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mercredi, 19 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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« On ne peut bretonner qu'en Bretagne. La principale occupation des habitants est de manger des langoustes bretonnes sous une pluie qui l'est encore plus. Ils vont les chercher dans la mer. C'est leur banlieue ! L'aventure est au bout du môle. On y trouve le vent, la tempête, l'orage, les courants, les écueils. Tous les apaches de l'Atlantique. Tous les démons. L'homme ne peut s'y opposer qu'en conjuguant sa force et son intelligence, une connaissance étonnante du milieu, une promptitude surprenante de réflexes, une endurance à toute épreuve et un sang-froid que rien n'intimide, une science du métier faite instinct. C'est bien autre chose que de tourner autour de la Lune. Il me semble du moins. Et je me trompe peut-être. Car tourner autour de la Lune exige une forme de courage qui consiste à lutter contre de l'inconnu, contre une chose qui affole plus, du moins a priori, que la foudre qui tombe sur des vagues de quinze mètres. Du moins quand on y pense de loin. Car la foudre qui tombe sur des vagues de quinze mètres a un petit aspect blanchâtre qui empêche très couramment de se rappeler sur le moment tout ce qu'un homme sur une coque de noix peut encore espérer du principe d'Archimède, au moment où la lame qui arrive, après celle qui l'emporte aux cieux, lui cache la Lune et les étoiles. D'autant plus que la foudre a le ton sec et une autorité parfaite. qu'il en soit, l'homme ne paraît jamais plus beau que quand il emploie en même temps son cœur, son corps et son esprit dans quelque entreprise difficile. C'est pourquoi j'aime tant les marins, et pas tellement les cosmonautes : le cosmonaute est à peu près passif. Il est étrange que le progrès de l'humanité aille au rebours du progrès des hommes. Que le type humain le plus beau soit celui d'avant le progrès. Le progrès se fait-il donc contre l'homme ? Est-ce fatal ?... Nous sommes embarqués...
(...)
Quoi qu'il en soit la Bretagne ferme le 15. Le 15 septembre la Bretagne n'a plus lieu. C'est une information que je tiens d'une Quiberonnaise. Les hôtels ne prennent plus personne. "Après, c'est le vent", m'a-t-elle dit sobrement.
Le 15 septembre le vent succède à la Bretagne. Elle se retire dans sa petite presqu'île, elle rentre dans ses maisons basses ripolinées comme des joujoux, son rez-de-chaussée climatisé, avec des cactus sur la fenêtre, pareil à quelque appartement de retraité du petit commerce plutôt qu'à ce qu'un homme des montagnes, ou du désert, a l'habitude d'appeler pays. Et c'est cette mercerie de province qui est l'antichambre de ces enfers, de ces abîmes et de ces Apocalypses que ma Quiberonnaise appelle le vent.
Le vent de l'abîme a créé une épicerie-tabac. C'est le type même de l'absence d'emphase. Les civilisations qui se vantent ne peuvent plaire qu'à des nouveaux riches. Les petits effets ont parfois de grandes causes
Et c'est ainsi qu'Allah est grand ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

***

Note 1 : "Les petits effets ont parfois de grandes causes" : exactement l'inverse du dicton "A petites causes, grands effets". Et l'inverse de ce que les journalistes complaisants appellent complaisamment "l'effet papillon", vous savez, cette niaiserie qui consiste à soutenir qu'un battement d'ailes de papillon en Antarctique (où trouvent-ils des papillons en Antarctique ?) peut provoquer un ouragan dans le golfe du Mexique (même si ce n'est pas absurde en théorie).

Note 2 : Oui, on pourrait reprocher à Dupont de faire preuve d'un certain niveau d'islamophobie en bottant le cul de ce musulman en prière. Mais ce faisant, en tant qu'Européen, il affirme sa conviction que l'islam est incompatible avec la démocratie. Ou alors il faudrait que ce soit une foi amoindrie, de la même espèce tiède qui a conduit a la bienfaisante déchristianisation de nos cultures. Tant que le musulman sort le poignard (heureusement, le moteur de la Jeep conduite par Dupond tourne rond) parce qu'il estime que le "Blanc" manque de respect aux objets de sa vénération, aucun "accommodement" n'est possible, fût-il "raisonnable".

***

Fin (provisoire) de ce bain de jouvence "Alexandre Vialatte". Et un million de remerciements pour ses remarquables contributions à Georges Rémi, à qui nous disons un très amical "au revoir".

mardi, 18 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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« La vérité se trouve aux éditions du Seuil dans une ravissante collection consacrée aux signes [je me permets de corriger le "singe" imprimé p.95] du zodiaque et rédigée par de bon écrivains. Elle s'adresse aux "honnêtes gens". Elle n'indique pas le moyen de gagner à la loterie, manque d'opinion sur le chiffre 13 et n'assure nulle part que la pierre de lune vous fera aimer le mercredi par des nièces de maraîchères si vous êtes beau-frère du potier. En revanche, elle contient de remarquables études sur les grands hommes qui ont illustré le signe étudié. On y trouve des choses étonnantes : "Le chant du taureau est vénusien" ; "le Taureau et les Poissons n'arrivent pas à se comprendre" ; "la femme du Taureau s'habille avec un rien" ; "le Taureau froid use ses vieilles jaquettes". De tels détails confondent l'esprit humain. Ils s'entourent de mille images, photographies, gravures sur bois, autographes, zodiaques sur fond vert, vases grecs, tableaux de musée, bœufs mésopotamiens, cartes du ciel où traînent des dieux et où s'agitent des monstres comme des têtards dans un étang. On y voit Montherlant vêtu en picador, Turgot donnant sa démission et des demoiselles exaltées qui frappent sur des tambourins.
Je reste obsédé par le Taureau froid. Sa queue glacée sort de sa vieille jaquette. Il exhale un chant vénusien. Il s'accompagne sur la lyre. L'ablette et le poisson-scie n'arrivent pas à le comprendre. Il ne fera pas un sou de recette. Heureusement que sa femme s'habille avec un rien.

C'est également ce qui sauve de la misère les aborigènes d'Australie. Ces gens sont dénués à tel point de tout vêtement, confort, hygiène, couverture, édredon, et matelas en caoutchouc mousse qu'ils dorment debout sur une seule jambe. Depuis huit mille quatre cents ans, époque de leur apparition dans un désert nu comme la main qu'ils se partagent avec le kangourou-boxeur. Dangereuse fréquentation. Une dépêche de Londres annonce que des savants se sont lancés à leur poursuite afin de découvrir la raison de cet étrange comportement. Pourquoi l'aborigène dort-il sur une seule jambe ? Cruelle énigme. Et faux problème : il dort parce que l'homme a besoin de sommeil ; sur une seule jambe afin de reposer l'autre. Ainsi ont raisonné des savants plus sérieux. Il faut bien, ont-ils dit, dormir sur quelque chose. Comment ne serait-ce pas sur une jambe ou sur l'autre ? On ne peut pas dormir sur les deux ! C'est une position épuisante ! Quant à vivre sans nul sommeil, un tel rêve ne pourrait se loger que dans une tête sans cervelle. Le travailleur qui oublie la sieste, dit un proverbe du Centre-Afrique, est aussi fou que le poisson ouah-ouah ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

lundi, 17 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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***

« Le temps est gris, on ne peut pas s'empêcher de rêvasser. Mille idées vous passent par la tête, qu'on a envie d'attraper par la queue. C'est une tentation très dangereuse. Car de songe en idée, on finit par penser. Et il n'y a rien de plus fatigant. Ni de plus vain. Car on ne pense pas juste. Ou alors une fois sur cent mille. Par quelque hasard prodigieux.
Ce qui n'a d'ailleurs pas d'importance. Car l'idée fausse est souvent plus féconde : l'idée fausse que la terre est plate permet fort bien de caler une chaise ou de bâtir une chaumière normande avec une poutre où accrocher les saucissons. L'idée juste que la terre est en forme de poire, ou mieux de pomme de terre nouvelle, compliquerait au contraire les choses à un tel point que l'homme ne pourrait jamais s'asseoir ni manger le saucisson dans une chaumière normande, si le maçon voulait en tenir compte. Ce qui priverait l'existence de toute jovialité. Aussi le président Krüger était-il sagement inspiré, il n'y a pas soixante ans de la chose, d'interdire l'accès du Transvaal à tous les trublions faisant le tour du monde, voulaient donner à Pretoria des conférences par lesquelles ils risquaient de prouver que la terre est ronde. Il fut ferme et ne céda pas. C'est pourquoi il a sa statue devant son ancienne petite maison. En redingote, en gibus, en marbre. Avec un haut-de-forme évidé pour permettre aux oiseaux d'y boire. C'était du moins ce que demandait sa femme. Elle voulait faire de lui une fontaine pour les hirondelles. Je ne sais plus bien si on l'a exaucée. Quoi qu'il en soit, ces raisonnements précis prouvent à merveille qu'une idée excellente n'a pas besoin d'être juste ou fausse, mais bien seulement d'être féconde ».

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

dimanche, 16 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Explication : c'est un missionnaire particulièrement œcuménique.

« On va détruire le pont de l'Alma. M. Magniez, chef de service à la mairie de Boulogne-sur-Mer, a réclamé la statue du zouave ; il a raison : c'était son grand-père¹. Il s'en fera un grand presse-papiers.
Il ne faut jamais laisser perdre le zouave, surtout quand il est de la famille. Le zouave est pittoresque, il ne fume que le "Nil",

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il a un vaste pantalon percé du "trou de Lamoricière". C'est pour pouvoir traverser les oueds. Quand l'oued déborde et que le zouave le traverse, l'eau qui s'amasse dans son immense culotte l'entraînerait rapidement au fond s'il n'avait le trou de Lamoricière. Le crocodile lui sectionnerait le bras droit. Avec le trou de Lamoricière, qu'inventa le général qui porte le même nom, l'eau s'écoule à mesure qu'elle pénètre. Le zouave échappe au crocodile. Il sort de l'oued en laissant derrière lui une trace humide, comme l'escargot. Il tord son vaste jupon rouge ; il le fait sécher sur une ficelle ; le même soir il peut mourir tranquillement au combat. Dans une culotte bien sèche. En sonnant du clairon.

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Telles sont les mœurs héroïques du zouave. Mon enfance a été nourrie de ses grands exemples. Je rêvais du trou de Lamoricière ; j'en perçais un dans mon costume marin pour échapper aux crocodiles. Afin de mieux traverser les oueds ».

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Le défilé des zouaves, place Bellecour, à Lyon, le 14 juillet 1905.

(...)
« On voit par là l'importance du zouave. Il était à la base d'une civilisation. Il reste à la base d'une sagesse. C'est un professeur éternel. C'est pourquoi M. Magniez a cent mille fois raison de vouloir garder son grand-père et de s'en faire un grand presse-papiers. C'était un zouave exceptionnel. Le moins déshydraté du monde. Il ne vécut que la culotte mouillée ; presque toujours dans le bain de pieds ; très souvent dans le bain de siège. Il a sauvé Paris de cinquante inondations. Quand la crue arrivait à hauteur de l'Alma, elle était obligée de s'écouler sans avenir par le trou de Lamoricière. Que serions-nous devenus sans le zouave de l'Alma ? »

¹ Le zouave André Gody, qui posa pour la statue. Marbrier de son état, il avait fait aux zouaves une carrière glorieuse.

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

***

Note : Aux dernières nouvelles, le Zouave sert toujours d'indicateur des crues au pont de l'Alma (le nouveau), bien qu'on ait toujours autant de mal à repérer l'emplacement du "trou de Lamoricière".

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Je crois inutile de montrer le professeur Tournesol dans Objectif Lune, où il considère "zouave" comme une insulte. Un contresens qui n'aurait certes pas germé sous la plume de Vialatte.

samedi, 15 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Le colonel Sponsz, après avoir visité une biennale d'art contemporain où figure, en particulier, "Mother and child", une œuvre de Damien Hirst, célèbre artiste au "Crâne orné de 18.000 diamants", dont les sujets sont ici une vache et un veau, exige du commissaire d'exposition-du-peuple-et-de-police (c'est une seule et même personne en Bordurie) que l'artiste soit passé par les armes.

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DES NOUVELLES DE L'ARCON - 4 (et fin)

« Le plus moral des peintres est mon ami Dereux. Il apporte dans la peinture de vrais soucis de mère de famille. Il a inventé le tableau en épluchures de pommes de terre, ce qui est une façon de ne rien laisser perdre dans le budget d'un ménage sérieux. Il recueille donc les épluchures, il les fait sécher, il les colle, il les organise en tableaux. Ces bouquets d'épluchures parlent à l'imagination, au cœur, à l'âme, parfois à l'estomac. Petit à petit il n'a plus pu éplucher tout seul tant de pommes de terre. Il fait travailler d'abord la famille, puis les visiteurs. La cuisine en est plus vite faite et les tableaux en sont plus abondants. Il a acquis à ce jeu une grande expérience du caractère des gens d'après leurs épluchures ; le prodigue les fait énormes ; le paresseux aussi ; l'avare toutes minces ; l'artiste vrai, d'un seul tenant ; l'amoureux est distrait, son épluchure s'en ressent ; mais Dereux va beaucoup plus loin dans la caractérologie et dans la science d'utiliser les épluchures. Il en a fait un traité qui a paru en trois livraisons dans le Mercure de France, qui est mensuel. Aussi a-t-on pu tous les mois, pendant trois mois, consolider ou enrichir son expérience de l'épluchure de pomme de terre.

J'ajouterai, pour être complet, que cet article a été injuste pour le salon Comparaisons ; que je m'aperçois, en en relisant le catalogue, qu'il s'y trouvait des œuvres remarquables, de grands peintres, et assez nombreux : disons Waroquier, par exemple, ou les "naïfs", qui sont charmants. Mais pourquoi, dans ces conditions, n'en garde-t-on le souvenir que d'une exposition de tuyaux de poêle ? la vision morne et incohérente d'un fourneau en pièces détachées ? Il a noyé la qualité dans le magma gris. Et il a offensé le talent.

J'en conclus que ma partialité est d'une légitime injustice. 

Et c'est ainsi qu'Allah est grand. » 

***

« Légitime injustice » !!!

Quelle formule splendide dans son paradoxe ! 

Je ne discute pas de la question de savoir si l'on peut être l'ami d'un artiste dont on se moque gentiment des œuvres. D'ailleurs Vialatte lui-même ne porte ici aucun jugement sur les épluchures de pomme de terre, si ce n'est d'utilité. De là à en conclure que le peintre Dereux fait œuvre utile, il y a un pas que je ne franchirai peut-être pas.

vendredi, 14 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Voici l'état dans lequel le capitaine Haddock se met face au "balloon dog" de Jeff Koons installé dans les ors et les stucs d'un salon de Versailles. On le comprend.

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DES NOUVELLES DE L'ARCON - 3.

« Malheureusement, moins la peinture est prise au sérieux par le peintre, plus il se prend lui-même au sérieux. Moins on sait la grammaire et plus on philosophe. Le peintre veut être un penseur. J'ai vu une exposition de jeunes génies où le programme tenait toute la place. Ils étaient "contre la morale". "Naturellement", ajoutaient-ils. C'était le premier point de ce programme. Ils y tenaient férocement. Mais qui leur faisait obstacle ? et qui ce détail intéresse-t-il ? Surtout en fait de peinture abstraite ! J'ai essayé de trouver leurs losanges immoraux et leurs circonférences coupables. Il ne m'en est pas venu de frisson d'art. Et leurs melons ! D'abord. Qu'est-ce qu'un melon immoral ?... C'est celui qui nourrira Hitler, Néron, Landru ? Le melon moral étant réservé à Pasteur, à Jeanne d'Arc, à saint Vincent de Paul ? Mais comment savoir à l'avance qui un melon va nourrir ? Il ne le dit à personne, et rien ne ressemble plus qu'un melon dévergondé à un melon plein de vertus chrétiennes. On voit par là qu'il est difficile en peinture de remplacer le talent par le vice ; surtout dans la représentation abstraite du hareng saur. Pourquoi, dès lors, vouloir tellement être immoral ? La morale n'a jamais vraiment gêné les peintres. Non plus d'ailleurs que les autres classes de la société. Alors ? Alors je m'y perds. Peut-être les peintres sont-ils las d'être jugés au nom de la morale ? Parce qu'ils trouvent la chose immorale ? Mais, s'ils sont contre la morale, pourquoi se plaignent-ils d'être jugés immoralement ? En agissant immoralement, on agit comme ils le désirent ! A moins que, semblables à tout le monde, ils n'admettent que pour eux le droit d'être immoraux ? C'est une position si banale, si courante, si universelle, qu'il est bien superflu de le crier sur les toits. Sauf si l'on a, évidemment, le besoin le plus grand et le plus naïf de déplacer le problème de la peinture. On change alors de champ de bataille. Battu d'avance à Sète, au moins craignant de l'être, on va se battre à Perpignan. Mais ce n'est jamais à Perpignan qu'on a gagné la bataille de Sète ».

***

Bon, d'accord, ce n'est pas ici le meilleur Vialatte, vous savez, le Vialatte jubilatoire dont la plume allègre, espiègle et guillerette avance « à sauts et à gambades ». Sans doute le souci de raisonner et d'argumenter alourdit le propos, qui frise l'argutie spécieuse. Je retiens quant à moi les trois premières lignes du paragraphe : " ... moins la peinture est prise au sérieux par le peintre, plus il se prend lui-même au sérieux. (...) Le peintre veut être un penseur". Et puis ceci : "... il est difficile en peinture de remplacer le talent par le vice".

Ce Vialatte-là est rejoint en 1977 par l'ami Reiser qui, dans Charlie Hebdo, après une visite à la Xème Biennale d'art contemporain de Paris, assaisonne son reportage de grands « N'IMPORTE QUOI » et parle de « L'ART RIGOLO », où l'artiste n'est plus sommé de maîtriser une technique, mais d' « AVOIR DES IDÉES ».

jeudi, 13 janvier 2022

ET C'EST AINSI QU'ALLAH ...

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Madame Yamila visitant une exposition d'ARCON.

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DES NOUVELLES DE L'ARCON - 2.

« La peinture a tout essayé.
On a peint sur une toile, on a peint sur trois toiles l'une au-dessus de l'autre (le même sujet).
On a peint avec tout : les mains, la bouche,, les pieds, le gorille, la queue de l'âne, la foudre, et le mouvement de la terre ; le pistolet, l'arquebuse, la lance, la torpille et le balais de paille. Comme instruments.
Et comme matières, avec la coquille d'œuf, le gravois, le bitume ; la crotte de chèvre et le pipi de chien ; l'anthracite, le mâchefer, le yaourt, le cantal, le brie, le fromage blanc, le fromage fait ; le papier de Paris-Soir roulé en boules compactes, trempé dans l'eau de Javel et coupé au couteau.
On a peint à vélo, à cheval et en avion.
On a peint avec rien, sans pinceau et sans toile, en se contentant de vendre à prix d'or l'ampoule qui éclairait le coin de mur où il fallait se figurer la peinture.
Après tant d'exploits étonnants au visiteur de 1964 que l'artiste ait peint avec un tournevis qu'avec une clef anglaise ? Que le tiroir de la commode qui est sur la toile s'ouvre vraiment ? Et qu'on y découvre un rat cuit plutôt qu'un fer à cheval ou un bouton de culotte ? Ou que le faux bois du trompe-l'oeil exposé par conviction philosophique vaille presque celui d'un artisan spécialisé ?
Je crois qu'on prête au public des exigences mesquines auxquelles il n'a jamais songé. »

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Fayard, 1979.

mercredi, 12 janvier 2022

TOUT EST DANS VIALATTE

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Le visage de Foudre Bénie respire la joie de vivre ! Quel joyeux drille ! Quel boute-en-train ! Quel bouffon !

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DES NOUVELLES DE L'ARCON - 1.

« Le salon Comparaisons résume, paraît-il, dix ans de peinture française, et, encore plus que dix ans de peinture, dix ans de théories picturales. Il fourmille de productions que les peintres appellent, à tout hasard, des œuvres, mais que le profane distingue très mal des marchandises de marché aux puces. Elles vont du vélo suspendu à l'envers jusqu'au rond de cabinet enrichi d'une chasse d'eau qui donne, au lieu de liquide, un coup de pied au derrière du monsieur qui s'assied sur le rond. Ce coup de pied est administré au moyen d'une botte vernie. Mais c'est une parodie des "audaces" d'avant-garde. Le malheur est qu'on distingue à peine les parodies des chefs d'œuvre "pensés". Ni même les objets exposés de l'ameublement général. A ceci près que, sous les œuvres, il y a une étiquette et un numéro. Mais qui dira si on ne s'est pas trompé ? Car le trou de l'ascenseur lui-même est numéroté comme une toile. Est-ce un chef d'œuvre qu'il faut saluer ? Ou le répartiteur d'étiquettes s'est-il trompé dans sa distribution ? On ne sait plus si la porte d'entrée fait partie du décor ou des œuvres exposées. Ni le monument lui-même. Ni même les visiteurs. Car il en est de très expressifs, de très beaux, de très inimitables. Ou de si quelconque qu'ils en deviennent typiques : ce sont de très beaux portraits d'anonymes. Qui empêcherait un artiste, un cerveau, un penseur, de numéroter les visiteurs mouvants, des les prendre à son compte et de les considérer comme des objets qu'il expose au public : "Visiteurs de l'exposition" ? Au même titre qu'un chiffon gras, une pompe à incendie ou une brosse à chaussures. Le visiteur de l'exposition est après tout un produit de la nature comme ces racines ou ces cailloux que les sculpteurs exposent tels quels. Ils choisissent leur racine ? Ils trient dans les cailloux ? Ils interviennent ? Mais qui empêcherait de choisir soi-même son visiteur ? de prendre le plus beau, le plus barbu, le plus lourd de métaphysique ? un comptable sérieux, un père de douze enfants. Ou son propre fils. Ou sa fille aînée. Quelle œuvre serait plus signée ?
On devrait exposer ses enfants. Les plus gras, bien sûr, les plus roses, les plus dodus. Sur du velours vert. Dans le vestibule. Entre les cornes de chamois qui servent de portemanteau et le calendrier des postes qui représente un bébé à cheval sur un ânon. En Corse. Sous un marronnier. »

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Pour ceux qui ne le savent pas, le "Migou", dont l'effet sur les gens normaux est si bien exprimé par la terreur de Foudre Bénie, c'est l'Abominable Homme des Galeries d'Art contemporain.

On l'aura compris, l'ARCON, c'est le YÉTI de l'art.

mardi, 11 janvier 2022

HOMMAGE A ALEXANDRE VIALATTE

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« L'homme serait-il un thon volant ? Le cas de Glenn [John Glenn, l'astronaute américain que les moins de 20 ans etc....] semblerait le prouver. Il a fait trois fois le tour de la Terre à tant de kilomètres d'altitude qu'on ne sait plus comment les compter. Sa femme, dit-on, au même moment, s'était rendu à la boucherie chevaline. Il se trouva de retour avant elle. Pendant qu'elle achetait les côtelettes, il avait vu le soleil se coucher quatre fois. Même si sa femme hésite beaucoup entre les côtelettes, on ne peut se retenir de dire que c'est un incroyable exploit.
         Cette histoire prouve qu'au sommet des montagnes on n'apprend que des choses prodigieuses. Tout y est démesure. Les météores font rage. Le vent vous arrache le journal. Une partie va au nord, au sommet d'un hôtel où elle s'accroche au barreau d'un balcon et y bat comme un étendard ; l'autre va à l'est claquer à un autre balcon ; le troisième morceau reste collé au sol, par-dessus par la pluie, par-dessous par la neige ; on n'en arrache un lambeau détrempé qu'en y laissant deux ou trois ongles, dont, toujours, celui du médius. C'est ce qui rend extrêmement difficile de trouver la fin du mot croisé. »

Alexandre Vialatte, Et c'est ainsi qu'Allah est grand, Julliard, 1979.

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On ne saurait se passer de Vialatte qu'à son propre détriment ! 

jeudi, 26 mai 2011

L'IMPOSTURE ECONOMISTE

Dans le zoo fou qu’est devenue la planète, l’économiste occupe une pace de choix. Que dis-je : l'animal tient le haut du pavé du centre de l'échiquier. Comme ils disent eux-mêmes, ils sont « incontournables ». Ce sont, disent-ils, des « spécialistes ». Leur spécialité, c’est l’économie. Une « science », paraît-il. Drôle de science quand même. La science, on sait ce que c’est, le Grand Robert le dit : « connaissance exacte et approfondie ». « Exacte » ? Alors l’économie N’EST PAS UNE SCIENCE. Qu’il y ait des invariants, c’est certain : plus on fabrique de la monnaie, plus les prix augmentent ; quand on détient un monopole, on s’enrichit plus que quand la vraie concurrence fait rage ; etc. J'ai quelques notions quand même, faut pas croire. Mais un des caractères infaillibles qui définit une science, c’est qu’elle est capable de PREDIRE les phénomènes (si tu es à 0 mètre, et si tu mets de l'eau sur du feu, elle bouillira à cent degrés Celsius, par exemple).

 

Ça crève donc les yeux : l’économie n’est considérée comme une science que par un abus de langage, un mensonge soigneusement entretenu par la corporation des économistes. Drôle de corporation, à vrai dire. Il se trouve que j’écoute de temps en temps l’émission du samedi matin à 8 heures sur France Culture, intitulée « L’Economie en questions ». Ils sont quatre ou cinq, ils sont appelés des « experts », ils discutent de deux sujets principaux. Et s’il y a un invariant, il est ici. Pendant une quarantaine de minutes, ces « experts », tous très savants, c’est certain, débattent. Oui, parfaitement : il DEBATTENT. C'est précisément là qu'est l'os. ILS DEBATTENT. Suivant les sujets, il leur arrive même de s’engueuler. Voilà l’abus de langage : ces « experts » dans la « science économique », ils sont rarement d’accord, d’une part sur l’analyse à faire d’un phénomène, d’autre part sur les solutions à apporter aux problèmes et les perspectives. Si c'était une science, il n'y aurait pas de débats aussi vifs (et ce ne sont pas les vitupérations du bibendum plein de suffisance arrogante CLAUDE ALLEGRE qui peuvent me convaincre du contraire). Ecoutez un peu, un jour où vous n'avez rien de mieux à faire, ça devient toujours assez drôle, quand ce n’est pas franchement burlesque, quand ces grands spécialistes attaquent la partie « IL FAUT » du débat.

 

NOURIEL ROUBINI, cet économiste américain d’origine iranienne, s’est terriblement singularisé, début 2008, en prédisant la catastrophe des prêts hypothécaires aux Etats-Unis (« subprimes »). Tous ses collègues l'appelaient Cassandre : à présent, c'est plus un Cassandre, c'est un grand savant. Combien sont-ils dans le monde ? En France, on connaît maintenant PAUL JORION (l’homme au blog), qui avait aussi prévu la crise de 2008. Il prédisait hier la désintégration de l’Europe. Faut-il espérer qu’il se trompe ? De tels économistes, il doit y en avoir quelques autres dans le monde. Mais ils sont l’exception : dans l’ensemble, la profession se trompe régulièrement, incapable de seulement anticiper les événements. Or la profession, ce sont les « experts », et les « experts », ils sont où ? Ils enseignent l’économie, pardi. Ils forment de futurs économistes. Certains deviendront profs à leur tour, et la boucle est bouclée. C’est comme le poisson rouge dans son bocal : il tourne en rond. On serait dans les biotechnologies, on appellerait ça le « clonage ». On n’est pas près d’en sortir.

 

Je ne m’attarderai pas sur la folie furieuse de l’économie financière, sur la dictature des marchés et des « agences de notation », sur la récente et la peut-être future catastrophe. Je ne suis pas « expert », moi. Je me contente de regarder (et de subir, comme tout un chacun) la voracité de ce tout petit monde qui fait la loi au reste du monde. Je m’intéresse quand même à son fonctionnement, après tout, je suis concerné. J’ai donc mon mot à dire. Des gens plus qualifiés s’y intéressent aussi. ALBERT JACQUARD : J’Accuse l’économie triomphante ; VIVIANE FORRESTER : L’Horreur économique ; EMMANUEL TODD : Illusion économique ; et j’ajoute, pour faire bonne mesure, l’économiste JOHN KENNETH GALBRAITH : Les Mensonges de l’économie. Il n’a pas été Prix Nobel d’économie, celui-là ? Sauf qu’en fait de Prix Nobel (c’est-à-dire ceux fondés par ALFRED NOBEL en personne), il y en a CINQ et pas un de plus : médecine, chimie, physique, paix, littérature. Prix Nobel d’économie : inconnu au bataillon ! Oui, il existe un Prix d’économie, décerné (depuis 1968 ?), par la Banque de Suède, que les journalistes traduisent (faut-il qu’ils soient paresseux !) Prix Nobel. Là encore, donc, un simple ABUS DE LANGAGE. L'économie est bourrée d'abus de langage.

 

Bref, les quatre auteurs ci-dessus (dont un Prix « Nobel » donc) s’en prennent à l’économie en tant que telle. Todd, par exemple, parle en 1998 du « projet d’une impossible monnaie européenne » (c’est moi qui souligne). Lui aussi, il croit que l'Europe va se désintégrer ? Peut-on parler d’économie quand on n’est pas un « expert » ? La réponse est définitivement OUI ! C’est comme en psychanalyse, où vous avez JACQUES LACAN d’un côté, et de l’autre des gens comme DIDIER ANZIEU. L’un jargonne à qui mieux-mieux, et ça intimide, et ça impressionne les gogos. L’autre explique des choses complexes dans une langue claire qui cherche avant tout à être comprise. La plupart des économistes jargonnent, avec l’intention bien arrêtée de maintenir le profane hors du cercle des initiés. Mais tous ces gens, finalement, n’ont aucune certitude, mais aussi aucun compte à rendre (mais quel responsable, aujourd’hui a des comptes à rendre ?). Ils peuvent, crise après crise, continuer à SE TROMPER (soyons indulgents : en CHANGEANT D'ERREUR à chaque fois, en adoptant une erreur différente, parce que nous, on a oublié la précédente, et c'est bien, parce  que, comme ça, tout le monde croit ce qu'ils disent A PRESENT) dans les mêmes médias : voyez le petit ALAIN MINC qui, en tant que « consultant » (ça veut dire « expert » je suppose) grassement rétribué, continue à « conseiller » les puissants.

 

Moi, ce que je comprends, dans les diverses (et opposées) théories économiques, c’est que le fait même qu’il y ait des théories économiques est en soi une IMPOSTURE. (Je ne reviens pas sur celle que constitue le mot « science ».) Parlons de DOCTRINE, ce sera plus honnête. Le mot « théorie » est fait pour impressionner, rien de plus. En fait, ce que ne disent pas les « experts », c’est que dans leurs « théories », il y a moins d’ ECONOMIE que de POLITIQUE. Les fantoches « politiques » (vous direz que j’abuse des guillemets, mais il les faut) qui défilent sur les écrans et dans les journaux sont précisément cela : des FANTOCHES. Ils nous font croire qu’ils font de la politique, alors que la politique, elle se fait aux derniers étages des GOLDMAN SACHS et autres multinationales, elle se fait dans ces merveilleux endroits répartis sur toute la planète, monde sur lequel l’argent ne se couche jamais (bien content de ma formule). On appelle ça les « bourses » (c’est cruel pour les mâles, mais il est vrai qu’une bourse, ça se remplit et ça se vide : pardon. Il y a bien dans ma belle ville une rue Vide-bourse !).

 

Sarkozy et ses complices du G 8 font semblant d’être des acteurs, d’avoir du pouvoir, pire : ils nous font croire qu’ils savent ce qu’il font, et qu’ils feront ce qu’ils disent. En réalité, ils courent derrière, en essayant de nous convaincre que « la politique a repris le dessus », et qu’ils sont les meneurs de cet Amoco Cadiz. C’est à cette tâche constante (marteler, bourrer le crâne) que se consacre l’industrie télévisuelle et une bonne part de la presse papier (presse-papier ?). Quand, le soir même de son élection, NICOLAS SARKOZY va passer la soirée au désormais célèbre Fouquet’s, ce n’est pas parce qu’il est ami de quelques milliardaires. Il n’est pas le chef, ce soir-là : il est le LARBIN. Les gars autour de la table, disent : « C’est bien que tu sois élu. Maintenant, tu vas pouvoir faire NOTRE POLITIQUE ». Dites-moi si je me trompe : est-ce que ce n’est pas comme ça que ça s’est passé effectivement ?

 

Allez : la vie est belle et c’est tant mieux (il faudra que je trouve une formule plus personnelle. « Et c’est ainsi qu’Allah est grand », par exemple. Ah mais je m’aperçois qu’ALEXANDRE VIALATTE me l’a ôtée de la bouche, il y a déjà quelques décennies).