mercredi, 23 mars 2016
LA VIE DERRIÈRE LA VITRE
Photo Frédéric Chambe, 22 mars 2016.
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mardi, 22 mars 2016
GEORGES PEREC : LA DISPARITION
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Résumé : comme l’écrit Perec : « Oui, fit Savorgnan, disons qu’Anton tout à la fois montrait mais taisait, signifiait mais masquait » (p.111).
Anton, c’est Anton Voyl, le personnage principal, celui qui disparaît, comme par hasard, à la fin du chapitre 4, sachant qu’il n’y a pas de chapitre 5, remplacé par une simple page blanche. C’est d’ailleurs parce qu’il a disparu que le roman existe. Or, si l’on rapproche son nom de celui d’un autre personnage du livre, Amaury Conson, on comprend que Georges Perec est dans un jeu qui fait penser à « Des chiffres et des lettres » (sans les chiffres). Voyelle et consonne, c’est Voyl et Conson. Ouah, la ficelle ! Il fallait y penser.
Et Perec enfonce le clou : « On s’approcha d’Amaury [Conson] qui parcourait l’album. Il comportait vingt-six folios, tous blancs, sauf, au folio cinq, un placard oblong, sans illustration … » (p.112, cf. l'absence de chapitre 5). Parmi les vingt-six folios (les lettres), on retient le cinquième (le « e »). Si l’on n’a pas compris … Est-il vrai, comme l’affirme Claude Burgelin (un très proche de l'auteur) dans son Georges Perec (1988), que certains commentateurs professionnels n’ont pas vu la clé de l’énigme, à parution (1969) ?
La Disparition est donc un roman à clé. Un autre exemple, moins central celui-là, montre que Perec l’a bourré à craquer de références cachées, comme les ébénistes de la Renaissance s’ingéniaient à fabriquer des meubles à secrets, à tiroirs multiples. Il s’agit d’Augustus B. Clifford, autre personnage : « Il s’approcha. Il prit dans sa main l’oblong carton, suivant du doigt l’insinuant parcours du subtil signal nippon.
Soudain, il poussa un cri affolant, inhumain :
- Ai ! Ai ! Un Zahir ! Là, là, un Zahir !
Sa main battit l’air. Il tomba, mort » (p.134). C’est vrai qu’on meurt beaucoup, dans cette histoire. Mais un Zahir, qu’est-ce que c’est ?
Eh bien ça a d’abord à voir avec la signification et l’interprétation : dans la tradition islamique, le mot Zahir signifie « sens littéral », par opposition au Batin, « sens caché ». Encore une histoire de lettres, quoi. Mais aussi et surtout une référence à l’auteur argentin Jorge Luis Borges et à une nouvelle qui figure dans son recueil L’Aleph (Gallimard, 1967), intitulée précisément Le Zahir.
On lit, à la première page : « (A Guzerat, à la fin du XVIII° siècle, un tigre fut Zahir ; à Java, un aveugle de la mosquée de Surakarta, que lapidèrent les fidèles ; en Perse, un astrolabe que Nadir Shah fit jeter au fond de la mer ; dans les prisons du Mahdi, vers 1892, une petite boussole que Rudolf Carl von Slatin toucha, enveloppée dans un lambeau de turban ; à la mosquée de Cordoue, selon Zotenberg, une veine dans le marbre de l’un des mille deux cents piliers ; au ghetto de Tétouan, le fond d’un puits.) ».
Voici ce que le passage devient, dans La Disparition, après la lipogrammatraduction opérée par Perec : « A Masulipatam, un jaguar fut Zahir ; A Java, un fakir albinos d’un hôpital à Surakarta, qu’on lapida ; A Shiraz, un octant qu’Ibnadir Shah lança au fond du flot ; dans la prison du Mahdi, un compas qu’on cacha dans l’haillon d’un paria qu’Oswald Carl von Slatim [sic] toucha ; dans l’Alhambra d’Abdou Abdallah, à Granada, suivant Zotanburg, un filon dans l’onyx d’un fronton ; dans la Kasbah d’Hammam-Lif, l’obscur fond d’un puits ; à Bahia Bianca, au coin d’un sou où s’abîma, dit-on, Borgias » (p.139).
Le dernier détail, absent de l’original, évoque les choses bizarres qui arrivent à Borges-personnage, dans la nouvelle de Borges-auteur (« Je demandai une orangeade ; en me rendant la monnaie, on me donna le Zahir ; je le contemplai un instant ; je sortis dans la rue, peut-être avec un début de fièvre. » Et ça ne va pas s’arranger, même après qu’il s’en sera débarrassé.). Ce que devient le passage de Borges (traduction de l'excellent Roger Caillois), une fois soumis à la contrainte, n'est pas sans intérêt.
Pour finir là-dessus, on lit dans La Disparition ceci : « Sans savoir tout à fait où naissait l’association, il s’imaginait dans un roman qu’il avait lu jadis, un roman paru, dix ans auparavant, à la Croix du Sud, un roman d’Isidro Parodi, ou plutôt d’Honorio Bustos Domaicq, qui racontait l’inouï, l’ahurissant, l’affolant coup du sort qui frappait un banni, un paria fugitif » (p.32).
C’est sûr, Georges Perec connaît assez bien les œuvres de Borges. Les amateurs du même sont contents d’être ainsi mis dans la confidence et de faire partie des « initiés », puisqu’ils reconnaissent au passage Six problèmes pour Don Isidro Parodi et Chroniques de Bustos Domecq (mais avec un "e"). Hommage et révérence de Perec à l’auteur labyrinthique amateur de mystère, orfèvre d’un fantastique à l’étrange teneur métaphysique.
Faire partie des initiés : voilà pourquoi Borges, et après lui Georges Perec, font un tabac parmi les intellectuels. Mais on a le droit de rester à distance de ce genre de littérature, où l’ironie, hautaine ou affable, et le rôle dévolu à l’intelligence et à la culture ont de quoi intimider (décourager ?) le lecteur, même de bonne volonté.
Dans W ou le souvenir d’enfance, Perec écrit ceci au sujet du plaisir de la lecture : « je lis peu, mais je relis sans cesse, Flaubert et Jules Verne, Roussel et Kafka, Leiris et Queneau ; je relis les livres que j’aime et j’aime les livres que je relis, et chaque fois avec la même jouissance, que je relise vingt pages, trois chapitres ou le livre entier : celle d’une complicité, d’une connivence, ou plus encore, au-delà, celle d’une parenté enfin retrouvée » (p.193). Queneau et Roussel sont bien là, mais pas Borges. J’ai envie de dire : priorité à l’intelligence dans la pratique de l’écriture.
Je n’ai rien contre l’intelligence. Tout dépend de ce qu’on en fait, et de la place qu'on lui accorde.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, littérature française, georges perec, perec la disparition, éditions denoël, oulipo, lipogramme, claude burgelin, jorge luis borges, borges l'aleph, borges le zahir, borges six problèmes pour don isidro parodi, chroniques de bustos domecq, raymond roussel, raymond queneau
lundi, 21 mars 2016
GEORGES PEREC : LA DISPARITION
1
C’est curieux, n’est-ce pas, l'exceptionnelle biographie de Georges Perec par David Bellos m’a donné envie de rouvrir plusieurs livres de et sur l’écrivain. Parmi ceux-ci, le moindre n’est pas La Disparition, le désormais célébrissime lipogramme en « e », que les gens informés ont, paraît-il, beaucoup lu.
Le plus curieux dans l’affaire, c’est que le procédé est aujourd’hui très célèbre, mais qu’il n’a plus jamais, sauf erreur, donné lieu à la naissance d’un livre aussi digne d’attention. En littérature, La Disparition occupe la même place que « ptyx » dans le sonnet de Mallarmé, un « hapax » (du grec « une seule fois »). Disons-le : le roman de Perec, d’après ce que je sais (mais je peux me tromper) n’a rien de connu qui puisse lui être comparé. Comme si l’auteur avait tué le genre en lui donnant naissance.
J’ai donc relu La Disparition, ce roman de trois cents pages conçu et écrit avec une visible jubilation à partir de ce que le romancier s’est à lui-même interdit : la lettre la plus fréquente de la langue française. Un tour de force. Mieux, je dirai un numéro d’équilibriste. Ou plutôt de contorsionniste. On ne se lance pas, en effet, un tel défi sans s’exposer aux rudes nécessités de la langue. En français, se priver du « e », c’est réduire drastiquement la richesse du vocabulaire : une gageure.
Inutile de le nier : ça oblige à des acrobaties sans nom, je veux dire que Perec est évidemment obligé de tricher avec la langue, et même avec l’histoire (avec sa grande hache) : « Au nom du salut public, un Marat proscrivit tout bain, mais un Charlot Corday l’assassina dans son tub » (p.13). « Charlot Corday », il fallait oser. Je l’avoue, en tombant sur la trouvaille, j’ai bien rigolé. Et je dirai que c’est un peu le problème du livre tout entier : il fait souvent rire ou sourire (pourquoi le nier ?), mais on le prend rarement au sérieux.
Car c’est un livre bourré de clins d’œil faits au lecteur invité à devenir une sorte de complice. Par exemple, quand je tombe sur « l’arbin », « l'oisir », « sa vision qui l’hantait », « sarbacan », « bousins » (pour bouseux), je dis pourquoi pas. Je veux bien sourire encore, face à « un fort migrain », « aux cordons vocaux », « tout allait à vau-l’iau », « la mail-coach, un vrai guimbard », « Ah ! Moby Dick ! Ah maudit Bic ! ». A propos de Moby Dick, Perec se permet de résumer à sa façon lipogrammatique le chef d’œuvre de Melville. Je retiens ceci : « Puis, au haut du grand mât, il plantait, il clouait un doublon d’or, l’offrant à qui saurait voir avant tous l’animal » (mais, sauf erreur, Achab enfonce le doublon d’un coup de masse, sans le clouer).
Allez, j’accepte encore de m’amuser, avec « Blanc ou l’Oubli d’Aragon », « il s’agissait, dit-il, d’un rond portant au mitan un trait droit, soit, si l’on voulait, d’un signal s’assimilant à l’indication formulant la prohibition d’un parcours », « Trois chansons du fils adoptif du Commandant Aupick » (vous avez compris ce qu’il y a à comprendre : Blanche ou l’Oubli, le sens interdit, Charles Baudelaire).
J’apprécie aussi, à l’occasion, d’enrichir mon vocabulaire : je ne connaissais pas « baralipton » (je ne suis pas très fort en syllogismes), « avaro » (la tuile !) et quelques autres. Mais je me dis que l’auteur attige, qu’il en rajoute quand il écrit : « mais pour qui j’urai alors d’avoir un amour constant », « nous avions naquis », ou « la coruscation d’un automnal purpurin ». Soyons honnête : il m’est arrivé de me laisser prendre au récit, en des moments qui ne sont pas trop rares, heureusement. Georges Perec est excellent quand il fait oublier la contrainte formelle. Mais la plupart du temps, elle reste là, sous votre nez, à vous narguer, trop visible et parfois laborieuse.
Cette contrainte, il la formule d’ailleurs explicitement :
« Mais, plus tard, quand nous aurons compris la loi qui guida la composition du discours, nous irons admirant qu’usant d’un corpus aussi amoindri, d’un vocabulariat aussi soumis à la scission, à l’omission, à l’imparfait, la scription ait pu s’accomplir jusqu’au bout.
Abasourdis par l’inouï pouvoir marginal qui, contournant la signification tabou, la saisit pourtant, la produit pourtant par un biais subtil, la disant plus, l’ultradisant par l’allusion, l’association, la saturation, nous garantirons, lisant, la validation du signal sans tout à fait l’approfondir.
Puis, à la fin, nous saisirons pourquoi tout fut bâti à partir d’un carcan si dur, d’un canon si tyrannisant » (p.196).
On pense évidemment à la célèbre histoire d’Edgar Poe La Lettre volée, où Dupin, ce précurseur de Sherlock Holmes, grâce à la subtilité de son raisonnement, perce le secret et déjoue la machination du ministre qui voulait du mal à une grande dame. Je laisse de côté les savantes considérations, célèbres parmi les intellos, que Jacques Lacan a posées sur la nouvelle de Poe. L’idée, c’est que les gens ne remarquent pas, en général, ce qui leur crève les yeux. Comme l’écrit Perec : « Oui, fit Savorgnan, disons qu’Anton tout à la fois montrait mais taisait, signifiait mais masquait » (p.111).
Révéler un secret tout en le taisant, tout le paradoxe qui court dans l’œuvre de Georges Perec est là.
Voilà ce que je dis, moi.
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dimanche, 20 mars 2016
PHILIPPE MURAY : ULTIMA NECAT
IMPRESSIONS DE LECTURE
3
Le deuxième volume (1986-1988) consacre de longues pages à la préparation d’un roman qu’il intitule Postérité (paru en 1988), dans lequel il s’en prend à la volonté des femmes de procréer à tout prix, mais aussi aux hommes, parce qu’ils se laissent faire (les hommes font moins des enfants aux femmes qu’elles ne leur en font, dans le dos, pour mieux les soumettre).
Je n’ai pas l’intention de lire Postérité, pour deux raisons : j’ai lu d’une part des mots assez sévères le concernant (blog de Didier Goux), et d’autre part on suit pas à pas, dans ce même deuxième volume, la mise au point, la composition, l’élaboration du « roman ». L’impression qui découle de tout ça est celle d’un vague brouet informe et confus.
J’avoue que la seule lecture du « Journal » ne m’a guère donné envie d’aller y voir de plus près. Les cinq cents pages du roman ont à elles seules un aspect dissuasif : Postérité n’est pas Guerre et Paix. Le plus étonnant, c’est que l’auteur est catastrophé par le silence qui entoure la parution de son ouvrage, mais un silence qu’il tend à assimiler à un complot contre lui, à cause d’on ne sait quels « tabous » qui, heurtant l’époque de plein fouet, le rendraient inadmissible et, de ce fait, maudit.
Et c’est là, finalement, que se trouve l’intérêt principal de ce « Journal intime » : il nous montre une sorte d’indétermination, d’hésitation. Philippe Muray voit grand, très grand. Il rêve de fondre en un seul lingot littéraire les deux genres que sont l’essai et le roman. Et disons-le, il n’y arrive pas. En effet, qu’il s’agisse du 19ème siècle à travers les âges (1984) ou de Postérité (1988), il croit abattre la cloison qui sépare l’un et l’autre, mais il n’en fait rien de vraiment digeste.
Le problème, c’est qu’il veut mettre du roman dans l’essai (Le 19ème), et de l’essai (de la démonstration, si l’on préfère) dans Postérité. : « Le prologue de Postérité, quelques paragraphes sur la pensée, est important. Il signifie : ce n’est pas parce que je commence un roman que, à l’imitation de la plupart des écrivains, je vais renoncer à penser » (II, p.178). Il a beau soutenir mordicus l’intérêt de cette « innovation », ça ne marche pas.
Dans Le 19ème, livre génial d’un certain côté, le lecteur est frappé par l’originalité des analyses, par des trouvailles qui éclairent tout sous un jour nouveau, mais il est horripilé par la boursouflure de l’expression, qui champignonne à plaisir en cellules proliférantes, d’où les 700 pages, à comparer aux plus de 500 de Postérité : Muray aime faire des gros livres.
C’est un aspect curieux, d’ailleurs, de ce Journal : je ne sais combien de fois il mentionne le nombre des pages qu’il a écrites, le nombre des pages qu’il envisage, le labeur auquel il faut qu’il se tienne pour « tenir ses délais » : « D’après mes calculs, si j’écris 700 pages, tout devrait être tapé fin juin » (28 février 1987). La quantité semble parfois faire office d’horizon. Ce n’est pas ce qu’il y a de mieux.
Autant le dire : je ne vois pas Philippe Muray en romancier. Il a trop d’idées pour cela. Sa notion du roman passe trop par les concepts et les « problèmes de société ». La notion de personnage est dans son imaginaire beaucoup trop abstraite pour donner chair à des existences capables de toucher un éventuel lecteur. Pour tout dire, il est trop penseur et pas assez ... pas assez quoi, au fait ? Pour qu'un héros de roman accède au statut de personnage à part entière, il faut que l'auteur croie en lui. Qu'il l'aime, en quelque sorte. Philippe Muray n'aime pas assez l'humanité pour faire vivre ses personnages.
Plus un personnage est chargé par l’auteur de véhiculer une idée, moins il existe : il faut d’abord qu’il agisse. Idée, soit, mais incarnée. Même inspirés de personnes réelles (Michel Polac, Dominique Grange, …), Mélidonian, Camille, Mimsy, Bromios et les autres, autant qu’on peut en juger par ce que Muray dit de ses personnages dans son Journal, n’arrivent pas à vivre leur propre vie. L’auteur ne les laisse pas faire : il les tient en laisse. En plus, il se regarde écrire son roman : « Ma conception des personnages est au fond hégélienne. Il n’y a aucune raison d’imaginer que les êtres n’aient pas, dans tous leurs comportements, des motivations rationnelles » (II, p.114). Ce genre de notation n’aide pas.
Et le jugement qu’il porte lui-même sur ce qu’il a écrit de son roman encore moins : « 30 juin [1986]. Survol du brouillon de Postérité. 1000 pages dont je ne dois garder au maximum que 400 ou 500. Le problème était, à partir de ce survol, de repérer les épisodes, refaire un synopsis et voir où greffer les courts passages que je dois encore écrire. C’est fait. Le bilan n’est pas fameux. Monstrueuses longueurs. J’ai l’impression de n’avoir pas exprimé réellement ce que je voulais. Pas assez crûment. Il faut que je le dise mieux. Plus nettement. Tout est noyé dans tout et réciproquement » (II, p.106). Il dit ailleurs son obsession de « saturer ». Comme s’il tenait à se rendre illisible.
A ce propos, il a une remarque tout à fait intéressante : « Avant-gardes, etc. C’est très mal pensé, tout ça. Il y a eu une nécessité incontestable. Il a fallu se mettre à la hauteur de l’illisibilité du monde et, se faisant semblable à ce qu’on décrit, faire des livres illisibles. Finnegans Wake, Cantos, un peu Céline (les Guignol’s Band). A chercher : pourquoi, alors que le monde continue à éclater, alors que son illisibilité s’accentue, que les dépressions se multiplient, qu’il devient de plus en plus fou, pourquoi dont la désirabilité de l’illisible disparaît, même chez ceux qui l’aimaient vraiment ? » (II, p.85). C’est ma conviction : les arts, au 20ème siècle, se sont mis au diapason du 20ème siècle, appliquant méthodiquement son mot d’ordre, qui est « Détruire ». Ceux qui continuent à ne pas voir cette réalité se bercent, mentent ou font semblant.
C’est sûr, Philippe Muray n’est jamais meilleur que quand il regarde, observe, dissèque le monde qui l’entoure.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : il y aurait encore beaucoup à dire à la suite de cette lecture. Je le dis sans détour : vivement les volumes suivants.
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samedi, 19 mars 2016
PHILIPPE MURAY : ULTIMA NECAT
IMPRESSIONS DE LECTURE
2
Je passerai rapidement sur la radicale incompatibilité d’humeur qui règle les relations entre Philippe Muray et Bernard-Henri Lévy, dont il déteste l’arrogance, le culot et la mauvaise foi. Quand l’occasion se présente, il lui assène de sévères avoinées, sur un ton d’une grande violence : « On dirait que la vocation de B.-H. Lévy est de confirmer et d’amplifier toutes les saloperies inventées depuis des siècles par les antisémites. Voleur, escroc, usurpateur, mystificateur sans talent, copieur, plagiaire, conspirateur, menteur, etc. » (II, p.473). Non, il n’y va pas de main morte (ce qu’on lit p.273 n’est pas mal non plus).
Sa relation avec Philippe Sollers est plus complexe et plus suivie. Bisbilles et rabibochages se succèdent. L’ambivalence gouverne. Ça l’embête beaucoup d’avoir besoin de lui et de BHL, qui restent incontournables s’il veut espérer voir ses livres publiés, vu la place qu’ils occupent dans le monde de l’édition parisienne (il parle du « pouvoir de Sollers », I, p.392).
Le copinage forcé avec Philippe Sollers, disons-le, n’est pas ce qui pourrait me rendre sympathique l’auteur des formidables Exorcismes spirituels : dis-moi qui sont tes amis, je te dirai qui tu es. Son problème, c’est qu’il a besoin de lui. Mais ça ne l’empêche pas d’écrire : « Petite saloperie dégueulasse de Sollers » (I, p.246). Il ne le tient pas en grande estime : « La bêtise de Hugo était la bêtise ; celle de Sollers, la bêtise de l’intelligence » (p.251).
Une page plus loin, il parle de « Méphistophilippe ». Plus loin : « Je me sens m’éloigner maintenant de Sollers très vite » (ibid., p.282). On constate, en comparant le précieux index des noms propres du volume I et du volume II, qu’on trouve en fin de volumes, que cet éloignement semble en voie d’accomplissement à partir de 1986.
On comprend la difficulté quand on sait que les revues dans lesquelles Muray publie sont à l’image de ce qui a pu passer en France, pendant un temps, pour le fin du fin de l’avant-garde intellectuelle : Tel Quel (fondée entre autres par Sollers), Art press, bref, tout ce qu’on regroupe sous l’appellation « Modernité ».
La Modernité a fait régner la terreur sur les « intellectuels » : Simon Leys (Pierre Ryckmans) en sait quelque chose, qui a subi un total ostracisme institutionnel, pour avoir mis à poil la statue de Mao Tse Toung dans Les Habits neufs du président Mao, au moment même où Sollers, Barthes, Maria-Antonietta Macciocchi et toute l’ENS-Ulm, "maoïstes" pur jus, avaient le cœur et la tête à Pékin, en pleine « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ». Mais Simon Leys lisait le chinois dans le texte des journaux chinois, et il savait à quoi s'en tenir sur le mirage maoïste. Une terreur analogue, quoique moins sanguinaire, a régné sur le monde musical, lorsque l’autocrate Pierre Boulez, assis sur le trône du sérialisme intégral et de l’IRCAM, dictait les lois de la composition musicale.
La grande force morale de Philippe Muray est d’avoir su s’extraire de ce bocal confiné pour permettre à sa pensée de se déployer en toute autonomie. Au prix d’un arrachement et de contradictions. Quelle malchance, pour Philippe Muray, d’avoir germé dans le cloaque des avant-gardes. Mais je me dis en fin de compte que ça l’autorise d’autant plus à porter leur fumisterie sur la place publique.
Bon, à part ça, qu’est-ce que je retiens de ces onze cent et quelques pages de « Journal intime » ? D’abord, que l'auteur considère le 20ème siècle comme une « catastrophe » (je ne retrouve pas la page). Qu’on trouve, dans une telle masse de texte, assez peu de remarques à propos de « l’événementiel ». Que Muray évoque bien davantage ses parents que lui-même : « 27 janvier. Il y a des gens qui coûtent la vie à leur mère en naissant. J’ai coûté la vie à mon père en naissant (écrivain). J’ai fait mieux » (I, p.235). Sous-entendu : mieux que Jean-Jacques Rousseau (première phrase des Confessions).
Explication : Philippe Muray porte une culpabilité, celle d’avoir obligé, en naissant, son père à faire ce qu’il faut pour nourrir une famille, et donc à abandonner toute ambition littéraire pour son propre compte. En cultivant à son tour l’ambition de devenir écrivain, Muray a-t-il voulu « réparer » une « faute » ? Toujours est-il qu’il n’envisagera jamais sa future existence autrement que vouée à la littérature. Et surtout sans encombrer son chemin des enfants qu’il ferait à une femme. Il faut choisir : faire des enfants ou des livres. Il revient d’ailleurs assez souvent sur les bisbilles et incompréhensions que suscite, auprès des enfants de sa compagne : il refuse obstinément d’être considéré comme un substitut paternel.
C’est un point de vue. C'est un choix.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 18 mars 2016
PHILIPPE MURAY : ULTIMA NECAT
1
J’ai lu dernièrement les deux premiers volumes (parus en janvier et octobre 2015 aux éditions Les Belles Lettres) du journal intime de Philippe Muray. Deux beaux volumes reliés pleine toile avec jaquette, bien fabriqués, forts de plus de 500 pages chacun. Les titres ? Ultima necat I et Ultima necat II (titre inspiré du « Omnes vulnerant, ultima necat », qu’on lisait sur les cadrans solaires, pour rappeler la triste incertitude de la destinée humaine).
Pour être franc, je goûte moyennement la lecture de tels « Journaux ». Mais pourquoi pas ? A condition que le regard de l’auteur soit tourné, non sur son nombril, mais vers l’extérieur. Il y a quelque chose du bouillon de culture dans la littérature diariste. Avec des exceptions, bien sûr (Kafka, Jules Renard, Léon Bloy, les Goncourt, aussi, à cause de son côté reportage en immersion). J’ai toujours trouvé que publier son « Journal intime » est une drôle d’idée. D’abord parce qu’il faudrait plutôt l’appeler « extime » (du privé fait pour devenir public).
Et puis il ne faut vraiment avoir aucun doute (et même ne pas être dépourvu de prétention) sur l’intérêt que peut avoir aux yeux des autres le moi qui s’épanche ainsi, qui se délecte dans la contemplation de soi-même, qui raconte ce qui lui arrive et ce qui se passe autour de lui. Bon, à la décharge de Philippe Muray, disons que ce n’est pas à lui que l’initiative en revient, mais à sa compagne de trente ans, Anne Sefrioui. Et pour cause : il est mort en 2006. Même si elle précise dans sa postface que Muray l’a écrit avec l’intention plus ou moins explicite qu’il soit publié un jour.
Raison pour laquelle elle s’est permis d’expurger le texte des passages qui la « compromettent » le plus indiscrètement : « Toutefois, mon immolation à la littérature a ses limites, aussi ai-je procédé à quelques coupures sur des passages concernant ma vie intime, m’estimant suffisamment exposée : caviardage modeste puisque sur ce premier volume par exemple, elles ne représentent qu’une dizaine de pages » (p.584). On veut bien la comprendre. J’aime assez "immolation à la littérature". Au reste, elle assure que ces pages seront « un jour consultables » (ibid.).
On n’a aucune raison d’en douter, même si j’imagine que les plus curieux regretteront d’être privés des passages peut-être les plus croustillants. Ils se consoleront avec les pages de ces deux volumes où Philippe Muray évoque sans complexe quelques aspects de ses préférences en matière de sexe. D’après la façon dont il parle de ces choses, il n’est pas homme à éprouver des désirs compliqués ou tortueux. Droit au but, c’est sa devise.
A ce propos, j’ai relevé une remarque très judicieuse sur l’origine du terme « hétérosexuel ». C’est dans I, p.526 : « "hétéro"-sexualité est un concept homosexuel ». Ce sont « les pédés » (comme il dit constamment) qui ont les premiers traité d'hétérosexuels les gens qui ont une sexualité normale (sans guillemets) : l'usage des mots rend possibles toutes les inversions de valeurs (cf. la novlangue dans le 1984 d’Orwell). J’ajoute que, vu les galipettes avec diverses femmes que Muray raconte dans certains passages, sa compagne (le plus souvent « Nanouk » ou « N. »), visiblement, n’a rien d’une jalouse. Je dirai que ça les regarde. Passons.
L’intérêt principal (et la limite) du « Journal intime » ? Vous faire entrer dans la cuisine pour, observant l’auteur attaché à sa table comme un bagnard à son boulet, voir se dérouler la succession de ses jours, les rencontres qu’il a faites, les réflexions, les lectures, les intentions et les projets dont il est habité. Ce qui bout au quotidien dans sa marmite, quoi. Il faut bien dire que ce n'est pas ce qui mijote dans les casseroles qui apparaît comme le plus ragoûtant. Mais ça peut aussi mettre en appétit. Dans l'ensemble, je persiste toutefois dans mon peu de goût.
Car l'intérêt, parfois passionné, de certains pour les « Journaux intimes », le même au fond (avec ses nuances) que pour les « Correspondances », me semble curieux. Quand je vais au restaurant, je n’ai guère envie d’aller voir dans l’arrière-boutique comment le maître queux se comporte à son « piano » : je ne suis pas venu pour ça, mais pour l’assiette qui sera posée devant moi. Le grand écrivain, en invitant son lecteur à entrer dans son intimité (relative), risque fort de perdre de son lustre aux yeux de celui-ci : « Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre », comme on dit. Muray se plie à son « Journal » comme on s’agenouille au prie-dieu : « Ecrire son journal c’est faire sa prière ». Bizarre, non ?
Il se pose quand même la question : « A quoi peut bien servir un "Journal", celui-ci particulièrement ? A témoigner, mieux que les ordonnancements et les compositions des livres eux-mêmes (reposant sur un tri a priori) du tohu-bohu, du mélange, du perpétuel bordel dans une tête, de la superposition constante de préoccupations d’ordres multiples et différents. Ce témoignage peut-il intéresser qui que ce soit ? Encore faut-il que celui qui l’élabore ait réussi à se rendre intéressant … Qu’on ait envie de connaître sa vie, les mélanges amers de sa vie. Toute l’échelle des souffrances … » (p.507). De l’angoisse d’être désiré, d’être aimé, en quelque sorte.
Bon, cela dit, qu’est-ce que je retiens de ces deux gros volumes de « Journal intime » ? Commençons par quelques détails. Tout le monde attribue à Claude Lanzmann l’attribution du mot « Shoah » à la destruction des juifs d’Europe (son film date de 1985, Le Lièvre de Patagonie, où il réaffirme cette paternité, de 2009). Or je lis, à la date du 3 décembre 1981 (soit quatre ans avant le film) du Journal de Muray : « Pour désigner les chambres à gaz et les six millions de morts de l’antisémitisme du XX° siècel, les Juifs contemporains refusent le mot "holocauste" et proposent le terme hébreu "Choa" [sic] qui veut dire "catastrophe". Chaos » (I, p.255). J’ignore à quelle source il a puisé l’information, mais la date en fait foi : Lanzmann se vante. Ça ne m’étonne pas trop.
Je retiens aussi l’enseignement que Muray tire des trois mois qu’il passe aux Etats-Unis en 1982-83 pour faire un certain nombre de conférences et de cours à l'université : « Mon cours de mardi à la "Maison française" ! L’horreur de ces deux heures sans fin. En plus, ce soir, tirs de barrage qu’on aurait dits concertés en modulations féministes. Contre Freud ! Misère ! Impossible de leur dire qu’elles pouvaient se les mettre au cul, leurs féminismes, S. de Beauvoir et les psychanalystes américaines qui ont fait la critique du sexisme de Freud. (…) Heureusement qu’il n’y avait aucun élément masculin parmi les élèves. C’est-à-dire aucun élément super-féministe par abjection sexuelle ». Et il conclut : « Ce pays est décidément une abomination dans tous les domaines » (I, p.245). C'est au cours du même séjour qu'il écrit : « Le protestantisme est une idée catholique devenue folle » (p.247).
Philippe Muray ne l’envoie pas dire : le féminisme, le terrorisme moral qui en a découlé (traquer le « sexisme », combattre la « domination masculine », imposer l’ « égalité femme-homme », …), ça lui sort par les yeux. A-t-il tout à fait tort ?
Voilà ce que je dis, moi.
Note : on appréciera l’état des « luttes des femmes » à l’aune de quelques manifestations lyonnaises, récentes ou prochaines. Ainsi, la place Bellecour a été envahie par des centaines de femmes en lutte contre le cancer du sein. Ainsi, trois cents motardes ont défilé à Lyon, dimanche 13, à cheval sur leur monture, pour défendre les « droits des femmes ». Ainsi se prépare, pour le 26 mai, un « événement » qui a été baptisé « Courir pour elles » (contre les cancers féminins). Et tenez-vous bien, toutes ces manifestations censées illustrer la lutte pour de nobles causes ou contre les « stéréotypes » ont été placées sous le signe du « Rose ». Des ballons, des T-shirts, ce qu’on veut, mais du rose. Comme quoi les stéréotypes ont la vie plus dure qu’on n’aurait cru. Comme quoi, les « causes » ne sont pas à une contradiction près. Je trouve l'ironie amusante.
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jeudi, 17 mars 2016
HARO SUR LE CARDINAL
C'est entendu, la pédophilie est répugnante. Immonde, la main baladeuse (et plus si affinités) du curé dans la culotte de l'enfant de chœur. Ignoble, le geste du confesseur qui détourne à son plaisir la pénitence qu'il prescrit à la pénitente. Repoussant, l'usage de l'autorité, par l'aumônier, pour tirer une basse satisfaction personnelle de la confiance que l'enfant ou l'adolescent accorde spontanément à celui qui s'occupe du groupe.
Je note à ce propos que le journal Libération a retourné sa veste pour coller à l'ambiance d'ordre moral qui régente l'époque : il fut un temps, en effet, où il regardait avec attendrissement et complaisance certains adultes qui ne se cachaient pas, voire se vantaient d'éprouver du désir amoureux pour les enfants (Guy Hocquenghem, Gabriel Matzneff, Tony Duvert, Daniel Cohn-Bendit, ...). Comme par hasard, à peu près l'époque des faits que la clameur publique reproche au cardinal Barbarin d'avoir ignoblement couverts. Avant le spectaculaire retournement de tendance, disons-le, un singulier consentement couvrait certaines pratiques de son approbation, muette ou non.
Cela dit, je ne peux pas m'empêcher de m'interroger au sujet de la stupéfiante offensive que les médias lyonnais (plusieurs doubles pages dans Le Progrès ces derniers temps) mènent contre l'Eglise catholique, bientôt relayés par les médias nationaux (Le Monde s'y est mis à son tour), au point que tout le monde connaît ces jours-ci le nom du cardinal Barbarin, primat des Gaules. Même une ministre de l'Education, même le premier parmi ceux-ci participent à la curée contre les curés. Voilà un nom jeté en pâture, de quoi faire une belle chantilly, de quoi faire saliver les téléspectateurs.
Loin de moi l'intention de défendre la soutane et la calotte, mais je trouve que cette soudaine montée en mayonnaise d'un "scandale" sent mauvais, pour ne pas dire qu'elle pue, et a quelque chose de tout à fait suspect. Pour commencer, comment se fait-il qu'une "association" dont personne n'avait entendu parler ("La Parole libérée") se soit fait, du jour au lendemain, une telle place dans le journal local ? Qu'est-ce qui a poussé Le Progrès à donner un tel écho à ses deux fondateurs ? Qu'est-ce qui a pu leur ouvrir les colonnes du journal ? Qu'on m'excuse, mais la foudre journalistique qui s'abat en ce moment sur les turpitudes supposées du cardinal Barbarin me laisse perplexe. Et même dubitatif.
Ensuite, je trouve incroyable que Valls et Vallaud-Belkacem soient descendus en personne dans l'arène pour y jouer les fauves. Valls, surtout. C'est alors que me revient à l'esprit le lien que Manuel Valls entretient avec les milieux francs-maçons. Me revient aussi l'amitié qui unissait, sous la houlette de Michel Rocard, trois jeunes loups de la politique et de la communication : Manuel Valls, Alain Bauer, Stéphane Fouks. Ci-dessous une photo de quand ils étaient jeunes.
De gauche à droite : Alain Bauer, Michel Rocard, Manuel Valls, Stéphane Fouks.
Manuel Valls, n'en parlons pas. Stéphane Fouks est le communicant de la bande. Quant à Alain Bauer, en dehors de ses magouilles avec Sarkozy pour devenir quelque chose dans l'université française au mépris de toutes les règles en la matière, on se rappellera qu'un des couronnements de sa carrière eut lieu quand il fut élu Grand Maître du Grand Orient de France. Valls et Fouks, sans être montés aussi haut, sont restés ses "frères", à ce qu'il me semble. Je veux dire francs-maçons.
Je continue à raisonner : lors du vote de la loi scélérate sur le mariage homosexuel, grâce aux aboiements de madame Christiane Taubira, qui appartient à la même confrérie (elle est GdS - ne me demandez pas - de la Grande Loge De France), le cardinal Barbarin n'a pas été le dernier à monter au créneau pour défendre une conception traditionnelle (catholique) de la famille. Et voilà, deux ans plus tard, qu'est déclenchée une offensive sans précédent contre le prélat. On sait la dent que les francs-maçons aiguisent jour après jour pour la planter dès qu'ils le peuvent dans les mollets du catholicisme.
Je ne veux pas tomber dans le complotisme, mais je ne peux m'empêcher de faire le lien : les "frères" ne pardonnent pas. Je l'ai dit : cette affaire sent très mauvais. Pour ne pas dire qu'elle pue.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 16 mars 2016
I'M A POOR LONESOME COWBOY
DES BARBELÉS SUR LA PRAIRIE (N°29)
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mardi, 15 mars 2016
I'M A POOR LONESOME COWBOY
TORTILLAS POUR LES DALTON (N°31)
C'est là que Goscinny a cassé sa pipe.
C'est là que la meilleure série s'arrête.
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lundi, 14 mars 2016
A LA CAMPAGNE
Petite carte postale : il n'y a pas que la ville, dans la vie.
Photo Frédéric Chambe.
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dimanche, 13 mars 2016
APRÈS LA FERMETURE
LES DERNIÈRES CARTOUCHES, POUR CLORE LA SÉRIE.
(On peut se reporter aux 1-2 février.)
Ici l'on fait de la musique.
L'atelier de Qi-Gong.
L'escalier métallique.
La quincaillerie (articulations métacarpiennes comprises).
La salle de yoga.
La boutique vétérinaire.
Le salon d'esthétique.
Le local abandonné depuis longtemps.
Le glacier.
La voiture de police (intruse dans la série, mais).
Le local déserté.
Le local accueillant les enfants.
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samedi, 12 mars 2016
LA TERRASSE SUR LA PLACE
Photo Frédéric Chambe.
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vendredi, 11 mars 2016
LE MANÈGE SUR LA PLACE
Photos Frédéric Chambe.
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jeudi, 10 mars 2016
MON ART ABSTRAIT
Ce qui se passe à la surface de l'établi, autour du trou du "valet" (anciennement "pélican"), quand on attend assez longtemps.
Photo Frédéric Chambe.
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mercredi, 09 mars 2016
MON ART ABSTRAIT
Ce qui se passe à la surface de la gelée de coing, quand on l'oublie.
Photo Frédéric Chambe.
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mardi, 08 mars 2016
DES VIES DERRIÈRE LA VITRE
La salle d'attente du cabinet médical.
En menus reflets parasites, les traces d'une voiture stationnée.
Photo Frédéric Chambe.
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lundi, 07 mars 2016
MAUDIT CODE DU TRAVAIL !
Qu’est-ce qui se passe autour du Code du travail ? Quel est l’enjeu des luttes féroces qui se livrent en haut lieu et en bas lieu à propos de ce « Code, l’unique objet de mon ressentiment » ? Un million et plus de signatures pour la pétition qui réclame le retrait du texte. Effervescence en ligne, panique du timonier, reculade gouvernementale, bref, encore une fois le même lamentable spectacle de la panouille intégrale qui sert de ligne directrice à François Hollande, depuis que l’inconséquence des Français l’a porté au pouvoir.
Je me moque de savoir ce qui se passe sous les jupes et dans les dessous peu affriolants des calculs politiques à court terme autour de cette affaire. Quelles seront les modifications acceptées par Manuel Valls ? Peu importe : ce qui compte, c'est le mouvement général dans lequel s'inscrivent toutes les remises en cause des "droits" des travailleurs, un peu partout en Europe et dans le monde. La consigne est partout la même : il faut s'aligner sur le plus bas.
Car on peut deviner ce qui se trame derrière les clameurs de Gattaz, du patronat et de tous ceux qui poussent, soit à la démolition pure et simple de ce monument de tracasseries qui empêche les chefs d’entreprise d’embaucher et de licencier à leur gré ; soit, ce serait un minimum, de simplifier les procédures, de garantir les droits des salariés tout en injectant du lubrifiant dans les rouages des entreprises.
On nous sort à tout bout de champ l’épaisseur du Code du travail, ses obscurités, ses contradictions, ses jurisprudences alambiquées, et on le compare au Code suisse, limpide, lui, et réglé comme un coucou.
Gaston Lagaffe en train de repeindre le coucou de son coucou suisse.
Gaston Lagaffe n'a rien compris au marché du travail.
Je veux bien croire qu’en matière d’emploi, un effort de clarification et de simplification des règles est nécessaire. Mais pour embêter les entreprises, il n’y a pas que ce maudit Code : il me semble que les normes (françaises, européennes) auxquelles elles doivent se conformer ne sont pas pour rien dans les tracasseries qu’elles subissent.
Et puis quand on nous parle de chômage et d’emploi, on nous raconte beaucoup de bobards. Le premier est que la complexité du Code est la cause du chômage : le Code a bon dos. Et si, Code ou pas Code, la France perdait des emplois, tout simplement, à cause de la diminution du travail productif ? Et puis Hollande gave le MEDEF de cadeaux. Et puis on nous serine : « Plus de flexibilité sera favorable à l’emploi ». Rien n’est moins sûr, monsieur Gattaz : où est-il votre million de créations ? Perdu en route.
Et puis prenez le déficit "astronomique" (paraît-il) de l’UNEDIC. Deux solutions simples pour résoudre le problème : primo, cesser de l’obliger à participer au financement de Pôle emploi ; deuxio, pénaliser les entreprises qui recourent abusivement aux contrats précaires pour occuper des postes indispensables, ce qui alourdit notablement sa barque.
Non, moi, ce que je vois se profiler derrière la guerre faite au Code du travail, c’est autre chose, et c’est plus grave. Car il faut savoir que, partout où ont été menées de « courageuses réformes du marché du travail » (Allemagne et Grande-Bretagne pour commencer), partout où l’on a « assoupli les règles », le nombre de travailleurs pauvres a explosé, et les inégalités se sont démesurément accrues. Et les "journalistes" perroquettent la doctrine officielle : ces pays ont un taux de chômage remarquablement faible. Moi, les statistiques, je n'admets que "celles que j'ai moi-même trafiquées" (Churchill).
Il ne suffit plus d’avoir le privilège de bénéficier d’un emploi pour espérer échapper à la pauvreté. Travailler plus pour gagner moins ! Sarkozy n'avait pas pensé à ça. Remarquez, il y avait déjà les éleveurs français qui payaient pour travailler, parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ça montre la voie. Moralité : les dirigeants français sont en train d’admettre, de programmer et d’administrer l’appauvrissement des populations européennes. Les peuples ont perdu la guerre.
Ce qui se profile derrière la réforme du Code du travail, c’est ce que pointe Alain Supiot dans son excellent bouquin : La Gouvernance par les nombres (Fayard, 2015). Le message principal de l’ouvrage, enfin, ce que j’en retiens d’essentiel, c’est que le système économique que l’ultralibéralisme a installé (l’économie financiarisée au profit des seuls actionnaires) prévoit tout simplement d’abolir les lois qui régulent encore, pour un temps, la production et les échanges. Comme le dit le dirigeant d’une grande entreprise : « La régulation est un obstacle à l’innovation ». Ah, chère humanité, que serais-tu sans la déesse « Innovation » ?
Tout ce qui régule l’économie est considéré par les grands acteurs qui interviennent sur les « Marchés » comme un obstacle à la bonne marche des affaires. Il faut « déréguler », on vous dit, dans un régime de « concurrence libre et non faussée ». L’Europe qui est en place, pour le plus grand malheur de ses citoyens, est une illustration exacte du processus en cours. Les négociations secrètes qu’elle est en train de « conduire » avec les Etats-Unis (TAFTA ou TTIP) sont un pas de plus vers la disparition de toute régulation de la production et des échanges. Devinez au profit de qui ça se fera.
Comme le dit Alain Supiot, la loi (ce qu’il appelle « hétéronomie » : pourquoi pas ?) est ce qui s’impose indistinctement à tous les acteurs : elle surplombe, parce qu’elle a plus d’autorité et de pouvoir que tous les acteurs privés réunis. Tout le monde est contraint de s’y soumettre, et les infractions sont, en théorie, punies par les tribunaux. Or, dans le système que les plus grands acteurs privés de la production et des échanges sont en train d'installer, il est entendu que ce ne seront plus des lois qui gouverneront, mais des contrats. Kolossale finesse ! Vous avez compris : plus de règles qui s'imposent à tous indistinctement ! Tout est négociable ! Et comme dans toute négociation, on prévoit déjà de quel côté penchera la balance : celui du plus fort.
La grosse différence entre une loi générale et un contrat, c’est que la loi est universelle (dans la limite des territoires où elle s’applique), alors que le contrat se négocie : vous mordez le topo (comme dit San Antonio) ? Le contrat en lieu et place de la loi, cela signifie que ce qui se trame, autour du Code du travail (qui est une loi), c’est la Grande Privatisation de Tout. C'est la Grande Confiscation des Richesses par une élite minuscule. Cela signifie, par conséquent, la disparition du bien public, l’élimination de ce qui s’est appelé dans le passé le "bien commun". Cela signifie aussi l’effacement de ce qu’on appelle encore, par abus de langage, la « puissance publique ». Cela signifie que les populations seront mises aux prises avec les « forces du Marché », mais pieds et poings liés. Et avec la complicité active de ceux qui gouvernent.
Sale temps pour les humains en perspective.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : j'entends à l'instant un nommé Pierre Cahuc, chercheur en économie, accuser son contradicteur de ne pas lui répondre sur le terrain de l'économie, mais de la politique. Il lui reproche de se référer à des articles parus dans des revues non académiques : « Lisez les revues académiques, jeune homme ». Eh, espèce de foutriquet, ravale tes mensonges. Tu crois vraiment que l'économie est une science exacte ? Tu crois qu'on va la gober, cette fable d'une pure discipline de laboratoire ? Et sur le plateau de France Culture, tout le monde a l'air d'accord pour ne pas parler de politique au moment où l'on parle d'économie. Le mensonge est là : il n'est pas possible de faire de l'économie sans faire en même temps de la politique. S'intéresser à l'économie, c'est se demander quel modèle de société on veut. Si ce n'est pas de la politique, ça !
Si l'économie n'est pas de la politique, je ne sais plus ce que parler veut dire !
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, société, économie politique, code du travail, loi el khomri, françois hollande, medef, union européenne, europe, unedic, alain supiot, la gouvernance par les nombres, ultralibéralisme, accord tafta, ttip, concurrence libre et non faussée, san antonio, gaston lagaffe, franquin, paul jorion, pierre cahuc, nicolas sarkozy, manuel valls, pierre gattaz, france culture, politique
dimanche, 06 mars 2016
À PROPOS DE RAYMOND QUENEAU
MODESTES CONSIDÉRATIONS SUR LA MODERNITÉ
Résumé : on aura compris que ce que certains adorent encore sous le nom de "modernité" ou de "modernisme" me court depuis lurette sur le haricot. Il va de soi que la biographie de Raymond Queneau apparaîtra légitimement comme un simple prétexte à quelques réflexions oiseuses. Et inactuelles. Et dont je ne méconnais pas l'épaisseur du trait qui a servi à les écrire.
2/2
Comme les peintres du 20ème siècle ont élevé la matière, la forme et les outils à la dignité d’œuvres picturales, comme les musiciens ont élevé tous les sons possibles, y compris les bruits (chasse d'eau, aspirateur, ...), à la dignité de matériau musical, les littérateurs soucieux de toujours se tenir à l’avant-garde des mouvements d'avant-garde ont écrit des œuvres où ils font du matériau langagier l’objet de leur travail, dans un superbe effort d'objectivation.
Lécureur enfonce le clou, à propos des J.A.R. (jeunes auteurs réunis) : « Cependant, ils ont tous en commun ce désir, cet instinct, cette volonté de "démythisation" de notre société, qui les situe face à ceux qui voudraient abusivement exploiter de prétendus mythes, qui ne sont que des préjugés éculés et de superstitieuses survivances » (p.404). La messe est dite : la llittérature doit s’engager sous l’étendard du rationnel à tout crin. De l'intelligence comme valeur suprême. La croyance doit se savoir croyance, c'est-à-dire s'abolir. Pas de salut hors de ce credo impérieux. Retour aux combats des philosophes du dix-huitième siècle. Le nouveau diable s'appelle "mythe", "grand récit" ou ce qu'on veut. Sans prétendre militer pour la réhabilitation des superstitions, on peut se demander qui nous gardera des dégâts induits par les mésusages de la Raison.
Car le 20ème siècle, à travers ses théories picturales, musicales et littéraires, offre trois cas de fétichisme de la matière et de divinisation de l'Intelligence Rationnelle : après tout, pourquoi les outils patiemment mis au point par des millénaires d’histoire humaine (c'est-à-dire de "mythisation", de fantasmes, d'imagination, de "projections psychiques", bref : de délire lyrique) n’auraient-ils pas le droit d’être à leur tour promus au rang des œuvres d’art ? La technique, y a que ça de vrai. J’en suis venu à me demander, quant à moi, ce que peut avoir à dire un artiste qui ne parle pas du monde, mais qui commente ce qu'il fait. Ce que peut signifier cette promotion sur le devant de la scène, cette starisation des outils, moyens et autres instruments et supports au panthéon des valeurs esthétiques : la civilisation, confrontée à sa propre vacuité, a-t-elle encore quelque chose à dire?
C’est en tout cas la conclusion à laquelle Jean Dubuffet arrive, s’agissant du Collège de ’Pataphysique : « "Les réunions (remarquablement masculines) du Collège de ’Pataphysique ont quelque chose de vain, écrivait-il, de vacueux, mais tout l’édifice entier de la ’Pataphysique apparaît quelquefois fondé sur la "Vacuité". Il s’en sépara le 28 octobre suivant » (p.478). Dubuffet évoque la question dans Bâtons rompus (Minuit, 1986). Maintenant, on n’est pas obligé de le suivre dans ses « retours aux sources de l’art » (art brut, dessins d’enfant, etc.) et dans sa doxa : « Tout fait art ». Je ne sais pas au juste, finalement, ce que Dubuffet reprochait au Collège.
La civilisation, exténuée des efforts accomplis pour dominer le monde (avec les joyeusetés et autres beaux résultats offerts par le 20ème siècle), avait vidé les caves et les greniers de son imaginaire. N’ayant plus rien dans ses réserves pour dire le monde (qu’elle avait fini de dévorer), elle s’est retournée sur elle-même, dans un éperdu mouvement de questionnement et d’introspection narcissiques et culpabilisés (d'où la croissance proliférante des "sciences humaines").
Poussée dans ses retranchements, n’ayant plus rien à dire, elle a commencé à se regarder, à s'examiner, à se disséquer, à se "déconstruire". Elle s’est tournée vers ses propres moyens techniques, ses propres outils, ses propres façons de travailler et de vivre pour se donner l’impression que non, ce n’en était pas fini de ses ressources créatives. Elle s’est mise à se regarder vivre. Et les littérateurs se sont mis à se regarder écrire, les peintres à se regarder peindre, les musiciens à se regarder composer. Le concept s'est suffi à lui-même, délogeant l'imaginaire de son lopin, renvoyé à la préhistoire de l'art. Dans un retour réflexif sur elle-même, la civilisation a fait subir au sentiment qu’elle avait de sa validité et de sa légitimité une remise en question de tous ses paramètres, qui a quelque chose à voir avec l’Inquisition : quelle autre civilisation que la nôtre s'est dit, un jour : je suis un péché ?
Les travaux de l’Oulipo, selon moi, illustrent assez bien l’épuisement des ressources imaginaires de l’Occident, puisque ses fondateurs (Le Lionnais et Queneau) avaient l’intention d’explorer les moyens de fabriquer de la littérature en puisant dans les ressources offertes par les mathématiques (ils étaient tous deux mathématiciens). Condorcet le révolutionnaire aurait été enchanté de cette perspective, lui qui avait dans ses cartons des projets d'application des principes mathématiques à l'organisation sociale. A quoi son malheureux suicide nous a-t-il permis d'échapper ! La "déesse Raison" ! Il ne faut pas exagérer !
On comprend d’ailleurs que Perec se soit senti comme chez lui dans les rangs oulipiens, puisque, de son côté, il avait essayé de mettre au point une telle machine, qu’il avait baptisée PALF (Production Automatique de Littérature Française). Et qui a demandé à Claude Berge, mathématicien, des conseils alors qu'il préparait La Vie mode d'emploi. Mais lui, il avait assez à dire pour donner vie à des machines structurales.
Franchement, qui peut prendre vraiment au sérieux le pari stupide de 100.000.000.000.000 de poèmes, livre qui doit poser quelques légers problèmes de fabrication (voir ci-dessous), et qui repose en plus sur une imposture : « Ce petit ouvrage permet à tout un chacun de composer à volonté cent mille milliards de sonnets » ? "Composer" ? Eh, menteur, qui les a écrits, les vers ? Un livre assez couillon, finalement. Aussi bête, en fin de compte, que ces "livres dont vous êtes le héros", où on fait croire au lecteur qu'il a le choix (la même gaminerie existe dans des partitions musicales !). Un défi, si l'on veut, une performance technique à la rigueur, mais une récréation de vieil érudit retourné au bac à sable, du genre : attention les yeux ! Vous allez voir ce que vous allez voir. Je ne comprends pas la béatitude de ceux qui admirent ça.
Ce bouquin, pour moi, tient du canular. Du jeu spéculatif, à la grande rigueur.
Maintenant, tout ce qui précède ne m’empêche pas de reconnaître le caractère exceptionnel de l’individu nommé Raymond Queneau. Il faudrait être idiot pour lui dénier ses multiples mérites, à commencer par la nature profondément encyclopédique de son intelligence, ce qui l’a amené à jouer un rôle éminent, et même central, dans l’existence des éditions Gallimard. Lécureur parle de sa « boulimie intellectuelle », qu’il juge « phénoménale » (p.343). Je suis évidemment d'accord. Sa curiosité tous azimuts, son énergie inlassable l’ont mis en contact avec d’innombrables interlocuteurs. En plus, quoiqu’amateur, il n’était pas mauvais peintre. J’ai du mal à le suivre dans ses goûts : Jean Hélion est-il un artiste à ce point inoubliable, lui qui est allé de la figuration à l'abstraction et retour, quoiqu'à contretemps des modes ?
Au total, je ne peux m’empêcher de comparer les biographies de Perec et de Queneau, que j’ai lues à la file. Et je vais vous dire, autant la première m’a donné envie de me replonger dans les œuvres de leur auteur, autant la seconde me renforce dans ma décision de regarder les livres de l'écrivain en me contentant de leur dos, sur le rayon.
Pour moi, tout le travail de Raymond Queneau illustre bien les malheurs qui affligent la littérature au 20ème siècle, une littérature exténuée, qui a cessé de croire en elle-même, en la légitimité intrinsèque de l'imaginaire (la "mythisation") qu'elle propose et instaure. Une littérature entrée dans l’ère du doute et du soupçon généralisés.
En attendant l’ « Ère du vide » (titre d'un livre de Gilles Lipovetsky). Et les « déconstructeurs » : l'intelligence déconstruit les mythes qui ont fondé nos sociétés, les stéréotypes et les éventuels préjugés qu'ils ont produits. Tout ça pour quoi ? A force d'intelligence, à force d'intellectualité, à force de se déconstruire, à force de contrôler la validité de son ticket de transport dans le train de l'existence et de la construction sociale, l'être humain est en train de se rendre compte que, au bout de la déconstruction, quand il a fait le tour du caractère artificiel et arbitraire de tous ses édifices culturels, il ne reste en lui que le vide.
En matière d'humanité, il ne saurait y avoir de Vérité : il n'y a que des choix, des décisions, des créations, des contextes, des situations. Il y a les principes ; et puis il y a la vie. Toute institution humaine est arbitraire (tiens, Queneau, l'orthographe, par exemple !). C'est vrai, après tout : pourquoi ainsi et pas autrement ? Pourquoi ceci plutôt que cela ? Mais l'humanité n'est pas un hypermarché. Il faut se poser des questions, c'est sûr, mais bon, il faut aussi se reposer. Car sous cet angle, tout ce qui est humain peut être déconstruit et passé à la moulinette.
Je pense à la phrase d'Archimède : « Donnez-moi un point fixe et je soulève l'univers ». Il demandait l'impossible : il n'y a pas de point fixe dans l'univers. Pourtant l'homme a besoin de fixer, et de se fixer. Or, les "vérités" auxquelles il s'attache ont besoin de la durée pour s'établir. Ce décalage est une infirmité : il faut le reconnaître. Et puis comme on dit : "il faut faire avec". L'esprit de l'homme tend à éterniser l'instant. C'est pour ça qu'il a un passé. C'est aussi pour ça qu'il s'est fabriqué des dieux.
Une société relativement rationnelle se donne les moyens d'y voir clair. Une société absolument rationnelle se propose de tirer la vie au cordeau, c'est-à-dire de la rendre invivable. Il faudrait penser à protéger, à sauver ce que Hermann Broch appelle le « résidu irrationnel », ce reste qui échappera toujours à la connaissance scientifique. Pour notre bonheur. Ce "résidu" s'appelle la liberté.
L'imaginaire (les mythes, etc.), c'est la vie qui nous dit à l'oreille : quelque chose plutôt que rien. La vie qui nous dit : cette chose plutôt qu'une autre. Tant pis : on ne peut pas tout rationaliser : vivre, c'est aussi choisir, donc éliminer. C'est entendu : ce que nous sommes collectivement résulte d'une convention : une "identité". C'est entendu : une identité n'est pas une Vérité. Notre identité est conventionnelle. Nos institutions sont conventionnelles. Et les religions. Et les cultures. Et les mœurs. Et les habits. Et ..., et ..., et ...
Pour pasticher la plus grande niaiserie en vigueur chez les promoteurs de la "modernité" : « On ne naît pas humain : on le devient ». Tu l'as dit, bouffie (et le "e" n'est pas une coquille) !
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 05 mars 2016
À PROPOS DE RAYMOND QUENEAU
MODESTES CONSIDÉRATIONS APRÈS LECTURE
1/2
J'ai donc relu, dernièrement, La Vie mode d’emploi (1978), le chef d’œuvre de Georges Perec. Il se trouve que l’auteur le dédie « à la mémoire de Raymond Queneau », mort quelque temps auparavant (en 1976). Il se trouve que je compte sur mes rayons, depuis le 6 juin 2002, la biographie du dit Raymond Queneau par Michel Lécureur (j'aime bien noter la date d'arrivée des bouquins chez moi). Il se trouve, là encore, que je ne l’avais pas ouverte. J’ai hélas tendance à acheter plus de livres que je n’en lis.
Je viens donc de combler le retard : j’ai lu le récit par lequel Michel Lécureur rend compte de la trajectoire de l’auteur de Zazie dans le métro. Rien à voir avec la vibrante biographie de Perec par David Bellos : ici, on a affaire à un travail d’universitaire sérieux, exact, rigoureux, sec. Queneau est fort bien disséqué : difficile de prendre vie dans ces conditions. Cela n'empêche pas l'auteur de montrer l'état de béatitude qui le saisit en étudiant son sujet : il orthographie « coquetèle » sans guillemets, pour coller à la fantaisie orthographique de Queneau, qui était un maniaque de la réforme. Il voulait, disait-il, « rationaliser » l'écriture du français, lui ôter de son "incohérence" et de son "arbitraire".
Et puis, qu'est-ce qu'il en fait, des listes de noms, Lécureur ! Ceux qui publient dans un numéro de revue. Ceux qui ont tenu telle réunion. Ceux qui ont signé telle pétition. L'exhaustivité est un Graal. A sa décharge, peut-être le personnage de Queneau se prêtait-il à ce traitement : tout le monde n'est pas spontanément porté à la confidence, même cryptée, comme l'était Perec. Contrairement à ce dernier, Queneau n'écrivait sans doute pas "pour se faire aimer" (je me cite). Et contrairement à ce que dit Anne de Brunhoff de son ami Perec, Queneau ne donnait pas envie aux autres de le "materner". Comme s'il se souciait de tenir les autres en respect. Je veux dire : à distance de respect. Chacun son tempérament, après tout.
Pour dire les choses comme je les pense, les quelques livres de Raymond Queneau que j’ai lus (Zazie, évidemment, et puis Odile, Le Vol d’Icare, Les Fleurs bleues et Pierrot mon ami) m’ont souvent intéressé, ils m’ont aussi amusé : ils ne m’ont jamais touché. Quant à la poésie, je la laisse volontiers à qui l'apprécie. Les romans, j’ai presque tout oublié des deux derniers (qui est exactement Cidrolin ?). Du premier, je garde, comme tout le monde, le « retraite mon cul » (p.29 du roman) de la petite peste qui veut devenir institutrice rien que « pour faire chier les mômes », et le « Tu causes, tu causes, c’est tout ce que tu sais faire », du perroquet Laverdure. Je garde Odile également, non à cause de l'éloge des mathématiques qu'il sous-entend, mais de l’image caustique et dérisoire que le roman offre d’Anglarès-André Breton, le terriblement antipathique « pape du surréalisme » (il me semble me souvenir qu'ils passent beaucoup de temps à boire des bières dans les cafés).
Quant au Vol d’Icare, je me souviens seulement de l’argument : un écrivain travaille à son prochain roman, et voilà-t-il pas que ses personnages prennent la poudre d’escampette. C'est dingue, si les personnages se mettent à faire chier leur accoucheur ! C'est du même acabit que le petit poème, que Michel Lécureur juge « délicieux » (!) : « Bon dieu de bon dieu que j’ai envie d’écrire un petit poème / Tiens en voilà justement un qui passe / Petit petit petit / viens ici que je t’enfile / sur le fil du collier de mes autres poèmes […] / la vache / il a foutu le camp » (p.283). J’y vois surtout, de mon côté, une ridicule manifestation de complaisance et de niaiserie puérile. Un délassement d'intello. Exactement le Collège de 'Pataphysique : des vieux savants dans la cour de récréation. La littérature de Raymond Queneau, tout en se prenant très au sérieux, a trop à voir avec le jeu.
La même niaiserie ludique dont sont atteints les poètes en vogue dans les écoles primaires, vous savez, ceux qui veulent « faire moderne » en faisant du langage un objet en soi, et du jeu de mots un plaisir "poétique", sans voir le dessèchement qui va avec (je pense à Prévert, évidemment, quand il prend au pied de la lettre : "battre la campagne". Je pense aussi à Guillevic : « J’ai vu le menuisier tirer parti du bois (…) Moi j’assemble des mots, et c’est un peu pareil ». C'est dans Terre à bonheur. Ben non, Eugène, c’est pas pareil du tout). Possible que j'en aie un peu marre de ces enfantillages, qui sont devenus autant de ponts-aux-ânes, parfois dogmatiques.
La valeur littéraire que les laudateurs et adulateurs (mordez l'anagramme) de Raymond Queneau ("Les Amis de Valentin Brû") confèrent à ses œuvres me semble surfaite. Il faut le savoir : Queneau est un adepte de la modernité, son truc, c’est la distance, et même la distanciation brechtienne (Lécureur en parle), celle qui érige le langage en objet autonome, en univers en soi, et qui tient à tout instant à établir une distance entre ce qu’il écrit et celui qui le lira. Chez de tels modernistes, la priorité absolue est accordée à l'intelligence, au détriment de la substance vivante.
Queneau refuse au lecteur le plaisir de l’identification affective ou psychologique aux personnages, ce vieux truc affreusement romantique et bourgeois. Il faut être résolument « moderne » et intelligent : il est interdit de se laisser prendre au jeu. Il ne faut jamais être dupe. Et Lacan l'a bien dit : « Les non-dupes errent ». Il faut montrer les trucages, ce qu’il fait par exemple dans Le Vol d’Icare (ah, "vol", sa polysémie !), où l’un des personnages imaginés par l’écrivain dont il est question a déserté le manuscrit pour s’embaucher comme mécanicien dans un garage. Que c'est bête, quand j'y réfléchis, ce littéralisme ! Non, les mots ne sont pas des choses. Je me rappelle le bouquin d'un certain John Langshaw Austin, Quand dire, c'est faire (les « speech acts » et tout ce qui s'ensuit). Rien de tel pour me « prendre les boyaux de la tête ». Je dis, définitivement : non, merci ! L'intelligence, pourquoi pas ? Mais pas à n'importe quel prix.
C’est Jean Lescure qui formule la sottise moderniste, qui fait du langage un objet de culte dévotieux : « Tout l’art "moderne" refuse l’usage qui en est fait, dénonce la sottise de ne l’utiliser que comme moyen, s’émerveille de lui reconnaître une sorte de pouvoir objectif » (p.456). L'objectivité du langage : il fallait y penser ! Quelle vanité, que de retourner le langage sur lui-même ! La première sottise est celle qui ne se sait pas telle. Que les moyens soient promus au rang des fins me semble une aberration majeure : ça m’amène à m’interroger sur le contenu même du discours, qui frise alors l’évanescence, pour ne pas dire l’inconsistance, la vacuité, l'inanité. Qu'est-ce que je dis, quand je dis que je dis ce que je fais en le faisant ? Je ne suis pas assez souple pour, à l'instar du serpent ou du mime Mnester (le "sphéricubiste" (Thiéry Foulc) de la Messaline d'Alfred Jarry), me mordre la queue.
Mes excuses aux mânes de Jean Lescure, qui était un homme charmant.
Voilà ce que je dis, moi.
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vendredi, 04 mars 2016
COMME INDICE, C'EST PLUTÔT MAIGRE
Photo Frédéric Chambe.
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I'M A POOR LONESOME COWBOY
LES COLLINES NOIRES (N°21)
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jeudi, 03 mars 2016
CABU À LYON
2/2
Louis Pradel, alias « Zizi », n’a pas fait que du mal, mais il a présidé à quelques-unes des principales défigurations dont la ville a été la victime, à commencer par le passage de l’autoroute A7 / A6 en pleine ville et ses calamiteux corollaires : le tristement célèbre tunnel de Fourvière et le Centre d’Echanges de Perrache (alias « le blockhaus », véritable muraille de Chine obstruant l’immense espace libre et richement arboré que constituait jusque-là le « cours de Verdun »). Imaginez "Central Park" en plein Lyon (à l'échelle de la ville), alors là oui, ça aurait eu de la gueule.
AVANT
Le cours de Verdun, anciennement "cours du Midi". C'était avant la démence urbanistique de Louis Pradel, avant le tunnel de Fourvière, avant l'immonde "centre d'échanges de Perrache". Oui, Pradel était vraiment atteint de bétonnite furieuse. Heureusement, à gauche, le bâtiment bas en façade abrite toujours la Brasserie Georges (mais il faut voir devant quelle perspective actuelle, peu sympathique).
APRÈS
Le quartier Perrache après Pradel ! Ça, c'est de l'urbanisme, monsieur ! En haut, l'entrée du fatal tunnel. De gauche à droite : les deux prisons, dont la "panoptique", devenues une université catholique ; la gare ; le "blockhaus", résultat de l'aberration pradélienne ; la place Carnot, coupée en deux par la rampe d'accès. Merci, monsieur le maire !
Les deux "jardins" en terrasse (quatrième ou cinquième niveau, je ne sais plus), c'était juste le "concept" avancé pour vendre tout le projet. Il faut voir aujourd'hui le "concept" de l'intérieur pour mesurer l'aliénation mentale sur laquelle celui-ci repose.
Tous les jours, qu’il est doux d’entendre les automobilistes et les Lyonnais rendre grâce à Zizi Pradel d’être ainsi tombé sous le charme de Los Angeles au cours de son séjour dans cette ville, juste parce qu’ « ils ont des voies express avec seize couloirs de circulation », et que ce qui est bon pour les Américains ne saurait être mauvais pour les Lyonnais.
La cathédrale Saint-Jean et la basilique de Fourvière, dans l'axe de la petite et sombre rue d'Amboise.
Cabu a très bien rendu la nature ubuesque du gouvernement municipal tel que conçu par Pradel, capable de proférer de belles âneries : « J’aime voir couler le béton, car en marbre, cela coûterait trop cher ». Cabu publiait ses reportages dans Charlie Hebdo, ce qui donnait à ses sujets une ampleur nationale.
Reportage de Cabu parmi les prostituées réfugiées dans l'église Saint-Nizier. La "porte-parole" se faisait effectivement appeler Ulla.
Aujourd’hui, l’absence d’un tel relais se fait cruellement sentir : quel média national diffuserait, par exemple, un reportage sur la catastrophe qui s’est abattue sur l’Hôtel-Dieu de Lyon, ce « Monument Historique » (ça lui fait une belle jambe) que Gérard Collomb, l’infernal lointain successeur de Pradel, a bradé au privé ? En ces temps de libéralisme fanatique, il ne fait pas bon défendre le bien commun, les services publics, etc. C’est décidé : tout pour la « liberté d’entreprendre ». Autrement dit : liberté pour les loups.
Les maires se suivent, leurs dégâts se ressemblent. Pauvre Hôtel-Dieu, confisqué aux Lyonnais, auxquels les nouveaux (richissimes) seigneurs des lieux consentiront à faire l'aumône d'une promenade à travers les bâtiments (contre versement de 80.000 euros environ par la municipalité, c'est-à-dire par le portefeuille des contribuables).
Dans un autre reportage, Cabu évoque l’incroyable manifestation des prostituées lyonnaises, emmenées par Ulla, qui avaient occupé l’église Saint-Nizier pour je ne sais plus quelle raison (tracasseries policières, probablement). La figure que je retiens ici, est celle du curé de Saint-Nizier, le débonnaire père Béal, que Cabu ne nomme pas, dont il dessine un profil tout à fait exact, mais dont je redoutais et haïssais l’haleine fétide qui provenait de derrière la grille du confessionnal, quand il était à Saint-Polycarpe : le père Béal refoulait salement du goulot. L'haleine du père Béal est-elle pour quelque chose dans ma perte de la foi ?
"La paroisse des bourgeois lyonnais" : quelqu'un aurait dû l'emmener à l'église de la Rédemption. Là oui, il l'aurait vue, la bourgeoisie lyonnaise.
J’avoue que, sur certains points, les reportages de Cabu tombent dans la facilité des clichés, stéréotypes et autres caricatures : il n’y a pas que le journalisme dans la vie. Il faut bien s’amuser un peu. Alors il ramasse le tout-venant de l'air du temps : Cabu ne s'est pas toujours fatigué à dénicher de l'original. Eh oui, il lui arrivait de se laisser aller. Lyon comptait-il vraiment « une pute pour cent habitants (record de France) » ? Et je ne suis pas sûr qu’il faille ajouter un « fleuve de stupre » (qui « dégouline de la Croix-Rousse », scandale !) aux trois traditionnels (Rhône, Saône et beaujolais).
Le père Béal s'excusant auprès des prostituées de les déranger, pour une histoire de petite cuillère ....
Car aujourd’hui, en matière de stupre, la concurrence est rude : il n’y a qu’à se balader sur internet pour voir toutes sortes de quidams et de quidamesses s’adonner à l’exhibition filmée de leurs laborieuses et navrantes galipettes.
Une image des notables lyonnais, vraiment ?
Cabu à Lyon, finalement, rigolo, mais non, pas de quoi se relever la nuit. Il a, le plus souvent, fait infiniment mieux.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : aux dernières nouvelles, il serait question de reclasser la jonction autoroutière A6/A7 qui traverse Lyon en "boulevard urbain". Si Gérard Collomb, actuel merdelyon, parvient à obtenir cette reconversion, alors là, je dirai : "chapeau !". Et je limerai mes incisives avant de tâter de son mollet.
Courage, Gérard. Juré : si tu finis par obtenir la destruction du "blockhaus", je vote pour toi aux prochaines municipales.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, cabu, charlie hebdo, louis pradel, maire de lyon, tunnel de fourvière, centre d'échanges de perrache, cours de verdun, brasserie georges, prostitution lyon, gérard collomb, hôtel-dieu lyon, église saint-nizier, église saint-polycarpe, bande dessinée
mercredi, 02 mars 2016
CABU À LYON
1/2
Je l’ai dit ici même les 25 et 26 janvier : je n’aurais peut-être pas dû lire Mohicans, de Denis Robert. Trop tard et tant pis : le mal est fait. Ce bouquin a déboulonné la statue de Cabu, que j’avais placée sur un piédestal imaginaire, qui s’est purement et simplement aboli quand j’ai appris le coup de vice qu’il a planté dans le dos de Cavanna. Cabu, t'aurais pas dû. Mais il y a aussi que le consommateur ne sait pas quel produit il achète quand il ne sait pas comment il a été produit. Appelons ça la désillusion. J'étais juste un consommateur de Charlie Hebdo. : j'achetais chaque semaine ma dose d' "esprit Charlie". Bien fait pour moi. Il est vrai que les éditoriaux de Philippe Val, vous savez, ces épaisses tartines de prose, complaisantes et indigestes, ont été très rapidement, après 1992, une force de dissuasion suffisante pour m'éloigner des kiosques.
Louis Pradel, alias "Zizi", maire de Lyon, sous le crayon de Cabu, et sur fond de naïades et de feu d'artifice. Il n'y a aucun doute là-dessus : Cabu était doué !
Ce que je ne suis pas prêt à digérer, c’est avant tout cette histoire de SCI : le pacte avec Philippe Val, Bernard Maris et X pour acheter les locaux de Charlie sous la caution bancaire de Charlie (achat promptement remboursé par la prospérité de la revue), mais surtout sans impliquer le vieux Rital dans l’actionnariat du nouveau Charlie Hebdo, et pour ne lui concéder qu’un ridicule 0,44%, au titre du propriétaire de la marque, quand le quatuor des actionnaires s’empiffrait de l’essentiel des bénéfices. Il y a des choses qui ne se font pas. Non, Cabu, tout n'est pas permis, que ce soit dans l'économie, dans la société, dans les relations personnelles.
Une des plus magistrales réalisations de Pradel, maire de Lyon : le tunnel sous Fourvière (entrée nord). Cabu n'a pas tort de se référer à Albert Speer, l'architecte d'Adolf Hitler.
J’explique ce comportement de Cabu comme une faiblesse coupable commise sous l’emprise du manipulateur Val, probablement due au long copinage entre celui-ci et Cabu du temps du duo « Font et Val », dont il dessina au moins une demi-douzaine de pochettes des disques du tandem chahuteur (Ça va chier !, date de 1987, mais il y en a d'autres). Car il fut un temps où Philippe Val, flanqué de Patrick Font (dont Leporello pourrait dire « Sua passion predominante è la giovin principiante », Don Giovanni, "air du catalogue") donnait dans la contestation anarcho-gauchiste, avant de virer sa cuti pour devenir un fervent sarkozyste soucieux d’avancement et d’enrichissement personnel. Le lien de Cabu à Val est ancien.
Le pont Morand, l'ancien (le normal) et le nouveau (avec ses deux tubes pour le métro), que Cabu baptise "pont Maginot". Note 1 : il enjambe le Rhône !!!
Note 2 : "Les Équevilles, journal libre lyonnais", était publié par Jacques Glénat-Guttin qui, après quelques ennuis judiciaires avec Pradel, à propos de licences de taxis, a émigré à Grenoble, où il a fondé les éditions Glénat, vouées à la BD. Les "Équevilles", en lyonnais dans le texte, c'est tout ce qu'on jette à la poubelle.
Après un tel compagnonnage, difficile pour Cabu de rompre en visière avec son copain Val, au moment de refonder la maison Charlie, avec l’appui, qui plus est, des vieux de la vieille de la première équipe, à l’exception notable de Choron, et de DDT, qui gratifia Cabu d’une gifle méritée. Comment Cabu a-t-il pu jouer ce tour de cochon à Cavanna, ce vieux camarade des premiers temps ? Voilà ce que je n’explique pas, que j’excuse encore moins, et qui jette un sombre doute sur la sincérité du caricaturiste virtuose et génial dans le deuxième Charlie.
La montée de la Grande-Côte (aujourd'hui, ça n'a plus rien à voir), vue du haut. Je me demande où Cabu a bien pu traîner ses guêtres pour avoir vu dégouliner le stupre du haut de la Croix-Rousse. Mettons ça sur le compte de la licence poétique.
Reste donc le génie graphique, que personne ne peut nier. Reste aussi que je ne saurais pardonner à ses assassins. Reste que je n’avais pas attendu le 7 janvier pour tirer un trait définitif sur le Charlie de Philippe Val et consorts (celui à partir de 1992) : ça faisait une paie que j’avais laissé tomber. Reste le Cabu du vrai Charlie, le premier, le seul, l’unique, celui qui est né le 23 novembre 1970.
La même montée de la Grande-Côte, vue par en dessous, en pleine "rénovation" pradélienne. C'étaient les Arabes qui occupaient ce quartier, incroyable fouillis de petites maisons peu salubres, mais vrai village traversé de venelles formant une sorte de labyrinthe. Les successeurs ont un peu limité les dégâts, en faisant de l'espace dégagé un grand jardin.
Il se trouve qu’en rouvrant récemment La France des beaufs, (imprimé et fabriqué un peu à la diable, l'encre bave souvent) je suis tombé sur une série de reportages qu’il a faits à Lyon vers la fin du règne de Louis Pradel sur la mairie (de 1957 à 1976). Pour dire le vrai, tout n’est pas de première bourre. Mais ce qu’il écrit sur le Lyon de Pradel (ne pas confondre avec Le Lion de Kessel) est du meilleur Cabu. A quelques détails près (allons, Cabu, le pont Morand, même rebaptisé "pont Maginot", n’est pas sur la Saône).
La façon dont il évoque les putes, les flics et les notables peut en revanche laisser sceptique ou paraître daté.
Voilà ce que je dis, moi.
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mardi, 01 mars 2016
UNE ETOILE ?
Photo Frédéric Chambe.
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lundi, 29 février 2016
LA BOUGIE DU SAPEUR
Eh oui, nous revoici aujourd'hui un 29 février (ne pas confondre avec "Un 22 septembre" : « Mais nous y revoilà, et je reste de pierre, Pas une seule larme à me mettre aux paupières »), jour anniversaire de tous ceux dont on fête l'anniversaire, je veux dire de tous ceux qui vieillissent quatre fois moins vite que tout le monde, puisqu'il leur faut quatre années pour vieillir d'une, quand tout le monde, sur la même durée, en prend quatre dans les gencives. Raison pour laquelle on ne leur dit "bon anniversaire" que rarement. Toujours ça de gagné en dépenses pour les cadeaux. Mais il y a dans mon entourage fort peu de natifs du 29 février.
Il en est ainsi du Sapeur Camember. Tout ça parce que son créateur Christophe, pseudonyme limpide d'un estimable professeur de "sciences naturelles" nommé Georges Colomb, a fait naître son héros le 29 février 1844 à Gleux-lès-Lure, dans le département bien connu de la "Saône-Supérieure". Il a fait donner au fils d'Anatole Camember, cultivateur, et de Polymnie Cancoyotte, les prénoms de François-Baptiste-Ephraïm.
Cet hommage bissextile à la quintessence du Sapeur paraît donc dans les kiosques tous les quatre ans sous le titre désormais renommé de « La Bougie du Sapeur ». En ce 29 février 2016 doit normalement paraître le numéro 10 : quarante ans. Il m'a paru bon de rappeler ici de quelle bougie il s'agit. La bible camemberesque est composée de planches comportant six vignettes. La dite bougie apparaît sur la planche intitulée "Le dernier exploit dramatique de Camember". Jérôme Garcin, de derrière son Masque et sa Plume, dirait : « dramatique et néanmoins théâtrale », à moins que ce ne soit l'inverse. Dans l'épisode concerné, le théâtre local s'adresse à la caserne : on a besoin d'un figurant. C'est évidemment Camember qui s'y colle.
Je n'ai rien à ajouter : Camember se suffit à lui-même.
Voilà ce que je dis, moi.
N'oublions pas le drapeau : Camember fut un patriote émérite, qui se battit comme un lion contre les casques à pointe, et qui sauva héroïquement son colonel, au péril de sa vie.
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