xTaBhN

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 12 mai 2011

EUGENISME : HITLER A GAGNE

Adolf Hitler : tout le monde a sa photo dans l’esprit, tout le monde a son nom à la bouche. C’en est au point que les « Guignols de l’info » avaient un temps, si je me souviens bien, baptisé la marionnette figurant Le Pen : « Adolf », avant d’être sommés d’abandonner cette idée, tant par l’intéressé lui-même que du fait de l’exagération manifeste : n’est pas Adolf Hitler qui veut.

Bref, ce sinistre personnage (là, tout le monde est d’accord) occupe aujourd’hui la place d’épouvantail number one, cette place, bien d’autres ont espéré s'en emparer, et ont fait quelques réels efforts pour y parvenir. Ils ont nom Pol pot ou, jusqu’à hier, Oussama Ben Laden. Mais c’est comme avec les guerres, dans la chanson de Georges Brassens : « Chacune a quelque chose pour plaire, chacune a son petit mérite, mais mon colon celle que je préfère, c’est la guerre de quatorze-dix-huit ». Bon je ne vais pas me mettre à fredonner : « Moi le tyran que je préfère, c’est la gueule d’Adolf Hitler» (notez que ça rime).

 

Mais je remarque au passage que c’est la gueule qui se présente en général la première quand n'importe qui veut faire comprendre ce qu'est pour lui le Mal absolu. C’est une sorte de fascination bizarre, dont l’effet est de rejeter le nommé Adolf Hitler dans une anti-humanité, somme toute commode : tout le monde est d’accord pour dire que c’est un monstre. Conclusion obligatoire : donc il n’est pas humain. C’est logique : s’il est un monstre, il n’a rien à voir avec nous, les humains ordinaires, et pour tout dire normaux. Ça rassure, c’est d’ailleurs fait pour ça. Cela arrange tout le monde, de se dire qu’il n’est pas du tout comme nous, pas du tout du tout du tout, je vous jure. La gueule d’Adolf Hitler a ceci de commode qu’elle incarne le mal hors de chacun de nous. Et puis c’est de l’histoire ancienne, et puis il est mort, et puis « plus jamais ça » (le refrain).

 

Le problème, c’est que les monstres se sont mis à proliférer, et de façon tellement sournoise qu’ils se sont fondus dans la population, au point de ressembler à tout le monde : ça pourrait être n’importe qui, ça fout l’angoisse. Finalement, c’était bien commode, une gueule d’Adolf Hitler : tous les projectiles lancés par la bonne conscience pouvaient se concentrer sur elle avec une touchante unanimité. Mais il y a eu Dutroux, il y a eu Fourniret, il y a eu Priklopil (celui-là s’est fait voler la vedette par sa victime Natascha Kampusch : c'en serait presque injuste !). Il y a eu Outreau, avec sa rafale de monstres (lisez le portrait de Cherif Delay, fils de Myriam Badaoui, dans Libération du samedi 7 mai 2011). En fait de monstres, on a aujourd’hui l’embarras du choix : un comble !


Et le doute gagne : et s’il y avait du monstre en chacun ? Et si le « Bien » et le « Mal » coexistaient par nature à l’intérieur de tout individu ? Ça la fout mal. Mme Opinion Publique (c’est qui ?), à cette idée révoltante, s’emporte, bronche, proteste. Il n’y a qu’à voir le « débat » qui a accompagné le succès des Bienveillantes de Jonathan Littell : comment peut-on se mettre dans la peau d’un nazi ? Dans quel cerveau malade une telle idée a-t-elle pu germer ? Et le « débat » suscité par le film La Chute. Le monstre, jusqu’à récemment au moins, c’était une sorte d’ « Alien » radicalement autre.

 

Relisez la description de Quasimodo dans Notre-Dame de Paris. Feuilletez à l’occasion le passionnant ouvrage de Martin Monestier, Les monstres (Editions du Pont Neuf, refondu sous le même titre aux éditions du Cherche Midi) : splendide collection de toutes les sortes d’aberrations qui touchaient les fœtus humains (et animaux, éventuellement), avant que la science ne triomphât. Voyez ou revoyez le film – ô combien célèbre et peu regardé – de Tod Browning : Freaks, où Madame Tetrallini déclare au propriétaire du terrain où jouent plusieurs monstres microcéphales, ce qui scandalise le contremaître : « Mes enfants ne font pas de mal. – Vos « enfants » ? murmure le propriétaire, avant d’autoriser cette présence pour le moins inhabituelle.

 

Relisez ce passage de Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez, dans lequel un bébé né avec une vraie queue (= prolongement osseux de la colonne vertébrale) se la voit tranchée au hachoir sur une table de cuisine. On savait alors ce que voulait dire le mot anormal, et la réaction première, face à cela était : « On n’en veut pas. », ou alors dans des cirques, comme phénomènes propres à attirer les foules qui payaient autant pour se faire peur que pour se rassurer. Trop différents, ils sont humains, mais en partie seulement, à moitié, au quart, que sais-je ? Ci-dessous Pasqual Piñon et Prince Randian (il faut voir ce dernier, dans Freaks, allumer sa cigarette seulement avec la bouche : essayez voir, pour comprendre l'exploit). 


C’est là que je reviens à Adolf Hitler. On sait que l’une de ses obsessions, c’était de restaurer la pureté de la race, en particulier en éliminant purement et simplement les anormaux, qui constituaient autant d’impuretés porteuses de dégénérescence. Intolérable, je vous dis ! Cette manie mortifère porte un nom : Eugénisme. Il s’inspirait sans doute des pratiques en vigueur à Sparte, dans l’antiquité grecque, où l’on éliminait sans sourciller, après examen (néonatal, notez bien), les individus jugés non conformes. C’est aussi là que je reviens sur la touchante unanimité qui fait condamner avec horreur la folie de Adolf Hitler : qui aurait l’insanité aujourd’hui de soutenir qu’il faisait bien ? Qui oserait risquer de se faire étriper par la foule en soutenant qu’il avait raison ? Qui voudrait passer aujourd’hui pour un odieux nazi ? C'est vrai qu'ils sont quelques-uns à oser. Mais dans l'ensemble, le Bien a triomphé de Adolf Hitler, c’est donc une affaire entendue : L'eugénisme, c'est le mal, l'eugénisme est un crime.
 

 

Or, si l’on se contente du seul registre de l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné. Pour l’instant, laissons de côté les autres aspects, pour nous intéresser à cette seule exigence : contrôler la normalité de ceux qui vont naître. Notre si douce époque est devenue capable, grâce à ses prouesses techniques, à ses exploits scientifiques, de prédire (pas toujours) dans quel état naîtra l’être humain encore à l’état fœtal. On avait l’amniocentèse, on a maintenant l’échographie pour observer en direct ce qui se passe dans le ventre de la future mère. En Inde, ils ont vite compris tout le bénéfice qu’ils pouvaient en tirer, eux qui trouvent que les filles coûtent beaucoup trop cher aux familles, et qui avaient fait de l’échographie un moyen d’élimination des filles, avant que le gouvernement y mette le holà (avec quel succès ?).

 

Chez nous, autrefois, on conservait dans les sous-sols des hôpitaux les rangées de bocaux remplis de formol et d’anormaux, ces humains qui osaient naître monstrueux. Mais aujourd’hui, dans notre époque qui a sans arrêt plein la bouche de tolérance, de droit à la différence, de métissage, et de bien d'autres grands principes,  dites-moi, combien de monstres et d'anormaux sont autorisés par les autorités scientifiques et médicales à seulement apparaître à la surface de la Terre, et à y demeurer (ne parlons pas des éventuelles conditions qui leur seraient faites : même les cirques sont devenus bien-pensants) ? Et l'exception de ce bébé à deux têtes qui vient de naître en Chine, au Si Chuan, confirme globalement la règle. Ci-dessous, un autre au Bangla Desh. 

 

La règle, au moins dans nos pays (industriels, développés, déliquescents), reste : on a trouvé le moyen légal, admissible selon les « critères moraux » officiels, d’éliminer l’humain jugé anormal, avant même qu’il ait aperçu la lumière du jour. Toutes les procédures qui le permettent portent des noms savants, les seuls capables de faire passer l’amertume de cette terrible pilule. Cela s’appelle « diagnostic prénatal », « avortement thérapeutique » ; cela s’appelle même maintenant « médecine prédictive » : on se propose d’analyser l’ADN des futurs parents, pour repérer les éventuels gènes défectueux qui risquent de déclencher on ne sait quelles maladies autour de trente ou quarante ans. Le contrôle de normalité accroît sans cesse ses pouvoirs. Et c’est un processus en marche, qu’on se le dise.

 

On me rétorquera que donner la vie à un individu anormal transforme en enfer l’existence de ses malheureux parents. Je suis totalement d’accord (et très bien placé pour le savoir, par-dessus le marché). Mais il faut savoir : si j’approuve ce qui est aujourd'hui le contrôle de normalité, logiquement, je dois cesser de renvoyer l’épouvantail Adolf Hitler hors de l’espèce humaine, de le considérer comme un monstre inhumain. Je suis obligé de le réintégrer parmi les hommes. En somme, il faut admettre Adolf Hitler au sein de l’espèce humaine. Son très grand tort fut de s’en prendre à des humains déjà dotés d’un nom, d’une histoire personnelle, et d’un état civil. Mais sur le fond, en quoi sommes-nous différents des nazis ? Nous nous glorifions d’avoir progressé : les abattoirs qui alimentent nos boucheries sont tous carrelés de blanc, et c’est à peine si l’animal y meurt. On y pratique la « mort douce » (ça veut dire euthanasie, même si Jacques Pohier, un jésuite, a écrit La Mort opportune). Et à l’ombre des murs de nos très modernes et progressistes hôpitaux, il se passe …

 

En matière d’eugénisme, ce qui différencie le régime nazi de nos façons de faire modernes et démocratiques, ce n’est même pas la méthode (élimination pure et simple) : c’est que, chez nous, aujourd’hui, ceux que nous éliminons, simplement, nous ne les avons pas encore vus. Ils n’ont encore accédé ni à l’existence ni, surtout, à l’état-civil. Somme toute, on ne fait qu'éliminer du rien. Même si les motivations semblent (je dis bien « semblent ») moralement ou socialement acceptables, la finalité et le résultat sont identiques : empêcher des humains jugés défectueux d’accéder à l’existence. Ce cousinage a de quoi gêner et laisser perplexe, et de quoi nous interroger : si notre monde est vraiment meilleur qu’avant, n’a-t-il pas, aussi, quelque chose du Meilleur des mondes ?

 

N’y a-t-il pas quelques raisons d’affirmer, comme je le fais dans mon titre, que, au moins en ce qui concerne l’eugénisme, Adolf Hitler a gagné ?

Les commentaires sont fermés.