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lundi, 21 octobre 2019

RUINES EN ISÈRE 2

A Frontonas, une autre bâtisse médiévale n'a pas eu la "chance" de croiser le regard perçant et conquérant de quelque audacieux entrepreneur, c'est le "château de Certeau". Quand on vient de Lyon, que ce soit par La Verpillière ou par la "route du Chaffard", on ne peut pas la manquer : à droite avant de s'engager dans la montée qui mène au centre du village.

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La vue est prise du nord : c'est la "route du Chaffard". Quand on vient de La Verpillière, la route passe entre le poteau électrique et la ruine.

On voit tout de suite que, pour les propriétaires, les vieilles pierres ont parfaitement le droit de vivre leur existence à part et de n'être dérangées par personne et sous aucun prétexte. Peu importe, ils ne manquent pas d'espace habitable, au vu des bâtiments existants, de leur surface visible, de leur diversité et du nombre des voitures. On peut parfaitement vivre sa vie à côté de témoignages de l'époque médiévale sans être habité par le démon de la reconstitution historique.

La partie médiévale, elle, est composée, face au sud, d'une grosse tour carrée (qu'on ne voit donc pas ci-dessus) où devaient vivre les maîtres des lieux (je n'en sais rien), flanquée de deux tours rondes, l'une au nord d'un beau diamètre, percée de belles fenêtres à meneaux, l'autre à l'ouest plus étroite. Un quatrième bâtiment, côté nord (au premier plan sur la photo ci-dessus), a dû être ajouté plus tardivement (je n'en sais fichtrement rien). Pour donner une autre image des lieux, voici le détail de la photo prise sur Gogol (sud en haut, nord en bas). On voit dans la muraille de la tour ronde l'échancrure destinée aux fenêtres.

CERTEAU 1.JPG

Je ne connais pas la date d'émission de la carte postale "Cim" du haut : sans doute la même époque (années 1960) que la précédente (voir 20 octobre).

CERTEAU 3.jpg

Mais j'ai trouvé sur l'internet, en plus d'une photo récente de la grosse tour ronde (ci-dessus : pendant la décrépitude, le délabrement continue, et ce n'est pas le lierre qui colmatera les fissures), une autre carte postale qui doit être beaucoup plus ancienne, puisque la grosse tour ronde et le corps de bâtiment qu'elle flanque sont encore coiffés d'un toit : je ne me rappelle pas les avoir vus ainsi, mais je peux me tromper. On remarque d'ailleurs que la tour a beau être ronde, elle porte un toit à quatre pentes, sans doute à cause de la difficulté de la surface à couvrir. Attention, la vue est prise du sud (face B des images précédentes).

CERTEAU 1 1.jpg

Un autre élément de cette dernière carte m'intéresse : l'aspect donné aux murs de pierre par le noir et blanc et par la définition offerte par sa parution sur l'internet. Du coup, l'image en prend une apparence picturale qui est loin de me déplaire, avec son camaïeu de gris fortement pixellisé (une "grisaille", quoi). On devrait pouvoir en tirer une gravure. C'est une idée, non ?

jeudi, 18 juillet 2019

LA GUERRE DE JACQUES CHAMBE

Quelle fut l'activité de Jacques Chambe pendant la suite de la guerre après sa démobilisation le 15 juillet 1940 ? Mystère et boule de gomme. Il s'est toujours tu là-dessus en ma présence. Peut-être ne l'ai-je pas assez interrogé ? Toujours est-il que je n'ai pas de réponse à toutes les questions que je me pose malgré tout. Je me rappelle avoir eu fugitivement entre les mains une enveloppe forte avec une étiquette "Papiers dangereux, à détruire". Que contenait-elle ? Ce qui est sûr, c'est qu'à la mort de l'intéressé, elle avait disparu.

Je passe sur diverses recherches entreprises auprès des autorités militaires françaises, puis de l'ambassade américaine à Paris : je n'ai rien appris. Tout s'est passé comme si Jacques Chambe avait fait le nécessaire pour effacer toute trace d'une éventuelle activité durant la période de la guerre. Deux documents qu'il a conservés envers et contre tout donnent à imaginer qu'il n'est pas resté inactif.

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Seule trace de la nomination de Jacques Chambe, à la date du 14 janvier 1944, au grade de Commandant (au titre du S.R. = service de renseignements ?). 

Ci-dessous la lettre adressée à Jacques Chambe le 2 mars 1945 par quelqu'un dont j'aurais bien  aimé déchiffrer la signature. Qu'est-ce qui a bien pu motiver sa démission de l'armée, qui était visiblement sa raison de vivre ? Mystère.

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LETTRE A JACQUES CHAMBE.jpg

"Qui vous savez" est peut-être (sans doute ?) De Gaulle. René Chambe, en effet, avait suivi le général Giraud, et son neveu Jacques avait été impliqué dans l'évasion de ce dernier.

Si j'ajoute l'uniforme de Colonel américain retrouvé dans les affaires de famille (avec sa patte de col d'aide de camp de Général – c'est un expert qui me l'a dit),

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si j'ajoute les douze médailles – dont celle de Commandeur de l'Ordre de l'Empire britannique – attribuées, après la victoire de 1945, au "Colonel Jacques Wilson" de l'US Army (nom "de guerre" de Jacques Chambe), j'enrage de ne pas être en mesure de remplir le vide de ces titres avec le récit des actions concrètes, précises, détaillées qui ont motivé ces honneurs. Jacques Chambe semble s'être ingénié à effacer tout ce qui aurait pu raconter ce qu'il a fait entre 1940 et 1945.

mercredi, 17 juillet 2019

LE 26 JANVIER 1940 DE JACQUES CHAMBE

Suite.

Voilà c’est fait, Dunkerque est derrière moi. Le soleil monte. La terre par endroits brille. Pour me dégourdir la nuque qui s’ankylose, je tourne la tête de droite à gauche, puis la lève et la baisse, moyen aussi de surveiller le ciel.

C’est alors que je repère une petite tache, peut-être d’huile, sur le bas droit du pare-brise. Il y a un moment je suis certain qu’elle n’y était pas. Mon regard parcourt les cadrans, cherchant la défaillance. Je ne vois rien d’anormal. Je vire un peu sur la gauche, le point fuit sur la droite. Je pique légèrement, il monte sur l’horizon. Il n’est pas sur l’avion, mais suspendu dans le ciel.

Qui ? Un Anglais matinal… Un de l’aéronavale de chez nous ?... Trop loin encore pour savoir même dans quel sens il vole. Les minutes sont longues. Maintenant j’en suis certain c’est un avion. Il est juste en face de moi, mais très, très loin encore. S’il ne change pas de cap, il abordera la côte au-dessus de Gravelines. Mon cœur se serre dans ma poitrine. De la côte à la frontière belge il aurait à peine quelques minutes de vol, si c’en était un ! Après je ne pourrais que le regarder s’enfuir dans l’espace interdit. Je prends un peu d’altitude, pénètre un peu plus à l’intérieur des terres. Je suis entre le soleil et lui, donc à peu près invisible.

— Tango 2 appelle B4… Tango 2 appelle B4…. Avion non identifié en vue, je vais le reconnaître. Terminé…

— B4 à Tango 2…. B4 à Tango 2… Bien reçu… Bien reçu…

Puis la voix impersonnelle, devenant soudain amicale ajoute :

— Bonne chance !!!

Oui bonne chance, et cela veut dire bien des choses pour eux… Que si je dois me battre, je m’en tire, et en même temps qu’enfin et surtout c’en soit un ! Si souvent nous avons été déçus quand la forme lointaine s’étant précisée, de reconnaître un avion ami !

Je me souviens des premiers jours, où nous sautions tous dans nos combinaisons, prêts à courir aux avions pour décoller à la moindre alerte. Maintenant c’est terminé, on vole par routine… Pourtant je sais que le sous-officier de service à la radio fera prévenir le Commandant Hertaut que Tango 2 est en route pour reconnaître un avion non identifié. Alors toujours de son pas calme et casquette en arrière Hertaut ira pipe aux lèvres jusqu’au camion radio. Sans monter les trois marches de métal il demandera : « Même chose ? ». Et devant la réponse positive s’en retournera mains aux poches et haussant les épaules.

Là-bas le point en grossissant s’est étiré en deux ailes. Je fais un moment route au nord. Si c’est un ennemi et qu’il me voit il sera forcé pour m’éviter de faire un très long détour au-dessus de la mer, ou de couper au plus près pour rejoindre la Belgique, mais alors en passant au-dessus de chez nous. Imperturbable il poursuit sa route et mon espérance s’amenuise. Il est trop sûr de lui pour être un ennemi !... Mais c’est un gros, un bimoteur… Pas un 63, que ferait-il là d’ailleurs ?... Non c’est un Bleinhem [Blenheim, avion britannique] regagnant une base anglaise en France…

Pourquoi diable reste-t-il si haut ?

Oui parfois les minutes peuvent sembler des heures.

Encore quelques-unes et sa forme sera assez précise pour que je puisse l’identifier. Dire à cet instant ce qui se passe en moi, je ne sais ? Angoisse du danger peut-être proche, ou simplement tension de tout mon être comme à la chasse, lorsque le chien vient de marquer un arrêt foudroyant, et que j’attends fébrile le fracas que feront les ailes de l’oiseau se levant au milieu des branches.

… Peur, non pas en ce moment ! Parfois elle vous étreint avant l’envol, vous serrant le ventre. Qui oserait dire qu’il n’a jamais eu peur ? Qui n’a eu un instant de recul ? Après on est dans le bain, le temps manque pour y penser.

Il va bientôt se présenter de trois-quarts… Dieu ce long fuselage !!!... C’est un Dornier !!!

Dans ma poitrine mon cœur bat à me faire sauter les côtes.

— Tango 2 appelle B4… Tango 2 appelle B4 … Avion identifié c’est un Fritz… Je vais attaquer…

La réponse, ça n’est peut-être qu’une impression, m’arrive laconique et tardive… :

— Bien reçu …

Eux aussi sont sans doute trop tendus pour en dire plus. Je le devine quelqu’un doit à cet instant courir comme un fou vers le bureau du Commandant. Lancer à qui il rencontre en chemin : « Ça barde là-haut ». Frapper peut-être, et dire très vite aux têtes qui se lèvent, surprises de cette intrusion : « Chambe est aux prises avec un Boche ».

Pas encore, je suis trop loin. J’ai armé les mitrailleuses et je pique sur lui. Les croix gammées sont bien visibles. Il n’a pas dévié d’une ligne de sa route ! Comment ne me voient-ils pas encore ? Peut-être comme moi il y a un moment sont-ils engourdis par le froid.

Sa masse emplit maintenant tout mon viseur !... J’ai vu son mitrailleur avant faire soudain un geste affolé, se précipiter sur son arme.

Mon pouce enfonce le bouton sur le haut du manche et mon avion tressaute du recul des quatre mitrailleuses… Je jurerais que les traçantes sont entrées dans son aile, tout à côté du moteur droit !...

Je suis sur lui !... Manche au ventre, je le saute.

Attention à son mitrailleur arrière. Je vais être dans son champ….

Je bascule le Bloch. Deux fois la terre prend la place du ciel !... Où est-il ? A ma gauche des traits de feu passent sournoisement… Il est un peu sur ma droite légèrement en dessous.

Il faut y aller à nouveau ! Cette fois toutes ses armes m’attendent… Mieux viser…mieux viser…

Mais plus n’est besoin ! Son moteur droit vient d’exploser, formant une énorme boule de feu. L’aile se casse dans un flot de flammes, de débris de métal !

Il bascule !!!... Ce n’est pas vrai !!!... A la première rafale… Non je rêve… C’est fou !!! Merci Grand-Père, grâce à vous j’ai visé juste !

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Il passe sur le dos, vrille à plat deux ou trois tours. Son moteur gauche tourne à plein régime… Il redresse à demi ! Part en glissade, puis se retourne encore le ventre en l’air. Dans sa carlingue un pilote courageux lutte encore contre le destin !... Je crois que j’ai crié comme s’ils pouvaient m’entendre… Sautez … Mais sautez donc… Je pique en tournant pour le suivre dans sa chute. La terrible force centrifuge le disloque. Son empennage brisé s’envole ! Une, deux, trois, quatre formes se détachent, puis peu après quatre corolles blanches s’ouvrent ! Ils sont vivants. Je n’ai pas tué ! La haine des atrocités nazis n’est pas encore en moi. Il faudra juin, le massacre des femmes et des enfants, morts mitraillés sur les routes pour que s’envole ma pitié !

Je suis soudain très las… J’ai froid à nouveau. Je tourne encore dans l’air limpide et glacé. Loin en dessous, sur la neige qui brille dans les premiers rayons du soleil, un éclair rouge illumine un instant le sol, puis une fumée noire se traîne dans le vent.

Un ronflement cogne dans mon cerveau !...

C’est la radio… j’avais oublié de la couper !

— Tango 2 répondez… Tango 2 répondez… Tango 2 répondez…

Il faudra je crois de longs instants pour que ces paroles parviennent à mon entendement.

— Tango 2 à B4… je rentre… je rentre… Il est au tapis… Quelque part au sud de Gravelines…

Ainsi tomba mon premier avion le 26 janvier 1940. Quatre autres en juin 1940 dont deux seulement furent homologués, nous n’avions pas comme preuve des caméras, sur les Curtiss arrivés d’Amérique et montés à la hâte !!!

De l’escadrille nous resterons trois le jour de l’armistice. Le Commandant Hertaut, le Capitaine William seront tués en combat aérien ! Les autres morts, disparus ou prisonniers !...

mardi, 16 juillet 2019

LE 26 JANVIER 1940 DE JACQUES CHAMBE

Jacques Chambe a écrit quelques-uns de ses souvenirs. On comprendra à la lecture de celui qui suit pourquoi il se souvient très particulièrement du 26 janvier 1940 (voir ici, 14 juillet). J'ai transcrit ce récit sans rien y changer : je le prends tel qu'il est, je veux dire comme il est écrit, sans doute longtemps après l'événement. Et je précise qu'il est rigoureusement inédit.

***

Après les chutes nombreuses de la semaine dernière, une piste a été ouverte par un chasse-neige. Mais maintenant son sol est durci et glacé. C’est une véritable patinoire. Les atterrissages et les décollages sont très délicats. Plus d’un s’est retrouvé après un dérapage spectaculaire et avoir tourné comme une toupie, avec son hélice ou une aile plantée dans le mur blanc. Heureusement le plus souvent sans trop de mal. Un avion déjà arrêté et dont le pilote venait de descendre, a doucement glissé par l’arrière, jusqu’à ce que la neige le coince, et sans que deux mécaniciens agrippés à son train puissent le retenir. L’un avait terminé la glissade sur le ventre, l’autre sur le derrière.

Le froid est très vif. Entre moins quinze et moins vingt au sol. Je ne dois pas me plaindre, comme pilote j’ai une chambre et un bon lit dans une maison au village. Je suis chez le Percepteur. Sa femme est aux petits soins pour moi. Elle voudrait absolument me faire dîner chaque soir alors que je sors du mess. Nous avions les premiers temps une cuisine exécrable. Jusqu’au jour où le capitaine William a découvert que le soldat chargé du nettoyage de son moteur était dans le civil cuisinier à l’hôtel Ritz à Londres. Ça c’est l’armée française. Je pense que l’ancien cuisinier était lui mécanicien !

Il faut faire tourner les moteurs quelques minutes toutes les heures pour éviter que l’huile fige. On a aussi très soigneusement enlevé toute trace de graisse dans le mécanisme des mitrailleuses pour empêcher des enrayages. Toucher le métal avec la main nue brûle presque autant que le feu.

J’ai volé hier. Patrouille de routine le long de la côte, depuis la frontière de Belgique jusqu’à Boulogne. Frontière à ne jamais franchir, sans créer un incident diplomatique. Défense à nous sous peine de sanctions graves de violer l’espace aérien d’un pays neutre. Comme si les autres se gênaient pour le survoler, afin d’aller prendre des photos au-dessus de l’Angleterre, passant ainsi loin de nos mitrailleuses.

R.A.S. comme toujours au cours du vol. Mais moins 50° à l’extérieur de l’avion ! Au retour je suis descendu de l’appareil complètement raide et gelé. Chaboux et Leborgne ont comme moi mis des heures à se réchauffer. Aux dires des autres nous étions verts. J’aurais aimé voir leurs têtes s’ils avaient été à notre place. Un poste de pilotage n’est pas un endroit rêvé pour faire des mouvements de gymnastique, et les combinaisons soi-disant chauffantes sont un mythe par un froid pareil.

Ma radio m’avait donné des soucis. Impossible de parler et d’entendre sur la fréquence de la base. De Marco avait été obligé de me servir de relais, car avec lui je pouvais communiquer. On a réparé dès mon retour, mais je dois procéder à un essai en vol pour confirmation c’est l’ordre du Capitaine William. Je vais le faire ce matin, un peu avant l’aube, à l’heure où dans l’éther règne un certain calme.

***

Il fait encore nuit. Au mess où je suis seul, un soldat mal réveillé a posé devant moi une tasse de café brûlant. Trouant le silence, le ronflement d’un moteur fait monter peu à peu son grondement cyclopéen. Je sais que mon mécanicien, toujours aussi consciencieux, assis à ma place dans l’habitacle, doit surveiller avec attention la danse des aiguilles dans les cadrans du tableau de bord. Il soigne mon Bloch autant que si sa propre vie en dépendait. Avant de sortir de la pièce chaude, je ferme ma combinaison pour garder un peu de sa tiédeur.

On a allumé en bout de piste un seul feu blanc. Je fonce à plein régime droit dessus. Malgré l’obscurité je vois défiler à droite et à gauche les murs de neige. Les ailes en sont terriblement près. Aussi dès que je sens l’avion s’alléger je tire sur le manche pour arracher vite les roues à la glace traîtresse. Je suis déjà haut lorsque le feu passe sous mes ailes. Je sais qu’il s’est éteint aussitôt après mon survol.

J’ai rentré mon train, je passe au petit pas. Pendant un long moment je monte en spirale régulière. J’ai bien vite fermé le cockpit. Le vent cesse de s’engouffrer dans l’avion, ne torturant plus de ses piqûres glacées ce qui était visible de mon visage au-dessus du masque à oxygène.

J’aime avec passion cette merveilleuse impression de solitude. Le bruit même du moteur m’isole un peu plus de ce qui est humain. Je ne suis plus un homme de la terre. Je pourrais croire qu’elle n’existe pas. En dessous il n’y a rien qu’un trou sombre. C’est peut-être la plus extraordinaire sensation que je connaisse ! Quelle autre pourrait atteindre à ce sentiment de libération ? N’avoir plus aucun contact avec rien.

Le contact il faut pourtant le rétablir. Car les radios de la base doivent attendre avec anxiété mon premier appel. Quelle passion en eux aussi ! Lorsque les uns ou les autres nous sommes en l’air, il est presque impossible de leur faire quitter leur poste. Si arrive pour eux l’heure de la relève, et qu’il leur faut passer l’écoute, ils restent à côté des nouveaux arrivants, sans penser à manger ou dormir jusqu’à notre retour.

Au-dessus de moi le ciel est moins sombre. Soudain comme si j’avais crevé une feuille de papier opaque, je jaillis en pleine lumière. C’est l’effet de la courbure de la terre. A six-mille mètres il fait grand jour, alors que le sol est encore dans la nuit. En bas des hommes dorment, des hommes veillent. Certains calmement dans leur lit, d’autres dans le froid d’abris précaires restant le doigt sur la détente … Je pense à Maurice quelque part dans l’Est avec son G.R.D.I.

J’ai ouvert la radio. Le poste grésille dans mes oreilles et elles s’emplissent aussitôt d’une voix amie lorsque je passe sur la bonne fréquence.

— Tango 2… Tango 2…. Je vous appelle…. Je vous appelle…. m’entendez-vous…. Répondez…. Tango 2 répondez... répondez… répondez… Allo Tango 2 m’entendez-vous…

— Tango 2 à B4… Tango 2 à B4 je vous entends, me recevez-vous.

— Allo Tango 2, je vous reçois 5 sur 5.

Puis comme s’il parlait à quelqu’un près de lui, sans penser à couper son micro, la voix joyeuse dit :

— Ça boum on le reçoit !

C’en est fini de la solitude, je suis à nouveau parmi les hommes.

Je regarde la montre, sept heures trente. Puis le compas. Je fais plein nord. Attention à messieurs les Belges. Pression d’huile, carburant tout est OK. Je vire de 45°, très sec et admire les traînées de condensation que font soudain les bouts de mes ailes dans l’air glacé.

Encore une heure à rester à me geler. Le soleil dans mon dos jaillit sur l’horizon. La terre commence à sortir de l’ombre. La mer grise est devant moi. Plus loin sont les côtes d’Angleterre, mais invisibles dans la brume.

Le sol est uniformément blanc. Seules quelques routes plus importantes font des traits noirs. En dessous Calais doit s’éveiller. La mer semble vide. Le ciel l’est aussi.

J’ai très froid, sans pouvoir bouger dans mon espace réduit. C’est aux pieds et aux reins que cela commence à mordre. Pour empêcher mes doigts de s’engourdir à l’intérieur de mes gants, alternativement je frappe l’une ou l’autre de mes mains contre une jambe. Peu à peu c’est un manteau de glace qui m’enserre. Comme il doit être facile de s’endormir ! Pour échapper à cette sensation pénible, je pousse sur le manche et pique vers la terre. Je perds ainsi mille pieds, puis remonte, écrasé sur mon siège par la ressource brutale. Ce que je viens de faire est idiot.

Cap sur Dunkerque …. Une fois encore je virerai au-dessus de ce grand port puis ce sera le retour … Un retour de plus !!! En moi monte l’idée d’un bon café brûlant.

A suivre.

lundi, 15 juillet 2019

LE SERGENT JACQUES CHAMBE EN 1940

Les mois d'avril à juillet 1940, tels qu'ils apparaissent dans les pages de l'agenda du sergent Jacques Chambe. Il y a quelques bons moments, mais dans l'ensemble, le moral n'est pas au beau fixe.

***

AVRIL 

1 – Perme  Quel repos

2 – Je me repose

3 – il pleut mais malgré cela c’est bon d’être au calme

4 – Les Robert arrivent à midi Je vais à Lyon avec l’oncle Robert Je vois tante Marinette

5 – Rien de bien neuf

6 – mauvais temps

7 – les Roux arrivent, les Robert partent Les René arrivent vers 6h.

8 – messe pour Boman [Bomau ?]

9 – les René vont à Lyon  Départ de l’oncle René qui est rappelé. Cela barde en Norvège

10 – je pars en auto à 7h1/2 train à 21h18

11 – Voyage long et pénible Les hommes parlent des événements Le moral est bon Rencontré Mr Tisné à Massy Palaiseau

12 – Bataille navale J’arrive à la base à 10 ½ mouvement A la base cela remue Vol ………… en patrouille Je vais à Rennes le soir avec Revil.

13 – Nous allons à Rennes le soir. Stances de Revil à la porte de la bonne de l’hôtel Folle nuit. Pour ma part je dors calmement

14 – Revenons au camp le matin Je suis vaseux jusqu’à 5h pas franchement malade. Je ne descends pas à Rennes.

15 – Rien à signaler

16 – Vol rien à signaler. Vol

17 – Revil et moi voulons partir en Norvège. Le Lt nous dit de ne pas partir. FINKEL lui part. Nous allons à Rennes

18 – Vent fou. Le poste de police saute en l’air. Je reçois lettres. Croix de guerre 2 palmes. Médaille militaire. C’est chic.

19 – Rien Patrouille RAS Allons à Rennes

20 – Rien Un Fritz très loin Allons à Rennes.

21 – Rien Allons à Rennes

22 – Rien mais des Fritz en l’air mais très loin.

23 – Rien

24 – Rien allons à Rennes

25 – Rien de neuf

26 – Pluie. Je vais à Rennes le soir.

27 – rien, mal à la tête J’écris à Maman Jeannette Yvonne Maurice. Je ne sais que faire.

28 – Descendu à Rennes. Mal à la tête. Le …. Croit à des ………… ………

30 – Patrouille sur Brest. RAS Froid.

Notes : Et le mois passe et la vie est la même. Les heures passent tristement. Quelle guerre. J’ai envie de fuir et de partir loin. La dernière lettre que j’ai reçue me ………….. je suis triste las dans une affreuse solitude du cœur. 

MAI 

1 – rien le ciel est vide.

2 – Rien pas un Fritz en vue pendant 3h

3 – Je part à Paris pour acheter un paquet pour Honnorat

4 – Je suis à Paris. Temps splendide.

5 – Départ pour Rennes.

6 – Le Colonel Fauvel se tue en avion

7 – Rien

8 – Rien

9 - /

10 – rien ciel vide

11 – rien pas un fritz

12 – Rien (écrit fort sur demi-page gommée) : ici se termine une période ………….

13 – La Belgique et la Hollande sont attaquées par les Boches. C’est le grand coup qui commence. La vie ici me dégoûte. Les gens ne pense qu’à se défiler. Honnorat est comme moi dégoûté.

14 – Je vais au tir. Très bon carton au FM. Je passe la nuit dans le poste de mitrailleuse avec le Capitaine en état d’alerte. 1ère nuit de guerre. Je suis calme.

15 – La Hollande dépose les armes. Que se passe-t-il. C’est le grand moment. Qui nous sortira de là. J’ai confiance en dieu et en mon pays. Nous reculons. A quand la prochaine Marne. Nuit calme sans alerte. Où est mon vieux Maurice. Je pense bien à lui. Etre pilote et ……….

16 – Mauvaise nouvelle. Le front est enfoncé vers Sedan. Les nôtres tombent. J’ai peur pour ma patrie. Nul ne doit le savoir. Que Dieu sauve la France. Le président des Etats-Unis doit parler ce soir. Que son acte soit sauveur.

17 – La bataille continue. Nous reculons encore les réfugiés passent en masse Quelle atroce chose. Il faut avoir confiance Etre là ne pouvoir rien faire. Savoir que les nôtres tombent est inutil c’est atroce. Nuit calme. Il faut vaincre. Rien ne doit rester de l’Allemagne.

18 – Dieu sauvez mon pays et tous ceux que j’aime. Les Boches avancent encore, mais il semble plus lentement. Dieu veuille que cela soit vraie. Je reçois des lettres de Maman. Je suis bien content d’avoir de leurs nouvelles. Des Fritz plein le ciel. Un en flammes. C’est mon ami BEAUDIER ( ?). Le type saute.

19 – Papa est à la Verpillière d’après une lettre de Maman. Pétain est ministre d’Etat Mandel à l’intérieur. L’avance Boche continue mais lentement du moins je le pense. Weygand est généralissime Pétain vice président du Conseil.

20 – Les Boches avancent toujours peut-être plus lentement mais ils vont encore Dieu nous donne la victoire…J’ai mon troisième Fritz !!! un Dornier. Mon avion est criblé. Le type ne saute pas.

21 – Nous recevons des camarades qui descendent du front Nort. Leur moral est formidable mais ils semblent dire que l’aviation manque sur le front.Je travaille avec Honnorat au plan de défense. Ou allons nous. Ils sont à Amiens et Arras. Reims est évacué.

22 – Quelle terrible vie, quel désespoir. Tout croule nous sommes trahis. Dieu sauvez la France Vous seul le pouvez et pourtant nous n’en somme pas dignes moi tout le premier. La radio dit que nous tenons toujours Arras ? J’en suis sorti je ne sais comment. BOUCHARD est parti en flammes. J’ai un Dornier !  Les allemands ne sautent pas.

23 – Cela continue. Ils avancent toujours en direction de la mer. Quand en sortirons-nous ? J’écris une petite lettre à Maman. Je suis crevé. On note ……….nous nous sommes à 1 contre 10.

24 – Toujours rien de neuf. Dieu ne nous abandonnez pas. Ils avancent toujours. Une balle s’est écrasée sur le montant droit. Une culbute et je la recevais en pleine tête. VERDIER est touché. Un de moins. Je fais un crash train en avant ( ?).

25 – Je suis piqué ce matin. La journée n’est pas mauvaise. J’ai pris un sacré choc. Vol après midi. C’est idiot à un pareil moment de nous …………..

26 – Mauvaise nuit et journée pas bonne. Le moral des hommes est mauvais. Les ordres donnés les embêtent. Des ……………râlent, mais mon (zig ?) est au poil. Ce brave JARDIN ( ?) de comment …………… se perdre ( ?).

27 – Je suis mieux mais pas encore très fort. Ma tête en a pris un sacré coup. Il faut voler quand même.

28 – Léopold III trahit son peuple et dépose les armes. On me dit que je suis nommé et que j’ai la croix !

29 – (gommé) je suis bien content. Mais tant de choses sont graves à cette heure que cette joie est bien moins grande. Ou est l’oncle René ou sont ceux que j’aime. Seul la suite des jours donnera sur les événements une lueur plus précise. L’Italie semble de plus en plus vouloir nous tomber dessus.

30 – Toujours rien de neuf. Les événements restent graves très graves. Les heures sont lourdes, je suis las.las. …………………………Combat au-dessus du Mont Saint Michel. J’en suis sorti !

31 – Rien de neuf. La vie à la base ne change pas. Les événements sont les mêmes chaque jour. On vole. On vole. 

JUIN 

1 – Rien de neuf encore. Crevé de fatigue. Pris l’air six fois dans la journée.

2 – Je reçois une lettre de l’oncle René je lui réponds de suite pour lui demander de me faire partir sur un poste plus avancé car les Fritz sont trop rares.

3 – Visite du Général ARMENGAULT. Parade et défilé. Reçois lettre oncle Maurice Corron une de Maman.

4 – Ils ont jeté mille bombes sur Paris. J’espère que Papa est indemne. J’ai hâte d’avoir une lettre de lui et aussi de Maman car on parle de la vallée du Rhône. L’Italie sera en guerre sous peu. Du moins je le crois.

5 – Nouvelle offensive Allemande. Lettre de Maman. La Verte a été bombardée. Je vais à Rennes en mission spéciale !!!! très spéciale. Je vois la femme d’Honnorat.

6 – Les Boches avancent encore dans la direction de Rouen. Nous attaquons au ras des arbres. C’est fou. 2 ne sont pas rentrés : LARSIL ( ?) et JAMET ( ?). Moi c’est pour quand.

7 – Avance continue des Boches. Las très las. Noté 64 ………

8 – Des canadiens se posent sur le terrain en route vers le Sud ! Quels avions splendides. Honnorat passe à l’état Major comme second du colonel BLAISE. Il y a deux type qui nous quitte. Je prends la patrouille.

9 – Les Boches semblent avancer beaucoup. Nous touchons des Curtiss. Combat au-dessus de la Seine. J’ai un Messer. TASSEL ( ?) est de service en ville.

10 – Je vois le Capitaine. Il est sommé de rester au sol. Il me dit d’être prudent !!! Déclaration de guerre de l’Italie.

11 – Service en ville que de réfugiés que de drames.

12 – Les Boches sont près de Paris. On dit que les communications sont coupées avec Paris. Combat avec des Messer au-dessus de Rouen. J’ai tiré comme un cochon.

13 – Ils avancent toujours. Plus de lettres de la Verpillière ni d’autre part. C’est la guerre. Mon avion est criblé. J’ai eu de la chance.

14 – Paris est pris. C’est la fin. Roosevelt ne répond pas. Mitraillé un soumarin Fritz (sic)au large de Brest. Il plonge en catastrophe, mais j’ai eu les hommes près du canon.

15 – Rien encore de l’Amérique nous allons à la mort de la France. C’est la fin. Ce soir conseil des ministres ??

16 – MOUSTIER ( ?) tombé. Je prends SEMBAT ( ?) comme ailier droit. 15h j’ai un Henkel. Pas de parachutes. VERDIER est vengé.

17 – Bombardement de Rennes. Mitraillage du camp ………………………….. Demande d’armistice. Départ 1h du matin.

18 – (Très gommé) attaqués par six Messer touchés en feu nous en sortons. Couchons dans les champs. (+ ligne surchargée).

19 – La Rochelle La Palisse Saint Jean d’Y Cognac Barbezieu Libourne. Laréole Couchons chez des gens aimables à St Hilaire.

20 – Agen Toulouse Nous arrivons à Pinsaguel [auj. 31120].

21 – 22 – 23 – 24 Pinsaguel

(à partir de là très gommé. Les morceaux de gomme noircis sont là)

25 – Sommes à Pins ……………..est triste. Je suis

26 – Rien de neuf.

27 – J’écris à Maman. Je vois Jetty ……….. Je parle à la mère de Jetty ………Nous tombons d’accord ( ?)

28 – J’écris à Maman. Je puis embrasser Jetty quelques minutes.

29 - ………….

30 – Je suis de garde. 

JUILLET            (Très gommé) 

1 – Je suis triste Je descends à Pinsaguel.

2 – 3 – 4  (Tout est gommé)

5 – La flotte Anglaise attaque notre flotte !!!! a l’aurore dans un port algérien. Nos plus beaux navires sont coulés. Strasbourg Dunkerque Bretagne Provence Mogador…Mes beaux navires.

6 – Aujourd’hui je suis très fatigué. Je descends à Pinsaguel le soir beaucoup plus tôt Encore très fatigué.

7 – Je suis malade complètement à plat. Des lettres de Maman du 13 et 14 juin. Il vient de Rennes.

8 – J’ai 27 ans. Et c’est un triste jour car je suis loin de ceux que j’aime (gommé) Lettre de Maman du 10 juin.

9 – Je suis toujours malade et las Quelle triste chose Je voudrais partir loin, très loin, au calme.

10 – Toujours même chose.

11 – Je reçois lettre de l’oncle Robert. Je vais je crois mieux Moins de coliques. Maurice est sauf les trois Ogier aussi.

12 – Je monte à Pins mais je suis encore bien las. 1è lettre de Maman, je suis heureux bien heureux. Partir !!! Partir !!! (Plusieurs lignes barrées et gommées).

13 – (gommé 2 lignes) suis triste et las.

14 – Quel triste 14 juillet défilé et messe à Pins Je descends avec Revil à Pinsaguel. J’ai hâte de partir de fuir cet endroit si joli.

15 – Je suis peut-être démobilisé. Lettre de Papa. Je suis démobilisé.

16 – pas d’essence pour partir. Nous partirons peut-être demain, je le voudrais tant j’ai hâte de les rejoindre tous (barré gommé. Seul lisible : ) Jetty

17 – 9h nous ne sommes pas encore partis quelle vie j’ai hâte d’être près d’eux. Départ 11h Toulouse Albi Rodez Marmande Le Puy Saint Etienne On couche chez un type très bien.

18 – Départ St Etienne en car pour Lyon Vers 6h train à Lyon pour La Verpillière 8h

dimanche, 14 juillet 2019

LE SERGENT JACQUES CHAMBE EN 1940

Jacques Chambe a vingt-sept ans en 1940. Il est sergent. Il a son brevet de pilote depuis l'âge de dix-sept ans grâce à la "protection" de son oncle René Chambe et à la bienveillance complice du pilote Détroyat. Janvier 1940 le trouve sur une base aérienne non loin de Rennes. Tous les jours, il consigne quelques notes au crayon dans un petit agenda auquel plus tard il devra sans doute la vie : je l'ai toujours vu avec sa balle de 9mm bien plantée au milieu, juste arrêtée par les dernières pages et le carton de la couverture pas entièrement déchirés. Voici les annotations jour par jour des trois premiers mois de l'année 1940. 

Note : "La Verte", c'est "la verte Pillière", autrement dit La Verpillière (Isère), où résidait la famille à l'époque. Les points de suspension signifient "illisible".

***

JANVIER

1 - Perme à la Verte.

2 au 6 - idem.

10 – Départ pour Rennes à 7h30 avec Papa jusqu’à Lyon je passe par Roanne Saint Germain des fossés direction Massy Palaiseau.

11 – Massy Palaiseau Noisy le Roy direction Rennes arrivé 23h.

12 – Arrivé au camp à 11h.

13 – Rien (patrouille RAS)

14 – Rien (patrouille RAS)

15 au 18 mêmes mentions

19 – départ pour Paris 24 h

20 – arrivé 6h. Vu tante Annie

21 – retour Rennes 21 h.

22 – rien

23 – rien – vol (-60)

24 – rien patrouille RAS

25 – rien très froid

26 – froid neige + j’ai un Fritz ! ! ! !

27 – 30 – rien froid neige

31 – rien pas de Fritz

 

FEVRIER

 

1 – rien patrouille RAS

2 – départ pour Paris en perme 18h arrivé 22h50 trouvé Papa Maurice a été décoré Croix de guerre

3 – je vois Odette à Paris – Fernand et Jacques

4 – Départ pour Rennes à 23h

5 – Rien de neuf au camp.

6 – reste au camp rien

7 – je vois une proposition au grade de s / lieutenant mais pour quand ?

8 – Temps splendide le lieutenant Honnorat par en permission Baudier ( ?) se pose sur le ventre sans mal

9 – Rien

10 – Histoire au sujet de ma patrouille HUBERT ( ?) veut passer à la II

11 – vol RAS

12 – vol RAS – 16h  j’ai un Fritz !!! Convoqué par le Colonel il me propose pour la croix

13 – rien de neuf. LEFRANC me demande de faire sur ………….. une description des masques à gaz

14 – je donne quelques renseignements sur les gaz aux types du peloton reçois bonne lettre de maman

15 – rien peloton RAS – 25

16 – départ midi pour Paris 12h05 arrivé 6h dîné avec Papa

17 – je commande une tenue. Bonne journée de repos.

18 – départ pour Rennes 9h

19 – Rien neige visibilité nulle

20 – verglas rien

21 – Peloton sous-off rigolade

22 – rien neige et verglas

23 à 25 – rien neige

26 – On parle de départ pour la Syrie

27 – on parle encore départ Syrie

28 – rien de bien neuf cafard

29 – suis cafardeur Patrouille de nuit

 

MARS

 

1 – départ pour Paris à 2h05 avec JALLON, LEHARENGER arrivé 6h14

2 – journée de repos

3 – repos à la maison. Départ 21h pour Rennes

4 – les polonais arrivent au camp pour l’entraînement officiers, sous-officiers, soldats

5 – rien vol de routine

6 – rien

7 – on demande mon livret au bataillon [???] suis d’après le Lieutenant colonel en passe d’être nommé Cpte

8 – recois lettre de papa

9 – vol sur ………………. Rien, de garde

10 – de service   Nous allons à Rennes le soir  Film sérénade

11 – Le Ct HONNORAT rentre REVIL revient de Paris Nous lui parlons de notre question   Rien à signaler sauf temps splendide

12 – ce matin pluie Rien à signaler vol sur Brest

13 – Vent terrible et pluie Rien à signaler

14 – Vent de plus en plus fort. LEHARENGER  nous laisse le soir avec REVIL pour !!! cinéma

15 – Soleil. Départ à midi avec JALLON  Jallon change au Mans. Arrive Paris 6h

16 – achète gants chauds cinéma le soir avec Papa

17 – téléphone à Mme Cartault. Départ Rennes à 21 h Suis très las

18 – suis fatigué. Le Ct HONNORAT  pense partir. C’est la poisse

19 – Vent fou suis fatigué grippe fièvre cafard

20 – suis toujours mal mauvais temps moral bas Soleil mais à très haute altitude

21 – suis mieux Rien de neuf Mal à la tête

22 – pas de nominations Un anglais est grièvement brûlé. Les permes sont suspendues ou presque

23 – départ du détachement de Syrie Un Fritz en flammes pour BAUDIER

24 – Soleil Je vais à Rennes

25 – rien pluie sans arrêt Je vais à Rennes

26 – Revil  rentre de Paris. Vols impossibles

27 – rien de bien neuf Pluie

28 – passage de petits bleus allant à Dinard. Un type de Crémieu

29 – Manqué un Fritz de peu. Départ 11H du soir

30 – Voyage

31 – Arrivé Lyon 4h du matin Voiture pour aller à la Verte. Maman et Papa sont là.

dimanche, 19 octobre 2014

L’ANNÉE 1914 DE RENÉ CHAMBE (5)

Nous sommes aujourd'hui le 8 octobre 1914. Enfin, si vous le voulez bien. Nous sommes revenus deux semaines après le précédent courrier de guerre. Finis, la danse et le bon temps. Le sous-lieutenant René Chambe ne parle déjà plus de « culbuter » l’ennemi : dans peu de temps, les soldats vont s’enterrer dans des tranchées qui seront leur habitat et leur cimetière pendant les quatre années suivantes. En attendant, le changement d’ambiance se ressent dans les lettres qu’il envoie à sa famille.

 

Celle dont je donne aujourd’hui de larges extraits (elle en vaut la peine) reflète cette évolution : le ton est plus grave, moins enthousiaste. Elle est écrite juste avant d’aller dormir. Les élans vainqueurs et optimistes qu'on y trouve semblent être là pour mieux compenser des considérations beaucoup plus noires, et peut-être pour ne pas avoir l'air de tomber dans le défaitisme. Disons que le ton est plus « mêlé ». 

 

René tombe de sommeil, il a passé la journée à se battre, d’où quelques flottements dans la langue, que j'aurais trouvé niais de corriger. L’ennemi est à 2 km, mais les armes se taisent pendant la nuit. Luttant contre l’assoupissement, il met à profit ce répit pour maintenir le lien avec ses proches. 

 

Cette lettre de huit pages, qui lui coûte, il se sent obligé de l’écrire : dans la journée il a pris un moment de pause pour en griffonner l’annonce sur une de ces « Cartes en franchise » fournies par l’armée :

 

« Tu me demandes mes impressions. Je te promets de te les écrire dès que je pourrai. Mais quand !!!! Songe que depuis 6 jours nous sommes au feu constamment. Là où nous sommes se livre une bataille gigantesque… Quand partira cette carte que je t’écris hâtivement, assis sur le bord d’un chemin, au revers d’un talus !! Hier encore j’ai fait une très belle reconnaissance. J’ai une balle qui a traversé mon casque. Mon vieux celle-là n’est pas passée très loin ! Un joli souvenir à conserver dans les bibelots de famille…. Je vais très bien, très bien malgré le manque de sommeil et la tension d’esprit (choses très pénibles) ».

 

Le soir, il prend sur lui pour répondre à la demande de son frère. Je reproduis scrupuleusement le texte manuscrit (ponctuation, etc.) :

 

« … cette lettre, je te l’écris sans presque avoir l’espoir qu’elle te parvienne !

         Je veux ici t’écrire mes impressions comme tu me le réclames : Ne fais attention ni au style, ni à l’écriture, ni à rien. Je dors, je dors !

         Mes impressions ? Je prends une journée de guerre : D’abord nous vivons dans une atmosphère très spéciale. Il nous semble que nous sommes séparés du reste des vivants, que tout ce que nous avons fait avant la déclaration de guerre est lointain, lointain ! Et c’est pourquoi tu ne peux t’imaginer à quel point je tiendrais à ce que tous dans vos lettres vous m’écriviez beaucoup de petits détails de la vie courante, des riens qui vous paraissent insignifiants, mais qui, pour nous, prennent une importance émouvante et immense.

         Vois-tu, nous vivons dans la mort. Elle ne frappe pas toujours, mais à chaque instant elle peut venir brutalement. Ce qui a de fantastique c’est qu’on s’y habitue très bien. On accepte. Tu ne peux te faire une idée que la détente d’esprit que nous éprouvons tous lorsque la nuit tombe. La nuit c’est le moment où l’on cesse de se battre, où le danger disparaît, où les hommes font trêve, ne cherchant plus à s’entretuer. Dès que le soleil paraît, ce même danger reparaît implacable. Verra-t-on le soleil se coucher ? Comme c’est long un jour !!!

[…]

Le passé comme c’est loin ! Quel abîme a creusé cette déclaration de guerre ! Cette guerre tu ne peux t’imaginer ce qu’elle est, quelle scène d’horreur sinistre, de boucherie !!! On s’est battu déjà en 1870 à l’endroit où nous sommes. Dans les villages que nous traversons il y a des vieux et des vieilles qui se souviennent. : "Ah c’est bien plus, bien plus terrible, disent-ils, ! En 70 on se battait un jour, on entendait le canon une fois et c’était fini pour une ou deux semaines. Après quoi on recommençait. Mais aujourd’hui c’est tous les jours, sans arrêt, sans arrêt le canon, la fusillade et encore, encore le canon !!! Ça ne s’arrête jamais !"

         Ils ont raison ces vieux. Pas une minute de répit ni de trêve ! Une guerre comme la nôtre, avec l’armement actuel, est la plus grande des folies, le plus grand des crimes.

         Je l’ai désirée de toutes mes forces et je suis heureux qu’elle ait eu lieu. Ce sera plus tard pour la France une période féconde et vivifiante. Mais comme elle sera chèrement payée ! Que de camarades, d’amis déjà qui sont tombés !

         […]

         Oui nous vivons dans une atmosphère terrible, mais comme c’est beau ! sublime !

         Tu ne peux te faire une idée de la joie immense, magnifique que j’éprouve au milieu de mes hommes. Je devine, je sens la confiance que je leur inspire. Ce ne sont plus les petits cavaliers de Limoges que je commande, mais des guerriers, des vrais qui ont vu le feu … et sérieusement. Dans les moments difficiles je sens leurs yeux fixés sur moi et alors, tu sais cela me communique une force énorme ! Être un chef ! Je sais bien maintenant ce que c’est !.... Quand un obus tombe trop près, que les balles sifflent, je m’efforce de trouver un sourire ou un lazzi, alors tout mon peloton en fait autant. Et le soir, au bivac, quand au moment de la soupe (lorsqu’il y en a) je me promène au milieu d’eux, je leur parle comme à des camarades, je leur parle de leur pays, de leur cher Limousin. Comme ils m’écoutent rêveurs, ou farouches les yeux brillants.

Mes hommes j’en fais ce que je veux ! Je les mène où je veux. Ces types vois-tu, après la guerre, je ne les oublierai jamais, je leur écrirai à tous. Très souvent on m’envoie en reconnaissance, je me suis fait un peu une spécialité.

Chaque fois j’emmène quatre ou cinq cavaliers. Ils se disputent pour venir. Et pourtant il y a du danger. […] ».

 

Suit alors le récit de la reconnaissance mentionnée dans la « Carte en franchise » citée plus haut : une reconnaissance où son casque est traversé :

 

« Une balle n’est pas passée loin. Elle a traversé mon casque de part en part à deux centimètres de ma tête. Hein, un peu plus ! C’est égal, tu sais, je suis certain de revenir de cette guerre. J’ai trop de fois failli être touché ! sans jamais l’être.

 

Je sens, je suis sûr de ce que je dis. D’ailleurs je porte sur moi de petits fétiches qui me donnent confiance. Dans mon porte-feuille je garde précieusement les violettes qu’a cueillies à La Verpillère notre cher petit Jacquot [son neveu né en 1913] et que Maman m’a envoyées. Elles ne me quitteront pas. Elles feront toute la campagne avec moi. Avec moi elles entendront siffler les balles, éclater les obus et les clameurs de la bataille. […]

Une bataille moderne ?... C’est très déprimant. Bien rarement on voit l’ennemi. Pendant des heures on est pris sous le feu, sans savoir d’où il vient. Et l’ennemi non plus ne nous voit pas. On se tire dessus en effet sans se voir, d’après la carte d’Etat-Major et les renseignements des reconnaissances de cavalerie ou d’aéroplanes. C’est très sûr. […]

Gardez tous confiance, comme je l’ai moi qui vois de près les choses. Ça va bien je vous assure. Nous serons vainqueurs ! vainqueurs !!! Mille souvenirs à ceux que tu verras et que je connais, aux gens, aux bêtes, même aux meubles et aux objets de la maison. Si tu savais comme je pense à tout cela, comme je les vois !... ».

 

Voilà donc, 100 ans et quelques jours après, cette lettre du 8 octobre 1914. Je la trouve très belle. Je crois qu’elle se suffit à elle-même. J’espère juste qu’on ne m’en voudra pas trop d’ajouter que, lorsque je l'ai lue,  « les violettes qu’a cueillies à La Verpillière notre cher petit Jacquot » me sont allées directement au cœur.

 

Voilà ce que je dis, moi.