui rendaient possibles nos si admirables fabrications. C'est-à-dire que nous avons programmé notre propre destruction.

 

Certains billets pourront apparaître archéologiques, que dis-je : paléontologiques, donc totalement dépassés. Tant pis. Et même je dirai : pas tant que ça, à bien y regarder, si l'on fait abstraction des aspects anecdotiques et purement circonstanciels. Par exemple, on sait que Nicolas Hulot, désormais ministre "En Marche", a bien fait de se faire battre par Eva Joly en 2011 : ce monsieur incarne la défense de l'environnement de la même façon que le cumulus poussé par le vent incarne la stabilité des choses, tant il a déjà avalé de couleuvres depuis son embauche par Emmanuel Macron. Un ministre de l'écologie (ou quel que soit son titre exact) dans un gouvernement tout orienté vers la performance économique est une contradiction dans les termes. Cela ne fait qu'un fantoche de plus, me dira-t-on. Et l'on aura raison.

 

Sept ans après, ma conviction reste la même : nous sommes mal barrés. Ce qui m'impressionne de plus en plus, c'est la convergence de toutes les informations fiables (je veux parler évidemment des données mesurables fournies par les scientifiques (GIEC, ...), les spécialistes de la biodiversité (Gilles Bœuf et bien d'autres) et par une phalange d'économistes lucides (atterrés, effarés, effrayés ou autre) vers cette conclusion pas drôle. Il n'y aura peut-être pas de "convergence des luttes" pour empêcher Macron de mettre en œuvre son programme d'efficience concurrentielle dans la grande compétition ultralibérale à laquelle le monde entier est sommé de participer. Ce que je constate, c'est qu'il y a une convergence des faits qui démontrent en hauteur, largeur, longueur et profondeur l'erreur monumentale et mortelle dans laquelle le monde entier s'est engouffré.

 

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16 juillet 2011

 

Donc Eva Joly 1 – Nicolas Hulot 0. Ce fut un match assez laid, où la sportivité des adversaires laissa à désirer, où les phrases assassines et les preuves de désamour mutuel furent les plus constantes. Et la grande question est donc : quel score pour le parti Vert à la présidentielle ?  Réponse : je m’en fous. 

 

Si vous suivez ce blog, vous savez déjà que je suis tout sauf un militant, mais que pour ce qui est du « devoir citoyen », là oui, je milite, et pour l’abstentionnisme. Si les écologistes ont voulu fonder un parti, grand bien leur fasse. J’ai fait partie de ceux qui ont manifesté contre le surgénérateur de Malville en 1976, le fameux Superphénix. 

 

J’ai encore des photos de Lanza Del Vasto au milieu des CRS, et de Aguigui Mouna faisant répéter son refrain favori : « Les soldats troubadours ! Les soldats troubadours ! » ; il avait même publié quelques-unes de mes photos dans son Mouna frères, alors ! Et j’avais participé à la mise en place de Superpholix, qui s’imprimait dans la propriété d’un certain Bois-Gontier, sise à Saint-Egrève. J’y croyais. 

 

Et ça allait loin : j’ai opéré quelque temps le retrait 3 % sur mes factures EDF, qui m’a valu un correspondance assidue avec le directeur régional qui me démontrait par a + b que le nucléaire, c’était l’avenir. Je suis allé manifester à Fessenheim, au pylône de Heiteren, c’était donc avant l’ouverture de la centrale, puisque les câbles à très haute tension n’étaient pas encore posés. J’y croyais. Et quarante ans après, on parle de fermer la centrale. Quarante ans ! Qu'est-ce que quarante ans par rapport à la durée de vie des éléments radioactifs contenus dans le ventre et les intestins de Fessenheim ? Quant au village, autrefois petit bourg alsacien ordinaire, mais devenu richissime grâce à la taxe professionnelle et qui n'a bientôt plus su où mettre ses installations sportives ultramodernes et autres équipements d'avant-garde, il crie à l'injustice. Pensez : en quarante ans, des tas de gens ont fait leur vie là-bas. Oui : dès le départ, le nucléaire était bien déjà une impasse.

 

J'y croyais donc, mais je n’y crois plus. Il y a d’un côté les activités humaines, disons, pour faire court, l’industrie, mais tout ce qui se rattache à l’industrie. De l’autre, les écologistes. D’un côté, on a donc tout ce qui fait, fabrique, s’active, transforme la nature, apporte du confort et de la facilité dans la vie réelle à un certain nombre de gens. De l’autre, on a tout ce qui parle, discourt, pérore, baratine, bavarde, s’exprime. D’un côté, on a donc ceux qui disent : « Cause toujours ! » à ceux de l’autre côté. 

 

Mais je parle des écologistes, alors que je devrais parler de tous les politiques. D’un côté ceux qui font, de l’autre ceux qui parlent. Tiens, ça vient de sortir : Christophe de Margerie est PDG de Total (était, devrais-je dire, depuis que son avion s'est écrasé sur une déneigeuse russe). Il veut augmenter le prix de l’essence (évidemment, le début des vacances, c’est le moment idéal). Le sang du sinistre des finances ne fait qu’un tour : il convoque le PDG. Résultat des courses ? Je ne suis pas devin, mais je veux bien prendre le pari. Ce sera : « Cause toujours ! ». 

 

Pour que le modèle industriel des sociétés se mette à l’écologie, une seule solution, et pas deux : cesser d’être industriel. Mais déjà nous, ça nous fera mal de renoncer à tous les bienfaits dans lesquels nous avons grandi. Alors vous pouvez comprendre que les deux ou trois milliards d’humains qui sont en passe d’y accéder à leur tour, ils ne sont pas prêts, mais alors pas du tout, à cesser leur mouvement vers l’avant. 

 

On reparle ces temps-ci de la baisse de la fertilité masculine (les « perturbateurs endocriniens », paraît-il). On reparle de la mortalité inquiétante des abeilles (un cocktail « parasite-produits phytosanitaires, paraît-il). On a parlé quelque temps de la directive européenne REACH, chargée d’analyser en détail et d’établir le bilan environnemental des conséquences des 100.000 molécules chimiques en circulation, mais en se gardant bien de jeter un œil sur le triptyque 1 – les très faibles doses (vous savez, l’histoire des « seuils de tolérance ») ; 2 – les interactions entre les molécules ; 3 – la durée d’exposition à ces molécules. 

 

Je veux dire que, pour ce qui est des conséquences (néfastes), tout le monde est au courant. Il n’y a même pas besoin des écologistes. Tiens : les femmes japonaises, qui vivent au Japon, ne savent pas ce que c’est que le cancer du sein. Eh bien tu vas rire : quand elles vont habiter sous les cieux plus cléments d’Hawaï, leur taux de prévalence du cancer du sein rejoint illico presto celui des femmes américaines. 

 

écologie,politique,société,littérature,eva joly,nicolas hulot,abstention,militant,malville,lanza del vasto,aguigui mouna,superpholix,fessenheim,charlotte delboCharlotte Delbo a écrit les livres les plus poignants que je connaisse sur l’enfer d’Auschwitz : je peux, encore aujourd'hui en lire tout au plus trois ou quatre pages de suite. L’un est intitulé Une connaissance inutile. Le contexte n’a évidemment rien à voir, mais je pense que ce titre est tout à fait adapté au discours écologiste actuel. Alors la guéguerre Hulot-Joly, vous me permettrez de m’en tamponner allègrement le coquillard. 

 

Que faire ? Oui : que faire ? Une seule chose : prendre le plus possible, le plus souvent possible, le plus grand plaisir possible. Comme disait le grand Pierre Desproges « Vivons heureux en attendant la mort ! ». 

samedi, 07 avril 2018

5-LA PLANÈTE DES RICHES

30 décembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (17).

5/5

Inégalités, planète et nombre.

Au fait, pourquoi a-t-on appelé les années 1945-1975 les « Trente Glorieuses », la célèbre formule de Jean Fourastié ? On nous parle complaisamment de l’incomparable prospérité qu’ont connue les pays développés et du taux de croissance faramineux de l’activité économique. C’est vrai, évidemment. Je fais juste remarquer que cette prospérité et cette croissance sont concomitantes de cette autre vérité incontestable : ce furent sans doute les années les moins inégalitaires de l’histoire, comme cela apparaît clairement dans Le Capital au XXI° siècle de Thomas Piketty. Prospérité, croissance et redistribution dans un même bateau ! Bon dieu, mais c’est bien sûr ! Il suffisait d’y penser ! 

Sans être économiste, j'ai tendance à me dire que ce n'est pas une simple coïncidence et que, pour que les entreprises marchent du tonnerre de Dieu, il suffirait peut-être de donner aux populations le pouvoir d’achat qui permettrait à la machine économique de tourner à plein régime. De l'intérêt bien compris, en somme. Cesser de draguer et de gaver l'actionnaire (le soi-disant investisseur, mais vrai spéculateur : à vrai dire, trois mots devenus interchangeables, ou pas loin) pour mettre un peu d'huile dans les rouages de la vie des laborieux, pour qu'ils aient chaque matin envie de retourner au charbon parce que ça vaut le coup. Au lieu de se demander, comme beaucoup font actuellement, de quelle humeur sera la guillotine ce matin.

La voilà, la solution : modérer les inégalités de richesse, c’est bon pour tout le monde ! Pas le communisme, non, surtout pas cette façon militaire et policière de niveler par le bas : juste une redistribution convenable pour la prospérité de tous, avec des inégalités qui puissent avoir des airs acceptables. Des inégalités un tantinet justifiées (par le talent, le mérite, le travail, bref : des "valeurs", mais des vraies, pas des abstractions). Ce qu'il faut retenir ? Que pendant trente ans, les pays industrialisés ont magnifiquement crû et embelli en partageant (approximativement) les richesses produites entre ceux qui en fournissaient les moyens et ceux qui les produisaient par leur travail.

Et ça n’a pas si mal marché, en fin de compte, tant que l’activité est restée concentrée sur une quinzaine de pays industrialisés. Allez, soyons sympa : les trente-cinq membres de l’OCDE. Tant qu’ils sont restés entre eux, et aussi longtemps qu’a duré la croissance de ces marchés, jusqu'à ce qu'une majorité de gens aient acquis les premiers éléments du confort qui est le nôtre aujourd'hui. Bon, c'est vrai que, pendant tout ce temps, la prédation des ressources a continué joyeusement, mais enfin à destination d'un nombre limité de pays : trente-cinq pays, ça ne fait pas une planète. On pourrait se dire que ce qui a marché pour quelques-uns, il n'y a pas de raison pour que ça ne marche pas pour tout le monde. Très belle idée, c'est sûr, mais il y a une sacrée arête en travers de ce gosier.

Car c'est vrai qu'on voyait bien, déjà, les dégâts que ça faisait. Bon, le principe de la pollution, s'il commençait à être bien identifié par quelques illuminés (Pierre Fournier et La Gueule ouverte, les premiers écolos, "nucléaire non merci", Malville, Philippe Lebreton, alias professeur Mollo-Mollo,  ...), était tout aussi largement nié par les "autorités compétentes" qu'il était concrètement à l'œuvre. Mais tant que c'était dans les ailleurs que c'était pollué, vous comprenez ... avant qu'on se rende compte que ça se passait aussi chez nous (air, terre, eau, etc.). M'enfin, du moment que les affaires prospéraient ... on ne chipotait pas trop.

Malheureusement, une fois les marchés à saturation, il a bien fallu en ouvrir d’autres et, pour cela, donner un peu de pouvoir d'achat à ces "autres", pour qu'ils puissent acheter. C’est peut-être cette logique qui a lancé la mondialisation, avec son cortège de délocalisations et de concurrence de toutes les mains d’œuvre (mot d’ordre : alignement sur le plus bas salaire : Bangla Desh par exemple).

Je saute des étapes, mais l'axe directionnel est à peu près là. Bon, c'est vrai, pour assister comme aujourd'hui à la montée fulgurante des inégalités, il faut qu'il se soit passé quelque chose d'autre : il faudrait se demander aussi ce qui a permis une telle confiscation de la création de richesses par un petit nombre de cumulards infernaux. Sans doute le couple diabolique Reagan / Thatcher. Paul Jorion, de son côté, voit dans cette concentration de richesses une des principales menaces qui guettent.

Il serait aussi intéressant de se demander dans quelle mesure la saturation de marchés déjà gavés n'a pas été pour quelque chose dans la course à l'innovation à tout prix et dans tous les domaines, concurrence exacerbée oblige. Je dis ça en passant, mais il y aurait peut-être de quoi s'arrêter un moment.

Toujours est-il que, après le pouvoir d'achat, les "autres" ont voulu davantage, comme par exemple ce qu'on appelle des "transferts de technologie" : il a fallu exporter les savoir-faire, les techniques, les compétences, pour "conquérir" des marchés. Tant et si bien que les "autres", à commencer par la Chine, sont devenus des concurrents à part entière. Pas de chance, hein ! C'est la logique même du profit qui a donné à l'Occident la prééminence, et qui lui a, du même mouvement, ôté cette prééminence, en même temps que l'initiative et la créativité, l'invention et l'innovation. L'Occident a livré aux "autres" les secrets qui avaient fait sa domination. A quelques détails près, je trouverais presque qu'il y a quelque chose de christique dans cette façon de donner de soi. Sauf que ...

Sauf que, étendez aux deux cents pays du monde la façon de produire et de consommer des trente-cinq privilégiés, et le monde n’y résiste pas. Cela veut dire que, de toute façon, le "modèle économique" inventé en Europe, en plus d'être carrément inéquitable, n'était pas raisonnable. Et une fois que l'Amérique protestante et mercantile s'en est emparée, il s'est montré carrément déraisonnable et sans frein. Alors vous pensez, une fois étendu à tous les pays en quête de croissance, de confort et de bien-être, le modèle, il est devenu définitivement insensé, impraticable et suicidaire.

Alimenter en matière, puis en produits de consommation une aussi grosse machine à produire et à consommer revient à piocher sans mesure dans le capital. Pour simplement dire qu’elle fonctionne, cette économie-là est obligée de vendre les bijoux de famille : je veux dire la nature. Cette humanité-là dilapide, pille les ressources, elle tue la poule aux œufs d’or.

Le problème, avec les êtres vivants, c’est que ce sont des prédateurs, tous sans exception. A partir du moment où il faut vous nourrir pour « persévérer dans votre être », vous prenez le carburant qu’il vous faut où il se trouve : le plus disponible, le plus nutritif, le plus facile, le plus près, le plus faible. La preuve, regardez l'immigration du loup des Abruzzes, d'abord discrète et précautionneuse, qui s'est progressivement fait dévastatrice chez les brebis (les écolos peuvent gueuler, c'est quand même la vérité). Le scénario est toujours le même : prendre, manger, déféquer. Prédation, consommation, déjection. Où que vous regardiez, quand vous avez à faire au vivant, c’est le cycle, quasiment mécanique, aujourd’hui encore. Ni vous ni moi ne faisons exception à la règle, à la différence que notre ingéniosité nous a faits les royaux prédateurs de tout, y compris du loup, heureusement.

Aussi longtemps que vous avez par-ci par-là un bonhomme qui prélève dans son environnement de quoi « persévérer dans son être », qui consomme et qui abandonne ses déchets là où il les a faits, l’environnement est content : il fait ce pour quoi la nature du lieu l’a fait, il accueille un étranger pour un temps, et il possède tout ce qu’il faut pour digérer (recycler) ce qu’il laisse en partant. La question du nombre est primordiale. Comme disait l’autre (peu importe cet autre) : «  Quand il y en a un, ça va, c’est quand il y en a beaucoup que ça pose problème ». Rien de plus vrai en l’occurrence. Comme disait Fernand Raynaud dans je ne sais plus quel sketch : « Vous prenez dix sages, vous les serrez, vous obtenez un fou ». Mais quel âge faut-il avoir pour se souvenir de Fernand Raynaud ?

L’humain c’est ça : clairsemé, il passe inaperçu ; serré, il prend des maladies. Tout seul ou presque, c’est à peine si on s’aperçoit de sa présence : il laisse si peu de traces qu’il faut quelques dizaines de milliers d’années pour que des fondus en dénichent dans des sols improbables : ici une molaire, là une mandibule, ailleurs un tibia ou une calotte crânienne. Quand, avec le nombre, il commence à en laisser beaucoup, on appelle ça des déchets. Car c’est quand il se concentre que ça ne va plus. La première chose à prévoir, quand on organise un rassemblement populaire, en même temps que le ravitaillement, c'est l’emplacement des « feuillées », vous savez, ces chiottes de campagne rustiques où règne la convivialité, sinon gare aux conséquences diverses.

Pour les véhicules à moteur, c’est pareil : l’époque des De Dion-Bouton, Delahaye, Hotchkiss, Rosengar, Delage (véhicules polluants s’il en est) fait figure d’âge d’or et de folklore vintage. Rien à voir avec aujourd’hui, où les habitants de New Dehli (Inde) sont obligés d’installer un brumisateur géant pour faire retomber au sol les particules fines offertes par les pots d’échappement. Et ceux de la vallée de Chamonix bénissent tous les jours le percement du tunnel, qui leur apporte fidèlement les fumées toxiques quotidiennement sorties des pots d’échappement de milliers de poids lourds (582.000 chambres à gaz roulantes sur l’année 2012 : je pense à l’usage qui était fait des camions et des pots d’échappement dans certains camps nazis). Mille mercis, le Nombre !

J’ai entendu je ne sais plus qui soutenir je ne sais plus où que la planète est idéalement faite pour cinq cents millions d’humains. On en est à sept milliards (en comptant les femmes et les petits enfants, comme faisait maître François Rabelais). Soit dit en passant, mille mercis à la Médecine, pour la grenade démographique qu’elle a dégoupillée et qui n’a pas fini d’exploser (les Nigériennes font six ou sept enfants chacune, dans un pays très pauvre qui compte 20 millions d'habitants : qu'adviendra-t-il en 2050, où on en prévoit 79  millions ?). Les grandes âmes entonnent régulièrement leur refrain préféré : « La Terre pourrait nourrir dix milliards d’individus … ». Il faut à peine les pousser pour qu’ils ajoutent : « … si … ». Si quoi ? Réponse : « Si l’on procède à un partage équitable des ressources ». Equitable ! Tu l’as dit, bouffi !!!

Équitable ? Même Bill Gates le philanthrope ne veut pas être équitable. Il veut faire le Bien, et que tout le monde le sache, c'est différent. Il veut écraser les pauvres de sa Bonté. En vérité qui, à part quelques gogos de consommateurs bobos, tient à favoriser un commerce équitable ? Eh bien voilà, c’est tout simple : c'est la raison pour laquelle personne n’est pas plus en mesure de lutter contre les inégalités que contre les atteintes irréversibles à l'état de la planète. Tout ce qui est au sommet de la pile est trop heureux de respirer un bon air pur, de se sentir du côté du Bien et d’orienter les décisions dans le sens favorable au maintien du statu quo. Tout ce qui est en bas a juste le tort d’être en bas : on respire moins bien, on est trop serré et on a trop de poids sur les épaules et pas assez sur les décisions pour faire bouger quoi que ce soit. Édifier un monde juste ? Vous n’y pensez pas ! Qui est là pour vous entendre ?

Car accessoirement, voilà aussi la raison pour laquelle la nature elle-même est mal partie : le pillage n’est pas près de s’arrêter. L'état économique des gens et l'état écologique de la planète sont promis au même sort. Ils sont indissolublement liés et, selon toute apparence, pas pour le meilleur. Une consolation quand même : quand tout sera fini, il n'y aura plus personne, après coup, pour pointer son "gros doigt grondeur" sur les cancres pour dire : « Personne ne pourra dire qu’on ne savait pas ». Il n'y aura plus un seul donneur de leçon.

On respire presque bien à cette idée.

Voilà ce que je dis, moi.

mercredi, 28 mars 2018

L’HUMANITÉ EN PRIÈRE 3

18 novembre 2017

Des nouvelles de l'état du monde (7).

3/4

LA SUBVERSION PAR LA TECHNIQUE

Revenons aux bienfaits et méfaits de la technique : tout outil peut, à l'occasion, se transformer en "arme par destination" (comme disent les juristes pénalistes) : marteau ou tournevis, ou encore « un coup de bûche excessif » fera très bien l'affaire pour « estourbir en un tournemain un noctambule en or massif » (tonton Georges). Parmi les maux, les vices et les tragédies dont souffre notre "Modernité", beaucoup sont aimablement fournis par les mêmes instruments qui ont façonné notre si splendide, si brillant et si confortable cadre de vie. Tous les Comités d'Ethique sont de grossiers alibis flasques, de vulgaires rustines gélatineuses pour faire semblant de boucher des trous : certes oui, on peut dire que la technique est la MEILLEURE des choses produites par l'humanité. 

Mais la technique est aussi (et dans le même mouvement) la PIRE. Demandez donc à Günther Anders et à son concept de « honte prométhéenne » ce qu'ils en pensent : comment pouvez-vous être heureux et fier d’avoir créé un objet (il pensait à la bombe atomique) dont la puissance dépasse allègrement  toutes vos capacités de contrôle ? Comment se fait-il que nous soyons comme des bambins béats devant des objets qui surpasseront bientôt nos capacités de compréhension ?

Georges Friedmann, déjà, connu comme sociologue du travail, était plus raisonnable, qui s'inquiétait de ce que la technique a forcément des effets non négligeables sur la structure même de la société et sur la représentation du monde qu'elle induit. Ce que Günther Anders reproche à la technique quand l'homme laisse libre cours à son génie inventif et innovant est très simple : plus l'objet fabriqué contient d'ingéniosité et de complexité, moins son utilisateur est capable d'en comprendre le fonctionnement, donc de rester pleinement maître de ses actes. Il est juste dépassé. Par l'objet, par tout l'amont industriel devenu invisible dans l'objet fini, par tout son quotidien, façonné par l'accumulation de ce type d'objet.

Essayez donc de réparer votre télévision, votre IPhone, votre tablette numérique, pour voir. Essayez donc d'intervenir en quoi que ce soit sur vos objets connectés, tiens, pour voir. Cela s'appelle de l'incompétence. Les ravis du numérique sont tous (ou presque) des incompétents. Ils se contentent de biberonner la nouveauté à la mamelle des GAFA, nourrices modernissimes. Et de compter, en cas de besoin, sur les petites mains des techniciens spécialistes, auxiliaires puériculteurs.

Quand le juge estime que l'automobiliste aurait pu éviter l'obstacle qui s'est invité tout d'un coup dans son champ de vision, il lui colle une amende pour un motif très simple :  « défaut de maîtrise du véhicule ». Je pose la question : sur lequel des objets qu'il utilise quotidiennement, voire en permanence, son utilisateur a-t-il la maîtrise ? C'est exactement ce que reprochait à la technique Günther Anders dès les années 1950 : nous ne parvenons plus à maîtriser les objets produits à grands renforts de neurones dans les laboratoires de "Recherche et Développement". Défaut de maîtrise ! Nos objets nous échappent.

Nous ne pouvons plus soutenir le rythme, ne serait-ce que pour esquisser un effort d'adaptation. Par le simple geste de l'achat, nous voilà promus au rang d' « utilisateurs », c'est-à-dire, ni plus ni moins, de « consommateurs » réduits à la passivité. Aussi frénétique que soit notre usage de l'objet, le seul fait de l'utiliser est un acte d'obéissance, de soumission, d'allégeance, puisqu'il entraîne un lien de dépendance, de la conception au mode d'emploi, en passant par la réparation éventuelle : il nous échappe. Cela signifie que ce sont ces objets qui nous agissent. Ils ont pris l'initiative, et nous suivons.

Notre seul choix d'hommes libres : dire oui ou non à ce programme. Ceux qui disent oui sont mus soit par leur contexte professionnel, forcément impérieux, soit par l'idée qu'ils se font des avantages procurés, dont ils seraient bien bêtes de se passer, « c'est tellement pratique ! ». Bref : ils adhèrent. Celui qui dit non a au moins la satisfaction de se dire qu'il reste libre, lui. Malheureusement, il se trouve dans un environnement de plus en plus généralement gouverné par ces objets. A quoi bon entretenir son petit lopin en agriculture biologique, quand celui-ci est cerné par des terres bourrées de chimie ? Il n'y aura pas d'îlots préservés. Rendez-vous, vous êtes cernés.

Les tribus primitives avaient un peu plus de sagesse que nous, quand elles prenaient le temps qu'il fallait pour soumettre la moindre nouveauté à de longs palabres et à un examen détaillé des implications et conséquences possibles. Elles savaient que le risque dont chaque nouveauté est chargée était la déstabilisation de tout le corps social, du fait que la nouveauté porte en soi l'invalidation de l'existant. La nouveauté nous fait trouver ringard, vermoulu, arriéré, périmé ce que nous avons, ce que nous savons, ce que nous mangeons, ce que nous pensons, et même ce que nous sommes. La nouveauté, même à dose raisonnable, vient démentir ce qui était. Pour notre malheur, plus bornés que l'humanité primitive, nous avons perdu ce savoir élémentaire. L'humanité "moderne" est devenue intestinale : capable d'avaler de la nouveauté à dose massive pour l'excréter toujours plus vite. Tout est devenu jetable. Nous faisons du monde que nous n'exploitons pas encore (ou plus du tout) une énorme décharge. Vider / remplir / vider / remplir : voilà l'horizon.

Or s'il n'y a pas la durée, il n'y a pas de vrai : qu'est-ce qu'une vérité dans un monde de changements permanents, rapides et profonds ? Qu'est-ce qu'une vérité à "obsolescence programmée" ? Pour qu'un peu de vrai puisse s'établir, il faut lui donner sa chance, lui laisser un peu de temps, voir s'il convient, pour qu'on puisse placer en lui une confiance un peu durable. La durée est une condition essentielle du vrai. Plus une vérité est précaire, moins elle est une vérité, et plus nous devenons inquiets et vulnérables. Demandons-nous en passant qui a intérêt à raccourcir sa durée de vie : à coup sûr, ceux qui travaillent d'arrache-pied à alimenter en carburant le moteur de l'innovation technique. A programmer l'obsolescence accélérée du vrai.

L'innovation technique est l'ennemie du vrai, puisqu'elle ne cesse de démentir (croyons-nous) le cadre de nos certitudes et de nos repères. Nous avons pris la stabilité et la durée en horreur. Or, plus une situation est instable, plus elle est conflictuelle et incontrôlable. Et plus elle peut devenir dangereuse : un Vrai qui se fragmente voit se multiplier des "vrais" parcellaires qui s'affrontent. Quand plus rien n'est assez fort pour unifier un corps, celui-ci devient un champ pour la bataille que se livrent ses parties.

Ceci au moins est vrai pour tout, de la mésentente conjugale et du divorce à la coexistence entre les peuples. La technique n'est que l'un des facteurs de l'instabilité (et de l'insécurité) qui monte partout mais, c'est sûr, elle joue les premiers rôles dans le fait que nous bazardons de plus en plus vite le vrai à la poubelle. Conséquence : l'insécurité (militaire, économique, climatique, identitaire, ......) grandit à tous les étages de notre magnifique building, et dans tous les compartiments. Le building tremble sur ses bases.

On nous en rebat les oreilles : seuls ceux qui sauront s'adapter seront sauvés. S'adapter ! Le commandement unique de l'époque actuelle ! On ne vous dit pas à quoi, mais "Adaptez-vous" ! Soyez réactif ! Mobile ! Labile ! Fluide ! Plastique ! Si vous n'avez pas de "projet personnel", tout est prévu pour vous forger, sur mesure et à la demande, une personnalité adaptée et adaptable. Si possible, débarrassez-vous de votre "moi", ce lourd bagage qui vous embarrasse. On vous passera dans la machine à profiler pour conformer vos "données personnelles" aux exigences du marché du moment.

Matériellement gavés, nous jetons ce que nous avons, nous désirons ce que nous n'avons pas encore (et dont des marchands avisés se hâtent de remplir nos poches et nos cerveaux). Nous devenons tous des Hans im Schnokeloch de la chanson alsacienne (« Er hat alles was er will, und was er hat das will er net, und was er will, das hat er net », "il a tout ce qu'il veut, mais ce qu'il a il n'en veut pas, et ce qu'il veut il ne l'a pas"). Hans est un homme profondément malheureux. Il est certain que le vrai, s'il ne dure pas un peu, a tôt fait de devenir du faux. Si nous ne construisons plus rien de durable et que nous choisissons l'écoulement accéléré des instants, où le suivant infirme et abolit le précédent, cela revient à dire que nous nous enfonçons dans l'erreur en même temps que dans l'inconnu. L'humanité a besoin de durée pour prendre le temps de voir venir son avenir. Plus on va vite, plus on est aveugle. 

Nous avons fait de l'innovation, du changement (ah, l'inoubliable slogan « Le changement c'est maintenant » d'un certain François Hollande), de l'invention perpétuelle d'une nouvelle nouveauté, le moteur à explosion de notre histoire. Et notre histoire elle-même, qui a pris cette histoire au pied de la lettre, explose : aucun spécialiste, aucun devin ne comprend ce qui arrive à l'humanité sous la poussée de la technique devenue folle. L'avenir est de plus en plus futur et imprévisible, donc dangereux. L'ébranlement des structures est devenu notre structure. Au bénéfice de qui ? Devinez : qui tiendra les leviers de la technique tiendra la société. Et les hommes qui la composent. Au reste, c'est ce qui est en train de se passer, avec le règne des GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft). La lutte qui est en train de se dérouler sous nos yeux est une énorme lutte pour le POUVOIR.

Notre obsession — en vérité un culte idolâtre — de l'innovation compétitive à outrance est l'incarnation parfaite de la Subversion permanente, que combattaient encore, il n'y a pas si longtemps (mai 1968, Raymond Marcellin, c'était hier), toutes les forces de l'ordre. Mais que fait la police ? Personne n'a-t-il donc aperçu ce danger ? D'où vient ce consentement massif au bouleversement de nos bases existentielles ? D'où vient que les humains acceptent avec une telle unanimité de se laisser emporter par ce torrent furieux ? Car quel ordre social (voire politique) résisterait à cet ouragan ? L'espèce tout entière n'a même pas le temps de s'adapter à son nouvel environnement que celui-ci a déjà changé. Le programme est écrit : les gagnants de la compétition seront un nombre infime, et ils laisseront à l'énorme masse des perdants gougouttes et miettes à se partager. Fraternellement, n'en doutons pas ! Personne n'a des yeux pour voir ça. Vous ne trouvez pas ça terrible ?

«  QUE FAIRE ? » Au rythme actuel des innovations, personne ne peut dire dans quel état sera la société dans deux ans : elle est emportée dans un tsunami technologique qui fascine et envoûte les foules, mais qui nous fabrique une réalité presque totalement inconnue, humainement et concrètement, que nul ne peut décrire, et qui est en train (TGV : à très grande vitesse) de réduire à néant nos points de repère et d'ancrage, sociaux et autres, pour y substituer des artefacts (algorithmes) autrement puissants dans la connaissance intime et dans le contrôle de la population (données personnelles). Un terrible pouvoir se profile à cet horizon-là.

Le pire, c'est qu'il y a apparemment une majorité de gens pour s'en féliciter et s'y livrer pieds et poings liés, consentants et enchantés, comme s'ils étaient ravis de vivre dans un roman de science-fiction. L'innovation nous submerge avant même que nous ayons pris le temps de réfléchir aux conséquences que les plus récentes, pas encore digérées (au fait, à quoi il sert, le Comité Consultatif National d'Ethique ?), entraînent sur la conduite de nos vies : si ce n'est pas une folie, j'aimerais qu'on me dise ce que c'est.

Jorion, lui, est persuadé que si des gens assez nombreux arrivent à construire les conditions d'une volonté collective forte, tout est encore possible. Tiens, comme c'est bizarre, c'était le slogan électoral de Nicolas Sarkozy en 2007 : « ENSEMBLE, TOUT DEVIENT POSSIBLE ! ». Ce mot d'ordre séduisant est un pur et simple slogan, une incantation magique, comme le constatent jour après jour les bonnes volontés qui appellent à la « convergence des luttes ». Fédérer les volontés, touchant l'avenir de la planète ? Je veux bien, mais cette belle question "que faire ?" bute forcément sur cette autre, plus problématique : "comment on fait, Toto ?". Les leaders syndicalistes eux-mêmes l'ignorent. Voilà une belle équation à quelques milliards d'inconnues.

«  QUE FAIRE ? » Je ne crois pas que c'est en devenant l'infatigable militant prêt à tous les sacrifices pour faire triompher la cause que celle-ci triomphera en effet. Au reste, pour être plus antipathique qu'un "militant pour la bonne cause", il faut une ambition et une volonté de nuire opiniâtres.

J'en dirai peut-être un mot prochainement : pour aller très vite, je reproche au militant de faire beaucoup de mal à force de circuler dans son seul tunnel, et d'être guidé par le mépris de tout ce qui n'est pas lui, au point de jeter à la poubelle neuf mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf causes (= 9.999 tunnels), toutes également respectables, pour en défendre une seule, la dix millième, celle qui le concerne, lui, à l'exclusion de toutes les autres, au motif qu'il se permet de la juger la seule noble et la plus importante - et de quel droit, cette hiérarchie entre les causes, je vous prie ? 

L’ultralibéralisme sauvage a contaminé le monde – bénévole mais plein de gnaque – des associations de militants : concurrentes déchaînées les unes des autres, elles se livrent une lutte sans merci pour atteindre le micro ou la caméra d’un média de masse ou l’oreille compréhensive d’un puissant bien disposé. La compétition fait rage. Il est entendu que celle qui gagne (celle qui se voit offrir un créneau pour délivrer son message, voire pour faire voter une loi favorable) est celle qui a su tisser le réseau le plus serré et le plus nombreux, et qui a placé aux meilleurs endroits ses agents d’influence.

L’action d’un militant, qu’il le veuille ou non, nuit à toutes les causes autres que la sienne. Le mépris, il est là : le militant, bien souvent intoxiqué de sa propre croyance, est un égoïste viscéral, doublé d’un monomaniaque intolérant, alors même qu'il endosse les frusques rutilantes de l'altruisme le plus déclamatoire. Le fait de sélectionner une seule cause dans la horde innombrable des causes possibles est une imposture. Sous l'appellation généralement valorisante de "militant", se cache le fanatisme d'un adepte qui ne voit plus le monde qu'à travers les lunettes tendues par son idole. Qui entend une seule voix et devient sourd à toutes les autres.

De cette espèce carrément imbuvable, je ne sauve que les individus qui militent pour une cause autre que la leur, ou bien pour une cause plus vaste, plus ample, plus haute qu'eux-mêmes, où les intérêts de leur petite personne ne sont en rien impliqués. Les individus d'exception, pour lesquels l'unité de l'espèce humains n'est pas fragmentable en « causes » particulières, et pour qui l'universalisme des valeurs est encore un besoin vital et inentamable. Ceux-là seuls sont "Justes" parmi les militants.

Moralité, pour sauver la planète, il ne faut pas compter sur les militants, à moins d'une campagne généralisée de "déradicalisation". Ce n'est pas gagné.

jeudi, 08 février 2018

C'EST QUOI, CORSE ?

Propos d'un Français ordinaire et endurci.

C'est quoi, au fait, Corse ?

Moi, je suis Lyonnais, je suis né là, j'y habite, et je dis et alors ? So what ? Je n'en fais pas un "brocciu" (nous, on a la "cervelle de canut").

Ils revendiquent leur minuscule identité ? Grand bien leur fasse. Ils viennent emmerder le monde à cheval sur cette identité pour en découdre ? Alors là, rien ne va plus.

300.000 insulaires arrivent à empuantir (de temps en temps) l'air médiatique que respirent 66.000.000 de Français ? Mais c'est quoi, cette blague ? J'attends qu'on m'explique pourquoi une nation de cette dimension devrait se laisser impressionner par une république de Lilliput. Et de structure clanique, qui plus est.

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Uderzo.

Ils voudraient qu'il y ait deux langues officielles en France, le français et le corse ? Mais c'est quoi cette blague ? J'espère qu'on me demandera mon avis : le corse langue officielle de la France ? Et puis quoi, encore ? Elle aurait bonne mine, la France, dans le "concert des nations", à l'ONU, où les propos de l'ambassadeur seraient traduits du français et du corse.

D'abord, le corse est-il une langue ? Même pas. Allez, une variante, une cousine de l'italien, un dialecte groupusculaire, je veux bien, soyons bon prince. Mais une langue ? Le breton, le basque, à la rigueur, mais le corse ? C'est quoi, cette blague ?  Talamoni, vieux compagnon de route des cagoulés, président de la nouvelle entité, fait des discours en corse ? Très bien, mais qu'il ne compte pas sur moi pour faire le moindre effort pour l'écouter, l'entendre ou le comprendre. Il veut nous quitter ? Je dis : bon vent !

A comparer, il y a quelque temps, avec la conférence de presse du chef de la police de Barcelone, qui s'est levé de son siège et a quitté les lieux quand un journaliste lui a demandé pourquoi il s'était exprimé exclusivement en catalan. Je m'étais dit : pour qui se prend-il, le flic en chef ?

Là où je suis prêt à reconnaître un mérite exceptionnel aux Corses, c'est à propos de la préservation de leur littoral. Alors là, je dis : "Bravo!", et depuis bien avant la création du "Conservatoire du Littoral". Une mention aussi pour I Muvrini, A Filetta et autres formidables chœurs (Marcel Pérès et son Ensemble Organum, par exemple) qui donnent une belle idée de ce que sont les polyphonies corses.  Mais pour le reste (nationalisme, indépendantisme, régionalisme et tutti quanti), je dis : vas-y Macron ! 

CORSE2.jpg

Pétillon. L'Enquête corse (Albin Michel, 2000), excellente caricature.

Demande-leur, à Talamoni, à Siméoni et à leurs copains, s'ils en veulent, de la carte d'identité de la République Française. Êtes-vous français, monsieur Talamoni ? Ils n'en veulent pas ? Allez, donne-leur l'indépendance qu'ils réclament à cor, à cris et à pétards. Mais à charge exclusive pour eux de constituer une armée, une police, une administration, une monnaie, et tout ce qui fait les nations indépendantes : le beurre et l'argent du beurre, c'est fini ! Ils se disent Français quand il s'agit de "solidarité nationale", mais Corses pour tout le reste. Ah ça oui, quand il s'agit de faire rentrer l'argent du beurre, ils sont là.

Pour le moment, je vois des petits caïds de quartier qui veulent exploiter à leur profit le territoire d'un parrain puissant, qui a trop longtemps laissé les gamins jouer avec des grenades et des kalachnikovs dans le bac à sable, en faisant semblant de les considérer comme des égaux. 

Si le gouvernement de la République en finit avec la lâcheté, la duplicité (je pense à "l'étage des Corses", à la mairie de Paris, succursale d'un succédané de mafia, du temps d'un ancien maire devenu président et d'un ancien Corse devenu ministre de l'Intérieur) ou le laisser-faire, je dis au président : Bravo !

Et puis, Macron, si ça fait du chambard au-delà du raisonnable, fais donc un petit référendum sur tout le territoire français. Je parierais volontiers qu'une majorité de Français serait d'accord pour larguer la Corse, les Corses, leurs humeurs et leurs bombes, pour ne plus entendre parler de ça.

Bye-bye, va petit mousse, où le vent te pousse.


Un bon moyen de mettre à tous ces fanatiques le nez dans leur bouse.

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Après-coup.

Il semblerait que le président affiche une "fermeté républicaine". Talamoni (le vieil ami des bandes armées qui donnaient, devant des journalistes convoqués, des conférences de presse nocturnes en plein maquis) est très déçu et amer. Il est "consterné". Il a boycotté le banquet républicain. Il annonce des problèmes et, qui sait, peut-être des morts. Des menaces, maintenant, monsieur Talamoni ? Et ce sont les Corses qui ont élu ce type-là président ? Honte à eux !

vendredi, 19 janvier 2018

"FAKE NEWS", "CANARDS" ET AUTRES INSECTES NUISIBLES

On n'entend plus parler dans les médias que de "fake news". Plus personne n'ignore le sens de l'expression, popularisée depuis peu par (et autour de) l'extravagant et dangereux Docteur Clown qui gouverne les Etats-Unis et effraie le monde. Même le président de la République française s'y est mis : il veut faire une loi pour interdire et rendre impossible la propagation des "fake news". Est-ce bien sérieux, monsieur Macron ?

Ce qui m'intéresse ici, ce n'est pas la notion de "fausse nouvelle" : l'erreur ou le mensonge ne colonise que les esprits qui y sont préparés. Les fausses nouvelles, franchement, je m'en fous : c'est vieux comme le monde. Comme disaient les Grecs : quand l'élève est prêt, le maître peut venir. Si le maître (en l'occurrence "fesse-de-bouc", "touiteur", "hache-tag", etc.) est un escroc et l'élève un gobe-mouches, à qui la faute ? On ne peut pas empêcher les gens de croire. Je plaisante à peine. C'est dire la progression du mal. Mon propos n'est pas là, il concerne l'expression anglaise proprement dite.

Car j'avoue mon ébahissement : que reste-t-il de l'âme française ? Comment expliquer l'extrême mollesse, et même l'inconsistance de la résistance qu'elle présente face à l'irruption de l'occupant ? Je sais, on va me dire que je me fâche à retardement et que le problème ne date pas d'hier. Oui, il y avait moins de 1% de Résistants en 40-43 (mais 98% en 44). Oui, le Parlez-vous franglais ? de René Etiemble date de 1964 : un demi-siècle ! La France ? Combien de Résistants ? Combien de gobe-mouches ?

Je réponds que l'Académie française, nouvelle bâtisseuse de "Murs de l'Atlantique" pour protéger notre langue, s'est jetée à de nombreuses reprises dans la bataille de la défense côtière du vocabulaire français : en vain, le débarquement s'est poursuivi, par barges entières. A cause des "mauvais patriotes", accusaient les gardiens du temple. Apparemment, le nombre de "mauvais patriotes" n'a cessé de croître, au rythme de l'américanisation des esprits, profitant de ce que l'ennemi était déjà infiltré, implanté, disséminé.

Eddy Mitchell, promoteur de La Dernière séance, mémorable émission TV, ne jurait déjà que par westerns, S.F. et polars classiques américains : les ravages du "soft power" ! Sur 67 millions de Français au dernier recensement, combien y a-t-il d'Américains ? Jean-Marie Colombani le révélait le 13 septembre 2001 : « Nous sommes tous Américains ».

L'Amérique nous a libérés pour mieux prendre la place de l'occupant : pousse-toi d'là que j'm'y mette. Pacifique, souriant et plein de chewing-gum, d'images, de chocolat et de rock'n roll. Et chrétien par-dessus tout ça. Mais attention : protestant et puritain. Protestantisme, comme dit Philippe Muray : la foi catholique devenue folle (c'est dans Ultima necat I ou II). Et il y a encore des volontaires en France pour devenir de bons Américains. La preuve avec Macron. Tout ça ne me semble pas très catholique.

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L'envahisseur a donc continué à envahir et, en dehors de quelques réussites dans la transposition dans notre langue des produits d'importation ("ordinateur" fait figure de trophée de victoire, îlot perdu au milieu d'un océan), après les anglicismes, c'est l'armée des américanismes qui a foulé de ses bottes le beau territoire de notre langue. Qui peut, et surtout qui veut l'arrêter ? Qui arrêtera les "fake news" ? J'en conclus que le mouvement est irréversible, tout comme, en d'autres temps, les Romains ont toléré, sur le territoire fraîchement conquis des Gaules, la survivance de mots et expressions idiomatiques propres aux peuplades arriérées qui y vivaient et aux langues qu'on y parlait (celtiques ou autres).

Dans un avenir que j'espère cependant lointain, le français connaîtra le même sort que le latin dans la France moderne et un jour, dans une France encore plus moderne, d'éventuels élèves d'éventuelles écoles du futur ouvriront des Gaffiot d'un nouveau genre pour étudier cette langue morte. Des professeurs de « langue et littérature ancienne » soutiendront doctement et avec véhémence qu'il n'est pas totalement inutile de connaître le français, même s'il n'est pas indispensable de le parler, en même temps que la littérature à laquelle il a donné naissance, face à des adversaires adeptes d'une modernité du futur qui, affirmant qu'il faut s'adapter, n'y verront que les vestiges vermoulus d'un passé dont on n'aura plus rien à faire.

"Fake news", donc, entend-on partout dans cette France moderne, où les esprits sont imprégnés d'Amérique, vassaux volontaires et dociles, autochtones déracinés dans leur propre maison. Comment voudrait-on que la silhouette et le portrait de la "personnalité française" n'aient pas été, sinon emportés par le flot, du moins amoindris et rognés aux entournures ? Il se trouve pourtant que ce qui survit de la langue française recèle depuis bientôt deux siècles un vocable très précis pour désigner toutes les fausses nouvelles qui paraissaient dans les journaux les moins sérieux. On (Nerval lui-même) appelait ces fausses nouvelles des "canards". Même qu'en 1915, des gens courageux, qui en avaient marre du bombardement d'informations bidon, eurent l'idée de se servir du mot pour fonder un nouveau journal, dont la raison d'être serait de contrer l'entreprise de propagande. 

On n'appelait pas encore ça "fake news", du moins en France. Ils ont donc passé les menottes aux poignets de la propagande : ce fut le Canard enchaîné. Je ne suis pas sûr qu'ils pensaient alors en finir une fois pour toutes avec les mensonges de presse : à leur échelle, ils élevaient une digue. Je ne suis pas sûr non plus que l'érection du nom commun dépréciatif en nom propre flamboyant n'ait pas signé l'arrêt de mort des "canards" comme "fausses nouvelles". Peut-être aurait-il fallu appeler carrément le journal "Le Mensonge interdit", qui est le vrai sens d'un "canard" dûment "enchaîné" ? Ou alors "La Vérité" ? Bon, on sait ce que les Soviétiques ont fait de ce titre : l'organe officiel ne fut-il pas, orgueilleux et trompeur, La Pravda (= la vérité, mais à prendre dans le sens novlinguistique) ?

L'enchaînement hebdomadaire de tous les "canards" en circulation prit son grand départ en 1916. Et comme on sait, le volatile cancane toujours au milieu du marigot informatif ses coin-coin qui traquent les harcèlements, agressions, viols incessants que subit la vérité dans les mondes économique, politique, journalistique et autres. Cela fait donc un peu plus d'un siècle que les huit pages imperturbables et satiriques paraissent tous les mercredis, alimentées par un réseau anonyme de collaborateurs bénévoles et bien placés, pour désintoxiquer les lecteurs de la presse des fumées ingurgitées. Comme disait en son temps un certain Robert Lamoureux, humoriste : « Et le vendredi suivant, le canard était toujours vivant ».

Et huit pages sans publicité, évidemment, tant il est vrai que laisser des annonceurs mettre leurs pieds au milieu des informations est en soi une garantie de bidonner l'information et de donner libre cours à tous les "canards" et, entre autres, à ce qu'on appelle aujourd'hui les "théories complotistes" ou "conspirationnistes". Bon, je n'idéalise pas la bête à plumes, dont je ne connais pas l'histoire secrète, si elle en a une. Je n'ai jamais croisé la route d'indiscrétions dévoilant des coulisses louches, excepté, peut-être, une brève incursion, il y a très longtemps, dont je n'ai gardé que l'inoffensif « Lapéla ? - Lapépala » du jargon maison (Jacques Laplaine, qui signait Lap, a dessiné pendant quarante ans pour Le Canard). Simple reportage. Cela ne mène pas loin.

Si j'avais une réserve à faire à propos du Canard enchaîné, ce serait à cause de l'effet à long terme produit sur le lecteur par la page 2, consacrée à la vie politique française, où s'étalent à loisir les petits et gros mensonges des uns, les calculs et manœuvres des autres, les trahisons, revirements, retournements de veste, palinodies, compromissions, dissimulations de tout le monde, et parfois des gens qui se présentent comme les plus intègres (voir l'affaire "Pénélope"). L'image qu'on se fait de ce que Raymond Barre appelait le "marigot" ressort forcément piteuse et peu ragoûtante de cette régulière accumulation de petitesses. Et ça ne plaide pas trop en faveur du droit des urnes à recevoir nos suffrages.

Plus généralement, l'exposé répété des turpitudes de toutes sortes d'individus ou d'entreprises a des effets délétères sur l'intérêt porté par le lecteur assidu au monde comme il boite. Pourtant, si Le Canard enchaîné n'existait pas, il est probable que ces individus et entreprises cesseraient aussitôt de redouter d'être contredits ou dévoilés, et se sentiraient alors de véritables ailes pour abreuver à leur gré de leurs boniments des médias dont ils sont, presque sans exception, les propriétaires (de toute façon, ils ne se gênent déjà pas trop pour enfumer).

Le ciel de la presse écrite ne tarderait pas à se peupler de ces canards complètement déchaînés. Et que plus personne ne serait en mesure de démentir. Ce serait une espèce inédite (et redoutable) de "libération de la parole". Il faut en effet, semaine après semaine, recouper les recoupements d'informations pour espérer "enchaîner" les "canards" (voir ici ou là les rubriques "intox / désintox", Libé, l' "Arrêt sur image" de Schneidermann, ...). Pour bien faire, tout journal sérieux devrait affirmer haut et fort que son premier souci déontologique est d'enchaîner les canards. Tout journal sérieux devrait pouvoir s'appeler Le Canard enchaîné ou Le Mensonge interdit. Décidément, Le Canard enchaîné est indispensable.

Alors pourquoi ne pas préférer "canard" à "fake news" ? Pourquoi les journalistes ont-ils adopté avec une telle unanimité le vocable transatlantique ? J'en ai une petite idée. Je me dis que, dans l'océan d'une presse en détresse, qui crie misère et appelle à son secours, tour à tour, les finances publiques et les grandes entreprises, les unes pour qu'elles la renflouent, les autres pour qu'elles lui achètent le plus d'espaces possible, Le Canard enchaîné est un îlot rarissime, si ce n'est unique (Charlie, ... qui d'autre ?). 

On nous jure, au Monde, à Libération et ailleurs, que la Société des journalistes est rigoureusement indépendante de la direction générale et de la direction commerciale, et que les contenus échappent donc totalement aux influences politiques et marchandes. Ouais ... Admettons, malgré le doute qui subsiste devant les dignités drapées et les déontologies outrées de ce reliquat de scepticisme malvenu. J'imagine qu'il y a des choses qui se négocient en douce. Mais même s'il en est ainsi, je me demande si les "chers confrères" qui travaillent ailleurs qu'à l'hebdomadaire satirique n'auraient pas, après tout, la bouche écorchée en prononçant le mot "canard", à cause du contraste.

Bon, c'est vrai que "canard" est un nom commun. Il signifie "fausse nouvelle". Mais qui le connaît comme tel ? Il est sorti de l'usage depuis trop longtemps : tout le monde associe "canard" et Canard. Le nom commun et le Nom Propre. Qu'un journaliste dénonce un "canard" paru chez un confrère, ne va-t-il pas se trouver accusé de s'attaquer à la liberté d'une presse satirique qui paraît le mercredi, ou pire : de lui faire de la publicité ? Le nom propre a fait sortir de l'usage le nom commun, voilà tout. Le coup inverse de ce qui s'est passé pour "sosie" et "amphitryon".

Le Canard enchaîné a confisqué le mot "canard", un peu comme (qu'on me pardonne le rapprochement) la promotion de la cause homosexuelle a interdit à presque tous les hommes de dire qu'il leur arrive d'être "gais" (tiens, au fait, encore un cadeau : merci, l'Amérique !).

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 20 juin 2017

DÉTAIL

Mon art abstrait.

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La rénovation du système politique français n'est pas encore pour demain : les 308 députés de La République en marche ont été élus par 16,55 % des inscrits (chiffre trouvé sur le site du ministère de l'intérieur). Franchement, de qui sont-ils les représentants ? Pas de moi, c'est sûr.