lundi, 13 mai 2019
LE FLÉAU DES HUMORISTES
18.000
Dix-huit mille, Sandrine Blanchard ne dit pas où elle a trouvé ce chiffre pour écrire son article dans Le Monde du 21/23 avril 2019 (titre : "Quand les humoristes se bousculent", car oui, ça se bouscule au portillon). 18.000, c’est le nombre de représentations données en 2017 de spectacles mettant en scène des humoristes (contre 7.380 en 2006, ça a plus que doublé en une dizaine d'années), dans des "stand-ups" ou autres. La profession recrute en masse. Il y a pléthore. L'usine à produire des comiques fonctionne à plein régime. Qu'est-ce qu'on rigole !

Le service militaire dans le souvenir de deux pères : celui de l'élève Chaprot (c'est lui qui raconte, et par écrit) et M. Raffray.
Le rire s'est rué sur la population comme autrefois la vérole sur le bas clergé (breton), et plus personne n'échappe à l'injonction de Big Brother : de même qu'il y avait un hygiénique "deux minutes de la haine" chaque jour dans l'univers de 1984 (George Orwell), de même vous n'échapperez pas, dans la grille de vos chaînes préférées, à l'obligatoire créneau réservé à la dilatation de la rate à heure fixe : "Qu'est-ce qu'on rigole !".
Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve effarant le chiffre de 18.000 spectacles comiques offerts aux Français en une seule année. Et chaque semaine, ce n’est pas moins d’une vingtaine de comiques professionnels (on dit "chroniqueurs") qui s’abattent sur France Inter,




Une page de pure virtuosité graphique.
chaîne publique, aux heures de grande écoute, comme autant d'hyènes (je pense évidemment à celle de Gotlib). Et je ne compte pas les annonces de spectacles comiques dans les pages « divertissements » (parfois même « culture » !) du journal Le Progrès. Et la peste soit des "chroniqueurs humoristes" dans toutes sortes d'émissions audiovisuelles ! C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai rayé France Inter de mon paysage auditif – l’autre étant l’invasion de l’antenne par la publicité.
J’étais à chaque fois horriblement consterné par les balivernes et les niaiseries débitées par l’un ou l’autre de ces sinistres, auxquelles les autres membres de l’équipe faisaient semblant de s’écrouler bruyamment de rire : j’imagine que l’obligation de rire était dans le cahier des charges de chacun, par contrat. Je trouve humiliante cette sorte d'entreprise (humiliante pour l'auditeur, je précise).
Il m’est arrivé, dans le temps, d’entrevoir à la télévision une émission de Philippe Bouvard, rendez-vous impérieux de comiques professionnels payés pour débiter à heure fixe des blagues drôlissimes et des jeux de mots farcis de quelques salacités, que tout ce petit monde faisait semblant de trouver irrésistibles. Et j’ai le regret de l’avouer : j’ai toujours été accablé devant Les Guignols de l’info, les rares fois où j’y ai assisté. Et pourtant, ces émissions étaient plébiscitées par l'audimat.

Victor de l'Aveyron, l' "enfant sauvage", au spectacle du Dr Itard, le soir à la veillée (vu par Gotlib).
Je dois être vraiment marginal : je vois une forme d’avachissement intellectuel et moral dans cette colonisation des chaînes publiques et privées par des gens payés pour faire croire qu’il existe encore des raisons de se marrer (mais il m'arrive de me marrer en entendant certains se prendre très au sérieux quand ils débitent avec componction et conviction leurs enfilades de flatulences à la mode). Quand il m’arrive – par erreur – de tomber sur de tels clowns stipendiés pour-heures-de-grande-écoute, j’ai l’impression de débarquer d’une planète située à des années-lumière, tant m’échappe la drôlerie supposée des propos tenus par les uns et les autres. Il est fort possible que ces saltimbanques me jugeraient un bien triste sire s’il m’arrivait de croiser leur route.
Dans le même genre de constat, il arrivait à une personne à laquelle je tenais beaucoup d’aller au théâtre Tête d’Or (généralement du « boulevard »), situé sur l’avenue de Saxe à Lyon. La dernière pièce qu’elle est allée voir (un machin de Laurent Baffie) lui a laissé l’impression désagréable d’être en complet déphasage avec l’ensemble des spectateurs, et avec l’époque : cette personne est restée de marbre d’un bout à l’autre, alors que la salle riait à se faire éclater la rate à la moindre saillie. Question de génération peut-être.

L'H.A.I. (homme à idée) inventant une slogan publicitaire pour "les pâtes qui font rire" (je ne sais plus quelle marque, mais il me semble bien ...).
Ce déluge de conneries – factices qui plus est – n’est pas selon moi un signe de bonne santé, mais l’indice alarmant d’un avilissement. Ces drôleries pas drôles me font penser à « du mécanique plaqué sur du vivant », mais pas au sens où l’entendait Bergson dans Le Rire. Ce sont plutôt des machines qui tournent à vide, et où, pourtant, les auditeurs se rassemblent (en foule, mais chacun chez soi) pour, disent-ils, passer un bon moment. L'industrie du rire ne sert à rien d'autre qu'à la "gestion du stress de la population" : c'est un truc de DRH soucieux de maintenir au "beau fixe" le moral du personnel et de prévenir tout ce qui risquerait d'entraver sa productivité.
Quelle perspective étrange : on admet l’enlaidissement de la réalité, pourvu que dans certains créneaux de la journée, on puisse « se détendre », « décompresser », « déstresser ». Tout se passe comme si la dégradation des conditions d’existence était considérée comme normale ou inéluctable, et qu’on acceptait de s’y plier parce que « c’est comme ça », et qu’après tout, quelques moments de divertissements quels qu’ils soient permettaient de les supporter. Les gens se disent : « Plus ça va mal autour de moi, plus j’ai besoin de réconfort et de dilatation des viscères ». Réflexe de survie en milieu hostile, sans plus.
Cela reste un très mauvais signe de l’état du monde qui nous entoure. Rien de plus terrible, en vérité, que ce rire de commande, ce rire administré, ce rire institutionnel, cette injonction de rire par ordonnance, fût-elle médicale. On aura beau me dire « défouloir », « soupape de sécurité », et tout ce qu’on veut, je reste convaincu que, quand le rire devient un besoin primordial, quand le rire devient le nouvel impératif social, je sens l'imposture, et j'augure mal de l’état de la société : plus il faut rire, plus je me dis qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de Danemark (c'est une citation).
Pour savoir comment va le monde, rien de tel que de prendre sa température (et je ne parle pas du changement climatique, mais du monde humain). L’épidémie de « besoin-de-rire » qui a gagné la France est un excellent moyen pour cela. Pour prendre la température du monde, j'avais proposé il y a déjà un certain temps, de mesurer la misère humaine en se servant de l’étalon humanitaire. Je crois que le rire peut servir tout aussi valablement de thermomètre.
Voyons l’humanitaire. Quand les situations de crises et les urgences (catastrophes naturelles, guerres, persécutions, famines et autres joyeusetés humaines) se multiplient, comme on en a l’impression de plus en plus vive, on observe qu’un sentiment de culpabilité diffus se répand dans les populations qui n'en sont pas les victimes, et cela produit presque mécaniquement leur altruisme, parce qu'elles n’ont pas à en souffrir. Et cet altruisme peut prendre une ampleur parfois impressionnante, parce que les gens éprouvent tout à coup, devant les images-chocs, des émotions violentes qui les poussent à réagir aussitôt par la générosité.

Campagne télévisée de sensibilisation de la population sur la crise au Biaffrogalistan.
Et plus l’altruisme grandit, plus les petites associations, pauvres et logeant dans des bureaux miteux, qui se proposaient au début de venir en aide aux malheureux du monde, se transforment en poids-lourds (Amnesty International, 1960 ; Médecins sans frontières, 1968, guerre du Biafra ; …), au point d’être devenues en quelques décennies des entreprises multinationales très riches et très administrées.
Quand Amnesty a ouvert à Lyon (angle rue de la Platière-quai de la Pêcherie) une boutique où les sympathisants pouvaient se procurer toutes sortes de colifichets siglés "Amnesty International", je me suis dit qu'il y avait un gros ver dans le beau fruit des bonnes intentions. J'avais même reçu une enveloppe publicitaire contenant LE crayon (ostensiblement siglé), vous savez, cette "arme" contre toutes les dictatures. Pitoyable. Les multinationales de ces chevaliers blancs ne fonctionnent plus, depuis nombre d'années, dans l'esprit qui les a fait surgir, mais selon leur logique propre de machine à collecter des fonds, où les frais de fonctionnement ont fini par engloutir de bonnes parts de la générosité publique. La "grande cause" initiale est devenue un prétexte.
Leur taille de mastodontes (dont la prospérité est cependant fondée sur la charité publique) a justifié, dans l’enseignement supérieur, la création de filières diplômantes destinées à former un haut encadrement très bien payé et tout désireux d’y faire carrière. Au point que l’homme de la rue finit par se demander ce qu’il reste de l’altruisme initial dans des structures qui reproduisent fidèlement le modèle du monde qui a créé les situations dramatiques à l’origine de leur naissance. Pour ma part, je ne sais pas ce que seraient aujourd'hui ces ONG caritatives s'il n'y avait pas eu à l'époque les magazines d'information illustrés et la télévision (cf. le Gotlib ci-dessus).
Soit dit en passant, on observe, après un demi-siècle d’action humanitaire, que les situations qui nécessitent les interventions d’urgence de l’armée humanitaire n’ont pas cessé de proliférer et de s’aggraver. Preuve, s’il en était besoin, que toutes les bonnes intentions du monde qui animent l’humanitaire ne servent strictement à rien en ce qui concerne la marche du monde, se réduisant à traiter exclusivement des conséquences de drames, souvent dans la précipitation et le désordre (voir Aceh, Népal, Haïti, …), et jamais des causes concrètes qui lui échappent par nature.
L’humanitaire n’est rien d’autre qu’un aveu d’impuissance, en même temps que la réaction, souvent épidermique, du désespoir devant l’ensauvagement du monde. L'humanitaire, c'est la petite cuillère qui entreprend de vider l'océan. L'humanitaire ne réfléchit pas et ne se pose pas de questions : il a le nez au ras de l'urgence. Il y a dans l'humanitaire quelque chose d'une bêtise obtuse et farouche.
L’article de Sandrine Blanchard dans Le Monde du 21/23 avril dernier met en évidence une inflation identique du côté de l’offre de divertissement comique à la télévision et dans les salles de spectacle. Pour plus que doubler entre 2006 et 2017 (de 7.380 à 18.000), il faut que quelque chose de grave se soit passé. Bon, on me dira qu’Hollywood a produit à la chaîne des films de délassement (de diversion) dans les années qui ont suivi le krach de 1929, et que la crise de 2008 est passée par là.

Fin d'un épisode d'un feuilleton télévisé américain auquel Gotlib n'a rien compris parce qu'il a manqué le début, qui exposait la problématique.
J’ai cependant tendance à ne pas me laisser rassurer par ce rapprochement. Mais je m’arrêterai là pour ce qui est de l’analyse des causes. Je me borne ici à faire part d’une impression pas drôle du tout : plus le monde est en mauvais état, plus devient pressante et massive l’urgence humanitaire, et plus devient impérieuse l’injonction de rire, de ne pas s’en faire, de voir le bon côté de la vie, de « positiver ». Et inversement, plus on me presse de donner (ma compassion, mon argent, mon temps, mon bénévolat, etc.), et plus on me propose de rire aux blagues d’armées de comiques troupiers professionnels toujours plus nombreuses, plus je me dis que non, le monde ne va pas bien.

Une des mésaventures d'un adepte des blagues du 1er Avril qui ratent toutes, cette année-là.
Et qu'il y a de l'aveuglement sur la réalité dans la réaction humanitaire, comme il y a de la dénégation dans la réaction d'hilarité.
Deux hyperinflations : deux symptômes du mal.
Voilà ce que je dis, moi.
Note : j'aime bien me marrer, mais je ne délègue à aucun guignol (non, pas celui de Lyon : tous les autres) le soin de m'épanouir les zygomatiques.
09:00 Publié dans DANS LES JOURNAUX | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : journal le monde, sandrine blanchard, quand les humoristes se bousculent, stand-up, gotlib, bande dessinée, rubrique-à-brac, élève chaprot, big brother, george orwell 1984, journal le progrès, philippe bouvard, le petit théâtre de bouvard, france inter, publicité, théâtre tête d'or, lyon, laurent baffie, ong, humanitaire, biaffrogalistan, amnesty international, médecins sans frontières, krach 1929, humour, humoristes, comique
mercredi, 08 mai 2019
L'EUROPE ET NOS POLITICIENS
Notes sur l'état européen de la nation française.
Les journalistes français, les politiciens français, les politologues et autres politistes français, tous gens de jugement très sûr, nous ont rebattu les oreilles avec un grand mythe fondateur de l’idée d’Europe : « le couple franco-allemand ». Ah ça, on peut dire que tous ces braves gens, forcément bien intentionnés, n'en doutons pas, nous l'ont fait bouffer, le foin du mythe franco-allemand. Mais aujourd’hui, c’est fini. La grande réconciliation, c’était De Gaulle-Adenauer, ensuite nous avons eu la belle entente Giscard-Schmidt, puis le spectacle de la belle entente Mitterrand-Kohl (ah, Mitterrand capturant par surprise la main de Kohl ! était-ce à Douaumont ?).
Depuis, plus rien, ou plutôt plus personne. Visiblement, il y a quelque chose de pourri dans l’étroite union des piliers qui, à eux deux, formaient le socle granitique sur lequel allait s’élever l’astre resplendissant de l’idée européenne : l’Allemagne et la France. Les deux pays ne sont plus sur la même longueur d’onde, le « moteur de la construction européenne », après avoir toussé et hoqueté, s’est arrêté, l’Europe est en panne.
Je ne vais pas me lancer dans une analyse fouillée des raisons politiques, économiques ou idéologiques qui expliquent cette mise au point mort : je laisse aux « spécialistes », « experts » et tous les Diafoirus de profession le soin de développer ce genre de considérations savantes. Je veux juste, en citoyen ordinaire, exposer quelques observations qui me sont venues au fil du temps, en particulier sur la façon dont l’ensemble de la classe politique française considère l’implication de la France dans le processus de construction européenne. Je précise tout de suite que je ne me suis pas trop embarrassé de nuances. Que le lecteur ne soit pas trop scandalisé s'il me trouve quelque peu injuste.
Ma première remarque est pour observer que la construction européenne, et depuis fort longtemps, n'intéresse pas nos politiciens. On peut dire que, pris dans leur globalité, ils ne brillent pas par leurs motivations européennes. L'Europe, ils n'ont pas grand-chose à en faire. Peut-être, après tout, parce qu'ils ne se préoccupent guère du fait que la France ait ou non un destin. "D'accord pour envoyer à Bruxelles des sous-fifres ou des "seconds couteaux", mais ces raisins sont trop verts pour moi, tout juste bons pour agacer mes dents de grand fauve : je laisse la besogne à plus humble que moi." Qu'on se le dise, le politicien français considère la construction européenne de tout le haut de sa hauteur.
Si les politiciens français avaient pris au sérieux la construction européenne, il y aurait eu depuis fort longtemps un ministre d'Etat aux affaires européennes, et un ministre inamovible quelles que soient les alternances, et non pas de vagues secrétaires d'Etat obscurs et interchangeables. Il y aurait eu des luttes féroces et des rivalités épiques entre les ambitieux "cadors" de la politique française pour occuper cette place prestigieuse. Et les "ténors" de notre classe politique n'auraient pas eu la politesse exquise de laisser la place aux pauvres diables obligés de s'y coller en leur disant : "Après vous s'il en reste".
Accessoirement, les électeurs ne bouderaient peut-être pas autant les urnes s'il y avait eu dès le début des listes internationales de candidats pris dans tous les pays. Le fait que les listes de candidats soient nationales pour l'essentiel n'a pu qu'ajouter de la distance entre les populations et la nouvelle institution.
Il me semble que la raison de ce désintérêt des politiques est assez simple : ils ne trouvent aucun intérêt à s'engager dans un travail qu'ils considèrent avant tout comme fastidieux, et surtout où ils ne voient aucun moyen de faire carrière. Au contraire, en réduisant leur activité à l'hexagone, même sans parler de cursus fulgurant, juste en rendant le plus de services possible à des gens bien placés, après avoir bien usé leurs genoux dans les prosternations devant les puissants réels ou pressentis, ils gardaient l'espoir que ceux-ci auraient l'honnêteté de leur "renvoyer l'ascenseur" en leur procurant une sinécure confortable : Conseil d'Etat, Cour des Comptes, CSA, Conseil Economique et Social, jetons de présence dans des conseils d'administration, une direction à l'Institut du Monde Arabe (cas de Jack Lang : à qui cet ami de tout le monde n'a-t-il pas rendu de "petits services" ?), etc. : il n'y a pas que les parachutes qui soient dorés, il y a aussi beaucoup de pantoufles. Non, l'Europe n'intéresse nos politiciens en aucune manière, sinon à l'approche d'échéances électorales.
Cette façon de voir et de faire, dont je crois que le caractère principal est la médiocrité insigne, n’est pas pour rien, à mon avis, dans l’éviction progressive de la France des instances de décision dont procède l’orientation que doit prendre la construction collective. Car si la France pèse si peu aujourd’hui dans l’Union européenne, ce n'est pas seulement parce que celle-ci est passée de 6 à 28, c’est aussi parce que, à quelques notables exceptions près (Delors, Barnier, Moscovici, …), l’immense majorité de nos politiciens professionnels considèrent depuis très longtemps d’éventuelles responsabilités à Bruxelles ou Strasbourg au mieux comme des exils provisoires ou des punitions imméritées, au pire comme des oubliettes, en tout cas comme une tache sur leur CV de professionnels de la politique. Et ce n'est pas le choix de têtes de listes comme Loiseau ou Bellamy qui va pouvoir convaincre du contraire.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que la réputation globale des députés français au Parlement européen n’est pas bonne, beaucoup d'entre eux n'ayant pour seul souci que de revenir à Paris au bout d'un seul mandat. Au point que leurs collègues des autres pays (en particulier les Allemands) sont tout étonnés d’en revoir certains après l’élection suivante, et c’est seulement alors (et à la longue) que quelques-uns finissent par être pris au sérieux par les autres députés. La plupart, n’ayant aucune considération pour le travail d’édification des règles communes, sont tenus pour des jean-foutre (pour autant que je puisse m'en faire une idée).
Pour une majorité de politiciens français, en effet, être élu aux européennes signifie cinq ans de purgatoire, et cinq ans pour lesquels je serais curieux de consulter la feuille de présence aux assemblées et aux commissions. On se rappelle quelle avait été la rage de Rachida Dati quand Nicolas Sarkozy, pour je ne sais quelle raison profonde, l’avait bombardée tête de liste pour les Européennes de je ne sais plus quelle année (ça doit être facile à retrouver). Je signale en passant que la dame, en course pour la Mairie de Paris, touche toujours son indemnité européenne (j'imagine qu'elle est toujours une élue, bien qu'elle se garde d'en faire état). Je n'ai pas vérifié son taux d'absentéisme aux assemblées et réunions de Bruxelles ou Strasbourg (c'est que le 7ème arrondissement de Paris est si vaste !).
Combien sont-ils, ceux qui ne se représenteront pas le 26 mai après vingt ans de bons et loyaux services (quatre mandats, s'il vous plaît) dans les rangs de l’Assemblée européenne ? C’est le cas, paraît-il, de Pervenche Bérès et Alain Lamassoure, sûrement quelques autres : belle performance. J’ai bien l’impression que ces rares individus somme toute hors du commun font exception, dans un ensemble de personnes qui se jugent sûrement trop importantes sur le territoire national pour aller perdre leur temps et gâcher une belle carrière potentielle en allant s’enterrer à Bruxelles.
L’impression étrange que produit cette situation particulière, c’est d'abord l'incroyable confinement hexagonal de l'esprit qui habite l'ensemble de la classe politique française, mais c'est aussi la remarquable ambivalence qu'elle manifeste à l’égard de l’Europe. Car c’est une double unanimité chez les hauts responsables et autres personnels politiques : d’une main (souverainiste), quand le besoin (électoral) s’en fait sentir, ils dénoncent la bureaucratie tatillonne de Bruxelles, ses réglementations ridicules et ses décisions juridiques qui s’imposent au droit français (la Commission vient de mettre en demeure la France de privatiser tous ses barrages pour les mettre en concurrence) ; de l’autre main, ils ont tous, et à l’unanimité (le plus souvent sans le crier sur les toits), signé et fait ratifier les traités successifs qui engagent la France dans toujours plus de perte de souveraineté. Et la seule fois où ils ont demandé aux Français ce qu’ils en pensaient, ils se sont assis sur l’expression du vote populaire (2005). Je me trompe : il y a eu le "oui" à Maastricht (en 1992 ?).
L’Europe est mal foutue, c’est sûr. Elle n’est pas démocratique : on élit les députés, mais le Parlement a des pouvoirs limités : c’est la Commission (avec ses 34.000 fonctionnaires – c'est-à-dire non élus – grassement payés) qui a l’initiative des propositions. Elle se réduit à un simple espace de libre-échange économique dominé par une logique ultra-libérale implacable, où prospèrent impunément quantité de lobbies financièrement surpuissants au service de toutes sortes de firmes privées, mais aussi quelques paradis fiscaux qu'aucune discipline collective ne tracasse. De plus, la sacro-sainte règle de la « concurrence libre et non faussée », terrible aberration, outre qu’elle incite chaque pays à entrer en concurrence avec tous les autres, interdit au continent européen de devenir une véritable puissance capable de se doter elle-même de tous les attributs de la puissance.
Mais l’Europe que nous avons, cette Europe qui révolte le bon sens, ne serait peut-être pas ce n’importe quoi vaguement monstrueux, si les hommes politiques français avaient consenti à se donner un peu de mal pour édifier une autre Europe, plus conforme aux aspirations spécifiques et à l'histoire particulière des Français. Mais il aurait fallu pour cela qu'ils soient motivés et qu'ils se battent, il aurait fallu qu’ils travaillent, qu'ils se donnent de la peine, qu'ils déploient des efforts, enfin qu'ils acceptent de faire quelque chose pour leur pays. Qu'ils soient animés par le désir de le servir.
Là n’est peut-être pas la seule raison de la dilution, et même de la dissolution de la France dans le gloubi-boulga informe et ingouvernable que l'Europe est devenue. Mais il y a fort à parier que si les hommes politiques français avaient considéré la construction européenne comme une ouverture sur de belles et prometteuses perspectives et comme le champ de réalisation pour des projets enthousiasmants pour le pays et non comme un lieu de relégation pour politiciens ratés, le pays pèserait (et aurait pesé) davantage dans la définition des objectifs à atteindre et dans les orientations collectives. Et les électeurs français auraient des raisons de se rendre en masse aux urnes (on peut rêver), pour célébrer une Europe qui leur ressemblerait alors un peu plus.
Au lieu de ça, nous avons vu des pléiades de velléitaires sans caractère et sans énergie aller à Bruxelles à reculons et faute de mieux. Il aurait fallu que toutes les élites politiques du pays se mobilisent, se saisissent vigoureusement de la nécessité d’aller à Bruxelles pour conserver à la France la place éminente qu’elle occupait en Europe, de même que De Gaulle, après la guerre, avait conquis de haute lutte (grâce aussi à la mort de Roosevelt) le siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU qu’elle occupe encore (beaucoup se demandent comment ça se fait).
Dépourvus du minimum de fierté nationale et de combativité, ils ont été incapables de convaincre leurs partenaires que, en dehors du « modèle allemand », du « modèle suédois » et autres rengaines journalistiques complaisantes, il y avait peut-être une place pour le « modèle français ». L’incroyable répugnance préalable, le défaitisme objectif qui a guidé la classe politique française est sans doute pour quelque chose dans la destruction méticuleuse et longuement programmée de tout ce qui ressemblait à un « service public à la française ». Prompte à célébrer l'héroïsme de ses "Résistants" de la Guerre mondiale (1% de la population ?), la France, s'agissant de l'Europe, s'est mise à plat-ventre et a accepté sans combattre de se dissoudre, de renoncer à ce qui la rendait unique dans "le concert des nations", avant même d'avoir eu l'idée de lutter pour défendre son identité (allons, j'ose le mot).
La question qui me vient est de savoir à quel mystérieux facteur les Français doivent l'abyssale médiocrité de leur classe politique. Des administrateurs compétents, des gestionnaires habiles, des comptables scrupuleux, mais pas d'hommes d'Etat : voilà en résumé la composition du personnel qui gouverne le pays. Comme Diogène en d'autres temps, la France cherche en vain un homme qui sache vraiment ce que ça veut dire, la Politique (au sens noble du terme). Un homme qui serait en mesure de "se faire une certaine idée de la France". Et qui ne serait pas obsédé par les opportunités personnelles et par le "calcul de ce qui est possible" (petites ambitions médiocres de sous-chefs de bureau), mais habité par une véritable volonté de faire quelque chose de plus grand que soi (au hasard : la France).
Si les Français n'aiment guère l'Europe, c'est sûrement parce qu'ils ont compris que ce gros machin compliqué, administratif, inaccessible et incompréhensible a été fabriqué en dehors d'eux, loin d'eux, au-dessus de leurs têtes, malgré eux et de façon à bouleverser ou détruire leurs traditions les plus ancrées et leurs manières de voir, mais c'est aussi à cause de l'attitude craintive, équivoque et finalement décourageante d'une classe politique française, à qui l’Europe apparaissait sans doute comme une nécessité souhaitable, mais surtout comme un épouvantail qui ne méritait pas qu'on y investisse un maximum d'énergie et d'intelligence.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : france, nation, société, politique, élections européennes, de gaulle, konrad adenauer, giscard d'estaing, helmut schmidt, françois mitterrand, helmut kohl, allemagne, couple franco-allemand, diafoirus, union européenne, commission européenne, bruxelles strasbourg, conseil d'état, cour des compte, csa, jack lang, institut du monde arabe, jacques delors, michel barnier, pierre moscovici, parlement européen, rachida dati, nicolas sarkozy, pervenche bérès, alain lamassoure, emmanuel macron
samedi, 04 mai 2019
LA LUMIÈRE DANS L’ŒIL DE SOPHIE
C'est la Sophie de Richard.
A sa façon très particulière de retenir la lumière, je me dis que ce morceau de matière (noble), artistement façonné de main d'homme, recèle quelque mystère inaccessible, et c'est ce qui me ravit.
Merci à M.C. d'avoir rendu cette photo possible.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
vendredi, 03 mai 2019
FAILLITE DES SYNDICATS
Philippe Martinez, leader de la CGT, a donc reniflé des lacrymogènes à cause de la stratégie des "Black blocks", qui ont été assez habiles pour obliger la police à ne plus faire de différence entre les manifestants traditionnels et légitimes (le 1er mai, c'est un peu le 14 juillet des travailleurs moins le pas cadencé et les avions de chasse en rase-mottes) et les bandits casseurs de tout qui profitent de l'aubaine. C'est vrai que le défilé du 1er mai, ça fait très "cérémonie officielle", c'est devenu quasi-obligatoire pour les organisations syndicales de marcher ce jour-là de Nation (ou Bastille) à République. D'abord parce que ça se fait, et puis aussi qu'est-ce qu'on dirait si on le faisait pas ? Bref, c'est jour de fête, qu'on se le dise.
Malheureusement, cette fois ça a mal tourné. Pensez, le cégétiste en chef obligé de quitter la tête du cortège (avant de réintégrer un peu plus tard). Je ne peux pas m'empêcher de penser que le fait n'est pas sans signification. Et de le rattacher à un phénomène plus général, je veux parler du fait que l'ensemble de ceux qui s'appelaient autrefois la "classe ouvrière", et qu'on a simplement regroupés sous le terme générique plus "actuel" de "travailleurs", tous ces gens n'ont plus personne pour les défendre contre les méfaits d'un capitalisme de plus en plus sauvage et débridé, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan syndical.
Politiquement ? Il suffit de regarder le champ de bataille : l'armée française après la Bérézina. Les prochaines élections européennes le montrent de façon aveuglante : des petits chefs brandissant les lambeaux de quelques drapeaux dans l'espoir de "rassembler les forces de gauche", mais à la condition expresse posée par chacun que ce soit derrière leur drapeau à eux, et pas un autre. Remarquez, le Parti "Socialiste" avait montré le chemin depuis très longtemps, plus exactement depuis 1983 et le "tournant de la rigueur" initié par Mitterrand.
Et le PS a bravement poursuivi dans cette voie, sous la houlette de ses nouveaux cadres à costumes trois-pièces et attaché-case, et de sa Fondation "Terra Nova", qui sont allés, il y a une dizaine d'années, jusqu'à proposer de laisser tomber la "classe ouvrière" pour se tourner vers les "classes moyennes" plus sensibles aux thèmes "modernes" d'une gauche sociétale qui a adhéré aux lois du marché et à la concurrence de tous contre tous, et qui a rejeté les luttes proprement sociales pour se tourner vers l'aberration de la conquête de droits individuels toujours nouveaux (les désirs de l'individu, quels qu'ils soient, devenant autant de droits).
Quant au Parti Communiste, après s'être fait rouler dans la farine par Mitterrand, il n'a plus arrêté de dégringoler de marche en marche à chaque élection, au point de se retrouver en bas de l'escalier, en fauteuil roulant, en se demandant encore ce qui lui est arrivé pour être tombé si bas. Toujours est-il qu'une "insécurité sociale" s'est installée au sein de la classe ouvrière, évidemment aggravée par la désindustrialisation de la France quand son potentiel industriel a commencé à être vendu à la Chine et autres pays à "faible coût de main d'œuvre", sous la pression d'actionnaires de plus en plus gourmands.
Du côté syndical, certes, on parle toujours des "partenaires sociaux" et de la nécessité du "dialogue social", mais qu'en est-il en réalité ? D'abord, l'incroyable division des "forces syndicales", qui se livrent une lutte féroce pour capter les voix des rares travailleurs qui participent aux élections professionnelles. Face à cette division, un patronat de plus en plus compact et intransigeant : quand les troupes adverses tirent à hue et à dia, on ne va pas se fatiguer à faire des concessions, non ?
La chute du Mur, de l'Union soviétique et du communisme a encore aggravé le déséquilibre des forces. Et je ne parle pas du délitement des liens sociaux et de la montée irrésistible de l'individualisme, qui sont autant de freins au sentiment d'appartenir à la vaste collectivité des travailleurs. Un signe qui ne trompe pas : malgré le clairon qui sonne régulièrement l'alerte à propos d'une "France toujours en grève", le nombre de jours de grève depuis trente ans n'a cessé de diminuer : c'est un droit auquel les travailleurs ont de moins en moins recours.
Un autre facteur a pu jouer dans le fait que les forces syndicales se sont vidées de leur sang : leur compromission dans la gestion des institutions liées au partenariat social. Je me rappelle qu'un grand patron (était-ce Denis Kessler ? était-ce du temps du CNPF ou du MEDEF ?) avait parlé de la "nécessaire lubrification des relations sociales dans les entreprises", parlant d'étranges sommes en liquide qui avaient disparu dans on ne sait trop quelles tuyauteries. Et dans un domaine que je connais un peu mieux (Education Nationale), les syndicats d'enseignants ont acquis au fil du temps une influence telle qu'ils étaient d'une certaine manière associés à la gestion du ministère (et qu'ils sont à l'inspiration de quelques réformes, sur fond d'égalitarisme obtus et de pédagogisme militant, dont il est clair aujourd'hui qu'elles étaient catastrophiques).
Alors, c'est vrai, pour faire semblant de "pousser les luttes", le SNUIPP et le SNES-FSU lançaient de temps en temps un mot d'ordre de grève de 24 heures, qui n'avait pour effet que de mettre en vacances les élèves et de coûter une journée (1/30 du traitement mensuel) sur les fiches de paie de la fin du mois. Mais ça, c'était de plus en plus "pour de rire". Quelles que soient la force des luttes, la puissance des manifestations, la clameur des protestations et des colères, la nouvelle situation globale des travailleurs s'est progressivement imposée, défaisant les positions acquises, remettant en question tous les droits sociaux fièrement acquis.
Tout ça reste bien approximatif (je ne suis pas spécialiste et je ne fais pas l'histoire du processus, je suis juste un citoyen ordinaire qui s'intéresse à ce qui se passe et qui essaie de comprendre ce qui s'est passé pour que ça n'arrête pas de dégringoler), mais c'est pour dire que les syndicats français sont moralement impurs, et qu'ils se sont compromis dans de drôles de relations de double-jeu avec les puissants. Dans ces conditions, il devient pour le moins compliqué de proclamer qu'on défend les droits et les intérêts des travailleurs. La CGT a beau montrer ses gros bras et étaler ses drapeaux rouges, elle n'est plus grand-chose (FO, CFDT, etc. guère davantage), et la mésaventure du 1er mai arrivée à Martinez en est un signe.
Car dans ces conditions, on comprend aussi parfaitement qu'à peine 8 ou 10% des travailleurs français soient syndiqués. D'autant que dans le même temps, on a assisté à la libération de la circulation des capitaux et à la financiarisation de l'économie, qui a vu décroître sans cesse la part des revenus du travail dans la distribution des richesses produites et s'accroître avec une impudeur arrogante la part des revenus du capital (quitte à sacrifier l'investissement au passage, jetant aux orties la "règle" (?) des trois tiers : capital, travail, investissement).
Tout cela a fait que, malgré toutes les actions, malgré toutes les grèves, malgré toutes les manifestations, malgré tous les défilés du 1er mai, les salaires ont été "contenus", les conditions de travail sont devenues plus difficiles à supporter, le management à l'américaine ("lean management" et autres trouvailles) a usé les âmes, la vie est devenue plus dure, non seulement pour les ouvriers, mais aussi pour les employés, y compris les couches de populations de niveau de vie "correct" (les "classes moyennes" pas trop favorisées).
Résultat des courses : après la faillite programmée des partis politiques traditionnels de gauche, c'est au tour des syndicats de ne plus rien peser : insécurité sociale grandissante, précarisation, paupérisation, pas de raison de se gêner, il n'y a plus personne en face, on peut y aller carrément.
C'est un point d'aboutissement logique : la "classe ouvrière" d'autrefois, les travailleurs d'aujourd'hui n'ont plus personne pour défendre leurs droits et leurs intérêts face à des entreprises et à des actionnaires de plus en plus voraces. Les travailleurs sont non seulement à poil, mais ils sont aussi pieds et poings liés. Et certains font encore semblant de se demander pourquoi les gilets jaunes.
Voilà ce que je dis, moi.
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jeudi, 02 mai 2019
ÊTRE JOURNALISTE ET ANTI-GILETS JAUNES
Le journalisme est un métier aux potentialités souvent méconnues. Certaines mauvaises langues prétendent qu'on devient journaliste politique quand on est un politicien raté, un journaliste littéraire quand on est un écrivain raté, un journaliste spécialisé dans les questions éducatives quand on a raté le CAPES ou l'Agrégation, bref : qu'un journaliste est souvent le raté du métier qu'il aurait voulu exercer. Je ne dis pas que ce soit faux, mais de là à généraliser, il y a un pas que ma bonté foncière se refuse à franchir : après tout, il y a peut-être des exceptions.
Mais il est un métier que tout journaliste un peu chevronné, sans le savoir et parfois sans le vouloir, pratique aisément sans l'avoir appris et sans que le public en ait une claire conscience : le métier de prestidigitateur. La façon dont la cause du mouvement des gilets jaunes a été escamotée en est une preuve, et tient de cette technique inhérente à une longue pratique du journalisme, selon le principe : "Ce dont je parle fait disparaître ce dont je ne parle pas".
C'est ce que le grand linguiste, Chaïm Perelman, appelle "l'effet de présence" (dans son immense Traité de l'argumentation). Pour transformer le lapin du chapeau en ballon gonflable, cela consiste à parler exclusivement du ballon. En l'occurrence, le lapin est le gilet jaune, et le ballon gonflable est le casseur. Les vases communicants : on dégonfle l'un pour mieux donner à l'autre les boursouflures qui conviennent au spectaculaire. Comme disait Loïc Wacquant dans Punir les pauvres (Agone, 2004), au sujet de la mise en place et en scène de l'ordre policier : « Tout d'abord, elle est conçue et exécutée non pas pour elle-même mais "dans le but d'être exhibée et vue", scrutée, reluquée : il s'agit en priorité absolue de faire du spectacle, au sens propre du terme ».
Conclusion : la vérité des gilets jaunes s'est fait atomiser.
Je ne sais pas vous, mais moi je suis frappé (façon de parler !) par la façon dont les journalistes de radio (j'écoute principalement France Culture) rendent compte du mouvement et des manifestations des "gilets jaunes". Dans la profession, on semble se donner un alibi en proposant une petite interview d'un gilet jaune, si possible choisi parmi la demi-douzaine qui se sont fait un nom depuis les premiers jours.
Mais le fond du problème, dont les données n'ont pas changé d'un iota depuis le début, dort désormais au fond des oubliettes. En ce soir de 1er mai, les journalistes de France Culture se sont surpassés, consacrant l'essentiel du journal de 18h. aux dégâts commis par les casseurs dans le quartier de Montparnasse, sans dire un mot de la situation économique des classes moyennes "périphériques", situation qui les a poussées sur les ronds-points. Je dis que c'est tout simplement dégueulasse.
Cela n'empêche pas les journalistes de rapporter du terrain des victuailles vendables, mais ils parlent exclusivement de l'aspect policier de l'événement : on donne largement la parole au ministre de l'intérieur, au premier ministre, aux syndicats de police, on parle des casseurs, on analyse les groupes, l'idéologie et les ravages des "black blocks", on chiffre parfois les dégâts, on parle de la catastrophe que constituent tous ces samedis de zéro chiffre d'affaires des commerçants, mais sur les raisons premières, sur l'étincelle qui a mis le feu aux poudres de la colère, c'est, au sens propre, silence radio.
Tout juste les journalistes acceptent-ils, furtivement et à mots couverts, d'évoquer de "possibles violences policières disproportionnées". Le bulletin d'information du samedi soir (et d'hier soir) se résume à une narration serrée et à un bilan chiffré des violences. L'événement est ramené à sa dimension de banditisme de droit commun et à sa répression légitime. La prestidigitation, c'est ça.
Même prestidigitation, quoiqu'en plus spectaculaire, à propos du "Grand Débat" : le journal que je lis et la radio que j'écoute ont rendu compte en long, en large et en épais, des séances où Emmanuel Macron a eu le "cran" de se soumettre des heures durant au feu roulant des questions des maires de diverses régions de France, puis de quelques citoyens, mais rien ou si peu que rien sur la pertinence et le bien-fondé de ce "Grand Débat". Or il est flagrant que cette mousse médiatique a été soigneusement montée pour être la grande réponse du pouvoir à une question ... qui n'a jamais été posée par les gilets jaunes, comme le prouvent quelques études parues sur les compositions sociologiques comparées de deux ensembles.
Les gilets jaunes se sont juste mis en mouvement parce que leurs fins de mois étaient de plus en plus difficiles, et pour quelques autres raisons secondaires. La sociologie de cette population est celle de gens qui, le plus souvent, ont un travail, un salaire, une famille, peut-être une maison à finir de payer, et qui sont dans le rouge à la banque de plus en plus tôt dans le mois. La sociologie des participants au "Grand Débat", en revanche, est plutôt celle de retraités relativement aisés, dotés d'un bon degré d'instruction et d'un capital culturel satisfaisant.
Cela signifie une chose évidente : Emmanuel Macron, en organisant le grand théâtre du "Grand Débat", s'est comporté en prestidigitateur de talent, en s'adressant à ceux qui ne manifestaient pas, et en se gardant bien de répondre à ceux qui manifestaient en allant tous les samedis se les geler sur les ronds-points. En parachutant sur la France un "Grand Débat" que nul n'avait demandé et dont nul ne sentait la nécessité, Macron a presque réussi à imposer silence à ceux qui manifestaient pour exprimer leur souffrance sociale. C'est totalement immonde, même s'il faut reconnaître que c'est politiquement redoutable. Une manière de ressusciter l'adhésion défaillante en se gardant surtout de traiter le fond du problème. Passez muscade !
Samedi après samedi, il ne reste donc du "mouvement" des gilets jaunes plus que des souvenirs et des images de gaz lacrymogènes, de vitrines cassées, de casseurs-pilleurs, de pousse-au-crime appelant les policiers au suicide, d'yeux crevés, de mains arrachées, de commerçants aux abois, de policiers dévastateurs et en "burn out".
Accessoirement, il reste aussi un président inflexible dans sa réponse policière et dans sa politique économique, fuyant devant la signification profonde de tout ce schproum, et qui s'efforce de disqualifier le mouvement en le réduisant à l'humeur exaltée de quelques excités augmentés de quelques extrémistes. Il pose une dénégation massive sur la réalité de la souffrance sociale due à l'injustice du système économique qu'il défend : circulez, y a rien à voir ! Autrement dit : fermez vos gueules. Soit dit entre parenthèses, je m'étonne, à propos des méfaits et brigandages des "black blocks", que personne ou presque ne se pose la question de savoir à qui le crime profite.
Les bonnes âmes peuvent toujours dénoncer les cris de haine qui ont été lancés à l'adresse du pouvoir en général et de Macron en particulier. S'il y a ici un fauteur de haine, il s'appelle d'abord l'ordre (appelez-le l'empire, le système, ...) économique ultralibéral, qui vide la planète de ses richesses et la vie humaine de sa signification, mais il porte aussi le nom de son « très humble et très obéissant serviteur » (formule de c'était du temps où il fallait respecter les formes, quoi qu'on en pensât) : Emmanuel Macron.
En attendant, il est clair que la gent journalistique installée montre avec constance, par sa façon de "traiter" (sélectionner, organiser, ...) l'information, qu'elle a pris parti contre les gilets jaunes, dont elle tait ardemment les motivations d'origine. En revanche, tout ce que font les "Black blocks", qui profitent de l'aubaine des manifestations de rue pour mener des actions d'une "guerre" contre je ne sais quoi, les journalistes le racontent avec un luxe de détails. Ils savent exactement le genre d'effet que ce genre d'images et de récits peut avoir sur les "braves gens".
Ici, la profession journalistique montre qu'elle est sourde, aveugle et muette, je veux dire qu'elle s'avère incapable de rendre compte d'une problématique complexe et globale (les effets désastreux à long terme de l'ultralibéralisme sur les conditions de vie des classes moyennes), en se perdant dans la narration sotte et bornée des effets les plus connexes, les plus indirects, les plus secondaires, mais les plus spectaculaires, qui pourrissent l'expression sérieuse et durable de cette problématique.
La presse dans son ensemble voudrait montrer par là qu'elle est au service du pouvoir (vous savez, Les Chiens de garde, Les Nouveaux chiens de garde, ...), elle ne s'y prendrait pas autrement. Je doute que ce soit là la vérité, mais tout se passe comme si. La faute, peut-être, aux sacro-saintes "grilles de lecture" et à la priorité accordée à l'événementiel, place finalement obtenue par effraction par les violents de profession, au détriment de l'analyse de la situation.
Le choc des photos a vaincu le poids des mots.
Voilà ce que je dis, moi.
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mercredi, 01 mai 2019
PREMIER MAI ...
... JOUR DU BONHEUR DE GASTON LAGAFFE.
Le travail, Gaston aime lui faire sa fête le plus souvent possible.

Qu'il soit dans le ventre de la documentation de Spirou (tout y est : le chat, la mouette rieuse, le transistor, la lumière, la poêle à frire. Que c'est simple, le bonheur !) ...

... ou en reportage au zoo,
pour Gaston,
c'est tous les jours premier mai !
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mardi, 30 avril 2019
GASTON
On n'en a jamais fini avec Gaston Lagaffe, et si l'on me demandait lequel de ses environ 900 gags je préfère, je serais bien embarrassé. Mais, pour finir la présente série de billets, il y en a quand même un qui continue à me ravir chaque fois que je tombe dessus, c'est celui qui porte le n°787. Deux ouvriers arrivent un jour pour changer la moquette du bureau. L'action de Gaston est nulle : il ne fait strictement rien, sauf qu'il dort à poings fermés sur sa chaise de bureau (j'allais dire : comme d'habitude).
Le malheur veut que, d'une part, la chaise soit munie de roulettes, et d'autre part, que les deux ouvriers en question se trouvent être en harmonie complète avec le caractère le plus profond de Gaston : se débrouiller pour que le réel se mette à se gondoler devant les potentialités subversives que leur esprit créatif y décèle et leur suggère aussitôt. C'est la seule présence de Gaston roupillant qui fait partir en vrille l'imagination des deux compères : ils se mettent à jouer comme des gamins. En huit vignettes, Franquin synthétise sa vision du monde : l'ordre des choses n'attend, pour devenir vivable, que d'être dérangé. Prunelle fait un diagnostic assez juste, en estimant que l'esprit de Gaston est contagieux : rien que par le fait qu'il existe – et qu'il est là – ce garçon (de bureau) est dangereux.








S'il existe une philosophie de l'existence qui s'appelle "gastonlagaffisme", cette planche l'illustre à la perfection.
Les deux poseurs de moquette apparaissent dans deux autres gags : celui, ô combien célèbre, dit "de la morue aux fraises",

et celui d'une expérience de chimie inoubliable (je ne montre pas l'explosion qui les projette sur les toits, mais on voit qu'ils sont tous les trois carbonisés et comblés de joie).



Non, je n'idolâtre ni Gaston, ni Franquin, son créateur. Ce qui m'arrive, c'est juste l'émerveillement devant le pouvoir d'un dessinateur d'éveiller l'empathie immédiate du lecteur devant la naïveté créative de Gaston.
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lundi, 29 avril 2019
SIGNÉ FRANQUIN
Franquin fait définitivement partie de mon panthéon de bédéphile de la vieille école. Après avoir révisé mes Gaston Lagaffe et célébré comme il se doit M. de Mesmaeker et le gaffophone, ces instruments du destin contrariant et contrarié de l'équipe de rédaction du journal Spirou (Fantasio, Prunelle, Moiselle Jeanne,

Voilà l'effet que fait "Monsieur Gaston" à Moiselle Jeanne (on se demande jusqu'où Franquin serait prêt à aller dans la description des relations "concrètes" entre les deux s'il dessinait dans une autre revue que "pour la jeunesse", mais voilà, Spirou oblige : il se retient, et c'est peut-être mieux ainsi), qui vient d'essayer sa nouvelle "invention" : un divan si confortable que Prunelle s'en étonne. A tort : Gaston l'a bourré de tout le "courrier en retard".
Lebrac, Bertje, etc.), je me suis penché sur un détail qui échappe normalement à l'attention du lecteur et qui est fait a priori pour passer inaperçu, à cause de sa taille réduite et de sa position hors-cadre : la signature. On voit que Franquin sait à merveille faire quelque chose de ces "hors-sujet", et que la lettre "q" du nom de l'auteur est savamment mise à contribution.
Comme les musiciens qui reviennent sur scène pour répondre à l'appel du public et lui donner encore quelque chose, Franquin a fini par faire de sa signature une aventure à part entière, qui forme comme un aparté, un petit commentaire du gag qui vient de se dérouler, presque une histoire


en soi, ce qu'on appelle une saynète. Inutile de s'attarder à faire l'éloge de ces dessins miniatures (ils sont ici agrandis) : on connaît la virtuosité de ce maître du trait.
Je précise que je me suis limité à quelques-unes des signatures figurant dans les volumes 12, 13 et 14 des aventures de Gaston. Ce mince échantillon montre à suffisance à quel degré se porte l'exubérance de l'imagination du bonhomme.





































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dimanche, 28 avril 2019
GAFFOPHONE
Curieusement, j'ai été très surpris, dans l'ensemble des aventures de Gaston Lagaffe, par le petit nombre des planches dont le thème principal est le gaffophone, ce terrible monstre antédiluvien censé produire des sons musicaux (la sensibilité auditive de Gaston a quelque chose à voir avec la voix d'Assurancetourix – « Non, tu ne chanteras pas ! » –, le célèbre barde gaulois), mais qui en réalité produit des effets comparables aux pires machines de guerre sorties d'un cerveau humain (on pense un peu (pas plus) au moment où Assurancetourix peut enfin donner toute la mesure de son "talent" face à la tribu des féroces Normands, venus là pour apprendre à voler en apprenant la peur, au motif que « la peur donne des ailes »).
J'ai dénombré une vingtaine de gags en tout et pour tout. Au fond, c'est terriblement peu quand on se réfère à la résonance stratosphérique de la trouvaille. Car cette invention qui tient d'une harpe XXL additionnée d'un gros tambour et d'un énorme tam-tam africain pour la "résonance", capable de produire des vibrations comparables à la puissance d'une éruption volcanique ou à un séisme de magnitude 10, issue du cerveau prolifique de Gaston par la médiation de celui de Franquin, son interprète, son mage, son prêtre terrestre, est capable, en plus de résister aux termites traîtreusement introduits dans l'instrument par le malveillant Lebrac, de faire retourner en une fraction de seconde le camion qui le transporte à l'état d'inventaire intégral des pièces détachées nécessaires à sa fabrication (ce que les fabricants de pistolets, revolvers et autres joyeusetés appellent un "éclaté", – noter que Gaston rejette la faute sur le choix du camion par Fantasio) ;


de remplacer au pied levé (et gratuitement) toute une équipe de spécialistes de la démolition des cheminées d'usine ;




d'opérer en un clin d’œil la démolition de la dite rédaction de Spirou (aidé en cela, pour cette fois, par les instruments de Jules-de-chez-Smith-en-face, de Bertrand Labévue et de l' "Anglais", et attention les yeux quand les lascars les auront électrifiés), sûrement pour que celle-ci soit reconstruite en plus beau ;


de perturber les manœuvres de l'aviation de chasse, voire d'en faire éclater les cockpits « ... et tous les cadrans du tableau de bord et même le verre de ma montre » ;

de faire fuir pour le compte de Greenpeace les baleines loin des horribles navires baleiniers, harponneurs de cétacés ;

de "simuler un tremblement de terre" pour empêcher une fois de plus M. de Mesmaeker de signer un contrat avec les éditions Dupuis ;

de débarrasser Gaston lui-même de l'enduit aux aiguilles de sapin dont le produit miracle qu'il avait inventé devait débarrasser l'arbre de Noël et qui l'ont "habillé" d'un revêtement pour le moins piquant ;


de chasser toutes les taupes des terres de l'ami paysan, mais aussi hélas, et par la même opération, de faire de son troupeau de vaches une nouvelle espèce migratrice ;


de terroriser l'agent Longtarin lors d'un transport nocturne et pédestre ;

et de briser la carrière et d'envoyer clochardiser sous les ponts le malheureux Fantasio, le jour où l'idée saugrenue et irréfléchie lui prend de couper une à une les cordes du gaffophone, jusqu'à ce que la grosse branche dont il est fait (et que Gaston a eu le plus grand mal à plier) se détende pour écraser brutalement le magnifique service de Limoges de 118 pièces que M. Dupuis a eu la très mauvaise idée de faire entreposer à proximité immédiate.



Je ne connais aucun autre cas, dans toute la bande dessinée que je connais, d'une trouvaille aussi formidable qui, en un nombre aussi réduit de mises en scène, parvient à produire un effet aussi démesuré. C'est sûr, l'imagination débordante et proliférante de Gaston doit tout à celle de son créateur, mais aussi à son trait virtuose, dont l'expressivité magistrale réussit à donner vie, force et crédibilité à tout ce qu'il dessine. On constate ci-dessous que Franquin va jusqu'à concevoir son gaffophone comme un écosystème à part entière, où la vie animale et végétale s'affirme avec énergie : une nature à lui tout seul.

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vendredi, 26 avril 2019
ROUGE DE RAGE
HONNEUR A FRANQUIN.
Parmi les personnages qui gravitent autour de Gaston Lagaffe, en dehors du personnel des éditions Dupuis (Fantasio puis Prunelle, Lebrac, Moiselle Jeanne, Bertje, etc.), on connaît bien l'agent Longtarin, Jules-de-chez-Smith-en-face, et quelques autres, mais il y en a un qui occupe une place secondaire de premier plan : c'est M. de Mesmaeker. Hormis le fait que le monsieur a vraiment existé, il est intéressant de savoir que M. de Mesmaeker a trois métiers : passer des contrats avec la rédaction de Spirou, rater tous ses contrats avec la rédaction de Spirou, son troisième métier étant d'arriver avec la figure toute rouge de colère à la dernière vignette de chaque planche. D'après mon décompte, De Mesmaeker apparaît au gag n°109 et disparaît au n°888 : une belle carrière !
Pour empêcher que soient signés les éternels contrats entre De Mesmaeker et les éditions Dupuis, tous les moyens, toutes les inventions (parmi lesquelles le gaffophone occupe une place éminente) et tous les êtres (même la petite souris, qui est la seule à lui "faire de grand sourires") qui tiennent compagnie à Gaston sont bons : le chariot roulant suspendu qui court en silence dans les couloirs au risque de ceux qui y circulent ; le chat irascible aux griffes redoutables qui n'aime pas être dérangé ; la mouette au bec acéré qui inflige son humeur "massacrante" aux crânes non casqués ; l'imagination créatrice sans bornes de Gaston, prêt à noyer la rédaction de Spirou pour sauver son poisson rouge Bubulle parce que son bocal s'est cassé ou à pousser la chaudière à fond pour prouver qu'on peut faire rôtir des toasts dans les radiateurs ; la malchance des coïncidences les plus malheureuses, etc. (la liste n'est pas limitative).
On n'a pas idée de l'infinité des obstacles que Gaston, par son seul pouvoir de destruction pacifique, parvient à lui tout seul à dresser entre l'homme d'affaires et l'entreprise qui l'emploie – où d'ailleurs nul ne sait à quoi ce garçon peut bien servir, à part ne pas trier le courrier en retard, ne pas mettre de l'ordre dans la documentation, et trouver tous les moyens de ne pas en faire une rame pendant les heures de bureau, pendant que de son cerveau fertile ne cessent de jaillir des inventions prodigieuses destinées à ne servir à rien ; des appareils géniaux et catastrophiques ; des améliorations "techniques" (photocopieuse dont sortent des avions en papier) ; des instruments de musique dévastateurs ; des expériences de chimie explosive (sans "s" : avec Gaston, la chimie est explosive) ; des recettes culinaires plus improbables les unes que les autres (ah, sa "morue aux fraises" !) et des stratagèmes pour écouter le match de l'après-midi à la radio (ah, ce tir au but de Khudjad, et de 20 mètres !). Parmi la centaine d'apparitions de De Mesmaeker, j'ai retenu vingt-trois "chutes" (parfois si bien nommées). Les voici.























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mercredi, 24 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE (fin)
Ajouté le 25 avril : ce texte a pris de telles dimensions par rapport à son premier état que je crois préférable, pour que le lecteur puisse se faire dès le départ une idée de l'esprit dans lequel je l'ai écrit, de faire figurer en tête le dernier paragraphe, celui qui sert de conclusion.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, et qu'ils n'ont pas les moyens, non seulement de faire quelque chose de comparable (c'est aveuglant d'évidence), mais d'assurer l'entretien correct de l'édifice. Ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont les Français ne sont plus à la hauteur.
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
Suite et fin du post-scriptum.
Mais je ne suis cependant pas complètement américanisé, et certains brillants emblèmes du rayonnement de la culture américaine n'ont jamais franchi mon seuil : d'abord, aussi incroyable que cela paraisse, je n'ai jamais mis les pieds dans un fast-food ; ensuite, je me refuse à laisser entrer chez moi jusqu'à l'ombre du moindre de ces "nouveaux objets connectés" que l'industrie ne cesse de produire ; enfin, aussi loin que ma mémoire remonte, je n'ai jamais prêté le moindre orteil de mon intérêt à tout ce qui s'appelle "super-héros", "Marvel" et compagnie. Ce sont des exemples.
Autant la potion magique confectionnée par Panoramix pour la tribu de Gaulois préférée des Français me fait sourire (ah, les molaires des Romains en suspension après les uppercuts magistraux d'Astérix !) parce que tout ça ne se prend pas très au sérieux (Astérix n'est pas un super-héros, il n'est une figure ni du Bien ni du Mal), autant les divers super-pouvoirs inventés par les scénaristes américains (attention, ne pas confondre Batman, Spiderman, Superman, Captain América, Silver Surfer et toute la kyrielle : chacun tient à sa spécialité) m'indiffèrent.
Cet imaginaire-là me laisse de marbre, à cause de l'insupportable bloc de sérieux dans lequel tous ces personnages sont pris. Le fait que ce soit le support d'une propagande de bas étage n'y est pas pour rien. L'engouement de beaucoup de Français pour ce genre est révélateur d'une migration des mentalités du pays hors de nos terroirs. Et puis, j'ai vu un certain nombre de mauvais, très mauvais, exécrables films américains, et même de "navets au carré" (je me rappelle avoir payé ma place et être resté atterré au visionnage de Porky's).
En revanche, je connais un peu (je ne suis pas un "connaisseur", mais j'ai beaucoup fréquenté les salles "Art et essai") le cinéma français, et je garde de pas mal de films le souvenir d'images fortes. Les vieux Gabin (Pépé le Moko, Le Jour se lève, Gueule d'amour, La Belle équipe, La Grande illusion, etc.), Les Visiteurs du soir (Alain Cuny enchaîné
appelant "Anne", "Dominique et Gilles", Jules Berry en diable furieux à la fin, ...), il y en aurait tant que je préfère renvoyer aux films, par exemple, de Bertrand Tavernier, en particulier à son merveilleux Voyage à travers le cinéma français, véritable déclaration d'amour, et à l'argumentation serrée. Je reconnais donc la qualité, mais je sais aussi où se trouve la "force de frappe". En terme de proportions, la France est bien lilliputienne par rapport au Gulliver américain. La France a quelque chose à dire, mais sa voix ne "porte" pas.
Côté télévision, pourquoi les Français se sont-ils agglutinés pendant des années autour du feuilleton télévisé "JR" ? Comment se fait-il qu'ont fleuri à la télévision française des émissions dont le concept a été inventé par les Américains (toute la télé-réalité vient de là), avec une audience incroyable ? Où est né le concept de "série télévisée" (bon, c'est un avatar du "feuilleton" bien de chez nous, mais) ? Ce n'est pas pour rien qu'a émergé le concept de "soft power". Bon, tout le monde s'y est mis, mais c'est comme dans la boxe : il y a plein de catégories, et on sait qui est l'indéboulonnable champion toutes catégories. Et on est bien obligé de reconnaître que la grande majorité des Français est américano-centrée.
Autant de preuves que les Français ont commencé depuis longtemps à voir le monde avec des yeux américains. Inutile d'évoquer la cascade des innovations technologiques que nous devons à leur industrie et dont nous ne saurions nous passer, moi compris, si j'excepte quelques menues babioles, et qui sont devenues le paysage quotidien hors duquel nous ne saurions pas vivre.
Et si on se tourne vers le champ géopolitique, comment ne pas admettre, là encore, que l'Europe vit depuis plus d'un demi-siècle à l'abri du "parapluie américain" et que la France a fait partie intégrante de l'OTAN, bien à l'abri, comme une sorte de protectorat américain ? De Gaulle a eu la stature pour tenir tête et s'en retirer, mais il a suffi, quelques décennies plus tard, d'un petit bousilleur du nom de Sarkozy, lui-même très américano-centré (trottant dans Central Park vêtu d'un T-shirt NYPD entouré de ses gardes du corps), pour voir la France rentrer au bercail sans contrepartie, "pieds nus, en chemise et la corde au cou". Politiquement, la France et l'Europe sont indissolublement liés à l'Amérique, comme un vassal à son suzerain.
Et pas besoin d'être un géopoliticien professionnel : c'est bien à la stratégie américaine que nous devons certains événements qui se sont produits à l'est de l'Europe depuis une dizaine d'années. En serions-nous là si les USA n'avaient pas poussé à la roue pour que l'OTAN accueille en son sein la Géorgie (pour l'empêcher, Poutine lui a soustrait par la force l'Abkhazie et l'Ossétie du sud) ? S'ils n'avaient pas été pour quelque chose dans la demande de l'Ukraine d'adhérer à l'Union européenne, voire à l'OTAN, provoquant d'une certaine manière la main-mise de la Russie de Poutine sur la Crimée et la poussée "sécessionniste" dans le Donbass ? Et je comprends Poutine : comment tolérer qu'une menace armée puisse venir camper à proximité de sa frontière ? Et l'Europe est restée impuissante : elle a suivi Oncle Sam.
Les Russes auraient-ils réagi par la violence s'ils n'avaient perçu dans la stratégie américaine une volonté d'encerclement plus étroit de leur pays (voir les pays baltes) ? Et sous l'influence de quel allié puissant l'Europe a-t-elle intégré en procédure accélérée des anciens du Pacte de Varsovie dans l'Union Européenne ? Qu'a fait l'Europe, France comprise ? Elle a obtempéré à l'ordre des choses américain. Vivre avec l'idée qu'il faut toujours se méfier de la Russie, faire de Poutine un méchant diable et non pas un partenaire possible, voilà bien un exemple où l'Europe et la France ont adopté sans discuter le point de vue américain (voir l'assentiment des Européens aux sanctions voulues par les Américains, qui n'ont aucune envie de voir sur ce terrain une Europe indépendante, alors même qu'elle a besoin du gaz russe).
Ce n'est donc pas par les seuls produits de consommation et par nos façons de les consommer que nous sommes devenus américains (j'aurais pu évoquer l'apparition des fast-foods – White Tower, autour de 1928, il me semble – et bien d'autres trouvailles qui ont mis à mal les traditions alimentaires françaises, au moins autant que leur dévastation par les pratiques de la grande distribution, concept lui-même importé des USA). L'américanisation de nos divertissements, de nos existences matérielles et de nos orientations géostratégiques ne sont que de tout petits aperçus d'une vassalisation beaucoup plus vaste de l'Europe par la grande "puissance industrielle".
Mais je n'ai pas envie de m'attarder aujourd'hui sur les dégâts commis sur les mentalités françaises et européennes par les multiples inventions intellectuelles et sociétales sorties du ventre de la "nouvelle idéologie américaine" :
— "politiquement correct" au motif que toute minorité a le droit qu'on ne lui "manque pas de respect" et qu'on n'attente pas à sa "dignité" (frontières entre "communautés" de plus en plus jalousement gardées, archipellisation (Jérôme Fourquet) des sociétés) ;
— l'organisation des dites minorités en vue d'influer à leur profit sur l'organisation de la société tout entière grâce à des lois obtenues par "lobbying" ;
— les ravages des "gender studies", fondées par Judith Butler, elles-même inspirées principalement par deux "déconstructeurs" bien français : Michel Foucault et Jacques Derrida ("déconstruire", c'est s'acharner à prouver qu'aucune institution humaine ou convention sociale n'est "naturelle", ce qu'on sait depuis la naissance de la première société, mais ça permet à chaque particularisme, voire chaque individu qui se juge brimé de crier à l'injustice et de déclarer fièrement à la face de l'ordre existant : « De quel droit ? », de se proclamer victime, de demander compensation et de contraindre la collectivité tout entière à satisfaire sa demande de faveur particulière, sous prétexte d' "égalité") ;
— la transposition abusive en France de la question noire telle qu'elle se pose exclusivement dans les Etats d'Amérique du fait de la traite négrière transatlantique, et de façon particulièrement aiguë aux Etats-Unis (bizarrement, l'histoire de l'esclavage des noirs par les noirs – qui persiste – et par les arabes fait beaucoup moins de bruit) ;
— importation de l'individualisme le plus effréné en lieu et place de la "vieille" société française, où le rôle de l'Etat est prépondérant pour assurer la cohésion du corps social, etc. Notre président Emmanuel Macron est lui-même tout imprégné de l'idéologie américaine, avec sa conception purement managériale de l'Etat et de l'administration. Une idée "française" ne peut exister comme objet spécifique que si elle est la base d'un projet collectif largement mobilisateur. On en est loin.
En un mot : l'Amérique s'est insinuée dans tout ce qui conditionne et produit nos façons de voir le monde, et c'est tout notre mode de vie qui a été modifié en profondeur par les importations massives de tout ce qui est américain, marchandise concrète et autres. Au point que je ne suis pas sûr qu'on puisse encore parler de "civilisation européenne". En revanche, si l'on peut parler de "civilisation américaine", je me demande si on ne doit pas l'attribuer à sa seule "puissance de feu" dans tous les domaines (militaire, financier, culturel, idéologique, ...).
Nos yeux, nos oreilles, nos cerveaux, nos pays eux-mêmes, sont, depuis la fin de la guerre, plongés dans un bain d'Amérique. Non, il n'y a pas de "petit village gaulois qui résiste encore et toujours à l'envahisseur" : nous sommes devenus américains, exactement comme les Gaulois sont devenus romains, la puissance romaine a simplement été remplacée par la puissance américaine. Si la civilisation est inséparable de la puissance (ça se discute), alors nous vivons dans la civilisation américaine. Pourquoi, après tout, serait-il si difficile de reconnaître, à la suite de Régis Debray, que "nous sommes devenus américains" ? On a le droit de s'en accommoder, et hocher la tête avec résignation, mais c'est un fait et une réalité.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont ils ne sont plus à la hauteur. Qui est prêt à travailler pour quelque chose de plus grand que soi ?
Bon, assez causé pour aujourd'hui.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : américanisation de la france, france américanisée, consumérisme, mcdonald, jazz, musique de jazz, la revue nègre, joséphine baker, jim crow, racisme, ségrégation raciale, guerre de sécession, nordistes, sudistes, milton mezz mezzrow, mezzrow la rage de vivre, bix beiderbecke, louis armstrong, frères lumière, lyon, régis debray, debray civilisation, le chanteur de jazz, john ford, le massacre de fort apache, john ford rio grande, lford la charge héroïque, la dernière séance eddy mitchell, 58 minutes pour vivre, jean gabin, pépé le moko, le jour se lève, la belle équipe, les visiteurs du soir, alain cuny, claude chabrol, bertrand tavernier, voyage à travers le cinéma français, sarkozy, nypd, otan, de gaulle, abkhazie, ossétie du sud, géorgie, crimée, vladimir poutine, géopolitique, géostratégie, ukraine
mardi, 23 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE
Ajouté le 25 avril : ce texte a pris de telles dimensions par rapport à son premier état que je crois préférable, pour que le lecteur puisse se faire dès le départ une idée de l'esprit dans lequel je l'ai écrit, de faire figurer en tête le dernier paragraphe, celui qui sert de conclusion.
Tout ça, en fait, c'était pour dire que la France d'aujourd'hui et les Français d'aujourd'hui ne méritent pas Notre-Dame de Paris, et qu'ils n'ont pas les moyens, non seulement de faire quelque chose de comparable, mais d'assurer l'entretien correct de l'édifice. Ce monument qui les dépasse de tellement haut au-dessus d'eux qu'ils ressemblent à des poulets qui grattent le sol mais des poulets qui, contre toute vraisemblance, tentent, par leurs discours, de se faire passer pour des aigles. Ceux qui ont fait Notre-Dame travaillaient pour Dieu, c'est entendu, mais je retiens surtout qu'ils savaient que ce qu'ils faisaient était destiné à quelque chose (ou quelqu'un, mais pas forcément) de plus grand que leur petite personne : ils savaient qu'ils ne verraient pas de leur vivant l'accomplissement de l'œuvre, mais ils y allaient bravement. Aujourd'hui, il n'y a plus rien au-dessus de nos petites personnes, même pas d'idée de la France, dont les Français ne sont plus à la hauteur.
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
Post-Scriptum.
En guise de réponse sur l'américanisation de la France, de ses mœurs et de son esprit.
Un lecteur bien intentionné me fait remarquer qu'à son avis, l'américanisation de la France dont je parle concerne exclusivement, dit-il, "le consumérisme". Je me permets d'être en complet désaccord avec cette estimation, que je trouve à la fois indulgente pour nos "amis" américains et erronée. Je suis parti autant de convictions anciennes que d'une lecture récente. Je pense depuis très longtemps que toute la culture qui s'exprime sur le territoire national est très largement et en profondeur inspirée de ce qui se passe outre-Atlantique, et ce depuis fort longtemps.
C'est la culture américaine sous toutes ses formes qui est devenue un produit d'exportation massif et puissant, au point de s'être universalisée jusqu'à faire pendant un temps du burger McDo une sorte d'étalon monétaire permettant de comparer les pays. Tous les pays du monde sont, chacun à sa manière, affectés par la culture américaine. La seule culture universelle aujourd'hui est la culture américaine. C'est pour notre malheur, mais c'est comme ça.
Pour ne prendre que l'exemple du jazz, cela remonte aux années 1920. Le jazz a débarqué en France avec les Américains en 1917. Les années qui ont suivi la guerre ont vu se déclarer un véritable engouement pour cette musique, par exemple autour de ce qui s'appelait alors la "revue nègre", dont le clou du spectacle s'appelait Joséphine Baker. C'était à la fois le jazz et la culture des noirs américains qui motivait l'intérêt croissant des Français, pour lesquels tout cela était d'une nouveauté radicale.
Mais le jazz à Paris n'avait pas la même place qu'à New York, où il était frappé du stigmate "coloured" : les Français, au contraire des noirs américains, ignoraient ce que voulait dire "Jim Crow", base de la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Certains ont beau dire, il n'y a jamais eu de ségrégation raciale de ce genre sur le territoire français. Demandez aux nombreux jazzmen noirs américains pourquoi ils ont adoré venir jouer dans les clubs et les caves parisiens.
C'est sûr, l'histoire des noirs dans les deux pays n'a strictement rien à voir, même si des agités du bocal n'auront jamais fini de dénoncer l'esprit arrogant et colonialiste de la France. Inutile de nier l'histoire du colonialisme à l'européenne, mais il est foncièrement différent de l'esclavagisme aux Etats-Unis et de la ségrégation qui a suivi. Les états du Nord et du Sud se sont même livré une guerre sans merci à cause de ça. Il n'y a jamais eu en France de guerre entre Françaçis à cause de l'esclavage, ni de place réservée aux blancs dans les bus ou de robinet d'eau réservé aux noirs.
Cela dit, le jazz est bien une musique américaine, et il a conquis sans coup férir l'Europe, qui l'a accueilli avec enthousiasme. Et je n'ai pas peur de dire qu'à cet égard, je me sens moi aussi un peu américain : après avoir lu, au milieu des années 1960 (j'étais ado), en version "poche" achetée en gare de Perrache avant de partir pour l'Allemagne, La Rage de vivre, où "Mezz" Mezzrow (aidé du journaliste Bernard Wolfe) raconte son existence souvent bien malmenée, mais passionnante, je me suis littéralement jeté sur les disques signés par les innombrables noms qui apparaissent dans le livre (à commencer par le génial Bix Beiderbecke et sa bande de bras-cassés alcooliques, Bessie Smith, Louis Armstrong, Jimmy Noone, je n'en finirais pas, je les reconnaissais presque tous à l'oreille). Le jazz a fait ma conquête. On peut dire qu'avec le jazz, l'Europe s'est américanisée. Et moi avec.
On pourrait dire la même chose à propos du cinéma. Bon, oui, c'est vrai, il y a un vrai cinéma français. Je dirai que c'est normal : les frères Lumière sont bel et bien de France (et même de Lyon), mais quelle est la place de celle-ci dans le monde ? Vers quels pays vont les principales recettes ? Et surtout, vers quels films vont en priorité une majorité de Français, en dehors des belles surprises (de succès et de finance) ? Pas besoin de répondre, je suppose.
Même sur le plan industriel : voici ce qu'écrit Régis Debray dans l'irréfutable Civilisation (Gallimard, 2017, sous-titre : "Comment nous sommes devenus américains" !) : « 1925, la Metro Goldwyn Mayer rachète les parts du Crédit Commercial de France de la société Gaumont. Confirmation du transfert de l'usine à rêves de Paris vers Hollywood. » (p.86). En 1926, le monopole de fabrication du film vierge est abandonné par Pathé à Kodak. Et en 1927, le producteur américain du Chanteur de jazz, premier film parlant de l'histoire, déclare : « Si cela marche, le monde entier parlera anglais ».
Il ne croyait pas si bien dire, et voyait clairement le cinéma américain comme un instrument au service de la puissance, ce qu'il est devenu. Conclusion : dès les années 1930, la puissance des capacités de production a changé de continent. Le tableau de la France américaine par Régis Debray est absolument imparable. Je ne suis pas un fanatique du monsieur et de ses œuvres, mais franchement, il ne dit pas beaucoup de bêtises. C'est plutôt l'attitude qui m'agace, la posture adoptée par le personnage. Je lui reprocherais volontiers l'espèce de consentement à la faillite, mais aussi la position de surplomb absolu qu'il adopte, en vieux sage venu de Sirius, qui voit les choses de façon tellement globale qu'elle s'en trouve a priori incontestable, comme si son point de vue avait trouvé un moyen de ne jamais être pris en défaut. J'imagine que la base de son attitude est : "On ne va pas contre l'histoire". Son dernier chapitre ne s'intitule-t-il pas "Pourquoi les "décadences" sont-elles aimables et indispensables ?". Passons.
Moi-même, je dois avouer que je revois avec plaisir, de loin en loin, la trilogie de John Ford sur la cavalerie américaine (Le Massacre de Fort-Apache, Rio Grande, La Charge héroïque, c'est un exemple parmi beaucoup d'autres) et je regardais volontiers La Dernière séance, la mémorable émission télé d'Eddie Mitchell consacrée au cinéma américain. A cet égard, que je le veuille ou non, je suis américanisé.
Et cela alors même que je reconnais crûment ce cinéma comme rouleau compresseur de la propagande américaine (je me rappelle, dans 58 minutes pour vivre – eh oui, j'ai vu ça, j'avoue – une réplique du pilote qui vient, après moult péripéties, de poser son Boeing en catastrophe : « C'est un vrai char d'assaut, cet avion américain », je suis à peu près sûr que ce n'est pas la citation exacte, mais c'est l'ambiance). Le problème, c'est que c'est très bien fait, parce que tout est conçu avec maîtrise pour produire un effet précis : c'est un cinéma efficace, un cinéma de professionnels. Alors que même certains films français de bonne qualité ne sont pas toujours exempts de couleurs "franchouillardes".
Demain, suite et fin du "post-scriptum".
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lundi, 22 avril 2019
JAMAIS DEUX SANS TROIS
J'avais, ça commence à faire du temps (15 novembre 2012), remarqué une source d'inspiration possible de Hergé pour un épisode du Temple du soleil, où le capitaine Haddock, lancé à la poursuite des Indiens, fait une terrible chute dans une pente des Andes, qui le transforme assez vite en énorme boule de neige venant par bonheur (!) se fracasser sur un rocher, pendant que les quatre Indiens, eux-mêmes sphériquement enneigés, sont expédiés dans le précipice (il y a en effet quelques morts dans les aventures de Tintin, cf. On a Marché sur la lune). Notez les pieds qui dépassent.

C'est en relisant Les Malices de Plick et Plock, de l'inoubliable auteur du Sapeur Camember, Georges Colomb, alias Christophe, que je m'étais dit qu'Hergé avait pu s'inspirer de son ancêtre en bande dessinée pour la page 33 du Temple (un demi-siècle sépare les deux BD). Plick et Plock, gnomes sans expérience, n'ont jamais vu la neige. Plock a donné une forte bourrade à Plick qui roule dans la pente ... : « ... et se trouve bientôt inclus dans une boule de neige qui va grossissant à mesure qu'elle descend, ainsi que le font habituellement les boules de neige ». C'est un « arbre providentiel » qui arrêtera la course de Plick, qui s'en trouve « délivré et meurtri ». Là, déjà, les pieds dépassaient.

Mais ce n'était pas tout : jamais deux sans trois, dit-on. Révisant ces jours-ci, comme je le fais régulièrement par souci d'hygiène mentale, les immarcescibles facéties, volontaires ou non, souvent (mais pas toujours) catastrophiques de Gaston Lagaffe, génial perturbateur de la vie de bureau inventé par Franquin, je suis tombé sur une planche (n° 550, au scénario de laquelle Roba, l'auteur fameux de Boule et Bill, a participé). On ne le dira jamais assez : je ne connais pas de dessinateur qui sache donner à ses intentions comiques des formes aussi fortement expressives que ce virtuose du crayon.
On retrouve ici le thème de la boule de neige : Gaston est envoyé par la direction des éditions Dupuis pour aller chercher Prunelle dans sa maison de campagne et le ramener à la rédaction. Il est, comme on peut s'y attendre, au volant de son inénarrable tacot jaune et noir (riche source d'inspiration pour Franquin, comme M. de Mesmaeker, le gaffophone, la mouette rieuse, moiselle Jeanne, Jules de chez Smith-en-face, l'agent Longtarin, le chat et tant d'autres).
Comme il a beaucoup neigé, Gaston a installé des chaînes, mais comme de bien entendu, pas n'importe quelles chaînes : « Un modèle nouveau, conçu et fabriqué par un certain Lagaffe, qui en connaît un bout en matériel roulant », déclare-t-il au méfiant Prunelle (notez le clin d’œil du mot "roulant", mais peut-être ce sens – "qui fait rire" – s'est-il aujourd'hui perdu). Arrive évidemment ce qui devait arriver : l'une des chaînes se rompt, se prend dans l'essieu arrière, bloquant brutalement la voiture. Et comme par hasard, ça se passe dans une pente. On a déjà deviné la suite. Sauf qu'ici, pas de pieds qui dépassent.

Franquin s'est-il inspiré de ses prédécesseurs ? Pas sûr, mais je dirai au moins que ça peut se discuter. La question qu'on se pose ensuite est de savoir si l'on trouve ailleurs dans la BD l'utilisation de ce thème de la boule de neige "habitée". Je n'ai pas de réponse à la question.
J'aurais pu ajouter à la série un autre gag de Gaston. On trouve en effet dans la demi-planche 791 (vol. 12, Le Gang des gaffeurs) une autre évocation de boule de neige, mais je ne l'ai pas jugée digne d'entrer dans la série. A tort ou à raison, je trouve le gag plus faible : ça se passe un jour de neige en ville. Gaston, qui a inventé le "jokari-avec-super-balle" (on se souvient des dégâts que la super-balle peut commettre par temps sec, planche 591, vol.8) organise une partie dans la rue en compagnie de son pote Jules-de-chez-Smith-en-face. Gaston lance la super-balle et les deux amis la voient "rebondir sur deux façades et tourner le coin", et se demandent combien de bourgeois vont être terrorisés. Et voici de quelle façon elle leur revient dans la figure. Je ne sais pas vous, mais moi, désolé, Franquin : j'ai du mal à y croire.

09:00 Publié dans BANDE DESSINEE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bande dessinée, hergé, tintin, le temple du soleil, christophe bd, georges colomb, sapeur camember, les malices de plick et plock, franquin, gaston lagaffe, lagaffe nous gâte, gaston et prunelle, humour, m. de mesmaeker, gaffophone, moiselle jeanne
dimanche, 21 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE 2
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
L'incendie de Notre-Dame – tout le monde ignore s'il a une cause "technique", due à la maladresse d'un ouvrier, à l'incurie des responsables ou à des investissements insuffisants dans l'entretien, ou s'il est dû à un malveillant – n'est sans doute pas du même ordre que les attentats (car dépourvu de conséquences humaines ou géopolitiques), mais le résultat est le même : le monde entier a pleuré. Peut-être parce que, à chaque fois, l'événement a à voir avec quelque chose qui relève du sacré ?
J'ai entendu Alain Lamassoure dire que lorsque la nouvelle a été connue au Parlement européen, il a vu pleurer des vieux briscards de la politique (des Suédois, etc.). Je doute qu'en pays musulman, les réactions populaires soient les mêmes : les touristes saoudiens osent-ils seulement pénétrer dans nos églises ? Idem en pays bouddhiste, hindouiste ou autre (excepté pour les touristes). L'émotion universelle a peut-être, précisément, en dehors du côté spectaculaire de l'incendie, une composante touristique. Mais ce n'est ni la seule, ni, probablement, la principale.
Cette émotion a des causes plus profondes, je dirais même des racines. Et elle touche à ce que représente dans le monde l'histoire de la France. On peut se demander par exemple comment il se fait que la Marseillaise soit, à ce que je sache, le seul hymne national que la plupart des populations du monde connaissent (je me rappelle avoir entendu il y a longtemps une version pour le moins "originale" par un orchestre d'autochtones péruviens ou boliviens, c'était pour accueillir je ne sais plus quel président). Je dirais volontiers que les représentations que les peuples du monde se font de la France ont quelque chose d'unique, quelque chose qui touche, je crois, à l'universel. Il est indubitable que le rayonnement, disons culturel (pour faire simple et général), de la France est unique.
Mais – car tout ce raisonnement est fait pour finir sur un "mais" – cette France est celle du passé : le monde entier a pleuré sur une France qui n'existe plus. La France ne rayonne plus que par son passé. Ce que je trouve curieux, de l'attentat contre Charlie Hebdo à Notre-Dame de Paris en passant par le Bataclan, c'est qu'il faut des catastrophes pour que les Français se souviennent qu'ils sont Français – et non pas des ersatz de produits américains, ayant abdiqué la dignité du citoyen pour adopter la défroque du consommateur – et manifestent de façon unanime (disons au moins une unanimité relative). Je veux dire qu'il faut qu'ils pleurent pour se retrouver ensemble. Et cette France-là se souvient alors de son passé – évidemment révolu. Il faut l'émotion et le drame pour réunir les Français (bougies, messages, fleurs, "marches blanches", ...).
Ce qui rassemble aujourd'hui les Français, ce sont les cimetières, les hôpitaux et les musées (aujourd'hui Notre-Dame est un monument historique avant d'être un édifice religieux). Pas de quoi se réjouir. Les Français sont très forts aujourd'hui pour compatir, pour se lamenter et pour se plaindre. Tout ce qui ressemble à une victime attire la sympathie et, dans certains cas, vous n'avez pas intérêt à ne pas pleurer avec les pleureuses. Dès qu'il s'agit de verser des larmes, tout le monde répond présent (enfin, pas tout à fait). Mais dès qu'un illuminé demande « Qu'est-ce qu'on pourrait bâtir ensemble ? », c'est la volée des moineaux qui s'éparpillent aux quatre coins de l'horizon.
Probablement parce que chacun dans son coin s'est fait une idée personnelle de l'édifice, une idée incompatible avec celles des autres. Il y a sans doute une responsabilité dans le fait qu'enseigner "l'Histoire de France" fait hurler beaucoup d'historiens et d'enseignants à l'hérésie "scientifique". Les enthousiastes de la modernité se félicitent de ce que la France soit aussi "multiple" et "diverse". Ils ne se rendent pas compte que cette France-là est trop tiraillée par des forces contradictoires pour espérer former une entité unifiée autour du panache de laquelle l'unanimité se ferait. Il faut être Henri IV pour proclamer : tous ensemble, derrière moi. Si chaque petit chef peut prétendre représenter l'unité ("tous ensemble, mais derrière moi"), devinez ce qu'elle devient, l'unité (regardez la gauche française).
Car je suis frappé par le fait qu'aussitôt qu'on parle de projets, de construction collective, dès qu'il s'agit de se projeter dans l'avenir, d'envisager un futur commun, c'est la foire d'empoigne, comme si c'était devenu impossible. La population semble prête à en venir aux mains, et les responsables considèrent le "sens de l'Etat" comme une vieillerie. Il n'y a plus de vision proprement politique d'une nation qui n'est finalement plus gouvernée par des hommes de stature authentiquement politique qui aient « une certaine idée de la France » (suivez mon regard), mais gérée par une armée d'administrateurs (impeccablement formés) et d'experts-comptables (puissance de Bercy sur les orientations budgétaires). Ce genre de chef est d'avance hors d'état de concevoir et de proposer un projet politique. Qui aujourd'hui s'est fait « une certaine idée de la France » ?
J'en conclus que ce qui unit encore les Français tient exclusivement à ce qu'a été – et n'est plus – la France, et qu'il est devenu rigoureusement impossible pour ceux qui vivent aujourd'hui sur le territoire de se concevoir comme un corps collectif doté d'une âme collective et tourné vers l'accomplissement d'une œuvre commune. A la moindre évocation des problèmes de l'éducation, de comment s'y prendre pour éduquer et de ce qu'il faut enseigner aux jeunes Français, tout le monde sort les poignards. Même chose dans bien des domaines. Le corps et l'âme de la France ressemblent à Osiris démembré et éparpillé aux quatre coins du monde, mais il n'y a aucune Isis assez aimante pour partir sur les chemins, rassembler les morceaux et redonner vie. La France n'est pas divisée : elle est éparpillée.
Quand on demande aux Français ce qu'ils veulent pour demain, il suffit d'écouter les revendications (leur seule raison de manifester au départ étant la difficulté à finir le mois, ce n'est qu'ensuite que les revendications les plus diverses sont venues se greffer) des gilets jaunes : ils veulent tout et son contraire, ça part dans tous les sens. Et je ne parle même pas des diverses parties de la société qui ne sont pas gilet jaune.
Et je ne parle surtout pas des revendications des différents groupes de pression et d'influence (ce qu'on appelle les "minorités"), qui réclament des mesures pour protéger et favoriser leur particularisme, et qui interdisent à quiconque de les critiquer ou de se moquer (certaines blagues impliquant les femmes ou les homosexuels il n'y a pas si longtemps sont carrément inimaginables, et je ne parle pas des couvertures du Charlie Hebdo de la grande époque - 1969-1982), sous peine de correctionnelle. Impossible aujourd'hui d'aboutir à un accord qui ressemble à un consensus majoritaire sur ce qu'il faut que la France devienne en tant qu'entité, identité, nation.
On a l'impression qu'un policier sommeille dans beaucoup de Français (juifs, femmes, musulmans, homosexuels, noirs – le CRAN a fait censurer une pièce d'Eschyle au prétexte que les acteurs portaient un masque qui signifiait leur origine africaine, étant entendu que les blancs, forcément néocolonialistes, n'ont pas le droit de parler de problèmes impliquant des noirs –, etc., la liste est interminable).
On a l'impression que la société française, comme aux Etats-Unis, est devenue une terrible société de surveillance réciproque des uns par les autres, avec des cahiers des charges détaillant les modalités des relations entre eux : vous n'avez pas le droit de ceci, je vous interdis cela, sinon je porte plainte.
On a l'impression que les Français n'ont plus aucune envie de vivre ensemble (je veux dire : tous ensemble), et qu'ils ne se reconnaissent les uns les autres (et encore : pas tous) que dans le malheur, quand il devient impensable de ne pas éprouver de la compassion pour les victimes (d'attentats) ou pour un édifice datant de huit siècles. Pour le reste, c'est "circulez, y a rien à voir".
J'ai bien peur que si l'on se demandait qui, parmi tous les Français, éprouve aujourd'hui, en dehors des drames qui touchent le pays et émeuvent le monde, quelque chose qui ressemble à un sentiment d'appartenance, voire un "sentiment national", le résultat ne manquerait pas de désoler ceux qui ressentent encore un sentiment de cet ordre.
Elle est loin, l'époque où Pierre Daninos, dans Le Jacassin (1962), pouvait évoquer un "oncle" qui, tous les 14 juillet, au défilé militaire sur les Champs-Elysées, se débrouillait pour se trouver derrière un monsieur qui gardait son chapeau au moment où le drapeau passait devant lui et, d'un geste de la main, faire voler le couvre-chef du mauvais patriote pour lui lancer d'une voix forte et courroucée : « On se découvre devant le drapeau, monsieur ! ». Et encore, Daninos se moquait gentiment de ce qui apparaissait déjà comme une lubie.
Non, la France est vraiment devenue une "collection d'individus" (conception, soit dit en passant, importée de l'Amérique protestante et individualiste et de l'Angleterre de Margaret Thatcher), et a perdu la mémoire de tout ce qui faisait d'elle une "société", et tout ça est pris dans le maelström de la compétition économique mondiale féroce qui ôte à tout le monde le temps et la possibilité de penser à autres chose qu'aux moyens de survivre. La France est devenue une collection d'individus plus ou moins américanisés (le plus souvent sans le savoir : quoi de plus naturel pour les jeunes Français que d'adopter tout ce qui s'invente de l'autre côté de l'eau – voir les files d'attente devant les boutiques Apple quand un nouveau produit est lancé ?), qui se sont en gros débarrassés de l'héritage proprement national, assimilé à des antiquités poussiéreuses, voire à des ruines (le mot n'est d'ailleurs pas faux).
L'entité qui a porté le beau nom de France a-t-elle encore la possibilité de s'envisager telle dans l'avenir ? J'en doute, tant le processus d'américanisation de nos vies semble définitif (et irréversible comme tout ce qui s'inscrit dans le temps de l'histoire). Il n'y a désormais plus de place pour un quelconque "Grand Récit National". Jérôme Fourquet, dans son ouvrage le plus récent (L'Archipel français, Seuil, 2019) a raison quand il parle de l' "archipellisation" de la France. Un processus qui ressemble de plus en plus à la structure de la société américaine (la différence, c'est l'importance du drapeau américain pour les citoyens d'outre-Atlantique). Et la recette du mortier qui ferait tenir ensemble tous les morceaux semble définitivement perdue.
Voilà ce que je dis, moi.
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samedi, 20 avril 2019
CE QUE ME DIT LA CATHÉDRALE 1
SUR CE QU'EST DEVENUE LA FRANCE
Avant l'incendie de la cathédrale de Paris, il y avait eu l'attentat contre l'équipe de Charlie Hebdo, puis le massacre du Bataclan et des terrasses de café. Mais il m'a fait penser aussi à ce qui est arrivé aux "Twin Towers" le 11 septembre 2001. Le lien n'est pas évident (contrairement aux attentats, l'incendie de Notre-Dame n'aura aucune conséquence sur la marche du monde), c'est le moins qu'on puisse dire, puisque, en l'état actuel des choses, c'est plutôt la thèse accidentelle qui est privilégiée, mais l'événement m'a inspiré quelques réflexions qui m'incitent à le contextualiser autrement que bien des commentateurs.
Ben Laden avait apporté au monde la preuve que, même quand on est l'acteur le plus puissant de la mondialisation marchande, il faut s'attendre à recevoir le boomerang de son action dans la figure. « Nous sommes tous américains », s'était hâté de s'exclamer Jean-Marie Colombani dans le journal Le Monde, dans un éditorial mémorable. Je suis obligé d'avouer que, pour ma part, quand j'ai entendu la nouvelle à la radio, j'avais sauté de joie : enfin, m'étais-je dit, voilà l'arrogance américaine justement châtiée.
Michel Sardou a eu beau chanter : « Si les Ricains n'étaient pas là », je persiste à penser que si l'Amérique a reconstruit l'Europe après la guerre, c'est qu'elle avait de bonnes raisons pour ça : la guerre froide qui n'allait pas tarder à se déclarer contre l'U.R.S.S. Pour contrer le nouvel ennemi, l'Amérique a donc acheté l'Europe (le fameux "plan Marshall", du nom d'un général de l'armée américaine) pour des raisons militaires, mais aussi commerciales. Elle y a carrément mis le paquet (173 milliards en dollars 2019).
Au passage, je fais remarquer que les prêts aux pays européens étaient conditionnés à des achats aux Etats-Unis par les mêmes pays, et pour un montant équivalent, de toutes les fournitures nécessaires à cette reconstruction (source : encyclopédie en ligne). L'Amérique protestante ne fait rien pour rien : elle attend toujours quelque chose en échange, et n'oublie jamais où se trouve son intérêt. S'en est suivie une situation nouvelle : l'Europe est devenue une province américaine.
Le suzerain se trouvait de l'autre côté de l'Atlantique, et le vassal était européen. L'Europe est devenue une sorte de franchise de la marque "Amérique", et le client privilégié, presque forcé, de tout ce que ce fournisseur exclusif pouvait produire en termes de marchandises, de divertissement, de représentations du monde et même de mode de vie. Il faut avouer que tous ces biens et manières de voir et de se divertir étaient accueillis le plus souvent avec enthousiasme. L'acculturation des vieux peuples européens s'est produite dans la joie et la bonne humeur : tout ce qui était tradition est devenu ringard, archaïque, obsolète.
Et l'Europe, malgré toutes les déclarations d'indépendance et les affirmations d'autonomie (et malgré la résistance de De Gaulle, bien solitaire il est vrai), est toujours aujourd'hui, dans presque tous les domaines, en état de vassalité, soumise à son suzerain (son "allié") d'outre-Atlantique. Et parmi les nombreux facteurs qui empêchent l'Union Européenne de s'édifier en entité politique unifiée et autonome, il faut compter avec le fait que ce projet hérisse l'Amérique, qui ne veut à aucun prix d'une puissance autonome qui pourrait rivaliser avec elle. Et ce ne sont pas les coups de force récents de Donald Trump qui convaincront du contraire.
De toute façon, si les Français se montrent sourcilleux sur la question de l'autonomie, tout en faisant semblant de ne pas s'apercevoir que tout ce qui est américain sera prochainement "français" (produits, pensée, mode de vie, idéologie – par exemple la façon de considérer les "minorités", à commencer par les noirs, qui, en Amérique, avaient de vraies raisons, eux, de se révolter, puis sont venus les homosexuels, etc. –, ..., voir à ce sujet l'excellent livre de Régis Debray, Civilisation, Gallimard, 2017), les autres Européens, à commencer par les anciens pays satellites de la puissance communiste (mais aussi Allemands, Italiens, Anglais, pays scandinaves, ...), ne veulent à aucun prix d'une Europe comme entité unifiée et réellement indépendante. En attendant, un tas de groupes d'influence et de pression se dépêchent d'importer les trouvailles sociétales faites dans les officines minoritaires des Etats-Unis pour faire valoir de nouveaux "droits".
Pour ce qui est des Etats européens, l'état de vassalité ne pose aucun problème et leur convient à merveille, tant qu'ils peuvent faire des affaires et consommer à leur guise (j'ai vu rouler sur les routes scandinaves surtout des voitures de marque Chrysler ou Chevrolet, et des Volvo de temps en temps, c'était il n'y a pas tout à fait vingt ans). Une majorité des nations européennes sont d'accord pour ne rien faire qui puisse déplaire au parrain américain (la Pologne s'est bien gardée d'acheter pour son aviation militaire des avions de conception et de fabrication européenne). Et au sujet des "Trente Glorieuses", dont les Européens se souviennent avec un rien de nostalgie, qui ont vu croître formidablement la prospérité sur tout la partie occidentale du continent, et dont on nous rebat les oreilles à répétition pour s'extasier sur les "beautés de la construction européenne", elles sont pour une large part dues à la "générosité" sans pareille (soigneusement rétribuée) de "l'ami américain" après la Libération.
Tout cela pour arriver à Notre-Dame de Paris et à l'incendie qui l'a ravagée, catastrophe qui a bouleversé le monde entier (enfin, je voudrais savoir à quelle température est montée l'émotion populaire au Malawi). Mais quel est le rapport avec ce qui précède, se demande le lecteur ? Je vais essayer de m'expliquer. Si le 11 septembre a produit un tel choc à l'époque, c'est qu'il manifestait le surgissement totalement imprévu d'un ennemi venu d'ailleurs, quasiment de nulle part. C'est ce qui fait le lien entre cet événement au retentissement mondial et les deux attentats de 2015 en France : un ennemi venu d'ailleurs, à nous qui ne sommes en guerre contre personne (enfin, il ne faudrait pas chercher la petite bête).
Charlie Hebdo et le Bataclan ont eu un retentissement analogue à celui des "Twin towers", mais à un degré ahurissant si on le rapporte aux dimensions mondiales des deux Etats : la France, sur le ring, est une lilliputienne face au champion toutes catégories que sont les USA. La sidération qui a saisi le monde a quelque chose d'incompréhensible pour moi quand je pense à la différence de taille et de puissance. Ce qui me frappe, c'est la disproportion flagrante entre les deux pays, à laquelle s'oppose l'intensité à peu près comparable de l'émotion provoquée par les événements.
De toute évidence, la France a quelque chose de très spécial à dire à la face du monde, quelque chose qui dépasse de loin son importance dans le "concert des nations". Quand des habitants d'Oulan Bator, capitale de la Mongolie, allument des bougies pour dire "Je suis Charlie", j'en reste sur le cul ! Même stupeur au moment du Bataclan, cet attentat indiscriminé dont les victimes ne sont pas tuées à cause de ce qu'elles font ou de ce qu'elles sont (d'origine française, européenne ou arabe, tout le monde a pu constater que peu importait : c'était un attentat "en gros" et pas "en détail") : elles ont eu le tort de se distraire de façon "impure" (haram).
Ce qui m'a secoué en 2015, c'est la réaction du monde entier au malheur qui frappait la France. Le retentissement mondial des événements m'a appris que la France occupait dans le monde une place éminente, que je crois mal analysée. Quand on parle du rayonnement universel de la culture européenne, beaucoup se gaussent, et quelques-uns se dressent sur leurs ergots anticolonialistes. La vérité, c'est que l'Europe a dominé le monde, mais aussi façonné l'Amérique, qui a ensuite façonné le monde en le dominant de toute la hauteur de sa puissance économique. L'Europe est à l'origine de la civilisation actuelle du monde entier, l'Amérique en est l'excroissance marchande et fanatique (voir l'action de multiples sectes protestantes partout dans le monde). Cela explique que les événements qui se produisent en France résonnent à l'échelle planétaire. Et la place de la France dans cet ensemble est tout à fait particulière.
A suivre demain.
11:03 Publié dans L'ETAT DU MONDE, RELIGIONS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : notre dame de paris, charlie hebdo, bataclan, twin towers, 11 septembre 2001, ben laden, nous sommes tous américains, jean-marie colombani, journal le monde, michel sardou, si les ricains n'étaient pas là, u.r.s.s., plan marshall, états-unis, amérique, europe, france, régis debray, régis debray civilisation
vendredi, 19 avril 2019
LA MARGUERITE TRANSPARENTE
Tu m'aimes un peu, beaucoup, passionnément ...
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
jeudi, 18 avril 2019
POURQUOI J'ÉCOUTE FRANCE CULTURE ...
... ET FRANCE MUSIQUE
Il paraît que la chaîne France Culture est écoutée par 1.527.000 personnes, selon les calculs les plus récents de Médiamétrie. Cette raison sociale d'une entreprise qui mesure les audiences des chaînes, signe bien une des folies de l'époque, qui consiste à évaluer en temps réel les effets des actions humaines. Il faut, selon cet impératif (importé d'Amérique), fixer des objectifs chiffrés précis à tout ce que nous faisons. Cela permet à l'évaluateur (le juge des travaux finis) de vous dire que si, à 90% des objectifs remplis, vous avez le satisfecit de l'employeur, à 20%, vous êtes un raté, vous n'avez pas votre Rolex à 50 ans, et vous ne méritez pas de faire partie de la glorieuse équipe qui permet à l'entreprise qui a la bonté de vous employer de faire la course en tête des profits boursiers.
Le chiffre de Médiamétrie, que je trouve plutôt réconfortant, constitue paraît-il, la plus spectaculaire progression des chaînes radiophoniques. Pourquoi est-ce que j'écoute assez assidûment cette radio ? D'abord la publicité. J'ai cessé depuis des décennies de me brancher sur Europe 1 (il est préhistorique, le temps où l'on pouvait entendre à la file trois chansons, et sans interruption s'il vous plaît) et RTL. Je laisse de côté toutes les autres chaînes radio, locales, thématiques, mercantiles.
Toutes ces chaînes sont absolument insupportables, d'abord par le temps consacré à la publicité, cette déjection qui enrobe ses excréments dans un emballage rutilant, scintillant et resplendissant. Il me semble que le financement par la publicité de presque tous les organes chargés de nous faire parvenir les faits et le sens du monde (les "informations") est le signe le plus sûr que nous sommes en train, comme des rats, de quitter le navire de la civilisation : l'idée seule qu'un produit ou une marchandise soit soudain doté de l'être et de la dignité d'une personne, mais aussi d'un pouvoir (le caractère impérieux du commandement permanent : « Achetez, nom de dieu, ou il vous en cuira »), par la seule magie des mots et des images, est inconciliable avec l'idée que je me fais de la vie normale.
Ensuite à cause du saucissonnage de ces émissions en "séquences" qui vous étourdissent à force de sautiller d'un sujet à l'autre, je veux dire en tranches de plus en plus fines destinées à estourbir l'auditeur et à l'empêcher de zapper, à l'image des clips vidéo qui ne comportent presque pas de plans de plus de deux secondes. La norme médiatique est aujourd'hui au sautillement permanent : pas possible d'avoir un plan fixe, et ne parlons pas du "plan-séquence". A cet égard, la "matinale" de France Culture est un peu exaspérante, à cause de la multitude des intervenants (mais multitude très modérée quand on regarde la concurrence). Autre motif d'exaspération : l'obsessionnelle rengaine qui consiste à rappeler à la fin de chaque séquence qu'on peut la réécouter sur le site internet de la station. Le saucissonnage, voilà donc une des trois raisons pour lesquelles j'ai laissé tomber France Inter, il y a lurette.
La deuxième raison, c'est le ton sur lequel se déroulent un grand nombre d'émissions : la bonne humeur de commande, la gaieté sur ordre, les éclats de rires forcés à toutes les niaiseries considérées comme de l'humour, et plus généralement le règne odieux des humoristes dans l'audiovisuel. Je suis stupéfait de ce que le rire puisse figurer comme item obligatoire dans le cahier des charges de tant d'émissions. Si vraiment les producteurs se sentent contraints par les enquêtes marketing de répondre à une demande pressante des populations, je suis très inquiet au sujet de l'état moral et intellectuel de celles-ci. Tout cela fait donc de la plupart des canaux audiovisuels (et médiatiques en général) quelque chose d'infréquentable.
La troisième raison est évidemment l'invasion de la chaîne publique (France Inter) par la diarrhée publicitaire (ah, les "mentions légales" débitées à toute allure en fin de message !), cette défécation qui empuantit toute parole humaine de sa souillure, à l'image de ces créatures dégoûtantes de la mythologie antique (leur nom m'échappe) qui venaient déposer leurs "matières" dans les assiettes des convives. La publicité me rend la réalité carrément immangeable. On ne dira jamais assez la dimension polluante de la publicité. On ne dira jamais assez combien la publicité transforme le "temps de cerveau humain disponible" (Patrick Le Lay) en merde puante, juste digne de la chasse d'eau. Et je prends toujours très au sérieux le slogan plus que demi-séculaire de l'inoubliable Hara Kiri, qui énonce une vérité profonde.

A dire vrai, les séquences d' "auto-promotion" qui parsèment l'antenne de France Culture me fatiguent. Mais l'essentiel n'est pas là. L'essentiel reste la possibilité pour l'auditeur de fixer son attention dans la durée sur un thème précis : écouter des gens qui vous apprennent des choses, voilà ce que j'attends des radios que j'écoute, qu'il s'agisse de mots ou de sons musicaux (c'est-à-dire France Culture et France Musique). On n'est pas assailli par une armée de petites crottes, comme autant de balles de mitraillette. On peut se poser sur des plages un peu tranquilles et pas trop peuplées.
Et je garde bien entendu la liberté de tourner le bouton quand j'en ai assez.
Interpellation : comment, vous ne parlez à aucun moment dans votre billet de la télévision. Réponse : ah bon ? Il y a quelque chose à dire de la télévision ?
mercredi, 17 avril 2019
PHILOSOPHIE
LA LOI DES FORMES DE LA VIE.
« L'esprit emprunte à la matière les perceptions d'où il tire sa nourriture, et les lui rend sous forme de mouvement, où il a imprimé sa liberté. »
Henri Bergson, dernière phrase (extraordinaire formule synthétique qui résume une problématique démesurée) de "Résumé et conclusion" de Matière et mémoire (1896), cité par Jean-Luc Godard, le lundi 15 avril 2019, dans la (ce jour-là, entendons-nous bien) formidable émission La Grande table produite par Olivia Gesbert sur France Culture, entre 12 h. et 13 h. 30. Et l'auditeur a l'impression que Godard sort cette phrase, à l'impro, par cœur et sans avoir révisé. Chapeau l'artiste. C'est effectivement une des idées essentielles qui m'est restée de ma lecture des quatre grands ouvrages de Bergson, qui dit que "l'élan vital" est un donné (un fait qui caractérise la chose nommée "la vie"), et qu'il traverse par la force expansive qui le meut la matière inerte, qui le dote d'un corps physique animé ipso facto du battement d'un cœur (ce n'est pas comme ça qu'il le dit). La diversité des formes corporelles des organismes vivants découle, d'après Bergson, de la diversité des matières qu'il a traversées, et dont les deux pôles, du moins dans mon souvenir, sont concrétisés dans le règne, d'une part, des fourmis, d'autre part, des abeilles. Je peux me tromper. Quoi qu'il en soit, cette manière d'imaginer l'origine des formes du vivant m'avait semblé assez judicieuse.
09:00 Publié dans LITTERATURE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, henri bergson, philosophie, jean-luc godard, france culture, olivia gesbert, bergson matière et mémoire
mardi, 16 avril 2019
LA LARME TRANSPARENTE
Une larme de verre pour Notre-Dame de Paris.
A tort ou à raison, j'ai pensé à Charlie Hebdo, j'ai pensé au Bataclan, j'ai pleuré.
Je pense aussi au Bourdon de Notre-Dame, Emmanuel (eh oui !), qu'on peut entendre tous les jours à 12 heures tapantes. Une expérience qui ne s'oublie pas (1'03"). Il faut se placer à l'aplomb des abat-sons, pas trop près de la façade (clocher de gauche, si je me souviens bien).
Et pour les passionnés (20') : il faut être patient, car le batail (le mot a disparu, mais c'est comme ça qu'on disait dans les autres fois, cf. Rabelais, qui fait parler Maître Janotus de Bragmardo (Gargantua, XIX) : « ... il désiroit qu'elles [les cloches] feussent de plume et le batail feust d'une queue de renard », c'est-à-dire des cloches qui ne réveilleront jamais personne) met pas mal de temps à se mouvoir. L'autre bourdon s'appelle, dit-on, La Savoyarde.
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lundi, 15 avril 2019
LES NUISANCES DE L'INTELLIGENCE
Un exemple frappant de l'effet délétère induit par l'usage intempestif des "sciences" humaines se trouve dans l'évolution de l'enseignement de l'histoire de France à l'école, au collège et au lycée. Les inventeurs de l'enseignement de l'Histoire de France, au XIX° siècle, avaient pour ambition de susciter dans la jeunesse l'émergence d'un véritable sentiment national : leur projet n'était pas "scientifique" mais clairement politique, inséparable d'une volonté patriotique.
Pour eux, l'enseignement, sans repousser la vérité historique établie scientifiquement, réservait l'étude de celle-ci aux âges de la maturité, où le citoyen devient capable d'un discernement autonome. Ils se disaient avec raison que le savoir établi sur des bases "scientifiques" n'est authentiquement accessible qu'à des esprits déjà formés : le gamin de 10 ans, de 15 ans aime bien qu'on lui raconte des histoires. La science viendra plus tard, se disait-on. Le savoir, dans les premiers temps, n'a besoin que de bons raconteurs d'histoires. Cette façon raisonnable de faire ajournait l'exercice des convictions (politiques, morales ou autres) à un temps où l'homme était jugé en état de juger en toute indépendance. En attendant, il fallait, pensait-on, fixer de la façon la plus solide des points de repère dans le temps (histoire chronologique) et dans l'espace (géographie).
L'école et le lycée étaient là pour faire de tous les enfants de futurs citoyens disposant d'un solide socle de références communes. Voilà le formidable moyen que les concepteurs de cette école républicaine avaient trouvé pour aboutir à l'unification des esprits dans la nation française. Leur projet était exactement le "Grand Récit National" dont toutes sortes de commentateurs médiatiques déplorent aujourd'hui la perte irrémédiable. Il s'agissait d'abord pour eux de fabriquer du commun.
Malheureusement, plus aucun historien un peu "lancé" ne veut entendre parler de "Roman National" : vous n'allez pas revenir à "nos ancêtres les Gaulois", quand même ! Aujourd'hui, tous les responsables politiques rêvent de fabriquer du commun. Le problème, c'est que chacun de ces responsables voudrait que la seule fabrique du commun qui soit unanimement reconnue soit celle dont il a donné la définition et les contours précis ("ralliez-vous à mon panache").
A cet égard, l'enseignement "à la carte" (l'uniformité des programme est une fantaisie, tant est grande la diversité des mises en œuvre), est le meilleur moyen de renvoyer chaque individu à du particulier. Or fabriquer du commun, ce n'est sûrement pas des scientifiques que cela peut venir : c'est une tâche essentielle du Politique. Or le Politique a externalisé depuis longtemps cette tâche nationale essentielle à l'Université (théoriquement plus incontestable, parce que plus "scientifique", tu parles), à ses débats, à ses bisbilles et à ses luttes d'influence intellectuelle sur l'air du temps (en même temps que sur les budgets de recherche : qui paie ?). Faire de la France une nation "scientifique", quelle effroyable blague !
Il a délégué inconsidérément ce qui dépendait exclusivement de l'autorité de l'Etat à des mouvements incontrôlables. Il faut le dire : le commun, il faut commencer par le vouloir intensément. Le commun, ça se fabrique, ça se désire, ça se construit, ça se cultive, ça s'entretient amoureusement comme la plante verte, ça se nourrit d'ingrédients précis (mettez Jeanne d'Arc, Vercingétorix, Napoléon, etc.). Introduire le débat, la contestation, le dissensus universitaire dans la fabrique du commun, c'est torpiller l'entreprise au départ. Tout finit par tirer à hue et à dia, comme on le constate tous les jours, et dernièrement avec la crise des gilets jaunes et le "Grand Débat National". Le politique a démissionné. Il ne faut pas chercher ailleurs les causes de l'état de délabrement actuel de la conscience nationale. Et ce ne sont pas les larmes de crocodiles versées par les politiciens (et autres) en la matière qui me convaincront du contraire.
La déliquescence actuelle du sentiment national dans la jeunesse française (au sens large) résulte clairement de l'intrusion des "scientifiques" dans les programmes scolaires. Des dégâts analogues ont été commis dans l'enseignement des mathématiques à une époque (les "mathématiques modernes") ou du français, au moment du "boum" des recherches universitaires en linguistique, inspirées par les travaux de Ferdinand de Saussure (Ruwet, Jakobson, Troubetzkoï, Hjelmslev, Martinet, Ullmann, et j'en ai encore plein en réserve, ayant un peu fréquenté la chose).
En imposant, d'une part, aux enseignants d'inclure dans leur enseignement les dernières avancées des recherches universitaires, et d'autre part en focalisant l'attention de tous ses acteurs sur les méthodes pédagogiques plutôt que sur les contenus, le système scolaire français s'est débarrassé de ses missions primordiales : apprendre aux enfants à lire, écrire et compter, leur inculquer des rudiments d'éléments concernant leurs origines et ce qui ressemble à un sentiment d'appartenance à une communauté nationale, etc. La Commission Nationale des Programmes est devenue un champ de bataille.
Avant de parler de restaurer le "socle commun", il aurait fallu commencer par ne pas le détruire, en ne cessant d'ébranler la structure de l'édifice éducatif par la folie de réformes successives, innombrables et contradictoires. Aujourd'hui, plus aucune voix et plus aucune autorité ne détient la Vérité sur l'Education Nationale, qui est devenue un espace d'affrontement pour tous les conflits qui secouent la société dans son ensemble. Plus personne, en dehors d'exceptions héroïques, ne sait ce que veut dire "former l'esprit des enfants".
Il ne faut pas s'étonner de la pulvérisation de la population en une multitude de tribus qui fonctionnent en circuit fermé et ne communiquent plus avec les autres. Il ne faut pas s'étonner que la seule survivance de ce qui fut une société est aujourd'hui une entité purement administrative et de plus en plus désincarnée.
Bon, on me dira que je suis injuste et caricatural et que je véhicule des stéréotypes qui font se hérisser l'épiderme des spécialistes. Ce n'est peut-être pas complètement faux. Mais j'aimerais bien qu'on arrête d'exonérer, sous prétexte qu'il s'agit de "recherche scientifique", les sciences humaines de tout effet social. Pour preuve, n'est-ce pas une grande sociologue (Irène Théry) qui a présidé la commission mise en place par François Hollande pour l'instauration du mariage homosexuel ?
On ne peut pas contester le fait que, en l'occurrence, la sociologue en question ne s'est pas contentée de mener des recherches "scientifiques", mais s'est comportée en véritable acteur social, et même en militante fervente, et que la sociologie a été utilisée par les promoteurs de ce "mariage" comme une arme de destruction d'un état des choses, ouvrant une forme larvée de guerre civile. Alors, neutres, les "sciences" humaines ? Mon œil.
Pierre Bourdieu, Michel Foucault, Irène Théry (et ils sont loin d'être les seuls) : autant de preuves que les spécialistes des "sciences" humaines sont aussi et surtout des militants de causes, et que leur projet ne se contente plus de décrire la réalité, mais bel et bien de transformer la société conformément à des convictions particulières, et en faveur de groupes particuliers. Autant de gens qui tendent tous leurs efforts à fonder leur foi particulière dans une vérité particulière sur un socle de "rationalisation" (défroques méthodologiques exigées par l'Université, seule théoriquement habilitée à valider un "savoir") qui transforme cette croyance en savoir irréfutable, capable de s'imposer ensuite comme une Vérité universelle. Du moins dans les pays occidentaux.
La vérité de la situation, en réalité, est pire que ce que dénoncent les pessimistes. L'époque actuelle se caractérise par la disparition du politique comme mode de guidage des sociétés modernes, au profit des autres autorités en la matière, qui sont l'économie et les idéologies, ces dernières déguisées en "sciences humaines". La vérité de l'époque, c'est que les gens ne peuvent plus ce qu'ils veulent et que, de toutes les manières possibles, ils sont dépossédés de leur propre vie.
Et les sciences humaines, mises à toutes les sauces et instrumentalisées par les puissants du jour, ont leur part de responsabilité dans le désastre. Il y a aujourd'hui, dans le champ des "sciences" humaines, une lutte féroce pour la conquête du pouvoir culturel. Et je crains fort que tout ce qui relève du particulier n'ait d'ores et déjà le dessus, que l'intérêt général ait été tué dans le combat, et que la victime principale de ce combat ne s'appelle le BIEN COMMUN.
Les sectes protestantes ont gagné.
Voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : histoire, histoire de france, nos ancêtres les gaulois, grand récit national, roman national, sciences humaines, patriotisme, linguistique, ferdinand de saussure, éducation nationale, socle commun de connaissances, irène théry, mariage homosexuel, mariage pour tous, françois hollande, pierre bourdieu, michel foucault
dimanche, 14 avril 2019
LES NUISANCES DE L'INTELLIGENCE
A raccrocher latéralement à la série "Je hais les sciences humaines".
J'ai encore entendu hier matin les belles fadaises qui se colportent complaisamment dans les milieux intellos (je n'ai pas dit "intellectuels"). La plus comique en est sans doute une que l'on ne cesse d'entendre dans toutes les bouches autorisées (autorisées par qui ?), qu'il s'agisse de politiciens multirécidivistes, d'hommes de théâtre multilingues (Emmanuel de Marcy-Mota, invité hier sur France Culture), de journalistes multimédias, de politologues multidisciplinaires (Stéphane Rozès), de sociologues multicartes, d'historiens multicolores et autres psychosociologues multiculturels.
La fadaise (faribole + calembredaine = marrade bien carrée) en question est la suivante : il faut reconstruire un Grand Récit (aux Français pour leur raconter l'unité de la France, aux Européens pour leur raconter l'unité de l'Europe, à l'humanité pour lui raconter l'unité de l'espèce humaine, ...). Il faut restaurer un Grand Mythe. Il faut réécrire une Grande Fiction. Dans quel but indubitablement noble ? Pour susciter une Grande Adhésion Collective des populations, pour "refaire société" et restaurer le "vivre-ensemble". Il faut ressusciter des attitudes mentales favorisant la vie dans des collectivités harmonieuses. Il faut rétablir l'harmonie perdue.
Mais mon pote, espèce de tête de pomme, tu n'as pas vu qu'il y a contradiction dans les termes ? Tu crois vraiment qu'on peut ainsi marier objet de savoir et objet de croyance jusqu'à ce qu'ils ne fassent "qu'un seul corps" ? Le simple fait que tu l'appelles toi-même "Grand Récit" prouve que c'est impossible : du haut de quelle chaire de commentateur-observateur extérieur ordonnes-tu aux responsables ce qu'ils ont à faire (et en passant : quel mépris pour le bon peuple, ce tas de gogos que tu vois juste bons à gober des boniments) ?
Tu ne sais donc pas qu'un mythe qui se sait mythe n'est qu'une poudre de perlin-pimpin ? Qu'un récit de fiction qui se présente en costume de fiction ressemble comme deux gouttes d'eau à un conte pour enfants qui fait passer un bon moment mais que personne de sérieux ne prend au sérieux ? Qu'un rite dont la raison profonde est dévoilée au grand jour est voué à l'échec ? Ce n'est pas du "Grand Récit", même "crédible", qu'il faut : c'est de la Vérité.
Va réviser ton René Girard et sa théorie du bouc émissaire, pour qui la crucifixion de Jésus-Christ est le premier exemple de rituel primitif qui échoue pour cause de connaissance : « Nous avons tué un innocent ! », s'exclame la foule. Il n'y a plus de bouc émissaire si tout le monde sait la vérité sur le rôle qu'il joue. Le rite n'accomplit son rôle de pacification et d'unification du groupe que si ceux qui l'accomplissent ne savent pas pourquoi ils font ça comme ça et pas autrement. Pour avoir des rites efficaces, il faut être ignorant.
Nous sommes trop intelligents pour croire encore en quoi que ce soit : nous avons fait du savoir une idole. Le Savoir est devenu l'objet de notre croyance. Magnifique paradoxe qui rend l'équation insoluble. Il n'y a plus de "Vérité" à quoi attacher quelque chose qui ressemble à des certitudes. Il est même probable que l'effort infatigable et méticuleux des sciences humaines pour accéder aux racines authentiques qui fondent les sociétés soit pour quelque chose dans l'impossibilité d'établir quelque certitude que ce soit, puisqu'il n'y a de vérités que de croyances. Même les sciences dures, les sciences exactes, je veux dire les "vraies sciences", en dehors de "l'eau bout à 100°Celsius à 0 mètre", hésitent à proclamer : « Ceci est la Vérité ».
Plus la société se connaît, moins elle comprend ce qu'elle fait là. Plus elle explore ses fondements, plus elle sape ses fondements. Car tout, dans ce qui fait société, est arbitraire, convention, artifice. Tout ce qui fait société découle de l'art de la fabrication. C'est exactement la raison pour laquelle je n'éprouve que de l'aversion pour l'œuvre de gens comme Pierre Bourdieu ou Simone de Beauvoir : on peut dire, à propos de tout ce qu'a fait l'humanité depuis ses origines : « On ne naît pas humain, on le devient ». On peut d'ailleurs affirmer que, pour cela, il faut légalement 18 ans, du moins en France.
Aucune société n'est naturellement légitime, parce qu'aucune ne détient ni n'est fondée sur la Vérité. Chercher, comme ce fut la démarche de Michel Foucault, à dévoiler la Vérité pour fonder la légitimité d'une organisation sociale (gestion de la folie, de la délinquance, de l'anormalité, ...), c'est vouloir débarrasser le squelette qui fait la vraie vie de la société de toute la chair qui lui permet d'être, de vivre, de se mouvoir et d'aimer. En réalité, je me demande si le Graal de Michel Foucault ne fut pas d'apporter la preuve que toutes les institutions humaines sont arbitraires. Je pense qu'il ne faut pas être trop intelligent pour en convenir : les institutions humaines, société par société, culture par culture, civilisation par civilisation, sont évidemment le résultat complexe de conventions, de tradition, d'histoire, de localisation dans l'espace, de contexte environnemental, etc. Aucune société n'a des fondements naturels, toute organisation sociale découle des conditions artificielles qui l'ont constituée. Toutes les sociétés sont de ce fait arbitraires.
Je reviens à mon sujet. Il est vital pour le mythe qu'il soit objet de croyance aveugle et même de foi pour avoir des chances de remplir sa fonction qui est d'assurer l'unité du corps social. Il est mortel pour lui de se savoir croyance. Le fait pour un mythe, pour un rite social, pour n'importe quelle fiction de devenir un objet de savoir est le plus sûr moyen de le rendre totalement inopérant dans sa fonction concrète qui est de pacifier et d'unifier le corps social. Nous sommes devenus trop intelligents (et trop bêtes) pour "faire société". Savoir tout ça nous a ôté l'envie de "faire corps".
Toute la démarche intellectuelle des sciences humaines vise à opérer le grand dévoilement de toutes les sortes de mécanismes qui ont servi de base à l'édification des sociétés. Cette seule ambition, qui fait du seul savoir l'ambition suprême, rend précisément obsolète tout ce qui ressemble à une croyance. L'intelligence rationnelle telle qu'on la voit à l'œuvre dans les sciences humaines agit comme un dissolvant miracle, comme un décapant surpuissant de tout ce qui était susceptible, dans les sociétés, de susciter l'adhésion de tous à un projet commun.
L'intelligence science-humaniste a détruit les conditions de l'avènement de toute collectivité homogène. Pour qu'il y ait un mythe efficace, un Grand Récit qui soit opératoire, il faut une autorité surplombante (religion, idéologie ou autre). Or il n'y a plus d'autorité surplombante. Car pour qu'il y ait une autorité surplombante à même de fédérer des peuples entiers, il n'y a que deux moyens : l'ignorance (sociétés primitives) ou l'assujettissement (la Chine populaire). Nous ne voulons aujourd'hui ni de l'une ni de l'autre.
Alors on me dira qu'il n'y a pas que ça pour expliquer le morcellement, la fragmentation des sociétés modernes en communautés fermées et jalouses de leurs "droits", et qu'il ne faudrait pas oublier la mise en compétition de tous contre tous sous la férule de l'économie triomphante et de la marchandisation de tout, la montée de l'individualisme, la réalisation de soi comme idéal ultime, et patati et patata.
Je suis bien d'accord, mais voilà ce que je dis, moi.
09:00 Publié dans L'ETAT DU MONDE | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sciences humaines, sociologie, psychologie, historiens, anthropologues, france culture, emmanuel de marcy-mota, stéphane rozès, politologues, multiculturalisme, grand récit, intellos, intellectuels, rené girard, la violence et le sacré, des choses cachées depuis la fondation du monde, bouc émissaire, france, europe, société, politique
samedi, 13 avril 2019
L’ŒIL TRANSPARENT
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
vendredi, 12 avril 2019
TRANSPARENCE
La lumière du jour à travers la carafe (vide).
Photos en couleur.
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Dans l'actualité.

Brexit or not brexit ? Si vous avez compris ce qui se passe, c'est qu'on vous a mal expliqué. Je pense à l'opéra de Purcell Didon et Enée, et plus précisément au moment où Didon, qui vient d'apprendre le prochain départ de son amant pour l'Italie sur ordre de Jupiter, maudit Enée qui, devant le désespoir et la colère mêlés de la reine, veut désobéir au dieu, et abandonner sa mission de fonder la future capitale du monde pour mieux demeurer fidèle à la parole donnée à la belle reine. Réaction terrible de Didon :
« By all that good, no more !
All that good you have forswore.
To your promised empire fly.
And let forsaken Dido die. »
(Par tout ce qui est bon, tais-toi ! Tout ce qui est bon, tu en as fait un parjure. Vers l'empire qui t'est promis, fuis. Et laisse Didon abandonnée mourir.)
Et le pauvre héros versatile a beau déclarer qu'il reste auprès d'elle, c'est Didon qui, en fin de compte, le chasse : aux "I'll stay" lamentables d'Enée, elle répond, fière et résolue : "Away ! Away !" ("Fous le camp", ci-dessous 13'08", y compris le célébrissime "Dido's lament").
Dans le débat anglo-européen sur le divorce, qui est Didon ? Qui est Enée ? Et qui dit à l'autre "fous le camp" ? Mais que fait notre Jupiter national dans le bateau ivre ? Et combien de milliards (sur France Culture, Philippe Sands, le juriste international parlait ce matin de plusieurs BILLIONS d'euros) a d'ores et déjà coûtés le Brexit en frais d'avocats (l'accord signé par May et l'Europe fait 600 pages, et 600 pages rédigées par des juristes, dont je doute qu'ils travaillent à l’œil), en salaires de négociateurs et de hauts ou bas fonctionnaires ?
Et c'est moi qui crache au bassinet ?
Ben merde !
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, brexit, purcell, dido and aeneas, didon et énée, jupiter, emmanuel macron, philippe sands, france culture
jeudi, 11 avril 2019
PULCINELLA
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie
mercredi, 10 avril 2019
LA PETITE NOBLESSE ...
... DES PETITS OBJETS.
Le pied de lampe.
09:00 Publié dans PAS PHOTOGRAPHE MAIS | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie

