lundi, 20 mai 2019
EUROPE : POURQUOI L'ABSTENTION ?
Les sondages se disputent à propos de tout, dès qu'il s'agit de l'Europe. Qu'on parle des sujets qui préoccupent le plus les populations, des programmes des différentes listes ou du taux d'abstention auquel il faut s'attendre, on ne sait plus à quels chiffres se vouer. Le seul constat unanime est sur la modestie et la timidité de ces chiffres, qui montrent une chose certaine : l'enthousiasme n'est pas au rendez-vous.
Tenez, précisément l'abstention : tout le monde se demande comment interpréter le faible intérêt des Français (mais il n'y a pas que nous) pour tout ce qui concerne la mise en place d'une structure administrative et politique qui ferait du continent un ensemble unifié, et pourquoi pas, une puissance comparable aux grands Etats du monde qui peuvent prétendre au statut de puissance à part entière.
J'ai évoqué ici même (8 mai dernier) le problème de l'Europe et le peu de motivation des Français pour se sentir parties prenantes de l'entreprise. Aujourd'hui, je vais un peu plus loin. Ma thèse est limpide : si les Français s'abstiennent autant à chaque élection européenne, c'est, au moins en partie, parce que tout le personnel politique français pratique, lui aussi, une abstention massive. Une abstention qui tient du militantisme. Les Français, en s'abstenant, ne font que suivre l'exemple donné par leurs politiciens les plus remarquables qui s'abstiennent avec une belle constance de désirer l'Europe qu'eux-mêmes promettent, dans leurs discours électoraux et autres déclarations de circonstance.
Avec une belle constance et une belle unanimité, ils n'ont cessé de nous dire : « L'Europe future est belle, elle est magnifique, mais ce n'est pas pour moi ». Autrement dit : faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais. Mais les Français comprennent bien ce qu'on ne leur dit pas. Ils pensent : « Ah, vous n'en avez pas envie autrement que dans vos paroles verbales, eh bien vous pouvez compter sur nous ».
L'abstention massive des Français aux élections européennes constitue un magnifique exemple de mimétisme comportemental, en même temps qu'une preuve de l'irresponsabilité de leurs politiciens : l'abstention, ils l'ont apprise en les regardant bien, les responsables politiques. Ils ne les ont pas regardés en train de glisser leur bulletin dans l'urne, ou de sortir de l'isoloir, ou encore de faire des discours pleins de verbes et d'adjectifs en l'honneur de la construction européenne.
Ils ont attentivement observés tous les équipages de ces "petits navires", et les ont vus en train de se faire des politesses, de se laisser la priorité et de "tirer à la courte paille" pour savoir qui, qui, qui aurait assez d'abnégation pour aller s'enterrer à Strasbourg et se faire élire au Parlement européen, ohé, ohé, chacun se disant en catimini et "in petto" : « Le dernier arrivé a gagné ». Le sort tomba régulièrement sur le plus jeune (ou le plus inexpérimenté, cf. la pauvre Loiseau).
Pour entraîner en masse les électeurs vers les bureaux de vote aux élections européennes, il aurait fallu que nos politiciens cessent de prêcher la populace du haut de leurs abstractions et de leurs grands principes. Il aurait fallu qu'ils abandonnent les discours purement incantatoires, dans lesquels eux-mêmes faisaient tellement semblant de croire qu'il sautait aux yeux qu'ils n'y croyaient pas. Il aurait fallu qu'ils prêchent par l'exemple et, pleins de combativité, considèrent les sièges au Parlement comme autant de ponts d'Arcole à conquérir de haute lutte en faisant fi de la mitraille d'adversaires dont on aurait senti que la seule ambition était de les prendre, ces sièges. Il aurait fallu qu'en faisant la preuve de leur envie d'Europe, ils donnent envie d'Europe à tout le monde.
Il aurait fallu qu'ils aillent au charbon, qu'ils mouillent la chemise, qu'ils proclament la fierté et l'enthousiasme qu'ils auraient éprouvés à représenter le peuple français dans l'instance qui allait structurer l'édifice de la future (éventuelle) nation européenne. Il aurait fallu qu'ils prouvent par leurs actes l'envie qu'ils avaient de participer concrètement à l'invention, au façonnage, à la fabrication de ce nouveau corps politique. Il aurait fallu, tout simplement, qu'ils y croient. En matière de religion, c'est tout ce qui différencie les simples croyants et les fervents pratiquants : qu'est-ce qu'une religion qu'aucune pratique réelle ne vient soutenir et prouver ?
Au lieu de cela, ils ont constamment montré aux Français qu'ils voyaient dans l'éventualité d'une élection à Bruxelles-Strasbourg l'assignation à une corvée détestable, ingrate, obscure et peu valorisante pour eux, et surtout sans retombées gratifiantes sur leur avenir politique. Au lieu de cela, leur répugnance a fait en sorte qu'est sorti des mains de 34.000 fonctionnaires et d'une Commission non élue, une espèce de Golem monstrueux, qui échappe à présent à toutes les volontés. Un Golem horriblement compliqué, ingérable, une passoire ouverte à tous les vents des influences et à toutes les mâchoires des concurrences déloyales.
Quel ahuri pourrait avoir envie d'aller voter pour ce Machin ? D'autant plus repoussant que cette année, le paysage français a sorti le supermarché, que dis-je : l'hypermarché, trente-quatre liste ! Faut-il que le fromage ait un goût bien attirant pour tous les rats : Le Monde du vendredi 17 mai signale que le "budget par député" au niveau européen est de 2,6 millions d'euros, alors qu'au niveau français, un député ne coûte que 0,99 million (et on se plaint !) ; que les "frais de personnel" sont respectivement de 831 millions et de 175 millions ; que l'ensemble des assistants parlementaires coûtent 208 millions (Europe) et 112 (France).
Le Monde passe ainsi en revue un certain nombre de coûts liés à l'exercice de la "démocratie européenne : le budget par eurodéputé, qui est 2 fois et demie plus élevé qu'à l'Assemblée nationale ; les frais de traduction de toutes les langues dans les langues officielles, au prix de 145 euros la page et de 270 à 311 euros l'heure d'interprétariat ; les surcoûts dus aux invraisemblables et réguliers déplacements de Bruxelles (travaux en commissions, dossiers, hébergement, ...) à Strasbourg (assemblées plénières) ; les ressources "confortables" dont dispose chaque eurodéputé (6.825 euros de salaire + 320 par jour de présence + 4513 mensuels pour les frais généraux + 24.943 pour employer des assistants parlementaires) ; et cerise sur le gâteau : l'incroyable déficience des contrôles sur l'utilisation de toutes ces sommes (46 eurodéputés utilisent les services de plus de 10 assistants locaux dans leur pays d'origine : de vraies PME florissantes !).
Et les eurodéputés sont à l'abri : Ingeborg Grässle, élue de la démocratie chrétienne et présidente de la commission du contrôle budgétaire le dit : « La Cour constitutionnelle de Karlsruhe a dit que les frais des élus ne devaient pas être contrôlés parce que leur mandat est indépendant ». Génial ! Autrement dit, la dame est nommée à un poste (commission de contrôle) qui consiste à ne servir à rien. Encore bravo, l'Europe.
Non, vraiment, sans façons : non merci. Mon abstentionnisme a de beaux jours devant lui.
Et je me permets de le considérer comme un abstentionnisme éclairé.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, politique, société, europe, nathalie loiseau, françois-xavier bellamy, jordan bardella, parlement européen, bruxelles-strasbourg, golem, journal le monde