vendredi, 25 novembre 2016
LA B.D., ART MINEUR
Qu’on le veuille ou non, la B.D. n’est pas un art majeur. Même le cinéma, qui n’est somme toute que de la B.D. avec le mouvement, ne saurait être considéré, sauf abus de langage (« Le 9ème art » ! « Le 7ème art » !, et puis quoi encore !), comme un art majeur. Artisanat pour la B.D., tant qu’on voudra. Le cinéma, de son côté est avant tout une industrie, qui produit la plupart du temps des objets ordinaires, médiocres ou infâmes, juste bons à être consommés pour « passer le temps », et qui laisse échapper de loin en loin une pépite qui mérite alors d’être qualifiée d’œuvre.
Je ne vais pas faire mon Finkielkraut (« Une paire de bottes vaut Shakespeare », titre, si je me souviens bien, d’un chapitre de La Défaite de la pensée, 1987), bien qu’on soit obligé de reconnaître que le relativisme généralisé qu’il dénonçait alors a gagné tous les étages, tous les compartiments, tous les interstices de la société, nivelant les valeurs, pilonnant les hiérarchies, multipliant « les normes » au détriment de « La Norme », tout cela au nom d’un « progressisme indéfiniment émancipateur », de la primauté de l’individu et de l’égalité des points de vue, et fulminant ses oracles afin de délégitimer tout ce qui ressemble à une autorité ou à un cadre contraignant. On va vous marteler le crâne de ce dogme jusqu’à ce que vous vous jetiez à genoux, suppliant, pour avouer publiquement que : « Oui, tous les désirs des individus sont légitimes » (même si les militants et fanatiques les plus ultra font des exceptions).
Si je devais passer le test de l’île déserte, je répondrais Beethoven ou Bach plutôt que le cher Georges Brassens ou le pétulant Charles Trénet, voire la grande Edith Piaf ; Moby Dick ou Don Quichotte plutôt que Tintin, Gaston Lagaffe, Corto Maltese ou Astérix, même sachant les excellents moments qu’ils m’ont procurés, même sachant qu’ils me manqueraient.
Parmi la tribu des plaisirs, il y a le tout-venant, vite épuisé, qui réclame le renouvellement incessant du paysage pour alimenter le moteur aux sensations ; il y a le plus consistant, qui demande un peu de temps pour en venir à bout, en faire le tour et arriver à satiété ; et puis il y a le nanan, le parangon, le nec plus ultra, le zénith, la haute nourriture, le « Nord » mallarméen : ceux dont vous ne pouvez vous passer et auxquels vous revenez parce que, à chaque fois que vous y plongez, vous n'atteignez jamais le fond et que, à chaque fois, vous y trouvez encore matière à remonter à la surface.
Entre les trois étages, bien sûr, tous les niveaux intermédiaires sont envisageables. Mais en ce qui concerne le dernier, on peut dire qu’il se situe au-delà même du plaisir (aucun cousinage avec un titre approchant du père Sigmund), et cela, seule un œuvre véritable est à même de vous le procurer. Cela s’appelle plénitude. Cela vous comble. Cela vous élève au-dessus de vous-même. Et cela, aucune B.D. jusqu’à ce jour ne me l’a procuré. Et pourtant, je peux dire que j’en ai bouffé, des récits dessinés, des histoires en images, des « illustrés », des « comix ». Pour vous dire, je me suis même abaissé jusqu’à consommer des Blek le Roc, des Kit Carson, des Kiwi, des Zembla et autres fascicules de bas étage (j'invoque l'excuse de la plus complète immaturité : je faisais comme les copains de la "primaire". Attention, pas de confusion : je parle de l'école communale Michel Servet, rue d'Alsace-Lorraine).
Quand vous entreprenez la traversée de À la Recherche du temps perdu, vous passez par des hauts et des bas, des moments d’ennui ou d’agacement, des moments intéressants, des moments passionnants (pas forcément les mêmes pour tout le monde). Et puis vous arrivez au dernier « épisode » de l’aventure, vous entrez dans Le Temps retrouvé, et vous voilà soudain soulevé de terre par une force dont vous ignoriez l’existence, un éclair jailli du dedans vous montre tout le chemin parcouru, l’itinéraire complexe que l’auteur vous a fait suivre pour faire apparaître la « ténébreuse et profonde unité » de la démarche entière.
C’est alors que le pavé, inégal sous le pied du narrateur, qui lui rappelle une dalle de la place Saint-Marc à Venise, puis l’irruption, à travers la soirée Guermantes, de cette évidence éclatante que non, rien n’est éternel et que oui, « le temps passe », que les époques changent, qu'une Mme Verdurin peut devenir Guermantes, tout cela referme une boucle magistrale avec les journées initiales passées à Combray, et apporte la clef (« keystone ») qui vient se loger, parfaitement ajustée, au sommet de la voûte de la cathédrale.
J’admire le travail de Tardi quand il met en scène sa vision de la « Grande Guerre », de Hermann (Caatinga, Missié Vandisandi, Afrika, Qui a tué Wild Bill, Sarajevo tango, etc., sans parler de la série Jérémiah), de Loisel (La Quête de l’oiseau du temps) et de beaucoup plus de fabricants de B.D. que je n’en peux accrocher « aux cimaises de ma galerie B.D. » (voir ma série "Ça faisait des bulles"), je persiste cependant à les considérer comme des gens plus aptes à « dessiner des petits miquets » que capables de me transporter plus loin que ma petite condition humaine.
On ne m’ôtera pas de l’esprit que toute la bande dessinée, depuis Rodolphe Töpffer (qui a fait Monsieur Jabot (ci-dessus), Monsieur Vieuxbois et autres, mais aussi du beaucoup plus « sérieux », dont d’abondants récits de voyages), Wilhelm Busch (Max und Moritz (ci-dessous), Die Fromme Helene, …), Outcault ou Winsor McCay, s'enracine dans l’enfance, dans les histoires plus ou moins édifiantes qu’on raconte aux petits pour les « moraliser », dans l’humour, les sottises (Pim, Pam, Poum ; Bicot ...) ou la cruauté plus ou moins dévastateurs, tels qu’on peut les trouver chez les enfants réels dans les cours de récréation et ailleurs.
Quand j’ouvre un album, moderne ou non, c’est cet esprit, ces histoires, cet humour ou cette cruauté que je veux d’abord retrouver. Et je ne pense pas être une exception. Soit dit en toute simplicité, je crois que ce que cultivent en nous les récits en bandes dessinées est de nature régressive. Il vaut mieux le savoir.
Et l’extraordinaire prolifération du genre ne m’apparaît pas comme la reconnaissance comme art d’un genre autrefois réservé aux enfants, mais comme un symptôme parmi d’autres du processus d’infantilisation mis en œuvre par la société marchande et publicitaire qu’analyse en profondeur, après Guy Debord, un Christopher Lasch, par exemple (et processus visible encore dans le besoin massif des foules aujourd'hui d'être télévisées, sondées, "coachées", consolées, réparées, indemnisées ..., vous savez, tous les refrains qui serinent qu'il faut que le "système" se mette à l'écoute des "vrais gens" ; non pas la définition proprement politique d'un principe d'organisation sociale, mais un supermarché où les hommes politiques se font chefs de rayon pour vanter la qualité de leur produit).
La B.D. "destinée aux adultes" fait appel, en définitive, aux petits que ceux-ci n’ont pas cessé d’être : le mode d'appréhension du réel par l'image est en soi une signature et un aveu. Contrairement aux slogans imbéciles, le mot est supérieur à l'image. Que je sache, on n'a retrouvé des premiers âges de l'expression humaine que des dessins et gravures (parfois des modelés), sur les parois des grottes et des rochers
Il fut un temps où étaient publiés environ cent cinquante albums par an, parfois fort mal imprimés (je me rappelle les couleurs baveuses de Jerry Spring dans Golden Creek). C’était le temps où je pouvais me permettre d’acheter tout ce qui avait paru préalablement en feuilleton dans les revues (Spirou, Tintin, Pilote, à l'époque où la dernière vignette de la planche devait créer le suspens et l'attente fébrile de la semaine suivante). On me dit qu’aujourd’hui ce ne sont pas moins de cinq mille volumes B.D., récits dessinés, « romans graphiques » qui voient le jour chaque année. Si cette incroyable vogue n’est pas un symptôme d’infantilisation des populations, alors je voudrais bien savoir ce que c’est.
Le lecteur voit donc, d’une part, que j’ai quelques connaissances dans le domaine de la B.D., mais que je n’en ai pas moins acquis un regard un peu critique sur la chose. J’ai bien des défauts, quelques vices, comme tout le monde. J’ai tâché d’en faire l’inventaire et de comprendre, tant que faire se peut, d’où ça venait. Sans peut-être en avoir fait le tour, j'ai fini par renoncer à les corriger, et par m'efforcer de les apprivoiser. Et de les relativiser.
La Bande Dessinée, si je voulais risquer une comparaison, ce serait la « Parabole du bon grain et de l’ivraie » : ne pas séparer les deux au moment où ils poussent de concert, mais attendre pour le faire qu’ils aient achevé leur maturation. J’ai poussé en compagnie de la B.D., voilà tout, et j’ai fini par la mettre à distance, même si je garde un tout petit coin de mon attention réservé au plaisir de cette régression licite et momentanée.
Tout bien réfléchi, je garde mes Gotlib, Franquin, Hergé, Uderzo et consort pour y jeter un œil de temps à autre : mon « second rayon » à moi, pourquoi pas. Parmi d’autres.
Parce que le sommet de l’Everest n’est pas habitable à demeure pour l'ordinaire humanité.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, bd, comic strips, 9ème art, alain finkielkraut, la défaite de la pensée, une paire de bottes vaut shakespeare, littérature, marcel proust, don quichotte, astérix, le temps retrouvé, tardi, hermann, caatinga, missié vandisandi, qui a tué wild bill, loisel, la quête de l'oiseau du temps, rodolphe töpffer, monsieur vieuxbois, monsieur jabot, wilhelm busch, max und moritz
dimanche, 23 septembre 2012
MARIAGE HOMO, MENAGE IDIOT ?
Pensée du jour : « Si tes amants t'ennuient, marie-toi, cela leur donnera du piquant ».
JEAN ANOUILH
L’homosexualité, quand – comme moi, par exemple – on ne se tient pas au courant des dernières tendances, est un univers à part, difficile à appréhender dans sa cohérence et son homogénéité. Si tant est que ce soit un milieu cohérent et homogène. Or, rien n'est moins sûr.
« Toutes choses égales par ailleurs » (formule énigmatique qu'on entend beaucoup dans la bouche des politiciens ; je l'emploie donc parce que personne ne sait ce qu'elle veut dire exactement), c’est un peu comme l’Islam. En France, de même qu'on dit "l'Islam" en parlant de tous les musulmans du monde, on parle de "la communauté gay". C'est mettre tout le monde un peu vite dans le même sac. Car il y a homosexuel et homosexuel.
L’Islam est une religion difficilement compréhensible au non-initié. Chez les protestants, au moins, c’est clair : tu choisis ta secte, personne n’ira te demander des comptes. Les autres sectes te foutent une paix royale, même si elles sont toutes plus ou moins en concurrence entre elles. C’est « chacun pour soi ». Ce n’est pas pour rien que l’individualisme a été inventé par les adeptes de la Réforme de MARTIN LUTHER.
Chez les musulmans, c’est plus compliqué. Beaucoup plus. Ils font mieux que le dialectique : « Un se divise en deux », du regretté Président MAO DZE DONG, abondamment mis en application par les trotskistes au cours du 20ème siècle. Eh bien l’Islam fait encore plus fort : « Un se divise en trois » : sunnites, chiites, kharidjistes. Et encore ne cité-je que les trois branches principales, chacune d’elles ayant à cœur de se subdiviser à son tour on ne sait pas combien de fois. A croire que MAO s’est inspiré de l’Islam.
Chez les homosexuels, cercle que j’ai approché tangentiellement, moi qui ne suis pas spécialiste, j’ai cru pouvoir distinguer deux grandes tendances, dont je me hasarde ici à proposer la modeste description. Description est d’ailleurs un bien grand mot. N’ayant à ma disposition ni le fonds documentaire, ni la méthodologie de l’entomologiste, je ne saurais pas plus entrer dans le menu du détail que dans le détail du menu. Brossons de l'extérieur, si vous le voulez bien, deux silhouettes, à gros traits. Avec une marge d'erreur généreuse, on le comprendra.
Dans la partie gauche de la photo, l’homosexuel qui choisit délibérément de vivre en rupture avec l'ordre normal. De rejeter les codes sociaux touchant les moeurs. Il opte en toute conscience pour la fracture, pour l’affirmation de soi, pour la proclamation de sa « différence ». Les conventions en vigueur parmi les adeptes de la normalité ? Très peu pour lui.
Ainsi, DANIEL, le serveur de la brasserie X, affichait-il l’altérité de son style en toute décontraction, avec une touche de malice et d'insolence. D’autres que lui, certes, tiennent à la respectabilité de la façade, et ne tombent le masque que lorsque le contexte s’y prête, ce qui les oblige parfois à mener, tant bien que mal, une double vie.
Cet homosexuel, donc, ostensiblement (ostentatoirement ?) ou secrètement contre, revendique la transgression de l’ordre moral. Il ne négocie pas. Au sein de la « communauté », il reste un individu individuel. Un individualiste. Peut-être un aventurier. Un insoumis avide d'expériences inédites que la normalité horrifiée réprouve. Il est, éventuellement, assidu aux soirées intitulées « no limit », ainsi que D. nous le narrait en petit comité. Il est différent de la majorité ? Eh bien il assume, et voilà tout. Abattre le mur qui le sépare des gens normaux ? Pas question.
Appelons-le Barbe-Noire. Son symbole : un sabre d’abordage ou un drapeau noir habillé d’un crâne. Que cela se voie ou non, il n’aime pas qu’on l’embête avec le Code Civil. Il veut vivre comme il l'entend. Il n'a peur de rien. Même hors-la-loi ne lui fait pas peur. Non-conformiste, sa façon de faire indique une remarquable cohérence, en même temps qu'un certain courage.
Dans la partie droite de la même photo, on aperçoit maintenant l’homosexuel « méchant ». C'est un théoricien offensif qui pense globalement. Il est porteur de doctrine sociale et politique (inscription de l'individu dans le collectif, et tout le bataclan). Il descend peut-être du F.H.A.R., l’antique Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (voir ci-contre). C'est peut-être cet élan révolutionnaire qui fait du mariage homo une revendication « de gauche ». Drôle d'idée, si on y réfléchit.
Cette politisation de l'homosexualité résonne bizarrement, d'ailleurs, et interroge. Franchement, l'idée n'est pas évidente : qu'y a-t-il de gauche, plutôt que de droite, dans la pédérastie et dans le lesbianisme ? J'ai du mal à voir du politique dans le sexuel. Et qu'on ne me ressorte pas, pour me prouver le contraire, les théories sociologiques de l'organisation et de l'administration de la sexualité par la structure sociale. Et qu'on ne me ressorte pas WILHELM REICH et compagnie.
Si être homo faisait voter à gauche, c'est plus de 90 % de voix pour la droite qu'il devrait y avoir aux élections.
Voilà ce que je dis, moi.
A suivre.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean anouilh, littérature, politique, société, homosexualité, moeurs, morale, sexualité, communauté gay, islam, protestantisme, protestant, martin luther, mao tse toung, trotskiste, sunnite, chiite, fhar, mariage homo, adoption homo, marcel proust, le temps retrouvé