mercredi, 10 février 2021
COVID : LE VARIANT DARMANIN
Le Ministre de l'Intérieur et de la Santé Publique, Gérald Darmanin, fait savoir au préfet Xi Jin Ping — qui l'écoute, on s'en doute, au garde-à-vous —, avec fermeté mais aussi toute la courtoisie en usage dans la Haute Administration, sa façon de penser suite à l'évasion de la redoutable bande des Coronavirus et de son abominable chef Sars-Cov-2, dangereux terroristes qui étaient pourtant sous très haute surveillance dans la forteresse de Wu Han.
Il a ajouté, après avoir raccroché : « Allez les rattraper, maintenant qu'ils se sont égaillés dans la nature !!! ». Personnellement, je ne donne pas cher de la peau du préfet Xi Jin Ping, comme l'a laissé entendre l'équipe d'inspecteurs de la police de l'OMS, qui a mené sur place, en toute liberté, une enquête systématique, approfondie et déterminante au sein même de la citadelle et des musées de Wu Han. La suite des événements a d'ailleurs confirmé les pires des craintes de Monsieur Gérald Darmanin : maintenant que la bande est disséminée aux quatre coins du monde pour mieux brouiller les pistes, elle montre tous les jours à quel degré s'élève son potentiel de destruction.
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mardi, 09 février 2021
COVID : LE VARIANT MELENCHON
Jean-Luc Mélenchon, à la tribune de l'Assemblée Nationale, s'adresse indirectement au Président de la République Emmanuel Macron pour lui dire — en termes choisis et avec toute la sobriété qui s'impose en de tels lieux — ce qu'il pense de la désorganisation de sa politique de santé et de son absence de cohérence et de stratégie dans la lutte contre la pandémie du Covid-19. François Ruffin, lui aussi député de La France Insoumise, reconnaissable à sa houppe, le ramène à un peu de réalisme en une phrase pleine de lucidité.
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dimanche, 07 février 2021
LES DISCOURS DE MACRON
Monsieur le Président de la République Française, Emmanuel Macron, s'apprête à prononcer un de ces discours flamboyants dont il a le secret aux Français prosternés qui boivent ses paroles comme des oracles.
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mardi, 08 décembre 2020
DE MILA À SAMUEL PATY
« Va bien te faire fourré sombre pute je te souhaite de mourir de la façon la plus atroce qui puisse exister et si jamais ça tarde. Je m’en chargerais moi-même. Je me ferais un réel plaisir de l’acéré ton corps avec mon plus beau couteau et d’aller laisser pourrir ton corps dans un bois ». Voilà le texte d’un aimable mail – parmi une foule d’autres du même acabit – reçu par une adolescente en France en 2020, tel que le journal Le Monde le reproduit – textuellement, fantaisies linguistiques comprises – dans son numéro daté du 28 novembre.
L’adolescente s’appelle Mila, et personne ne lui a encore coupé la tête. Il faut dire qu’elle n’est pas tendre avec tout ce qui est musulman, islamique, islamiste, mahométan ou coranique : « Votre religion c’est de la merde, votre dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul. Merci. Au revoir. » Si un adepte particulièrement susceptible lui fait « une Samuel Paty », comme le lui promettent des internautes, elle saura pourquoi, et il se trouvera certainement quelques citoyens bien français (vous savez, ces gens de gauche prompts à dénoncer l' "islamophobie") pour dire qu’elle « l’aura bien cherché », et qu’elle s’est livrée à des provocations inutiles et choquantes (mais rien d'illicite selon le procureur).
Samuel Paty, lui, ne s’est pas livré à une provocation. C’est presque pire : il a entrepris, contre toute raison raisonnable, d’expliquer à des gens inaccessibles à cette idée, pour quelles raisons il était permis en France de se moquer des religions, en prenant pour exemple l’objet de fixation des passions du moment : les caricatures de Mahomet. C’est permis, il y a même des lois pour cela. Mais dans la réalité, combien de musulmans sont assez "évolués" pour déclarer comme Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux (Le Monde, 2 décembre) : « Islam de France : aux laïcs la gestion administrative, aux religieux la religion » (c'est le titre de sa tribune) ? Le brave homme se trompe ou se prend à rêver : il n'y a pas de laïcs en islam, ou si peu que rien, pas de laïcité, et le vrai musulman ne comprend rien à la notion et à ce qu'elle implique.
Combien de musulmans vivant en France sont assez évolués pour simplement admettre le principe de la laïcité, qui fait de la croyance religieuse une chose purement privée ? Pas lourd. Car dans l’islam, la vie religieuse est rigoureusement inséparable de la vie civile, de la vie sociale et de la vie politique. Ne pas oublier que "musulman" signifie "soumis à Dieu" : le bon musulman ne perd jamais de vue l’ombre d’Allah, qui le suit, l’observe et l’entend à tout moment de son existence. Pour un musulman, le religieux imprègne la totalité de la vie.
Alors que pour les « vieux Français » (on disait "vieux chrétien" en Espagne il y a quelques siècles), la loi de 1905 est une chose du passé, entendue, admise, classée, au point que plus personne n’en parlait jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’un intrus s’était immiscé dans ce tableau tranquille, si l’on excepte quelques abcès, furoncles ou apostèmes (catholiques en 1984 et juifs par épisodes) crevés plus ou moins vite et plus ou moins complètement. Pour ce qui est des religions, la France pouvait être considérée comme un pays en paix, jusqu’à ce que certains trublions, au nom du père Mahomet, mettent très ostensiblement les pieds, la barbe, le hidjab et maintenant le poignard dans le plat.
Là-dessus, depuis les crimes de Mohamed Merah (2012), les hauts responsables politiques ou autres se sont échinés à répandre l’idée qu’il faut surtout se garder de confondre « islamique » et « islamiste radical ». Je voudrais bien que ce soit possible et réaliste, mais je me suis assez vite demandé si la distinction n’était pas de pure forme, académique et vaine. Et ce n’est pas la mort atroce de Samuel Paty, décapité en pleine rue, qui m’a amené à me reposer la question : son meurtrier est incontestablement un islamiste radical, qui s’est convaincu, entraîné, qui a soigneusement traqué la cible que quelqu’un lui a désignée et mis son projet à exécution.
Il en va tout autrement du cas de Mila, victime toujours vivante des tombereaux de haine déversés contre elle depuis qu’elle a eu l’audace de refuser de « sortir » avec un garçon qui se présentait comme musulman (si je me souviens bien). Depuis qu’elle l’a repoussé en lui disant ce qu’elle pensait de sa religion, toute une islamosphère a pris feu et menace d’y jeter l’adolescente, qui en a inconsidérément rajouté quelques couches.
On me dira que ce sont les « réseaux sociaux », qu’après tout ce ne sont que des mots, et qu’ils sont, les uns et les autres, loin d’être l’expression de tout ce que la France compte de musulman. J’en suis d’accord. Je fais simplement remarquer que la haine à l’encontre de la jeune Mila constitue le point où se réunissent un grand nombre (combien ?) de gens, et que s’il faut qualifier tous ces gens d’ « islamistes radicaux », les Français peuvent commencer à avoir peur, parce que ça signifie que nous avons sur notre sol la tête de pont d’une armée ennemie. Or je crois justement que ce ne sont pas des islamistes radicaux qui s'en prennent à Mila, mais des musulmans plus ou moins ordinaires. Je dirais plutôt que nous assistons à une crispation forte de ces couches de la population sur la partie religieuse de leur identité.
On peut considérer que cette haine pour l’adolescente, largement partagée, exprime le sentiment, non d’un groupuscule d’extrémistes prêts à l'action violente, mais d’une partie non négligeable des musulmans de France, probablement des jeunes générations, dont le poil se hérisse dès qu’un outrage à leur dieu, à leur prophète ou à leur religion montre le bout de l’oreille.
J’en veux pour preuve les sept cent quatre-vingt-treize « signalements » parvenus sur le bureau du ministre de l’Education, suite à l’hommage rendu à Samuel Paty dans les collèges et lycées, et dont 17% ont été rangés dans la colonne « apologie du terrorisme » et 5% dans la colonne « menaces de mort ». Là encore, on me dira que ce sont des jeunes, qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent.
Mais je répondrai par une question : pour 793 cas « signalés », combien d’autres ont été purement et simplement passés sous silence par des personnels enseignants excédés de la pression qui pèse sur eux en cette matière, et qui ne tiennent pas à charger la barque ? Et pour un imam (celui de Villiers-le-Bel) condamné à dix-huit mois de prison pour apologie du terrorisme (Le Monde, 28 novembre), combien restent en liberté pour prêcher la haine tous les vendredis à la prière ? Et combien de musulmans ordinaires répondent aux sondeurs qu'ils placent la charia au-dessus des lois françaises ?
On l’aura compris : mon hypothèse est que la haine pour tous ceux qui critiquent l’islam si peu que ce soit n’est pas le fait d’un petit nombre d’endoctrinés fanatiques, mais qu'elle est largement partagée, constituant le socle où viennent se reconnaître d’innombrables musulmans de France. C’est une tache d’huile qui se répand dans la "communauté musulmane". Il est donc vain, et même dangereux d’ergoter à l’infini sur la nécessité de bien distinguer « islamique » et « islamiste radical », dans l’intention vertueuse de ne pas « faire d’amalgame » et pour ne pas « stigmatiser » les pauvres musulmans honnêtes qui n’ont rien à voir avec tout ça.
La raison en est que la notion de « laïcité » est vécue comme un corps étranger incompréhensible par le corps tout entier de ce qui se dit musulman en France. Pour une majorité d’entre eux, je suis d'accord : c’est une loi française, on leur dit de la respecter, ils la respectent quoique sans la comprendre et surtout sans l’intérioriser. Sans trop de risque de se tromper, on peut dire que pour un musulman, la laïcité c’est de l’hébreu.
C'est d'ailleurs dans cette mesure que certains (Houellebecq, Redeker, etc.) peuvent soutenir que l'islam est la religion la plus ... disons "mentalement attardée" : dans le vaste mouvement de l'évolution, l'islam a décidé de s'arrêter à un point "p", même s'il y a d'innombrables exceptions locales ou individuelles. L'islam dominant d'aujourd'hui (je veux dire celui qui fait le plus de bruit) propose une civilisation qui s'est arrêtée il y a quelques siècles.
Et les psychologues, les sociologues, les anthropologues auront beau me prêcher qu’il ne faut pas ci, qu’il ne faut pas ça parce que gna gna gna, je resterai convaincu de l’incompatibilité totale entre notre laïcité et cette « culture » coranique profondément ancrée dans l'esprit des croyants depuis bientôt mille quatre cents ans : il faut se convaincre, nous autres "vieux Français", que pour qu'un musulman de bonne foi comprenne l'idée de laïcité, il doit faire un effort immense.
Il n’y a plus de problème de laïcité en France, pays déchristianisé où les messes chevrotantes du dimanche ressemblent à des voyages du troisième âge : il n'y a que le problème de l’islam, résolument hermétique à la séparation du civil (social, politique, ...) et du religieux. La laïcité est en soi une négation de l'islam, et réciproquement. De Mila à Samuel Paty, c’est le même fil de haine.
Pour une mosquée fermée, pour quelques associations dissoutes, combien d’infatigables activistes en liberté travaillent au corps la communauté musulmane pour enrôler de nouvelles énergies ? Qu’ils soient wahabites ou salafistes importe peu : leur message est infiniment plus simple et efficace que la complexité odieuse d’une loi sur la laïcité que les Français eux-mêmes ne sont pas nombreux à comprendre. Les ignorants ont besoin de messages simples, rudimentaires, schématiques, et pour tout dire binaires.
Ce qui est sûr, c’est que pour un musulman, la laïcité, c’est de l’hébreu.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : Juste pour mémoire, un billet écrit en juin 2019.
Note ajoutée le 10 décembre : Mila a été exclue de l'institution militaire qui avait accepté de l'héberger, au motif qu'elle ne peut se passer de s'exprimer sur les réseaux sociaux et que, cela étant, elle met en danger l'institution elle-même. Mila n'a pas tout compris, hélas.
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lundi, 30 novembre 2020
ARTICLE 24 ? ...
... OU TOUTE LA LOI SÉCURITÉ GLOBALE ?
Ajouté le 29 novembre (voir ici au 27/11), après les manifestations de Paris et d'ailleurs contre la "Loi Sécurité Globale", qui ont "dégénéré" selon les télés et les radios : qu'ils s'appellent "black blocks", "antifas" ou autre, c'est un ramassis de connards ou de bandits qui ne font que fusiller l'esprit de la manifestation. Ce faisant, ils se permettent d'amnistier, pour la plus grande satisfaction de la haute hiérarchie policière et du gouvernement, les quatre flics qui ont tabassé Michel Zecler et obscurcissent la question des violences policières.
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Là où les manifestants peuvent espérer, c'est que la tempête soulevée par le cassage de gueule en règle de Michel Zecler visionné sur internet par des millions de gens a donné un coup à l'estomac de tout le gouvernement. Macron, Darmanin et leurs équipes sont en train de phosphorer pour voir de quelle manière ils pourraient reculer sans reculer vraiment, je veux dire donner l'impression de faire une concession, mais sans sacrifier l'essentiel de leurs mauvaises intentions.
Ce qui me réjouit cependant, c'est d'imaginer la tête de Darmanin quand il a appris la bavure policière, en train de fulminer, de pester, de pousser de vrais gros jurons et de se promettre qu'il aura la peau des trois ou quatre imbéciles qui scient au pire moment la branche sur laquelle lui et sa loi sont assis.
Faut-il donc supprimer l'article 24 ? Ou bien est-ce toute la loi qui doit passer à la trappe ? Gageons que le ministre est en train d'essayer de sauver tout ce qui peut être sauvé. Il y aura toujours des gens pour être soulagés par une demi-mesure : « Ouf, c'est moins pire qu'on pouvait le craindre ». Si Darmanin parvient à sauver son texte, la police, gangrenée par un état d'esprit tout droit venu de l'extrême-droite (avec tout ce que ça comporte comme sous-entendus racistes et violents), se sentira la bride sur le cou.
Je dis "gangrenée" sur la foi de la vidéo prise d'un balcon et qui a saisi l'action des renforts arrivés devant le studio de Michel Zecler. Je n'ai pas vu un seul agent tenter de modérer l'ardeur de ses collègues, bien au contraire, et ce, jusqu'à ce qu'on entende l'appel "caméra ! caméra ! ", qui a soudainement calmé tous ces hommes vêtus d'un uniforme pris en flagrant délit de violence gratuite. On a dans ces images la preuve que l'état d'esprit dont je parle est largement partagé.
L'opinion publique prendra peut-être conscience que le problème le plus grave n'est pas une manifestation légitime, que vient bousiller une bande de casseurs irresponsables, puis réprimée dans les gaz lacrymogènes, les canons à eau et les grenades de désencerclement. Il est dans les critères de recrutement des policiers, mais aussi et surtout dans la durée et le contenu de la formation qui leur est inculquée.
Comment en finir avec la culture de la violence quotidienne au sein des corps policiers ? Il faudrait aussi en finir avec le réflexe corporatiste qui pousse la hiérarchie policière à couvrir certains abus de leurs subordonnés et des flics de base, au mépris de toute justification légale. C'est à ces questions que vous devez maintenant répondre, monsieur Darmanin.
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Ajouté 1 décembre : Note 1 : ça y est, le troupeau des moutons macronistes (je parle des députés de la majorité) s'apprête à se déjuger magistralement : à l'aimable "invitation" de leur intraitable berger, ils vont réécrire l'article 24. Avec pour consigne subsidiaire de rendre celui-ci absolument irréprochable et de sauver une fois pour toutes le reste du texte. Ouf, l'honneur est sauf. Quant aux députés, ils se consoleront en répétant le vieux dicton : « Faire et défaire, c'est toujours travailler ».
Note 2 : Darmanin parle de "révoquer" les trois "brebis galeuses" qui se sont rendues coupables de "violences illégitimes". Valentin Gendrot, auteur de Flic (éd. La Goutte d'or), le dit ce matin sur France Culture : « Dans le commissariat du 19ème, sur trente-six policiers, il y en a cinq ou six qui sont résolument racistes. Et ce sont eux qui font régner l'omerta » (cité en substance). Je me dis que si le gouvernement révoque toutes les "brebis galeuses" (± 18%), ça va faire de sacrés trous dans les effectifs.
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vendredi, 27 novembre 2020
VERS LE RÉGIME AUTORITAIRE
1 - Y a-t-il des violences policières ?
La réponse est OUI.
2 - Y a-t-il des violences à l'encontre des policiers (et autres cibles) ?
La réponse est OUI.
Le pékin moyen que je suis commence par se dire : « Tout ça, c'est violence contre violence. Entre les deux, qu'est-ce que je deviens, moi ? ». Car il est aussi injustifiable pour un policier (chargé, paraît-il, de "protéger" la population) de crever des yeux à coups de LBD et d'arracher des mains à coups de grenades de désencerclement que, pour un "révolté", de lancer sur le policier pavés ou cocktails Molotov, voire, plus prosaïquement, de casser des vitrines et de se livrer à des razzias sur les ordinateurs, les sapes ou les Iphones.
Ce qui est certain, c'est qu'on ne peut renvoyer dos à dos les deux violences sous prétexte de leur apparente symétrie. Il n'y a pas de symétrie, l'une des deux violences est largement soutenue par la loi, l'autre est illégale, même si, en réalité, les "black blocks" et autres "casseurs de flics" et de vitrines se font les complices objectifs, les serviteurs de la politique du pouvoir. S'ils ne sont pas là pour disqualifier le peuple (je veux dire payés pour ça comme agents provocateurs), un gouvernement tenté par l'autoritarisme voit dans leur action une magnifique aubaine. Les casseurs justifient l'usage de la violence par les policiers lors des manifestations. Ils sont un alibi pour le pouvoir.
L'essentiel n’est donc pas là. Il suffit de visionner l'infernal tabassage de Michel Zecler, un producteur de musique (rap), par trois policiers déchaînés, pour se rendre compte que les violences policières ne se réduisent pas aux abus commis pendant des manifestations, à cause des "black blocks" ou pas, mais qu'elles imprègnent de façon assez large l'état d'esprit des corps policiers (voir, dans Flic, de Valentin Gendrot, le comportement sidérant du brigadier surnommé « Bison » qui, certains soirs, veut à tout prix « se payer » un « bâtard » = casser la gueule à un basané), les collègues étant soumis à une pesante omerta. Quelque chose de plus profond dysfonctionne gravement dans la police nationale française.
Car partout en Europe, on assiste à une pacification relative des rapports entre la population et les forces de l'ordre. Dans ce paysage qui a plutôt tendance à s'apaiser, la France se distingue par leur utilisation disproportionnée et parfois féroce par les gens au pouvoir : M. Lallement, préfet aux ordres, Gérald Darmanin, incontestable intégriste de l'usage du bâton, sans oublier le chef de Darmanin, Emmanuel Macron, qui semble avoir fait de l'ordre à tout prix un point cardinal de sa politique.
A Londres, une manifestation est "encadrée" par au moins quatre-vingts ou cent policiers. Guère plus en Allemagne (sauf exception). A Paris, il en faut toujours plusieurs milliers, le plus souvent habillés en Robocops parés et armés pour la bataille. L'Anglais, l'Allemand se disent : les Français sont bien dangereux. On les comprend. Le citoyen français ordinaire, quant à lui, l'individu lambda, monsieur tout-le-monde assistent parfois, vaguement incrédules, par voie de médias trop complaisants au spectaculaire et goulus d'audiences gonflées à bloc, à de véritables scènes de guérilla urbaine. Alors, comme beaucoup de téléspectateurs ahuris d'Europe et d'outre-Atlantique, je pose la question : que se passe-t-il en France ?
J'ai tendance à répondre que c'est depuis le passage de Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur que les rapports entre police et population ont commencé à se brutaliser. Certes, on pourrait remonter à la loi Peyrefitte ("Sécurité et Liberté", 1980), aux idées soutenues par Charles Pasqua en son temps (« terroriser les terroristes ») et autres moments intéressants. Mais pour en rester aux vingt dernières années, je tiens Sarkozy pour un véritable malfaiteur. Avec lui, a fait irruption en France la conception américaine de l'ordre public : on ne rigole pas, on fonce (Sarko : « Pendant la course, je fonce, dans la dernière ligne droite, j'accélère », cité de mémoire).
Les méfaits ont commencé avec la suppression brutale de la "police de proximité", pour la raison que celle-ci avait été mise en place par le gouvernement de Lionel Jospin, et sous le prétexte fallacieux que les policiers ne sont pas payés pour jouer au football avec les jeunes des banlieues défavorisées, alors même que son efficacité en matière d'apaisement des tensions sociales, en particulier dans les "quartiers" était prouvée et reconnue.
Tout ce qu'il a trouvé à mettre à la place de cette sage invention du socialiste, c'est la malédiction de la "politique du chiffre", qui subordonnait la rémunération des responsables policiers au nombre des affaires découvertes, puis résolues. On voit ce que ça donne dans Flic de Valentin Gendrot (éd. La Goutte d'Or), où "Le Major", le supérieur de l'auteur, part plus souvent à la chasse aux "sauvettes" qu'aux vrais malfaisants. Cette politique pervertit les objectifs de l'action policière et a des effets ravageurs.
Non content de détruire une structure intelligente, il s'est attaqué à une autre, plus discutable et trouble, mais très utile : les Renseignements Généraux, qu'il a dissous en même temps que le contre-espionnage (DST) dans un gros gloubiboulga nommé DGSI. Or les RG, en dehors de leur côté louche, avaient le mérite de se mouvoir à même le "terrain" et de nager jusque dans les eaux troubles, faisant remonter toutes les informations capables de donner aux hauts responsables de la nation une idée des odeurs, des sons, de l'atmosphère qui se respirait au ras du bitume : source irremplaçable de véritable "renseignement". Hop ! Balayés, les RG ! Une belle cause de "déconnexion" entre le très haut et le très bas de l'échelle.
Sarkozy ministre de l'Intérieur, puis Premier ministre, puis Président de la République a continué sur sa lancée, obéissant à cette loi souveraine quoique non écrite : "un fait divers => une loi". Inutile d'insister sur le fait que la notion même de loi s'en est trouvée démonétisée. Sans tomber dans le même travers, Hollande a mis ses pieds dans les mêmes pantoufles. Il n'a pas fait prendre une autre direction au système policier : il a tout laissé en place et parfois ajouté quelques ingrédients aux recettes de son prédécesseur. Peut-être ai-je oublié quelques entourloupes dues à ce sous-chef de bureau fanatique de la "synthèse politique", de l'indécision et du consensus mou.
Emmanuel Macron, lui, a innové : ses députés disciplinés ont voté sans sourciller l'insertion dans le droit commun de plusieurs des mesures d'exception contenues dans l'état d'urgence (transfert de diverses compétences judiciaire vers les autorités administratives). Il s'apprête sans doute à récidiver avec l'état d'urgence sanitaire. La loi sur la Sécurité globale, que le Parlement – docile au point d'être servile, voire inexistant – est en train de voter, fait un pas de plus dans la direction de la Sécurité à tout crin. Avec Gérald Darmanin aux manettes de la place Bauveau, on peut s'attendre à ce que ne soit pas sous Macron que les rapports entre la police et la population vont se détendre.
Là où je veux en venir, c'est au fait que ce problème remonte, disons à deux décennies, et que, au fil du temps, les mesures s'ajoutant aux mesures, ces rapports police / population n'ont fait que s'aggraver dans le sens d'une brutalité toujours plus affichée (cf. réactions à la loi El Khomri, où les syndicats ont scandaleusement accepté de tourner en rond autour du bassin de l'Arsenal, entre Seine et Bastille).
Mais à mon avis, cette brutalisation des rapports est la face la plus visible d'une autre brutalisation : qu'il s'appelle Sarkozy, Hollande ou Macron, chaque président a eu à cœur de laisser son nom attaché à quelque grande réforme de la France. Le point commun de la plupart de ces réformes est que leurs promoteurs ont finalement été obligés de les faire passer en force. Les unes parce qu'elles scindaient gravement la population française en deux moitiés opposées, les autres parce qu'elles ne réunissaient pas en leur faveur assez de composantes politiques.
Parmi celles que Sarkozy était fier de mettre en place, je me souviens de la RGPP (non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite). Il voulait sabrer dans les effectifs des fonctionnaires, ces paresseux, ces inutiles. L'autre réforme voulue par le gnome à talonnettes qui se prend pour Superman est celle de la "carte judiciaire". J'ai encore en mémoire les marches du palais de Justice de Lyon couvertes des robes noires ou rouges des magistrats (des magistrats !) en colère comme jamais on n'avait vu. Les seules réformes voulues par Hollande que je citerai ici sont celles du mariage homosexuel et celle du Code du Travail : on sait qu'elles ne sont pas passées facilement, c'est le moins qu'on puisse dire. Quant à Macron, on sait de quels accidents est jalonné son mandat, et quel sort a été réservé à certaines de ses "réformes" (retraites, etc.).
Ce que je veux dire en faisant ces rapprochements, c'est que la brutalité presque systématique et croissante de la police dans ses missions de maintien de l'ordre ressemble fort à la brutalité devenue assez coutumière aux plus hautes autorités de l'Etat dans la façon dont ils font passer des lois impopulaires. On se rappelle l'usage addictif que les différents gouvernements de Hollande ont fait de l'article 49-3 (adoption sans vote, s'il n'y a pas de motion de censure). Dans le même esprit, on se demande pour quelle raison impérieuse tant de lois ces dernières années ont été examinées en "procédure accélérée" (un seul aller-retour entre les deux Chambres).
Sarkozy, lui, ne s'embarrassait guère d'entrechats : "droit au but" était sa méthode et son credo. Quant à Macron, il n'a rien à craindre de la chambre des députés où, malgré quelques défections sporadiques, il dispose encore d'une solide majorité obéissante et prompte à se contenter d'enregistrer les textes directement ou indirectement inspirés des desideratas exprimés par le chef de l'Etat (cf. la loi "Sécurité Globale", qui serait déjà promulguée s'il n'y avait pas eu des protestations venues de divers bords et, dernièrement, le tabassage de "Michel", qui a suscité des cris unanimes).
Le point commun de ces trois présidents si dissemblables en apparences : le passage en force. Les élites politiques, quand elles sont au pouvoir, subissent la tentation de la force, et tendent de plus en plus à y succomber. Et certains se demandent gravement à quelles causes attribuer le discrédit dans lequel se trouvent les politiques. Quant aux Français, ils vivent insouciants, dans un pays où les libertés se restreignent de jour en jour.
L'autre point commun, c'est la relation que chacun des trois entretient avec la notion de concertation. Où sont-ils, ces bons pays où les dirigeants, avant de prendre des décisions cruciales ou de faire voter des lois concernant l'avenir de tout le pays, sont prêts à consacrer deux ou trois ans jusqu'à ce que se dégage un véritable consensus national ? Je n'ai guère de souvenir d'une quelconque concertation avec les forces sociales du temps de Sarkozy. Je peux me tromper.
Peut-être Hollande admettait-il davantage de demander leur avis aux différentes composantes de la société, mais il ne me semble pas que cet avis ait modifié autrement qu'à la marge les textes finalement adoptés. En revanche, ce dont je suis certain, c'est qu'on peut sacrer Emmanuel Macron roi du bluff, avec son "Grand Débat National", puis sa "Convention Nationale pour le Climat". Cet homme est un homme de mot, de discours, de verbe, et même de verbiage. Cet homme sait incontestablement parler, malheureusement, il ignore les choses. Et plus grave, il ignore les hommes qui en suent, les travailleurs, les "premiers de corvée" : il préfère l'air des altitudes.
Ce que j'observe donc, au terme de ces quelques remarques superficielles, c'est que l'existence politique des citoyens français est de plus en plus niée – et de façon de plus en plus brutale : voir gilets jaune, migrants et autres – entre deux périodes électorales, et que les corps policiers sont de plus en plus utilisés comme masses de manœuvre pour réprimer dans l'œuf tout ce qui regimbe. C'est que l'idée de répression est devenue un guide pour les dirigeants, qui ont aussi vite fait de dégainer le prétexte de « trouble à l'ordre public », que les flics celui d' « outrage et rébellion ». C'est que la soi-disant concertation n'est qu'un leurre qui ne satisfait que les acquis à la cause.
C'est que la société française entre de plus en plus dans un régime autoritaire : il faudrait faire le décompte exact des mesures qui ont été prises depuis vingt ans et qui convergent toutes vers le durcissement des relations entre les gouvernements en place et la population française. L'évolution des mœurs de la police se calque sur l'attitude de nos dirigeants depuis vingt ans, toujours plus sourds et aveugles aux appels de la société souffrante. Gouverner sans le peuple, voire contre le peuple est devenu un Nord sur la boussole des dirigeants successifs. Il ne faut donc pas s'étonner de voir se multiplier et s'aggraver les violences policières.
Et c'est que, par voie de conséquence, il ne reste plus qu'un petit nombre de pas à franchir pour arriver à un régime authentiquement policier : ce n'est pas un hasard si la loi "Sécurité Globale" a été rédigée, entre autres, par Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du RAID devenu député "La République en Marche" (un sacré indice !). Cette loi est là pour préparer tous les esprits. Certains, à l'extrême droite, tout en faisant profil bas, se lèchent déjà les babines et affûtent leurs griffes en prévision de 2022 (suivez mon regard).
Des avocats comme Patrice Spinosi ou Arié Halimi, infiniment plus compétents que moi en matière de droit, ça va de soi, tentent de sonner le tocsin : « Alerte !!! Les libertés sont en danger !!! ». Qui les écoute ? Qui les entend ? Ah les Français veulent de la Sécurité (il paraît, c'est les sondages qui le disent) ? On va leur en donner ! De toute façon, la Liberté, c'est pour quoi faire, se disent-ils ? « Liberté, Liberté chérie », c'est fini.
Il va être temps de commencer à avoir peur.
Voilà ce que je dis, moi.
***
Note : Si le titre de ce billet n'est pas suivi d'un point d'interrogation, il n'y a ni erreur, ni oubli. C'est tout à fait intentionnel.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : patrice spinosi, arié halimi, patron du raid, france, politique, société, police, maintien de l'ordre, loi sécurité globale, emmanuel macron, grand débat national, violences policières, lbd lanceur de balles de défense, préfet lallement, gérald darmanin, loi sécurité et liberté, flic valentin gendrot, politique du chiffre, dst, nicolas sarkozy, loi peyrefitte sécurité et liberté, françois hollande, loi el khomri, sarkozy rgpp, convention naitonale pour le climat, article 49-3, la république en marche, charles pasqua, renseignements généraux rg, jean-michel fauvergue
mardi, 03 novembre 2020
UNE TAUPE AU COMMISSARIAT
Je viens de lire le livre de Valentin Gendrot, Flic (Goutte d’Or éd., 2020). L’auteur est journaliste, comme l’indique le sous-titre (« Un journaliste a infiltré la police »). Sans afficher sa couleur professionnelle, il a passé le concours d’A.D.S. (Adjoint de sécurité), soit l’équivalent de ce qu’était le jeune mâle français appelé autrefois sous les drapeaux pour faire son « service militaire » : le larbin.
C'est donc comme larbin qu'il a servi, d'abord à l'Infirmerie Psychiatrique de la Police, puis dans le commissariat du 19ème arrondissement de Paris. Mais autant dire d'emblée que l'envergure du livre n'a pas grand-chose à voir avec le travail d'un Günter Wallraff (Tête de turc) en Allemagne. Disons que c'est un reportage en semi-profondeur.
Car à dire vrai, si on s’intéresse tant soit peu aux questions touchant le maintien de l’ordre par la force publique, aux rapports de la police avec la population ordinaire ou à l'usage qu'en font les pouvoirs en place, on n’apprend pas grand-chose à la lecture de ce petit livre. Je dirai qu’on a plutôt confirmation de beaucoup d’informations paraissant régulièrement dans la presse : police mal recrutée, mal formée, mal payée ; politique du chiffre ; esprit de corps qui pousse les collègues à se solidariser avec les auteurs de comportements déviants (= violents).
Mais il faut aussi évoquer l'état du matériel de dotation (« Un "flow" de rap US s'échappe des enceintes, couvert par les bruits du moteur du tas de ferraille qui nous sert de fourgon », p.259) ; le caractère risqué de certaines missions, tant certains individus auxquels la police peut avoir à faire peuvent se montrer sinon violents, du moins "imprévisibles" ; et le chiffre effrayant des suicides, en général avec l'arme de service.
Je n’oublie pas non plus qu’entre autres dégâts profonds commis par l’ancien président (fusion R.G. / D.S.T., carte judiciaire, etc.), la « politique du chiffre », cette preuve d'un crétinisme aigu, doctrine apparemment toujours en vigueur, a été instaurée par Nicolas Sarkozy, celle exactement qui conduit « Le Major » (c’est son surnom) à pratiquer des « sauvettes » à la pelle, de préférence à la « courette » (= poursuite) : s’en prendre aux vendeurs à la sauvette qui pullulent dans le 19ème, voilà qui est plus facile et moins fatigant que d’autres tâches qui incombent à la police. C’est ainsi que les statistiques sécuritaires du ministère de l’Intérieur font de la gonflette : « Trente-cinq sauvettes sur les soixante-seize interpel', ça fait des statistiques gonflées artificiellement à coups d'opérations minables » (p.268).
Pour ce qui est de l’esprit de corps, Valentin Gendrot donne un exemple qui l’implique jusqu’au cou : un supérieur immédiat (dans le genre brigadier) s’étant rendu coupable de violences, un gardé à vue porte plainte. L’I.G.P.N. mène l’enquête et interroge les collègues. Dans ce contexte, le jeune A.D.S. livre un faux témoignage en bonne et due forme qui dédouane le coupable.
Pour ce qui est du recrutement, il arrive à l’auteur de faire équipe avec de drôles de zozos, anciens dealers, voyous repentis et autres cas limites. Ce n’est certes pas la règle, mais ce n’est un secret pour personne que les membres de base de la police nationale sont très souvent dotés d’un maigre bagage d’instruction. Cela aide à comprendre certains passages à l’acte, par exemple lors de manifestations. Ce que Jérémy, le collègue de Gendrot à l'infirmerie psy de la police, résume de façon "humoristique" : « Les policiers sont des délinquants qui ont mal tourné » (p.249).
Pour ce qui est de la formation, l’auteur parle des huit mois qu’il a passés à l’école de Saint-Malo, alors qu’il n’y a pas si longtemps, cette phase en durait douze. Comme lecteur, je regrette que l’auteur n’entre pas davantage dans les détails du programme inculqué aux futurs gardiens de la paix publique. J’aimerais en particulier en savoir plus sur la façon dont on apprend aux futurs flics à se comporter avec la population ordinaire.
Car dans le 19ème parisien, certains n’y vont pas de main morte. Ce sont les gros bras et les grandes gueules qui mènent la danse au cours des patrouilles, en particulier de nuit. Et la piétaille ne discute pas. « Bison », « Bullit », (l’auteur a modifié les surnoms communément collés à ces petits chefs) ne se gênent pas pour flanquer des baffes, quand ce ne sont pas des roustes caractérisées, aux individus ramassés dans le fourgon.
Valentin Gendrot évoque ici ou là diverses instances chargées d’encadrer le travail de la police : rien qu’on ne sache déjà par ailleurs. Ce que je trouve intéressant ici, c’est que s’il y a effectivement des « violences policières » au cours des manifestations (L.B.D., tabassages de manifestants à terre, …), il y a plus encore une violence diffuse, banale, familière et finalement très quotidienne au sein des forces de police qui sont tous les jours « sur le terrain ».
Certains petits gradés semblent n'être habités que par l'envie d'en découdre : « Je commence à saturer de l'omniprésence de la violence dans ce quotidien. Ce qui m'étonne, outre les profils violents, c'est de constater à quel point ils se sentent intouchables » (p.241). Le ministre de l'Intérieur, les hauts hiérarques de la police et les dignes représentants syndicaux du digne corps des policiers auront beau soutenir que, s'il y a quelques "brebis galeuses", il faut s'interdire de jeter le discrédit sur la totalité de l'institution, le citoyen un peu informé sera autorisé à ne voir dans ces déclamations vertueuses qu'un gigantesque effort de dénégation de la réalité.
Au total, un livre dont l’intérêt principal repose moins sur ce qu’il nous apprend (on a l’impression de savoir tout ça) que sur le fait qu’il nous livre un témoignage vécu de l’intérieur par un « infiltré ». Pour cela, la loi de l’omerta habituellement régnante en prend un coup. J’avais il y a bien longtemps assisté à un procès d’Assises où, parmi les témoins, figuraient trois policiers : leurs déclarations avaient été rigoureusement identiques, d’où un malaise, tant cela paraissait appris par cœur. Le juge était-il dupe ?
Je reprocherai pour finir au Flic de Valentin Gendrot son caractère par trop lapidaire (300 petites pages) : pour dire le vrai, j’ai eu presque constamment l’impression de survoler le grave problème qu’est devenue en soi la police française, de par les moyens mis à sa disposition, la formation dispensée à ses futurs membres, l’origine sociologique majoritaire de ceux-ci, mais aussi de par le rôle que les politiques lui font jouer et les missions qu’ils lui assignent.
En fin de compte, l'idée qui se dégage du livre, c'est qu'on reste assez éloigné de la police républicaine exemplaire dont la France devrait se doter, théoriquement gouvernée par : « Le fameux acronyme Diiler enseigné à l'école de police : "Dignité, intégrité, impartialité, loyauté, exemplarité et respect absolu des personnes" » (p.250). Gendrot conclut assez raisonnablement : « Est-il raisonnable de former des représentants de la loi à la va-vite, de les placer dans des conditions de travail dégradées et d'exiger qu'ils soient des modèles de vertu ? » (ibid.). Il ajoute : « Alors, lorsque des flics dérapent, tout le monde se serre les coudes, et la hiérarchie enterre souvent ce qu'elle préfère considérer comme des "errements". Dans la majorité des cas, cette hiérarchie n'a pas le choix, à force de demander l'impossible à ses hommes et ses femmes de terrain, elle ne peut ensuite que les couvrir » (p.251).
Dans l'ensemble, donc, voilà du vécu, certes entrelardé de quelques aperçus plus "officiels" sur l'institution, mais plutôt frustrant dans l'ensemble. Regrettable, vu la gravité structurelle du problème. On n'est pas près d'en sortir.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 04 octobre 2020
L'ETAT DE LA FRANCE
Pour avoir une petite idée de ce qui attend les gens les plus vulnérables de la société française, branchez-vous sur les propos d'Henriette Steinberg (présidente du Secours Populaire), tenus le samedi 3 octobre après les infos de 9 heures, dans une émission souvent agaçante et dont je ne raffole guère : Les Matins du samedi, conduite par Caroline Broué.
Quelques extraits.
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Alors que la crise sanitaire a fait basculer nombre de Français dans la précarité, plusieurs associations de lutte contre la pauvreté ont rencontré vendredi le Premier ministre, qui a promis un "Acte II" du plan pauvreté. Entretien avec Henriette Steinberg, Secrétaire générale du Secours populaire.
« C’est l’une des conséquences indirectes de la crise sanitaire et du confinement qui a duré deux mois au printemps : le nombre de pauvres dans notre pays a bondi, comme en témoigne le dernier baromètre du Secours populaire qui a été dévoilé mercredi. Les associations de lutte contre la pauvreté ont été reçues à Matignon hier pour « un rendez-vous de la dernière chance », ont-elles été entendues ?
Cela fait des mois que nous voyons arriver des populations que nous n'avions jamais vu arriver au Secours Populaire. Nous n'allons pas les chercher : il s'agit de travailleurs qui ont perdu leur emploi. Chacun de nous peut le voir. Dans nos villes lorsque nous marchons, nous voyons des rideaux métalliques qui ne se lèvent plus.
Nous avons été écoutés par Matignon. Pour ce qui concerne le Secours populaire, nous avons proposé une solution : celle de créer des marchés populaires solidaires, dont les contenus seraient proposés par les agriculteurs de la région et qui permettrait aux populations de se fournir à des tarifs qu'ils peuvent payer. En partant de la proximité, on crée du lien, de l'emploi, du développement durable et cela permettrait aux familles de pouvoir manger.
On sort, parfois de la pauvreté. Mais cela prend du temps. L'un des moyens consiste à donner de l'argent et des produits. Mais cela consiste aussi à ce que chacun prenne en main, non seulement son destin, mais aussi celui de son voisin. L'idée selon laquelle on résout le problème en prenant une fraction de la population sans regarder les autres est catastrophique. Au Secours populaire, nous regardons l'ensemble de la population. Et si nous le faisons, les pouvoirs publics peuvent aussi le faire. » (texte copié-collé sur le site de l'émission – excepté quelques corrections orthographiques)
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On savait déjà que la France, un des pays les plus riches du monde, paraît-il, comptait, avant la crise du Covid-19, plus de 9 millions de pauvres. Madame Henriette Steinberg, personne énergique et combative, explique dans cette émission, avec une netteté tranchante, que les bénévoles qui animent le Secours Populaire ont été éberlués de voir arriver, depuis le confinement et plus encore ensuite, des sortes de gens qu'ils n'avaient jamais vus frapper à leur porte. Ça veut dire que la marée de la pauvreté prend des proportions inédites. On le voit dans les régions avec l'explosion des bénéficiaires du RSA.
La voilà, la vraie France, la France des gilets jaunes, la France qui souffre, hors de vue du gouvernement en général et d'Emmanuel Macron en particulier.
Car pendant ce temps, le fringant président de la même France, dont l'arrogance ne connaît décidément plus de limites, pérore sur le "séparatisme islamiste" (avec quels effets dans le réel ?) ou fait la leçon aux dirigeants libanais, au dictateur biélorusse, et même à Vladimir Poutine – qui doivent bien se marrer.
https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-actu/henr...
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mardi, 14 juillet 2020
LES PERVERS PÉPÈRES DE L'HUMANITAIRE
C'est entendu, tous les gens qui interviennent sur toutes sortes de terrains dangereux dans l'excellente et insoupçonnable intention de venir au secours de toutes sortes de populations en butte aux tracasseries de leurs dirigeants ou aux bisbilles plus ou moins militaires et destructrices que ceux-ci entretiennent à plaisir avec des adversaires plus ou moins agressifs, tous ces gens sont admirables. Ils sont indubitablement du côté du Bien (le Grand, vous savez, celui qui n'ambitionne que d'étendre son "Empire").
On peut néanmoins rester perplexe quand on observe les effets pervers provoqués par l'énorme machine humanitaire, qui essaie vaille que vaille, en comptant sur la générosité d'autres populations – plus favorisées par le destin, celles-ci, et qui regardent à la télé les informations affligeantes qui accourent de partout –, de se tenir à la hauteur des malheurs du monde et de dresser à la petite cuillère un barrage contre l'océan des calamités qui s'abattent sur des gens dont, non contents de ne rien avoir pour se défendre, le seul bien est la déveine de vivre sous des cieux par trop incléments.
La première observation à faire, depuis les ébauches inaugurales de structures humanitaires et autres futures "O.N.G." (M.S.F. est né, me semble-t-il, lors de la guerre du Biafra au début des années 1960, je laisse à part la Croix-Rouge), est précisément que plus ces organisations se sont développées, plus les malheurs du monde ont augmenté. Comment est-ce possible ?
Ce qui était au départ un louable élan de générosité et de solidarité est devenu, disons-le, une grosse industrie en parfait ordre de marche. Une composante à part entière d'une réalité de plus en plus complexe, de plus en plus dangereuse, de plus en plus invivable pour une part croissante de l'humanité. C'était en fait le piège diabolique tendu par le côté obscur de la force qui caractérise l'action humaine aux éclats de lumière altruistes spontanément exprimés dans l'abstrait par les humains, quand ils sont "éloignés du théâtre des opérations".
Coluche a eu beau n'espérer que la dissolution de son association pour cause de disparition des problèmes, force est de constater que, quelques décennies plus tard, les "Restos du Cœur" n'ont jamais été aussi éloignés du jour futur de la dissolution, et qu'au contraire ils ne sont appelés qu'à croître et embellir à mesure que se déchaîne le chaos du monde qu'on croyait "organisé".
Certes non, l'action humanitaire n'est pas en elle-même la cause de l'aggravation des situations. Probablement non. Enfin disons ... pas directement. Sans vouloir taquiner les susceptibilités, j'invite quand même tous les bons cœurs et les belles âmes altruistes qui se mobilisent et investissent de leur temps ou de leur argent dans « l'action humanitaire » à réfléchir aux résonances d'une phrase que j'ai entendue le 2 juillet dernier, en conclusion (18h58') d'une émission "Le Temps du débat" (Emmanuel Laurentin, France Culture). Je ne connaissais pas Madame Monique Chemillier-Gendreau, mais on comprend très vite qu'elle a un jugement tout à fait sûr. Voici ce qu'elle déclare quand l'animateur lui demande de conclure :
« L'humanitaire, c'est le Service-après-Vente des marchands d'armes ».
Méditez bien cette phrase : elle va loin. Et retenez ce nom : Monique Chemillier-Gendreau. Cette phrase me semble porter une VÉRITÉ éblouissante. Ce qu'elle dit ? Que non seulement l'action humanitaire ne remédie à RIEN, mais qu'elle est au service des fous sanguinaires et autres fauteurs de guerre qui se disent qu'après leur passage, les larbins passeront avec la serpillière pour nettoyer le champ de bataille de toutes les saloperies qu'ils auront commises. L'humanitaire donne champ libre au cynisme des pouvoirs. L'action humanitaire n'est pas sans effet, et les grands méchants loups de la planète l'ont bien compris : ils délèguent à des sous-traitants le traitement des conséquences de leurs cruautés. N'est-ce pas un proverbe chinois qui dit : « Intervenir dans le réel modifie le réel » ?
A la limite, je dirais que les humanitaires sont complices des crimes auxquels ils proclament que leur action prétend remédier. Pourquoi ? Parce qu'ils ont opéré une sorte de division du travail entre les criminels professionnels et les sauveteurs professionnels : "à vous le boulot de mort, à nous les pansements". Naïveté congénitale, angélisme niais, aveuglement buté, optimisme fanatique, voilà ce que c'est, les vertus des humanitaires. A leur place, vous savez quoi ? Non seulement je ne ferais pas le fier, mais j'aurais honte et j'irais vite me cacher.
Et surtout, après cette trop longue invasion de peste émotionnelle et sentimentale, due pour l'essentiel à l'hyperinflation médiatique, je me remettrais à penser le monde politiquement, et non à partir de bêtes considérations affectives. Car l'hyperinflation de l'humanitaire à laquelle on assiste signifie une chose simple, une chose triste, une chose tragique : l'impuissance et la démission du politique dans la marche du monde. L'humanitaire est la négation du politique.
L'espace et le volume toujours plus considérables occupés sur tous les écrans par l'action humanitaire reflète en réalité l'affirmation unanime des Etats les plus puissants de la planète de la primauté absolue de leurs seuls intérêts sur toute autre considération : seules comptent leur richesse, leur puissance, leur domination. L'humanité est entrée – depuis déjà un certain temps (fin de la guerre froide ?) – dans une logique d'affrontement. Finie la coopération, terminées l'O.N.U, l'O.M.S., la F.A.O. et tutti quanti : juste quelques milliers de fonctionnaires internationaux grassement payés.
L'humanitaire peut courir longtemps derrière ce genre de divisions blindées en train de s'affronter pour la sécurisation (= l'accaparement) des ressources. Finalement, j'ai pitié des humanitaires et je suis effrayé du désespoir dont ils sont l'expression la plus spectaculaire.
Voilà ce que je dis, moi.
P.S. : Pas besoin, j'espère, d'en appeler aux Mânes de Gotlib pour expliquer le titre de ce billet.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : action humanitaire, organisations humanitaires, empire du bien, ong, msf, guerre du biafra, coluche, restos du coeur, france culture, le temps du débat, monique chemillier-gendreau, gotlib, emmanuel laurentin, humanitarisme, politique
samedi, 04 juillet 2020
JOURNALISME D'EXCELLENCE ?
La France s'enorgueillit par tradition du haut niveau d'exigence de ses écoles de journalistes. Les professeurs qui y enseignent sont tous de remarquables exemplaires de la profession : bon nombre des 200 "grands" éditorialistes (parmi lesquels deux douzaines de pures vedettes : Joffrin, Giesbert, etc.) que compte l'hexagone sont rétribués pour y dispenser conseils, recettes et ficelles du métier.
On doit à ces vaillants "petits soldats du journalisme" (titre du livre de François Ruffin – député France insoumise et directeur de la publication de la revue Fakir – sur les coulisses de ces fabriques de l'élite de la presse française) des efforts constants et soutenus pour fournir à la population des organes d'information qui soient à la hauteur de ses attentes. C'est ainsi que les journalistes français ne se lassent pas de hisser le rocher de Sisyphe sur le sommet de l'excellence professionnelle. Hélas, comme dans la mythologie, le rocher ne cesse de retomber dans le caniveau (« l'opprobre du ruisseau », comme dit Boby Lapointe).
Les exemples abondent de cette quête de la perfection – toujours déçue ! Ainsi a-t-on pu apprendre, sur la chaîne nationale France Culture, hier vendredi dans le bulletin de 18 heures, qu'au moment de la passation des pouvoirs entre Edouard Philippe, ex-premier ministre et maire du Havre, et Jean Castex, le maire de Prades désigné par Emmanuel Macron pour le remplacer dans cette fonction, Edouard Philippe avait le col de sa chemise ouvert et qu'il portait en guise de boutons de manchette deux paires de "tongs", dont la journaliste se demandait s'il les porterait effectivement à son retour au Havre.
Voilà de l'information, messieurs-dames ! Voilà le journalisme que le monde entier nous envie, messieurs-dames ! Et l'on a pu entendre ces informations cruciales sur France Culture !
Bravo et merci ! Grâce à vous, je sais ce qui est important à savoir.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, société, politique, journalistes, journalisme, presse, france culture, emmanuel macron, édouard philippe, premier ministre, jean castex, boby lapointe
vendredi, 19 juin 2020
HÔPITAL : C'EST BERCY QUI A GAGNÉ
Grand Débat National, Convention Citoyenne pour le Climat, Ségur de la Santé : trois grands décorums, trois chiffons rouges pour détourner l'attention, trois rideaux de fumée. Ah pour parler, tout le monde aura parlé abondamment, à commencer par le président en personne.
Les personnels hospitaliers savent désormais à quoi s'en tenir : Madame Nicole Notat a déjà montré le bout de l'oreille. Son rôle est de parler avec eux, ce n'est pas elle qui tient les cordons de la bourse. Elle en référera en haut lieu. Après, elle s'en lave les mains. Ils peuvent préparer les prochaines grèves, les prochaines manifs et la grande colère.
Les médecins, les infirmières, les aides-soignantes, tous les personnels dont le métier est de prodiguer des soins dans le cadre de l'hôpital public, peuvent soit faire leurs valises, soit s'asseoir par terre et pleurer, soit encore se préparer à hurler de rage dans les rues. Le pouvoir a été rendu aux bureaucrates, aux comptables, aux administratifs, les mêmes qui s'étaient spontanément mis au service des soignants au plus fort de la pandémie, souvent avec joie ou soulagement.
Les visiteurs de ce blog le savent : j'étais sceptique. Bon, j'espérais vaguement que les événements me donneraient tort. J'acceptais avec espoir de voir humilier ma tendance au pessimisme pour me convaincre de m'acheter des lunettes à verres roses pour voir la réalité. Mais je dois me rendre à l'évidence : mon pessimisme triomphe. Mon pessimisme peut bomber le torse et sortir la tête haute et en grand uniforme de la crise du coronavirus.
Emmanuel Macron, président de la république, vous savez, c'est ce volatile au ramage mélodieux et au plumage rutilant capable de déclarer la nécessité d'un « plan massif d'investissement pour l'hôpital public » (après le traumatisme de sa visite à l'hôpital de campagne sur un parking de l'hôpital Emile Muller à Mulhouse, le 25 mars).
C'est le même oiseau-lyre qui peut déclarer, tout aussi solennellement : « Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies, nous réinventer – et moi le premier. » (discours du 13 avril). Maintenant qu'on connaît un peu le bonhomme (voir mon billet "Macron le verbeux", 16 juin), on sait ce que ces beaux discours veulent dire : l'hôpital public n'aura pas un sou, et on ne réinventera rien. Le "Ségur" de la Santé, organisé en grand tralala comme le "Grand Débat National" et la "Convention Citoyenne pour le Climat", est fait pour s'achever en queue de cerise.
Le rouleau compresseur du projet ultralibéral de réduction des coûts dans les filières de la santé, après une interruption accidentelle du chantier de démolition, a repris sa progression. Au sujet des discours du président Macron, on pourrait peut-être parler de félonie, vous ne croyez pas ?
Voilà ce que je dis, moi.
Quelques vidéos montrent des policiers qui posent leur casque au sol (Nîmes) pour applaudir les personnels soignants en train de manifester parce que le nœud coulant s'est resserré comme avant sur le cou de l'hôpital public. Bravo à ceux-là. L'exception ?
J'apprends (20 juin) que le "Ségur de la Santé" va peut-être déboucher sur des revalorisations de salaires pour 1.000.000 de personnels hospitaliers, sauf les médecins. Si c'est vrai (tout est dans le "peut-être" et dans l'enveloppe), c'est un premier pas. Je n'ai pas entendu cependant parler d'une réforme de l'organisation hospitalière, non plus que de l'abandon de la rémunération à l'acte. A quand, le "plan massif d'investissement pour l'hôpital public" ?
mardi, 16 juin 2020
MACRON LE VERBEUX ...
... ou : LA VOIX DU TAMBOUR.
Résumé du contenu concret du discours solennel d'Emmanuel Macron à la télévision le dimanche 14 juin 2020.
Bande-son Marseillaise, et puis :
« Française, Français, mes chers compatriotes,
Bla [ * % < & # ] bla
bla , ( ) ~~ = µ ^ + bla
bla $ £² ! > ¨ ¤ § / bla
bla @ | { x } y w bla.
Vive la République ! Vive la France ! »
Et ça dure à peu près vingt minutes. Fermez le ban.
***
Je suis de l'avis de Thomas Piketty, interviewé sur France Inter le 15 juin (hier, 10') :
« Oh ben, il n'a pas dit grand-chose, hein, je dis ça, c'est pas pour être méchant » (citation textuelle).
Un chef d'Etat, ça ? Un homme d'Etat ? Non mais laissez-moi rire ! Emmanuel Macron est un
ÇA FAIT BEAUCOUP DE BRUIT,
MAIS IL N'Y A RIEN A L'INTÉRIEUR.
Et ce n'est pas d'hier que je le dis, comme on peut le voir ici, 1 octobre 2017 : "Il plastronne. Il claironne. Il klaxonne" [je me cite] ; ou ici, 15 mars 2019 : "Ni un intellectuel, ni un homme d'Etat, mais un technocrate", dit Myriam Revault d'Allonnes dans le livre de François Ruffin, Ce Pays que tu ne connais pas ; « Il parlait très bien, singeant le langage universitaire à la perfection, mais c'était au fond assez creux », dit Jean-Baptiste de Froment, son ancien condisciple d'Henri IV). J'ajouterai : un technocrate qui a le verbe facile.
Conclusion : Macron est un verbeux. Un homme non de faits, d'actes ou de choses, mais de mots. Une baudruche. Une bulle de savon.
Et puisqu'il n'y a pas de raison que ça change, je ne change rien à ma formule de 2017, empruntée au perroquet Laverdure de Zazie dans le métro (Raymond Queneau) :
« Macron, tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire ».
Je commence à trembler en pensant au duel Macron/Le Pen à la présidentielle de 2022.
En attendant, je tremble à propos de ce qui attend les personnels de l'hôpital public tout au long de ce "Ségur de la Santé" qui a fait autant de promesses que le "Grand Débat" et qui, n'en doutons pas, les tiendra de la même manière : en forme de bras d'honneur.
***
Accessoirement, j'en veux énormément aux journalistes (France Culture, France Inter) qui se font servilement les porte-voix de la parole officielle en général, et présidentielle en particulier.
Avant le discours, on entend : « Attention, le président va parler ». Avant le discours, les journalistes bien "introduits" se mettent à frétiller comme de petits poissons autour des "proches" du président ou des "personnes bien informées" pour ensuite vous faire part à l'antenne des "fuites" qu'ils ont obtenues, sans aucun doute en exclusivité (mais une exclusivité collective).
Après la retransmission, de savants commentateurs (politistes, sondeurs, observateurs, profs à Sciences-Po. ; résumons-nous : baudruches au carré) viennent alors vous paraphraser avec moult détails explicatifs ce que vous devez retenir de ce que vous venez d'entendre.
Non mais franchement, qu'est-ce que c'est que ce journalisme-serpillière ? J'hallucine quand je vois le poids dans les informations des "journalistes politiques" qui délaient à longueur de bulletins des discours pour disséquer des discours.
J'imagine que cette lourde dérive de toute une profession reflète la montée en puissance des conseillers en communication et des attachés de presse qui œuvrent auprès des gens au pouvoir et qui bombardent la presse de messages destinés à faire mousser dans les médias et dans l'opinion publique l'action des politiques qui les emploient.
Quelle déchéance ! Quel avilissement du métier !
Plus je regarde la société dans laquelle je vis, plus je sens s'accumuler mes colères.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : emmanuel macron, françois ruffin, myriam revault d'allonnes, perroquet laverdure, zazie dans le métro, raymond queneau, marine le pen, rassemblement national, thomas piketty, france inter, ruffin ce pays que tu ne connais pas, journal fakir, france, politique, société, président de la république, journalistes, journalisme, france culture
samedi, 13 juin 2020
MAINTENANT J'AI PEUR DE LA POLICE
Post-post-scriptum (13 juin, voir mes billets des 10 et 11) :
Aujourd’hui, je peux dire que la police française me fait peur. Jusqu’à maintenant, je me disais, avec raison à ce que je croyais, que le pouvoir utilisait la police française comme une masse de manœuvre contre les éruptions volcaniques qui secouent le peuple quand il n’en peut plus ou que la marmite se met à bouillir, et qu’ayant usé et abusé de cette masse de manœuvre (mobilisations policières monstres, heures supplémentaires à l'infini et non payées, ...), il avait tellement poussé à bout les policiers qu'ils avaient manifesté sur les Champs-Elysées toutes sirènes hurlantes et gyrophares allumés.
Maintenant, ça a changé. Petit rappel des épisodes.
1 – Dans la foulée de la mort épouvantable de George Floyd à Minneapolis, une manif à Paris profite du rapport d’expertise qui innocente la gendarmerie de la mort d’Adama Traoré en 2016 pour rassembler 23.000 personnes (comptage policier) qui protestent contre, disent-elles, l’iniquité.
2 – Dans la foulée des manifestations qui se répandent dans le monde pour dénoncer le racisme institutionnel de la police américaine, on apprend, en France, que 8.000 policiers se retrouvent sur « facebook » pour échanger des propos très souvent racistes, sexistes et homophobes.
3 – Les manifestations françaises se mettent alors à dénoncer aussi bien le « délit de faciès » et les discriminations qui orientent les interpellations des policiers que la méthode d’immobilisation au sol des individus "récalcitrants" (conseil : faites attention au risque de "délit d'outrage et rébellion").
4 – Le sociologue Sébastian Roché (De la Police en démocratie, Grasset) rappelle sur les ondes de France Culture les innombrables études qui établissent la réalité d’innombrables faits de discrimination : « On a maintenant depuis plus de dix ans un grand nombre d'enquêtes sur la manière dont la police travaille, sur les contrôles d'identité et sur le traitement des personnes pendant les contrôles et les sanctions à l'issue des contrôles. On a observé les comportements policiers avec une méthodologie très précise. (…) Et aujourd’hui, on a un énorme corpus de données qu'on n'avait pas il y a dix ans. Et toutes ces études montrent une chose simple : dans toutes les villes où on a fait les enquêtes, la police en France a des comportements discriminatoires. ». La question que je me pose : ont-ils des ordres de leurs chefs ? A priori, je réponds : probable ("politique du chiffre" oblige).
5 – Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, en concédant aux manifestants que s’il y a « suspicion » de racisme de la part de la police, cela mérite sanction. Cette petite concession suscite aussitôt les hurlements de colère du corps policier tout entier qui clame que « son » ministre le lâche et lui retire sa confiance. Castaner a commis le "crime" d'infraction à la sacro-sainte "omerta" qui lie tous les membres de la "famille" dont il est le "parrain". Ce refus violent de toute remise en question d'une composante majeure de la république par cette composante même est tout simplement scandaleux.
6 – Politisation du problème : j’entends à quelques rares reprises dans les médias que pas loin de 50% des policiers (Mélenchon prétend 75%) votent très habituellement Front National (maintenant Rassemblement National) aux élections présidentielle, législatives et municipales. Dans le même temps, Christian Jacob (Les Républicains) et Marine Le Pen (je ne parle pas du préfet Lallement) prennent publiquement la défense de la police en affirmant haut et fort que non, « la police n’est pas raciste » (ce qui est vrai si l'on s'en tient au statut du corps constitué, mais pas forcément si l'on fait une enquête sociologique sur l'orientation politique majoritaire des personnels).
7 – Pendant que le ministre de l'Intérieur bat sa coulpe, se convertit à la reptation ventrale et opère un savant "repli sur des positions préparées à l'avance" en espérant colmater les brèches, Marine Le Pen se démène comme un beau diable pour draguer les faveurs des policiers en allant sur le terrain visiter un commissariat et faire quelques selfies en compagnie de quelques uniformes.
***
Voilà les données du problème telles que j’ai cru pouvoir les rassembler en me fiant aux informations reçues. Les conclusions que j’en tire ne sont pas rassurantes du tout. Car je me permets de faire le lien avec l’éternisation sur le territoire français de la notion d’ « état d’urgence » : d’une part directement avec la déclaration et la prolongation de l’ « état d’urgence sanitaire » pendant des mois ; d’autre part indirectement il y a déjà quelque temps, lorsque Macron a obtenu de ses députés-godillots que soient insérées dans le droit commun certaines des mesures d’urgence que Hollande avait prises après les attentats terroristes de 2015. Or, qui dit "état d'urgence" dit restriction des libertés publiques telles que définies par la Constitution. Le pire, c'est que cet état de choses semble n'inquiéter que très peu de Français.
Tout ça mis bout à bout, je trouve que la situation devient fort inquiétante. Je n’oublie pas que Marine Le Pen figurait au 2ème tour de la dernière présidentielle, qu’elle aspire au pouvoir et que, peut-être, elle y accédera un jour. Je poursuis le scénario : supposons Marine Le Pen présidente de la République française. Elle dispose d’une police dont environ la moitié lui est politiquement acquise. Vous vous rendez compte ? Une tête de pont de l’extrême-droite en plein cœur des institutions de la république ? Une garde prétorienne composée de gens sur-armés, entraînés et dévoués ? C'est alors qu'on pourrait s'attendre au pire.
Conclusion : pour moi, les problèmes liés à l’exercice de la fonction de policier ont cessé d’être purement institutionnels, administratifs ou même moraux. Le problème est principalement politique. Les problèmes de racisme, de sexisme et d'homophobie en sont de simples corollaires : s'il y a du racisme dans la police, c'est seulement parce qu'il y a une proportion peut-être majoritaire de la police qui flirte avec l'extrême-droite. Cette seule idée me terrifie.
D'autant que je note par ailleurs une certaine convergence entre les décisions prises par le gouvernement et la majorité du président Macron (mesures d'état d'urgence maintenues dans le droit commun) et l’envie de pouvoir qui tenaille l’état-major du Rassemblement national de Marine Le Pen. Comme si l'actuel président préparait benoîtement la venue de la seconde.
Oui, vous allez peut-être me dire que j'ai tort de me monter ainsi la tête, mais je le dis : aujourd’hui, je suis résolument républicain, mais j’ai peur de la police.
Voilà ce que je dis, moi.
PS ajouté le 15 juin : j'apprends incidemment, comme au détour d'une phrase, que l'équivalent britannique de notre IGPN est composée exclusivement de membres non policiers. Macron pourrait s'en inspirer.
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jeudi, 11 juin 2020
POLICE : 8.000 BREBIS GALEUSES ?
Post-scriptum à mon billet d’hier (11 juin) : Il fallait s’y attendre : les déclarations très modérées de M. Castaner, ministre de l’Intérieur, admettant que s’il y a du racisme dans la police il doit être sanctionné, ont immédiatement suscité une levée de boucliers dans les rangs de la police. Le chœur est unanime : « Nous sommes désavoués ! Au secours ! ».
Ah c’est sûr, faut pas les chatouiller. Le corps policier ne tolère pas la plus petite réserve, le plus léger accroc, le moindre écart au soutien entier et massif du pouvoir à tous les faits et gestes de ses personnels. Quoi, on ose leur demander d'être irréprochables ? De ne pas être racistes ? Quel culot, ce ministre ! Le corps policier est tout entier en colère. Pas touche ! C'est tout ou rien : « Love me or leave me ! ». Qu'on se le dise : le corps policier est un et indivisible. Attaquer un élément, c'est les critiquer tous.
Et bien sûr pas question de se désolidariser des collègues suspects de dérive raciste ou violente : la surface de la cuirasse ne tolère aucun défaut, le vernis doit rester absolument intact. Et bien sûr pas question d’un « mea culpa » qui donnerait raison aux ennemis déclarés de la police (suivez mon regard). Allez, circulez ! Je me dis que certains loulous ne demandaient pas d'autres encouragements pour alimenter leur haine des flics.
Il n'est pas né, le décideur politique qui osera changer quoi que ce soit aux petites habitudes de la gent policière à la française. Le pouvoir avait déjà renoncé, devant la menace, à toucher à son système de retraites. Il faudrait un Samson, un Héraklès, un « Jupiter » pour l'amener à « se réinventer » (n'est-ce pas, M. Macron ?), mais on n'en a plus en magasin : rupture de stock. Circulez, on vous dit !
On n'a pas plus le droit de critiquer la police sans se faire accuser d'atteinte à son moral qu'on n'a le droit de critiquer Israël sans se faire traiter d'antisémite. Et tant pis pour les gens ordinaires. On dirait que la police ne conçoit les relations avec ces derniers que sous l'angle du rapport de forces.
Voilà ce que je dis, moi.
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Pour se faire une idée des raisons de se méfier de la police, il suffit d'écouter (ici, 9') Sébastian Roché, auteur de De la Police en démocratie (Grasset). On a pu l'entendre en direct le 12 juin sur l'antenne de France Culture, interrogé par Guillaume Erner. Il dit surtout que dans toutes les études fondées sur des observations précisément localisées (gares, entre autres), les discriminations à la couleur de peau sont abondamment documentées et tout à fait incontestables. Il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.
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lundi, 06 avril 2020
DES MOYENS POUR L'HÔPITAL PUBLIC
ADRESSE AU PRÉSIDENT MACRON ET A SES SEMBLABLES.
Photo parue dans Le Monde, 5-6 avril 2020.
Pas moins de huit personnes pour entourer le brancard perfectionné. Voilà ce que ça veut dire, Monsieur Macron, "investissement pour l'hôpital public".
Oui, monsieur Macron, voilà pourquoi je suis en colère. Très en colère. Pour dire vrai, je bous de rage.
Car voilà, monsieur Macron, les moyens qu'il faut à l'hôpital public pour que la France puisse faire face aux imprévus sanitaires : des moyens financiers et du personnel hospitalier en nombre. Seulement, pouvez-vous comprendre que l'hôpital est tout sauf une entreprise ? Que la raison d'être de l'hôpital public n'est pas d'être rentable ? Que l'hôpital public se définit comme un Bien Commun inaliénable ?
C'est vous, monsieur Macron, qui avez parlé d'un « plan massif d'investissement pour l'hôpital public ».
Vous l'avez dit, mais tiendrez-vous parole ? J'espère que l'article de Laurent Mauduit sur Mediapart (1er avril 2020) servira de "geste-barrière". Le contraire serait trop terrible. J'espère que vous renoncerez à n'être que l'ultralibéral qui cause, qui cause, c'est tout ce qu'il sait faire.
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Il faut absolument lire, dans le même numéro du Monde l'article intitulé "Carnet national", signé par « Pascale Robert-Diard, avec l'ensemble de la rédaction du "Monde", du monde.fr et de nos correspondants régionaux ». On a du mal à s'en remettre. L'auteur a compilé les avis de décès publiés dans la presse régionale. On y apprend, entre autres, que dans L'Alsace (journal du Haut-Rhin), les avis de décès parus du 18 au 28 mars 2019 étaient au nombre de 241. Sur la même période, mais en 2020, on en compte 620.
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Réveillez-vous, monsieur Macron ! Prenez conscience, monsieur Macron ! Il est encore temps, monsieur Macron !
16:27 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : covid 19, coronavirus, crise sanitaire, hôpital public, emmanuel macron, plan massif d'investissement pour l'hôpital public, journal le monde, société, france, politique, ultralibéralisme, médiapart, pascale robert-diard
samedi, 21 mars 2020
L’OCCIDENTAL ET LA NUDITÉ FÉMININE
Des profondeurs de mon confinement, je crie vers toi, Liberté ! En attendant ton Retour, je m'efforce de prendre patience comme je peux.
« Mais entre les choses doublement étranges et vraiment émerveillables, que j’ai observées en ces femmes brésiliennes, c’est qu’encore qu’elles ne se peinturent pas si souvent le corps, les bras, les cuisses et les jambes que font les hommes, même qu’elles ne se couvrent ni de plumasseries ni d’autres choses qui croissent en leur terre : tant y a néanmoins que quoi que nous leur ayons plusieurs fois voulu bailler des robes de frise et des chemises (comme j’ay dit que nous faisions aux hommes qui s’en habillaient quelques fois), il n’a jamais été en notre puissance de les faire vêtir : tellement qu’elles en étaient là résolues (et je crois qu’elles n’ont pas encor changé d’avis) de ne souffrir ni avoir sur elles chose quelle qu’elle soit. Vrai est que pour prétexte de s’en exempter et demeurer toujours nues, nous alléguant leur coutume, qui est qu’à toutes les fontaines et rivières claires qu’elles rencontrent, elles jettent avec les deux mains de l’eau sur leur tête, et se lavent et plongent ainsi tout leur corps comme cannes, tel jour sera plus de douze fois, elles disaient que ce leur serait trop de peine de se dépouiller si souvent. Ne voilà pas une belle et bien pertinente raison ? mais telle qu’elle est, si la faut-il recevoir, car d’en contester davantage contre elles, ce serait en vain et n’en auriez autre chose. Et de fait, cet animal se délecte si fort en cette nudité, que non seulement, comme j’ai jà dit, les femmes de nos Toüoupinambaoults demeurant en terre ferme en toute liberté, avec leurs maris, pères et parents, étaient là du tout obstinées de ne vouloir s’habiller en façon que ce fût : mais aussi quoi que nous fissions couvrir par force les prisonnières de guerre que nous avions achetées, et que nous tenions esclaves pour travailler en notre fort, tant y a toutefois qu’aussitôt que la nuit était close, elles dépouillant secrètement leurs chemises et les autres haillons qu’on leur baillait, il fallait que pour leur plaisir et avant que se coucher elles se promenassent toutes nues parmi notre île. Bref, si c’eût été au chois de ces pauvres misérables, et qu’à grands coups de fouets on ne les eût contraintes de s’habiller, elles eussent mieux aimé endurer le halle et la chaleur du Soleil, voire s’écorcher les bras et les épaules à porter continuellement la terre et les pierres que de rien endurer sur elles. »
Jean de Léry, Histoire d'un voyage faict en la terre du Bresil, (1578, p.231-233).
Note : Il paraît que le "Rouge Brésil" du très médiatique Jean-Christophe Rufin doit beaucoup à Histoire d'un voyage faict en la terre du Bresil. Je me suis résigné à mettre l'orthographe au "goût" d'aujourd'hui. Je n'ai rien changé à la syntaxe. L'auteur est un calviniste pur jus de faucille et marteau, qui en veut énormément à un certain Thevet, salopard de la même époque (un quasi-Trotski), quoique catholique fervent, qui a le toupet de ne pas croire en Dieu de la façon correcte et qui, de ce fait, raconte n'importe quoi. Je n'ai pas lu Thevet. On est très loin de l'histoire délicieuse de Marciole venant livrer de belles cerises au redoutable seigneur De La Roche, que Béroalde de Verville raconte au début de son merveilleux Moyen de parvenir. Là, la religion ferme sa gueule. Elle a intérêt.
Incroyable comme la langue française du XVI° siècle reste pour moi d'une saveur sans pareille.
Voilà ce que je dis, moi.
Petit rappel (édition en français d'aujourd'hui) :
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : coronavirus, covid 19, politique, france, littérature, littérature française, jean de léry, voyage au brésil, histoire d'un voyage en terre de brésil, béroalde de verville, le moyen de parvenir
vendredi, 20 mars 2020
LES JOIES DU CONFINEMENT
A l'article « Confinement ».
LITTRÉ : « s.m. 1. Action de confiner, de reléguer. 2. Terme de droit criminel. La peine de l'isolement dans les prisons. H. XVI° s. Par dégradation d'honneur, confiscation d'estat, de biens, et confinement que l'on appelle mort civile, Carl. II, 6. C'est une gehenne et lieu de tourments ou un confinement où les âmes sont reléguées, Amyot, De la tranq. d'âme, 39. Fut conamné à mort, qui luy fut neantmoins eschangée par la douceur de l'empereur en un confinement de religion et monastère, Pasquier, Recherches, liv. II, p. 41, dans Lacurne.»
***
"GRAND" ROBERT (2001) : n.m. – 1579, « emprisonnement » ; « terrain confiné », 1481 ; de confiner.
◊ 1 Littér. ou style soutenu. Action de confiner (3,), Le confinement des prisonniers dans leur cellule. → isolement. – Méd. Interdiction (à un malade) de quitter la chambre. → Quarantaine (2,). Le confinement (d'un malade) à la chambre. – (Sans compl.) Un long confinement.
◊ 2 Techn. Restriction, moyen par lequel on réalise une restriction de l'espace accessible à un ensemble de particules. Confinement des produits de décomposition d'une substance explosive. – Phys. Le confinement des matières radioactives dans un réacteur, des particules chargées d'un plasma.
Note : Par pure commodité, je ne reproduis pas avec toute l'exactitude souhaitable le code graphique quasi-maniaque adopté dans le grand dictionnaire d'Alain Rey.
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PETIT LAROUSSE ILLUSTRÉ (2002, que le PLI 2020 reproduit scrupuleusement : la réalité ne change pas si vite que ça, en réalité) : n.m. 1. Action de confiner ; fait de se confiner, d'être confiné. – Situation d'une population animale resserrée en grand nombre dans un espace étroit. 2. NUCL. Ensemble des précautions prises pour empêcher la dissémination des produits radioactifs, dans l'environnement d'une installation nucléaire. ◊ Enceinte de confinement : bâtiment étanche entourant un réacteur nucléaire.
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Je retiens évidemment la définition de Littré : « Terme de droit criminel », qui a quelque chose à voir avec la prison et la situation actuelle. Je retiens aussi « population animale resserrée en grand nombre dans un espace étroit ». Je retiens enfin « empêcher la dissémination ».
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Pour lutter contre le coronavirus, les autorités devraient peut-être s'inspirer de la consigne diffusée autour de 1832, quand le choléra sévissait en Provence, par des gens facétieux. On trouve ce texte réjouissant (attendez la chute) dans un numéro du Journal des Voyages paru dans les années 1880, texte agrémenté d'un très joli dessin.
« Un homme qui veut être à l’abri de la contagion doit être costumé d’après la description qui suit :
D’abord, le buste entièrement enveloppé de gomme élastique, par-dessus laquelle on appliquera un grand emplâtre de poix ; le tout est recouvert d’une bande de flanelle de six aunes de longueur. Sur le creux de l’estomac on placera une plaque en cuivre. La poitrine sera préservée par un sac rempli de sable chaud. Autour, une double bande remplie de grains de poivre et de genièvre. Les oreilles seront bien bouchées avec deux morceaux de coton imprégnés de camphre. Au nez il suspendra un grand flacon rempli de vinaigre des quatre voleurs, et, devant la bouche, on ajustera une branche d’acorus. Par-dessus la bande qui enveloppe le corps, il portera une chemise passée au chlore de chaux. Des pantalons en flanelle, des bas de fil trempés dans le vinaigre, recouverts de bas de laine frottés de camphre, puis des semelles creuses en cuivre, constamment remplies d’eau chaude, par-dessus lesquelles il mettra des gros souliers.
Derrière les mollets, il est nécessaire de suspendre deux cruchons pleins d’eau. Puis, une grande redingote, un tissu de laine, et finalement, pour recouvrir tout le costume, un ample manteau en toile cirée et le chapeau pareil. Dans la poche droite de la redingote, il portera une livre de thé de mélisse et une demi-livre de racine de gentiane. Dans la poche gauche, une livre de racine de coriandre, et une demi-livre de feuilles de souche. Dans la poche de la veste, un flacon d’essence de camomille, et dans le gousset un flacon d’éther camphrée. Dans le fond du chapeau, une terrine de soupe ; dans la main droite un buisson de genévrier, et, dans la gauche, un arbre d’accacia [sic]. Il sera attelé à une charrette qu’il traînera avec lui, dans laquelle se trouveront quinze aunes de flanelle, l’appareil nécessaire pour prendre un bain de vapeur, dix brosses à friction, deux pelisses et une chaise percée. La figure sera couverte d’un masque en pâte, et dans la bouche il aura un quartier d’acorus ; ainsi pourvu et costumé, on est certain que le choléra — vous atteindra le premier. »
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Oui, le soir à 20 heures, moi aussi j'ouvre ma fenêtre et j'applaudis les blouses blanches, même si la rue est absolument déserte.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : épidémie coronavirus, covid 19, confinement, attestation dérogatoire, dictionnaire littré, alain rey, petit larousse illustré., le grand robert, emmanuel macron, politique, france, état d'urgence sanitaire
lundi, 03 février 2020
LEÇON DE POLITIQUE
Cours Magistral de Politique Intérieure Française par Monsieur le Professeur Georges Wolinski, publiée dans l'hebdomadaire Charlie Hebdo, le 30 septembre 1976 : le Président Giscard d'Estaing explique à Monsieur Raymond Barre la raison pour laquelle ses décisions suscitent une levée de tous les boucliers.
La question qui me vient à l'esprit est la suivante : « Emmanuel Macron aurait-il malgré tout raison, puisqu'on voit justement se lever tous les boucliers ? ». Autrement dit : « Quand on gouverne, faut-il attendre que tous les boucliers se soulèvent pour savoir qu'on est dans le vrai ? ». La réponse, dans les années 1950-1960, aurait été : « Certes, il y a des classes sociales, mais au-dessus, il y a le sentiment d'appartenance au peuple français ». Ce qui produit le plus souvent des conclusions qui satisfont tout le monde à moitié.
Aujourd'hui, il n'en est rien : le peuple français s'est scindé en une multitude d'îlots qui forment un archipel (Jérôme Fourquet, L'Archipel français) : le Président de la République élu en 2017 essaie de nous faire croire qu'il est autre chose qu'un directeur d'hypermarché soucieux de satisfaire jusqu'aux plus infimes compartiments de sa clientèle.
Toujours Wolinski, dans Charlie Hebdo du 17 juin 1976.
Emmanuel Macron en revient aux rodomontades politiques, étant entendu que vouloir faire de la politique aujourd'hui revient à se livrer à de simples rodomontades, puisque l'économie a définitivement relégué la politique au rang de simple remorque de son char triomphal.
C'est en tant que P.-D. G. de l'entreprise "France" – et directeur du service comptabilité – que monsieur Macron a entrepris une réforme du système de retraite dont la principale finalité est de faire des économies (sur le dos des futurs retraités).
Mais quelle prescience dans le regard de Wolinski : n'est-ce pas précisément Macron qui a parlé de "start-up nation" ? Et ce n'était pas il y a un demi-siècle, il me semble !
samedi, 04 janvier 2020
2020 : DES MECS A ABATTRE
Ecrit en pensant à Christophe Ruggia, à Roman Polanski, à Gabriel Matzneff et à tous ceux qui attendent le couperet dans l’antichambre de la guillotine médiatique.
Je hais l'idée qu'un adulte ose concevoir les enfants comme des partenaires amoureux, mais je refuse de hurler avec les louves : je déteste encore plus les charognards.
On l'a peut-être oublié, mais il fut un temps pas si lointain (2001) où le célèbre Daniel Cohn-Bendit fut désagréablement chatouillé sous les aisselles par une presse qui venait de déterrer quelques déclarations où le désormais retraité des navigations politico-médiatiques se gardait de condamner l'amour avec les enfants, alors qu’il travaillait dans une « école alternative ». Les vautours de la "morale", les obsédés de "l'envie de pénal" étaient en train de prendre leur essor, comme l'avait déjà noté notre cher Philippe Muray.
Je précise tout de suite que l'on s'en prend à quelque chose qui était assez banal dans les milieux qu'on disait à l'époque (la queue de comète de Mai 68) « avancés en matière de mœurs ». Cette tendance à ce qui est désormais souillé du nom de l'infamie (« pédophilie ») avait des pages ouvertes jusque dans les journaux les plus vendus à l'époque, et même à la télévision.
Je ne me rappelle plus en quelle année j'avais capté un morceau d'une émission consacrée au sujet, où des amoureux des enfants (c’était ce que les Grecs de l’antiquité regroupaient sous le nom de « pédérastie », lire Le Banquet de Platon) s'étaient présentés sur le plateau de façon à ne pas pouvoir être identifiés (j'imagine que l'époque ne se prêtait déjà plus trop à l'étalage de telles préférences). Je mentionne pour mémoire un livre de Tony Duvert (Quand Mourut Jonathan, Minuit, 1978), où le personnage principal, un artiste, se borne à une sodomie superficielle avec le jeune garçon qui lui est confié pour un temps par sa famille.
J'ai encore dans mes archives quelques exemples de ces « faits sociaux » qui atterriraient aujourd'hui directement sur les unes des journaux, sur le banc des prévenus en correctionnelle et derrière les barreaux des centres de détention (j'ai entendu quelque part : « Ça mérite perpète »). J'en fournirai peut-être des images, mais seulement après les avoir "expurgées".
Dessin du groupe "Bazooka Production" (Chapiron ? Kiki Picasso ?). Recueilli dans les pages "Petites Annonces" (annonces "taulards" si je ne me trompe pas) du journal Libération daté 5 novembre 1978. Vous imaginez ça, aujourd'hui ? Moi non. La liberté d'expression est très mal en point : d'innombrables sortes de gens, pour d'innombrables raisons qui leur sont particulières, considèrent que nul n'a le droit de
HEURTER LEUR SENSIBILITÉ.
A croire que les épidermes contemporains sont devenus hypersensibles, voire allergiques.
D'innombrables sortes de gens ont les moyens de faire taire les gens libres. C'est de ça qu'elle est en train de crever, la liberté d'expression. C'est de ça qu'elle va crever, la liberté.
Même le journal Libération, qui a grandi dans les flammes de tous les non-conformismes amoureux, dont il a longuement fait la publicité dans ses pages « Petites Annonces », se repent à présent, à grand bruit et à grands renforts de "mea culpa" sonores, d'avoir donné de l’audience aux goûts de Gabriel Matzneff en matière sexuelle.
Ses goûts ? En dehors des 1.800 conquêtes féminines (« Ma in ispagna son gia mille tre ») du Don Giovanni de Mozart-Da Ponte, le célèbre "air du catalogue" chanté par Leporello les précisait : « Sua passion predominante È la giovin principiante » (ce que Don Juan préfère, c’est la "jeune débutante").
Il faut le dire : il y eut "table ouverte" dans les médias pour les formes non-conformes de sexualité dans toutes sortes de milieux plus ou moins considérés comme "progressistes". Combien de temps a duré la levée de ce tabou ? Difficile à dire. Je dirais à vue de nez que les quinze à vingt ans qui ont suivi mai 68 ont été propices à toutes sortes d’expérimentations dans ce domaine (y compris l’arrivée de Mitterrand au pouvoir le 10 mai 1981).
Un exemple : je me souviens d’avoir lu, au début des années 1970, Journal d’un éducastreur (si, si, vous avez bien lu), écrit par un certain Jules Celma (éditions Champ libre, 1971). Il est instituteur remplaçant. Je vous cite une phrase de la notice que lui consacre l’encyclopédie en ligne : « Il laisse à ses élèves une liberté totale afin d'encourager leur épanouissement et leur expression non autocensurée ».
Le résultat ne se fait pas attendre : au cours d’un jeu qui se déroule dans la classe, les gamins se mettent à mimer des scènes de sodomie, parfumées d’un zeste de sadisme. Celma lui-même en restait baba d’admiration. Il considérait que toute éducation appauvrit drastiquement le potentiel créatif de l’enfant ! Et on a vu de drôle de trucs au sein des « Ecoles Nouvelles » fondées par des gens qui avaient mal digéré la lecture de Libres enfants de Summerhill (A.S. Neill).
Toujours dans les mêmes années, j’ai lu Douze poèmes pour Francesca (1977). Je n’ai gardé aucun souvenir des textes écrits par Gabriel Matzneff (oui, oui, le même qu’aujourd’hui). Ce qui est sûr, c’est que la Francesca en question ne devait avoir guère plus de quinze ans. Matzneff aimait les très jeunes filles, et en plus, il ne s’en cachait pas du tout.
Celui que de bonnes âmes traitent aujourd’hui de monstre était couramment reçu par Bernard Pivot sur le plateau d’Apostrophes. Il avait même écrit une pétition de soutien à trois pédophiles qui passaient alors en correctionnelle, et celle-ci avait été signée, entre autres, par Simone de Beauvoir et Louis Aragon, pour dire la carrure de quelques signataires. On peut en trouver ces jours-ci une resucée sur le site internet de Libération.
Le cas de Roman Polanski est-il si différent ? La fille de 13 ans (en 1977 ?) qui avait porté plainte contre lui après une nuit « agitée » a abandonné toute poursuite contre lui. C’est la vindicte d’un procureur particulier qui a réveillé l’affaire : les Américains sont, paraît-il, intransigeants sur la morale et intraitables avec les actes « inappropriés ». Et c’est au moment où sort en France son film J’Accuse qu’un livre de Valentine Monnier vient opportunément dénoncer l’inqualifiable comportement que le cinéaste a eu à l’égard de celle qui n’était alors qu’une très jeune fille.
Christophe Ruggia, cinéaste lui aussi, subit les foudres de l’actrice Adèle Haenel depuis que celle-ci s’est souvenue qu’il avait eu, lorsqu’elle avait 12 ans, des gestes totalement déplacés. Elle est née en 1989, la fin trouble des années 1970, elle ne connaît pas, c’est certain.
Mais là, je dis : où étaient les parents, au moment où elle se faisait peloter, voire pire ? Pareil pour la très jeune Vanessa Springora, tombée entre les griffes du pervers quand elle avait 14-15 ans : où étaient les parents ? Que je sache, la majorité est à 18 ans : avant, c’est aux parents qu’il faut s’en prendre pour les fautes dont leurs enfants ont été victimes.
Non, j'ai beau haïr l'instrumentalisation du corps des enfants par des adultes anormaux, je trouve que cette atmosphère devient vraiment irrespirable. Je ne supporte plus cette « levée en masse » des justiciers qui crient « A mort ! » contre des gens qui ont, il y a quarante ans, pris au mot le graffiti soixante-huitard « Il est interdit d’interdire ». Le slogan est insensé, je suis d’accord. Mais tout ça ressemble à des vengeances rétrospectives et à des représailles par procuration. Tout ça me fait horreur. Et la présente unanimité des glapisseurs de la morale me semble de très mauvais augure pour les partisans de la liberté.
La censure s'est démocratisée. Je veux dire qu'elle s'est universalisée : tout individu est un censeur en puissance. Et il ne s'en prive pas.
Voilà ce que je dis, moi.
***
Note.
La BD était évidemment au diapason de cette époque post-soixante-huitarde qui subit aujourd'hui toutes les diatribes et indignations vertueuses. A commencer par la très féministe (quoiqu'éphémère) revue Ah Nana ! Ci-dessous la couverture du n°9, le dernier, paru en septembre 1978. Les tentations étaient certes nombreuses et multiples, sans parler de l'envie des jeunes pubères de tester leur pouvoir.
Le grand Robert Crumb lui-même allait encore plus loin (je crois que c'était dans les pages de la revue Actuel).
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christophe ruggia, roman polanski, gabriel matzneff, pédophilie, féminisme, il est interdit d'interdire, adèle haenel, vanessa springora, polanski j'accuse, valentine monnier, mai 68, bernard pivot apostrophes, matzneff douze poèmes pour francesca, simone de beauvoir, louis aragon, libres enfants de summerhill a s neill, jules celma journal d'un éducastreur, don giovanni mozart, journal libération, daniel cohn-bendit, presse, journalistes, société, politique, france, liberté d'expression, bazooka production, bazooka chapiron, bazooka kiki picasso, philippe muray
jeudi, 17 octobre 2019
MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...
... FRANÇAISE. (2/2)
3 – La police de proximité.
Je crois que ce préjugé défavorable au peuple, soigneusement entretenu par les autorités, explique l’incroyable élargissement du fossé qui sépare la population des forces de police. Récemment, sur France Culture, un gradé de rang moyen, proche de la retraite (le même que précédemment), rappelait que, lors de la cohabitation Chirac-Jospin après 1997 (la dissolution), ce dernier avait eu cette trouvaille admirable : la « police de proximité », et que sa disparition avait été une catastrophe (voir plus bas).
Qu’est-ce que c’était, pour Lionel Jospin et son entourage, la police de proximité ? C’était l’occasion inespérée de répandre dans la population l’idée que, quand la police est là, c’est pour venir à son aide, la secourir, faire en sorte que règne, en fin de compte, un ordre qu’on puisse qualifier de républicain. Jospin a réussi, avec la police de proximité, à installer des postes de police jusque dans des quartiers où, aujourd’hui, les policiers ne peuvent plus s’aventurer sans prendre cailloux ou cocktails Molotov, sans provoquer des émeutes. On peut se demander naïvement pourquoi : la réponse fait hurler de rage le simple bon sens.
La police de proximité, c’étaient des policiers en quelque sorte chargés d’une mission de haute sensibilité : établir entre la population et les forces représentant la loi des relations de confiance réciproque. Des flics destinés à vivre si possible dans les mêmes conditions réelles d'existence que les vrais gens, dont ils auraient une vraie « connaissance de terrain » et aux yeux desquels ils étaient chargés de représenter la loi en action et en présence.
La loi, certes, en uniforme, mais avec un visage d’individu reconnaissable et familier. La police dans la population comme un poisson dans l’eau : la voilà, la police républicaine. Des personnes au milieu d'autres personnes. Et qui pouvaient, selon les moments, taper dans un ballon dans les "quartiers" ou taper sur les voyous, les délinquants et les dealers. L'ordre qu'ils représentaient était admis par la population, et ils n'oubliaient jamais leur mission première : incarner la loi.
Avec la police de proximité, Lionel Jospin avait mis en place les conditions de la paix civile sur tous les territoires de la république. Cela devait paraître insupportable à certains.
4 – La politique du chiffre : le policier est un gros bâton. Un poing, c'est tout.
La police de proximité commençait juste à porter ses fruits, quand elle a été supprimée d’un simple trait de plume, au motif qu’ « un flic, c’est pas payé pour jouer au football ». Celui qui tient alors la plume (et l’auteur de la citation, qui en a d'autres belles à son actif : "kärcher", "casse-toi pauvre con", etc. ...) est un voyou que les Français ont eu la niaiserie de porter à la présidence (en fait, à ce moment-là – avant 2007 – il n'était que le ministre de l'Intérieur de Chirac). Croyant élire un homme d’action, ils ont élu un casseur. Le bilan de Nicolas Sarkozy (c’est lui, tout le monde avait compris) est un bilan de casse : la justice, l’hôpital, la police, tout y passe.
La justice ? On compare les magistrats à des rangées de boîtes de petits pois sur des rayons, et on envoie Rachida Dati tirer dessus comme à la foire et faire des gros trous dans la carte judiciaire. L’hôpital ? On tient en laisse un molosse du nom de Roselyne Bachelot, qu'on lâche un jour avec pour mission de dévaster le service public de santé en imposant la rémunération à l’acte, mesure qui transforme illico l’hôpital en entreprise "prestataire de services", dirigée par un patron chargé de veiller, sinon à la rentabilité, du moins à l’équilibre des comptes (c’est la loi « HPST », dont on admire aujourd'hui les fabuleux résultats, entre autres, dans les services d’urgence et la filière psychiatrique).
La police ? Le bilan de Sarkozy est encore plus brillant. On commence par bousiller tout le service de renseignement « de terrain » (les « Renseignements Généraux », vous savez, ces policiers qu'on disait chargés des basses besognes des gouvernements, qui se baladaient incognito dans tous les syndicats, partis, groupes et milieux (mais aussi églises, synagogues et mosquées), en laissant traîner les yeux et les oreilles, pour prendre et "faire remonter" en temps réel la température de la population) en le fondant brutalement dans un nouveau service (DGSI) où on le mélange en touillant bien avec la DST, qui avait un oeil sur les étrangers séjournant en France. Or ce sont deux métiers distincts. RG et DST n'ont jamais pu additionner leurs compétences. Je parierais volontiers que Mohamed Merah (2012) est le brillant résultat de l'opération.
Et surtout, on va transformer la police en entreprise en y appliquant la même politique du « paiement à l’acte » qu’à l’hôpital, sauf que là, ça prend le nom de « politique du chiffre ». Pour Sarkozy, un policier est seulement un gros bâton entre ses mains. Une trouvaille ! Fallait y penser ! Plus nombreux sont les « constats », plus nombreuses les « affaires traitées », et plus le commissaire est content. Il a de quoi. Car pour « motiver » les troupes, on introduit dans la rémunération du commissaire une variable liée aux résultats de ses services sur le terrain : plus il coche de cases, plus il se sent confortable et plus il tire d’oreilles, à la façon de notre "petit caporal" national, pour dire sa satisfaction à ses "grognards".
Résultat des courses ? On laisse courir la réalité triviale, fatigante et salissante pour fabriquer des statistiques en pur papier dont le pouvoir peut se gargariser, et où apparaissent, grâce à Sarkozy, les formidables gains de productivité et d’efficacité de la police républicaine. Concrètement, faire du chiffre, ça veut dire qu'on envoie les bidasses agrafer des « baba cools » en uniforme (dreadlocks et rouge-orange-vert), confisquer leur barrette de « shit » et les envoyer en comparution immédiate : c’est ça, le « chiffre ». J’ai oublié le terme employé par le flic gradé de rang moyen proche de la retraite, sur France Culture, mais c’est à peu près ça. La réalité réelle ? Elle fout le camp. Les plus gros poissons ? Ils courent à toutes jambes et à tire d’aile, jamais inquiétés.
La voilà, la police de Sarkozy : c’est une police qui a sorti les mains du cambouis, c’est une police propre, une police en pur papier de statistiques.
J'exagère évidemment, mais c'est pour faire comme Günther Anders : c'est à visée pédagogique. Le malheur, c'est que ni Hollande, ni Macron n'ont fait quoi que ce soit pour rectifier le tir après le décès politique du voyou. Ah si, pourtant : il semblerait que, avec les "brigades de sécurité du quotidien", le régime actuel veuille faire revivre d'une certaine manière l'idée de Jospin. Espérons.
5 – Le policier obéit aux ordres.
Le dernier point sera pour souligner un aspect souvent minimisé dans les comptes rendus de la presse : rien de ce que font les policiers lors des manifestations ne se fait sans avoir été autorisé ou ordonné par la hiérarchie. Le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité, le confirme : si on lui dit de reculer d’un mètre, le policier de base recule d’un mètre en disant : « Oui chef ! Bien chef ! ». La police est un outil mis à la disposition des gouvernants par la Constitution, c'est-à-dire par l'Etat.
Je ne vais pas me lancer dans l'historique impossible de la confusion presque permanente entre "intérêt de l'Etat" et "intérêt du gouvernement" au fil de la Cinquième République : je veux juste rappeler la fonction d'utilité publique de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. C'est un instrument au service de la chose publique. Ce qu'on appelle la "chaîne de commandement" va du ministre en charge jusqu'au bidasse du dernier rayon, où chaque échelon inférieur est supposé obéir aux ordres qu'on lui donne, et chaque échelon supérieur censé donner des ordres conformes aux intérêts de la nation. C'est au moins la théorie.
Cela veut dire que le flic de terrain, lorsqu’il tire une « balle de défense » avec son LBD, c’est qu’on lui a dit de le faire. Même chose pour les gaz lacrymogènes, même chose pour les « grenades de désencerclement ». Même chose pour les manœuvres destinées à couper toutes les issues à une foule de manifestants, pour les enfermer comme dans une nasse, qu'on arrose ensuite de "lacrymos" pour leur apprendre les bonnes manières. Même chose pour les manœuvres consistant à laisser les "black blocks" se fondre au milieu des marcheurs, ce qui permet de ne plus distinguer ensuite le bon grain de l'ivraie. Même chose, évidemment, quand il s'agit de "foncer dans le tas" (après sommations d'usage).
Cela veut dire qu’il faudrait moins parler de « violences policières » que de « violences d’Etat » : s’il y a des dégâts sur le terrain (un œil, une main en moins, des blessures diverses), c’est que cela entre dans le cadre des ordres donnés par la hiérarchie policière. Et la hiérarchie policière, elle n'a qu'une pensée : appliquer les consignes données par le ministère de l’Intérieur (ou par celui qui en tient lieu en région : le préfet). L’œil crevé, la main arrachée, autant de trophées que le ministre pourrait à bon droit exposer aux murs de son bureau : c'est lui qui lance la meute à l'attaque.
En matière de violences policières, il y a manifestement une parfaite adéquation entre les dégâts infirmiers et médicaux et les intentions politiques dans le cadre desquelles ils s'inscrivent. En haut lieu, on peut certes "déplorer" et "compatir", mais on ne désavouera pas l'action et on ne sanctionnera personne : ce serait se punir soi-même. Dit autrement : les violences policières sont pensées, voulues, prévues par quelqu'un qui ne descend pas sur le terrain, et qui laisse les "manards" en prendre parfois plein la gueule. Si les policiers sont violents, c'est sur ordre, mais à leurs risques. C'est, dit le ministre, le résultat qui compte : peu importent les "dommages collatéraux". Cela explique pour une bonne part monsieur Castaner, "droit dans ses bottes" quand il est devant les caméras, soutenant la légitimité de l'emploi des LBD.
Tout ça pour dire que, si l’on s’indigne à raison en visionnant des images de smartphone faites « sur le terrain » des manifs, où l’on voit une matraque s’abattre sur un piéton déjà à terre, où l’on entend le long cri de douleur d’un homme qui a reçu une balle de défense dans les couilles, on devrait s’en prendre de façon beaucoup plus directe à toute la chaîne de commandement (jusqu'au ministre) qui a permis d’aboutir à ces dommages corporels. Les policiers n'ont fait qu'obéir aux ordres. Dommages stupéfiants dans un pays si fier encore de se considérer comme une démocratie exemplaire.
Voilà, en gros, les réflexions qui me viennent quand je pense à l’exercice de la police en France. Pour moi, une police démocratique et républicaine devrait pouvoir se déplacer dans la population, dans les quartiers, dans les territoires comme un poisson dans l’eau. Or je constate que tout est fait pour que le corps policier apparaisse comme un « corps étranger » qui n'est nulle part le bienvenu, et violemment conspué dans certains endroits.
L'hostilité qui entoure les apparitions et les actions de la police dans les manifs est sans doute le but recherché par le pouvoir. Quand on pense à la « police de proximité » patiemment mise en place sous Jospin (la greffe avait commencé à "prendre"), et brutalement rayée de la carte par Sarkozy, on reste effaré devant le gâchis : quelle perte imbécile !
J’en attribue la responsabilité à Sarkozy bien sûr, mais plus généralement à tous les pouvoirs en place, qui tiennent à garder sous le coude des solutions concrètes et "fortes" à tous les « problèmes », au cas où : la formation des policiers, l’organisation policière, la définition des missions de la police, le contrôle des forces de l'ordre, la hiérarchie policière, tout cela serait à refondre dans un esprit authentiquement républicain.
Je ne sais pas tout de la question, mais en l’état actuel des choses, il ne me semble pas qu’on puisse qualifier la police française de « républicaine ». Or la police est telle que la veulent les pouvoirs, qu'ils soient de droite ou de gauche. Il semble évident que la faute en incombe à tous les gradés de rang supérieur et à tous les "hauts fonctionnaires" qui les chapeautent, mais plus encore à tous les politiques qui, au gré des élections, sont mis à la tête de tout ce petit monde pour "mettre en œuvre" la politique des présidents qui les ont nommés. Et je n'oublie pas les noms de Squarcini et Péchenard qui, au ministère de l'Intérieur, furent des exécutants disciplinés des ordres fangeux donnés par Nicolas Sarkozy.
Je plains les policiers eux-mêmes. En particulier les gradés de rang moyen proches de la retraite.
Je plains les services publics en général.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : il reste bien des sujets à traiter : les taux de suicide dans les rangs de la police et de la gendarmerie ; le positionnement politique très à droite de beaucoup de policiers ; les millions d'heures supplémentaires de service non rémunérées ; les difficultés du recrutement ; etc.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : police française, ordre public, france, société, politique, france culture, forces de l'ordre, violences policières, cohabitation chirac-jospin 1997, lionel jospin, police de proximité, nicolas sarkozy, politique du chiffre, hôpital public paiement à l'acte, rachida dati, carte judiciaire, roselyne bachelot, loi hpst, renseignements généraux, dgsi, dst, mohamed merah
mercredi, 16 octobre 2019
MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...
... FRANÇAISE. (1/2)
Intro
Il y a un problème avec la police en France, c’est certain, mais j’ai du mal à voir clair dans la situation. Les policiers manifestent parce qu'ils sont en colère. Ils ont sûrement de bonnes raisons pour cela, mais ils ne sont pas les seuls. Regardez du côté des infirmiers, des services d'urgence, de la psychiatrie, de l'Education nationale, et même des pompiers (il paraît qu'il y a eu des affrontements pompiers-flics). De quoi se demander quel corps de métier n'est pas en colère. Je trouve même ça inquiétant, cette « convergence des colères » (pour pasticher une invocation à la mode dans certains milieux).
Rien de plus que citoyen ordinaire (spécialiste de rien du tout, mais toujours un peu aux aguets), j'essaie ici de mettre quelques réflexions noir sur blanc.
D’un côté, des gens en uniforme, payés par l’Etat, envoient des tas de "balles de défense" qui font de gros dégâts parce qu'elles sont lancées "à tir tendu" (je traduis : "pour faire de vrais dégâts"), tabassent des gens (y compris pacifiques), bousculent des vieilles dames et donnent ainsi l’impression de se conduire comme des brutes cassant tout sur leur passage (il faudrait nuancer, mais).
De l’autre, quelques dizaines ou quelques centaines de délinquants et gangsters de diverses origines, masqués et armés, très rapides à la manœuvre, très bien entraînés, profitent d’une manif annoncée comme pacifique pour venir casser des centres-villes et piller des magasins de luxe, suscitant l’incrédulité du monde entier au spectacle des photos de guerre dans les avenues de Paris (« La France à feu et à sang »).
Entre les deux, une population ordinaire et normale, en général hébétée quand elle voit les images de tout le mal qu'elle n'a pas fait, venue marcher dans la rue, avec des banderoles et des mégaphones, pour donner son avis sur des mesures gouvernementales qui lui paraissent injustes.
Voilà, en gros, les données du problème : au centre, « la population », ceux que les journalistes adorent, dans les grands enterrements ou les grands drames, appeler « la foule des anonymes », qui vaque à des occupations plus ou moins politiques (= qui font leur métier de citoyens), cernée d’un côté par les incroyables forces – disproportionnées aux yeux de la simple raison – déployées par le gouvernement (ou l’Etat ?), cernée de l’autre par la violence avide de carnage de groupes – finalement très peu nombreux – accourus là pour faire la guerre.
1 – Liberté de manifester ?
Conséquence de cet affrontement : le silence imposé par la force aux voix qui s’élèvent des profondeurs du peuple pour dire sans violence leur souffrance ou leur refus. Le message qui en découle directement, c’est : « Fermez vos gueules, le peuple ! ».
Car cette situation entraîne de fait l’interdiction de manifester dans les formes légales et légitimes, puisque ce que retiennent les images médiatiques, c'est le plus sanglant, le plus violent, le plus spectaculaire. Dans le jeu atroce du spectacle de tout comme condition de l'existence aux yeux des autres, les manifestants pacifiques ont tout à perdre. Car ceux qui manifestent n'ont, au départ, aucune mauvaise intention : ils veulent qu'on les entende. La surdité des "hautes sphères" est pour beaucoup dans la tentation de la violence. Dans la rue, les plus violents ne tiennent pas à se faire entendre, ils n'ont rien à demander : ce qu'ils veulent, ils le prennent par la force.
Les gilets jaunes l'ont eu dans l'os, et au-delà du supportable. Je ne cherche pas à savoir qui est le coupable ou à qui le crime profite, mais je remarque que le premier bénéficiaire visible est le gouvernement en place : les « black blocks » sont objectivement des ennemis du peuple et des copains du gouvernement. Est-ce que les policiers sont pour autant les amis du peuple ? On pourrait le penser en entendant les propos d'un gradé de rang moyen, proche de la retraite, entendu récemment sur France Culture (série "LSD"), mécontent en priorité de l'organisation de la police, et de la façon dont ses missions sont pensées. Mais si l'on s'en tient aux contusions, blessures et mutilations obtenues par LBD, on peut en douter.
Ce qui est sûr, c’est que la France présente au monde, dans ces circonstances, un visage absolument étrange, pour ne pas dire absurde. Comment se fait-il qu’à la moindre manifestation, le gouvernement mette sur le terrain sept ou huit milliers de gendarmes et de policiers (annoncés à son de trompe dans tous les canaux médiatiques), quand les gouvernements de nos voisins (Grande-Bretagne, Allemagne, …) – du moins d'après ce que j'en sais – en envoient quelques centaines ? Et des policiers et gendarmes français dotés de tenues, d’équipements et d’armes faits a priori pour mener, non des négociations sociales, mais des "guerres de basse intensité".
2 – Le pouvoir a peur.
Qu’est-ce qui motive la tenue de combat façon « robocop » des forces de police pour faire face à des manifestations de foules a priori pacifiques ? C’est, à mon avis, au-delà du mimétisme américano-centré, l’attitude mentale des autorités en place (légales : gouvernement, préfets, etc.) : le pouvoir a peur, il anticipe le pire. Cela crève les yeux : nos gouvernants, qu'ils soient élus, hauts responsables politiques ou hauts fonctionnaires, ont peur des Français.
Ils ont peur que la situation leur échappe, et qu'il se produise alors quelque chose qui les mettrait en danger ou dont ils devraient porter le chapeau. Je pose une question bête : s'ils n'avaient pas peur, pourquoi Emmanuel Macron et sa majorité auraient-ils, par voie législative, introduit dans le droit commun des mesures jusqu'alors réservées à l'état d'urgence ? Qu'on m'excuse, mais quand on est soucieux des libertés publiques, introduire l'urgence dans le droit commun, c'est une contradiction dans les termes.
On a l'impression que le pouvoir entre leurs mains ressemble à un fer rouge qu'ils ne savent pas comment empoigner. Je me suis d'abord demandé s'ils ne pétaient pas de trouille parce qu'ils sont clairement et complètement conscients des conséquences ultimes dévastatrices des politiques qu'ils sont chargés de mettre en oeuvre par leurs promesses, par leurs convictions et par leurs commanditaires. Rationaliser les tâches à toute berzingue et adapter la machine économique nationale en cavalant derrière les pays à bas coût de main d'œuvre, cela ne se fait pas sans dévastations sociales dans le pays. Bah, on verra après.
Ils anticipent le pire. Je me suis dit qu'ils mettaient tout en place pour se préparer à une terrible violence future : si la casse sociale induite par "les réformes" (les sacro-saintes réformes) se produit, il faut s'attendre à quelques "mécontentements". Et que ceux-ci, alimentés par l'avancée des "réformes", finissent par ressembler à de l'exaspération. Sait-on jamais ?
C'est peut-être pour ça que la préoccupation (normale en temps normal) de l'ordre public est devenue pour les récents pouvoirs en place une véritable obsession. C'en est au point que le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie, se plaint : « L'ordre public a hypothéqué le reste de nos missions » (interview dans Le Progrès du 15 octobre 2019). Ce propos rejoint celui du gradé de rang moyen proche de la retraite cité plus haut.
Ensuite, en les mettant en vrac, j'ai eu tendance à attribuer cette peur à la déconnexion intellectuelle et psychologique dont on a coutume d'accuser, avec raison, une classe politique vivant plus ou moins en vase clos, et qui les empêche de percevoir et de partager le sort commun des citoyens ordinaires : aussi bizarre que ça puisse paraître, tout se passe comme s'ils ne savaient pas à qui ils ont à faire.
Pour les responsables politiques français, les Français sont, pour faire court, des dossiers à traiter. Finalement, ils ont une vision abstraite de la citoyenneté et de la vie ordinaire. Tout ce qui outrepasse le contenu du dossier est illégal. Je plaisante, mais seulement à moitié.
Plus on se rapproche de l'altitude zéro (alias « le terrain », alias « on entre dans le dur », alias « on est dans le concret »), plus le message global des étages supérieurs de la société aux sous-fifres est que la population qui manifeste est un adversaire, une menace, qu’il faut traiter comme tels.
Plus le haut responsable consent à descendre de son empyrée, plus il s'attend à l'hostilité : quand Macron part en balade dans la France profonde, il est bien à l'abri, derrière un épais rideau de muscles policiers, et il ne se gêne pas pour paralyser toute la presqu'île (dernièrement à Lyon, pour je ne sais plus quel machin international).
Il faut, d’après la haute hiérarchie policière, se méfier du français moyen (craint-on d'éventuelles fraternisations type "bas-clergé-tiers-état" ?). C'est nouveau : le français moyen, voilà l'ennemi. Quand il manifeste, il faut s’attendre au pire (sous peine d’être traité de laxiste ou d’incompétent en cas de). La façon dont est pensée et conçue l'action de la police est selon moi l'expression de la peur des couches dirigeantes de la société.
Je veux dire que le Français moyen n’est pas un partenaire avec qui il serait légitime de discuter, mais un ennemi dont il faut à tout prix contrer le potentiel de nuisance. Et il n’y a pas besoin des « black blocks » pour cela : je n’oublie pas l’hallucinant cadre en acier soviétique qui avait entouré une manif contre les « lois El Khomri », qui avait obligé les protestataires à tourner autour du bassin de l’Arsenal (quai de Seine-Bastille et retour).
Le manège à manif n'est pas loin : il ne reste plus qu’à mettre tout ce beau monde sur un plateau tournant avec un air de musette, les flics autour et la CGT au milieu. Une sinistre farce, dans ma mémoire, à laquelle s’étaient prêtés les syndicats.
Face aux manifs, le pouvoir se comporte en général, même sans les « black blocks », comme en face de forces dangereuses : le gouvernement sait que les mesures qu’il est en train de prendre sont « impopulaires ». Il prévoit logiquement le refus, mais il se prépare alors à un affrontement physique, comme s’il redoutait une révolution. Et c’est finalement le pouvoir qui, en mobilisant en masse des forces de l’ordre en tenue de combat, crée une atmosphère de guerre civile. Le pouvoir anticipe le pire, au détriment des réalités raisonnables et négociables. Et en l’anticipant, il le crée.
Je me demande si cette image d’une plèbe toujours prête à l’insurrection, propre aux représentations que s’en fait le pouvoir, n’est pas la nourriture « culturelle » qu'on fait ingurgiter à tous les futurs flics pendant toute la période de leur formation. Ira-t-on jusqu'à parler pour cela d'endoctrinement ?
Je me demande si cette conception n'imprègne pas toute la chaîne de commandement : toujours s'attendre au pire. Je me demande si ce ne sont pas tous les membres des forces de l’ordre qui sont, après l’obtention de l’habilitation et une fois dans l’exercice pratique du métier, imprégnés de cet état d’esprit où domine la méfiance à l’égard de la population. La méfiance et l'hostilité du pouvoir à l'égard du peuple ressemble à un principe, à un dogme, à une philosophie globale.
Bref, je me demande si cette méfiance des pouvoirs et des forces détentrices de la « violence légitime » à l’égard des gens ordinaires n’est pas une simple construction mentale, une pure élucubration de quelqu’un qui a besoin de s’inventer un adversaire et de lui prêter a priori un potentiel de "violence délinquante", pour se prétendre autorisé à faire usage de la "violence légitime".
La population manifestante est ainsi revêtue par le pouvoir d’un costume chamarré d’énergumène déchaîné et de voyou potentiel prêt à tout casser et à « bouffer du flic ». Or, comme l’ont montré les embrassades chaleureuses qui ont suivi le 7 janvier et le 13 novembre 2015, celle-ci est toute prête à entretenir avec sa police une relation de respect, et même d’amitié. Ce genre d’occasion est rare et malheureusement éphémère. Tout revient vite à la « normale » (= au désamour).
Il est loin, le temps de la « police de proximité », que regrette le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité.
A suivre.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, société, politique, police françaiçse, police républicaine, black blocks, gilets jaunes, violences policières, liberté de manifester, lbd, lanceur de balles de défense, général richard lizurey, général lizurey gendarmerie nationale, ordre public, emmanuel macron, président de la république, lois el khomri, attentats, charlie hebdo, 7 janvier, 13 novembre, attentat bataclan
samedi, 05 octobre 2019
LE GÉNIE DE CABU
Cabu est mort en 2015, en pleine possession de ses facultés.
Cabu, immortalisé par son fils Mano.
Chirac est mort en 2019, et certains susurrent qu'il était gaga. Cela n'empêche pas que tout le monde y est allé de sa larme et de son anecdote personnelle sur le cercueil de celui qui est désormais désigné par les sondages comme étant le meilleur président qu'ait eu la V° République (énormité proférée par le gloubiboulga qu'on appelle "opinion publique"). Tous ces refrains ne font que reprendre la musique dont Georges Brassens avait enrobé ces paroles définitives :
« Il est toujours joli, le temps passé,
Une fois qu'ils ont cassé leur pi-ipe,
On pardonne à tous ceux qui nous ont offensé,
Les morts sont tous des braves ty-ypes ».
On a moins entendu rappeler le slogan que portaient les banderoles dans les rues de France après le 21 avril 2002 : « Plutôt l'escroc que le facho ». Les électeurs ne voulaient certes pas de Jean-Marie Le Pen, mais ils ne se faisaient aucune illusion sur les qualités morales intrinsèques de l'homme qui lui était opposé. Résultat : 82% ! Tous les bons vivants auraient aimé se retrouver à table avec Chirac, et tout le monde se souvient de sa poignée de main, généreuse et franche, quelles que fussent les circonstances.
Tout le monde (ou presque) a oublié le reste. Est-ce que c'était Chirac, l'histoire de la chasse d'eau qu'on tirait chaque fois qu'on ouvrait le coffre-fort pour en sortir des billets de banque ? Je ne sais plus, mais on pourrait aussi parler du château de Bity et de sa restauration complète, qui n'avait pas coûté trop cher au couple Chirac.
Tiens, à propos de poignée de main (et le regard lourd de sous-entendus que Cabu a fait à la vache !).
Heureusement, tout le monde n'a pas la mémoire sélective, et Le Canard enchaîné ne s'est pas fait faute, le mercredi 2 octobre, de rappeler quelques épisodes qui ont accompagné les quarante ans de "vie politique" de ce "dernier grand fauve", comme certains anciens adversaires ont consenti à le qualifier devant les micros, pour mieux disqualifier la profession de politicien. Et pour rendre cet "hommage", le Canard a donné avec raison la place d'honneur à Cabu. Tous les dessins (sauf un) de la page 4 sont signés Cabu. Heureusement qu'il y a le Canard pour se souvenir de Cabu et de toutes les faces cachées de Chirac, que le dessinateur adorait croquer et mettre au premier plan.
Cabu est mort il y aura bientôt cinq ans. Il n'a pas été remplacé. Nul n'a hérité son trait virtuose qui savait saisir un geste, dessiner un visage, synthétiser une situation, ni son regard souvent féroce, qui atteignait la cible au cœur. Quelques-uns seulement savent, comme lui, faire rire au sujet de réalités (à commencer par les fripouilleries impunies) plutôt faites pour susciter la rage.
Inutile de faire l'éloge de Cabu : je ne me console pas de sa perte. Quelques dessinateurs s'efforcent de lui emboîter le pas et de porter la plume dans la plaie. La plupart collaborent précisément au Canard enchaîné : Pétillon, Aurel, Lefred-Thouron, Dutreix, Diego Aranega, l'indétrônable Escaro, Delambre, Wozniak, Kerleroux, Kiro, plusieurs autres. Dutreix, après l'attentat, avait donné un dessin extraordinaire (Cabu est le plus chevelu de l'équipe).
Le Canard enchaîné est le dernier refuge du dessin de presse et de la satire (le New York Times vient de les bannir de ses pages, à cause de la "political correctness"). Je compte pour pas grand-chose le pauvre dessin de une que Plantu livre laborieusement au journal Le Monde : il est tellement tenu par la "ligne éditoriale" que ses dents (s'il en a) sont limées à ras. Qui pourrait dire quelle "ligne éditoriale" Cabu avait décidé de suivre, en dehors de la sienne propre ?
Quant à Charlie Hebdo, je ne l'achète plus depuis très longtemps, déserté qu'il est par les dessinateurs de talent, je veux dire envahi qu'il est par des tâcherons qui ne savent plus faire rire et qui ne connaissent plus que le coup de poing graphique, la brutalité dessinée, la force hargneuse. Cabu, lui, frappait fort, mais ajoutait une règle impérative à l'exigence de percussion : faire rire. La plupart du temps, au kiosque, le mercredi, je jette un regard désolé sur la couverture de Charlie-Hebdo, et je passe mon chemin : trop laide. Des talents y sont-ils maintenant revenus ? Peut-être devrais-je l'ouvrir de temps en temps, qui sait ?
Le Canard enchaîné, par bonheur, entretient la flamme du souvenir de son soldat bien connu, Cabu, en couronnant ses pages intérieures d'une drôle de guirlande : son trombinoscope politique (j'ai compté 41 bobines : il y a des redites). Car Cabu a passé de très longues années à portraiturer la classe politique française, sans lui faire aucun cadeau : il n'y a qu'à puiser et, mis à part quelques éphémères feux de paille politiques trop vite passés à la trappe pour laisser le souvenir de leur trombine, on reconnaît au premier coup d’œil les pipes de tir forain que Cabu ajustait sous sa plume. Je ne remercierai jamais assez Le Canard enchaîné de cette fidélité à un de ses piliers, tragiquement effondré.
Chirac était indéniablement un de ses favoris, mais il y en avait d'autres, immédiatement reconnaissables, et dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. J'adore le sournois sinusoïdal de son curé faux-jeton, qu'il n'y a pas besoin de nommer. C'est mon préféré : combien de traits pour faire éclater la tartuferie de l'individu (vous savez : « La route est droite, mais la pente est forte ») ?
Et tout le monde connaît cet objet de vindicte qu'il avait en horreur.
Mais on trouve, bien des années avant la mort de Chirac, qui n'était alors que maire de Paris et député, des images très différentes du bonhomme, qui n'était pas encore le vieillard débonnaire et consensuel (« usé, fatigué », disait Jospin en 2002, il avait raison) que les Français élisent désormais par sondage (dessin paru dans La France des beaufs, Editions du Square, 1979).
Quarante ans avant, on le reconnaît déjà infailliblement, mais comme spécialiste de l'aboiement et du coup de menton, qu'il n'avait pas encore quadruple, et avec de grandes canines pour la conquête du pouvoir qui lui manquait. Élu président de la République, il a eu douze ans pour digérer sa satisfaction satisfaite.
Cabu l'a suivi attentivement.
Merde à Chirac ! Merci au Canard enchaîné ! Gloire à Cabu !
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 21 juillet 2019
MARRE, MARRE DES INFORMATIONS !
Juste deux points d’actualité et une remarque un peu plus générale pour dire que j’en ai marre des « informations », je veux dire que j'en ai ras la casquette de la façon guillerette, primesautière et scandaleuse dont les réalités du moment sont contées à la masse des spectateurs, je veux dire à la population, comme si l'on écoutait grand-maman, un soir d'hiver, au coin de la cheminée.
1 - Féminicide.
Cent vingt et une femmes (121) sont mortes en 2018 sous les coups de leur compagnon ou de leur ex-conjoint. C’est odieux, et les médias ont bien raison de déborder de ce nombre sordide et inadmissible. Mais ce faisant, j’observe qu’ils passent méticuleusement sous silence les vingt-huit hommes (28) qui, dans le même temps, sont passés de vie à trépas par les soins de leur compagne ou ex-conjointe.
Curieux, non ? Une fois de plus l’effet amplificateur de la résonance médiatique et des réseaux sociaux réunis focalisent toute l’attention des gens et des journalistes peu attentifs sur la saloperie masculine, et présentent l’ensemble des femmes comme des victimes.
Les réseaux sociaux et les groupes de militantes féministes nous avaient déjà fait le coup à l’époque de l’affaire Weinstein et du mouvement #metoo, où l’on avait assisté à un déferlement de haine à l’encontre des hommes, dans un combat « forces du Bien » contre « forces du Mal », dont George W. Bush nous avait pourtant donné un exemple dissuasif.
Voir les canaux réputés les plus sérieux d’information entrer activement dans ce jeu de massacre et répandre dans les esprits cette représentation dichotomique de l’humanité en deux camps ennemis a quelque chose de terrifiant.
2 - François de Rugy.
Monsieur François de Rugy, ex-ministre de la « transition écologique » (dénomination toute de douceur, notons-le), a donc dû démissionner de son poste sous la pression de la vindicte populaire qui ne lui pardonne pas le faste de ses repas. Je n’ai rien contre cette démission, au contraire, mais je me dis que les journalistes d’investigation et les « réseaux sociaux » si avides de sensationnel feraient bien d’aller faire un tour dans les cuisines, mais surtout dans les caves de l'hôtel de Lassay, du Palais du Luxembourg, de l’Elysée, de l’hôtel de Brienne (Défense) et autres « palais de la République ».
Rugy s’est fait prendre les doigts dans les pinces du homard, et le problème est bien là : il est le seul à s’être fait prendre. La question qui se pose selon moi est : qu’est-ce qu’on mange et qu’est-ce qu’on boit tous les jours dans les « palais de la République » ? Question subsidiaire : qu’est-ce qui se passerait si les Français apprenaient un jour pour quelles sommes les plus hauts responsables de l’Etat mangent et boivent quotidiennement ? Ils verraient peut-être qu'ils se résignent à la tranche de jambon avec des nouilles à l'eau seulement quand il faut se reposer du caviar, et qu'ils ne boivent l'eau du robinet que parce que le Pétrus, ça commence à bien faire.
Répondre à ces questions, en dehors de quelques "effets sociaux" amusants, permettrait peut-être d’aborder le problème dans son ensemble, qui est, selon moi, le plus choquant : quelle nécessité fait que les plus hautes fonctions officielles s’accompagnent d'une telle magnificence protocolaire, entraînent des dépenses somptuaires dont les gilets jaunes n'ont absolument aucune idée quantitative, et motivent la consommation quotidienne des mets de la plus haute cuisine et des vins les plus coûteux ?
A l’époque où Laurent Fabius était au « perchoir » (Présidence de l’Assemblée nationale), je me souviens d’avoir lu un reportage sur l’approvisionnement des caves de l’hôtel de Lassay qui ferait passer les extravagances gastronomiques du ministre Rugy pour un tour au McDo. Les Français pourraient, s’ils étaient correctement informés de ces « détails » qui coûtent les yeux de la tête (Macron dirait « un pognon de dingue »), poser avec encore plus d’acuité la question à nos plus « éminents » responsables :
Messieurs, comment se fait-il que vous viviez comme des princes ?
3 - Journalistes porte-voix de Sa Majesté.
Je ne comprends pas que le moindre geste ou le moindre déplacement d'Emmanuel Macron fasse l'objet d'une note d'information dans les émissions radio-télé : j'aimerais qu'on m'explique en quoi le fait que le président ait visité l'usine de boulons de Noncourt sur le Rongeant (52) soit classé parmi les informations dignes d'être transmises aux oreilles des citoyens. J'en veux en particulier à ces journalistes peu scrupuleux qui font une place aux déclarations des hommes politiques, et même qui citent en long et en large les discours des plus hauts responsables, président compris.
Que je sache, une déclaration, un discours ne sont pas, et ne seront jamais des informations, mais des paquets-cadeaux emballés par les divers services de presse des gens importants, que les journalistes peu scrupuleux répercutent en croyant faire leur métier, alors qu'ils ne se font que les caisses de résonance de la machine à propagande des différents pouvoirs. Même remarque pour les nombreux groupes de pression sous le nez desquels les journalistes peu scrupuleux s'empressent de placer leurs micros parce que ça fera toujours du temps d'antenne occupé.
Messieurs les journalistes, si vous en valez encore la peine, laissez tomber les mots, les discours et les déclarations de Machin, de Truc et de Chose, et braquez vos lunettes sur leurs actes. Cessez de vous faire les petits propagandistes de tous ceux qui ont un intérêt quelconque à diffuser des "messages" et à ce qu'on parle d'eux. Braquez vos lunettes sur leurs actes, rendez-nous compte des faits, parlez-nous du monde tel qu'il se fabrique concrètement.
Conclusion.
Les informations qu'on nous sert à longueur d'antenne et de papier, j'en ai maintenant ma claque. Cela fait trop longtemps qu'on apprend aux journalistes à ne s'intéresser qu'à l'écume des choses, qu'à l'ectoplasme du monde réel (voir les travaux d'Alain Accardo et de ses amis, voir le - malgré tout - bon bouquin de François Rufin, désormais homme politique). Comment un journaliste professionnel peut-il dire sans pouffer, comme je l'ai entendu un matin sur France Culture (matinale du 9 juillet dernier) : « Emmanuel Macron et Donald Trump se sont parlé au téléphone hier. » ? Comment ne se rend-il pas compte de l'inanité de la chose ?
Allez, messieurs les journalistes, mettez-vous au boulot sérieusement, cessez d'abreuver les gens de futilités, cessez de vous demander ce qu'ils pensent de ceci ou de cela (bêtise sans nom et mensonge de tous les sondages d'opinion) et suivez le conseil de Bruno Latour (France Culture, 17 juin 2019, 45' environ) : commencez enfin à décrire, dans le détail et concrètement, ce qu'il appelle "les conditions matérielles d'existence".
Bon, c'est vrai, il faudra vous donner un peu de mal, il faudra bosser dans le dur du monde réel, mais ça, pour le coup, ça vous intéressera davantage. Vous rendez-vous compte du plaisir que vous aurez à faire ce métier ? Vous rendez-vous compte que ce sera – enfin – de l'information ? Rappelez-vous : décrire les conditions matérielles d'existence des gens ordinaires ("La plume dans la plaie", vous vous rappelez ce qu'il disait, votre saint patron ?). Et dites-vous qu'en faisant cela, vous ne serez même pas communistes ! Vous serez juste des journalistes. Et vous ferez le plus noble des métiers.
***
Note : l'idée de ce billet, on peut sans doute l'imaginer, m'est venue à force d'entendre des niaiseries à longueur de bulletins d'informations. La goutte d'eau qui a mis le feu aux poudres (phrase entendue un matin – 31 juillet 2018 – sur France Culture dans la bouche d'un intellectuel estampillé – Michel Bataillon), c'est le coup de téléphone entre Trump et Macron. Mais l'intention est là depuis beaucoup plus longtemps que cette circonstance anecdotique.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : informations, société, france, politique, journal le monde, france culture, féminicide, affaire weinstein, metoo, george w. bush, françois de rugy, emmanuel macron, écologie, transition écologique, hôtel de lassay, palais de l'élysée, palais du luxembourg, ministère de la défense, journalistes, journalisme, journal le figaro, sondages d'opinion, journal libération
samedi, 15 juin 2019
ECOLOGIE = ANTICAPITALISME 2/2
2
Donc l’anticapitalisme dont je parle n'est en rien "communiste", mais exclusivement écologique, et l'écologie authentique dont je parle est exclusivement anticapitaliste, sachant qu'il ne s'agit ici en aucune manière d'un choix "politique" au sens pépère (= gauche/droite), tout au plus d'un choix politique, au sens où l'entendaient les Grecs, impliquant la décision de tout le corps social dans le choix de son organisation et de son mode de vie.
Car le seul, l'unique, l'exclusif coupable des crimes écologiques actuels (pillage des ressources, destructions innombrables, poubellisation généralisée, ...), c'est le capitalisme industriel et productiviste. Et ce brillant résultat a été vendu à l’humanité grâce à un argumentaire où scintillaient toutes les promesses miraculeuses : l’arracher à la malédiction biblique de la souffrance et du travail, et lui apporter tout à la fois bonheur, prospérité, confort et raton laveur.
L’économie capitaliste a atteint cet objectif, inutile de le nier, et chacun (moi compris) est heureux ou désireux de profiter de ses apports. Au passage, c'est fou ce qu'elle a pu inventer et fabriquer en matière de ratons laveurs superflus et inutiles, pour amuser, divertir, détendre, détourner l'attention, etc. Et s'enrichir. Je veux évidemment parler des "gadgets" et autres marchandises sans utilité, le raisonnement étant fondé sur : « Qu'est-ce qu'on pourrait bien trouver à leur vendre ? ».
Cette réussite a été rendue possible par l’invention de toutes sortes de moteurs, je veux dire de moyens de produire de la force (vapeur, pétrole, électricité, …) par des moyens artificiels (je fais abstraction du moulin à vent, de la voile ou de la roue à aube, qui ne faisaient qu’utiliser – intelligemment – l’énergie produite par la nature). Avec le moteur, l’homme a forcé la nature à lui donner infiniment plus que ce dont elle était capable spontanément.
Bien sûr, un moteur consomme le potentiel énergétique qu'on lui injecte, et la quête effrénée de sources d'énergie qui en découle est une partie cruciale du problème actuel. Toute la civilisation actuelle repose sur le moteur et son carburant. C'est sur le moteur que l'humanité a fait retomber l'essentiel de la quantité de travail. Enlevez le moteur, que reste-t-il ? Tout le monde à la réponse : de combien de moteurs nous servons-nous dans une journée ?
Le capitalisme a donc réussi, mais d'une part en réservant tous les fruits de la récolte à une infime minorité de privilégiés (pays "riches"), et d'autre part en prenant soin, tout au long de son développement, de glisser sous le tapis toutes les saloperies que la machine qu’il avait mise en route jetait à tous les vents, dans toutes les eaux, dans tous les sols et dans tous les êtres.
Il y a maintenant plus d’un demi-siècle que de grands illuminés (la liste est connue) ont été assez perspicaces pour voir que le "développement" étendu à tous les pays conduisait à une impasse, que le tapis n'était plus assez grand pour tout cacher, et que les saloperies commençaient à déborder par tous les pores de la nouvelle civilisation. Ils furent aussi assez inconscients pour proclamer cette vérité à la face du monde, en tenant pour négligeable de passer pour des rigolos ou des faux prophètes. C’est pourtant eux qui avaient raison, c’est aujourd’hui avéré. Et il est sans doute trop tard pour remédier à la folie qui a produit la catastrophe à laquelle nous assistons sans trop nous en formaliser encore (ça commence à remuer vaguement, mais concrètement ? et à quel rythme ?).
Le capitalisme productiviste et technico-industriel s'est imposé il y a deux siècles. A partir de là, il a répandu le Mal (la démesure). Nos ancêtres y ont goûté : ils ont trouvé le Mal délectable, ils en ont vu les bienfaits présents, les bénéfices futurs et, pour tout dire les « progrès » promis à l’humanité. Ils ont donc accueilli le Mal à bras ouverts, avec joie et fierté, persuadés d’œuvrer pour le Bien. Ils ont bu jusqu'à l'ivresse le philtre d'amour du progrès technico-industriel offert par Méphisto (voir le second Faust, je ne sais plus dans quelle scène), qui devait rendre l'humanité puissante et invulnérable. Tragique erreur.
Et nous-mêmes en sommes tellement gorgés qu’il est devenu indissociable de notre être. Qu'il est devenu notre chair, notre nature, c'est bizarre, mais c'est comme ça. Nous respirons capitaliste, nous mangeons capitaliste, nous buvons capitaliste, nous forniquons capitaliste, nous déféquons capitaliste, nous dormons capitaliste, nous éduquons capitaliste, nous pensons capitaliste, etc. La moindre de nos cellules est capitaliste jusqu'au noyau. Comment logerait-on un écologiste dans ce milieu hostile ?
En un mot : chacun de nous est tout entier capitaliste, de la tête aux pieds, du sol au plafond, du cœur à la peau, du fond à la surface et de la naissance à la mort. Mieux : chacun de nous (y compris moi) est en soi un capitalisme en réduction, puisqu'il en est le produit, et militant avec ça, puisque le fait de consommer alimente le système (comment faire autrement ?). Chacun de nous se trouve dès sa naissance petit porteur de tout le capitalisme. Chacun de nous devient dès lors une parcelle vivante du système capitaliste.
Nous n'avons pas le choix : au mieux, complices taraudés par le doute ; au pire, partisans enthousiastes. Qu'ils soient velléitaires ou résolus, portés par la mauvaise conscience ou par la haine, tièdes ou bouillants, qu'ils aient la ferme intention de détruire le capitalisme ou qu'ils travaillent à le corriger ou à l'améliorer, les ennemis du système sont eux aussi pris dans le système, et du coup sont bourrés de contradictions.
Je veux dire que nous sommes tous si intimement imprégnés de ce que le capitalisme a fait du monde et des hommes qu’il est absolument inenvisageable de nous enlever la moindre parcelle du système sans nous arracher un morceau vital de chair. Nous hurlerions sous la torture. Il suffit pour s’en rendre compte de voir ce que nous coûtera l’abandon de misères telles que les touillettes, les cotons-tiges, et tous les objets en plastique à usage unique. Ne parlons pas du smartphone.
Alors dans ces conditions, tout ce que proposent sincèrement les gens conscients, actifs et responsables pour que le pire n’arrive jamais, tous les appels aux gouvernants, aux puissants, aux industriels et même aux individus, tout cela n’est que poudre de perlimpinpin, miroir aux alouettes, faux espoirs et charlatanerie. Tous les « Discours de Politique Générale » de tous les Edouard Philippe auront beau se « teinter de vert » (« Plus personne n’a aujourd’hui le monopole du vert ! », a-t-il textuellement scandé le 12 juin), on restera très loin du compte. Je dirai même : à côté de la plaque.
Et le succès de Yannick Jadot aux élections européennes reste, sur le planisphère des activités humaines, une voie de garage, même s'il indique la persistance d'un sentiment de culpabilité des populations à l'égard de la nature naturelle (enfin, ce qui en subsiste) : à quel taux de probabilité s'élèvent ses capacités d'action efficace ? Ses possibilités de transformer l'existant ? Combien sont-ils, les Verts, au Parlement européen ? Et qu'est-ce que le Parlement européen, dans le vaste chaudron de la mondialisation ?
***
Cette hypocrisie générale, ce mensonge n’est plus de mise. Thomas Piketty a bien raison d'intituler sa chronique du Monde du 9 juin 2019 "L'illusion de l'écologie centriste". Malheureusement, il se contente d'observer les jeux de vilains des politicards en présence, du coup la portée de son papier en souffre. Ce n’est pas de demi-mesures, d'accommodements courtois, de corrections à la marge, de remèdes de surface que l’humanité a besoin : ce serait d’un retour radical et volontaire à une conception raisonnable de tous nos rapports avec le monde. Carrément l'utopie, quoi !
C’est précisément cette conception que nous avons perdue et oubliée depuis deux siècles : nous avons quitté sans retour le monde ancien. Et malgré tous les hypocrites "c'était mieux avant" ou "c'était le bon temps", nous nous félicitons à chaque instant, par nos gestes mêmes, du fait que ce monde ancien nous soit devenu étranger (ringard, vieillot, suranné, etc.). Si par extraordinaire nous décidions de retrouver ce mode de vie (frugalité, sobriété, etc.), l’événement serait d’une violence insoutenable (y compris pour moi).
Vous imaginez la quantité astronomique de travail qui nous retomberait sur le dos ? Ce serait une conversion infiniment douloureuse. De façon plus réaliste, je crois que la perte est définitive et irréversible : on n'arrête pas une machine qui a les dimensions de la planète et qui régente l'existence de (presque) tout le monde..
Et si beaucoup de gens souhaitent "faire des gestes pour la planète" (nous culpabilisons), personne n'a vraiment compris. Je veux dire que personne n'est prêt (moi compris) à perdre tout ce qu'il faudrait pour retrouver l'équilibre perdu. Parce que ce serait individuellement trop coûteux. Sans même parler des efforts constants du système pour accroître sa puissance et son emprise, personne ne peut s'extraire de l'engrenage, même les écologistes convaincus, qui aiment se raconter de belles histoires (consommer "bio", circuits courts, agriculture raisonnée, permaculture, etc.). A quelle hauteur s'élève leur refus du système ? Leurs concessions au système ? Tout ça ressemble à : « Encore quelques minutes, monsieur le bourreau ! ».
Il nous faudrait réapprendre tout ce que nos ancêtres connaissaient par cœur. Dans quelle école apprendrions-nous aujourd’hui ce dont nous nous sommes dépouillés avec soulagement et enthousiasme il y a deux siècles et dont nous avons perdu la mémoire ? Comment trouverions-nous, sept milliards que nous sommes, un terrain d’entente avec la nature, avec la planète, avec le monde, bref : avec les nécessités irréductibles de la nature et des éléments ?
Quel coup de baguette magique nous inculquerait le sens et le respect des limites à ne pas dépasser, que l’humanité a respectées pendant pas mal de millénaires, et dont nous avons fait en deux cents ans des guenilles indignes d’être portées, que nous avons jetées aux orties ? L'humanité présente éprouve une haine viscérale des limites, comme le montrent à profusion les inventions des "créateurs culturels" dans leurs spectacles où fourmillent la transgression, l'attentat aux tabous, le franchissement des limites. Après toutes les Déclarations des droits humains, à quand la signature solennelle de la Déclaration Universelle des Limites Humaines ?
L’humanité présente est une Cendrillon qui n’a pas entendu les douze coups de minuit : il nous reste la citrouille, les rats et les trous dans la pantoufle de vair. Grâce à la machine du capitalisme industriel et productiviste, l’humanité retournera dans son taudis avec les pieds écorchés.
Malheureusement, il nous reste quand même, indéracinable, le rêve de la splendeur du palais princier, le rêve des vêtements chamarrés du bal de la cour. Il nous reste le rêve du bonheur définitif, le rêve de l’abondance des biens, le rêve des fontaines où coulent l’or de nos désirs et les diamants de la certitude de pouvoir les assouvir : la créativité humaine (l'innovation technique) reste pour nous infinie, et nous n'avons ni les moyens ni l'envie d'inverser le cours de l'histoire.
L’humanité présente rêve. Elle vit dans un conte de fées. Elle a fait de la planète un Disneyland géant en même temps qu'une poubelle, et n’envisage à aucun prix d’en sortir. L’humanité, qui a les pieds dans la merde, ne renonce pas à ses rêves sublimes, et ce ne sont pas les écologistes qui la réveilleront. La réalité l’attend au coin du bois.
« La mort lui fit au coin d'un bois le coup du père François ».
"Grand-père", Georges Brassens.
En résumé, si, pour être écologiste, il faut détruire le capitalisme, il faudrait en même temps dire comment on fait. Jusqu'ici, le capitalisme a régulièrement prouvé qu'il était increvable : il a tout digéré, y compris ses pires ennemis. Paul Jorion déclarait assez justement que les capitalistes ne feraient quelque chose pour sauver la planète que si ça leur rapportait. Autrement dit : aucune issue. Tant que l'écologie ne consiste qu'en pratiques fort sympathiques, mais infinitésimales, soigneusement montées en épingle par ses partisans, et qu'elle n'a, à part ça, que des mots à opposer au système capitaliste, celui-ci peut dormir tranquille : il ne sera pas dérangé.
Moralité : être écologiste aujourd'hui, ça n'existe pas. Et ça n'est pas près d'exister.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : changement climatique, écologie, défense de l'environnement, politique, écologistes, yannick jadot, eelv, parti écologiste, énergies renouvelables, développement durable, tri sélectif, biocoop, consommacteur, anticapitaliste, urss, kgb, goulag, communisme, staline, bolchevique, marxisme, collectivisme, npa, nouveau parti anticapitaliste, olivier besancenot, course à la bombe, course à la lune, stakhanovisme, amérique, droits de l'homme, industrialisme, productivisme, lendemains qui chantent, parti communiste, svetlana alexievitch, alexievitch la supplication, pillage des ressources, méphistophélès, goethe, second faust, emmanuel macron, édouard philippe, déclaration de politique générale, journal le monde, thomas piketty, disneyland, georges brassens, paul jorion
vendredi, 14 juin 2019
ÉCOLOGIE = ANTICAPITALISME 1/2
1
Toutes les grandes âmes, politiques ou autres, se rendent compte aujourd’hui que les populations électorales et consommatrices sont de plus en plus préoccupées par l’état de la planète, le changement climatique, l’empoisonnement chimique de l’environnement et autres réalités antipathiques. En un mot, les populations sont de plus en plus sensibles aux questions écologiques.
Pour leur donner l’impression qu’ils gardent un peu la maîtrise des choses, tous les "amis du peuple" qui briguent ses suffrages ont inscrit la protection de l’environnement à leur programme, sous forme de quelques virgules verdâtres, quelques phrases de sinople ou quelques paragraphes smaragdins, bref : des déclarations d'intention. Disons-le : ils veulent juste faire joli, et ça ne tire pas à conséquence. Le programme du parti écologiste lui-même, dont le chef provisoire ne vise rien de moins que la conquête du pouvoir (déclaration récente de Yannick Jadot), est – et c’est logique – entièrement consacré à ce thème.
Tous ces braves gens mentent effrontément. Ils mentent quand ils parlent de « développement durable ». Ils mentent quand ils parlent de « croissance verte ». Ils mentent quand ils enfourchent le cheval des « énergies renouvelables ». Ils mentent quand ils parlent de « consommateurs responsables » et de « tri sélectif ». Et la chaîne Biocoop se fout de nous, avec son slogan sur le "consommacteur". Pour résumer, dans la vie politique, l'écologie reste une potiche garnie d'une plante verte dans un coin de la scène où pérorent les responsables.
S’agissant d’écologie et de défense de l’environnement, il n’y a qu’une seule vérité : personne n’est écologiste s’il n’est pas résolument anticapitaliste. Aucun humain ne peut se prétendre écologiste s’il ne considère pas le capitalisme comme l’Ennemi à détruire. Toute autre position, qui accepte de transiger avec ce principe est une lâcheté, une tricherie, un mensonge, une imposture. Partant de cette prémisse, on aura beau chercher un écologiste avec une lanterne à la main, on n'en trouvera pas. Cela veut dire accessoirement que tout le monde ment, y compris les écologistes estampillés.
***
Le titre de ce billet est en soi un pléonasme. Pour être vraiment écologiste, il faut être un anticapitaliste résolu. J'avoue que, politiquement, le problème est difficile à résoudre. Dans les croyances les plus répandues, se déclarer anticapitaliste, c'est automatiquement être étiqueté bolchevique, marxiste, collectiviste, communiste, et toutes ces vieilles représentations armées d'un couteau entre les dents, où la planification autoritaire voisine avec la police politique, le Goulag, le KGB et les charmants souvenirs qu’a laissés le camarade Staline, petit père des peuples par antiphrase.
Cet anticapitalisme-là est une sinistre farce qui a été soigneusement entretenue par l'armée des agents de l'URSS à l'étranger connus sous le nom de "partis communistes". Car contrairement à la légende, l’URSS n’était pas anticapitaliste (Lénine a réprimé les premiers vrais soviets) : après 1945, elle fut seulement antiaméricaine. Et ça change tout. Ce qu'on nous a présenté pendant presque un siècle comme la patrie de l'anticapitalisme n'était ni plus ni moins qu'un autre système capitaliste, mais un capitalisme d'Etat, c'est-à-dire opposé au capitalisme à l'américaine, fondé, lui, sur la libre entreprise et l'initiative individuelle.
Dans l'un, tout était fait pour favoriser la libération des énergies des hommes entreprenants et courageux, dans l'autre, tout était administré par le couvercle d'une bureaucratie tatillonne et policière. – Soit dit par parenthèse, le rejeton bâtard de l'URSS nommé Nouveau Parti Anticapitaliste (Olivier Besancenot) ne fait que brouiller la donne. Heureusement : qui y croit ? Je ferme la parenthèse.
En dehors de cette différence – cruciale pour ce qui est des droits de l'homme – on aurait pu calquer à peu près le système soviétique sur le système américain : les deux s'entendaient à merveille pour faire de l’industrialisme et du productivisme à outrance l'alpha et l'oméga de la perfection des inventions humaines (voir par exemple la course à la bombe, la course à la Lune, les Jeux olympiques, ...). Le seul moteur qui alimentait l'antagonisme sauvage (quoique mimétique) que tout le monde prenait pour une incompatibilité de nature, une antinomie essentielle, c'était la performance dans tous les domaines possibles.
On se souvient du mythe de Stakhanov, ce "héros" du prolétariat mondial capable de remonter du fond de la mine cinq fois plus de charbon que le communiste ordinaire ; on se souvient de la souveraineté du "Plan" dont, systématiquement, le Soviet suprême concluait a posteriori que "le bilan était globalement positif". L'Amérique et l'URSS se sont simplement tiré la bourre pendant un demi-siècle pour savoir lequel des deux serait capable d'étouffer l'autre sous la masse supérieure de ses performances économiques, scientifiques et militaires chiffrées.
L'URSS a trahi tous les gogos qui ont cru aux "lendemains qui chantent". Une trop longue illusion qui a plongé toutes les gauches et les travailleurs de la planète entière dans la stupeur et le découragement quand l'imposture, au début des années 1990, s'est brutalement révélée pour ce qu'elle était, et que le "communisme" s'est désintégré sous nos yeux, dans une déflagration soudaine, comme par un effet de prestidigitation, où les apparatchiks purs et durs ont su se glisser du jour au lendemain dans le costume rutilant (et mafieux) des "oligarques" gourmands et forcenés. L'URSS abattue a laissé le champ libre aux Etats-Unis, qui ont pu croire que l'ennemi était définitivement à terre, et qu'il ne se relèverait jamais.
Vignette quasi-conclusive de Les Secrets de la Mer noire, de Bergèse et De Douhet, n°45 de la série "Buck Danny". Le volume est paru en 1994 !!!
Pour ce qui est du productivisme, de l’industrialisme et de la destruction de la nature, USA et URSS s’entendaient comme larrons en foire, avec cependant une prime aux soviétiques qui se souciaient de la vie humaine et de la sauvegarde de l'environnement encore moins que les Américains (c'est tout dire), comme l’ont montré les premières interventions après l’accident de Tchernobyl (voir La Supplication, de Svetlana Alexievitch, Lattès, 1998). Et il paraît qu’il vaut mieux ne pas tremper un orteil dans les eaux de Mourmansk ou de la Mer blanche, à cause des déchets innommables qui y ont été immergés.
Le capitalisme, incarné par son champion américain, est un anti-écologiste endurci, c'est sa nature, on le sait. Mais son ennemi déclaré, la soi-disant anticapitaliste et "communiste" URSS, était encore plus anti-écologiste que lui. L'écologie est le seul anti-capitalisme authentique.
A suivre.
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