Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mardi, 14 juillet 2020

LES PERVERS PÉPÈRES DE L'HUMANITAIRE

action humanitaire,organisations humanitaires,empire du bien,ong,msf,guerre du biafra,coluche,restos du coeur,france culture,le temps du débat,monique chemillier-gendreau,gotlib,emmanuel laurentin

C'est entendu, tous les gens qui interviennent sur toutes sortes de terrains dangereux dans l'excellente et insoupçonnable intention de venir au secours de toutes sortes de populations en butte aux tracasseries de leurs dirigeants ou aux bisbilles plus ou moins militaires et destructrices que ceux-ci entretiennent à plaisir avec des adversaires plus ou moins agressifs, tous ces gens sont admirables. Ils sont indubitablement du côté du Bien (le Grand, vous savez, celui qui n'ambitionne que d'étendre son "Empire").

On peut néanmoins rester perplexe quand on observe les effets pervers provoqués par l'énorme machine humanitaire, qui essaie vaille que vaille, en comptant sur la générosité d'autres populations – plus favorisées par le destin, celles-ci, et qui regardent à la télé les informations affligeantes qui accourent de partout –, de se tenir à la hauteur des malheurs du monde et de dresser à la petite cuillère un barrage contre l'océan des calamités qui s'abattent sur des gens dont, non contents de ne rien avoir pour se défendre, le seul bien est la déveine de vivre sous des cieux par trop incléments.

La première observation à faire, depuis les ébauches inaugurales de structures humanitaires et autres futures "O.N.G." (M.S.F. est né, me semble-t-il, lors de la guerre du Biafra au début des années 1960, je laisse à part la Croix-Rouge), est précisément que plus ces organisations se sont développées, plus les malheurs du monde ont augmenté. Comment est-ce possible ?

Ce qui était au départ un louable élan de générosité et de solidarité est devenu, disons-le, une grosse industrie en parfait ordre de marche. Une composante à part entière d'une réalité de plus en plus complexe, de plus en plus dangereuse, de plus en plus invivable pour une part croissante de l'humanité. C'était en fait le piège diabolique tendu par le côté obscur de la force qui caractérise l'action humaine aux éclats de lumière altruistes spontanément exprimés dans l'abstrait par les humains, quand ils sont "éloignés du théâtre des opérations". 

Coluche a eu beau n'espérer que la dissolution de son association pour cause de disparition des problèmes, force est de constater que, quelques décennies plus tard, les "Restos du Cœur" n'ont jamais été aussi éloignés du jour futur de la dissolution, et qu'au contraire ils ne sont appelés qu'à croître et embellir à mesure que se déchaîne le chaos du monde qu'on croyait "organisé".

Certes non, l'action humanitaire n'est pas en elle-même la cause de l'aggravation des situations. Probablement non. Enfin disons ... pas directement. Sans vouloir taquiner les susceptibilités, j'invite quand même tous les bons cœurs et les belles âmes altruistes qui se mobilisent et investissent de leur temps ou de leur argent dans « l'action humanitaire » à réfléchir aux résonances d'une phrase que j'ai entendue le 2 juillet dernier, en conclusion (18h58') d'une émission "Le Temps du débat" (Emmanuel Laurentin, France Culture). Je ne connaissais pas Madame Monique Chemillier-Gendreau, mais on comprend très vite qu'elle a un jugement tout à fait sûr. Voici ce qu'elle déclare quand l'animateur lui demande de conclure :

« L'humanitaire, c'est le Service-après-Vente des marchands d'armes ».

Méditez bien cette phrase : elle va loin. Et retenez ce nom : Monique Chemillier-Gendreau. Cette phrase me semble porter une VÉRITÉ éblouissante. Ce qu'elle dit ? Que non seulement l'action humanitaire ne remédie à RIEN, mais qu'elle est au service des fous sanguinaires et autres fauteurs de guerre qui se disent qu'après leur passage, les larbins passeront avec la serpillière pour nettoyer le champ de bataille de toutes les saloperies qu'ils auront commises. L'humanitaire donne champ libre au cynisme des pouvoirs. L'action humanitaire n'est pas sans effet, et les grands méchants loups de la planète l'ont bien compris : ils délèguent à des sous-traitants le traitement des conséquences de leurs cruautés. N'est-ce pas un proverbe chinois qui dit : « Intervenir dans le réel modifie le réel » ?

A la limite, je dirais que les humanitaires sont complices des crimes auxquels ils proclament que leur action prétend remédier. Pourquoi ? Parce qu'ils ont opéré une sorte de division du travail entre les criminels professionnels et les sauveteurs professionnels : "à vous le boulot de mort, à nous les pansements". Naïveté congénitale, angélisme niais, aveuglement buté, optimisme fanatique, voilà ce que c'est, les vertus des humanitaires. A leur place, vous savez quoi ? Non seulement je ne ferais pas le fier, mais j'aurais honte et j'irais vite me cacher.

Et surtout, après cette trop longue invasion de peste émotionnelle et sentimentale, due pour l'essentiel à l'hyperinflation médiatique, je me remettrais à penser le monde politiquement, et non à partir de bêtes considérations affectives. Car l'hyperinflation de l'humanitaire à laquelle on assiste signifie une chose simple, une chose triste, une chose tragique : l'impuissance et la démission du politique dans la marche du monde. L'humanitaire est la négation du politique.

L'espace et le volume toujours plus considérables occupés sur tous les écrans par l'action humanitaire reflète en réalité l'affirmation unanime des Etats les plus puissants de la planète de la primauté absolue de leurs seuls intérêts sur toute autre considération : seules comptent leur richesse, leur puissance, leur domination. L'humanité est entrée – depuis déjà un certain temps (fin de la guerre froide ?) – dans une logique d'affrontement. Finie la coopération, terminées l'O.N.U, l'O.M.S., la F.A.O. et tutti quanti : juste quelques milliers de fonctionnaires internationaux grassement payés.

L'humanitaire peut courir longtemps derrière ce genre de divisions blindées en train de s'affronter pour la sécurisation (= l'accaparement) des ressources. Finalement, j'ai pitié des humanitaires et je suis effrayé du désespoir dont ils sont l'expression la plus spectaculaire.

Voilà ce que je dis, moi.

P.S. : Pas besoin, j'espère, d'en appeler aux Mânes de Gotlib pour expliquer le titre de ce billet. 

Les commentaires sont fermés.