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jeudi, 31 octobre 2019

L'ART DE CABU

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Cabu par lui-même. Dessin publié par Le Canard enchaîné le 14 janvier 2015. Janvier 2015, ça vous dit quelque chose ?

***

QU'UNE CHOSE SOIT D'ABORD BIEN ENTENDUE :

POUR MOI, en plus d'être un reporter accompli, CABU EST UN ARTISTE !

Me replongeant dans ma collection des premiers numéros de La Gueule ouverte, je suis (re)tombé sur la série que Cabu avait publiée dans les sept ou huit premiers numéros. J'ai veillé comme une vestale sur cette relique d'un temps où l'on pouvait encore espérer que les hauts responsables politiques et économiques avaient assez de bon sens pour arrêter le massacre. On est fondé à se dire aujourd'hui qu'il était alors encore temps d'agir. C'étaient les temps héroïques si vous voulez, bien que je n'aie jamais aperçu à l'époque la moindre silhouette de l'ombre d'un héros. 

bande dessinée,la gueule ouverte,lyon,chalons-sur-marne,jean degraeve maire de chalons sur marne,louis pradel maire de lyonIl me reste 23 numéros sur les 24 alors achetés, dont deux fois le n°13 avec une femme à poil en couverture : on me dira ce qu'on voudra, mais j'avais déjà trouvé l'image d'un goût très douteux, et aggravé par les légendes qui se voudraient "clin d’œil". J'ai acheté plusieurs fois le n°1 : je ne sais pourquoi il a persisté dans l'absence. C'est dommage : c'était un saisissant profil de bébé au trait par Maître Pierre Fournier (mort avant la parution du n°5) en personne, qui savait diablement dessiner.

On ne peut pas "stricto sensu" prétendre que la Gueule ouverte était une revue de BD, certes non. Seulement il se trouve que trois grands maîtres donnaient à Fournier une page entière, parfois deux, dans ce qui était alors un mensuel. J'ai nommé Gébé, Jean-Marc Reiser et Cabu.

Les pages de Gébé étaient, disons, les plus ... cérébrales. Celles de Reiser décrivaient au lecteur, en long et en large, les bienfaits de l'énergie solaire ainsi que quelques idées toutes bêtes et toutes simples pour la mettre en œuvre dans sa propre maison. En plus et comme d'habitude, Reiser poussait le plus loin possible le bouchon de la drôlerie

Cabu avait intitulé sa série "Mut-Mut" : il croquait avec précision et percussion les mutations de Chalons-sur-Marne sous les coups du bétonneur, modernisateur (en réalité : le destructeur) Jean Degraeve, maire de la ville. Bon, ça n'avait pas grand-chose d'original : nous, à Lyon, nous avions Louis Pradel, et la taille de la ville lui donnait des moyens de destruction bien supérieurs. J'ai publié ici deux billets rendant compte du reportage assez pointu que Cabu avait consacré à notre belle ville dans La France des beaufs (2 et 3 mars 2016).

Ci-dessous, les "dégâts" de la "modernisation" à la Jean Degraeve sur la gare de Chalons (La Gueule ouverte, n°13, nov.1973).

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Il y a même, tout en haut, un cavalier qui fait du jumping  sur le passage à niveau.

Le voilà, l'art de Cabu. D'un certain côté, ça me fait penser à Dubout : un dessin de dimension humaine, mais avec toutes sortes d'exemplaires de l'humanité vaillante, vacillante, variante et débordante. En un mot : ça grouille de vies. Survoler un pareil dessin, c'est n'avoir rien compris et gâcher la marchandise. Je regrette que le format du blog ne permette pas de rendre à Cabu la justice qui lui est due.

Les quatre petits bouts d'image grossies (disons quatre saynètes) qu'on voit ci-dessous viennent tous du bord haut gauche du dessin. Il aurait fallu donner le même coup de projecteur sur chaque partie : le "pal" installé dans la salle d'attente pour dissuader les voyageurs, la fille du chef de gare donnant son corps à un militaire dans l'espoir de faire classer la ligne comme "stratégique", l'employé SNCF qui a transformé le ballast entre les rails en jardin potager, le député du coin posant l'oreille sur un rail dans l'espoir de communiquer avec le directeur de la SNCF, etc..

Il faut avoir de meilleurs yeux ici que dans le format original : La Gueule ouverte avait, aux origines, un format invraisemblable, incompatible avec le format A4, impossible donc à reproduire de façon confortable. Oui, je sais que Charlie Hebdo, c'est pareil : on doit couper pour partager, et c'est un crime de couper. Décidément, l'équipe (Hara Kiri, Charlie et compagnie) n'était pas aux normes. 

Dans l'ensemble du dessin, je compte plus de vingt de ces saynètes, plus ou moins marrantes ou scandaleuses, plus ou moins déchirantes ou poilantes, plus ou moins politiques aussi. Cabu bourre son dessin de la foule de ces petits croquis qu'il avait l'art d'exécuter « de chic » (comme on ne dit plus). Cela fait, si je compte bien, plus de vingt véritables trouvailles, je dirais "vingt regards" si l'expression n'était pas déjà prise par un grand maître de la musique du vingtième siècle (Messiaen, évidemment). 

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Mais Cabu, avec toute la tendresse naturelle qui est la sienne, peut être, quand il s'y met, d'une férocité et d'une violence sans limite, comme le montre l'insecte humain dessiné ci-dessous, paru dans le n°23 de La Gueule ouverte en septembre 1974, inspiré par les propos entendus dans une conférence "mondiale" sur la surpopulation, tenue à Bucarest. Suivent quelques images piquées dans les mêmes circonstances. 

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Pour la férocité, Cabu n'a rien à envier à Reiser.

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mardi, 29 octobre 2019

FASCISME ECONOMIQUE ...

... J'ENFONCE LE CLOU.

(voir ici au 26 octobre)

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C’ÉTAIT EN 1974 (sauf les incrustations),

IL Y A QUARANTE-CINQ ANS.

La préoccupation proprement écologique qui a imprégné les années 1970 se doublait de préoccupations beaucoup plus vastes et essentielles, je veux dire de préoccupations entièrement politiques, sociales, sociétales, psychologiques, mentales, intellectuelles, etc.

Et bien entendu de préoccupations économiques, l'économie étant alors déjà devenue la moderne dictature qui met les milliards de vies de l'humanité en coupe réglée. Et c'était avant la financiarisation de l'économie, avant la numérisation de tout, avant le processus de Grande Privatisation de Tout, avant la robotisation, avant l'Intelligence Artificielle, avant ..., avant ..., etc.

Les "écologistes" de l'époque, vous savez, ces rêveurs impénitents incapables de tenir compte des "réalités", avaient parfaitement compris que les grandes compagnies multinationales ("transnationales" si vous voulez) avaient déjà pris le dessus sur les forces politiques nationales et internationales (ONU, etc.). Les capitaines d'industrie étaient déjà plus puissants que des chefs d'Etat, même si ça ne sautait pas encore aux yeux.

Les mêmes écologistes avaient compris que celui qui fabrique la structure dans les cellules de laquelle vit l'humanité de la Terre et qui en détient les clés exerce de fait la fonction de Maître du monde. Et la structure efficace, je veux dire celle qui a des effets sur la réalité, ne se trouvait déjà plus dans la politique, mais dans les forces économiques. 

Pierre Fournier qui, en compagnie de quelques-uns, a fondé La Gueule ouverte en 1972, avait parfaitement compris que l'ordre anti-écologique (l'économie capitaliste triomphante) qui était en train de s'installer était aussi un ordre politique, un ordre qui, parlant au nom de la liberté (liberté d'entreprendre, liberté des échanges commerciaux, liberté d'embaucher, d'exploiter, de licencier), rendait inimaginables la dissidence, la sécession et la révolte.

Autrement dit : tuait dans l’œuf l'idée même et le désir de liberté (je parle de la vraie liberté, qui est celle du vrai courage : la liberté de dire non, quelles que soient les conséquences pour soi-même – je pense par exemple à Liu Xiao Bô).

La seule et unique perspective offerte aux hommes aujourd'hui, c'est la compétition sauvage et sans pitié. Individus, entreprises, populations, Etats se retrouvent broyés dans l'engrenage de cette machine. C'est ça, le fascisme économique.

L'ordre économique qui règne aujourd'hui sur le monde, et qui le mène à sa perte, est désormais une entité surhumaine, inatteignable et toute-puissante. Une entité qui exerce un pouvoir que tous les mots disponibles peuvent critiquer, attaquer ou dénoncer, mais que nul acte venu de foules globalement assujetties n'est en mesure d'ébranler.

***

Ce que j'avais ajouté le 27/10.

J'ai omis de préciser que le dessin de Gébé figurait en "une" du n°16 de La Gueule ouverte (février 1974) sous le titre suivant, que je trouve évocateur, et tout à fait dans l'optique où je l'ai présenté. Les GAFA dont on parle aujourd'hui sont encore plus puissants qu'à l'époque, puisqu'ils échappent totalement à l'autorité des Etats (mais l'Etat américain se félicite de la chose).

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Derrière les puissants de l'économie, le régime politique.

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Et pour enfoncer le clou de cette vision des choses, voici la une de juin 1974 par le grand Cabu. Pour un Sivens ou un Notre-Dame-des-Landes, combien de triangles de Gonesse, de GCO de Strasbourg, "Anneau des Sciences" à la Métropole de Lyon ? J'en passe et des meilleurs.

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Ajout du 29/10.

Et ci-dessous un autre aspect du n°16 de La Gueule ouverte de février 1974 (toujours Cabu, évidemment).

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Dans cette espèce de bibendum Michelin, on reconnaît le Pompidou de la fin, dopé à la cortisone et aux multinationales. Ajouter aux marques présentes Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Twitter, etc.

Tout est là, tout est clair, on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas.

dimanche, 27 octobre 2019

POURQUOI "OMBRE CHINOISE " ?

« Cette chronique ne cesse de se préoccuper de l'homme, de le poursuivre, de le piéger, de le traquer à travers l'apparence, de chercher à tracer son portrait éternel. Tout au moins son ombre chinoise ».

ALEXANDRE VIALATTE

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Portrait éternel de l'homme. Tout au moins son ombre chinoise.

J'ignore (je veux ignorer : ce serait si facile de savoir) pour quelle obscure ou claire raison on qualifie de "chinoise" toute ombre rétroéclairée formant une silhouette sur un écran translucide.

Je me fiche éperdument de la réponse. Parce que, bien souvent, l'image, bizarre et attirante, pose une énigme : qui me dira, nom de diable, ce que ça représente ? Il faudrait au moins, pour cela, être entré dans le domicile.

Par exemple, j'ai pris nombre de photos des vitrines (angle Mail / Chariot d'Or) dédiées à des ateliers d'aveugles : je n'ai jamais pu faire le lien entre l'aveugle annoncé et l'image collectée.

Il reste que l'ombre chinoise, construite dans les rez-de-chaussée par une source lumineuse située au fond de la pièce, vous pose (pas toujours) une devinette.

L'image ci-dessus m'en pose une, et pas la première : j'ai pris dans cette baie vitrée bien des photos énigmatiques, au gré des changements d'installations. Je suis en paix : j'ai renoncé à expliquer les ombres chinoises que je croise dans la rue.

Parce que le décor de la vie des gens en ombre chinoise, quel merveilleux détour narratif pour l'imagination !

samedi, 26 octobre 2019

GÉBÉ TOUJOURS ACTUEL

DES "FÜHRER" COMME S'IL EN PLEUVAIT.

Nous n'avons plus besoin d'Hitler. Nous n'avons plus besoin de nous faire peur avec l'épouvantail historique inventeur des chambres à gaz. Nous n'avons plus besoin de nous convaincre qu'Hitler était un monstre, c'est-à-dire qu'il n'avait rien à voir avec l'humanité normale. En un mot : qu'il n'appartenait pas à l'espèce humaine. Nous savons qu'Hitler était un homme ordinaire, tout comme vous et moi.

L'ordre fondé par Hitler n'est pas sans quelque ressemblance, en effet, avec l'ordre du monde tel qu'il est aujourd'hui. La différence, énorme et mince tout à la fois, c'est que l'ordre actuel a reçu l'adhésion générale, certes davantage de fait que de volonté, des foules ordinaires.

Ils sont une minorité insignifiante, les gens qui doutent radicalement de la légitimité de cet ordre.  Chaque jour, par nos gestes, nos choix, nos comportements, nous consentons à l'ordre tel qu'il est façonné. Comment exprimer de façon non dérisoire la légitimité de notre doute ?

Prenez l'eugénisme : quand c'était une pratique du régime nazi, c'était tellement horrible que c'était un crime contre l'humanité ; aujourd'hui, où l'on empêche de naître les futurs trisomiques et autres mal formés, c'est une conquête des progrès de la médecine.

Voici ce que dessinait Georges Blondeaux, alias Gébé, dans La Gueule ouverte n°16 (cela devait être en 1974, le grand Pierre Fournier, fondateur de la revue, était déjà mort). Il dénonçait l'emprise des méga-entreprises qui faisaient régner leur ordre économique sur le monde. Les populations ordinaires menaient leur vie ordinaire, déjà encadrées par cet ordre. Bien obligées.

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C'étaient déjà les maîtres du monde. Des Führer comme s'il en pleuvait. Les méga-entreprises du dessin original ne s'occupaient (impérieusement) que de prospérer, de vendre et de dégager de grosses marges bénéficiaires pour distribuer de gros dividendes à leurs actionnaires. 

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Chaque fois que je fais un geste par l'intermédiaire de ces modernes "Führer", je vote pour lui : c'est lui qui me "guide".

La situation n'a pas changé : elle est simplement beaucoup plus inquiétante. Car les méga-entreprises ici présentes ont simplement ajouté leurs activités aux précédentes, qui continuent à prospérer comme autrefois. Elles obéissent à la même logique d'accumulation capitaliste.

Mais en plus, elles ont pris possession des cerveaux. Il y a eu intrusion : ce sont les activités ordinaires des populations (ce qu'elles disent aux intimes, ce qu'elles pensent, et pas seulement ce qu'elles achètent, ...) qui constituent le gisement inépuisable des profits.

On avait déjà à faire au conditionnement établi du consommateur ordinaire. On a maintenant à faire à l'intrusion des calculs économiques dans les replis les plus secrets de l'âme individuelle. 

Utiliser les services de ces géants économiques, c'est remplir les poches des nouveaux "Führer".

***

Gébé était un bon copain de Gotlib qui, dans sa Rubrique-à-brac, avait donné sa bobine à son commissaire Bougret. Quant à son nom (Georges Blondeaux), il l'avait donné à son criminel patenté, qui avait furieusement, pour sa part, la gueule de René Goscinny.

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Note (27 octobre) : j'ai omis de préciser que le dessin de Gébé figurait en "une" du n°16 de La Gueule ouverte (février 1974) sous le titre suivant, que je trouve évocateur, et tout à fait dans l'optique où je l'ai présenté. Les GAFA dont on parle aujourd'hui sont encore plus puissants qu'à l'époque, puisqu'ils échappent totalement à l'autorité des Etats (mais l'Etat américain se félicite de la chose).

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Et pour enfoncer le clou de cette vision des choses, voici la une de juin 1974 par le grand Cabu.

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vendredi, 25 octobre 2019

COMPOSITION DV86

MON ART (presque) BRUT (in situ).

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Noter le graffiti (enfin, presque).

jeudi, 24 octobre 2019

COMPOSITION M18

MON ART (presque) IMPRESSIONNISTE

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mercredi, 23 octobre 2019

LE DÉSHÉRITÉ

LE DÉSHÉRITÉ.

« Je suis Le prince. Ma seule Etoile Porte le soleil Dans la nuit.

Rends-moi La fleur Et la treille.

Suis-je Mon front ?

J'ai rêvé Et j'ai deux fois Modulant Les soupirs. »

***

Faisant un jour lointain mon petit Oulipo dans mon coin, j'avais pondu, entre autres abominations, ce petit quatrain, dont tous les connaisseurs ont déjà reconnu la teneur et l'auteur.

Gagné par une forfanterie ô combien mal venue, j'avais appelé ce petit jeu « Incipit vertical ». Je veux dire que j'avais récrit un des plus beaux poèmes de la littérature française en prenant le(s) premier(s) mot(s) de chaque vers, comme si les autres mots à droite de la forme imprimée n'avaient jamais existé. Cela aurait aussi bien pu s'appeler « acrostiche syllabique » ou « acrostiche lexical ».

Quelques décennies après avoir commis ce forfait, je présente aux pieds des mânes de Gérard de Nerval l'encens et la myrrhe de mon amende honorable, pour lui restituer l'aura de la gloire dont son nom et ses vers n'ont d'ailleurs jamais cessé d'être nimbés.

Pourtant, "ma seule étoile porte le soleil dans la nuit", ça a de la gueule, je trouve.

Bon, c'est vrai, je n'ai fait que me hisser pour cela sur les vastes épaules du grand poète. Dans le fond, je me suis contenté de tricher : on connaît l'astuce du roitelet dans le concours qui devait désigner le roi des oiseaux, et qui s'est posé discrètement avant le départ sur le dos de l'aigle royal, pour s'élever de quelques centimètres au-dessus de lui au moment de sa victoire.  D'où son diminutif (dit-on). En matière de poésie, je suis le diminué de ce diminutif.

***

Je suis le Ténébreux, – le Veuf, – l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la Tour abolie :
Ma seule Etoile est morte, – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé,
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie,
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé,
Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie.

Suis-je Amour ou Phébus ?… Lusignan ou Biron ?
Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;
J’ai rêvé dans la Grotte où nage la sirène…

Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron :
Modulant tour à tour sur la lyre d’Orphée
Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

***

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Nerval au Père-Lachaise (photo prise en 2014).

Note : je suis d'accord pour dire que mon petit truc ne fonctionne pas pour l'entièreté du poème. Vers la fin en particulier, de deux choses l'une : soit il faudrait lire "modulé", soit il faudrait, pour que le mot "fois" s'inscrive un peu logiquement dans la phrase, y voir le pluriel de "foi" (au grand dam des mânes de monsieur Labrunie et de sa "vieille lanterne"). Ce serait tant soit peu "capillotracté". Je persiste cependant à voir dans la première phrase la jolie traduction de l'une des causes du tourment qui tenaillait Gérard. Pensez : une étoile qui porte le soleil dans la nuit ....

J'ai bien essayé d'appliquer ma petite recette à d'autres poèmes français très connus (Verlaine, Baudelaire, Rimbaud, ...), car j'aurais bien voulu en faire un modèle de contrainte oulipienne autre que celles que l'Ouvroir propose dans ses publications, mais ce fut peine perdue. La grande poésie française résiste à l'oulipianisation.

C'est peut-être justice : "La cimaise et la fraction" (La Cigale et la fourmi passée par la moulinette de la méthode "S + 7" – renommée "n + x") n'est pas une preuve irréfutable du bien-fondé de l'entreprise "Oulipo". La contrainte d'écriture ne donne pas du génie à ceux qui n'en ont pas. Tout le monde ne s'appelle pas Georges Perec.

Pour avoir un aperçu des vingt-quatre premiers membres de l'Oulipo, voir les pages 352-354 de La Vie mode d'emploi. Quand je dis "vingt-quatre", j'exagère : il faut mettre à part le premier : « 1 Tham Douli portant les authentiques tracteurs métalliques rencontre trois personnes déplacées ».

Ma petite tentative porte décidément bien son titre : "Desdichado".

Voilà ce que je dis, moi.

mardi, 22 octobre 2019

A LA BOUCHERIE ...

... PENDANT QUE MAMAN FAIT LES COURSES ...

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... A MOINS QUE CE NE SOIT LA NOUNOU ?

lundi, 21 octobre 2019

RUINES EN ISÈRE 2

A Frontonas, une autre bâtisse médiévale n'a pas eu la "chance" de croiser le regard perçant et conquérant de quelque audacieux entrepreneur, c'est le "château de Certeau". Quand on vient de Lyon, que ce soit par La Verpillière ou par la "route du Chaffard", on ne peut pas la manquer : à droite avant de s'engager dans la montée qui mène au centre du village.

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La vue est prise du nord : c'est la "route du Chaffard". Quand on vient de La Verpillière, la route passe entre le poteau électrique et la ruine.

On voit tout de suite que, pour les propriétaires, les vieilles pierres ont parfaitement le droit de vivre leur existence à part et de n'être dérangées par personne et sous aucun prétexte. Peu importe, ils ne manquent pas d'espace habitable, au vu des bâtiments existants, de leur surface visible, de leur diversité et du nombre des voitures. On peut parfaitement vivre sa vie à côté de témoignages de l'époque médiévale sans être habité par le démon de la reconstitution historique.

La partie médiévale, elle, est composée, face au sud, d'une grosse tour carrée (qu'on ne voit donc pas ci-dessus) où devaient vivre les maîtres des lieux (je n'en sais rien), flanquée de deux tours rondes, l'une au nord d'un beau diamètre, percée de belles fenêtres à meneaux, l'autre à l'ouest plus étroite. Un quatrième bâtiment, côté nord (au premier plan sur la photo ci-dessus), a dû être ajouté plus tardivement (je n'en sais fichtrement rien). Pour donner une autre image des lieux, voici le détail de la photo prise sur Gogol (sud en haut, nord en bas). On voit dans la muraille de la tour ronde l'échancrure destinée aux fenêtres.

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Je ne connais pas la date d'émission de la carte postale "Cim" du haut : sans doute la même époque (années 1960) que la précédente (voir 20 octobre).

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Mais j'ai trouvé sur l'internet, en plus d'une photo récente de la grosse tour ronde (ci-dessus : pendant la décrépitude, le délabrement continue, et ce n'est pas le lierre qui colmatera les fissures), une autre carte postale qui doit être beaucoup plus ancienne, puisque la grosse tour ronde et le corps de bâtiment qu'elle flanque sont encore coiffés d'un toit : je ne me rappelle pas les avoir vus ainsi, mais je peux me tromper. On remarque d'ailleurs que la tour a beau être ronde, elle porte un toit à quatre pentes, sans doute à cause de la difficulté de la surface à couvrir. Attention, la vue est prise du sud (face B des images précédentes).

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Un autre élément de cette dernière carte m'intéresse : l'aspect donné aux murs de pierre par le noir et blanc et par la définition offerte par sa parution sur l'internet. Du coup, l'image en prend une apparence picturale qui est loin de me déplaire, avec son camaïeu de gris fortement pixellisé (une "grisaille", quoi). On devrait pouvoir en tirer une gravure. C'est une idée, non ?

dimanche, 20 octobre 2019

RUINES EN ISÈRE 1

Le village de Frontonas, en Isère, est un village banal qui, comme tous les villages poussés à proximité de Lyon, dont la vie a été conditionnée, puis transformée, puis révolutionnée par l'évolution des conditions matérielles de la vie et, en particulier, par l'urbanisation véloce des campagnes.

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Pour donner une idée actuelle de l'occupation des sols (à comparer). L'église est en bas à gauche, le détail souligné ci-dessous est en haut à droite (point orange du restaurant).

Village essentiellement agricole du Nord-Dauphiné, où je ne comprenais pas le patois (dauphinois) du cher Léon Chemin et de Monsieur Curt quand ils étaient entre eux (quand s'y ajoutaient Fiol, Millon, Jas, Morel, Guicherd et toute la bande, j'étais en pays étranger). Désormais village dortoir : je crois bien qu'il reste deux ou trois exploitations agricoles, mais que les lotissements ont proliféré.

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Frontonas en Isère, avant 1963 (cachet de la Poste), avec localisation du détail ci-dessous.

Village où, chaque année, la foire aux dindes prenait possession de la "serve", petit étang en bordure de route vicinale, au-dessus duquel régnaient encore les murs branlants et les toits crevés d'un édifice médiéval qui appartenait, disait-on, à une vieille dame qui ne s'en souciait guère.

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Détail de la carte postale ci-dessus, heureusement dotée d'une définition assez haute pour permettre le grossissement de la bâtisse médiévale dont il s'agit. A droite, les "cabanes à cochons" (à moins que ce ne fussent les "communs"), passablement ruinées elles aussi.

Au sommet de la butte, deux imposants corps de bâtiment rectangulaires reliés au fond par un corps de logis formaient un U enserrant une cour où un escalier en pierre menait sans doute à l'origine à l'étage de vie, et qui ouvrait au sud-ouest sur la campagne par une terrasse, avec quelques "cabanes à cochons" en contrebas. L'espace tout entier pouvait être périlleux.

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Une vue sur le sud-ouest datant de 1987 : la plaine était autrefois couverte de peupliers et d'oseraies, avec quelques autres cultures. Tout fut peu à peu délogé par le maïs (avec quelques taches de colza).

Car c'était un incroyable lieu onirique où nous risquions de prendre, en toute liberté, d'après les adultes, de grosses pierres sur le crâne, des crocs de vipère dans les mollets ou des écorchures venimeuses aux clous rouillés qui dépassaient de portes qui ne fermaient plus (de magnifiques clous d'époque artistement forgés) et qui n'ouvraient sur rien. J'enrage de ne pas avoir promené quand il était encore temps mon appareil photo dans ces murs pour donner une idée des souvenirs que j'y ai accumulés.

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Un audacieux entrepreneur a vu un jour, de son regard perçant et conquérant, tout le parti potentiel que de généreux investissements pouvaient tirer de ces lieux abandonnés, promis à la lente agonie que connaissent toutes les vieilles pierres auxquelles plus personne ne pense. On peut dire qu'il n'a pas lésiné, et même qu'il a vu grand, ouvrant des chambres d'hôte, et surtout ajoutant en façade un restaurant aux lignes modernes. Que sont devenues les "cabanes à cochons" ?

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Photo prise en 2013.

Sans entrer dans la querelle (la pyramide de Ieo Ming Pei au Louvre à l'échelle de Clochemerle !), je dirai simplement qu'il m'est arrivé d'y manger une cuisine honorable et d'inspiration familière. La "serve", cette mare aux canards un peu vaste pour n'être qu'une simple mare (dans le temps, j'y ai vu quelques poules d'eau), a été clôturée : on ne sait jamais, avec tous ces enfants qui courent dans tous les sens (l'école n'est pas loin).

samedi, 19 octobre 2019

L'OMBRE DU CHIEN EN FAÏENCE ...

... SUR LE BOIS DE LA PORTE DE L'ARMOIRE.

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jeudi, 17 octobre 2019

MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...

... FRANÇAISE. (2/2)

3 – La police de proximité.

Je crois que ce préjugé défavorable au peuple, soigneusement entretenu par les autorités, explique l’incroyable élargissement du fossé qui sépare la population des forces de police. Récemment, sur France Culture, un gradé de rang moyen, proche de la retraite (le même que précédemment), rappelait que, lors de la cohabitation Chirac-Jospin après 1997 (la dissolution), ce dernier avait eu cette trouvaille admirable : la « police de proximité », et que sa disparition avait été une catastrophe (voir plus bas).

Qu’est-ce que c’était, pour Lionel Jospin et son entourage, la police de proximité ? C’était l’occasion inespérée de répandre dans la population l’idée que, quand la police est là, c’est pour venir à son aide, la secourir, faire en sorte que règne, en fin de compte, un ordre qu’on puisse qualifier de républicain. Jospin a réussi, avec la police de proximité, à installer des postes de police jusque dans des quartiers où, aujourd’hui, les policiers ne peuvent plus s’aventurer sans prendre cailloux ou cocktails Molotov, sans provoquer des émeutes. On peut se demander naïvement pourquoi : la réponse fait hurler de rage le simple bon sens.

La police de proximité, c’étaient des policiers en quelque sorte chargés d’une mission de haute sensibilité : établir entre la population et les forces représentant la loi des relations de confiance réciproque. Des flics destinés à vivre si possible dans les mêmes conditions réelles d'existence que les vrais gens, dont ils auraient une vraie « connaissance de terrain » et aux yeux desquels ils étaient chargés de représenter la loi en action et en présence.

La loi, certes, en uniforme, mais avec un visage d’individu reconnaissable et familier. La police dans la population comme un poisson dans l’eau : la voilà, la police républicaine. Des personnes au milieu d'autres personnes. Et qui pouvaient, selon les moments, taper dans un ballon dans les "quartiers" ou taper sur les voyous, les délinquants et les dealers. L'ordre qu'ils représentaient était admis par la population, et ils n'oubliaient jamais leur mission première : incarner la loi. 

Avec la police de proximité, Lionel Jospin avait mis en place les conditions de la paix civile sur tous les territoires de la république. Cela devait paraître insupportable à certains.

4 – La politique du chiffre : le policier est un gros bâton. Un poing, c'est tout.

La police de proximité commençait juste à porter ses fruits, quand elle a été supprimée d’un simple trait de plume, au motif qu’ « un flic, c’est pas payé pour jouer au football ». Celui qui tient alors la plume (et l’auteur de la citation, qui en a d'autres belles à son actif : "kärcher", "casse-toi pauvre con", etc. ...) est un voyou que les Français ont eu la niaiserie de porter à la présidence (en fait, à ce moment-là – avant 2007 – il n'était que le ministre de l'Intérieur de Chirac). Croyant élire un homme d’action, ils ont élu un casseur. Le bilan de Nicolas Sarkozy (c’est lui, tout le monde avait compris) est un bilan de casse : la justice, l’hôpital, la police, tout y passe.

La justice ? On compare les magistrats à des rangées de boîtes de petits pois sur des rayons, et on envoie Rachida Dati tirer dessus comme à la foire et faire des gros trous dans la carte judiciaire. L’hôpital ? On tient en laisse un molosse du nom de Roselyne Bachelot, qu'on lâche un jour avec pour mission de dévaster le service public de santé en imposant la rémunération à l’acte, mesure qui transforme illico l’hôpital en entreprise "prestataire de services", dirigée par un patron chargé de veiller, sinon à la rentabilité, du moins à l’équilibre des comptes (c’est la loi « HPST », dont on admire aujourd'hui les fabuleux résultats, entre autres, dans les services d’urgence et la filière psychiatrique).

La police ? Le bilan de Sarkozy est encore plus brillant. On commence par bousiller tout le service de renseignement « de terrain » (les « Renseignements Généraux », vous savez, ces policiers qu'on disait chargés des basses besognes des gouvernements, qui se baladaient incognito dans tous les syndicats, partis, groupes et milieux (mais aussi églises, synagogues et mosquées), en laissant traîner les yeux et les oreilles, pour prendre et "faire remonter" en temps réel la température de la population) en le fondant brutalement dans un nouveau service (DGSI) où on le mélange en touillant bien avec la DST, qui avait un oeil sur les étrangers séjournant en France. Or ce sont deux métiers distincts. RG et DST n'ont jamais pu additionner leurs compétences. Je parierais volontiers que Mohamed Merah (2012) est le brillant résultat de l'opération.

Et surtout, on va transformer la police en entreprise en y appliquant la même politique du « paiement à l’acte » qu’à l’hôpital, sauf que là, ça prend le nom de « politique du chiffre ». Pour Sarkozy, un policier est seulement un gros bâton entre ses mains. Une trouvaille ! Fallait y penser ! Plus nombreux sont les « constats », plus nombreuses les « affaires traitées », et plus le commissaire est content. Il a de quoi. Car pour « motiver » les troupes, on introduit dans la rémunération du commissaire une variable liée aux résultats de ses services sur le terrain : plus il coche de cases, plus il se sent confortable et plus il tire d’oreilles, à la façon de notre "petit caporal" national, pour dire sa satisfaction à ses "grognards".

Résultat des courses ? On laisse courir la réalité triviale, fatigante et salissante pour fabriquer des statistiques en pur papier dont le pouvoir peut se gargariser, et où apparaissent, grâce à Sarkozy, les formidables gains de productivité et d’efficacité de la police républicaine. Concrètement, faire du chiffre, ça veut dire qu'on envoie les bidasses agrafer des « baba cools » en uniforme (dreadlocks et rouge-orange-vert), confisquer leur barrette de « shit » et les envoyer en comparution immédiate : c’est ça, le « chiffre ». J’ai oublié le terme employé par le flic gradé de rang moyen proche de la retraite, sur France Culture, mais c’est à peu près ça. La réalité réelle ? Elle fout le camp. Les plus gros poissons ? Ils courent à toutes jambes et à tire d’aile, jamais inquiétés.

La voilà, la police de Sarkozy : c’est une police qui a sorti les mains du cambouis, c’est une police propre, une police en pur papier de statistiques.

J'exagère évidemment, mais c'est pour faire comme Günther Anders : c'est à visée pédagogique. Le malheur, c'est que ni Hollande, ni Macron n'ont fait quoi que ce soit pour rectifier le tir après le décès politique du voyou. Ah si, pourtant : il semblerait que, avec les "brigades de sécurité du quotidien", le régime actuel veuille faire revivre d'une certaine manière l'idée de Jospin. Espérons.

5 – Le policier obéit aux ordres.

Le dernier point sera pour souligner un aspect souvent minimisé dans les comptes rendus de la presse : rien de ce que font les policiers lors des manifestations ne se fait sans avoir été autorisé ou ordonné par la hiérarchie. Le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité, le confirme : si on lui dit de reculer d’un mètre, le policier de base recule d’un mètre en disant : « Oui chef ! Bien chef ! ». La police est un outil mis à la disposition des gouvernants par la Constitution, c'est-à-dire par l'Etat.

Je ne vais pas me lancer dans l'historique impossible de la confusion presque permanente entre "intérêt de l'Etat" et "intérêt du gouvernement" au fil de la Cinquième République : je veux juste rappeler la fonction d'utilité publique de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale. C'est un instrument au service de la chose publique. Ce qu'on appelle la "chaîne de commandement" va du ministre en charge jusqu'au bidasse du dernier rayon, où chaque échelon inférieur est supposé obéir aux ordres qu'on lui donne, et chaque échelon supérieur censé donner des ordres conformes aux intérêts de la nation. C'est au moins la théorie.

Cela veut dire que le flic de terrain, lorsqu’il tire une « balle de défense » avec son LBD, c’est qu’on lui a dit de le faire. Même chose pour les gaz lacrymogènes, même chose pour les « grenades de désencerclement ». Même chose pour les manœuvres destinées à couper toutes les issues à une foule de manifestants, pour les enfermer comme dans une nasse, qu'on arrose ensuite de "lacrymos" pour leur apprendre les bonnes manières. Même chose pour les manœuvres consistant à laisser les "black blocks" se fondre au milieu des marcheurs, ce qui permet de ne plus distinguer ensuite le bon grain de l'ivraie. Même chose, évidemment, quand il s'agit de "foncer dans le tas" (après sommations d'usage).

Cela veut dire qu’il faudrait moins parler de « violences policières » que de « violences d’Etat » : s’il y a des dégâts sur le terrain (un œil, une main en moins, des blessures diverses), c’est que cela entre dans le cadre des ordres donnés par la hiérarchie policière. Et la hiérarchie policière, elle n'a qu'une pensée : appliquer les consignes données par le ministère de l’Intérieur (ou par celui qui en tient lieu en région : le préfet). L’œil crevé, la main arrachée, autant de trophées que le ministre pourrait à bon droit exposer aux murs de son bureau : c'est lui qui lance la meute à l'attaque. 

En matière de violences policières, il y a manifestement une parfaite adéquation entre les dégâts infirmiers et médicaux et les intentions politiques dans le cadre desquelles ils s'inscrivent. En haut lieu, on peut certes "déplorer" et "compatir", mais on ne désavouera pas l'action et on ne sanctionnera personne : ce serait se punir soi-même. Dit autrement : les violences policières sont pensées, voulues, prévues par quelqu'un qui ne descend pas sur le terrain, et qui laisse les "manards" en prendre parfois plein la gueule. Si les policiers sont violents, c'est sur ordre, mais à leurs risques. C'est, dit le ministre, le résultat qui compte : peu importent les "dommages collatéraux". Cela explique pour une bonne part monsieur Castaner, "droit dans ses bottes" quand il est devant les caméras, soutenant la légitimité de l'emploi des LBD.

Tout ça pour dire que, si l’on s’indigne à raison en visionnant des images de smartphone faites « sur le terrain » des manifs, où l’on voit une matraque s’abattre sur un piéton déjà à terre, où l’on entend le long cri de douleur d’un homme qui a reçu une balle de défense dans les couilles, on devrait s’en prendre de façon beaucoup plus directe à toute la chaîne de commandement (jusqu'au ministre) qui a permis d’aboutir à ces dommages corporels. Les policiers n'ont fait qu'obéir aux ordres. Dommages stupéfiants dans un pays si fier encore de se considérer comme une démocratie exemplaire.

Voilà, en gros, les réflexions qui me viennent quand je pense à l’exercice de la police en France. Pour moi, une police démocratique et républicaine devrait pouvoir se déplacer dans la population, dans les quartiers, dans les territoires comme un poisson dans l’eau. Or je constate que tout est fait pour que le corps policier apparaisse comme un « corps étranger » qui n'est nulle part le bienvenu, et violemment conspué dans certains endroits.

L'hostilité qui entoure les apparitions et les actions de la police dans les manifs est sans doute le but recherché par le pouvoir. Quand on pense à la « police de proximité » patiemment mise en place sous Jospin (la greffe avait commencé à "prendre"), et brutalement rayée de la carte par Sarkozy, on reste effaré devant le gâchis : quelle perte imbécile ! 

J’en attribue la responsabilité à Sarkozy bien sûr, mais plus généralement à tous les pouvoirs en place, qui tiennent à garder sous le coude des solutions concrètes et "fortes" à tous les « problèmes », au cas où : la formation des policiers, l’organisation policière, la définition des missions de la police, le contrôle des forces de l'ordre, la hiérarchie policière, tout cela serait à refondre dans un esprit authentiquement républicain.

Je ne sais pas tout de la question, mais en l’état actuel des choses, il ne me semble pas qu’on puisse qualifier la police française de « républicaine ». Or la police est telle que la veulent les pouvoirs, qu'ils soient de droite ou de gauche. Il semble évident que la faute en incombe à tous les gradés de rang supérieur et à tous les "hauts fonctionnaires" qui les chapeautent, mais plus encore à tous les politiques qui, au gré des élections, sont mis à la tête de tout ce petit monde pour "mettre en œuvre" la politique des présidents qui les ont nommés. Et je n'oublie pas les noms de Squarcini et Péchenard qui, au ministère de l'Intérieur, furent des exécutants disciplinés des ordres fangeux donnés par Nicolas Sarkozy.

Je plains les policiers eux-mêmes. En particulier les gradés de rang moyen proches de la retraite.

Je plains les services publics en général.

Voilà ce que je dis, moi.

Note : il reste bien des sujets à traiter : les taux de suicide dans les rangs de la police et de la gendarmerie ; le positionnement politique très à droite de beaucoup de policiers ; les millions d'heures supplémentaires de service non rémunérées ; les difficultés du recrutement ; etc. 

mercredi, 16 octobre 2019

MON POINT DE VUE SUR LA POLICE ...

... FRANÇAISE. (1/2)

Intro

Il y a un problème avec la police en France, c’est certain, mais j’ai du mal à voir clair dans la situation. Les policiers manifestent parce qu'ils sont en colère. Ils ont sûrement  de bonnes raisons pour cela, mais ils ne sont pas les seuls. Regardez du côté des infirmiers, des services d'urgence, de la psychiatrie, de l'Education nationale, et même des pompiers (il paraît qu'il y a eu des affrontements pompiers-flics). De quoi se demander quel corps de métier n'est pas en colère. Je trouve même ça inquiétant, cette « convergence des colères » (pour pasticher une invocation à la mode dans certains milieux).

Rien de plus que citoyen ordinaire (spécialiste de rien du tout, mais toujours un peu aux aguets), j'essaie ici de mettre quelques réflexions noir sur blanc. 

D’un côté, des gens en uniforme, payés par l’Etat, envoient des tas de "balles de défense" qui font de gros dégâts parce qu'elles sont lancées "à tir tendu" (je traduis : "pour faire de vrais dégâts"), tabassent des gens (y compris pacifiques), bousculent des vieilles dames et donnent ainsi l’impression de se conduire comme des brutes cassant tout sur leur passage (il faudrait nuancer, mais).

De l’autre, quelques dizaines ou quelques centaines de délinquants et gangsters de diverses origines, masqués et armés, très rapides à la manœuvre, très bien entraînés, profitent d’une manif annoncée comme pacifique pour venir casser des centres-villes et piller des magasins de luxe, suscitant l’incrédulité du monde entier au spectacle des photos de guerre dans les avenues de Paris (« La France à feu et à sang »).

Entre les deux, une population ordinaire et normale, en général hébétée quand elle voit les images de tout le mal qu'elle n'a pas fait, venue marcher dans la rue, avec des banderoles et des mégaphones, pour donner son avis sur des mesures gouvernementales qui lui paraissent injustes.

Voilà, en gros, les données du problème : au centre, « la population », ceux que les journalistes adorent, dans les grands enterrements ou les grands drames, appeler « la foule des anonymes », qui vaque à des occupations plus ou moins politiques (= qui font leur métier de citoyens), cernée d’un côté par les incroyables forces – disproportionnées aux yeux de la simple raison – déployées par le gouvernement (ou l’Etat ?), cernée de l’autre par la violence avide de carnage de groupes – finalement très peu nombreux – accourus là pour faire la guerre.

1 – Liberté de manifester ?

Conséquence de cet affrontement : le silence imposé par la force aux voix qui s’élèvent des profondeurs du peuple pour dire sans violence leur souffrance ou leur refus. Le message qui en découle directement, c’est : « Fermez vos gueules, le peuple ! ».  

Car cette situation entraîne de fait l’interdiction de manifester dans les formes légales et légitimes, puisque ce que retiennent les images médiatiques, c'est le plus sanglant, le plus violent, le plus spectaculaire. Dans le jeu atroce du spectacle de tout comme condition de l'existence aux yeux des autres, les manifestants pacifiques ont tout à perdre. Car ceux qui manifestent n'ont, au départ, aucune mauvaise intention : ils veulent qu'on les entende. La surdité des "hautes sphères" est pour beaucoup dans la tentation de la violence. Dans la rue, les plus violents ne tiennent pas à se faire entendre, ils n'ont rien à demander : ce qu'ils veulent, ils le prennent par la force.

Les gilets jaunes l'ont eu dans l'os, et au-delà du supportable. Je ne cherche pas à savoir qui est le coupable ou à qui le crime profite, mais je remarque que le premier bénéficiaire visible est le gouvernement en place : les « black blocks » sont objectivement des ennemis du peuple et des copains du gouvernement. Est-ce que les policiers sont pour autant les amis du peuple ? On pourrait le penser en entendant les propos d'un gradé de rang moyen, proche de la retraite, entendu récemment sur France Culture (série "LSD"), mécontent en priorité de l'organisation de la police, et de la façon dont ses missions sont pensées. Mais si l'on s'en tient aux contusions, blessures et mutilations obtenues par LBD, on peut en douter.

Ce qui est sûr, c’est que la France présente au monde, dans ces circonstances, un visage absolument étrange, pour ne pas dire absurde. Comment se fait-il qu’à la moindre manifestation, le gouvernement mette sur le terrain sept ou huit milliers de gendarmes et de policiers (annoncés à son de trompe dans tous les canaux médiatiques), quand les gouvernements de nos voisins (Grande-Bretagne, Allemagne, …) – du moins d'après ce que j'en sais – en envoient quelques centaines ? Et des policiers et gendarmes français dotés de tenues, d’équipements et d’armes faits a priori pour mener, non des négociations sociales, mais des "guerres de basse intensité".

2 – Le pouvoir a peur.

Qu’est-ce qui motive la tenue de combat façon « robocop » des forces de police pour faire face à des manifestations de foules a priori pacifiques ? C’est, à mon avis, au-delà du mimétisme américano-centré, l’attitude mentale des autorités en place (légales : gouvernement, préfets, etc.) : le pouvoir a peur, il anticipe le pire. Cela crève les yeux : nos gouvernants, qu'ils soient élus, hauts responsables politiques ou hauts fonctionnaires, ont peur des Français.

Ils ont peur que la situation leur échappe, et qu'il se produise alors quelque chose qui les mettrait en danger ou dont ils devraient porter le chapeau. Je pose une question bête : s'ils n'avaient pas peur, pourquoi Emmanuel Macron et sa majorité auraient-ils, par voie législative, introduit dans le droit commun des mesures jusqu'alors réservées à l'état d'urgence ? Qu'on m'excuse, mais quand on est soucieux des libertés publiques, introduire l'urgence dans le droit commun, c'est une contradiction dans les termes.

On a l'impression que le pouvoir entre leurs mains ressemble à un fer rouge qu'ils ne savent pas comment empoigner. Je me suis d'abord demandé s'ils ne pétaient pas de trouille parce qu'ils sont clairement et complètement conscients des conséquences ultimes dévastatrices des politiques qu'ils sont chargés de mettre en oeuvre par leurs promesses, par leurs convictions et par leurs commanditaires. Rationaliser les tâches à toute berzingue et adapter la machine économique nationale en cavalant derrière les pays à bas coût de main d'œuvre, cela ne se fait pas sans dévastations sociales dans le pays. Bah, on verra après.

Ils anticipent le pire. Je me suis dit qu'ils mettaient tout en place pour se préparer à une terrible violence future : si la casse sociale induite par "les réformes" (les sacro-saintes réformes) se produit, il faut s'attendre à quelques "mécontentements". Et que ceux-ci, alimentés par l'avancée des "réformes", finissent par ressembler à de l'exaspération. Sait-on jamais ?

C'est peut-être pour ça que la préoccupation (normale en temps normal) de l'ordre public est devenue pour les récents pouvoirs en place une véritable obsession. C'en est au point que le général Richard Lizurey, directeur général de la gendarmerie, se plaint : « L'ordre public a hypothéqué le reste de nos missions » (interview dans Le Progrès du 15 octobre 2019). Ce propos rejoint celui du gradé de rang moyen proche de la retraite cité plus haut.

Ensuite, en les mettant en vrac, j'ai eu tendance à attribuer cette peur à la déconnexion intellectuelle et psychologique dont on a coutume d'accuser, avec raison, une classe politique vivant plus ou moins en vase clos, et qui les empêche de percevoir et de partager le sort commun des citoyens ordinaires : aussi bizarre que ça puisse paraître, tout se passe comme s'ils ne savaient pas à qui ils ont à faire.

Pour les responsables politiques français, les Français sont, pour faire court, des dossiers à traiter. Finalement, ils ont une vision abstraite de la citoyenneté et de la vie ordinaire. Tout ce qui outrepasse le contenu du dossier est illégal. Je plaisante, mais seulement à moitié.

Plus on se rapproche de l'altitude zéro (alias « le terrain », alias « on entre dans le dur », alias « on est dans le concret »), plus le message global des étages supérieurs de la société aux sous-fifres est que la population qui manifeste est un adversaire, une menace, qu’il faut traiter comme tels.

Plus le haut responsable consent à descendre de son empyrée, plus il s'attend à l'hostilité : quand Macron part en balade dans la France profonde, il est bien à l'abri, derrière un épais rideau de muscles policiers, et il ne se gêne pas pour paralyser toute la presqu'île (dernièrement à Lyon, pour je ne sais plus quel machin international).

Il faut, d’après la haute hiérarchie policière, se méfier du français moyen (craint-on d'éventuelles fraternisations type "bas-clergé-tiers-état" ?). C'est nouveau : le français moyen, voilà l'ennemi. Quand il manifeste, il faut s’attendre au pire (sous peine d’être traité de laxiste ou d’incompétent en cas de). La façon dont est pensée et conçue l'action de la police est selon moi l'expression de la peur des couches dirigeantes de la société.

Je veux dire que le Français moyen n’est pas un partenaire avec qui il serait légitime de discuter, mais un ennemi dont il faut à tout prix contrer le potentiel de nuisance. Et il n’y a pas besoin des « black blocks » pour cela : je n’oublie pas l’hallucinant cadre en acier soviétique qui avait entouré une manif contre les « lois El Khomri », qui avait obligé les protestataires à tourner autour du bassin de l’Arsenal (quai de Seine-Bastille et retour).

Le manège à manif n'est pas loin : il ne reste plus qu’à mettre tout ce beau monde sur un plateau tournant avec un air de musette, les flics autour et la CGT au milieu. Une sinistre farce, dans ma mémoire, à laquelle s’étaient prêtés les syndicats. 

Face aux manifs, le pouvoir se comporte en général, même sans les « black blocks », comme en face de forces dangereuses : le gouvernement sait que les mesures qu’il est en train de prendre sont « impopulaires ». Il prévoit logiquement le refus, mais il se prépare alors à un affrontement physique, comme s’il redoutait une révolution. Et c’est finalement le pouvoir qui, en mobilisant en masse des forces de l’ordre en tenue de combat, crée une atmosphère de guerre civile. Le pouvoir anticipe le pire, au détriment des réalités raisonnables et négociables. Et en l’anticipant, il le crée.

Je me demande si cette image d’une plèbe toujours prête à l’insurrection, propre aux représentations que s’en fait le pouvoir, n’est pas la nourriture « culturelle » qu'on fait ingurgiter à tous les futurs flics pendant toute la période de leur formation. Ira-t-on jusqu'à parler pour cela d'endoctrinement ? 

Je me demande si cette conception n'imprègne pas toute la chaîne de commandement : toujours s'attendre au pire. Je me demande si ce ne sont pas tous les membres des forces de l’ordre qui sont, après l’obtention de l’habilitation et une fois dans l’exercice pratique du métier, imprégnés de cet état d’esprit où domine la méfiance à l’égard de la population. La méfiance et l'hostilité du pouvoir à l'égard du peuple ressemble à un principe, à un dogme, à une philosophie globale.

Bref, je me demande si cette méfiance des pouvoirs et des forces détentrices de la « violence légitime » à l’égard des gens ordinaires n’est pas une simple construction mentale, une pure élucubration de quelqu’un qui a besoin de s’inventer un adversaire et de lui prêter a priori un potentiel de "violence délinquante", pour se prétendre autorisé à faire usage de la "violence légitime".

La population manifestante est ainsi revêtue par le pouvoir d’un costume chamarré d’énergumène déchaîné et de voyou potentiel prêt à tout casser et à « bouffer du flic ». Or, comme l’ont montré les embrassades chaleureuses qui ont suivi le 7 janvier et le 13 novembre 2015, celle-ci est toute prête à entretenir avec sa police une relation de respect, et même d’amitié. Ce genre d’occasion est rare et malheureusement éphémère. Tout revient vite à la « normale » (= au désamour). 

Il est loin, le temps de la « police de proximité », que regrette le gradé de rang moyen proche de la retraite, déjà cité.

A suivre.

mardi, 15 octobre 2019

LA GARGOUILLE ET SON OMBRE

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samedi, 12 octobre 2019

CINQUANTE ANS APRES

1964 PONT PENTE EST CROIX ROUSSE.jpg

J'avais pris "dans les autres fois" (comme on ne dit plus guère à Lyon) cette photo des pentes "est" de la Croix-Rousse (c'est-à-dire côté Rhône), avec l'alors récent (1957) pont De-Lattre-de-Tassigny, grâce auquel les véhicules peuvent s'engouffrer dans le tunnel (dit "de la Croix-Rousse", ouvert en 1952 ; attention aux 50 km/h : le radar à la sortie est très riche) pour rejoindre les rives de Saône de l'autre côté de la colline.

En bas de la photo, on voit, à gauche, l'emprise de l'ouvrage, puis la désagréable place Louis-Chazette (avocat qui fut député, mais une "place" qui ressemble à tout, sauf à une place), avec l'ouverture de la montée Coquillat (Pierre-Jean, ouvrier tisseur qui fonda un théâtre populaire), puis le début du cours d'Herbouville (pair de France, préfet du Rhône ; "quai St-Clair" jusqu'au percement du tunnel de la Croix-Rousse) avec l'échancrure de la montée Bonafous (le donateur du terrain "à condition que son nom soit donné à la voie").

Au-dessus, l'admirable balcon de la rue des Fantasques (origine inconnue, lieu de mauvaise réputation en 1745 : « On nomme ce chemin ainsi parce que c'est un endroit fort écarté, servant de promenoir à des gens d'un caractère particulier, qui veulent éviter la compagnie »), trouée par les escaliers de la rue Grognard (négociant, bienfaiteur du Musée) à gauche et, à droite, par la minuscule rue Philibert-Delorme (l'architecte de François Ier).

Que voit-on encore sur la photo du haut ? Tout en haut à gauche, le haut immeuble (alors tout neuf) "Saint-Bernard" (détail ci-dessous, caché par les arbres sur la photo plus bas), ainsi nommé parce que bâti au-dessus de l'église du même nom, cette ancienne "paroisse des canuts", jamais achevée, et désormais promise à un destin commercial (!!!!).

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Aperçu satellitaire de l'ensemble (église et immeuble) "Saint-Bernard".

Toujours à propos de la photo du haut, à droite, les cinq immeubles de la place Bellevue, qui dominent un ancien édifice militaire, aujourd'hui reconverti (on voit ces deux mêmes édifices dans la trouée ci-dessous). Voilà donc ce qu'on voyait il y a plus ou moins un demi-siècle.

Et, ci-dessous, voilà ce qu'on voit aujourd'hui, quand on se place à peu près au même endroit de prise de vue. Je suis niaisement descendu de ma colline, par la montée du Boulevard et le bas de la montée Bonafous, dans l'intention idiote de prendre la même photo, cinquante ans après. Cruelle désillusion : je suis tombé sur l'insolence de feuillages nourris et l'effervescence de la végétation. Le pire, c'est que je le savais, pour m'être promené par là bien des fois. Pourquoi ai-je fait abstraction de cette réalité ? La faute, sans doute, à la photo du haut. Pour la photo "Avant/Après", c'était donc raté. Mais je me dis après tout qu'en dehors de l'exubérance végétale, rien n'a changé. Ah si, peut-être, la peinture des façades : c'est moins sombre.

1964 PONT P 29 09 2019.JPG

Sur le résultat, je ne me prononce pas : d'un côté, je déplore que l'aperçu sur les pentes soit désormais réservé aux propriétaires des quelques péniches résidentielles amarrées là, et confisqué au promeneur ordinaire ;

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Les péniches du quai de Serbie, entre le pont de Lattre (amont) et le pont Morand (aval).

de l'autre, je me félicite de ce que les édiles successifs de Lyon aient fait de la rive gauche du Rhône cette bande verdoyante où je peux venir marcher, trottiner, glisser, cycler, me secouer les puces ou faire crotter mon chien. J'y ai même vu un tremble qui, quoique forcément jeune, est déjà de dimension imposante. 

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Je ne cache pas qu'il m'en a rappelé un autre, mais combien plus majestueux et surtout tellement plus cher à mon cœur.

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Noter le buis bien taillé, les arbres fruitiers bien taillés, ...

Photo prise en 1960, de la colline, à Corbeyssieu : ça, c'est du tremble !

vendredi, 11 octobre 2019

UNE PHOTO QUI ME RAVIT

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Ces lignes et ces couleurs, ça me va. Bon, c'est vrai, il y a peut-être aussi des raisons plus personnelles que techniques.

Peu importent les lieux et le moment. Je me résous finalement à mettre un exemplaire en définition plus fine. Même moi, qui suis assez myope, j'étais déçu par le flou. Là, c'est un peu plus net. On pourrait faire mieux, mais.

mercredi, 09 octobre 2019

ECOLOGIE ? VIVA LA MUERTE !

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Jamais la lecture d’un livre ne m’avait mis dans un tel état de colère. Jamais, je crois, je n’avais autant bouilli de rage du fait de ce que je lisais. Je m’empresse d’ajouter que Stéphane Foucart, son auteur, n’y est pour rien : au contraire, son livre est un impeccable acte d'accusation contre tout ce qui tourne autour de l'industrie chimique appliquée à l'agriculture.

Ce qui est un peu désespérant, c'est le mal de chien que se donne l'auteur pour établir la vérité des faits, et pour réfuter avec patience, précaution et méthode les pseudo-arguments de gens qui ne sont rien d'autre que des ennemis de la vie : à quoi sert de faire du "fact-checking" et de disséquer les mensonges quand ceux-ci tiennent le haut du pavé ? Que peut un livre contre les puissances négatives ?

Foucart est loin d’être un inconnu pour les lecteurs du Monde avides d’informations sur l’état physiologique de la planète : il dirige la rubrique où atterrissent toutes les informations sur le réchauffement climatique, la déforestation, la fonte des glaciers, bref : la rubrique « Environnement ». On ne dira jamais assez de bien de cette partie du journal Le Monde : voilà du vrai journalisme !

Dans Et le Monde devint silencieux (Seuil, 2019, le titre rend hommage à Printemps silencieux, livre fondateur du combat écologique de Rachel Carson, paru je crois en 1962 – bientôt soixante ans !!), Stéphane Foucart décrit minutieusement le mécanisme d’un véritable crime contre l’humanité qui se commet impunément depuis les années 1990 dans le monde entier.

L’arme du crime porte un nom difficile : « néonicotinoïdes », souvent apocopé dans le livre en « néonics ». Il s’agit d’un ensemble de molécules mises sur le marché (1993 en France) pour éradiquer définitivement les ennemis désignés des agriculteurs et des récoltes : les insectes ravageurs. C'est nouveau : leur effet principal n'est pas directement létal (= mortel), mais "sublétal" : l'insecte est amoindri (immunité, activité, etc.), mais le résultat est finalement le même.

Ces produits portent des noms imprononçables : imidaclopride, thiaméthoxame, clothianidine, sulfoxaflor, etc. Le fipronil, quant à lui, s’il est un phénylpyrazole (encyclopédie en ligne), appartient à la même bande de tueurs à gages (c'est exactement ça). Cette mafia d’exécuteurs est dirigée par des parrains dont la raison d’être s’appelle l’agrochimie : Bayer, Syngenta, Dow, Monsanto, BASF et quelques autres.

Cette « confrérie » de gens sûrement désintéressés, qui n'est pas loin de monopoliser la production des semences (voir la réglementation européenne des semences), a une seule loi : se rendre indispensable au monde, et devenir son fournisseur exclusif, pour garantir sa mirobolante rente annuelle, celle des royalties énormes qui leur sont versées par le monde en échange de leurs trouvailles « scientifiques » (qualificatif obligé, mais je mets quand même des guillemets), dont quelques noms figurent ci-dessus. Et la planète est disciplinée : tout le monde s'y est mis.

La grande trouvaille que toutes ces entités industrielles ont couvée et fait éclore, et qui a envahi les terres cultivables du monde entier, c’est l’enrobage : chaque graine, au lieu d’être semée comme autrefois pour être aspergée ensuite de divers produits nécessitant le port d'un scaphandre de cosmonaute pour celui qui les répand, est enrobée d’une coque aux vives couleurs, destinée à faire d’elle, quand elle se développera, une plante dont toutes les parties seront toxiques pour les insectes (mais pas que, comme on va le voir). On appelle ça un « insecticide systémique ». On a inventé la plante insecticide ! Fallait y penser.

Le problème, c’est que s’il s’en prend effectivement aux ravageurs, cet insecticide est incapable de les distinguer des non-ravageurs, et que tous les insectes qui s’y frottent, s’y piquent de façon irréversible, quelque bonnes que soient leurs intentions : les effets sont tout à fait indiscriminés. Ce qui veut dire que tout le monde y passe, y compris et surtout la vaste peuplade des pollinisateurs, au milieu desquels on trouve les abeilles de ruche, les abeilles solitaires, les papillons et les bourdons (ceux qui fécondent les reines).

Les études scientifiques dont Stéphane Foucart rend compte mettent en évidence le caractère infinitésimal des doses de produit qui suffisent pour perturber le système de repères des insectes, avec pour point final la mort, parfois en tas, mettant à mal le dogme de Paracelse : « C’est la dose qui fait le poison ». Ainsi, les scientifiques des grandes sociétés agrochimiques se sont montrés excellents dans la recherche de moyens d’extermination de la vermine (tiens, l'expression me rappelle quelque chose). Comme disait une publicité pour lessive il y a quelques décennies : « Touti rikiki, mais maouss costaud ! ».

Le plus étonnant, c’est que le monde fait aujourd’hui mine de s’étonner, et même de se scandaliser (enfin, pas trop quand même) du fait qu’un insecticide accomplisse la tâche pour laquelle il a été fabriqué : tuer les insectes. Il faut savoir ce qu’on veut.

Ce qui me met dans une colère noire, à la lecture du livre de Foucart, c’est d’abord le cynisme des firmes et des « scientifiques » à leur service face aux effets dévastateurs de leurs produits. Le plus scandaleux, c’est l’aplomb avec lequel, non seulement elles mentent, mais se débrouillent par-dessus le marché pour donner à leurs mensonges l’air, le parfum et le goût de la vérité. Le culot des chimistes de l'agriculture va jusqu'à financer généreusement des organisations de défense de l'environnement (p.264). 

Ce qui me met aussi en colère, ce sont les trésors de patience, de méthode, de recherche, d’argumentation qu’est obligé de dépenser Stéphane Foucart, à la suite des scientifiques réellement attachés à la manifestation de la vérité, pour démonter le mécanisme des « vérités alternatives » que voudrait imposer l’industrie agrochimique et pour défaire minutieusement les nœuds dont elle a embrouillé l’approche du problème.

J'enrage des précautions de Sioux que Foucart est obligé de prendre pour n'être pas pris en flagrant délit d'erreur, de négligence ou d'oubli par des bandits sans scrupule. Quelle énergie gaspillée dans le démêlage des écheveaux emberlificotés à dessein et à plaisir par les firmes industrielles !!! Les premiers abusés, bien sûr, c’est le public en général, mais aussi, pas loin derrière, les décideurs en dernière instance, pour le coup supposés s’être fait une opinion sur des bases solides avant d'apposer leur signature au bas d'un décret.

Les criminels ont développé pour cela des stratégies qui ont quelque chose de diabolique. La première est d’admettre que leurs produits ont peut-être des effets néfastes, mais de noyer cette cause possible dans un océan d’autres causes éventuelles (« causalités alternatives »). Je n'énumère pas, mais les chimistes ont en particulier désigné à la vindicte les ravages que fait dans les ruches une bestiole nommée « varroa », parasite effectivement peu sympathique, mais dont les dégâts sont loin de suffire à expliquer l’ampleur du désastre. Cela s'appelle "faire diversion".

La deuxième stratégie est tout aussi maligne. Elle consiste à constater, comme tout le monde, qu’il y a un problème, mais qu’en l’état actuel des connaissances dûment établies, on n’en sait pas assez pour trancher dans un sens ou dans l’autre. Il faut continuer la recherche, inlassablement (sous-entendu : interminablement). Il faut faire des efforts pour parvenir bientôt (?) à une certitude incontestable.

Encore un gros mensonge : les malfaiteurs s’efforcent en réalité, dans des articles qui ont toutes les apparences du sérieux, d’asséner benoîtement leurs vérités en occultant les dizaines ou les centaines d’études plus récentes parues dans des « revues à comité de lecture » qui prouvent à coup sûr que les coupables sont les néonicotinoïdes : « Les ressources de l'industrie des pesticides, sa capacité à générer de la controverse et à pénétrer le débat public pour créer le doute sont sans limites » (p.283).

La troisième stratégie, qui me met encore plus en rogne, prend pour cible les instances administratives et les cercles de la décision, qui ont en théorie le pouvoir (et le devoir) de réglementer les mises sur le marché, et d’interdire éventuellement tout ce qui est susceptible de nuire à la santé des hommes et à la qualité de leurs aliments et de leur environnement. Le seul message des industriels : entretenir le doute (voir Naomi Oreskes et Erik Conway, Les Marchands de doute, Le Pommier, 2012, commenté ici même en février 2012 ; à noter que, sauf erreur de ma part, Foucart ne mentionne nulle part ce livre important : c'est bizarre). Rien n'est sûr, faut voir, ptêt ben qu'oui, p'têt ben qu'non.

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Administrateurs et politiciens sont obligés, pour les questions où ils sont incompétents, de s’en remettre à des connaisseurs, des professionnels, des spécialistes, bref, des experts. L’essentiel se passe alors au sein de comités (commissions, agences, cellules, etc.) chargés de rassembler une documentation complète et des informations sûres, puis de transmettre aux autorités le dossier, assorti d’un avis supposé autorisé. L'art des industriels consiste ici à introduire leurs affidés dans les instances officielles pour orienter les décisions. A cet égard, ils sont d'une remarquable efficacité.

Car il se passe quelque chose d’étrange dans la circulation des personnes qui composent ce comité : on appelle ça les « portes tournantes ». Telle spécialiste (le nom importe peu) reconnue par tous ses pairs dans sa discipline, après avoir travaillé pour telle grande firme, est désignée pour diriger le comité en question. avant de continuer sa belle carrière au sein d'une autre multinationale qui produit les insecticides en question. Comme par hasard, le rapport rendu au commanditaire n’est pas défavorable aux « néonics ». Que croyez-vous qu’il arrive ? L’interdiction attendra. Comment qu'on torde la chose, cela s'appelle être juge et partie (ou "conflit d'intérêts", ou "manger à deux râteliers" si vous voulez).

L'interdiction attendra d’autant plus longtemps que le comité en question suggère de « continuer la recherche ». On n’en sait jamais assez, n’est-ce pas. « More research », voilà une litanie qui permet aux industriels de la chimie agricole de gagner de précieuses années et de diffuser en abondance leurs produits de par le monde, quitte à rendre leur usage irréversible.

Dernier argument des chimistes : réfuter les expériences des scientifiques extérieurs aux entreprises sur les effets de leurs produits, au motif qu’elles se déroulent à l’abri des conditions réelles, derrière les murs des laboratoires, et non « en plein champ ». Or, et Foucart le sait, c’est là que le bât blesse. Comment en effet conduire un protocole expérimental en toute rigueur dans un environnement où abondent les interactions, les facteurs adventices, les données inanalysables ? C’est horriblement difficile : « "obtenir des preuves en situation réelle" signifie en réalité, bien souvent, "ne pas pouvoir obtenir de preuves" » (p.239).

Moi, je connais le seul moyen de contrer cette stratégie, mais je sais aussi qu’il est totalement utopique : ce serait d’inverser la charge de la preuve. Exiger des marchands de poisons qu’ils démontrent scientifiquement, avant de les mettre sur le marché, l’innocuité de leurs substances pour les populations, pour les sols, pour les insectes pollinisateurs – et pour les oiseaux. Ce n’est pas pour demain la veille. Et pourtant, il est incompréhensible qu'il soit plus facile de faire circuler dans la nature 100.000 (cent mille !!!) molécules chimiques que d'en interdire quelques-unes (projet REACH savamment torpillé).

Vous avez dit "Oiseaux" ? Après avoir méticuleusement exploré les raisons pour lesquelles les pare-brise de nos voitures sont encore transparents après des centaines de kilomètres, Stéphane Foucart complète le tableau avec un aperçu sur la conséquence logique de la disparition des insectes : la disparition des oiseaux. Cette conséquence est tellement évidente (les oiseaux de nos campagnes se nourrissent pour une bonne part d’insectes et de graines) qu’on devrait pouvoir se passer de la décrire. Mais les dégâts sont réels, et prouvés : l'assassin de la vie n'est pas un individu ou une entreprise, fût-elle de dimension mondiale. C'est un système : celui sur la base duquel tout notre mode de vie s'est édifié (pour faire court : industrialisation de tout).

Un espoir cependant. Certaines machines administratives sont particulièrement lourdes à mouvoir. Tout ce qui est institutionnel est, on l'a vu, susceptible d'être infiltré par des agents de l'agro-industrie. C'est pour contourner l'obstacle qu'un groupe de volontaires se met en place en 2010 : le Task Force on Systemic Pesticides, TFSP. D'abord une dizaine, le collectif s'étoffe, se structure et se propose d'inventorier tout le savoir sûr accumulé sur les néonicotinoïdes.

Deux personnes seulement connaissent la liste des membres : tout le monde sait la puissance de feu, d'intimidation, voire de terreur de l'industrie : « L'ampleur de l'influence des firmes sur les organismes de recherche ou d'expertise, nationaux ou internationaux, voire sur les grandes ONG de conservation de la nature, donne toute sa valeur à la TFSP » (p.268). Ces travaux (qu'il faut bien qualifier de militants, tant ils se déroulent en milieu hostile, pour ne pas dire guerrier : il faut avoir le courage bien accroché), quand ils sont publiés, suscitent des levées de boucliers, des accusations,  des insinuations, des manœuvres douteuses, des campagnes malveillantes. On voit clairement qui est aux manettes.

Je le disais, le livre de Stéphane Foucart est un acte d'accusation. L'essai est irréfutable : sur les effets des "néonics", sur l'hallucinante guerre livrée par les firmes agrochimiques à la vérité scientifique et à la vie sur terre, sur l'exténuante lutte des gens honnêtes pour donner force de loi à la vérité scientifique, l'accumulation des données factuelles est telle qu'il est impossible de douter.

Et tout ça pour quel bénéfice agricole en fin de compte ? Le titre du dernier chapitre le laisse entrevoir : "Un mal inutile" (on est loin du petit conte scabreux de Voltaire : Un Petit mal pour un grand bien).

L'incroyable, l'inadmissible, le scandaleux, c'est que nous voilà un quart de siècle (1994) après les premières alertes sur les néonicotinoïdes par des apiculteurs français, et qu'une foule de décideurs en sont encore à pinailler sur les solutions, et même sur le diagnostic. Combien de claques faudra-t-il leur envoyer dans la figure avant qu'ils consentent à montrer un peu de courage ? Comment faire rendre gorge à des ennemis du genre humain qui ont fait des paysans des complices de leur crime ?

Je serais Greta Thunberg, j'aurais des sanglots dans la voix, et ça me ferait pleurer en public à la tribune de l'ONU. Bon, peut-être qu'elle devrait, mais étant au four du réchauffement climatique, elle ne peut pas être aussi au moulin de l'empoisonnement chimique. Il se trouve, heureusement, que je ne suis pas cette détestable comédienne (elle ose lancer : « How dare you ? You have stolen my dreams ! », et puis quoi encore ? On croit rêver.) qui se fait applaudir par les gens qu'elle vient d'accuser. 

Avec mon optimisme légendaire, je me mets dans la peau de M. Monsanto-Bayer-Syngenta, et je pose la question stalinoïde et stalinoïforme : « Stéphane Foucart, combien de divisions ? ».

J'ai, hélas, la réponse.

Voilà ce que je dis, moi.

Note 1 : sur la prévision (qui n'est pas une prédiction) de la manifestation de l'effet de serre du fait des activités humaines, voir les terribles pages 19 et suivantes de Stéphane Foucart : « Dans les années 1980, toute la connaissance sur le réchauffement n'était certes pas réunie. Mais toute la connaissance nécessaire pour agir était là » (p.20). « L'échec de la lutte contre le changement climatique, c'est l'échec d'une médecine qui craint plus l'erreur de diagnostic que la mort du patient » p.22).

Note 2 : sur le programme du livre : « ... les firmes agrochimiques exercent aujourd'hui, directement ou non, une influence sur le financement de la recherche, sur l'expertise, sur la construction des normes réglementaires, sur la structuration du savoir au sein de sociétés savantes, des universités et des organismes de recherche publics. Et même sur les organismes de défense de la nature » (p. 25). On est tout de suite fixé, même si certaines turpitudes (c'est tout le contenu du livre) dépassent l'entendement.

mardi, 08 octobre 2019

FLEUR DE CRISTAL

 

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lundi, 07 octobre 2019

UN PEINTRE A LA CROIX-ROUSSE

NOUS AU VILLAGE AUSSI L'ON A ...

On le voit tous les jours ou presque, sur la place de la Croix-Rousse, exposer ses œuvres. Sur la toile ci-dessous, il signe « Ricket Menteur » (si je lis bien). C'est bien dessiné, quoique ce qu'il fait ne soit pas du "grand art" (disent les doctes en se rengorgeant comme des volailles mâles de basse-cour). Mais tellement d'autres font la même chose en beaucoup moins amusant ! Je trouve ça rigolo. Fallait y penser. Je me demande s'il ne lit pas Charlie Hebdo.

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Tout le monde a reconnu la citation ! Mais pour les autres, quand même, voici l'image passée dans le subconscient de la planète à force d'être vue et de se faire tordre dans tous les sens:

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On peut discuter de la lecture que fait le peintre de l'histoire des Beatles : je vois mal George Harrison (dernier derrière Paul) en coq (si c'en est un) de la basse-cour (et je ne suis probablement pas le seul : on connaît l'hégémonie du tandem – qui a fini en combat de coqs – "Lennon-McCartney" sur la production du groupe). L'idée reste marrante et sans trop de conséquences pour l'avenir des "Fab Four". Je croise les doigts : ça peut marcher, leur musique.

Bon, c'est vrai : je ne me suis pas porté acquéreur de la peinture.

Voilà ce que je dis, moi.

dimanche, 06 octobre 2019

PRÊT POUR LE RETOUR A LA BOUGIE

Du moins tant qu'il y aura du pétrole.

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De jour, elle est seulement en état de marche (pour la voir en marche, voir ci-dessous).

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De nuit, l'ambiance est plus chaleureuse. On lira plus à l'aise, non ?

photographie,lampe à pétrole

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Heuh ! Pas sûr, s'il n'y a pas un peu d'électricité dans les parages !

samedi, 05 octobre 2019

LE GÉNIE DE CABU

Cabu est mort en 2015, en pleine possession de ses facultés.

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Cabu, immortalisé par son fils Mano.

Chirac est mort en 2019, et certains susurrent qu'il était gaga. Cela n'empêche pas que tout le monde y est allé de sa larme et de son anecdote personnelle sur le cercueil de celui qui est désormais désigné par les sondages comme étant le meilleur président qu'ait eu la V° République (énormité proférée par le gloubiboulga qu'on appelle "opinion publique"). Tous ces refrains ne font que reprendre la musique dont Georges Brassens avait enrobé ces paroles définitives :

« Il est toujours joli, le temps passé,

Une fois qu'ils ont cassé leur pi-ipe,

On pardonne à tous ceux qui nous ont offensé,

Les morts sont tous des braves ty-ypes ».

On a moins entendu rappeler le slogan que portaient les banderoles dans les rues de France après le 21 avril 2002 : « Plutôt l'escroc que le facho ». Les électeurs ne voulaient certes pas de Jean-Marie Le Pen, mais ils ne se faisaient aucune illusion sur les qualités morales intrinsèques de l'homme qui lui était opposé. Résultat : 82% ! Tous les bons vivants auraient aimé se retrouver à table avec Chirac, et tout le monde se souvient de sa poignée de main, généreuse et franche, quelles que fussent les circonstances.

Tout le monde (ou presque) a oublié le reste. Est-ce que c'était Chirac, l'histoire de la chasse d'eau qu'on tirait chaque fois qu'on ouvrait le coffre-fort pour en sortir des billets de banque ? Je ne sais plus, mais on pourrait aussi parler du château de Bity et de sa restauration complète, qui n'avait pas coûté trop cher au couple Chirac.

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Tiens, à propos de poignée de main (et le regard lourd de sous-entendus que Cabu a fait à la vache !).

Heureusement, tout le monde n'a pas la mémoire sélective, et Le Canard enchaîné ne s'est pas fait faute, le mercredi 2 octobre, de rappeler quelques épisodes qui ont accompagné les quarante ans de "vie politique" de ce "dernier grand fauve", comme certains anciens adversaires ont consenti à le qualifier devant les micros, pour mieux disqualifier la profession de politicien. Et pour rendre cet "hommage", le Canard a donné avec raison la place d'honneur à Cabu. Tous les dessins (sauf un) de la page 4 sont signés Cabu. Heureusement qu'il y a le Canard pour se souvenir de Cabu et de toutes les faces cachées de Chirac, que le dessinateur adorait croquer et mettre au premier plan.

Cabu est mort il y aura bientôt cinq ans. Il n'a pas été remplacé. Nul n'a hérité son trait virtuose qui savait saisir un geste, dessiner un visage, synthétiser une situation, ni son regard souvent féroce, qui atteignait la cible au cœur. Quelques-uns seulement savent, comme lui, faire rire au sujet de réalités (à commencer par les fripouilleries impunies) plutôt faites pour susciter la rage.

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Inutile de faire l'éloge de Cabu : je ne me console pas de sa perte. Quelques dessinateurs s'efforcent de lui emboîter le pas et de porter la plume dans la plaie. La plupart collaborent précisément au Canard enchaîné : Pétillon, Aurel, Lefred-Thouron, Dutreix, Diego Aranega, l'indétrônable Escaro, Delambre, Wozniak, Kerleroux, Kiro, plusieurs autres. Dutreix, après l'attentat, avait donné un dessin extraordinaire (Cabu est le plus chevelu de l'équipe).

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Le Canard enchaîné est le dernier refuge du dessin de presse et de la satire (le New York Times vient de les bannir de ses pages, à cause de la "political correctness"). Je compte pour pas grand-chose le pauvre dessin de une que Plantu livre laborieusement au journal Le Monde : il est tellement tenu par la "ligne éditoriale" que ses dents (s'il en a) sont limées à ras. Qui pourrait dire quelle "ligne éditoriale" Cabu avait décidé de suivre, en dehors de la sienne propre ?

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Quant à Charlie Hebdo, je ne l'achète plus depuis très longtemps, déserté qu'il est par les dessinateurs de talent, je veux dire envahi qu'il est par des tâcherons qui ne savent plus faire rire et qui ne connaissent plus que le coup de poing graphique, la brutalité dessinée, la force hargneuse. Cabu, lui, frappait fort, mais ajoutait une règle impérative à l'exigence de percussion : faire rire. La plupart du temps, au kiosque, le mercredi, je jette un regard désolé sur la couverture de Charlie-Hebdo, et je passe mon chemin : trop laide. Des talents y sont-ils maintenant revenus ? Peut-être devrais-je l'ouvrir de temps en temps, qui sait ?

Le Canard enchaîné, par bonheur, entretient la flamme du souvenir de son soldat bien connu, Cabu, en couronnant ses pages intérieures d'une drôle de guirlande : son trombinoscope politique (j'ai compté 41 bobines : il y a des redites). Car Cabu a passé de très longues années à portraiturer la classe politique française, sans lui faire aucun cadeau : il n'y a qu'à puiser et, mis à part quelques éphémères feux de paille politiques trop vite passés à la trappe pour laisser le souvenir de leur trombine, on reconnaît au premier coup d’œil les pipes de tir forain que Cabu ajustait sous sa plume. Je ne remercierai jamais assez Le Canard enchaîné de cette fidélité à un de ses piliers, tragiquement effondré.

Chirac était indéniablement un de ses favoris, mais il y en avait d'autres, immédiatement reconnaissables, et dont quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. J'adore le sournois sinusoïdal de son curé faux-jeton, qu'il n'y a pas besoin de nommer. C'est mon préféré : combien de traits pour faire éclater la tartuferie de l'individu (vous savez : « La route est droite, mais la pente est forte ») ?

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Et tout le monde connaît cet objet de vindicte qu'il avait en horreur.

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Mais on trouve, bien des années avant la mort de Chirac, qui n'était alors que maire de Paris et député, des images très différentes du bonhomme, qui n'était pas encore le vieillard débonnaire et consensuel (« usé, fatigué », disait Jospin en 2002, il avait raison) que les Français élisent désormais par sondage (dessin paru dans La France des beaufs, Editions du Square, 1979).

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Quarante ans avant, on le reconnaît déjà infailliblement, mais comme spécialiste de l'aboiement et du coup de menton, qu'il n'avait pas encore quadruple, et avec de grandes canines pour la conquête du pouvoir qui lui manquait. Élu président de la République, il a eu douze ans pour digérer sa satisfaction satisfaite.

Cabu l'a suivi attentivement.

Merde à Chirac ! Merci au Canard enchaîné ! Gloire à Cabu !

Voilà ce que je dis, moi.

vendredi, 04 octobre 2019

L'AGENDA 1940 DU SGT J. CHAMBE

 

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J'ai évoqué ici (14 et 15 juillet 2019, et aussi un peu après) la guerre du sergent Jacques Chambe, devenu le colonel Jacques Wilson en 1945. J'en ai en particulier reproduit les mots qu'il a griffonnés jour après jour pendant les six premiers mois de l'année 1940 jusqu'à sa démobilisation le 15 juillet, après sa mobilisation comme pilote de chasse sur une base aérienne proche de Rennes.

J'ignore les circonstances concrètes qui ont transformé l'agenda ci-dessus en cette relique familiale que j'ai toujours vue dans la petite vitrine du salon : quoique son possesseur ne m'en ait jamais dit quoi que ce soit, j'imagine qu'il ne l'aurait pas ainsi exposée s'il ne l'avait pas revêtue d'un légitime motif de fierté. La seule chose qu'il m'a dite, c'est qu'il portait ce carnet dans la poche de poitrine de sa chemise au moment de la balle, et que.

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La balle de 9 mm a frappé le carnet en plein centre. On voit la chemise de cuivre qui enserre et blinde le plomb du projectile. A tort ou à raison et sans savoir vraiment pourquoi, je conserve pieusement cet objet. Non pas comme l'emblème d'un héroïsme passé – après tout hypothétique : je suis éloigné de : « Mon père, ce héros au sourire si doux » –, mais peut-être à cause même de ses ombres et de ses non-dits. Il ne me déplaît pas de ne pas être sûr (bien obligé, mais c'est quand même un alexandrin).

jeudi, 03 octobre 2019

MAO FENG

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mercredi, 02 octobre 2019

CÉLESTE ALBARET

ALBARET PROUST.jpgJe viens de lire un livre qui n’a pas de semblable. L’auteur de Monsieur Proust (Robert Laffont, 1973) n’est autre que Céleste Albaret, la femme qui n’a pas quitté l’écrivain pendant ses huit ou neuf dernières années d’existence. Je n’aurais pas lu ce livre si je n’étais pas auditeur de France Culture. La chaîne publique a en effet eu l’idée merveilleuse de diffuser, en une série de cinq émissions estivales de la série "La Grande traversée" (Philippe Garbit pour cette série), de larges extraits de l’interview au long cours (trois mois) que Céleste avait accordée à Georges Belmont en 1972. En fait, Céleste n'a pas écrit un mot du livre dont elle est l'auteur : elle les a parlés.

Des nombreuses heures (Belmont dit "soixante-dix", le producteur dit "quarante") de bandes magnétiques enregistrées par le journaliste-écrivain, le producteur france-culturiste Philippe Garbit a gardé entre sept et huit (29 juillet-30 juillet-31 juillet-1 août-2 août 2019). Des moments que je qualifie d'exceptionnels.

Je l'avoue uniment, platement, humblement : c'est la voix de cette femme extraordinaire qui m’a donné l’envie d’ouvrir le bouquin qui dormait sur un rayon, avec l'intégralité du contenu des enregistrements. Ce qui est étonnant, c’est précisément qu’on ne se lasse pas de l’écouter, tant sa voix de campagnarde invétérée débarquée à Paris pour cause de mariage (Odilon Albaret, qui était devenu le chauffeur attitré de Marcel Proust), sa jovialité, sa simplicité, sa gouaille, sa présence, son ton parfois péremptoire, ses fous-rires, son enthousiasme sont communicatifs. Lire le livre après ces quelques heures donne l'avantage unique d'accéder en lisant au ton carrément incommunicable sur lequel se passent les entretiens. Quelle bonne femme, Céleste Albaret !

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Céleste et Odilon après l'engagement de celui-ci dans les services motorisés de l'armée française en guerre.

Interviewée à 82 ans, morte à 92 (Odilon est mort je ne sais plus quand, d'une crise d'urémie), elle revit devant le micro une expérience absolument unique : avoir tenu compagnie pendant huit années à un des plus grands écrivains de la littérature européenne, au moment où celui-ci décide de se retirer chez lui, à l’abri du monde, pour faire aboutir son grand projet littéraire : La Recherche du temps perdu. Étrangement, cette fille venue de la campagne profonde, qui se levait et se couchait avec les poules, se met, calquant brutalement son rythme de vie sur celui de Marcel Proust, à vivre la nuit et à dormir la journée, au moins jusqu'au réveil du patron, entre 14 et 18 heures selon les jours. Cette brutalité ne semble pas l'avoir traumatisée.

L’expérience l’a marquée tellement en profondeur qu’on peut dire qu’elle ne s’en est pas remise. Elle le dit à plusieurs reprises : elle vouait un véritable culte à Marcel Proust, en qui elle voyait l’incarnation de l'absolu du raffinement, de la haute distinction et de la courtoisie la plus délicate. Qu’on n’attende pas d’elle le plus petit reproche ou la plus petite once de critique : elle a trouvé, au 102 boulevard Haussmann, puis rue Hamelin, une sorte de paradis sur terre, certes gouverné par un tyran domestique, mais devant lequel elle n’a cessé d’être en adoration, et aux moindres caprices duquel elle déférait, soumise et aimante. On ne peut même pas dire qu’elle lui pardonnait ses défauts : à ses yeux, il n’avait pas de défaut. Elle s'est mise à genoux devant la statue au premier moment où celle-ci s'est présentée (de façon rigolote : « sans cravate et sans barbe »), mais l'extraordinaire, c'est que la statue le lui a bien rendu. Céleste Albaret, on ne sait comment, est devenue en peu de temps une composante indispensable du décor de l'écrivain.

Cette fille d’une campagne reculée (Auxillac en Lozère, où sa mère, dit-elle : « faisait la cuisine à l'âtre ») ne savait rigoureusement rien faire de ce qu’un « employeur » est en droit d’attendre. Proust lui-même le lui avait déclaré d'emblée en 1914, quand elle s'est installée à demeure chez l'écrivain : « Céleste, vous ne savez rien faire, mais soyez assurée que je ne vous demanderai jamais de faire quoi que ce soit ». Extraordinaire, non ? Comment est-elle devenue cette dame de compagnie, et même cette confidente littéraire en présence de qui Proust commençait à mettre en forme les observations qu’il rapportait de ses soirées ou de ses repas mondains ? Mystère. Il y a là une rencontre qui tient du miracle. C’en est au point que l’écrivain lui déclare un jour que si elle partait, il ne pourrait pas achever son chef d’œuvre. 

Ce qui est sûr, c’est que Céleste existe intensément quand on l’entend dévider ses souvenirs. Mieux que dévider : elle revit puissamment ces huit années en les racontant, elle réagit aussi fort qu’à l’instant où les choses se passent. Par exemple, une nuit, l’écrivain l’envoie en mission (porter un message ou un livre, je ne sais plus). Quand elle revient auprès de son maître pour en rendre compte, elle lui avoue avoir donné cinq francs « à un sergent de ville » qui l'a guidée dans l'obscurité jusqu'à la bonne adresse (« un escalier bossu »). Proust part alors d'un grand éclat de rire, et elle, racontant la scène, éclate du même rire cinquante ans après : « Et il riait ! Il riait ! ». C’est cette absolue spontanéité-sincérité rétrospective qui m’a poussé à lire ce livre acheté en 2002. Je ne l'ai pas regretté.

L’image de Marcel Proust qui ressort du tableau peint par Céleste Albaret au cours de quarante (ou soixante-dix) heures d’entretien avec Georges Belmont est assez différente de celle que l’histoire littéraire en a construite. En particulier dans tout ce qui concerne sa vie quotidienne au cours de ses dernières années. D’abord la maladie : c’est comme malade qu’il a demandé à Céleste de le considérer et de le servir. On ne peut en effet pas dire que Proust jouissait d'une grande santé : contre son asthme, il pratiquait des fumigations, respirant les fumées d'une poudre qu'il enflammait et fuyant toutes les occasions de subir des crises très éprouvantes.

Après l'avoir suivi dans son dernier séjour à Cabourg, en 1914, au retour duquel (au niveau de Mézidon) il a une crise particulièrement violente, elle l'accompagne dans son choix définitif de vie recluse : il ne quittera plus guère sa chambre aux rideaux toujours fermés et aux murs revêtus de plaques de liège. A la lecture de ses souvenirs, je me suis souvent dit que Proust était un insupportable maniaque doublé d'un enfant capricieux, avec sa phobie des poussières, avec son « essence de café » que Céleste apprendra très vite à préparer méticuleusement, avec sa pile de mouchoirs sur sa table, mouchoirs qu'il jetait par terre après le premier usage, etc.

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La chambre de Marcel, reconstituée. Noter la petite table avec sa pile de mouchoirs.

Pour Céleste Albaret, qui est tout sauf une universitaire ou une critique littéraire, pendant les huit années où elle a vécu auprès de Marcel Proust, celui-ci était guidé par une seule idée : achever la "Recherche". C'en est au point qu'à ses yeux, toutes ses sorties dans des soirées mondaines, tous ses soupers fins au Ritz, chez Larue ou ailleurs, toutes les visites qu'il rendait ou recevait, toutes ses pensées, tous ses gestes n'avaient qu'un seul et unique objectif : achever la "Recherche". Elle n'en démord jamais. Hors de toute considération universitaire, j'aime à penser qu'elle n'a peut-être pas tort.

Elle était seule présente, en compagnie du Dr Robert Proust, frère de Marcel, à l'instant où ce dernier mourut.

Une belle personne à coup sûr, Céleste Albaret.

Voilà ce que je dis, moi.

***

Et un matin (en fait, il est quatre heures l’après-midi), pages 402-403 : « Comme j’arrivais près du lit, il a tourné un peu la tête vers moi, ses lèvres se sont ouvertes et il a parlé. Depuis que je vivais auprès de lui, c’était la première fois qu’il m’adressait la parole au sortir de son réveil et avant d’avoir pris sa première tasse de café. Jusqu’à sa mort, cela ne s’est plus reproduit. J’ai été surprise malgré moi, et je suis restée là, en suspens. Il m’a dit :

         - Bonjour, Céleste …

Un petit instant, son sourire a paru déguster ma surprise. Puis il a repris :

         - Vous savez, il est arrivé une grande chose, cette nuit …

         - Que s’est-il passé, Monsieur ?

         - Devinez.

Il s’amusait beaucoup. Rapidement, dans ma tête, j’ai fait le tour de ce qui aurait pu arriver. Ce ne pouvait pas être une visite inattendue – je l’aurais su et entendu ; jamais il ne fût allé ouvrir lui-même la porte. Qu’il ait pu se relever pour sortir était également inconcevable ; jamais il n’eût décroché de ses mains son pardessus et son chapeau dans le vestiaire ; toujours il fallait que tout fût préparé. Tout en cherchant, j’inspectais du regard la chambre. Je me disais : "personne n’est venu ; il n’a pas demandé ses vêtements ; il n’est pas sorti ; il n’a pas grillé sa bouilloire électrique ; il n’a rien cassé ; tout est en place …"

J’ai dit :

         - Monsieur, je ne vois pas du tout ce que cela peut être, je ne peux pas deviner. Cela doit être un miracle. Il faut que vous me l’appreniez.

L’air tout heureux et rajeuni, il jubilait comme un enfant qui a joué un bon tour.

         - Eh bien, ma chère Céleste, je vais vous le dire. C’est une grande nouvelle. Cette nuit, j’ai mis le mot "fin".

Il a ajouté, toujours avec son sourire et cette lumière dans son regard :

         - Maintenant, je peux mourir.

J’entends sa voix prononçant ces derniers mots : on aurait cru une explosion de satisfaction et de joie. »

Je plains l'universitaire sérieux qui tombe sur cette expression : "déguster ma surprise" !!! Est-ce que ça ne vaut pas le coup, vraiment, d'avoir vécu ce moment-là ? 

mardi, 01 octobre 2019

PHOTOS SATELLITE ...

... DE LA LAMPE A PÉTROLE.

A.JPG

Focus sur le réservoir.

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Focus sur le brûleur (ça change tout, non ?).