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dimanche, 29 mai 2011

TELEVISION : HITLER EN A RÊVE

EPISODE 1

Si l’on m’objecte que l’exemple est terriblement rebattu, je répondrai qu’il est excellent, et que c’est sans doute parce qu’il est excellent qu’il est, précisément, rebattu. Il s’agit du fameux « télécran » inventé en 1948 par George Orwell pour le monde fabuleux sur lequel règne Big Brother (lui aussi, tout le monde le connaît) : évidemment 1984. C’est l’écran quasi-magique qui fonctionne dans les deux sens : il retransmet les discours du chef bien-aimé, et il espionne les faits et gestes de la personne qui habite les lieux. Pour un roman d’anticipation, on peut dire que c’est réussi : exception faite de la séparation des deux fonctions (propagande et espionnage), d’une part dans la télévision, d’autre part dans la caméra de surveillance, tout le reste ou pas loin s’est réalisé, y compris la « novlangue » et la Police de la Pensée. Espionnage (donc sécurité) et propagande. 

La seule vraie faiblesse du livre d’Orwell, c’est qu’il réserve le monde de 1984, exclusivement, aux régimes totalitaires, alors que les espaces où il s’est aujourd’hui épanoui et accompli s’intitulent pompeusement démocraties, comme j’essaie de le montrer. C’est dans les démocraties que s’est développée une industrie du divertissement qui passe pour une bonne part par la télévision. Et les démocraties ne sont pas épargnées par l’obsession de la sécurité : elles ont vu se multiplier les « mesures de sécurité », les « normes de sécurité ». C’est flagrant depuis le 11 septembre 2001, mais cela date de bien avant. L’industrie de la sécurité est une affaire qui marche (pas de grands magasins sans vigiles). 

Moyennant quoi, l’individu n’a jamais été aussi libre de faire ce qu’il veut (ça c’est pour « démocratie »), mais je fais remarquer que, comme il veut les mêmes choses que tout le monde, il fait comme tout le monde : les gens se conduisent à peu près comme on attend qu’ils le fassent (mais attention, il ne faudrait surtout pas réduire ignoblement la liberté à la simple liberté de choix : même s’il y a d’innombrables marques, sortes et goûts de yaourts, ça reste des yaourts). La seule et vraie différence, c’est que ce résultat est obtenu sans violence physique, car ils adhèrent spontanément à ce monde, disant que, de toute façon, « ils n’ont rien à se reprocher », et que quand on est irréprochable, il n’y a pas de raison d’être choqué par les caméras de surveillance (le terrifiant « Souriez, vous êtes filmé. »). Pour ce qui est du divertissement ou des mœurs, à la question : « Pourquoi faites-vous ça ? », ils ont cette terrifiante réponse : « C’est mon choix ! ». Je ne suis pas le. C'est un système qui fonctionne d’une façon implacablement logique : sans la télévision et le divertissement, pas d’adhésion ; sans adhésion, pas de caméras de surveillance. Tout se tient. 

Enfin, quand je dis « spontanément », je fais semblant. C’est là que la télévision, entre autres, dévoile une de ses fonctions principales. On sait qu’Adolf Hitler, en accédant au pouvoir en 1933, a créé aussitôt un Ministère de la Propagande, confié d’emblée à Joseph Goebbels. On sait que par là, il voulait développer la force de l’action de frapper les esprits, d’y pénétrer pour y introduire des idées, des images, des « valeurs » qui n’y étaient pas précédemment. Il voulait donner à cette action toute la dimension et toute la démesure dont il rêvait. Il fallait aussi que les esprits en question gardent l’impression que les idées qu’ils exprimaient ne germaient pas ailleurs qu’en eux-mêmes, et ne s’aperçoivent pas de l’intrusion. Exactement comme dans le film Maine-Océan, la scène nocturne où, pendant que le propriétaire de la maison dort profondément, quelques copains, qui ont un compte à régler,  s’introduisent dans sa cuisine et vident consciencieusement son frigo et ses bouteilles en étouffant leur fou-rire. 

J’ai déjà parlé d’Edward Bernays (le 16 mai), neveu de Freud, inventeur des « public relations », qui a su mettre à profit les concepts élaborés par son oncle, pour en tirer des préceptes « utiles ». Propaganda est paru en 1928 (éditions Zone, 12 euros). Comme le titre, le sous-titre est un aveu : « Comment manipuler l’opinion en démocratie ». Je ne résiste pas au plaisir de citer les deux premières phrases du bouquin : « La manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique. Ceux qui manipulent ce mécanisme social imperceptible forment un gouvernement invisible qui dirige véritablement le pays » (c’est moi qui souligne). A déguster lentement, non ? Et ce n’est pas un nazi qui parle, mais un Américain, un conseiller des présidents. Je cite la 4ème de couverture : « Un document édifiant où l’on apprend que la propagande politique au 20ème siècle n’est pas née dans les régimes totalitaires, mais au cœur même de la démocratie libérale américaine ». Ce n’est pas moi qui le dis : vous m’auriez taxé de parti pris. 

Goebbels n’a eu qu’à piller, et il ne s’en est pas privé, les théories de Bernays pour développer les activités de son ministère de la Propagande. Mais ces théories ont aussi inspiré les gouvernants des régimes démocratiques. Car partout, sur la planète, leur grand problème a été au 20ème siècle de répondre à la question : « Comment obtenir des masses qu’elles obéissent ? ». Deux types de régimes servent à ça : les autoritaires et les démocratiques. Terreur, police, délation d’un côté. Liberté, bonheur, consommation de l’autre. Dans l’un, le bâton. Dans l’autre la carotte. Mais ne croyez pas que la question qui se pose, par exemple, dans la Tunisie de Ben Ali ne se pose pas dans nos belles démocraties. Il s’agit toujours d’obtenir la soumission, mais en prenant, cette fois, la mouche avec du miel. Il faut bien que les trouvailles de tonton Freud servent à quelque chose ! La théorie psychanalytique pour éviter la Terreur, en quelque sorte ! Qu'en aurait pensé Robespierre en 1793 ? 

Tout a été dit sur le thème « nazisme et propagande ». Toujours, évidemment, pour condamner sans appel l’entreprise de formatage des masses voulue par Hitler. Mais ils tiennent coûte que coûte à en faire un repoussoir. Pour ériger nos belles démocraties en contre-modèle. Le nazisme, ses horreurs, sa propagande fonctionnent en épouvantail absolu : les commentateurs, en général, mettent l’accent sur le fossé, l’abîme qui sépare notre système du sien. C’est sûr, il n’y a rien de commun entre les deux. Mais en est-on si sûr que ça ? 

Car, en matière de manipulation des foules, les nazi (et sans doute aussi Staline, il faudrait voir, parce que l’histoire du « petit père des peuples », comme propagande, ce n’est pas mal non plus) ont bel et bien piqué les idées d’un Américain. Les idées de Bernays servent de base large et solide, aux Etats-Unis, à tout ce qu’on appelle la propagande (ou publicité), la « communication », la manipulation des foules.  Quand on nous bassine avec l’idée que l’Europe copie les Etats-Unis avec dix ans de retard, il faudrait rétablir le lien, le « missing link » (le chaînon manquant), qui n’est autre que Goebbels et le nazisme, qu’on présente le plus souvent comme une exception historique, ce soi-disant fossé qui dresse un mur infranchissable (petit hommage en passant au maire de Champignac, et à Franquin, bien sûr) entre lui et nous : il y a bel et bien continuité. La seule rupture, énorme évidemment, ce sont la Shoah, les chambres à gaz, le système concentrationnaire, la terreur, etc. (l’U.R.S.S. de Staline n’est pas loin derrière pour ce qui est des « performances », si l’on peut parler ainsi, elle est même peut-être devant) : en gros, toutes les procédures d’élimination pure, simple, brutale. Pour ce qui est de la liberté de l’esprit (je ne parle pas de la liberté d’expression), cela demande un examen approfondi. 

Les Etats-Unis étant une démocratie, il n’était pas question pour eux de recourir à la terreur pour faire marcher toute la population au même pas. Mais ils étaient face à un problème : par quel moyen arriver au même résultat ? Il fallait quand même faire marcher le pays, le faire prospérer, croître et embellir. Comment diriger 122.780.000 de personnes (on est en 1930), sans violence, mais en étant aussi  efficace ? La grande habileté de l’Amérique a été d’utilise à outrance la connaissance du psychisme humain (Freud et ses continuateurs, Bernays et Lippmann) pour obtenir l'adhésion des masses. 

Je renverrai toujours, à ce sujet, à l’essai de Beauvois et Joule sur la « soumission librement consentie » : Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens (quand les choses sont présentées habilement, l’individu, en régime de liberté, a tendance à se soumettre). Les auteurs, cependant, ne poussent pas au bout leur raisonnement dans ce qu’il a de critique : ils prennent le parti de l’optimisme libéral. Pour obtenir des masses qu’elles adhèrent, et même qu’elles désirent leur propre embrigadement, il suffit de perfectionner d’une part la connaissance de la psychologie des foules, d’autre part quelques techniques de communication bien venues.

A SUIVRE ...

vendredi, 27 mai 2011

LA FRANCE RANCE EN RETARD

Nous en rebat-on les oreilles ! Puisqu’on vous dit que la France est en retard ! Enfin, il paraît ! Il semblerait ! Si l’on en croit la rumeur. Enfin, il y a beaucoup de gens qui l’affirment. Je ne vais pas me lancer dans la diatribe habituelle de Philippe Muray contre la consigne, mais il faut bien reconnaître que celle-ci est serinée avec constance par toutes sortes d’acteurs, enfin, toutes sortes de gens qui se déclarent, par exemple, « acteurs de leur propre vie », ou ce genre de niaiserie courante, qui coule comme un camembert en train de se faire la malle. « Avancez ! ». « Bougez ! ». Oui, il faut « faire avancer », « faire bouger ». Ainsi, ça n’arrête pas d’animer : la rue, la ville, que sais-je encore. Et attention à ceux qui refusent ou négligent d’entrer dans le « mouvement » : ils passent aussitôt pour « immobiles », « ringards », « archaïques », « passéistes », et ça ira même jusqu’à « réactionnaire », et il paraît que c’est très mal vu.

 

Il faut donc « bouger », sous peine d’accumuler les retards, qu’on se le dise. Nous y voilà. Personnellement, je me débrouille pour arriver à l'heure à mon rendez-vous chez le dentiste, même un peu en avance, jamais en retard. Sinon c’est la honte, le rouge au front, la fleur de lys gravée sur l’épaule au fer rouge, comme le galérien du doux temps des rois. Pourquoi la France accumule-t-elle autant de retards incalculables dans autant de domaines ? Beaucoup de gens n’ont que cette dénonciation à la bouche. A ce train-là, on n’est même pas dans le « peloton de queue », avec les coureurs « ringards » menacés par la voiture-balai. C’est beaucoup plus grave.

 

Si l’on ajoutait les uns aux autres tous les retards divers et variés colportés par les dénonceurs professionnels de retard, la France devrait en être restée, sinon à l’âge de pierre, en tout cas à une époque férocement « préhistorique » (se faire traiter de « préhistorique », c’est être publiquement marqué d’infamie) ; bon, à la rigueur au temps des pharaons (oui, je dis ça parce qu’on leur avait inventé la momification, évidemment). Haro sur celui qui refuse de « vivre avec son temps », en un temps où l’on vous ordonne d’ « avancer », de « bouger ». C’est même plus qu’une consigne, c’est un ordre. Si vous n’obéissez pas, vous serez puni : le déclassement, la relégation, le bannissement. Le bannissement de quoi ? Mais enfin, ça crève les yeux : de la modernité, la béate modernité, l’euphorique et toute-puissante modernité. Il est impératif de « monter dans le train » de la modernité. « Ne pas se laisser dépasser » (tiens, en passant, encore un joli chef d’accusation, « être dépassé »). Une telle unanimité chez les loups de la meute me laisse au moins perplexe, et me paraît même légèrement suspecte : ça mérite un petit examen, non ?  

 

La mise en examen, ça fait un bon moment que je l’ai commencée. J’avais d’abord été frappé (je lis beaucoup la presse) par le nombre de journalistes qui consacraient leurs titres d’articles, voire leurs articles entiers, au thème de la France en retard, au point que ça  a fini par m’apparaître, par l’accumoncellement (on disait ça, chez moi),  comme une grille de lecture, je veux dire comme une façon de voir le monde : une orientation optique, en quelque sorte (l’œil braqué comme une boussole sur un « Nord » qui est tout sauf mallarméen ou célinien), ou la couleur du verre des lunettes avec lesquelles ils le regardent. Toujours le même angle de compréhension, toujours la même couleur du monde. Vous imaginez ça, vous, un monde monochrome ? Un monde unicolore ? Ils appellent ça la Franc e en retard, donc.

 

La mise en examen est favorisée aujourd’hui par le progrès technique : internet fait des miracles. Tapez donc « France en retard » sur le moteur de recherche qu’on appelle « gogol ». Apparaissent aussitôt les noms de quatorze millions trois cent mille sites (14.300.000) en 0,14 secondes. J’ai consulté les dix premières pages gogoliennes : sur les dix premières pages (cent sites), et en évitant, mais pas toujours, les répétitions de thèmes, j’ai dénombré quarante-cinq domaines où la France est en retard. Voici la liste, donnée dans l’ordre des pages (le gogol classe les sites dans l’ordre décroissant de leur succès auprès des internautes).

 

Les domaines dans lesquels la France accuse un retard sont donc, au palmarès, et dans l’ordre : la production d’énergies renouvelables, le discrimination raciale, l’économie numérique, le débat sur le nucléaire, la sécurité informatique, le télétravail, le 4G/LTE (les plus nouveaux téléphones, je crois savoir), la révolution libyenne, l’assurance santé chien (si si), le handicap, le taux d’accès à la formation professionnelle, l’imagerie par résonance magnétique (IRM), la condition des noirs, l’agriculture biologique, la fiscalité écologique, internet, les biotechnologies de santé, REACH (j’explique : enregistrement, évaluation, autorisation des produits chimiques), les quotidiens qu’on peut lire sur e-book, le système éducatif, la robotique industrielle, la lutte contre la violence faite aux femmes (curieux : 22ème position seulement, bien plus profond dans le classement si je relève tout, évidemment), le numérique à l’école, les droits des LGBT (j’explique : Lesbiennes Gays, Bi et Trans), le cloud computing (là, j’avoue que je n’ai pas cherché), la prévention de la dépendance, l’autisme, les forfaits mobiles low cost, la maladie coeliaque (?), les smartphones, la grippe A, la télévision, la fibre optique, la préparation de la retraite, le mariage gay, l’homophobie scolaire, les femtocells (sic ! C’est en rapport avec l’ordinateur, il paraît.), les médicaments génériques, l’éolien offshore, la maison de retraite « gay friendly », le traitement des déchets, le progrès incrémental (si si, mais ne me demandez pas), la libéralisation du courrier, l’accueil des étudiants chinois, le transport de fret, le handicap dans ses rapports avec la sexualité. Voilà, j’arrête. Je jure que tout cela est authentique, naturellement. D’ailleurs, tout le monde peut vérifier illico. Et arrêtez de vous taper sur les cuisses ! On est dans le sérieux, dans le grave, dans le lourd. On est prié de ne pas rire !

 

Et il y en a 14.300.000 comme ça ! Moi je rigole, mais on peut dire que là, ça rigole pas. Cela veut dire que la France est en RETARD dans quatorze millions trois cent mille domaines.  Et on est encore vivants ? Comment est-ce possible ? La France est tellement en RETARD qu’elle devrait être morte depuis longtemps, vous ne croyez pas ? L’âge des cavernes, je vous dis ! Les momies, je vous dis ! La « patrie » des « droits de l’homme » (pardon, dans la novlangue, « homme » étant obscène, il faut dire « droits humains », ce qui change tout, bien sûr) ravalée au rang de ruine, à visiter sous la conduite d'un guide, éventuellement. Mais dans cet INVENTAIRE, il manque quelque chose, vous ne trouvez pas ? Mais si, voyons : un  RATON LAVEUR (je n’aime pas Prévert, mais là, je suis obligé) !

 

D’abord, déclarer : « La France est en RETARD », ça ne veut rien dire, dit comme ça. On parle de RETARD « par rapport à un moment fixé ou prévu » (Le Robert) : c’est celui qui se produit quand vous finissez pas vous dire : « Elle m’a posé un lapin, ma parole ! ». Donc un retard, c’est obligatoirement PAR RAPPORT à quelqu’un, à quelque chose. Le Robert donne une clé, tout à la fin de l’article (sens 4) : « (Mil. XIX°). Etat, situation d’une personne qui est moins avancée que les autres dans un développement, un progrès ». Première remarque : tous les éclopés du cerveau et de la grammaire qui affirment doctement que « la France est en RETARD » devraient être sommés de dire par rapport à quel(s) autre(s) pays. Deuxième remarque : une telle formule, si je me fie au Robert, entraîne ipso facto que le domaine dont on parle est dans un état de PROGRÈS incontestable, ailleurs dans le monde.

 

D’abord sur la première remarque : on est, de toute évidence, dans une COMPETITION. On parle de retard, par exemple, dans la piscine olympique, où  Alain Bernard a pris un retard de douze centièmes de seconde sur Frédéric Bousquet. Sur la « Verte » des Houches ou celle du Lauberhorn. Sur l’anneau du « Nürburgring ». Dans la « transat » en double. Le point commun ? Il s’agit de COURSES. J’en conclus que, dans la tête de ceux qui profèrent l’ânerie « la France est en RETARD », flotte la certitude poisseuse, sans même avoir besoin de l'expliciter, que la course est légitime, que la compétition est nécessaire, que la guerre de tous contre tous (individus ou groupes) est un principe non seulement valable, mais une valeur désirable, absolue et universelle, et qu’ils sont amers, parce que la France ne fait pas, comme on dit, « la course en tête ». Et ils sont tous à guetter les trouvailles des uns, les innovations des autres. Je crains que, dans leur obsession, ils oublient quelque chose de plus important, et finissent un jour par entonner le refrain de JOHNNY HALLIDAY : « J’ai oublié de vivre, j’ai oublié de vivre ». Les pays du monde sont tous lancés dans une immense course, permanente, et surtout effrayante, parce qu’il n’y a PAS DE LIGNE D’ARRIVÉE. C’est jusqu’à la fin des temps ! Vous n’avez pas fini d’en baver !

 

Maintenant sur la deuxième remarque : si on y réfléchit bien, qu’est-ce qu’un « progrès » ? Et surtout : est-ce vraiment un progrès ? Si oui : en quoi est-ce un progrès, s’il vous plaît ? Allez-y, on vous laisse le temps pour trouver des arguments. Prouvez-le, que c’est un progrès. Tiens, au hasard : « l’assurance santé chien ». D’abord, je ne savais pas qu’il y avait une course mondiale à « l’assurance santé chien ». Ensuite, je cherche, et franchement, j’ai du mal à me dire autre chose que : « Tiens, les assureurs ont trouvé un nouveau moyen de racketter le pauvre monde, en dénichant ce "marché de niche" (si j’ose dire : oui, c’était facile ! ». A propos de la télévision (autre domaine), je ne vois ni la course, ni le progrès. Pour un certain nombre, il est facile de voir que le problème est surtout lié au développement et à la recherche de nouveaux marchés : éolien offshore, IRM, 4G/LTE, etc. On entend surtout l’attente anxieuse et empressée de la caisse enregistreuse qui espère des « retombées fructueuses » comme « retour sur investissement ». Pour tous les autres domaines cités ci-dessus, j'aimerais bien qu'on m'en fournisse, des arguments, et des arguments qui soient fondés sur autre chose que la simple proclamation des droits des individus. Je ne conteste à personne quelque droit que ce soit : je me contente de m'interroger sur la frénésie de certains à proclamer ces droits, et surtout à vouloir les inscrire dans des LOIS (ou : "de la défense des droits à la réécriture du DROIT").

 

Bref : on pourrait passer en revue les quarante-cinq articles ci-dessus de cette « grande charte de la compétition mondiale et du progrès obligatoire », on aboutirait à la même conclusion : « la France a du RETARD » est un expression nulle (mais malheureusement pas non avenue). Sous le couvert de cette expression, deux grands idéaux se présentent aujourd'hui à l'humanité comme but ultime, comme religion, comme GRAAL, et se partagent le bleu de notre ciel redoutable : la COMPETITION considérée comme le prototype ultime des relations entre les hommes ; l'INNOVATION, promue au rang de divinité, de salut, d'absolu, de rédemption. Notre novlangue est un filon riche en de telles pépites. Tout cela est donc du vent, du vent qui passe, du vent qui tourne. Sans consistance. Cela valait le coup de s’arrêter cinq minutes, vous ne trouvez pas ? Je terminerai sur le discours des "politiques", qui embouchent plus souvent qu'à leur tour les trompettes de cette renommée pitoyable et nauséeuse. Vous les entendez assez pour que je n'aie pas besoin d'insister : vous savez, avant même qu'ils aient ouvert la bouche pour claironner et klaxonner, qu'il ne sortira de cet orifice rien d'autre que du VENT.

jeudi, 26 mai 2011

HITLER AUJOURD'HUI ?

DE L’EUGENISME EN DEMOCRATIE « AUGMENTEE »

 

Tout d’abord, je signale aux lecteurs de ce blog que la présente note prolonge celle  du 12 mai, intitulée « Eugénisme : HITLER a gagné ». En fait, ceci est un simple codicille, dont l’actualité me fournit le prétexte. Bon, c’est vrai que ce numéro du Monde date déjà du 25 (hier, au moment où j’écris : ça commence à se faire vieux). C’est au bas de la page 11. C’est intitulé « Alarmiste face au projet de loi de bioéthique, l’Eglise catholique dénonce un recul de civilisation » (en gras, les mots placés entre guillemets dans l’article). C’est signé Stéphanie Le Bars (est-elle la famille d'Hugues Le Bars, qui a habillé de musique des paroles de IONESCO : « Eh bien, Monsieur, Madame, Mademoiselle, je suis bien fatigué, et je voudrais bien me reposer » ? Morceau étonnant.). Le nom sonne breton.

 

Monseigneur Vingt-Trois (il paraît que la réserve des noms de famille en France est en train de se vider, mais avec un nom pareil, on s’est surpassé, presque autant que les Chevassus-à-l’Antoine ou Chevassus-au-Louis (authentique évidemment)), Monseigneur Vingt-Trois, disais-je, vient donc de réagir à un projet de loi. Déjà, on sent de quel côté penche Le Monde : « Alarmiste », ça pointe déjà quelqu’un qui crierait avant d’avoir été touché. En gros, « alarmiste », c’est juste avant la pathologie. L’article aborde d’entrée la tentative de « lobbying politique » de  l’Eglise. Et ça continue avec : « Quitte parfois à forcer le trait ». On voudrait faire sentir que cet individu à nom de nombre a tendance à exagérer, on ne s’y prendrait pas autrement.

 

Qu’est-ce qu’il dit, l’archevêque de Paris ? D’abord la citation de ses propos mise en gros caractères au milieu de l’article : « On ne peut pas dire : "Les handicapés, on les aime bien, pourvu qu’ils ne viennent pas au monde" ». Voilà pour la référence à ma note du 12 mai (pour ça que je passe sur les détails du projet de loi, qui feraient ici double emploi). Le reste ? « Eugénisme d’Etat », « instrumentalisation de l’être humain ». La loi discutée à partir du 24 mai constitue « un recul de civilisation », et « une certaine conception de l’être humain serait très gravement compromise ». Qu’est-ce que je dis d’autre, le 12 mai ? Le président de la Conférence des évêques de France s’inquiète de « la systématisation juridique du diagnostic prénatal ». Il s’interroge : « Les faibles, les vulnérables auront-ils encore leur place dans notre société ? ». Il dénonce un « paradoxe », dans « cette instrumentalisation de l’être humain au moment où la Commission européenne travaille à la protection des embryons animaux ».

 

Rapidement : diagnostic prénatal (qui va évidemment de pair avec le remarquable avortement thérapeutique), recherche sur les cellules souches embryonnaires, extension à tous les couples de la P. M. A. (procréation médicalement assistée, dans la langue de bois officielle), proposition défendue pas les associations de défense des familles homoparentales : voilà des aspects de la loi abordés par le prélat. La journaliste écrit ensuite (en son nom propre, donc) : « En creux, le cardinal a salué le travail des députés catholiques et de la Droite républicaine, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour défendre les idées de l’Eglise sur ces questions ». Ben voilà, il fallait que ce fût dit : Monseigneur Vingt-Trois est un sale vieux RÉAC. Mine de rien, voilà comment s’exerce la sacro-sainte neutralité d’une journaliste du « journal de référence » Le Monde. Mine de rien, il s’agit, à dose homéopathique, d’amener le lecteur à ranger l’Eglise dans le camp des vilains : les « réactionnaires », Le Monde étant bien entendu dans celui du Bien. Personnellement, je parlerais plutôt du camp des « bien-pensants » (au sens de Bernanos). Et "en creux", j'avoue que c'est à savourer longuement.

 

Je ne suis pas catholique. Je ne suis ni croyant, ni incroyant. Pour parler franc : je m’en fous. Mais, suite à la petite analyse que je proposais le 12 mai, je ne peux que confirmer ma conclusion : HITLER, qui a voulu promouvoir l’eugénisme au rang de politique d’Etat, a bel et bien GAGNÉ. L’Eglise, quoi qu’elle dise, a d’ores et déjà subi une défaite. L’atmosphère est au consentement général (ou à l’indifférence). Et ça se passe sous la pression de groupes minoritaires, qui réclament des « droits », « à égalité avec les autres citoyens ». Comme si ces groupes étaient composés d’autres individus que des citoyens !

 

Est-ce que ce projet de loi est bon ou mauvais ? Je ne sais pas. Ce que j’observe, de nouveau, c’est qu’il adopte de façon fervente et militante des principes qu’avait commencé à mettre en œuvre quelqu’un dont il suffit de citer le nom pour faire naître dans l’oreille qui l’entend un écho immédiat du MAL ABSOLU. C’est évidemment ADOLF HITLER. Et dès lors, je m’interroge : sommes-nous sûrs, dans cette société dépourvue d’autre ennemi que l’infâme terrorisme ; somme-nous sûrs, dans ce monde qui a définitivement versé dans le camp du BIEN, qui a, en quelque sorte, « basculé du côté LUMINEUX de la Force » ; sommes-nous absolument sûrs d’avoir choisi le parti de l’humanité ? Monseigneur Vingt-Trois, qu’il soit catho, je m’en tape : son inquiétude devrait être celle de TOUS.  

 

Qu'y a-t-il de faux dans la phrase : « Les handicapés, on les aime bien, pourvu qu'ils ne viennent pas au monde. » ? Et qu'est-ce que ça a de RASSURANT, je vous prie ?

 

Le corps d'ADOLF HITLER est certainement mort. Mais ses idées ? Son PROGRAMME ? "Rassurez-vous" : tout ça est en cours d'exécution.

 

Le Meilleur des mondes est parmi nous.

 

 

 

L'IMPOSTURE ECONOMISTE

Dans le zoo fou qu’est devenue la planète, l’économiste occupe une pace de choix. Que dis-je : l'animal tient le haut du pavé du centre de l'échiquier. Comme ils disent eux-mêmes, ils sont « incontournables ». Ce sont, disent-ils, des « spécialistes ». Leur spécialité, c’est l’économie. Une « science », paraît-il. Drôle de science quand même. La science, on sait ce que c’est, le Grand Robert le dit : « connaissance exacte et approfondie ». « Exacte » ? Alors l’économie N’EST PAS UNE SCIENCE. Qu’il y ait des invariants, c’est certain : plus on fabrique de la monnaie, plus les prix augmentent ; quand on détient un monopole, on s’enrichit plus que quand la vraie concurrence fait rage ; etc. J'ai quelques notions quand même, faut pas croire. Mais un des caractères infaillibles qui définit une science, c’est qu’elle est capable de PREDIRE les phénomènes (si tu es à 0 mètre, et si tu mets de l'eau sur du feu, elle bouillira à cent degrés Celsius, par exemple).

 

Ça crève donc les yeux : l’économie n’est considérée comme une science que par un abus de langage, un mensonge soigneusement entretenu par la corporation des économistes. Drôle de corporation, à vrai dire. Il se trouve que j’écoute de temps en temps l’émission du samedi matin à 8 heures sur France Culture, intitulée « L’Economie en questions ». Ils sont quatre ou cinq, ils sont appelés des « experts », ils discutent de deux sujets principaux. Et s’il y a un invariant, il est ici. Pendant une quarantaine de minutes, ces « experts », tous très savants, c’est certain, débattent. Oui, parfaitement : il DEBATTENT. C'est précisément là qu'est l'os. ILS DEBATTENT. Suivant les sujets, il leur arrive même de s’engueuler. Voilà l’abus de langage : ces « experts » dans la « science économique », ils sont rarement d’accord, d’une part sur l’analyse à faire d’un phénomène, d’autre part sur les solutions à apporter aux problèmes et les perspectives. Si c'était une science, il n'y aurait pas de débats aussi vifs (et ce ne sont pas les vitupérations du bibendum plein de suffisance arrogante CLAUDE ALLEGRE qui peuvent me convaincre du contraire). Ecoutez un peu, un jour où vous n'avez rien de mieux à faire, ça devient toujours assez drôle, quand ce n’est pas franchement burlesque, quand ces grands spécialistes attaquent la partie « IL FAUT » du débat.

 

NOURIEL ROUBINI, cet économiste américain d’origine iranienne, s’est terriblement singularisé, début 2008, en prédisant la catastrophe des prêts hypothécaires aux Etats-Unis (« subprimes »). Tous ses collègues l'appelaient Cassandre : à présent, c'est plus un Cassandre, c'est un grand savant. Combien sont-ils dans le monde ? En France, on connaît maintenant PAUL JORION (l’homme au blog), qui avait aussi prévu la crise de 2008. Il prédisait hier la désintégration de l’Europe. Faut-il espérer qu’il se trompe ? De tels économistes, il doit y en avoir quelques autres dans le monde. Mais ils sont l’exception : dans l’ensemble, la profession se trompe régulièrement, incapable de seulement anticiper les événements. Or la profession, ce sont les « experts », et les « experts », ils sont où ? Ils enseignent l’économie, pardi. Ils forment de futurs économistes. Certains deviendront profs à leur tour, et la boucle est bouclée. C’est comme le poisson rouge dans son bocal : il tourne en rond. On serait dans les biotechnologies, on appellerait ça le « clonage ». On n’est pas près d’en sortir.

 

Je ne m’attarderai pas sur la folie furieuse de l’économie financière, sur la dictature des marchés et des « agences de notation », sur la récente et la peut-être future catastrophe. Je ne suis pas « expert », moi. Je me contente de regarder (et de subir, comme tout un chacun) la voracité de ce tout petit monde qui fait la loi au reste du monde. Je m’intéresse quand même à son fonctionnement, après tout, je suis concerné. J’ai donc mon mot à dire. Des gens plus qualifiés s’y intéressent aussi. ALBERT JACQUARD : J’Accuse l’économie triomphante ; VIVIANE FORRESTER : L’Horreur économique ; EMMANUEL TODD : Illusion économique ; et j’ajoute, pour faire bonne mesure, l’économiste JOHN KENNETH GALBRAITH : Les Mensonges de l’économie. Il n’a pas été Prix Nobel d’économie, celui-là ? Sauf qu’en fait de Prix Nobel (c’est-à-dire ceux fondés par ALFRED NOBEL en personne), il y en a CINQ et pas un de plus : médecine, chimie, physique, paix, littérature. Prix Nobel d’économie : inconnu au bataillon ! Oui, il existe un Prix d’économie, décerné (depuis 1968 ?), par la Banque de Suède, que les journalistes traduisent (faut-il qu’ils soient paresseux !) Prix Nobel. Là encore, donc, un simple ABUS DE LANGAGE. L'économie est bourrée d'abus de langage.

 

Bref, les quatre auteurs ci-dessus (dont un Prix « Nobel » donc) s’en prennent à l’économie en tant que telle. Todd, par exemple, parle en 1998 du « projet d’une impossible monnaie européenne » (c’est moi qui souligne). Lui aussi, il croit que l'Europe va se désintégrer ? Peut-on parler d’économie quand on n’est pas un « expert » ? La réponse est définitivement OUI ! C’est comme en psychanalyse, où vous avez JACQUES LACAN d’un côté, et de l’autre des gens comme DIDIER ANZIEU. L’un jargonne à qui mieux-mieux, et ça intimide, et ça impressionne les gogos. L’autre explique des choses complexes dans une langue claire qui cherche avant tout à être comprise. La plupart des économistes jargonnent, avec l’intention bien arrêtée de maintenir le profane hors du cercle des initiés. Mais tous ces gens, finalement, n’ont aucune certitude, mais aussi aucun compte à rendre (mais quel responsable, aujourd’hui a des comptes à rendre ?). Ils peuvent, crise après crise, continuer à SE TROMPER (soyons indulgents : en CHANGEANT D'ERREUR à chaque fois, en adoptant une erreur différente, parce que nous, on a oublié la précédente, et c'est bien, parce  que, comme ça, tout le monde croit ce qu'ils disent A PRESENT) dans les mêmes médias : voyez le petit ALAIN MINC qui, en tant que « consultant » (ça veut dire « expert » je suppose) grassement rétribué, continue à « conseiller » les puissants.

 

Moi, ce que je comprends, dans les diverses (et opposées) théories économiques, c’est que le fait même qu’il y ait des théories économiques est en soi une IMPOSTURE. (Je ne reviens pas sur celle que constitue le mot « science ».) Parlons de DOCTRINE, ce sera plus honnête. Le mot « théorie » est fait pour impressionner, rien de plus. En fait, ce que ne disent pas les « experts », c’est que dans leurs « théories », il y a moins d’ ECONOMIE que de POLITIQUE. Les fantoches « politiques » (vous direz que j’abuse des guillemets, mais il les faut) qui défilent sur les écrans et dans les journaux sont précisément cela : des FANTOCHES. Ils nous font croire qu’ils font de la politique, alors que la politique, elle se fait aux derniers étages des GOLDMAN SACHS et autres multinationales, elle se fait dans ces merveilleux endroits répartis sur toute la planète, monde sur lequel l’argent ne se couche jamais (bien content de ma formule). On appelle ça les « bourses » (c’est cruel pour les mâles, mais il est vrai qu’une bourse, ça se remplit et ça se vide : pardon. Il y a bien dans ma belle ville une rue Vide-bourse !).

 

Sarkozy et ses complices du G 8 font semblant d’être des acteurs, d’avoir du pouvoir, pire : ils nous font croire qu’ils savent ce qu’il font, et qu’ils feront ce qu’ils disent. En réalité, ils courent derrière, en essayant de nous convaincre que « la politique a repris le dessus », et qu’ils sont les meneurs de cet Amoco Cadiz. C’est à cette tâche constante (marteler, bourrer le crâne) que se consacre l’industrie télévisuelle et une bonne part de la presse papier (presse-papier ?). Quand, le soir même de son élection, NICOLAS SARKOZY va passer la soirée au désormais célèbre Fouquet’s, ce n’est pas parce qu’il est ami de quelques milliardaires. Il n’est pas le chef, ce soir-là : il est le LARBIN. Les gars autour de la table, disent : « C’est bien que tu sois élu. Maintenant, tu vas pouvoir faire NOTRE POLITIQUE ». Dites-moi si je me trompe : est-ce que ce n’est pas comme ça que ça s’est passé effectivement ?

 

Allez : la vie est belle et c’est tant mieux (il faudra que je trouve une formule plus personnelle. « Et c’est ainsi qu’Allah est grand », par exemple. Ah mais je m’aperçois qu’ALEXANDRE VIALATTE me l’a ôtée de la bouche, il y a déjà quelques décennies).

mercredi, 25 mai 2011

MANIFESTE DES ALEXIPHARMAQUES

Il intrigue, n’est-ce pas, l’intitulé de ce blog. J’imagine que, parmi les quelques lecteurs qui visitent ce blog, ils sont quelques aussi à se demander ce que peut bien vouloir dire « alexipharmaque ». Qu’est-ce que c’est, ce snob qui joue à l’érudit ? Eh bien, je le dis avec franchise, avec force, et même, disons-le, avec conviction : la question est légitime. Pour y répondre, permettez-moi de faire un peu d’archéologie et d’étymologie.

 

D’abord un peu d’archéologie : le 30 mars 2011, j’ai publié ici même une courte note, agrémentée de quelques photos (il y avait quelques monuments aux morts d’après la guerre de 1914-1918, quelques couvertures d’albums de bandes dessinées, et pour, en quelque sorte, servir de jambon-beurre entre ces deux tranches de pain sec, quelques Carla Bruni photographiée artistement dans le plus simple appareil. Les photos sont bien, la femme, je n’en sais rien.). Cette courte note renvoyait, en lui tressant des couronnes de laurier évidemment, au blog que j’avais inauguré en 2007, puis suspendu en 2008. 

 

Pourquoi l’avais-je alors intitulé « contrepoison », orthographié Kontrepwazon ? J’avoue que j’ai un peu oublié les raisons du choix à l’époque. Mais il y avait sûrement un germe d’esprit de contradiction, de contre-courant, de contre-offensive, de contre-ce que vous voulez. J’y parlais de divers sujets, après avoir commencé sur ce que j’avais appelé Monumorts (voir ci-dessus).

 

J’ignorais, avant d’ouvrir le présent blog, jusqu’à l’existence du mot « alexipharmaque ». Mais quand s’est profilée l’ouverture dudit présent blog, sur le même présent site, il m’a fallu lui donner une appellation. Comme je n’avais pas été mécontent de la précédente, mais comme je ne pouvais plus accéder à mon propre blog, ayant égaré les clés d’entrée, j’ai été obligé de fouiller dans la véritable malle au trésor que constitue le livre inépuisable d’ Henri Bertaud du Chazeau (Gallimard, collection Quarto, 1853 pages utiles). C’est un Dictionnaire de synonymes et mots de sens voisin.

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Dix-sept ans de loyaux services (ajouté le 13 mars 2020).

 

Vous voulez qu’on parle franchement ? Eh bien, je n’ai jamais vu mieux. Et je m’y connais, en dictionnaires. Le « nec plus ultra ». Alors vous allez voir à « contrepoison », et vous tombez sur le premier synonyme : Alexipharmaque. Vous avez maintenant la clé étymologique de la cuisine. « Alexis », celui qui protège. « Pharmaque », la substance qui empoisonne (un conseil : méfiez-vous du pharmacien).

 

Oui, me direz-vous, mais pourquoi « contrepoison » ? Là encore, cher lecteur bénévole, la question n’est rien d’autre que légitime. Et je tâche de répondre dare-dare à la question légitime. On va dire que ça fait du temps que je pratique ce vice qu’on appelle « impuni » : la lecture. Des livres, évidemment. Essentiellement. Mais aussi la presse : j’ai passé pas mal de temps et d’argent dans la lecture de toutes sortes de journaux et de revues diverses (j’ai collectionné les revues les plus bizarroïdes, comme l’improbable Géranonymo, le minuscule Surprise, et tant d’autres. Je me rappelle un fanzine, Nyarlathotep, un tout petit machin bricolé par Michallet, un camarade de fac qui avait donné un temps dans les thèses situationnistes, mais qui avait tout de même réussi à soutirer pour sa couverture, un dessin à un inconnu, qui s’appelait Giraud, célèbre aujourd’hui aussi sous les noms de Gir et de Moebius).

 

Le problème de la presse, des journaux, des revues, ce qu’on appelle « médias de masse », c’est que tout ça finit par donner de notre monde, le monde réel, une drôle d’image. A quoi s’est ajoutée, au fil du temps, une sale contamination du langage. Les Etats-Unis, entre autres virus, nous ont infectés avec celui qui atteint le monde entier : le virus épouvantable du politiquement correct. L’époque s’est convertie (je ne vois pas d’autre mot) à l’euphémisme (vous savez : « Côtes d’Armor » au lieu de « Côtes du Nord », « Alpes de Haute Provence » au lieu de « Basses Alpes », « non voyant » au lieu d’ « aveugle », et « personne à mobilité réduite » au lieu d’ « infirme »). Guy Bedos ajoute avec justesse « non comprenant » au lieu de « con ». Je crois que tout le monde connaît déjà « technicien de surface », « gardienne d’immeuble », « hôtesse de caisse »). J’arrête là. Je ne sais pas vous, mais moi, j’ai du mal à supporter. Je renvoie, en passant, aux livres de Viktor Klemperer et Eric Hazan (voir ma note du 28 avril, sur LTI et LQR).

 

Tout le monde s’y est mis. Les journalistes, évidemment, comme ils sont les plus exposés aux poursuites pénales, ont été obligés de s’y mettre. Les hommes politiques n’ont pas tardé à emboîter le pas : ça ne vous irrite pas les gencives au plus haut point, quand Martine Aubry annonce qu’elle veut « répondre aux attentes légitimes des Françaises et des Français » ? Delanoë qui parle des « Parisiennes et des Parisiens » ? (Heureusement, il y a le lapsus politique (Rachida Dati, et tout dernièrement Nicolas Sarkozy en personne, à son "e-G8", où il a parlé des "internôtres".) C’est comme un catéchisme appris par cœur et tellement entré dans les neurones et dans l’air ambiant, et qui ressort comme ça, spontanément, comme un réflexe de Pavlov. Ce bréviaire dont on nous rebat les oreilles, et récité avec tant de sérieux par tous ceux qui s’expriment par écrit ou par oral dans les médias, ça finit par tisser une toile d’araignée, un filet qui se resserre sur les mouches qui s’y laissent prendre, je veux dire les lecteurs de journaux, les auditeurs de la radio, les spectateurs de la télévision.

 

Nous bouffons de la novlangue (1984 d’Orwell), nous sommes abreuvés jusqu’à plus soif de « politiquement correct ». Le présent blog se propose, bien modestement et entre autres sujets, de commenter, d’analyser quelques-uns des insupportables du vocabulaire ambiant, de la « pensée » ambiante (si tant est qu’il s’agisse encore de pensée), de la défaite ambiante de la pensée (j’emprunte au titre de Alain Finkielkraut). Tout ça se passait, aux Etats-Unis, sous l’influence de groupes qui ont fini par acquérir un pouvoir de nuisance, et qu’on appelle les minorités : les « personnes contrariées dans leur croissance verticale » (= les nains), la fabuleuse « minorité » (???) constituée par la moitié de la population (les femmes, tout le monde a compris), les « Africains-Américains » (il paraît que c’est comme ça qu’on dit pour « noirs »), les diverses « minorités sexuelles » (L. G. B. T. est un sigle qui s’est dorénavant imposé, aux premiers rangs desquels les « gays » (il ne faut plus dire « homosexuels », sous peine de …).

 

Et tout ce beau monde s’est mis à revendiquer ses « droits », à militer pour l’ « égalité », à lutter contre la domination du mâle, contre l’hégémonie du blanc (là, il faut dire qu’il y a quelques raisons), contre la dictature hétérosexuelle, etc. Coalisées, les minorités sont devenues une sorte de majorité. Leur lent travail de sape des libertés générales a fini par payer : le statut de victime (voir ma note précédente) s’est vu ériger une statue (la plus récente étant la nommée Nafissatou Diallo, qui n’est pas une victime de Dominique Strauss-Kahn, mais une plaignante, jusqu’au prononcé du jugement) ; les geôles les plus infâmes, les culs-de-basse-fosse les plus putrides, bientôt les bûchers, au moins médiatiques, sont promis aux êtres infernaux qui « portent atteinte aux droits des minorités », qui oseraient ironiser à propos des handicapés, qui auraient l’infernal culot de se rendre coupables de « sexisme », accusation bientôt confondue avec celle de « racisme » (on croit faire un cauchemar, mais c’est bien réel). Au nom du « respect des différences » et « de l’exigence de « tolérance », nous entrons dans une société de l’intolérance. Les accusateurs publics potentiels sont maintenant légion.

 

Un exemple gratiné : oser parler de « différence sexuelle » entre hommes et femmes, eh bien, c’est épouvantablement réactionnaire, c’est à remballer dans les catégories de l’humanité cavernicole. C’est une grave atteinte aux « droits des minorités ». Depuis la grande prêtresse Judith Butler  et la fondation des études sur le « genre », on a découvert que l’humanité, depuis l’aube des temps avait tout faux. Il faut que ça se sache : le sexe ne repose sur rien de biologique, le sexe est une « construction culturelle » élaborée dans l’unique but de réprimer « les désirs légitimes des Américaines et des Américains », « leur droit légitime au choix d'une orientation sexuelle», et à « l'interdiction de la discrimination à leur égard ». Au fait, comment elle s'appelle, la femme entendue hier sur France Culture qui parlait de « la participation des femmes au montages de la scène érotique » ? De « l'hétérosocialité ludique » (qui traduit sans doute une entreprise de séduction entre homme et femme) ?

 

Comprenons-nous bien : il est hors de question de revenir à quelque criminalisation que ce soit. Mais j'en suis venu à me demander si l'on n'assiste pas aujourd'hui à l'irruption d'un criminalisation à l'envers. Et cela se passe pour beaucoup dans le langage, avec d'un côté des prescriptions (vous devez utiliser tels mots et expressions), et d'un autre côté des proscriptions (il est interdit de dire ceci ou cela). En somme, le présent blog se propose de décrypter dans le langage (principalement médiatique) quelques stéréotypes qui se présentent aujourd’hui comme des vérités qui doivent absolument s’imposer, y compris à travers des LOIS interdisant l’emploi de certains mots (ces temps-ci, c'est au tour du « populisme»), de certaines expressions, et réprimant toute infraction, rétrécissant de jour en jour, avec le consentement ahurissant de la population, intimidée par tous les flics potentiels, l’espace de ce qui s’est appelé il n’y a pas si longtemps la liberté d'expression.

mardi, 24 mai 2011

ELOGE DE LA DISCRIMINATION

L'ETAT DES MENTALITES

 

Ce qui est grand n’est pas petit. Ce qui est bleu n’est pas vert. Ce qui est LÁ n’est pas ICI. Ce qui est loin n’est pas près. Ce qui est A n’est pas B. Ce qui est lourd n’est pas léger. Ce qui est dur n’est pas mou. Ce qui est vivant n’est pas mort. Ce qui est virtuel n’est pas réel. Ce qui est vrai n’est pas faux. Ce qui est devant n’est pas derrière. Ce qui est en haut n’est pas en bas. Ce qui est à gauche n’est pas à droite. Ce qui est jour n’est pas nuit. Ce qui est eau n’est pas terre. Ce qui est pointu n’est pas rond. Ce qui est lisse n’est pas rugueux. Ce qui est vertical n’est pas horizontal. Ce qui est pluie n’est pas soleil. Ce qui est chaud n’est pas froid. Ce qui est obscur n'est pas clair.

 

Bon, je commence à vous bassiner la cafetière, je sens. J’explique : je viens de faire une liste (minuscule) de discriminations, voilà. C’est une suite de 1 et 0 d’avant la logique mathématique, d’avant l’invasion par le numérique. Discriminer, ça veut dire faire la différence. Vous voulez un exemple ? On a entendu ça sur France Culture, le 24 mai 2011, au bulletin d’information de 7 heures. Ce n’est pas vieux. Un lieutenant colonel de réserve (français) analyse la nouvelle stratégie des forces internationales en Libye, qui consiste à y envoyer des hélicoptères de combat, forcément plus vulnérables que des avions. Ces hélicoptères, je cite : « permettent d’opérer une discrimination plus fine des cibles au sol ». C’est un spécialiste qui parle. Maintenant, je remonte un tout petit peu plus loin : le début de la "Genèse" dans la Bible. Qu'est-ce qu'il fait, Dieu ? Il sépare. Premier jour, il sépare la lumière et les ténèbres. Deuxième jour, le firmament sépare les eaux d'au-dessous des eaux d'au-dessus. Troisième jour, il sépare la Terre et la Mer. Quatrième jour, il sépare le jour et la nuit. Sixième jour, à son image, il créa l'humanité, en ayant soin de préciser : "mâle et femelle". Et après tout ce travail de séparation, il se repose. Si c'est pas de la discrimination, ça.

 

Le sort indigne qui est fait à ce noble mot de discrimination, le sombre destin qui est devenu le sien de nos jours devraient faire se dresser les cheveux sur la tête de ceux qui en ont, maladie contre laquelle je suis désormais vacciné. Comme d’autres termes dont j’ai déjà parlé (« phobie », « tolérance ») ou dont je parlerai (« racisme », « victime »), le temps présent range le bocal « discrimination » sur le rayon du Mal. A ce titre, il est intolérable, inacceptable, inadmissible. D’ailleurs, c’est fait : il est proscrit. Nous avons en effet, à présent, une H.A.L.D.E. La halde est un petit animal exotique, féroce, qu’on a introduit récemment sur le territoire français pour assurer la pérennité de l’espèce, paraît-il menacée. Une drôle de bestiole quand même. Mais il semblerait que cet effort louable ait été vain : elle est morte. Il est vrai qu’elle a été illico remplacée par un animal autrement imposant : on le nomme « défenseurdesdroits » (sic !).

 

Mais foin de cours de zoologie : la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité, est (était) chargée de la Police des Droits. La principale difficulté, c’est le concours d’entrée. Le diplôme s’intitule « B. A. S. V. » : Brevet d’Aptitude au Statut de Victime. Et la refonte en Défenseur des Droits ne va pas faciliter les choses. Il ne suffit pas de se dire victime pour être admis dans le cénacle des victimes, en effet, de même qu’il existe aujourd’hui infiniment plus d’ « artistes » auto-proclamés que d’artistes véritables. Une sélection sévère s’impose (dans la déchetterie actuelle, on utilise le pléonasme « tri sélectif »). Un examen préalable et rigoureux décide si la personne est recevable au statut envié de victime (« envié » car – et c’est flagrant avec le sémillant Nicolas Sarkozy – il « ouvre droit à réparation ». Traduction : « Ça peut rapporter gros. »). Mme Diallo, que tout le monde connaît maintenant, n’est pas, en l’état actuel des choses, une victime de Dominique Strauss-Kahn, mais une plaignante (ben oui, puisqu’elle a porté « plainte » !). Mais j’y reviendrai une autre fois.

 

Discrimination, c’est la faculté humaine de démêler : le vrai du faux, le fait du droit, le réel du virtuel, l’homme de la femme, etc., je ne vais pas recommencer. Cela a beaucoup à voir, donc, avec la capacité de jugement. Sans discrimination, donc,  pas d’espèce humaine (je vais tout de suite à l’essentiel). L’histoire de l’humanité fourmille d’exemples qui montrent qu’être capable de discriminer a été indispensable à son évolution. Tiens, un parmi d’autres : pour nous, la couleur verte, c’est simple, sauf si tu es daltonien. Eh bien, dans le langage d’une tribu d’Amazonie dont j’ai oublié le nom (peut-être existe-t-elle encore), il y a deux cents (200) mots pour la signifier, pour les multiples verts observables dans la forêt, suivant le lieu, le moment de la journée, la plante, la qualité de la lumière, etc. Vous imaginez à quelle subtilité on peut parvenir pour évoquer deux cents nuances possibles d’une même couleur ? Essayez donc : vous en voyez combien de différents, des verts, quand les arbres, au printemps, commencent à pousser leurs feuilles à l’air libre ? Encore un : la botanique a un grand ancêtre, le suédois Carl von Linné (1707-1778), qui a passé sa vie à discriminer : il a dessiné des « arbres », avec des embranchements qui, au fur et à mesure de la description des plantes, se ramifient, pas à l’infini, mais presque. Même chose pour la zoologie évidemment.

 

Pour pouvoir s’y reconnaître dans ce monde, l’homme a donc eu besoin de classer ses éléments en leur donnant, à chacun, un nom différent. Allez, un dernier exemple pour la route : que serait aujourd’hui la divine informatique sans  discrimination ? Car qu’est-ce que c’est, une arborescence informatique, sinon un système de classement, de distinction et de hiérarchisation ? Je n’y peux rien : en zoologie, par exemple, vous avez l’ « ordre » (mettons les falconiformes chez les rapaces diurnes), puis vous avez les « familles » (mettons les accipitridés, chez les mêmes), ensuite vous avez les « genres » (mettons les aigles, pour faire simple), et puis vous avez les « espèces » (mettons l’extraordinaire milan royal, avec sa longue queue rousse échancrée). Et après les espèces, il y a les « individus » (d’une buse variable à l’autre, il reste des différences. Il faudrait dire : la différence fait de la résistance).

 

Hiérarchiser ! Le sale mot a été lâché ! Hiérarchiser, aujourd’hui, c’est proprement diabolique. C’est drôle : nous passons nos journées à hiérarchiser et à classer (ce que nous voulons faire ou ne pas faire, les informations qui nous intéressent ou non, les personnes que nous souhaitons voir ou ne pas voir, les livres que nous avons envie ou non de lire (je parle pour ceux qui lisent des livres), etc. On appelle souvent ça des « priorités.). Et avec ça, on nous donne des coups de marteau sur le crâne pour nous convaincre que c’est mal ? Mais c’est la schizophrénie à l’état pur, ma parole ! Hiérarchiser, c’est discriminer, et puis c’est nécessaire : est-ce qu’il faut aller à droite ou à gauche ?

 

Alors aujourd’hui, ce qui prime, c’est la « lutte contre toutes les discriminations » ? « Bon sang, mais c’est bien sûr », disait Raymond Souplex à la fin des Cinq dernières minutes (à mes yeux le seul commissaire Bourrel qui soit, c’est vous dire mon âge). Mais au fait, qu’est-ce qu’on appelle ici « discrimination » ? Jean Yanne, dans un sketch célèbre, proclame sa haine des « routes départementales ». Là, on se rapproche du sens couramment donné à « discrimination » aujourd’hui. Cela veut dire que dans le pays de ce Jean Yanne de permis de conduire, il n’y a que des routes nationales, peut-être ? Bon, c’est évidemment le gag. Mais ça montre en douce que l’idée est tout simplement folle. Intraduisible dans les faits. C’est heureusement en vain qu’Hitler a essayé de purger la race aryenne des éléments juifs qui la corrompaient. 

 

Alors on peut bien rameuter des Vacher de Lapouge, des Gobineau pour introduire dans l’espèce humaine des hiérarchies fondées sur des critères vaseux, voire délirants, pour segmenter l’humanité en catégories homogènes qui seraient naturellement hiérarchisées (vous savez : « supérieur », « inférieur »). Il ne faut pas appeler ces tentatives haineuses et fondées sur la trouille et le fantasme du beau nom de « discrimination ». On a « ségrégation », par exemple, ou « apartheid », qui ont à peu près gardé la force de leur sens. Je ne mentionne pas « exclusion », tout à fait dévitalisé à présent.  

 

Georges Perec a écrit un petit livre intitulé Penser/Classer (Le Seuil) : si on ne classe pas, on ne pense pas : c’est le règne animal. Des allumés du bocal ont prétendu, il y a bien longtemps, exporter la théorie darwinienne de l’évolution dans le domaine social. Mais ces agités de la rampe, genre Spencer, ont allègrement confondu l’ « évolution » dont parlait Darwin avec le « progrès », cette marche inéluctable de l’humanité vers sa propre amélioration (rien que la notion de progrès, d’ailleurs, est aujourd’hui mal en point). Ils ont voulu transformer de simples « faits », produits dans leur lente et longue succession, en « lois », c’est-à-dire en principes devant guider l’action des hommes et des sociétés. Ils ont voulu ériger des « conséquences observables » en « objectifs à atteindre », avant même d’avoir analysé la subtilité des mécanismes mis en jeu dans l’extraordinaire grand mécanisme qu’on appelle l’évolution.

 

Je crains cependant que le succès du mot « discrimination » pour désigner divers « apartheids » ne soit dû à un mouvement irrésistible. Chose curieuse, en effet, il devient quasiment impossible de lutter contre certaines gangrènes du vocabulaire. D’un côté, vous avez les « différences », qu’il faut absolument respecter, sous peine d’atteinte à la sacro-sainte « tolérance ». D’un côté, donc, il faut « respecter les différences » (nous sommes devenus de constants et talentueux « respecteurs de différences » à tout crin). De l’autre, il ne faut pas faire de « discriminations », sous peine, évidemment, d’atteinte à la sacro-sainte « tolérance ».

 

Si les mots ont un sens, « différence » et « discrimination » sont strictement superposables. Alors je dis : il faudrait savoir. D’un côté, le mot d’ordre de « créolisation » du monde, l’appel vibrant, insistant au « métissage » culturel (melting pot, world music, tout est dans tout et réciproquement). De l’autre, des revendications d’ « identité » de plus en plus fortes, parfois violentes. il faudrait savoir : « créolisation », « métissage », c’est exactement le contraire de « différence », d’ « identité ». Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Incompréhensible ? Abracadabrantesque ? Il y a de quoi vous rendre chèvre ! 

 

Si les mots ont un sens, si les mots dessinent les choses qu’ils désignent, il y a, quelque part par là, si je suis gentil, du bourrage de crâne, si je suis moins gentil, la mise en place d’un monde totalitaire, d’autant plus sournois qu’il s’est débrouillé pour susciter l’adhésion enthousiaste du plus grand nombre. Ça ne vous inquiète pas ? Ça ne vous rappelle aucun souvenir ?

 

Allez, comme disait le bon Jean-Jacques Vannier, « la vie est belle, et c’est tant mieux ».

lundi, 23 mai 2011

APRES LE SEXE, LE SPORT

LES COÏNCIDENCES QUI TUENT

 

C’est parfois drôle, la tyrannie de l’actualité, pas souvent, mais de loin en loin. Voyez, moi, ce matin, je poste ce billet sur le sexe comme addiction. Eh bien, tu le crois ou tu le crois pas, mais dans Le Monde de ce soir (daté demain), je tombe, en page 2, sur « Quand la relation au sport devient pathologique ». Oui c’est drôle, la tyrannie de l’actualité. Je cite : « besoin irrépressible et compulsif de pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités sportives ». Les conséquences à long terme sont redoutables. « 10 à 15 % des sportifs ayant une pratique intensive souffrent en réalité d’une véritable addiction. » Est-ce que par hasard nous vivrions dans une SOCIÉTÉ D’ADDICTION ? (Cela veut dire une SOCIÉTÉ DROGUÉE.) Je pose juste la question.

DU SEXE DANS LA SOCIETE MARCHANDE

SEXE, ADDICTION et VIDEO

 

Je ne vais pas revenir sur l’affaire dans laquelle vient d’être « mouillé » (pardon, ça m’a échappé) Dominique Strauss-Kahn. Le feuilleton a pris dans les médias sa vitesse de croisière, pépère : on n’est plus à la une, il faut chercher en pages intérieures. Dans les journaux, une salade chasse l’autre. Je dirai simplement qu’il n’y a peut-être pas de hasard si celle-ci arrive aux Etats-Unis, pays atteint, quant au sexe, de névrose obsessionnelle, je dirais « névrose oxymorique » si l’expression existait. L’oxymore, je rappelle, c’est la formule qui présente deux termes logiquement impossibles à associer (« le soleil noir » de Nerval, le « feu glacé » du Roméo de Shakespeare).

 

Vous me direz, pourquoi névrose oxymorique ? Pour faire court : d’un côté le matraquage d’une propagande frénétique qui ordonne à chacun de consommer et de jouir ; le développement d’une industrie du porno (j’ai oublié le nom du pape qui règne sur le film X) ; l’exacerbation de tous les désirs. – De l’autre, un encadrement puritain très strict des rapports entre hommes et femmes ; une codification tatillonne de ce qui se fait et ne se fait pas, avec en arrière-fond la qualification d’un délit, les menottes, le tribunal (est-il vrai, mais j’ai du mal à le croire, qu’il existe dans certaines universités, un « code de bonne conduite sexuelle » que les étudiants sont invités à signer avant d’y entrer ?) ; en gros et en bref, l’interdiction plus ou moins officielle de ce que, en France et pendant des siècles, on a appelé séduction (au secours Marivaux !). Il y a de quoi enfermer la pauvre population masculine, ainsi prise en tenaille, pour schizophrénie.

 

Restons en France. En 2002 dans Marianne, Philippe Muray se gausse (« Malbaise dans la civilisation ») de l’affrontement qui a opposé, d’un côté, le CSA, aidé de l’ineffable Christine Boutin, qui voulait interdire les films porno à la télévision, et de l’autre, tous les tenants de la liberté d’expression culturelle incarnée pour l’occasion, par lesdits films. J’adore personnellement le fait qu’à propos de porno on puisse parler de culture (mot qui amène immédiatement le jeu de mot, non ?). Il est certain que le sexe s’est banalisé, qu’on en parle au quotidien, de façon forcément « décomplexée » (je me marre). Il est certain que se passer un petit porno le samedi soir quand on s’ennuie devant la télé, n’est plus exceptionnel, ni même clandestin. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’un ami me racontait qu’il regardait des pornos avec son fils qui devait avoir dix ou douze ans. Ne m’en demandez pas plus.

 

L’accès au sexe libéré est donc d’une facilité aujourd’hui incomparable, et imparable. Vous avez le salon « éros » (pauvre éros, quand même !). Vous avez des rayons entiers de DVD spécialisés, pour tous les goûts. Vous pouvez choisir votre assortiment de « sextoys » personnalisé : vous, c’est plutôt le classique vibromasseur (avec ou sans télécommande, avec ou sans « fioritures ») ou « boules de geisha » ? Vous avez toutes sortes de BD, de romans photos, etc. Vous avez toutes sortes de boîtes où sortir en couple, pour « échanger » (ça pimente la relation, et puis c’est moderne, on vous dit). Bref : on est au supermarché, avec son caddie, on passe dans les rayons, puis on passe à la caisse (ah oui ! Il faut savoir ce qu’on veut !). Quelqu’un (je ne cafterai pas) me parlait, il n’y a pas longtemps, d’une visite qu’il a faite à une amie en compagnie de son fils (environ huit ans), qui, s’étant mis à fouiner partout, tombe sur un « objet » qui se met soudain à vibrer : « Papa, qu’est-ce que c’est ? ». Tête du père. La femme pas gênée pour deux sous.

 

Tout cela offre un tableau triomphant du progrès, évidemment. Bon, il y a quelques revers à la médaille. Une fois les parents partis chez des amis, qu’est-ce qui m’empêche de mettre un DVD dans l’appareil ? Personne. Pas même la « cachette », quand ils en ont imaginé une. « Ben comme ça, ça leur fait au moins une éducation sexuelle, c’est mieux que rien ! » Je veux, mon neveu ! J’en veux de ce genre d’éducation : au moins, les gamins n’attendront pas l’âge adulte pour savoir ce que c’est qu’une verge en érection, une chatte qui mouille, un ramonage en règle, et par tous les trous ! Et à deux, à trois, en tas ! Le progrès, je me tue à vous le dire. Et puis c’est bien : c’est paraît-il de plus en plus tôt. Comme initiation à la mécanique, avant d’entrer au lycée professionnel, c’est bien, comme apprendre l’écriture en maternelle, tiens !

 

Alors le résultat, vous me direz ? Le résultat se trouve, par exemple, dans Le Monde daté 22-23 mai, à la page 24. C’est signé Martine Laronche, intitulé « Quand le sexe prend les commande », et sous-titré : « Les patients qui souffrent d’addiction sexuelle sont de plus en plus nombreux à consulter ». Vous avez bien lu : « addiction sexuelle ». Peut-être que pour Strauss-Kahn, c'est ça, après tout ? Ce n’est pas (encore) répertorié parmi les troubles mentaux : c’est une « dépendance  comportementale » (belle trouvaille !). L’addiction sexuelle touche davantage les hommes que les femmes. Les Américains (toujours eux) développent les études à son sujet. Sous-entendu, sans doute : la France est en retard, quoiqu’un peu de bon sens nous reste, car certains (professeur de psychiatrie, par exemple) considèrent qu’il s’agit d’un « raccourci médical » (la formule reste douce).

 

Bon, je ne vais pas vous résumer tout l’article. Seulement le cas de « ce patient de 29 ans qui consulte pour une double addiction : aux sites pornographiques depuis l’âge de 10 ans et au sexe depuis ses premiers rapports, à 15 ans ». Il a quand même mis cinq ans pour passer du virtuel au réel, pour passer de l'image à l'acte. Toujours est-il qu'à 29 ans, c’est déjà un vieux routier. « Il a un besoin impérieux d’avoir des relations sexuelles plusieurs fois par jour, recherche en permanence les effets excitatoires [introuvable au dictionnaire, soit dit en passant] des images X ». Il s’ensuit pour lui une spirale de souffrance : il y a la dépendance (je peux pas m’en passer), et l’accoutumance (il faut m’augmenter mes doses). Bref, il doit se soigner. Et s’il doit se soigner, c’est qu’il est malade (vous alliez le dire).

 

Tout doucement, donc, mais pas si doucement que ça, finalement, la vie sexuelle (pas de tout le monde, j’espère) se transforme en maladie, en pathologie. Et si je dis que celle-ci nous vient des Etats-Unis puritains, je vais encore me faire traiter d’anti-américain. Je préfère donc, avec Philippe Muray, évoquer le triomphe du protestantisme anglo-saxon sur la latinité catholique. Entre ces deux religions chrétiennes, vous avez déjà deviné celle que je préfère.

dimanche, 22 mai 2011

HITLER A CANNES

Ceux qui suivent un peu ce blog, savent que j'ai déjà publié deux notes sur Adolf Hitler (l'eugénisme et l'architecture dans notre monde tout à fait d'aujourd'hui, c'est-à-dire actuel, c'est-à-dire présent). Ma thèse, c'est que Hitler a gagné. Mon argumentation repose sur l'idée que nos grandes démocraties (on sent qu'on approche, tout tremblant, du sacré), en faisant d'Adolf Hitler l'épouvantail number one (on peut faire la liste de ses successeurs, jusqu'à Saddam Hussein et Mouammar Khaddafi), - nos grandes démocraties donc, ont établi durablement un paravent, un écran, qui évite d'avoir à jeter un oeil un peu précis et attentif sur la façon dont elles fonctionnent.

Ma thèse, c'est que les idées d'Adolf Hitler imprègnent aujourd'hui jusqu'au tissu de nos sociétés dites démocratiques. Eh bien, bonne nouvelle, l'épouvantail continue à fonctionner. L'ostracisme et la réprobation universels sont tout prêts à s'abattre comme des vautours sur tous ceux qui font mine de dédouaner le terroriste d'Etat qui a régné de 1933 à 1945 sur l'Allemagne et l'Europe. Le dernier à en faire les frais, c'est, tout le monde a compris, Lars von Trier, au Festival de Cannes. Il a tout compris du monde dans lequel nous vivons : le spectacle, le spectacle et le spectacle forment la Sainte Trinité de ce monde idyllique. Et le diable n'y est pas le bienvenu.

Quelle idée, aussi, de mimer l'extraordinaire Nuit du chasseur, avec l'inoubliable méchant Robert Mitchum (on a oublié les noms de tous les autres acteurs) ! Quelle idée d'écrire F.U.C.K. sur ses quatre phalanges ! Quelle idée de déclarer sa sympathie pour Adolf Hitler ! Quelle idée de déclarer : "I am a nazi" ! Il a peut-être tout compris au monde dans lequel nous vivons, mais il n'a rien compris au code officiel qui le régit. Là, il a raté son code, et c'est sûr : il n'aura pas son permis.

C'est entendu : nous sommes le royaume du bien inexorable, de la vertu impitoyable, de la perfection dévastatrice. Et tout le monde semble continuer à croire à cette fable. L'émission "Le Masque et la plume", ce soir sur France Inter, perpétue cette fable en entonnant le refrain: par son dérapage, (?) Lars von Trier est un salaud. Vous avez peut-être entendu : c'est l'unanimité. C'est la terrible unanimité, l'insoutenable unanimité de l'être (pardon, maître Kundera). C'est la curée, que dis-je : c'est l'hallali.

Désolé : je ne ferai pas partie de la meute qui se jette sur la bête aux abois, qui est sans doute grillée pour quelque temps. Je ne crie pas bravo à ses propos idiots, et il ne s'agit certes pas de réhabiliter Hitler et le nazisme. Les pauvres types qui ont dernièrement rebaptisé leur "cochon pride" d'un nom plus consensuel (j'ai déjà oublié) devant la cathédrale Saint-Jean, m'apparaissent comme de misérables clowns sinistres. Mais je ne hurle pas haro sur Lars von Trier avec les loups. Si les gens qui sont payés pour avoir la parole regardaient un peu le monde qui les entoure tel qu'il est, peut-être diraient-ils moins de conneries.

LES MOTS POLICIERS : PHOBIE

HARO SUR LES PHOBES !

Tout au long de ses Essais (Les Belles lettres, 2010), le grand Philippe Muray tape dès qu’il peut sur ceux qui tapent sur tous les « malades » atteints de diverses « phobies ». Il tape dessus pour une raison bien précise : les dénonciateurs de « phobies » font tout ce qu’ils peuvent pour que des lois interdisent d’être atteint de « phobies », et pour que des lois punissent impitoyablement toutes les manifestations publiques des « phobies » ainsi stigmatisées. Philippe Muray s’attaque ce faisant à la tendance de l’époque qui consiste à faire entrer toutes sortes de vides juridiques dans le Code pénal.

Il est vrai que c’est devenu une véritable manie : quand un fait divers tragique se produit, Nicolas Sarkozy sort sa loi, mais que l’absence de décrets d’application, ou tout simplement parce qu’elle est inapplicable, rend inapplicable. Un fait appelle une loi. Comme des faits, il s’en produit quelques milliards à chaque seconde, je ne sais pas si la distance de la Terre à la Lune suffirait pour calculer l’épaisseur du code pénal qu’il faudrait écrire pour la sécurité de la planète. La moitié de l’humanité serait alors chargée de commettre des faits (autrement dit de vivre). L’autre moitié serait composée de juristes, de juges, de procureurs et d’avocats. On appellerait ça la division du travail pénal.

Trêve de plaisanterie : par curiosité, je suis allé voir ce qui se trame derrière l’écran du mot « phobie ». Le détour est intéressant, et le spectacle est croquignolet. Si l’on s’en tient à la définition médicale, voici ce qu’on trouve dans le Dictionnaire de la psychanalyse d’Elisabeth Roudinesco : « Utilisé en psychiatrie comme substantif vers 1870, le terme désigne une névrose dont le symptôme central est la terreur continue et immotivée du sujet face à un être vivant, un objet ou une situation ne présentant en soi aucun danger ». Je retiens « névrose » et « terreur continue et immotivée ».

Un exemple ? J’ai connu une femme (Mme L.) qui souffrait de deux phobies véritables. Tout le monde connaît la claustrophobie, non ? Elle en souffrait à ce point que prendre l’ascenseur était pour elle, tout simplement, inenvisageable. Elle revenait donc du supermarché le coffre de la voiture plein, mettait tout dans l’ascenseur, appuyait sur le bouton et montait à pied. Bon, elle n'habitait qu'au troisième. Plus grave : elle m’a raconté qu’elle souffrait de « colombophobie », soit, en clair, la terreur des oiseaux. Un jour, elle traverse le pont Lafayette, au-dessus duquel passent et repassent les mouettes. L’une d’elles a le malheur de la frôler. Mme L. ne se souvient rigoureusement de rien, sinon que, lorsqu’elle a repris connaissance, elle était étendue au milieu de la chaussée, au milieu du pont.

Voilà ce que c’est, une vraie phobie, et voilà ce que ça donne : une panique totalement impossible à maîtriser, à réprimer ; une perte de conscience en présence de l’objet d’horreur. C'est ça la maladie qu'on appelle phobie. L’usage du mot, aujourd’hui, dans les médias, est tout simplement abusif. C’est une malversation. Ceux qui en parlent sont des faussaires. On accuse quelqu’un de « phobie » au même titre que Sarkozy accuse les socialistes d’ « immobilisme » et d’ « archaïsme ». Le mot phobie range illico celui qui en est atteint parmi les malades mentaux, atteint des mêmes « maladies mentales » qui servaient de prétexte aux Soviétiques pour  enfermer leurs dissidents en asile psychiatrique, où a été inventée la "torture blanche". Rien de mieux pour disqualifier. On appellera ça un hold-up. Cela veut dire accessoirement que l’accusation de « phobie » à tout bout de champ fonctionne aujourd’hui, exactement, comme un argument politique, et que la toile de fond totalitaire sur laquelle l’argument se détache n’a rien de rassurant.

C’est au même genre de malversation que, en 1984, toute la gent à soutane et à crucifix avait kidnappé le mot « libre » pour faire retirer la loi Savary qui stipulait que l’argent public irait désormais à l’enseignement public, l’enseignement privé (l’enseignement dit libre) devant se démerder pour trouver des fonds privés. Le tout, pour arriver à ses fins, comme ce fut le cas en l’occurrence puisque la loi fut retirée par François Mitterrand, le tout, c’est d’arriver à convaincre le plus de monde possible qu’on est, dans l’affaire, la victime. C’est très important, d’être la victime. Ce fut une belle imposture : être libre, cela signifie qu’on ne dépend de personne. Or l’enseignement catholique, puisqu’il faut l’appeler pas son vrai nom, dépend pour son existence de l’argent alloué par l’Etat français. Il est maintenu en vie grâce aux transfusions permanentes et importantes dans ses veines de l'argent du contribuable. Il est parvenu à ses fins en faisant subir aux mots la même inversion que Big Brother dans 1984 du grand George Orwell : « L’esclavage, c’est la liberté ». C’est ça, la Novlangue.

En consultant divers dictionnaires sérieux, j’ai trouvé une vingtaine de phobies dûment répertoriées, médicalement repérées. Une vingtaine, tout mouillé de chaud. Bon, on doit pouvoir en dénicher quelques autres dans les coins ou dans les placards : allons jusqu’à trente. Ensuite, vous allez voir sur l’incontournable Wikipédia. Là c’est du grand spectacle. Que dis-je ? C'est un feu d'artifice. A ce jour, la notice se divise en 9 parties. Je vous épargne l’énumération : disons qu’il y a les phobies au sens restreint, et les phobies au sens étendu (c’est évidemment dans ces dernières qu’il faut chercher l’imposture). J’exclus pour l’instant les mots de la chimie et de la biologie qui désignent des propriétés de corps ou d’organismes.

Au sens restreint, on trouve, attention, tenez-vous bien, quatre-vingt-onze (91) « phobies » (connaissiez-vous la « triskaïdekaphobie » ? Moi non plus. C’est la peur du nombre 13. Et la « plangonophobie », ou peur des poupées ?). Bref, c’est vous dire qu’avec Wikipédia on est dans le sérieux, vous ne trouvez pas ? Là, je me marre. Non, vous avez compris qu'on est dans le grand n'importe quoi. Je suis sûr qu’on peut en ajouter toute une liste, même en ne cherchant pas trop. Au sens étendu, on entre dans ce que la notice appelle « préjugés et discriminations », malheureusement sans dire s'il y a une parenté, et laquelle, avec la vraie phobie (voir l'exemple de Mme L. plus haut). On y trouve l’ « hispanophobie » (oui, pour introduire le paragraphe), puis, dans l’ordre alphabétique (juste quelques-uns, pour goûter) : « biphobie », « christiannophobie », « éphébiphobie », « gérontophobie », « hétérophobie », « homophobie », « islamophobie », etc. Il y en a douze, vous pouvez vérifier dès maintenant. Au total, ça fait cent trois (103) : une phobie de moins que les symphonies du grand Joseph Haydn. On est clairement dans la fantaisie, l’improvisation et l’imagination. C'est le grand n'importe quoi. On est clairement dans l’imposture.

Cette liste me fait penser à un article déjà ancien paru dans Le Monde diplomatique, intitulé « Pour vendre des médicaments, inventons des maladies », où l’auteur dénonçait la frénésie purement commerciale des firmes pharmaceutiques, désireuses de mettre en application le principe énoncé par Jules Romains, en 1923 s'il-vous-plaît, par la bouche du personnage central de sa pièce Knock : « Tout homme bien portant est un malade qui s’ignore ». Knock rêve en effet de transformer la petite ville dans laquelle il exerce en un vaste hôpital. De même, les inventeurs de « phobies » rêvent de transformer les gens normaux : « Toute personne normale est un phobique qui s’ignore ». On invente des « phobies » pour en faire tomber le maximum sous le coup de la loi, et punir les coupables.

Le mot qu’on met sur la chose découle souvent d’un choix idéologique. Entre 1940 et 1945, on savait dans quel camp vous étiez suivant que vous disiez « terroriste » ou « résistant ». Les mots qu’on utilise révèlent quelque chose de la personne qui les prononce. J’ai parlé ici le 10 mai de l’accusation de racisme portée contre Laurent Blanc. En voilà, un mot qu’on met à toutes les sauces, comme si quelqu’un, en l’appliquant à n'importe quoi, voulait en finir avec la notion même de racisme en la diluant tellement, comme dans les médicaments homéopathiques, qu’elle perd à l’arrivée toute signification.

Reste un mécanisme et une structure. Il faut trois acteurs : un accusateur déguisé en victime, un accusé, et le Code pénal. L’exemple récent des prières, le vendredi, dans certaines rues de Paris et de Marseille l’a bien montré. L’accusateur déguisé en victime, ce sont les musulmans de France, l’accusé, c’est Claude Guéant, coupable en l’occurrence d’ « islamophobie », et le levier, c’est bien le Code pénal. Je me garderai de prendre la défense du ministre de l’Intérieur. Houellebecq s’en est pris un jour à « la religion la plus bête du monde ». Un professeur de philo, Robert Redeker, a pris en 2006, une volée médiatique de bois vert quand il a osé dénoncer la violence prônée dans le Coran. Le fait seul qu’il ait aussitôt reçu des menaces de mort prouve qu’il avait raison. L’Islam en France est d’abord un fait. Même chose pour la judéophobie : celui qui en est taxé devient ipso facto un dégueulasse antisémite, parce qu’il a osé, comme Edgar Morin il y a quelque temps, critiquer la politique des Israéliens envers les Palestiniens. Même chose pour une des « phobies » qui ont le vent en poupe en ce moment : l’ « homophobie ».

Loin de moi l’idée d’approuver Guéant, Houëllebecq ou Redeker. Quant à l’homosexualité, elle est aussi vieille que l’humanité : elle est un fait. Il n’est évidemment pas question de persécuter les musulmans, les juifs ou les homosexuels : persécuter est un acte, et comme tel, il est intolérable. Ce qui est inquiétant dans toute cette affaire de mots, c’est qu’on a l’impression qu’ils sont assiégés, guettés, surveillés étroitement par des gardes-chiourme. Or, si les mots sont l’expression de la pensée, ils ne sauraient être considérés comme des actes, et encore moins jugés au même titre que des actes. Est-on sûr que développer à outrance la surveillance policière des mots soit le meilleur moyen de faire définitivement disparaître les actes contre les mosquées ou les tombes musulmanes, contre tel cimetière juif, contre les homosexuels ? Je suis très loin d’en être convaincu.

Quand la police prend le pouvoir, on peut voir ce que ça donne, par exemple en ce moment, dans la Syrie de Bachar el Assad.

vendredi, 20 mai 2011

ARCHITECTURE : HITLER A GAGNE

Il faudra bien qu’un jour on cesse de faire de Staline et Hitler des épouvantails, des incarnations d’un Mal définitivement enterré à des années-lumière de notre monde si heureusement né au chef d’œuvre qu’est la démocratie, dans l’histoire des sociétés humaines. Il faudra cesser de mettre les deux grands totalitarismes du 20ème siècle dans des parenthèses, comme des parois étanches qui en font des sortes d’exceptions historiques, des espèces de dérapages du flux normal de la grande Histoire : finalement des erreurs. Non :  Staline et Hitler ne sont ni des dérapages, ni des exceptions, ni des erreurs. Ils sont l’expression, la conclusion logique, l’aboutissement « normal » d’un système né avec l’Europe industrielle (ça fait 150 ans, ou à peu près).

 

Qu’ils en aient été de sinistres caricatures ne change rien : Staline découle en pire du terrorisme d’Etat mis en place par Lénine (après tout, il a commencé sa carrière en attaquant des banques avec la bande qu’il dirigeait) ; Hitler découle en pire des traités qui ont suivi la guerre de 1914-1918 et des errements de la République de Weimar. Alors, c’est vrai : les doctrines de l’un et de l’autre, dûment condamnées, sont enfermées dans les placards, dans les caves et dans les archives. Mais elles ne sont pas restées sans postérité, sans descendants, sans héritiers dans notre monde très moderne, très actuel, pour tout dire. Le monde que nous héritons du passé doit aujourd'hui beaucoup à Staline et Hitler, comme j’ai essayé de le montrer pour l’eugénisme dans ma note du 12 mai dernier.

 

Pour voir si je ne délire pas, je me tourne vers un témoin irréfutable : Albert Speer, l’architecte de HITLER, son seul confident, paraît-il. Evidemment inscrit au Parti nazi, dont il devient rapidement l’architecte en chef, il a une conception de l’architecture qui épouse étroitement les visions du Führer, mais celui-ci va y insuffler toute l’ampleur de sa démesure. Et c’est quoi sa conception ? Par exemple, il invente « la valeur des ruines » : dans 1000 ans, il faudra que les ruines laissées soient aussi belles que celles, visibles aujourd’hui, de l'antiquité grecque. Dans leurs cartons, qu’est-ce qu’ils ont comme projets, les deux complices ? Le Reichstag, paraît-il (cf. Wikipédia), une coupole treize fois plus haute que Saint Pierre de Rome (131 mètres, ça nous porte à 1703 mètres : étrange). L’arche triomphale aurait pu contenir dans son ouverture l’Arc de Triomphe de l’Etoile (49,54 mètres). Pour le futur stade des « jeux aryens » à Nuremberg (après suppression des Jeux Olympiques), 400.000 places prévues. Bref, l'architecture nazi, c’est de l’impérial, du monumental, du triomphal de masse. Bref : surenchère, démesure, volonté de puissance (tiens tiens !).

 

Il faut dire que Mussolini a tenté de rivaliser avec Hitler, mais il n’avait pas les moyens. Consolons-le en lui répétant, sur son bulletin scolaire, que l’intention y était : « Bien, mais doit mieux faire, s’il veut accéder à la plus haute marche ». Côté Staline, c’est pas mieux, à voir les palais soviétiques, la magnifique Loubianka, à Moscou, vous savez, le palais du KGB de sinistre mémoire, remplacé par le moderne et riant FSB, et diverses autres grandioses réalisations dans les « démocraties populaires ». J’ai vu de mes yeux, en 1990, ce que Ceaucescu avait prévu de construire en plein Bucarest : un immeuble-ville, après avoir détruit sans sourciller quelques dizaines d’églises, dont certaines du 18ème siècle. Dans le même temps, il projetait de rassembler la population roumaine dans quelques dizaines de méga-villes, pour restituer à l’agriculture toute la surface disponible, moyennant la destruction pure et simple de quelque 5000 villages. Quand je me tue à vous dire que Hitler, il est pas mort. Est-ce que le gouvernement roumain d’aujourd’hui, forcément démocratique, on vous dit, sait désormais quoi faire de ce machin (je ne vois pas d’autre terme) ?

 

Mais du côté de chez nous, les pays « libres», comme toute le monde dit, qu’est-ce qu’on voit, éberlué ? Qu’est-ce que c’est, l’Empire State Building ? Qu’est-ce que c’est, les tours de Kuala Lumpur ? Burj Khalifa à Dubaï (828 mètres) ? Le stade de Maracaña ? Qu’est-ce que c’est, le plus grand pont du monde ? Le plus gigantesque barrage du monde (en Chine : le « Trois gorges ») ? Le tunnel le plus long du monde (en Suisse : le « Gothard »)? Etc., etc., on n’en finirait pas. Bon, vous avez compris : surenchère, démesure, volonté de puissance. Quand je vous disais que Staline et Hitler ne furent que l’expression caricaturale d’un système industriel voué par nature au gigantisme et à la compétition illimitée du gigantisme !

 

Je vais aggraver notre cas, à nous autres, les sociétés « démocratiques », qui se donnent en spectacle désirable à « toutes les dictatures antédiluviennes » (qu’on se demande comment elles ont pu se perpétuer). C’est à propos d’une autre trouvaille architecturale, vous savez, celle qui, moyennant finance, vous permet de gagner la Côte d’Azur le plus rapidement (sauf en cas de bouchon, d’accident ou de chute de neige un peu imprévue). Allez, lecteur, ne te fais pas plus bête que tu n’es. C’est évidemment l'autoroute. Tu sais, estimable lecteur, de quand ça date, l’autoroute ? De 1924 (77 kilomètres entre Milan et la région des lacs). Et tu ne devineras jamais où ça a été inventé ? Allez, je te le dis : Italie. Et qui est au pouvoir ? Mussolini. Et qui va se mettre à en fabriquer à n’en plus finir ? Adolf Hitler. Et à quoi ça devait servir prioritairement ? Acheminer les armées, les camions, les blindés, les canons, les chars. Evidemment, aujourd’hui, plus personne ne se pose la question : l’autoroute, c’est tellement plus pratique (tiens, c’est comme l’ordinateur, l’internet, le téléphone portable, la musique portable, etc.). L’autoroute, on l’emprunte (et on la rend à la sortie).

 

Moralité ? Toute le monde a compris : l'architecture et l'autoroute, qui structurent de fond en comble l’espace et le territoire de nos si désirables démocraties, nous ont été léguées par Hitler.

 

L’excellent Philippe Muray (y avait longtemps…) parle quelque part des fameuses tours du World Trade Center. Il parle, à leur propos de cataclysme architectural. Je trouve que c’est bien vu. Mais si l’on va par là, il faut bien dire que la tour Eiffel s’inscrit dans la lignée, au chapitre de l’archéologie des cataclysmes architecturaux (tour qui, au passage, a été prolongée « ad vitam aeternam » en 1909, année prévue de sa démolition, quand ce sont des militaires qui se sont rendu compte qu’elle pouvait rendre d’éminents services). La Tour Eiffel inaugure l’ère des exploits architecturaux. Ils ne cesseront plus. Je passe sur les projets que Le Corbusier, heureusement, n’a pas eu le temps ou l’occasion de concrétiser, restés à l’état de dessins : Paris rasé, sauf les monuments touristiques, pour dégager l’espace et y construire de gigantesques tours pour y mettre les masses ; Rio de Janeiro réduit à un gigantesque immeuble continu (sur des kilomètres), avec, évidemment, l’autoroute passant sur le toit.

 

Surenchère, démesure, volonté de puissance. Vous vous rappelez la devise si sublime des Jeux olympiques ? « Citius, Altius, Fortius ». Je n’ai même pas besoin de traduire, je pense ? Ce que nous condamnons aujourd’hui dans les camps de concentration, c’est l’espace même dans lequel nous vivons. Un espace concentrationnaire. La seule différence, c’est que pour nous, c’est payant.

 

Staline et Hitler sont les paroxysmes de la civilisation industrielle. Nous en sommes les continuateurs. Les héritiers, en quelque sorte. 

 

Alors, vous croyez toujours qu’ils sont des aberrations de l'histoire ? 

jeudi, 19 mai 2011

A TRES BONNE ECOLE (LA VRAIE ?)

FORMATONS INITIAL OU FORMATONS CONTINU ?

 

Je veux ici dénoncer l’injustice profonde dont sont victimes les hommes, dans cette société, paraît-il, égalitaire.

 

Nous les hommes n’avons pas assez l’idée de mettre le nez dans ce qu’il est convenu d’appeler la PRESSE FEMININE. C’est un tort. Il m’est arrivé d’acheter, de loin en loin, quelques revues du genre Jeune et jolie, avec l’idée de me faire une idée de ce qu’avaient dans la tête les jeunes personnes auxquelles j’avais à faire. Je ne me rappelle pas tout, loin de là : ce serait trop me demander. La revue doit s’adresser à des filles de douze à quatorze ans, je ne suis pas spécialiste du ciblage marketing. Je n’ai pas été déçu du voyage. J’ai retenu, entre autres joyeusetés « modernes », des conseils pour, par exemple, se raser le pubis de façon à laisser des poils en forme de point d’interrogation, et teindre les poils restants dans un beau rouge profond (ou éclatant : ça dépend des goûts). La revue proposait aussi, dans un autre numéro, aux filles qui désiraient essayer,  une recette pour se faire sodomiser sans douleur (je jure que c’est vrai : j’imagine que c’était en direction des jeunes maghrébines, plus sourcilleuses peut-être sur la question de la virginité jusqu’au mariage).

 

Vous savez à quoi je compare toutes ces revues ? Vous ne devinerez jamais : à des  « établissements privés d’enseignement secondaire, chargés de la FORMATION INITIALE ». Il faut absolument considérer Jeune et jolie comme un COLLEGE. Mais un collège aux dimensions nationales, bien sûr. Dans l’ensemble, strictement rien n’est omis de ce qu’une fille d’aujourd’hui doit savoir : il s’agit d’une véritable FORMATION INITIALE des filles pré-pubères et des adolescentes. Tout ce qu’il faut savoir pour vivre au quotidien est, mois après mois, minutieusement décrit, mettant ainsi la jeune lectrice en possession de tout le code, concernant les rapports entre garçons et filles, les rapports entre filles, le soin qu’il faut apporter à son aspect extérieur, et tout et tout. Comment la jeune fille a-t-elle vécu ses premières règles ? Que doit-elle penser des regards appuyés de ce garçon de la classe qui ne lui adresse jamais la parole ? Accessoirement, quels produits doit-elle acheter pour s’enduire le visage avant de partir pour le collège ? Doit-elle opter pour le transparent quand elle va en soirée ? Bref : qu’est-ce qui l’attend, dans le monde où elle vit ? De tels « collèges » pullulent. L’offre d’enseignement est surabondante, et les revues, comme on dit dans le domaine politique, « se tirent la bourre ». Mais l’offre existerait-elle sans la demande complémentaire ?

 

Les femmes, de leur côté, font face à une offre encore plus variée et nombreuse, en matière de tels « établissements d’enseignement en FORMATION CONTINUE ». La longueur des rayons consacrés à la presse féminine : vous avez déjà vu, forcément. Je n’insiste pas. Les hommes ne lisent pas assez les revues féminines, ou alors feuillettent distraitement, dans les salles d’attente, l’œil vaguement allumé, les pages consacrées aux dessous affriolants de l’année prochaine, aux maillots de bain qu’il faudra absolument porter, parce qu’on y voit, en quadrichromie, un peu de peau lisse et soyeuse et des formes, intéressantes du fait de leur jeunesse, rarement une vraie  chatte, rarement une vraie fesse. Mais il faut lire le reste, les conseils, les portraits en quizz (quelle cuisinière, quelle amie, quelle bricoleuse, quelle amoureuse, quelle bête de sexe êtes-vous ? Cochez la case.), les articles « de fond » (si !), si l’on veut espérer approcher, un tout petit peu, ce que les femmes, aujourd’hui, ont dans la tête : dans quelle sorte d’univers intérieur elles évoluent. Pas toutes, évidemment. Mais enfin, cela dessine un ensemble, disons pour parler lourd, de « repères culturels » que toutes sont amenées à côtoyer, même si elles n’y sont pas immergées. C’est ce que le Ministère de l’Education Nationale appelle la FORMATION CONTINUE.

 

Mais les hommes, qu’est-ce qu’ils ont, sans même parler de FORMATION CONTINUE, oui : qu’est-ce qu’ils ont comme revues, en matière de FORMATION INITIALE ? Petits, ils ont lu, éventuellement, les publications de Fleurus ou de Bayard presse (Je Bouquine), résolument unisexes, c’est-à-dire non sexuées, encore perdues dans les limbes de l’innocence de l’enfance (c’est la même chose pour les filles). Un peu plus grands, ils vont peut-être s’intéresser aux arts picturaux (les revues consacrées aux tagueurs et grapheurs), aux sports (revues sur le skate, les rollers et autres « sports de glisse », à la rigueur le football). Plus tard encore, on attaque les sports mécaniques (revues sur la bagnole, la moto). Mais je fais remarquer que toutes ces revues ne sont masculines qu’IMPLICITEMENT : aucune ne s’adresse explicitement au viril des garçons, mais à ce qu’ils sont supposés aimer à leur âge, jamais au sexe masculin, en tant que tel. Il n’y a pas de PRESSE MASCULINE.

 

Conclusion : la FORMATION INITIALE des garçons est laissée, honteusement, à l’abandon. C’est un terrain totalement en déshérence. Et même arrivés à l’âge de la FORMATION CONTINUE, qu’est-ce qu’ils trouveront ? Des revues « de charme » ? Certes, mais quel rapport avec cet énorme effort éditorial en direction de toutes les filles, de toutes les femmes, dans la FORMATION, tant INITIALE que CONTINUE, où elles apprennent COMMENT IL FAUT ÊTRE ? Comment il faut paraître ? Les revues destinées aux garçons, elles, leur apprennent A QUOI ILS DOIVENT S’INTERESSER, quasiment pas à ÊTRE. Il y a là quelque chose de profondément injuste et  inégalitaire : ils sont laissés, pour se former à ce qu’il faut savoir pour vivre en société, dans le brouillard du hasard, l’incertitude des rencontres, les aléas des groupes auxquels ils s’agrègent, disons-le en un mot : à l’IMPROVISATION.

 

Je pose la question : pourquoi, comme c’est fait largement pour les filles, n’ouvrirait-on pas des « établissements privés d’enseignement secondaire pour la FORMATION INITIALE » destinés aux garçons ? Je veux parler de revues qui leur donneraient les clés : ça veut dire quoi, l’érection au réveil ? Qu’est-ce qu’elle veut, celle qui ne te regarde jamais, mais qui se débrouille pour n’être jamais loin de toi ? Comment fait-elle pour te voir sans jamais te regarder ? Bref : livrer quelques secrets au sujet de l’adversaire. Non : c’est vroum-vroum et pouët-pouët.  Et l’on s’étonne que les garçons soient un peu bêtes, quand les filles sont de véritables initiées, en comparaison. C'est simple : ELLES SAVENT TOUT, grâce au collège qu'elles trouvent dans les maisons de la presse. Les garçons, c’est la grande faiblesse du MINISTERE DE L’ENSEIGNEMENT EN MAGASINS DE JOURNAUX.

 

mardi, 17 mai 2011

ON L'APPELLERAIT UNE MAFIA

Mazarine Pingeot, vous vous souvenez ? La fifille à papa Mitterrand. Est-ce  que celui-ci la gardait « sous le coude », pour la « sortir », comme certains l’ont affirmé, quand des malintentionnés ont voulu lui jeter dans les pattes son amitié compromettante avec René Bousquet, celui qui signa des « bons de déportation » vers les camps ? Ce serait pour éteindre l’incendie avant qu’il ait vraiment pris, magie-magie, qu’il aurait projeté sa fille en pleine lumière ? Bon, c’est vrai, les dates ne coïncident pas vraiment. Ce qui reste sûr, en tout cas, c’est ce dévoilement brusque d’un morceau de la vie en coulisse d’un homme politique très important : la fille secrète, la fille cachée.

  

« Secrète » ? « Cachée » ? Pas pour tout le monde. C’est sûr que le « bon peuple », sous-entendu les cons, n’était pas au courant. Pourquoi ? Parce que le « bon peuple », c’est le spectateur, c’est celui qui avale les salades que journaux, radios et télévisions débitent du haut de leur étal des quatre saisons, selon la règle : « Une salade chasse l’autre ». Mais mis à part le « bon peuple », c’est-à-dire la quasi-totalité de la population, c’est-à-dire tous ceux qui, au sens propre, ne comptent pas, mis à part les gogos, donc, tout le monde était au courant. « Tout le monde » ? Tu exagères, camarade blogueur. A peine : "tout le monde", ici, ça veut dire tous ceux dont le métier est de savoir, des diverses polices jusqu’aux hommes politiques (adversaires compris, notez bien !), en passant par les « passeurs » de l’information, c'est-à-dire l’ensemble de la profession journalistique.

 

Quelles pressions a subies Jean-Edern Hallier, quand il a décidé, déguisé en bourgeois de Calais avec la corde au cou, de brûler, sur un trottoir, un manuscrit dans lequel, probablement, il éventait le secret de François Mitterrand ? On n’en sait rien. Depuis, il est mort en faisant du vélo. Toujours est-il que l’affaire était connue dans toutes les rédactions. Mais jamais imprimée. Voilà l’exemple cru de ce qu’on appelle la connivence (synonyme de complicité) entre la « profession politique » et la « profession journalistique » (les guillemets ne signifient pas tout à fait la même chose dans les deux cas, parce que la politique n'est pas un métier, ou ne devrait pas être considérée comme tel par ceux qui s'y lancent, non plus que par le peuple, et que le simple (et vrai) métier de journaliste interdit théoriquement toute connivence).

 

Tous ces gens (je parle des chefs, grands ou moins grands, les petits étant appelés du doux nom de porte-flingue) fonctionnent selon le principe de la bande. Vous vous rappelez ce cycliste, dont j’ai oublié le nom (était-ce Christophe Bassons ?) qui a cafté, après le Tour de France 1998 (affaire Festina, Willy Voet, etc .) ? Vous vous rappelez Jacques Glassmann, dans l’affaire OM-VA, en 1993 ? Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Vous ne connaissez peut-être pas François Rufin (Les Petits soldats du journalisme, Ed. Les Arènes) : son livre était courageux, il a donc été « ostracisé ». A cause d’eux, ce qui se passait dans les cuisines du cyclisme, du football et de la presse était soudain mis sur la place publique. Comme si, au restaurant, un marmiton venait dire aux clients que le chef vénéré crachait dans sa sauce grand veneur pour lui donner la bonne consistance. Suivant le camp dans lequel on se trouve, ça s’appelle « dénonciation » ou « délation », bien que la limite soit floue.

 

Eh bien en politique, c’est exactement pareil, tout au moins en France où, dans les hautes sphères de la politique, de l’économie, du spectacle et des médias, ça se tutoie, ça passe ses vacances ensemble (Sarkozy-Clavier n’est qu’un minuscule exemple), ça dîne en ville, ça se pique les femmes, enfin j’en passe, et des meilleurs (comme disait Victor Hugo). Entre puissants, on se respecte. Et le refrain chanté jadis par Guy Béart est toujours d’actualité : « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ». Et personne, qu’il soit dans la chiourme ou dans la valetaille médiatique, ne souhaite, d’une part se fermer le robinet à infos parce qu’il a « trahi la famille », d’autre part se suicider, c’est-à-dire être liquidé professionnellement (Alain Genestar, qui a dû se recaser, doit quand même se souvenir de ce qu’il a perdu dans l’affaire de la une de Match, avec la photo de Cécilia Sarkozy en compagnie de son amant). C’est de l’ordre de « je te tiens, tu me tiens ». Bref : tu respectes l’omerta, ou tu es mort (symboliquement, quoique…). En Sicile, cela porte le doux nom de mafia : entre « hommes d’honneur » (c’est comme ça qu’ils s’appellent), il y a des choses qui ne se font pas. Cela s'appelle un système : ça doit être entièrement cohérent. Cela veut dire que l'étanchéité entre l'intérieur et l'extérieur doit être parfaite. C'est tout ou rien, comme dans une secte. Les Américains ont une formule pour ça : "Love it or leave it !" Ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous.

 

Tout ça pour arriver à Dominique Strauss-Kahn, c’est un peu long, n’est-ce pas ? Mais cette petite mise en perspective par le contexte et quelques éléments historiques était utile. Pour ce qui concerne Dominique Strauss-Kahn, il y a bien quelques bulles qui sont remontées du fond vaseux vers la surface, mais somme toute, la surface est restée lisse, même après l’affaire "Piroska Nagy" au F. M. I. Pour vous en faire une idée, je vous conseille la lecture de trois articles de presse, qui montrent que, si ça se met à parler, c’est bien que, jusque-là, ils la bouclaient. Il respectaient la règle.

 

Le premier, intitulé « L’étrange omerta des médias sur le cas DSK », est signé dans Le Monde (daté du 17 mai) par Christophe Deloire, auteur de Sexus politicus en 2006, où il consacre un chapitre à DSK, et qui eut, paraît-il, du succès, mais où les témoins restent anonymes. Le deuxième, intitulé « DSK et les femmes : un secret de Polichinelle », est signé Jean Quatremer dans Libération du 17 mai : il raconte avoir en 2007 publié sur son blog quelques lignes où il évoque le problème de Dominique Strauss-Kahn avec les femmes. Aussitôt, il reçoit un coup de fil de Ramzi Khiroun (vous savez, le « communicant de DSK », l’homme à la Porsche Panamera), qui lui demande de retirer son billet, sur le thème : "Tu ne vas pas nous faire ça !" (Il le tutoie alors qu'ils ne se sont jamais rencontrés). Refus. Il accepte à la rigueur de publier quelque chose pour expliquer le sens de sa démarche. Mais si l’internet reprend son blog, chez les collègues médiatiques : rien. Le troisième article passe dans Le Monde daté du 18 mai : Raphaëlle Bacqué remonte dans le passé pour montrer « Les Deux visages de DSK ». Compte-rendu honnête et somme toute bien écrit.

 

Avec ça, on a une idée un peu précise du personnage. Pour être franc, Dominique Strauss-Kahn, je me rappelais ses tribulations judiciaires (MNEF, Alfred Sirven, la cassette Méry), et je ne voyais pas bien ce qui pourrait différencier un tel homme de Sarkozy à la présidence (est-il possible d’être en même temps un homme d’argent (la suite d'hôtel à 3000 euros la nuit, voir Le Monde du 17 mai) et un homme de gauche ?). Mais il y a aussi, dans le numéro de Libération (17), en face du texte de Jean Quatremer, l’article que Patricia Tourancheau consacre à Tristane Banon, qui raconte aujourd’hui que DSK l’avait agressée en 2002 (elle avait 23 ans). Elle n’a pas déposé plainte. Cet article paraît aujourd’hui. Elle était jeune journaliste, justement, et interviewait DSK. Elle ne voulait pas se suicider professionnellement. C’est sûr que l’autre face de Dominique Strauss-Kahn, je n’en avais aucune idée. Et pour cause : personne ne m’en a parlé. Les organes de presse ont, dans leur ensemble et avec une belle unanimité, fait silence. C'est pour ça que, quand j'apprends la nouvelle de l'arrestation, j'en tombe sur le cul, sidéré, comme la presse du monde entier. Cela veut dire que l'omerta a fonctionné à merveille : la "famille" est très soudée. Les "hommes d'honneur" font corps.

 

Alors ils sont trois, jusqu’ici, à cracher le morceau, à « passer à table ». Mais d’abord, c’est bien tard, parce que ça prouve que tous adhèrent au système, tant qu’il n’y a pas d’ « accident », c'est-à-dire en temps normal, c’est-à-dire tout le temps. C’est aussi pour ça que ça fait événement. C’est pour le « bon peuple » qu’il y a un « coup de tonnerre ». Ensuite, tous ces braves gens qui, à l’occasion, se gargarisent en rigolant des diverses « théories du complot », est-ce que, pendant toutes ces années, ce n’est pas eux qui en ont fomenté un, de complot ? Est-ce que l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn ne fonctionnerait pas comme ce qu'on appelle le réel en psychanalyse ?

 

Cela me donne seulement envie de dire un gros "merde" à tous ces bonimenteurs indignes.

 

Ça, des journalistes ? Laissez-moi rire !

lundi, 16 mai 2011

VOUS AVEZ DIT PSYCHANALYSE ?

Quoi que puisse en dire le nouveau pape auto-proclamé de la philosophie Michel Onfray dans Le Crépuscule d’une idole (sous-titré « l’affabulation freudienne »), la théorie freudienne n’a pas disparu, submergée, paraît-il, par ses « affabulations ». En passant, de même que Nicolae Ceaucescu était de son vivant immortalisé dans la formule « Danube de la pensée », on pourrait surnommer Michel Onfray « Amazone de la philosophie », si j’en juge au débit du fleuve éditorial qu’il fait couler : wikipédia indique, depuis l’an 2000, pas moins de 49 titres d’ouvrages. Cet homme-là doit être quadrumane et insomniaque : il faut des mains au bout des bras et des jambes et travailler 24/24, 7/7.  Six titres en 2008, cinq titres en 2010 : Comment fait-il ? Ce n’est plus de la pensée. On appelle ça « logorrhée ». C’est une pathologie.  Mais revenons à Sigmund Freud.

 

L’effort d’Onfray pour abolir la psychanalyse est pathétique, et peut-être pathologique : je ne me prononce pas (enfin : presque pas). Il est sûr que Freud, avec la psychanalyse, aura réussi à contrarier, à emmerder le maximum de monde, et les tentatives d’annulation sont innombrables, indénombrables et insubmersibles. Aussi insubmersibles que la psychanalyse elle-même. Je me souviens du chapitre que le grand René Girard consacre au freudisme dans son grand ouvrage La Violence et le sacré (Grasset, 1972) : il estime que sa théorie du « désir mimétique » englobe et invalide celle du « complexe d’Œdipe ». Je n’entre pas ici dans le débat.

 

Ce qui m’intéresse, c’est l’incomparable succès, l’invraisemblable prospérité, l’inimaginable fortune accumulée par la théorie psychanalytique : je n’exagère pas. C’est une véritable caverne d'Ali Baba. Si un lecteur frotté de psychanalyse découvre cette affirmation, il doit déjà être en train de se tapoter la tempe droite avec l’index (s’il est droitier). Certes, il y a de l’argent, dans les circuits, tous « psys » confondus (y compris la saloperie importée d’Amérique qu’on appelle « cognitivo-comportementale », dont la principale finalité est de fonctionner comme les « camps de réadaptation » mis en place en Chine sous Mao, sauf que là, il faut, en plus, payer le tortionnaire), mais moins que dans la poche de Zinedine Zidane. Et puis surtout, la caverne est métaphorique et même involontaire. C’en est au point que Sigmund Freud lui-même n’aurait pour rien au monde voulu ça, s’il avait pu le prévoir (enfin j’espère).

 

C’est comme Pierre et Marie Curie : s’ils avaient pu prévoir quels usages seraient faits du « radium » et de la radioactivité, peut-être auraient-ils laissé en plan leurs travaux, un demi-siècle avant Hiroshima. S’ils avaient pu deviner les dégâts que causerait, du vivant même de Marie, un médicament comme le Radithor (on lit distinctement sur l’étiquette : « radioactive water »), ils auraient sans doute fermé leur laboratoire. C’est la même chose pour la psychanalyse : quel cerveau de psychanalyste malade, qu’il fût orthodoxe ou hétérodoxe, aurait pu imaginer que quelques piliers de la théorie serviraient un jour à la plus gigantesque entreprise de domestication des peuples ? J’exagère à peine, comme je vais essayer de le montrer.

 

On n’est jamais si bien trahi que par les siens, et personne n’est parfait : Sigmund Freud a un neveu, et plutôt deux fois qu’une, puisque fils de sa sœur et du frère de sa femme (une variante, sans doute, de la double peine). Freud épouse Martha Bernays. Monsieur Bernays épouse Anna, sœur de Freud. Naîtra de cette union, en 1891, le petit Edward, Eddy pour les intimes, qui portera donc, et pendant 103 ans, le nom d’Edward Bernays (il est mort en 1995 : y a de la veine que pour la canaille). Cela valait le coup de s’attarder un peu : vous allez voir. Je ne sais pas quand sa famille a émigré en Amérique. Toujours est-il qu’il a eu le génie d’organiser un drôle de mariage entre les Etats-Unis et la vieille Europe, un mariage d’une originalité inouïe, jugez plutôt.

 

D’un côté, la théorie révolutionnaire d’un Autrichien qui dévoile les petits secrets bien cachés de l’âme humaine (c’est de tonton Freud que je parle). De l’autre, l’industrieuse et industrielle Amérique, en plein processus d’invention de la future « société de consommation ». D’un côté, la découverte de l’inconscient, du subconscient, bref, des motivations secrètes des individus. De l’autre, la découverte du moyen le plus moderne de s’enrichir : produire en masse, donc vendre en masse. D’un côté, une connaissance qui ira en s’affinant et se perfectionnant sans cesse des ressorts secrets du psychisme. De l’autre, le besoin pressant des industriels de convaincre le plus de gens possible d’acheter toutes affaires cessantes les marchandises produites.

 

Edward Bernay est encore bien jeune quand il fait partie d’un groupe mis en place par le président américain, chargé de trouver les moyens de convaincre la population du bien-fondé d’une entrée des Etats-Unis dans la 1ère guerre mondiale. Très tôt donc, il est mis en face de la question : comment amener une masse de gens à changer d’avis sur des questions importantes ? Autrement dit : comment agir sur l’esprit et le comportement des hommes, sans que ceux-ci s’en rendent compte ? Dit encore autrement : comment manipuler les esprits ? Et il était malin, le bougre, et s’était fait une doctrine solide sur les masses, considérées comme incapables de penser, tout juste capables d’exprimer des pulsions. C’est là que les idées de son tonton vont lui être très utiles : pour agir sur les foules, il ne faut surtout pas s’adresser à la Raison, par un Discours. C’est peine perdue.

 

Bon, c’est vrai qu’il n’est pas tout seul à penser ainsi : Walter Lippmann, par exemple, qui se demande, on est dans les années 1920, comment « fabriquer du consentement » (manufacture of consent, en langue originale). Années 1920 : c’est dire combien tout cela a été mûrement, longuement réfléchi, mis au point dans les moindres détails, et combien le travail sur les effets attendus a été minutieusement conduit, longtemps avant Patrick Champagne (Faire l’opinion, 1990) qui, lui, se contente de « décrypter » les données d’une pratique (les sondages) qui s’est tellement banalisée qu’elle en a acquis la force de l’évidence. Alors que des gens comme Lippmann et Bernays, entre autres, ont établi les codes qui servent encore de base à tout ce qui travaille sur l’opinion.

 

Bref : l’idée est certainement dans l’air, comme on dit. Donc, il s’agit de s’adresser tout de suite à l’en-deçà de la conscience, qu’on appelle le « subconscient ». On ne va pas construire des raisonnements et des discours comme dans l’ancien temps (vous savez, les vieilles lunes de la rhétorique classique : « inventio, dispositio, elocutio »). On va montrer des images, des formes symboliques : c’est d’autant plus facile que les moyens de communication sont en train de faire un véritable bond technologique (les « médias de masse »). Par exemple, Bernays, qui travailla pour l’industrie de la cigarette, va utiliser le « symbole phallique » (merci tonton Freud) pour étendre l’usage de ladite cigarette à l’autre moitié de la population américaine, celle pour laquelle fumer était très vilain, autrement dit à ce « gisement inexploité », ce « marché potentiel » constitué par les femmes. Et ça marche ! A coups de défilés de jeunes et jolies fumeuses (« les torches de la liberté », selon la notice wikipédia) : la femme aussi est libre de se goudronner les poumons.

 

C’est donc ça, la publicité ? Oui : ni plus ni moins. Et ça marche. Et depuis toutes ces dizaines d’années. Public opinion de Walter Lippmann date de 1922. Edward Bernays publie son ouvrage principal en 1928, sous le titre Propaganda.  Propagande : le mot sert aujourd’hui dans les petites joutes politiques pour accuser l’adversaire de « bourrer le crâne », ou alors il est censuré, rhabillé en « publicité », en « communication », en « communication politique » : cela s’appelle des euphémisme (vous savez : « non voyant », « à mobilité réduite », etc.). J’ai déjà parlé de la « propagande », dont un pape fut l’inventeur en 1622, quand il s’agissait de propager la « vraie foi » (autrement dit de convertir les mécréants). Il n’y a aucun hasard si Joseph Goebbels, « ministre du Reich à l’éducation et à la Propagande », s’inspirera de la théorie d’Edward Bernays, de même que Staline.

 

Cela veut dire quelque chose de finalement assez simple : En quoi, aujourd’hui, se différencient régime de terreur et régime « démocratique » ? Dans l'un comme dans l'autre, le principal problème d’un gouvernement, c’est de savoir comment diriger une population (on ne parle évidemment plus du tout de « peuple ») : susciter son adhésion, spontanée ou imposée, à ceux qui gouvernent, lui faire admettre la domination des dominants. Face à la « nécessité » d’adapter l’idée démocratique à la complexité du système économique, donc à la « nécessité » de gérer les foules, Edward Bernays et Walter Lippmann, par des chemins différents, ont abouti aux mêmes conclusions : il est indispensable de façonner les esprits, de manipuler les gens, de les amener à penser et à agir dans le sens voulu par les dirigeants. C'est pour avoir compris ça que le capitalisme a triomphé du communisme.

 

Cela veut dire aussi que la « démocratie » repose aujourd’hui sur une industrie qui, grâce à la psychanalyse, s’est développée en allant débusquer dans la tête des gens le moindre détail de leurs désirs plus ou moins secrets et de leurs motivations intimes : l'industrie de la propagande, tant dans la politique que dans le commerce marchand (pardon pour le pléonasme). Il n’y a plus aucun secret pour ceux qui gouvernent (président d’un pays ou d’une grande société commerciale) : après leur enquête dans les tréfonds autrefois obscurs de l’individu (le « subconscient »), ils élaborent en laboratoire des produits qui sont ensuite vendus au même gogo, qui ne se demande même pas : « Mais comment ont-ils fait pour deviner ce dont j’avais envie ? », et qui paie pour se procurer la marchandise qu’on a, en réalité, tirée de lui-même (à la caisse du supermarché ou dans l’urne électorale : le processus est strictement le même, et Edward Bernays, le père du marketing, vendra ses « conseils » aussi bien aux hommes politiques qu’aux grandes entreprises). Faut-il vous l’envelopper, votre « idéal du moi » ? De quelle couleur la voulez-vous, votre « libido » ? Nos créatifs ont fait de gros efforts sur le packaging de votre « refoulé ». Mes yaourts sont-ils assez « narcissiques » ?

 

Cela veut dire, enfin, qu’une découverte majeure du 20ème siècle, la psychanalyse, même si elle reste tout à fait controversée dans ses principes, ses modalités, son efficacité, son prix, tant qu’on se limite à son domaine (thérapeutique des névroses), s’est répandue très concrètement dans tous les aspects et tous les moments de la vie quotidienne, tout simplement parce qu’Edward Bernays (et quelques autres) ont compris à quoi elle pouvait très concrètement servir : gérer les masses humaines. Et je me demande pour finir, si ce n’est pas exactement la même chose pour toutes les disciplines qu’on appelle « sciences humaines ». Il ne s’est passé rien d’autre dans les sciences « dures » : aurait-on eu la bombe H sans la physique ? La dernière catastrophe financière sans les mathématiques ? Le contrôle social le plus dur sans la puce électronique ? L’explosion démographique sans la médecine ? Aurait-on eu l’infamie publicitaire sans Sigmund Freud (c’est vrai qu’il est loin d’être tout seul) ?

 

Le savant est tout à fait inoffensif, dans son laboratoire, avec sa blouse blanche, son air gentil, tout obsédé de compréhension et de connaissance, et pour qui le monde dans lequel il vit est une entité vague et vaguement abstraite. Mais il y a son double démoniaque : l’aventurier, l’explorateur, l’homme d’action, tout avide de richesse, de gloire et de puissance, qui guette tout ce qui va sortir de ce « bureau d’études » pour en tirer le maximum, très concrètement. C’est un médecin, le docteur Freud, qui a inventé la psychanalyse, dans le but de soigner l’homme, peut-être même de le guérir. C’est un homme d’action, son neveu Edward Bernays, qui va mettre à profit (au sens plein du terme) la découverte, très concrètement. D'un côté, la connaissance, qu'on nous vend comme le bien suprême. De l'autre, l'action, mot dont les médias regorgent dans le registre positif. Mais soigeusement séparés : on appelle ça la division du travail : que ma main gauche, surtout, ignore ce que fait ma main droite. La "main gauche" (Freud) s'appelle la science. La "main droite" (Edward Bernays) s'appelle la technique.  

 

C’est Edward Bernays qui déclara : « L’ingénierie du consentement est l’essence même de la démocratie, la liberté de persuader et de suggérer ». Et « La propagande est l’organe exécutif du gouvernement invisible ». C’est cet homme qui est souvent considéré comme un des personnages les plus influents du 20ème siècle.

 

Elle est pas belle, ma « démocratie » ? Allez, quoi : achetez !!!

 

A suivre …

dimanche, 15 mai 2011

L'ETAU SE RESSERRE

Je vous raconte le dessin de SERGUEI paru, p. 15, dans Le Monde daté 15-16 mai 2011 (c’est du tout frais pondu, la maison travaille « à flux tendu », bien qu’elle ait pas mal de stock en magasin). Le titre : « Sécurité routière ». Le soleil braque un radar. Un épouvantail dissimule une caméra. Un gendarme manoeuvre son radar. Deux autres boîtiers mal identifiés, mais sûrement peu sympathiques. La femme dit à son mari, qui conduit : « Tu as bien mis ta ceinture ? Tu as enlevé l’avertisseur ? Tu n’as rien bu ? Tu n’as pas dépassé les 50 ? ». Le mari répond, tétanisé sur son volant : « On n’est plus en sécurité ». 

 

Il se trouve que, ce matin même, l’excellente (pas toujours, mais le plus souvent) émission de RUTH STEGASSI « Terre à Terre », sur France Culture, rendait compte d’une rencontre avec Gérard Pagès, Sébastien Delpech, Anna Labrousse et Babette Védoit. Ils sont tous ELEVEURS DE MOUTONS (dans le sud ouest de la France, à ce que j’ai compris). Lecteur bénévole, je sais, tu te demandes : « Quel rapport, Alexipharmaque, avec les contrôles pour la sécurité routière ? » Là, moi, je dis : « On est en plein dans le même sujet. – Prouve-le, blogueur ! – Je le prouve, lecteur : tous ces éleveurs de moutons ont déposé les statuts d’une association intitulée FAUT PAS PUCER. » 

 

J’explique : l’Europe, en dehors de réglementer la longueur et la résistance des PRESERVATIFS MASCULINS, le diamètre et la qualité des VIS et des ECROUS, la consistance et le goût des YAOURTS, elle distribue des subventions dans le cadre de la P. A. C. (Politique Agricole Commune). Et alors, dira-t-on ? Eh bien, en tant que dispensatrice de rémunérations aux agriculteurs, elle veut savoir exactement où va son bel argent, et si la dépense est justifiée. Après avoir admis que ceci n’est pas complètement absurde, je note quand même le statut du petit (ou du moyen) paysan (il paraît que ce dernier mot n’a plus cours : on dit « agriculteur ») : il est devenu un MENDIANT. Quelle que soit l’analyse qu’on peut faire du phénomène, quelqu’un dont l’existence ne pourrait pas continuer sur le même mode sans l’argent que quelqu’un lui procure, on appelle ça un MENDIANT (voir tous les festivals,  associations, institutions, groupements à VISEES CULTURELLES, dont l’une des activités les plus prenantes consiste à rechercher les « partenariats », les « sponsors » et autres « mécènes », ou a attendre, à réclamer LA subvention, mais ne nous égarons pas).

 

L’Europe, pour savoir si l’argent dispensé va bien où elle a voulu qu’il aille, il est indispensable qu’elle CONTROLE. Alors là, le lecteur commence à comprendre le lien entre sécurité routière et élevage de moutons. Je précise : Madame Europe a trouvé un moyen imparable : la PUCE « R. F. I. D ». (Radio Frequency Identification, en anglais). Je traduis : le mouton est immédiatement, électroniquement repérable et comptabilisable. La bête se dématérialise. L’éleveur aussi. D’ailleurs, au surplus, tout ça montre qu’il est d’abord un SUSPECT a priori, un fraudeur en puissance. Comme le dit un des éleveurs interrogés, l’animal vivant devient un flux de données informatiques. L’éleveur de moutons est exactement dans la même situation que le conducteur de SERGUEI. Et tout se passe en « temps réel ». La photo aérienne est mise à contribution pour établir les surfaces, le nombre des piquets qui délimitent ces surfaces, le nombre des bêtes qui y paissent, enfin tout. La réputation officielle du mouton (tu sais, lecteur : Panurge, moutonnier, grégaire, politiquement correct, bien-pensant...) n'avait vraiment pas besoin de ça.

 

Voilà le monde qui se présente : au nom des morts sur les routes, au nom de la traçabilité, au nom de la transparence, au nom de l’hygiène des poumons, au nom de la santé (le foie, le cœur, le côlon transverse et le grand côlon, la prostate, et que sais-je ?), au nom de la sécurité des innocents dans les aéroports et des citadins dans les rues des villes, bref : au nom du BIEN qu’on nous veut, on rétrécit l’espace vital et respirable de chacun. Mais, objecteras-tu, lecteur bénévole, si on n’a rien à se reprocher, quel mal y a-t-il à ça ? Je répondrai, lecteur insouciant, qu’avec un raisonnement comme celui-là, on va très loin.

 

Réfléchis. Un tel argument amène tôt ou tard, forcément, celui qui guette derrière son écran de contrôle à zoomer sur des détails de plus en plus fins, précis de ce qui constitue ton existence. Il viendra épier les plus menues circonstances de ton quotidien pour vérifier si rien ne cloche, si TOUT ce que tu fais est bien CONFORME aux règles édictées « démocratiquement » par la collectivité pour LE BIEN DE TOUS. Le filet moral se referme sur toi. La police est entrée dans ta propre personne. Le gendarme n’a plus besoin de se déplacer, ni même de se montrer : tout citoyen vit en permanence avec l’œil de ce moderne BIG BROTHER dans la tête. Pendant ce temps, tout dérapage par rapport à la GRANDE CONFORMITÉ est désigné, dénoncé, attaqué avec le plus d’unanimité possible, dans le bue de conforter le conforme.

 

FRANZ KAFKA écrit quelque part (Lettre sur l’éducation des enfants ?) que l’ultime liberté de l’individu est la liberté de disparaître. Ce qui ne renvoie pas forcément au suicide : disparaître, ça concerne quelques milliers de personnes par an, en France. Une autre liberté essentielle consiste à MAL AGIR, c’est-à-dire à choisir délibérément de s’écarter de la norme, pas forcément de façon terrible et voyante, et d’aller à l’encontre de ce que la règle ordonne (traverser en dehors des clous, ne pas céder sa place assise à une vieille dame, taguer un mur tout neuf et tout vierge, tirer les oreilles de la petite sœur, etc.) : de ne pas faire bien. Juste une petite infraction comme ça, gentille et en passant, pour mesurer ce qui reste d'espace libre et respirable. Juste une petite entorse au règlement, pour se faire plaisir. Juste une petite transgression de l'ordre établi pour réchauffer le désir d'exister. Ne me dis pas, lecteur, que tu te l'interdis 24/24 et 7/7.  Mais si un espion de la loi est installé en toi au poste de commande, que vas-tu FAIRE de ces libertés ? Et ces libertés, si tu n’en fais pas usage, A QUOI ÇA TE SERT D’ÊTRE LIBRE ? Le jour où chacun de nous sera "équipé" d'une puce R. F. I. D., la société BIG BROTHER aura fait définitivement main basse sur les morceaux d'humain vraiment vivants qui restaient de nous.

jeudi, 12 mai 2011

EUGENISME : HITLER A GAGNE

Adolf Hitler : tout le monde a sa photo dans l’esprit, tout le monde a son nom à la bouche. C’en est au point que les « Guignols de l’info » avaient un temps, si je me souviens bien, baptisé la marionnette figurant Le Pen : « Adolf », avant d’être sommés d’abandonner cette idée, tant par l’intéressé lui-même que du fait de l’exagération manifeste : n’est pas Adolf Hitler qui veut.

Bref, ce sinistre personnage (là, tout le monde est d’accord) occupe aujourd’hui la place d’épouvantail number one, cette place, bien d’autres ont espéré s'en emparer, et ont fait quelques réels efforts pour y parvenir. Ils ont nom Pol pot ou, jusqu’à hier, Oussama Ben Laden. Mais c’est comme avec les guerres, dans la chanson de Georges Brassens : « Chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite, mais mon colon celle que je préfère, c’est la guerre de quatorze-dix-huit ». Bon je ne vais pas me mettre à fredonner : « Moi le tyran que je préfère, c’est la gueule d’Adolf Hitler» (notez que ça rime).

 

Mais je remarque au passage que c’est la gueule qui se présente en général la première quand n'importe qui veut faire comprendre ce qu'est pour lui le Mal absolu. C’est une sorte de fascination bizarre, dont l’effet est de rejeter le nommé Adolf Hitler dans une anti-humanité, somme toute commode : tout le monde est d’accord pour dire que c’est un monstre. Conclusion obligatoire : donc il n’est pas humain. C’est logique : s’il est un monstre, il n’a rien à voir avec nous, les humains ordinaires, et pour tout dire normaux. Ça rassure, c’est d’ailleurs fait pour ça. Cela arrange tout le monde, de se dire qu’il n’est pas du tout comme nous, pas du tout du tout du tout, je vous jure. La gueule d’Adolf Hitler a ceci de commode qu’elle incarne le mal hors de chacun de nous. Et puis c’est de l’histoire ancienne, et puis il est mort, et puis « plus jamais ça » (le refrain).

 

Le problème, c’est que les monstres se sont mis à proliférer, et de façon tellement sournoise qu’ils se sont fondus dans la population, au point de ressembler à tout le monde : ça pourrait être n’importe qui, ça fout l’angoisse. Finalement, c’était bien commode, une gueule d’Adolf Hitler : tous les projectiles lancés par la bonne conscience pouvaient se concentrer sur elle avec une touchante unanimité. Mais il y a eu Dutroux, il y a eu Fourniret, il y a eu Priklopil (celui-là s’est fait voler la vedette par sa victime Natascha Kampusch : c'en serait presque injuste !). Il y a eu Outreau, avec sa rafale de monstres (lisez le portrait de Cherif Delay, fils de Myriam Badaoui, dans Libération du samedi 7 mai 2011). En fait de monstres, on a aujourd’hui l’embarras du choix : un comble !


Et le doute gagne : et s’il y avait du monstre en chacun ? Et si le « Bien » et le « Mal » coexistaient par nature à l’intérieur de tout individu ? Ça la fout mal. Mme Opinion Publique (c’est qui ?), à cette idée révoltante, s’emporte, bronche, proteste. Il n’y a qu’à voir le « débat » qui a accompagné le succès des Bienveillantes de Jonathan Littell : comment peut-on se mettre dans la peau d’un nazi ? Dans quel cerveau malade une telle idée a-t-elle pu germer ? Et le « débat » suscité par le film La Chute. Le monstre, jusqu’à récemment au moins, c’était une sorte d’ « Alien » radicalement autre.

 

Relisez la description de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Feuilletez à l’occasion le passionnant ouvrage de Martin Monestier, Les monstres (Editions du Pont Neuf, refondu sous le même titre aux éditions du Cherche Midi) : splendide collection de toutes les sortes d’aberrations qui touchaient les fœtus humains (et animaux, éventuellement), avant que la science ne triomphât. Voyez ou revoyez le film – ô combien célèbre et peu regardé – de Tod Browning : Freaks, où Madame Tetrallini déclare au propriétaire du terrain où jouent plusieurs monstres microcéphales, ce qui scandalise le contremaître : « Mes enfants ne font pas de mal. – Vos « enfants » ? murmure le propriétaire, avant d’autoriser cette présence pour le moins inhabituelle.

 

Relisez ce passage de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, dans lequel un bébé né avec une vraie queue (= prolongement osseux de la colonne vertébrale) se la voit tranchée au hachoir sur une table de cuisine. On savait alors ce que voulait dire le mot anormal, et la réaction première, face à cela était : « On n’en veut pas. », ou alors dans des cirques, comme phénomènes propres à attirer les foules qui payaient autant pour se faire peur que pour se rassurer. Trop différents, ils sont humains, mais en partie seulement, à moitié, au quart, que sais-je ? Ci-dessous Pasqual Piñon et Prince Randian (il faut voir ce dernier, dans Freaks, allumer sa cigarette seulement avec la bouche : essayez voir, pour comprendre l'exploit). 


C’est là que je reviens à Adolf Hitler. On sait que l’une de ses obsessions, c’était de restaurer la pureté de la race, en particulier en éliminant purement et simplement les anormaux, qui constituaient autant d’impuretés porteuses de dégénérescence. Intolérable, je vous dis ! Cette manie mortifère porte un nom : Eugénisme. Il s’inspirait sans doute des pratiques en vigueur à Sparte, dans l’antiquité grecque, où l’on éliminait sans sourciller, après examen (néonatal, notez bien), les individus jugés non conformes. C’est aussi là que je reviens sur la touchante unanimité qui fait condamner avec horreur la folie de Adolf Hitler : qui aurait l’insanité aujourd’hui de soutenir qu’il faisait bien ? Qui oserait risquer de se faire étriper par la foule en soutenant qu’il avait raison ? Qui voudrait passer aujourd’hui pour un odieux nazi ? C'est vrai qu'ils sont quelques-uns à oser. Mais dans l'ensemble, le Bien a triomphé de Adolf Hitler, c’est donc une affaire entendue : L'eugénisme, c'est le mal, l'eugénisme est un crime.
 

 

Or, si l’on se contente du seul registre de l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné. Pour l’instant, laissons de côté les autres aspects, pour nous intéresser à cette seule exigence : contrôler la normalité de ceux qui vont naître. Notre si douce époque est devenue capable, grâce à ses prouesses techniques, à ses exploits scientifiques, de prédire (pas toujours) dans quel état naîtra l’être humain encore à l’état fœtal. On avait l’amniocentèse, on a maintenant l’échographie pour observer en direct ce qui se passe dans le ventre de la future mère. En Inde, ils ont vite compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer, eux qui trouvent que les filles coûtent beaucoup trop cher aux familles, et qui avaient fait de l’échographie un moyen d’élimination des filles, avant que le gouvernement y mette le holà (avec quel succès ?).

 

Chez nous, autrefois, on conservait dans les sous-sols des hôpitaux les rangées de bocaux remplis de formol et d’anormaux, ces humains qui osaient naître monstrueux. Mais aujourd’hui, dans notre époque qui a sans arrêt plein la bouche de tolérance, de droit à la différence, de métissage, et de bien d'autres grands principes,  dites-moi, combien de monstres et d'anormaux sont autorisés par les autorités scientifiques et médicales à seulement apparaître à la surface de la Terre, et à y demeurer (ne parlons pas des éventuelles conditions qui leur seraient faites : même les cirques sont devenus bien-pensants) ? Et l'exception de ce bébé à deux têtes qui vient de naître en Chine, au Si Chuan, confirme globalement la règle. Ci-dessous, un autre au Bangla Desh. 

 

La règle, au moins dans nos pays (industriels, développés, déliquescents), reste : on a trouvé le moyen légal, admissible selon les « critères moraux » officiels, d’éliminer l’humain jugé anormal, avant même qu’il ait aperçu la lumière du jour. Toutes les procédures qui le permettent portent des noms savants, les seuls capables de faire passer l’amertume de cette terrible pilule. Cela s’appelle « diagnostic prénatal », « avortement thérapeutique » ; cela s’appelle même maintenant « médecine prédictive » : on se propose d’analyser l’ADN des futurs parents, pour repérer les éventuels gènes défectueux qui risquent de déclencher on ne sait quelles maladies autour de trente ou quarante ans. Le contrôle de normalité accroît sans cesse ses pouvoirs. Et c’est un processus en marche, qu’on se le dise.

 

On me rétorquera que donner la vie à un individu anormal transforme en enfer l’existence de ses malheureux parents. Je suis totalement d’accord (et très bien placé pour le savoir, par-dessus le marché). Mais il faut savoir : si j’approuve ce qui est aujourd'hui le contrôle de normalité, logiquement, je dois cesser de renvoyer l’épouvantail Adolf Hitler hors de l’espèce humaine, de le considérer comme un monstre inhumain. Je suis obligé de le réintégrer parmi les hommes. En somme, il faut admettre Adolf Hitler au sein de l’espèce humaine. Son très grand tort fut de s’en prendre à des humains déjà dotés d’un nom, d’une histoire personnelle, et d’un état civil. Mais sur le fond, en quoi sommes-nous différents des nazis ? Nous nous glorifions d’avoir progressé : les abattoirs qui alimentent nos boucheries sont tous carrelés de blanc, et c’est à peine si l’animal y meurt. On y pratique la « mort douce » (ça veut dire euthanasie, même si Jacques Pohier, un jésuite, a écrit La Mort opportune). Et à l’ombre des murs de nos très modernes et progressistes hôpitaux, il se passe …

 

En matière d’eugénisme, ce qui différencie le régime nazi de nos façons de faire modernes et démocratiques, ce n’est même pas la méthode (élimination pure et simple) : c’est que, chez nous, aujourd’hui, ceux que nous éliminons, simplement, nous ne les avons pas encore vus. Ils n’ont encore accédé ni à l’existence ni, surtout, à l’état-civil. Somme toute, on ne fait qu'éliminer du rien. Même si les motivations semblent (je dis bien « semblent ») moralement ou socialement acceptables, la finalité et le résultat sont identiques : empêcher des humains jugés défectueux d’accéder à l’existence. Ce cousinage a de quoi gêner et laisser perplexe, et de quoi nous interroger : si notre monde est vraiment meilleur qu’avant, n’a-t-il pas, aussi, quelque chose du Meilleur des mondes ?

 

N’y a-t-il pas quelques raisons d’affirmer, comme je le fais dans mon titre, que, au moins en ce qui concerne l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné ?