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mercredi, 19 juin 2019

ROMAIN GARY : CHARGE D'ÂME

GARY ROMAIN CHARGE D'ÂME.jpgJe viens de lire un livre de Romain Gary, dont les « romans et récits » viennent d’entrer dans la Pléiade. Celui-ci n’y a pas été repris, peut-être avec raison. Le roman s’intitule Charge d’âme (Gallimard, 1977). Drôle de livre, en vérité, qui veillait sur un rayon oublié de ma bibliothèque. Honnêtement, je ne sais pas comment il est arrivé là. Je l’ai ouvert un peu par hasard. Drôle de livre : j’hésite entre la leçon, la fable et la farce. L’argument, si on le prend au pied de la lettre, est proprement abracadabrant, avec un petit air de démonstration didactique au début.

Marc Mathieu est la quintessence du physicien d’envergure einsteinienne, et il est reconnu comme tel par ses pairs : il passe son temps à chercher, et il trouve tellement qu’il constitue à lui tout seul la pointe avancée de toute la physique mondiale, l’explorateur ultime des confins du possible. Toute l’équipe du laboratoire où il travaille (le Cercle Erasme) est guidée par le « mot d’ordre » de Mao Tsé Toung : « L’énergie spirituelle doit être transformée en énergie matérielle » (p.39).

Marc Mathieu, ainsi que ses collaborateurs, prend cette phrase au pied de la lettre. Et bien que le savant ait un peu de mépris pour son collègue Chavez ("profiteur, exploiteur, applicateur" et un peu épais), c'est bien lui, Mathieu, malgré qu'il en ait, qui fera de ses recherches une réalité concrète, sur la base de : « ce qui peut être réalisé doit être réalisé » (p.133), où l'on reconnaît la philosophie intraitable de Günther Anders dans L'Obsolescence de l'homme. Déjà, page 60 : « On pouvait, à présent, et donc on devait aller plus loin » (Günther Anders : « –, on considère ce qui est possible comme absolument obligatoire, ce qui peut être fait comme devant absolument être fait », Editions Fario, p.17). La recherche fondamentale, la recherche pure ne travaille pas dans des abstractions définitives, et débouche toujours sur le monde réel, pour le meilleur et pour le pire. Jamais, dans toute l'histoire humaine, une grande découverte n'a été utilisée seulement pour le Bien : Satan est le complément nécessaire de Dieu.

Ici, il s’agit très concrètement de récupérer le souffle (« l’âme ») des gens au moment où ils meurent pour en faire le carburant révolutionnaire (« carburant avancé ») des moteurs et des machines. C’est d’ailleurs ce qui arrive à Albert, le chauffeur du laboratoire qui, en mourant, vient alimenter, grâce à un dispositif spécial, le moteur de la voiture de fonction. Le pauvre Albert le fait d’abord à contrecœur (le moteur hoquette), puis il s’y fait, et le moteur tourne rond. Malheureusement, le dispositif n'est en mesure de capter les "âmes" que dans un rayon de soixante-quinze mètres.

Marc Mathieu est français, quoique guère patriote : tout le fruit de ses découvertes, il le transmet aussitôt aux Américains et aux Russes, alors en pleine guerre froide. Toutes sortes de services secrets gravitent autour de lui en permanence, à l’affût de la moindre velléité de choisir un camp plutôt qu’un autre. Certains de ses collègues ne l'aiment pas, tel le cynique Kaplan : « C'est le genre de démagogue qui passe son temps à protester contre les conséquences de ses propres découvertes » (p.236).

Mais un collègue de Mathieu était porteur de la même idée : « Valenti, quant à lui, se laissait aller à un désespoir lyrique et passait ses journées, comme la plupart des savants, à signer des manifestes de protestation contre les conséquences pratiques de ses propres découvertes » (p.91). Message adressé à l'hypocrisie des optimistes qui pensent, contre toute raison, que "la technique est neutre, tout dépend de l'utilisation qui en est faite". Je pense au mot de Bossuet : « Dieu méprise les hommes qui méprisent les effets dont ils chérissent les causes ».

Marc Mathieu vit en compagnie d’une femme, May, qui le comble physiquement, précisément parce que, pense-t-il, elle est restée une créature primitive, presque animale, incapable d’accéder aux sphères intellectuelles les plus subtiles, où il se meut quant à lui, avec aisance : « Mathieu s’était dit mille fois que s’il trouvait un jour une femme incapable de le comprendre, ils pourraient être vraiment heureux ensemble. Le bonheur à deux exige une qualité très rare d’ignorance, d’incompréhension réciproque, pour que l’image merveilleuse que chacun avait inventée de l’autre demeure intacte, comme aux premiers instants » (p.62). Sans même évoquer l’idée de l’amour, Gary en fournit une condition éblouissante, qui fait penser, quoique sur une tout autre toile de fond, aux relations entre les sexes dans l’univers houellebecquien.  

Au début de l’action, Marc Mathieu est sur la piste d’une énergie totalement nouvelle, de loin plus puissante et infiniment moins coûteuse que l’énergie nucléaire, dont il pressent qu’elle pourrait fournir l’arme absolue, une arme aux dimensions et aux effets quasi-divins, en même temps qu’une source d’énergie quasi-gratuite : l’âme des hommes.

Pour le moment, il bute sur une difficulté qui empêche de rendre la chose opérante : « Sur le tableau noir, les formules couraient dans tous les sens, mais c’était de l’art pour l’art, une pure jouissance esthétique. Elles ne menaient nulle part, n’ouvraient aucun chemin dans les terres vierges. Le souffle demeurait invisible. Le "craquage", c’est-à-dire la désintégration contrôlée indispensable à l’exploitation rationnelle, continuait à se dérober. La maudite unité refusait de se soumettre. Une sorte d’irréductibilité première, absolue. Il manquait une idée » (p.112).

Aussitôt que May, par peur ou scrupule, a rendu visite à l’ambassade américaine pour tenir les « alliés » au courant des dernières avancées, le colonel Starr est dépêché auprès du savant pour le sonder, le « conseiller », et s’il le faut, mais à la toute dernière extrémité, le tuer. Starr est un excellent espion, mais il est aussi et d’abord un tueur. Il arrivera à May, à l’occasion, d’aller voir aussi les Russes. On voit que les relations entre la femme et le savant ne sont pas évidentes, mais Marc Mathieu, tout entier absorbé dans la quête de son Graal, est bien au-delà des basses contingences terrestres.

Mais un jour, le colonel Starr vient le voir pour l’avertir que, s’il ne choisit pas à l’instant « le bon camp » (on devine lequel), il prend le risque d’être liquidé : son cerveau est devenu une menace pour l’équilibre mondial. Lui et ses supérieurs en sont convaincus : « Vous êtes parvenu à désintégrer le souffle, professeur ».

Il l’invite donc à continuer ses recherches en Californie, un avion est là qui attend. Le savant ose lui répondre : « A propos, pour votre information personnelle, colonel, j’ai fait mieux que désintégrer l’élément. "J’ai fait un pas au-delà" ». Après cette déclaration énigmatique et menaçante, Marc Mathieu et May disparaissent de la circulation, après avoir échappé à l’explosion d’une bombe, quelque part en Italie (le savant éloigne aussitôt la voiture, de crainte que l'âme de May soit "absorbée"). Où peuvent-ils bien avoir trouvé refuge, se demandent Américains et Russes ?

Leurs satellites-espions ne tardent pas à repérer l’étrange construction et la rapide extension d’une installation industrielle quelque part au nord de Tirana, dans « la vallée des Aigles ». Marc Mathieu a donc offert ses services à Imir Djuma, le terrible dictateur qui règne sur l’Albanie, qui a bien entendu accueilli le savant à bras ouverts. Mathieu a fait ce choix parce que la société albanaise est militarisée, disciplinée et formatée de la façon la plus pure, et que cette pureté est une condition expresse de la réussite de l’entreprise.

Ça n'empêche pas le savant de croiser le Christ, dans une scène de pure loufoquerie (« Evidemment que je vous connais. Avec vous et les autres ... Comment déjà ? Oppenheimer, Fermi, Niels Bohr, Sakharov, Teller ... Avec vous, c'est devenu scientifique. – Quoi ? Qu'est-ce qui est devenu scientifique ? – La Crucifixion. » (p.224-225). Mine de rien, Romain Gary lance une belle charge contre la science. Dans La Fête de l'insignifiance (Gallimard 2014), Milan Kundera place, me semble-t-il, une scène aussi loufoque sous une statue du jardin du Luxembourg, avec l'apparition de Staline et consort. 

Ici se met en place un jeu qui relève à la fois de la farce et de la géopolitique. L’auteur trouve le ton qu’il fallait pour nourrir l’échange des dirigeants les plus puissants de la planète (USA, URSS, Chine) : il y a de quoi rire. Mais eux ne rigolent pas : ils décident de mettre en place un commando multinational qui devra, grâce à une machine spéciale à transporter sur place, réduire à néant la menace de disparition totale que fait peser sur la population mondiale la mise en route des installations albanaises.

L’usine a commencé à fonctionner. Les Albanais ont construit à proximité toute une série d’asiles où le pays rassemble tous les vieillards, pour que leur mort ne soit pas inutile à la nation, mais vienne alimenter l’usine en énergie : à l’instant fatidique, un collecteur judicieusement placé transmet l’âme du défunt à l’accumulateur central.

Le récit de l’opération de commando proprement dite est digne du film d’action, mais une fois le but atteint, il part un peu dans tous les sens, et le passage de la frontière avec la Yougoslavie donne tant soit peu dans le baroque. May et Marc Mathieu y trouvent la mort, pour le plus grand bienfait du moteur qui se remet en marche pour mener les survivants en lieu sûr.

Au total, un livre qui se lit avec grand plaisir, mais à coup sûr pas le meilleur de Romain Gary. Peut-être l'argument est-il trop tiré par les cheveux. Prenons-le pour une fable, mais qui n’arrive pas à se prendre assez constamment au sérieux. L'idée centrale tourne autour de l’hybris humaine, cette folie qui consiste à vouloir toujours repousser les limites, au mépris même de toute raison : « Le génie scientifique sonnait le glas de la démocratie, parce que seul le génie pouvait contrôler le génie. Et cela voulait dire que les peuples étaient à la merci d'une élite » (p.264).

La déraison humaine est correctement synthétisée dans cette formule qu’on trouve à la toute fin de la première partie : « Si jamais le monde est détruit, ce sera par un créateur » (p.143). Là, Gary pense peut-être à la bombe H. Charge d'âme est précisément une charge, moins contre la science en elle-même (quoique ...) que contre la sacralité dont la modernité habille la recherche scientifique, et contre les dégâts que son usage inconsidéré risque de commettre : « En quelques minutes, toute la litanie écologique se déversa sur ses lèvres. L'empoisonnement chimique des fleuves, mers et océans, la destruction de la faune, la mort des grandes forêts, des sources d'oxygène, l'élévation de la température du globe par suite de l'activité industrielle, qui menaçait la vie sur terre ...» (p.123). On est en 1977 !!! Franchement, y a-t-il quelque chose à enlever ou à corriger ? Romain Gary, écologiste visionnaire !

Car le message est limpide, quelque chose comme "l’humanité, à force d’outrepasser son humble mesure finira par se détruire elle-même", mais rendu plus ou moins inoffensif par l’ironie qui affleure en bien des points (par exemple dans la discussion entre le président américain et le patron de l'URSS). Romain Gary est-il ici très sérieux ? Au moment de la publication, il n'a plus rien à démontrer (il se suicide trois ans après), et il semble ici se moquer de donner à son roman à thèse la cohérence d'une forme achevée.

Comme si Charge d'âme était un roman testamentaire.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : une coquille marrante page 275 : « ... certains accumulateurs étaient utilisés comme tours de gué ; ... ».

samedi, 19 mars 2016

PHILIPPE MURAY : ULTIMA NECAT

IMPRESSIONS DE LECTURE


MURAY ULTIMA NECAT 1.jpg2
 

Je passerai rapidement sur la radicale incompatibilité d’humeur qui règle les relations entre Philippe Muray et Bernard-Henri Lévy, dont il déteste l’arrogance, le culot et la mauvaise foi. Quand l’occasion se présente, il lui assène de sévères avoinées, sur un ton d’une grande violence : « On dirait que la vocation de B.-H. Lévy est de confirmer et d’amplifier toutes les saloperies inventées depuis des siècles par les antisémites. Voleur, escroc, usurpateur, mystificateur sans talent, copieur, plagiaire, conspirateur, menteur, etc. » (II, p.473). Non, il n’y va pas de main morte (ce qu’on lit p.273 n’est pas mal non plus). 

Sa relation avec Philippe Sollers est plus complexe et plus suivie.  Bisbilles et rabibochages se succèdent. L’ambivalence gouverne. Ça l’embête beaucoup d’avoir besoin de lui et de BHL, qui restent incontournables s’il veut espérer voir ses livres publiés, vu la place qu’ils occupent dans le monde de l’édition parisienne (il parle du « pouvoir de Sollers », I, p.392). 

Le copinage forcé avec Philippe Sollers, disons-le, n’est pas ce qui pourrait me rendre sympathique l’auteur des formidables Exorcismes spirituels : dis-moi qui sont tes amis, je te dirai qui tu es. Son problème, c’est qu’il a besoin de lui. Mais ça ne l’empêche pas d’écrire : « Petite saloperie dégueulasse de Sollers » (I, p.246). Il ne le tient pas en grande estime : « La bêtise de Hugo était la bêtise ; celle de Sollers, la bêtise de l’intelligence » (p.251). 

Une page plus loin, il parle de « Méphistophilippe ». Plus loin : « Je me sens m’éloigner maintenant de Sollers très vite » (ibid., p.282). On constate, en comparant le précieux index des noms propres du volume I et du volume II, qu’on trouve en fin de volumes, que cet éloignement semble en voie d’accomplissement à partir de 1986. 

On comprend la difficulté quand on sait que les revues dans lesquelles Muray publie sont à l’image de ce qui a pu passer en France, pendant un temps, pour le fin du fin de l’avant-garde intellectuelle : Tel Quel (fondée entre autres par Sollers), Art press, bref, tout ce qu’on regroupe sous l’appellation « Modernité ». 

La Modernité a fait régner la terreur sur les « intellectuels » : Simon Leys (Pierre Ryckmans) en sait quelque chose, qui a subi un total ostracisme institutionnel, pour avoir mis à poil la statue de Mao Tse Toung dans Les Habits neufs du président Mao, au moment même où Sollers, Barthes, Maria-Antonietta Macciocchi et toute l’ENS-Ulm, "maoïstes" pur jus, avaient le cœur et la tête à Pékin, en pleine « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ». Mais Simon Leys lisait le chinois dans le texte des journaux chinois, et il savait à quoi s'en tenir sur le mirage maoïste. Une terreur analogue, quoique moins sanguinaire, a régné sur le monde musical, lorsque l’autocrate Pierre Boulez, assis sur le trône du sérialisme intégral et de l’IRCAM, dictait les lois de la composition musicale. 

La grande force morale de Philippe Muray est d’avoir su s’extraire de ce bocal confiné pour permettre à sa pensée de se déployer en toute autonomie. Au prix d’un arrachement et de contradictions. Quelle malchance, pour Philippe Muray, d’avoir germé dans le cloaque des avant-gardes. Mais je me dis en fin de compte que ça l’autorise d’autant plus à porter leur fumisterie sur la place publique. 

Bon, à part ça, qu’est-ce que je retiens de ces onze cent et quelques pages de « Journal intime » ? D’abord, que l'auteur considère le 20ème siècle comme une « catastrophe » (je ne retrouve pas la page). Qu’on trouve, dans une telle masse de texte, assez peu de remarques à propos de « l’événementiel ». Que Muray évoque bien davantage ses parents que lui-même : « 27 janvier. Il y a des gens qui coûtent la vie à leur mère en naissant. J’ai coûté la vie à mon père en naissant (écrivain). J’ai fait mieux » (I, p.235). Sous-entendu : mieux que Jean-Jacques Rousseau (première phrase des Confessions). 

Explication : Philippe Muray porte une culpabilité, celle d’avoir obligé, en naissant, son père à faire ce qu’il faut pour nourrir une famille, et donc à abandonner toute ambition littéraire pour son propre compte. En cultivant à son tour l’ambition de devenir écrivain, Muray a-t-il voulu « réparer » une « faute » ? Toujours est-il qu’il n’envisagera jamais sa future existence autrement que vouée à la littérature. Et surtout sans encombrer son chemin des enfants qu’il ferait à une femme. Il faut choisir : faire des enfants ou des livres. Il revient d’ailleurs assez souvent sur les bisbilles et incompréhensions que suscite, auprès des enfants de sa compagne : il refuse obstinément d’être considéré comme un substitut paternel. 

C’est un point de vue. C'est un choix.

Voilà ce que je dis, moi.

jeudi, 28 mai 2015

POUR TEDI PAPAVRAMI 1

1/2 

PAPAVRAMI.jpgJe n’ai jamais mis les pieds en Albanie. Je connais fort peu d’Albanais. Un très curieux livre d’un nommé Rexhep Qosja (prononcer Redjep Tchossia, paraît-il), intitulé La Mort me vient de ces yeux-là. TBC EUROPA 1.jpgUne BD d’un nommé TBC, Europa, en deux épisodes, sur quelques mafias venues de par là-bas (on va dire Balkans) : plus brutal, plus noir et plus désespéré, j’imagine que c’est toujours possible, mais. 

Oh, et puis il y a les faits divers : quelques saisies d’héroïne dans les milieux albanais de la banlieue lyonnaise. Et puis un drôle de business, aussi : un immeuble destiné à la démolition dans un quartier en rénovation, squatté par une bande d’Albanais qui « louent » les « logements » à des compatriotes au tarif de 150 € la semaine. Et la police n’a pas le droit d’intervenir tant que personne n’a porté plainte. Mais est-ce qu’un sans-papiers porte plainte ? Ce serait étonnant, non ? Le monde actuel est décidément délicieux. 

2015 MAI 27 2.jpg

Le Progrès, 27 mai 2015 (p. 10).

Non, l’Albanie, ce n’est pas que ça, faut pas croire. Il y a le grand Ismaïl Kadaré et ses livres, Le Pont aux trois arches, Le Général de l’armée morte, Avril brisé, Les Tambours de la pluie, Qui a ramené Doruntine ?, …. Et puis il y a Tedi Papavrami. Il n’est pas écrivain. Il a quand même écrit un récit autobiographique, à l’incitation des quelques amis conseilleurs. Le livre s’intitule Fugue pour violon seul (éditions Robert Laffont, 2013). 

Ne pas s’attendre à de la littérature. L’ouvrage se veut un témoignage. Car l’Albanie dont il parle est celle d’Enver Hoxha (prononcer Hodja ?), alias « Oncle Enver », l’avatar albanais du « Guide Suprême », l’égal des Staline, Ceaucescu, Pol Pot, à l’échelle d’un pays de 3.300.000 habitants, grand comme la région Poitou-Charente (dixit l’auteur, je n'ai pas vérifié). Je veux dire leur égal dans la folie tyrannique, la joie sanguinaire et la férocité des méthodes policières. 

Le cher homme était même assez atteint pour quitter le Pacte de Varsovie, au grand dam du « Grand-Frère » soviétique, et se brouiller avec l’autre « Grand-Frère » Mao Dze Dong, et transformer son petit pays en forteresse retranchée du reste du monde, derrière ses barbelés. Ceux qui voulaient s’échapper de ce « paradis communiste » avaient tout intérêt à réussir du premier coup. Il va de soi que le niveau de vie et l’état économique et industriel du pays sont tombés plus bas que ceux du Burkina-Faso, ou même du Malawi. Ça explique peut-être les mafias.

Mais Tedi Papavrami n’était pas un gamin ordinaire : il appartient à l’espèce rarissime des enfants prodiges, des génies précoces. Ça ne s’explique pas : c’est comme ça. Lui, c'est le violon. Quelqu’un qui vous aligne aussi net les Caprices de Paganini à neuf ans, vous dites comme Victor Hugo dans William Shakespeare (2, IV, 3) : « A Pégase donné, je ne regarde point la bride. Un chef d’œuvre est de l’hospitalité, j’y entre chapeau bas ; je trouve beau le visage de mon hôte ». Il faut voir comment un gamin de onze ans est capable de vous envoyer dans la figure la Campanella de Paganini, en Grèce en 1982 (cliquez pour 10' 21" d'étonnement, ce n'est pas toujours « propre » dans les sautillés, mais bon). Il a onze ans. Et même pas peur.

J’ai commenté, il y aura bientôt un an (22-24 juin 2014) le livre de Nikolai Grozni, Wunderkind (« enfant prodige »), qui m’avait frappé de saisissement, par la terrible âpreté de l’aventure. Lui, c'était le piano. Le monde bulgare de l'époque soviétique, comme une jungle où n’évoluent que des fauves, qui n’attendent que l’occasion de s’entredéchirer, sous un ciel de pierre, dans un air irrespirable, au fond d'une bassine où bouillonne la noirceur. Un livre absolument glaçant et passionnant, avec au centre un Chopin hissé jusqu'au tragique. 

Avec Papavrami, l’ambiance est plus amène, parfois même pleine d'urbanité. Grozni détestait son père, n’aimait pas trop sa mère. C’était sans doute réciproque. La famille Papavrami, d’origine bourgeoise, est tolérée par le régime communiste, qui lui laisse la maison ancestrale, avec son jardin, ses mandariniers, son mur protecteur, ses souvenirs. Mais c'est une famille solide, à l'ancienne. Une famille, quoi.

L’équilibre, socialement et politiquement, est toutefois instable. Papa travaille au « lycée artistique », dans la section musique, où sa réputation d’excellent pédagogue du violon fait merveille, en même temps qu’elle le protège tant soit peu des rigueurs du régime. C’est simple : tout le monde le respecte, voire le craint.

Il est frustré dans sa carrière depuis la sortie du Pacte de Varsovie, qui l’a obligé à retourner à Tirana avant d’avoir achevé ses études à Vienne (où il a acheté un violon Bergonzi, dans lequel un luthier parisien ne verra plus tard qu'un faux). Mais la famille vit dans une bonne ambiance de tranquillité, dans une maison agréable, avec un jardin clos de murs.

Des privilégiés, somme toute. 

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 09 décembre 2012

L'HOMME QUI FIT FUMER LA FEMME

Pensée du jour : 

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QUAND UN AVEUGLE PREND DES PHOTOS, VOILA CE QUE CA DONNE

IL S'APPELLE EVGEN BAVCAR, IL EST NE EN SLOVENIE

(authentique, évidemment, et il sait visiblement ce que c'est, une femme nue !)

« Rien n'est plus étrange que la mer. Elle part, elle vient, repart, revient, elle se berce ; et elle fait des songes. Elle rêve des îles, des ports et des soleils couchants ; au sud, à l'horizon, elle rêve Alexandrie, mirage nacré, impalpable vapeur, jeu d'étincelles ; au nord, houleuse et couleur de hareng, elle rêve de grands clairs de lune, et les phares de la côte anglaise. Elle rêve les jonques et les lanternes vénitiennes, les éponges et les madrépores, elle rêve de tout, elle se nourrit de reflets et se nourrit de coquillages, des baleines mortes et des cadavres de marins ; elle enfante surtout les nuages, formes mouvantes commes les sculptures de Brancusi, qui s'entre-effacent et s'entre-engendrent à la façon des musiques de Mozart : la mer est un sculpteur abstrait ».

 

ALEXANDRE VIALATTE

 

 

Résumé de l’épisode précédent (d'avant-hier, en fait) : le petit EDWARD BERNAYS est devenu grand en écrivant Propaganda (1928), un livre de chevet pour GOEBBELS, HITLER, STALINE, et un « credo » pour tout publicitaire qui se respecte un peu. 

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SALE ENGEANCE : ÇA MEURT A 103 ANS !!!

Chargé de vendre la cigarette à toute la gent féminine (et pas « gente », qui est un adjectif qualificatif, comme l'ignorent les ignares), il « libère » la femme en établissant un lien entre la « Torch of Freedom » de la Statue de la Liberté et la cigarette allumée, que seront dès lors autorisées à arborer toutes les femmes américaines. 

 

 

Soit dit en passant, on ne m'enlèvera pas de l'idée que le BOUT DE SEIN joue pour l'imaginaire des hommes un rôle assez voisin de celui du GLAND (selon la psychanalyse) pour l'imaginaire des femmes, et que l'incandescence du bout de la cigarette a quelque chose à voir avec le BOUT DE SEIN, dans l'imaginaire masculin. On nage en plein érotisme, comme on le voit, par exemple avec la photo de la pin-up à poils (de moustache) ci-dessous.

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Ben oui, il suffit de donner à la chose désagréable le nom adéquat pour faire passer sans douleur la dite chose : appelez donc votre plan de licenciements massifs « Plan de Sauvegarde de l’Emploi », et soudain vous verrez, tout change. On appelle ça la magie de l'EUPHEMISME. photographie,art,france,société,culture,alexandre vialatte,littérature,humour,edward bernays,propagande,publicité,public relations,goebbels,hitler,staline,communication,statue de la liberté,sigmund freud,victor klemperer,lti,new york,mao tse toung,grammaire,langue françaiseVICTOR KLEMPERER a longuement étudié ça sous le règne d’HITLER (dans LTI, la langue du 3ème Reich, une lecture indispensable).

 

 

GEORGE ORWELL, avec sa "novlangue" (dans 1984),photographie,art,france,société,culture,alexandre vialatte,littérature,humour,edward bernays,propagande,publicité,public relations,goebbels,hitler,staline,communication,statue de la liberté,sigmund freud,victor klemperer,lti,new york,mao tse toung,grammaire,langue française a lui aussi bien cerné le problème ("l'esclavage, c'est la liberté"). C'est pourquoi on peut se demander si la théorie de SIGMUND FREUD n'a pas nourri indirectement le système hitlérien, à commencer par sa dimension de propagande ? Il y a de quoi se demander, non ? Mais pour revenir à la campagne publicitaire d'EDWARD BERNAYS, ça ne suffisait pas.

 

 

Pour que l’événement fasse date, pour que la campagne atteigne efficacement son objectif, il faut frapper les imaginations, il faut que toute la presse en parle, il faut que tout le pays en parle, il faut du spectaculaire et du scandaleux. Et c’est là que le savoir-faire d’EDWARD BERNAYS va faire merveille.

 

 

Chaque année, la ville de New York organise une « manifestation-spectacle ». « New York Easter Parade », ça s’appelle. Un événement annuel de portée nationale, qui a lieu depuis 1880. On va stipendier une cohorte d’accortes bougresses artistement vêtues, on va prévenir en douce les photographes et autres journalistes qu’il va se passer quelque chose et qu’ils doivent se tenir prêts.

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NEW YORK EASTER PARADE 2012 !!!!! ÇA CONTINUE !!!!

Et le jour du « Easter Sunday » 1929, quand la troupe des jolies femmes sort des sacs à main une cigarette, que chacune la porte à ses lèvres pulpeuses et, comble du culot, en allume l’extrémité, tout est prêt, EDWARD BERNAYS peut dire que sa campagne est un succès et qu’il a mérité son gros chèque. Les images scandaleuses s’étalent en « une » des journaux, de l’Atlantique au Pacifique.

 

 

Les femmes peuvent désormais se proclamer « libérées » par la grâce d’une magistrale campagne de publicité. On est en 1929. L’industrie du tabac peut se frotter les mains. « La moitié du ciel » (les femmes, selon MAO TSE TOUNG) va faire pleuvoir les pépètes, pésètes et autres picaillons dans son porte-monnaie largement ouvert sur les profondeurs abyssales des comptes en banque des actionnaires enchantés. Le « marché », en un clic, a tout simplement doublé de surface.

 

 

Bon, alors, le lecteur va me dire maintenant : « Mais qu’est-ce qui te permet, blogueur excessif, de considérer EDWARD BERNAYS comme un quasi-génie ? ». Bonne question. Qu’est-ce qu’elle prouve, la campagne pro-tabac de 1929 ? Qu’est-ce qui fait de son auteur un révolutionnaire ? Tiens, juste un avant-goût : le premier paragraphe de Propaganda.

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Au moins, on se dit qi'il ne prend pas de gants, EDWARD BERNAYS. Et ça n'est que le tout début de 110 pages qui décoiffent (je ne compte pas la préface). J'attire juste l'attention sur "gouvernement invisible".

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

 

dimanche, 23 septembre 2012

MARIAGE HOMO, MENAGE IDIOT ?

Pensée du jour : « Si tes amants t'ennuient, marie-toi, cela leur donnera du piquant ».

JEAN ANOUILH

 

L’homosexualité, quand – comme moi, par exemple – on ne se tient pas au courant des dernières tendances, est un univers à part, difficile à appréhender dans sa cohérence et son homogénéité. Si tant est que ce soit un milieu cohérent et homogène. Or, rien n'est moins sûr.

 

 

« Toutes choses égales par ailleurs » (formule énigmatique qu'on entend beaucoup dans la bouche des politiciens ; je l'emploie donc parce que personne ne sait ce qu'elle veut dire exactement), c’est un peu comme l’Islam. En France, de même qu'on dit "l'Islam" en parlant de tous les musulmans du monde, on parle de "la communauté gay". C'est mettre tout le monde un peu vite dans le même sac. Car il y a homosexuel et homosexuel.

 

 

L’Islam est une religion difficilement compréhensible au non-initié. LUTHER.jpgChez les protestants, au moins, c’est clair : tu choisis ta secte, personne n’ira te demander des comptes. Les autres sectes te foutent une paix royale, même si elles sont toutes plus ou moins en concurrence entre elles. C’est « chacun pour soi ». Ce n’est pas pour rien que l’individualisme a été inventé par les adeptes de la Réforme de MARTIN LUTHER.

 

 

 

 

 

 

Chez les musulmans, c’est plus compliqué. Beaucoup plus. Ils font mieux que le dialectique : « Un se divise en deux », du regretté Président MAO DZE DONG,MAO.jpg abondamment mis en application par les trotskistes au cours du 20ème siècle. Eh bien l’Islam fait encore plus fort : « Un se divise en trois » : sunnites, chiites, kharidjistes. Et encore ne cité-je que les trois branches principales, chacune d’elles ayant à cœur de se subdiviser à son tour on ne sait pas combien de fois. A croire que MAO s’est inspiré de l’Islam.

 

 

Chez les homosexuels, cercle que j’ai approché tangentiellement, moi qui ne suis pas spécialiste, j’ai cru pouvoir distinguer deux grandes tendances, dont je me hasarde ici à proposer la modeste description. Description est d’ailleurs un bien grand mot. N’ayant à ma disposition ni le fonds documentaire, ni la méthodologie de l’entomologiste, je ne saurais pas plus entrer dans le menu du détail que dans le détail du menu. Brossons de l'extérieur, si vous le voulez bien, deux silhouettes, à gros traits. Avec une marge d'erreur généreuse, on le comprendra.

 

 

Dans la partie gauche de la photo, l’homosexuel qui choisit délibérément de vivre en rupture avec l'ordre normal. De rejeter les codes sociaux touchant les moeurs. Il opte en toute conscience pour la fracture, pour l’affirmation de soi, pour la proclamation de sa « différence ». Les conventions en vigueur parmi les adeptes de la normalité ? Très peu pour lui.

 

 

Ainsi, DANIEL, le serveur de la brasserie X, affichait-il l’altérité de son style en toute décontraction, avec une touche de malice et d'insolence. D’autres que lui,  certes, tiennent à la respectabilité de la façade, et ne tombent le masque que lorsque le contexte s’y prête, ce qui les oblige parfois à mener, tant bien que mal, une double vie.

 

 

Cet homosexuel, donc, ostensiblement (ostentatoirement ?) ou secrètement contre, revendique la transgression de l’ordre moral. Il ne négocie pas. Au sein de la « communauté », il reste un individu individuel. Un individualiste. Peut-être un aventurier. Un insoumis avide d'expériences inédites que la normalité horrifiée réprouve. Il est, éventuellement, assidu aux soirées intitulées « no limit », ainsi que D. nous le narrait en petit comité. Il est différent de la majorité ? Eh bien il assume, et voilà tout. Abattre le mur qui le sépare des gens normaux ? Pas question.

 

 

Appelons-le Barbe-Noire.jean anouilh,littérature,politique,société,homosexualité,moeurs,morale,sexualité,communauté gay,islam,protestantisme,protestant,martin luther,mao tse toung,trotskiste,sunnite,chiite,fhar,mariage homo,adoption homo,marcel proust,le temps retrouvé Son symbole : un sabre d’abordage ou un drapeau noir habillé d’un crâne. Que cela se voie ou non, il n’aime pas qu’on l’embête avec le Code Civil. Il veut vivre comme il l'entend. Il n'a peur de rien. Même hors-la-loi ne lui fait pas peur. Non-conformiste, sa façon de faire indique une remarquable cohérence, en même temps qu'un certain courage.

 

 

Dans la partie droite de la même photo, on aperçoit maintenant l’homosexuel « méchant ». C'est un théoricien offensif qui pense globalement. Il est porteur de doctrine sociale et politique (inscription de l'individu dans le collectif, et tout le bataclan). Il descend peut-être du F.H.A.R.,jean anouilh,littérature,politique,société,homosexualité,moeurs,morale,sexualité,communauté gay,islam,protestantisme,protestant,martin luther,mao tse toung,trotskiste,sunnite,chiite,fhar,mariage homo,adoption homo,marcel proust,le temps retrouvé l’antique Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (voir ci-contre). C'est peut-être cet élan révolutionnaire qui fait du mariage homo une revendication « de gauche ». Drôle d'idée, si on y réfléchit.

 

 

Cette politisation de l'homosexualité résonne bizarrement, d'ailleurs, et interroge.  Franchement, l'idée n'est pas évidente : qu'y a-t-il de gauche, plutôt que de droite, dans la pédérastie et dans le lesbianisme ? J'ai du mal à voir du politique dans le sexuel. Et qu'on ne me ressorte pas, pour me prouver le contraire, les théories sociologiques de l'organisation et de l'administration de la sexualité par la structure sociale. Et qu'on ne me ressorte pas WILHELM REICH et compagnie.

 

 

Si être homo faisait voter à gauche, c'est plus de 90 % de voix pour la droite qu'il devrait y avoir aux élections.  

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

A suivre.

dimanche, 16 septembre 2012

RENDEZ-MOI LE BEL CANTO !

Pensée du jour : « La croissance techniciennebel canto,musique,poésie,littérature,techno,funk,soul,reggae,r'n b,fnac,house,acid,trance,ambient,beatles,mao tse toung,révolution,chairman mao,trotskistes,ecstasy,boson de higgs,bêtise,arrogance repose sur l'adhésion a priori de l'homme qui conçoit le don de chaque technique comme une réponse à un besoin, qui en réalité n'existe que pour utiliser la capacité technologique ».

 

JACQUES ELLUL

 

 

 

 

Les lecteurs de ce blog savent sans doute, j’en ai parlé, la place que la musique occupe dans mon esprit, et le temps qu’elle occupe dans mes journées. Attention, je ne suis pas de ceux qui déclarent dans les médias : « Ben, j’écoute un peu toutes les musiques », et puis qui, quand on leur demande de préciser, ajoutent : « Ben oui, j’écoute de la techno, de la funk, de la soul, du reggae, du R’n B, enfin, toutes les musiques, quoi ».

 

 

On ne peut entendre proférer une ânerie dotée d'aussi grandes oreilles sans réagir. Toutes les musiques du monde, vraiment ? Mais mon pauvre ami, suis-je tenté de lui dire, le monde ne se réduit pas au minuscule bocal dans lequel tu gigotes ! Tu sembles ignorer que l’horizon musical dépasse les quatre bouts de ton gros nez, déborde des quatre bacs obligatoires que tu visites à la FNAC, et excède les quatre  sons compressés qui te rentrent dedans par les rondelles-ventouses dont tu verrouilles tes oreilles. Il faudrait donc préciser : toutes les musiques que les marchands te vendent.

 

 

 

Et ne parlons pas des dix mille morceaux de ce qui se produit aujourd'hui sous le nom de musique, et que tu as téléchargés à tes risques et périls, en espérant passer entre les goutelettes de la vengeance d'HADOPI, goutelettes qui essaient de se faire passer pour ses foudres, et qui ne font que glisser sur les plumes de beaucoup de canards.

 

 

Loin de moi l’idée de faire le dégoûté. Mais c’est vrai, ne vous fatiguez pas à me demander de dire ce que je pense, par exemple, de la « techno ». Parce que je vais vous le dire sans attendre. En y joignant toute musique pour marteau piqueur électronique et trépignements à « 140 bpm » (ça veut dire battements par minute, expression passée, paraît-il, dans le langage courant). Le mot important étant "battement".

 

 

D’autant que, si vous écoutez des adeptes, il est vital et urgent de distinguer entre les courants : l’ « acid » n’est pas le « detroit », qui se distingue de la « trance », elle-même différente de la « house », à ne surtout pas confondre avec la « ghettotech » ou la « minimal ». Ah que ! Vous ne pouvez même pas imaginer tous les courants que j’omets ici, et qu’on aurait peine à différencier autrement qu’avec un microscope « à effet tunnel ».

 

 

Dans le genre « breakbeat », il est crucial de bien différencier le « breakbeat hardcore », qui n’est pas plus le « broken beat » que le « big beat » n’est le « florida breaks ». Tout se joue dans la nuance micrométrique. Ainsi, un adepte du « hip hop » ne saurait être confondu avec un fidèle du « nu skool breaks ». Dans l’ « ambient », un militant « ambient house » se révolterait d’être assimilé à un vulgaire sympathisant « dark ambient ». Sans parler de la « drone music » et de la « slease energy », sans lesquelles rien de sérieux ne saurait s'entreprendre. Et pour ne rien dire de l’ « illbient ». Je vous assure que je n'invente rien.

 

 

La musique techno ? J'en conclus que le principe de la dialectique maoïste (« UN se divise en DEUX », clamait doctement le « chairman Mao », cf. Revolution, The Beatles) y règne en monarque absolu. La scissiparité y fait des ravages, pire que dans les sectes trotskistes. Pire qu'une croissance exponentielle. Pire qu'une vermine proliférante.

 

 

 

Pour s’y retrouver dans le dédale des galeries principales, des embranchements, des sous-embranchements, des diverticules et des itinéraires bis de bison futé, aucun espoir en dehors de bac + 12. Et je ne dis rien des mariages consanguins et des incestes de branche à branche, qui risqueraient de donner une assez bonne idée du chaos.

 

Et si vous entrez en discussion, gare aux quolibets condescendants, décochés par toute la bleusaille docte des godelureaux, blancs-becs, greluchons, pieds-tendres, cornes-vertes et autres « démoulés à chaud » boostés à l’ecstasy, pour qui le monde a été créé en même temps qu’eux. Gare à vous ! Ce genre d’érudition n’a ni pitié ni limite : « Mais vous confondez tout ! Mais vous n'y connaissez rien ! » (tiens, ça me rappelle DUTRONC). Tant qu’on reste dans la secte techno. Le doigt qui y entre par effraction est proprement broyé. Accessoirement l’oreille aussi, soit dit en passant. En matière de musique techno, par conséquent, je suis fier de moi !

 

 

Car le langage y vaut, en hermétisme, les échanges entre spécialistes du boson de Higgs, du laser mégajoule et du théorème de Fermat réunis. Sans le vocabulaire et la syntaxe, vous restez transparent. Invisible. Disons-le : ridicule.

 

 

Alors qu'en fait, à l'arrivée, c'est quand même le « raver » qui est devenu carrément frapadingue bel canto,musique,poésie,littérature,techno,funk,soul,reggae,r'n b,fnac,house,acid,trance,ambient,beatles,mao tse toung,révolution,chairman mao,trotskistes,ecstasy,boson de higgs,bêtise,arrogance,scabby bull,arapaho,salafismequand, dans le petit matin blême d'un champ de navets labouré par des milliers de pieds en furie, il ressort la tête d'un baffle de dix-huit mètres qui, pendant deux jours et deux nuits, lui a craché son cataclysme jusqu'au bulbe rachidien. Il appelle ça l'extase. Est-il prudent de lui laisser le droit de vote ?

 

 

Théorème : « L’arrogance de la bêtise est le plus sûr moyen d’en imposer aux gogos ».

 

 

Corollaire : « La musique techno est à la musique ce que le salafisme est à la vraie culture islamique ». « Wâh ! Cette parole est forte », s’écrie Scabby Bull, l’Arapaho.

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SCABBY BULL, L'ARAPAHO

 

Heureusement que je suis là pour rappeler quelques « fondamentaux ».

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

 

mercredi, 22 février 2012

DE L'ELECTEUR SPONGIEUX (début)

LE FLÉAU DU DROIT DE VOTE, ÉPISODE 5

 

 

Proverbe bantou : « A électeur spongieux, élection flasque ».

 

 

Commençons par le rappel d’un petit fait historique. Dans la nuit du 4 au 5 août 1789, dans un grand élan de fraternité et d’égalité, que la mythologie révolutionnaire a consacré en le magnifiant au fronton des temples de la République, les députés des trois ordres adoptèrent une loi abolissant les privilèges hérités de l’ère féodale. Ce fut grand, ce fut beau, ce fut généreux.

 

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ELECTEUR SPONGIEUX 

 

Ce qu’on sait moins et qu’on oublie, c’est que, d’une part, ce ne fut pas, dans la réalité, aussi grandiose et aussi soudain que la légende l’a colporté, et d’autre part que, dans les semaines qui suivirent cette nuit mémorable, et jusqu’au mois d’octobre, il y eut dans les campagnes françaises le plus grand massacre de gibier qu’on eût jamais vu.

 

 

C’est tout simplement que tous les roturiers, petits propriétaires et paysans de France se vengeaient sur la faune sauvage de siècles de répression du moindre lièvre larronné, de la moindre perdrix soustraite au privilège seigneurial pour améliorer l’ordinaire. Voilà, aurait dit MONTESQUIEU, où ça mène, d’accorder, dans la précipitation et sans précaution, des droits à la « canaille ». A commencer par le droit de vote.

 

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ELECTION FLASQUE

(à moins que ce ne soit l'élu en personne)

 

Il aurait ajouté que la démocratie n’est ni viable, ni souhaitable en l’absence de la vertu. La vertu, parfaitement. Franchement, on se demande à quoi il pensait. Je préfère de loin un homme comme CONDORCET.

 

 

De cet homme, laissons violemment de côté le génie qui rêvait d’appliquer les mathématiques à la gestion des sociétés humaines (il a travaillé sur « l’arithmétique politique » ou « mathématique sociale »), et à ce titre le concepteur des techniques totalitaires de la « gouvernance » sociale et l’initiateur du développement déraisonnable des statistiques comme outil d’administration du « parc humain » (Règles pour le parc humain, livre (2000) du philosophe PETER SLOTERDIJK).

 

 

CONDORCET, lui-même victime de la Terreur mise en place par ROBESPIERRE (il s’est suicidé dans sa cellule après avoir été arrêté, fuyant un ordre de comparution qui aurait de toute façon mal fini), est l’auteur, entre de nombreux ouvrages, de Cinq mémoires sur l’instruction publique.

 

 

Sa grande idée politique repose sur l’idée d’instruction (il refuse, à raison, de confondre « instruction » et « éducation ») : la nation entière peut progresser vers les « Lumières » si elle prodigue à tous ses membres sans distinction une instruction suffisante. Pour cela, dit-il, il convient de donner davantage à ceux qui sont moins éclairés (= pas encore), et moins à ceux qui le sont davantage (= déjà).

 

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ELECTEUR DOUBLEMENT SPONGIEUX

 

 

CONDORCET rêvait, comme tous les hommes des Lumières, de mettre tout le monde en état de juger des qualités et des défauts. Il rêvait en quelque sorte de rendre chacun imperméable à toute forme d'oppression. A toute forme de propagande. Il devait se dire que, pour qu'elle fût en mesure d'élire les meilleurs parmi elle, il était nécessaire que la population entière acquît les plus grandes capacités possibles de DISCERNEMENT.

 

 

Disons que cela pourrait s’appeler « redistribution des lumières » et que le but visé s’appelle « égalité ». L’idée des « Lumières », elle est là : pour que la nation tout entière progresse et s’élève parmi les nations, elle doit permettre à chacun d’élever son esprit. Je l'avoue, il fut un temps où je me disais, à la façon de FRANÇOIS VILLON : « En cette foi je veux vivre et mourir ». Et je crois toujours que cet horizon, l'homme peut l'atteindre, s'il le décide. Mais bon, nous traversons, semble-t-il, des vents contraires.

 

 

 

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ELECTION DOUBLEMENT FLASQUE

 

Seul un effort éducatif massif de la collectivité est à même de favoriser l’avancée de celle-ci. Et c’est un raisonnement à soixante ans de portée, à deux générations de terme. Signalons en passant que la Chine actuelle a parfaitement assimilé cet impératif. L'occident, semble-t-il, n'en a plus les moyens.

 

 

Au lieu de cette belle idée généreuse, la Révolution, au prétexte d’éradiquer les derniers germes de la féodalité et d’éliminer les derniers adversaires de l’ordre nouveau, après avoir promu des couches toujours plus basses, finit par promouvoir des couches de la population qu’on appellerait aujourd’hui la « racaille ».

 

 

Vous imaginez, aujourd’hui, des petits salopards ignorants, issus des bas-fonds, se mettre à jouir de tutoyer le roi en l’appelant « Capet », à toiser de haut les gens ordinaires, à tenir le haut du pavé et à faire la police (ah, vous avez vu de telles scènes ? Que me racontez-vous là ?) ? Quel genre de gouvernement aurait le culot de donner de l’autorité publique à des individus issus de ce qu’il y a de pire dans la population ?

 

 

C’est un peu ce qui a été fait en France, en 1793, et jusqu’au 9 Thermidor. C’est ce que les Allemands ont méticuleusement appliqué dans les camps de concentration en faisant des prisonniers de droit commun les plus violents ou les plus serviles des « kapos » de sinistre mémoire.

 

 

MAO TSE TOUNG a beaucoup étudié cette séquence historique, et quand on lit Les Habits neufs du président Mao, de SIMON LEYS, on se dit qu’il en a pris de la graine, puisqu’il a su faire face à la légion de ses ennemis pour se maintenir férocement (« Feu sur le quartier général » et la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne ») au pouvoir jusqu’à sa mort.

 

 

Donc il ne saurait y avoir de vraie démocratie représentative sans un peuple également éclairé, également instruit, également élevé vers les lumières de la Raison. Elire un homme pour diriger les affaires de la ville, du département, de la Région, de l’Etat, suppose obligatoirement que les électeurs ont tous reçu un niveau d’instruction leur permettant de distinguer l’individu possédant les plus hautes qualités pour occuper la fonction.

 

 

Pour qu’une démocratie vive réellement, il faut impérativement faire ce qu’il faut pour que, collectivement, le niveau de l’esprit dans le peuple s’élève. Ce fut l’ambition et l’espoir avortés de CONDORCET. 

 

 

Voilà ce que je dis, moi.

 

Suite et fin demain.